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ParJDA

La décentralisation, une volonté politique de François Mitterrand

Art. 390.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

Delphine Espagno-Abadie
Maître de conférences, Sciences Po Toulouse,
membre du Collectif L’Unité du Droit

Alors que nous célébrons les quarante ans de la loi du 2 mars 1983 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, un petit retour en arrière ne pas nuire à la compréhension de cette politique publique qu’est la décentralisation. Si aujourd’hui, la décentralisation nous paraît être une banalité dans l’organisation des relations entre l’État et les collectivités territoriales, il n’en a pas été toujours ainsi. Si de nos jours, les discours sur la décentralisation se déclinent davantage sur le terrain de la différenciation territoriale et du degré possible de mise en œuvre dans les territoires de ces politiques de différenciation, cela n’a pas toujours été le cas.

Sans revenir de manière exhaustive dans ce court billet sur la genèse et sur les raisons qui ont poussé le candidat du Parti socialiste à inscrire la décentralisation dans ses 110 propositions formulées dans sa campagne à l’élection présidentielle, il s’agit plutôt de raviver des souvenirs. Bien-sûr ce type de démarche nécessite un travail plus approfondi mais qui ne peut être mené dans un laps de temps trop court pour l’auteur à ce jour. Il eût fallu pouvoir accéder en amont à quelques dossiers conservés aux Archives nationales, procéder aussi à quelques entretiens avec les acteurs de cette campagne comme avec les rédacteurs de la loi de 1982 mais le temps nous a manqué. Nous nous contenterons donc ici de revenir sur l’état d’esprit de François Mitterrand et sur sa volonté de faire de la décentralisation un axe majeur de son septennat. Dans ce cadre, la décentralisation apparaît comme une volonté de rompre avec l’État central (I) pour mettre en place des « contre-pouvoirs organisés » et un « État décentralisé » consacrant une réforme de l’État toujours en mouvement (II).

I. La décentralisation, une volonté politique de rupture avec l’État central

Il est difficile de comprendre le choix fait par le candidat socialiste en 1981, puis celui du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, sans se pencher sur la période précédant son élection. Comme le soulignent de nombreux spécialistes de la décentralisation, la loi de 1982 et celles qui suivront, notamment celle de 1992, constituent une rupture avec un contexte politique et une situation juridique très centralisatrice. La décentralisation, voulue par le candidat socialiste, adoptée par le législateur sur proposition du ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, « est le résultat d’un long processus de transformation de l’organisation du territoire de la République[1] ».

Ainsi, François Mitterrand, alors Président de la République, lors de la séance du Conseil des Ministres du 15 juin 1981 ou encore dans le cadre d’un discours prononcé à Lyon en juillet 1981 déclare : « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire[2] ». Sans pour autant que la loi de 1982 ne fasse explicitement référence au terme de décentralisation, l’esprit de la loi est bien celui inspiré par cette volonté du Président de la République d’inscrire son septennat dans une nouvelle « manière d’être de l’État » pour reprendre les mots du Doyen Hauriou. Comme le relève, le Professeur Verpeaux, ni la loi de 1982, ni celle de 1983 ou celle de 1984, pas plus que celle de 1992 ne font figurer dans leurs intitulés le terme de décentralisation[3]. C’est pourtant de cela dont il s’agit et les spécialistes de la décentralisation, notamment ceux qui dans les cabinets ministériels, tant de Gaston Defferre que de Pierre Joxe, ont œuvré à la mise en forme de cette décentralisation voulue par le Président de la République ne nous démentiront pas.

En voulant cette transformation majeure de l’organisation administrative du territoire, le candidat puis le Président de la République, François Mitterrand a fait le choix de cette rupture avec le passé. En effet, la décentralisation telle qu’elle a été voulue par le candidat à l’élection présidentielle en 1981 constitue une manière de rompre avec un État centralisé, lourd et omniprésent. C’est également un changement de politique et le signe d’une volonté de tourner la page du gaullisme et de ses héritiers plus ou moins directs dont les manières de gouverner conduisaient à défier les élus locaux, voire à les affaiblir. Ainsi, François Mitterrand, en 1977 alors qu’il conclut la rencontre nationale des présidentes de conseils généraux socialistes et radicaux de gauche, déclare : « la décentralisation est la grande affaire d’un gouvernement de gauche et le maître-mot d’une expérience du progrès. Toute réforme doit commencer par le haut, et l’on ne fera rien si l’on ne casse pas l’inspection des finances et si l’on garde les préfets et leurs contrôles a priori ». Toutefois, il serait inexact de considérer que seul François Mitterrand a eu pour préoccupation un autre aménagement des relations entre l’État et les collectivités territoriales. Valéry Giscard d’Estaing, avant lui, a tenté de mettre en œuvre une décentralisation mais sans y parvenir. Comme le souligne Vincent Aubelle, l’objectif de décentralisation sous Valéry Giscard d’Estaing devait faire l’objet de trois textes législatifs mais qui n’ont pas abouti au Sénat[4]. Dans son entretien au journal le Monde en juillet 1981, le Président Mitterrand détaille ce qu’il veut faire en matière de décentralisation. Dans le prolongement de ce qu’annonçait le Manifeste adopté à Créteil le 24 janvier 1981 lors du Congrès extraordinaire du Parti socialiste qui l’a désigné comme candidat du parti à l’élection présidentielle[5], François Mitterrand précise que la loi de décentralisation, défendue par Gaston Defferre, aura pour objectif – objectif atteint – de limiter juridiquement les pouvoirs du Préfet en transférant « ces pouvoirs aux élus régionaux, départementaux et municipaux, qui deviendront majeurs et responsables[6] » et en supprimant « les tutelles a priori. Le représentant de l’État n’exercera plus qu’un contrôle a posteriori. Les délibérations des assemblées locales seront exécutoires immédiatement et de plein droit. Si le représentant de l’État estime que l’une d’entre elles est illégale, il pourra demander au juge de se prononcer sans que le recours soit suspensif[7] ». C’est également dans le prolongement de ce que la décentralisation a été dès la fondation du parti socialiste, au congrès d’Épinay en 1971, que la gauche socialiste et les radicaux de gauche, puis dans le cadre du programme commun, que le candidat Mitterrand puisera sa détermination à faire de la loi de 1982 la première loi discutée par le Parlement lors de la première législature. Cette loi de 1982, en germe depuis longtemps dans les rangs de la gauche, devait redessiner les relations en l’État central et les collectivités territoriales, traduisant ainsi politiquement un attachement au territoire et aux collectivités territoriales. La nomination de Gaston Defferre, en début de mandat, comme ministre de l’Intérieur et de la décentralisation n’est en rien due au hasard. De plus, comme le souligne Vincent Aubelle, cet attachement mitterrandien au territoire, attachement analysé par Pierre Joxe dans son ouvrage Pourquoi Mitterrand ?[8] donne un visage particulier à la décentralisation.

II. « Des contre-pouvoirs organisés ; un État décentralisé », une réforme de l’État toujours en mouvement


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 390.


[1] Kada N. & Mergey A., « Décentralisation » in Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, Berger-Levrault, 2017, p. 360 et suivantes.

[2] Verpeaux M., « 1982 : de quoi la loi du 2 mars est-elle la cause ? », Ajda 2012, p. 743.

[3] Ibid.

[4] Aubelle V., « François Mitterrand : la décentralisation politique pour ne pas défaire la France » in Les grandes figures de la décentralisation. De l’Ancien Régime à nos jours, Berger-Levrault, 2019, p. 589 et s.

[5] Entretien avec le Président de la République, Journal Le Monde, 2 juillet 1981.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Joxe P., Pourquoi Mitterrand ?, Ph. Rey ; 2006, p. 15 à 24.

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ParJDA

Les 40 ans de la décentralisation : à la recherche d’un nouveau souffle

Art. 393.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

André Viola
Maître de conférences en droit public à l’Université Toulouse Capitole
Ancien président du Conseil départemental de l’Aude
Vice-président de la Commission nationale de la coopération décentralisée

Lorsque j’ai été contacté pour apporter ma contribution à ce travail autour de l’anniversaire des 40 ans de la décentralisation en France, je ne savais pas si les initiateurs conviaient à s’exprimer l’enseignant en droit public ou l’élu local ? Les deux m’ont-ils répondu !

Après une courte réflexion, j’ai accepté l’invitation en me disant que, puisqu’il y aurait beaucoup de juristes conviés à intervenir, j’insisterai plutôt au travers de ces quelques lignes, sur mon ressenti eu égard à la décentralisation. Ressenti en tant qu’élu local, vivant au quotidien cette décentralisation depuis maintenant 26 ans (1995 a été la date de ma première élection en tant que conseiller municipal), mais ressenti aussi et surtout, dans ce propos introductif, en tant qu’enseignant de droit public et tout particulièrement de droit des institutions territoriales et de la décentralisation.

Je suis en effet surpris, année après année, de la réaction des étudiants face à la décentralisation qui, pour eux, est un acquis, quelque chose de banal, qu’ils connaissent depuis leur naissance… Et pourtant… Privilège de l’âge, même si je n’avais que 11 ans en 1982 et que le vote des lois de décentralisation ne m’a pas du tout marqué à ce moment-là, j’ai côtoyé, lorsque j’ai fait mes premiers pas en politique, des élus qui avaient connu l’avant et l’après 1982 (ils ne sont plus très nombreux aujourd’hui) et qui m’ont vite fait prendre conscience du formidable impact des lois de décentralisation.

Ces lois de 1982 et 1983 n’étaient pas une simple évolution juridique, mais constituaient une véritable révolution politique, un souffle nouveau dont les nouvelles générations ont du mal à prendre conscience.

Cette ambition, et c’est ce que j’essaierai de démontrer au travers de mon propos, s’est essoufflée au fil du temps, faisant de cette révolution politique une simple technique juridique froide, faisant l’objet d’ajustements tout aussi techniques, ces dernières années, sans grandes ambitions.

À l’aube de l’élection présidentielle de 2022, nous verrons si la décentralisation fait à nouveau l’objet d’échanges passionnés, si la question revient au cœur du débat politique. Je l’espère, et je l’espère en souhaitant que l’on sorte de ce paradoxe, que je ne manque pas de souligner auprès de mes étudiants, de ce « je t’aime, moi non plus » entre les élus locaux et l’État. Des élus locaux qui ne cessent de critiquer l’État, trop lourd, trop présent, trop écrasant tout en ne manquant pas de le solliciter sans cesse… et un État qui ne cesse de considérer les collectivités territoriales comme de simples agents d’exécution tout en comptant sur elles en période de crise pour prendre des initiatives… Espérons que la campagne présidentielle permettra de sortir de ce jeu de rôle, de ce jeu de dupes. La décentralisation n’est pas un moyen de contourner l’État, c’est « une façon d’être de l’État » (M. Hauriou) nécessitant de trouver un juste équilibre entre le pouvoir donné aux collectivités territoriales et celui qui reste entre les mains de l’État. Et dans le souci permanent de rendre le service public le plus efficace possible pour nos concitoyens.

Nous verrons bien dans les semaines qui viennent si cet espoir d’un beau débat de fond sera exaucé. Dans l’attente, et dans le cadre de l’espace qui m’est offert, je reviendrai forcément à grands traits sur cette ambition qu’a été la décentralisation à l’origine et sur l’essoufflement qu’elle a connu au fil du temps, le projet de loi 3ds en cours de discussion au Parlement étant certainement le symptôme le plus probant de cet essoufflement.

I. Le temps des conquêtes

Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont constitué une véritable révolution (A) dans le cadre de la République française indivisible qui ont bouleversé l’organisation politique, l’effet de souffle ayant perduré un peu plus d’une vingtaine d’années (B).

A La décentralisation pour changer la vie

« Changer la vie ». Tel était le slogan de campagne de F. Mitterrand en 1981, telle était son ambition.

Parmi les projets qui devaient changer la vie des français, il y avait la volonté de F. Mitterrand de décentraliser la République française. C’était une conviction profonde de celui qui allait devenir président de la République pour qui « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » (F. Mitterrand, 15 juillet 1981).

Il faut malgré tout souligner ce positionnement paradoxal, pour un candidat de gauche, la gauche ayant toujours été classée, historiquement, dans la tradition jacobine, centralisatrice, alors que la droite a toujours été considérée comme girondine, décentralisatrice.

Au-delà de ce paradoxe, le souhait de F. Mitterrand était bien de transférer de réels pouvoirs aux collectivités territoriales et à leurs représentants, les élus locaux. Sans bien évidemment mettre en péril l’unité nationale, comme certains le craignaient. Ses idées étaient claires, son programme précis, il n’y a qu’à se tourner vers les fameuses 110 propositions :

Proposition 54 : « Les conseils régionaux seront élus au suffrage universel et l’exécutif sera assuré par le président et le bureau. La Corse recevra un statut particulier. Un département basque sera créé. La fonction d’autorité du préfet sur l’administration locale sera supprimée. L’exécutif du département sera confié au président et au bureau du conseil général. La réforme des finances locales sera aussitôt entreprise. La tutelle de l’État sur les décisions des collectivités locales sera supprimée ».

Proposition 57 : « Les communes, départements, régions bénéficieront pour assumer leurs responsabilités d’une réelle répartition des ressources publiques entre l’État et les collectivités locales. Celles-ci auront notamment la responsabilité des décisions en matière de cadre de vie : développement prioritaire des transports en commun, aménagement des rues, services sociaux, espaces verts. Elles susciteront le développement de la vie associative, contribuant ainsi à l’animation de la ville, au rayonnement de ses activités, à l’affirmation de sa personnalité ».

Tout était dit, il ne restait plus qu’à faire voter la loi sous l’impulsion de P. Mauroy, premier ministre, et de G. Defferre, ministre de l’intérieur, qui ont parfaitement traduit ces propositions dans les textes de loi de 1982 et de 1983.

Je ne rentrerai pas dans le détail de ces lois, d’autres le feront certainement dans le cadre de cette publication. Je veux juste ici souligner qu’il y aura eu en France, pardonnez-moi la phrase un peu galvaudée, « un avant et un après 1982 » que l’on a du mal à percevoir aujourd’hui. Une véritable révolution qui partagea le pouvoir entre le centre et les collectivités territoriales. Avec des élus locaux se retrouvant avec des pouvoirs qu’ils n’avaient pas jusque-là. J’ai toujours en mémoire ce que me racontait celui qui m’a mis le pied à l’étrier en politique, J. Cambolive, ancien député, maire et conseiller général (c’était la terminologie utilisée à l’époque).

Lorsqu’il parlait de la décentralisation qu’il avait eu l’honneur de voter en 1982, il prenait l’exemple de son rôle de conseiller général. Avant 1982, c’était le préfet qui assurait l’exécutif de l’assemblée départementale, les conseillers généraux n’ayant le pouvoir que d’émettre des vœux, notamment sur les fameux PK pour point kilométrique, les conseillers généraux demandant au préfet des interventions sur la voirie de leur canton entre tel point kilométrique (PK) et tel autre… Tout l’enjeu des séances du conseil général, le département de l’Aude étant majoritairement de gauche dans un pays jusque-là gouverné par la droite, était de « faire sortir de ses gonds » le préfet par le vote de vœux contre le gouvernement et de l’amener à quitter la séance afin de rester « entre élus ». J’imagine aujourd’hui le sentiment de ces élus locaux qui, en 1983, siégeaient dans la même instance, mais avec un exécutif entre les mains d’un président qu’ils avaient choisi et avec des compétences et des pouvoirs sans commune mesure avec ceux qu’ils avaient auparavant.

Et avec ce nouveau pouvoir, de nouvelles responsabilités, bien plus importantes et qui n’ont cessé de croître au fil du temps, à tel point que l’on se demande, élection après élection, si l’on trouvera suffisamment de candidats pour assumer ces lourdes responsabilités (pour finalement constater que l’on a toujours plus de candidats que de postes à pourvoir, et c’est tant mieux ainsi).

Alors, je ne sais si la décentralisation a changé la vie des français, je le crois malgré tout, mais en tout cas elle a changé la vie des élus locaux et des préfets et ce souffle impulsé par les lois de décentralisation a duré plusieurs années, entraînant réforme sur réforme jusqu’à ce que certains ont qualifié d’acte II de la décentralisation.

B. 2003, ou l’acte II de la décentralisation ?

En effet, à la suite des lois de décentralisation de 1982, le législateur est intervenu à plusieurs occasions pour parfaire cette révolution juridique et tirer toutes les conséquences de ce changement. Il n’est pas possible ici de dresser la liste de toutes les lois qui ont été prises mais on peut citer, parmi les plus importantes et sans être exhaustif, les lois du 10/07/1982 créant les chambres régionales des comptes et du 22/07/1982 concernant les nouvelles modalités de contrôle des collectivités territoriales. D’autres lois ont précisé les compétences de chaque échelon de collectivité (loi de 1983, loi du 18/07/1985 sur l’urbanisme), le nouveau statut de la fonction publique territoriale (loi de 1984), ou encore le mode d’élection des conseils régionaux (loi du 10/07/1985, les premières élections directes régionales ayant lieu en 1986, date à laquelle les régions sont réellement devenues des collectivités territoriales à part entière).

Enfin, on peut relever l’accélération dans cette période postérieure à 1982 du mouvement intercommunal avec notamment la loi du 06/02/1992 relative à l’administration territoriale de la République et surtout la loi du 12/07/1999 qui a donné une impulsion réelle à la coopération intercommunale.

C’est donc dans les deux dernières décennies du XXe siècle que la France a connu son principal mouvement de décentralisation et une dynamique forte de réformes concernant les collectivités territoriales, mouvement que certains ont souhaité relancer au début du XXIe siècle.

En effet, le gouvernement de J-P. Raffarin, sous la présidence de J. Chirac, a souhaité lancer à nouveau une vaste réforme qu’il qualifia d’acte II de la décentralisation, dénomination que lui déniait l’opposition de gauche (nous étions alors à front renversé par rapport à 1982). Certes, la réforme de 2003 ne pouvait être du même niveau et de la même ampleur que celle de 1982 qui constituait, on l’a vu, une véritable révolution. Mais force est de constater que cette réforme de 2003 est d’une toute autre ampleur que les évolutions législatives postérieures à 1982, puisque cette nouvelle étape a nécessité une intervention au plus haut niveau juridique, à savoir la révision de la Constitution, pour pouvoir entrer en vigueur. C’est bien la preuve que cette réforme était conséquente et qu’elle méritait le titre d’acte II de la décentralisation. Là aussi, sans complètement entrer dans le détail du contenu de cette loi, il convient de souligner les nombreuses avancées qu’elle a apportées :

– inscription de « l’organisation décentralisée de la République » dans le texte de la Constitution, au même niveau que la notion d’indivisibilité de la République… ;

– reconnaissance du Sénat comme représentant des collectivités territoriales de la République, qui désormais sera saisi en premier de toutes les lois ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales ;

– reconnaissance constitutionnelle des régions, qui jusque-là n’étaient reconnues que par la loi de 1982, ainsi que de la notion d’autonomie financière des collectivités territoriales, une notion au cœur des débats entre l’État et les collectivités territoriales depuis cette date, ces dernières revendiquant désormais une autonomie fiscale plutôt que cette autonomie financière, insuffisamment protectrice des finances locales à leurs yeux ;

– consécration constitutionnelle de l’expérimentation, une souplesse très attendue, mais finalement peu utilisée par la suite du fait de conditions de mise en œuvre trop rigides ;

– mise en place du référendum local dont les élus locaux se sont finalement peu saisis ;

– ou encore création du statut de Collectivités d’Outre-Mer.

Bref, les apports de cette loi constitutionnelle de 2003 sont nombreux et importants à tel point qu’ils constituent une étape essentielle dans le développement de la décentralisation en France, l’effet de souffle de 1982 perdurant jusqu’à cette date avant de décliner, comme nous allons désormais le voir dans une seconde partie.

II. La lente perte d’ambition


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 393.

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40 ans de décentralisation : quels effets sur la sécurité intérieure ?

Art. 397.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

(c) Université Côte d’Azur

Xavier Latour
Professeur de droit public, Université Côte d’Azur, Cerdacff
Doyen de la Faculté de droit et science politique
Secrétaire général de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense

En donnant un sérieux coup d’accélérateur à la décentralisation, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, ne pensait sans doute pas à modifier en priorité la façon de gérer les questions de sécurité intérieure. Pourtant, depuis quarante ans, la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales a connu, en droit et en fait, des évolutions significatives. Contemporain des lois de décentralisation, le rapport Bonnemaison[1] (1983), du nom du président de la commission des maires, avait posé les bases de ce mouvement. Il défendait, notamment, l’idée d’une coopération accrue entre l’État et les communes afin de mieux lutter contre la délinquance. Cette conception peut surprendre dans un État unitaire, marqué par une tradition jacobine, surtout en ce qui concerne l’exercice d’une compétence régalienne. Pourtant, l’État a besoin de se réformer en permanence. Il n’est pas figé, et réfléchit à la coordination de ces trois niveaux, central, déconcentré et décentralisé. Cela vaut aussi pour la sécurité telle au sens de l’article L. 111-1 du Code de la sécurité intérieure (Csi), bien qu’elle soit confiée avant tout à l’État. Mais, pas plus que l’État, la manière de piloter la sécurité n’est monolithique.

En particulier en matière de prévention de la délinquance du quotidien, les administrés attendent d’exercer leurs libertés sans crainte. Ils rappellent à l’État ses responsabilités, sans nécessairement faire la distinction entre les différentes strates. Ils se tournent vers la puissance publique qu’elle relève de l’État central ou des collectivités territoriales qui incarnent aussi à leurs yeux l’autorité. Les institutions nationales insistent régulièrement sur la prééminence de l’État souverain et détenteur du monopole de la contrainte. Néanmoins, la coproduction de sécurité, ou le continuum, sont une solide ligne directrice[2]. La lutte contre la délinquance suppose une diversité d’intervenants, tous très impliqués, même de manière différente[3]. Lorsqu’elles en ont les moyens et la volonté politique, les collectivités, tout particulièrement communales, agissent en matière de sécurité.

L’importance de la commune n’est pas le fruit du hasard. D’abord, le maire est sollicité en raison de sa proximité. Autorité connue car élue, il symbolise l’autorité locale. Ensuite, il dispose, traditionnellement, de prérogatives de police administrative. Depuis 1884, les dispositions codifiées par les articles L. 2212-1 et 2 du Code général des collectivités territoriales (Cgct) ont conservé leur cohérence. Le Csi reflète des évolutions législatives et réglementaires qui ont conforté la place de l’édile. Enfin, les élus investissent le champ de la sécurité en raison de la sensibilité politique du sujet.

De son côté, bien que souvent contesté le département perdure, tandis que des régions moins nombreuses ont gagné en importance.

Par conséquent, la gestion de la politique publique de sécurité relève de plusieurs échelons ou, en d’autres termes, de différentes sphères, nationale et locales. Cela pourrait provoquer de la confusion, susciter des incertitudes ou des attentes déçues. La sécurité intérieure illustre une tendance lourde de l’évolution de l’État. Cela soulève plusieurs questions générales appliquées à un cas particulier : quel est le meilleur niveau d’action ? Comment répartir les compétences ? Comment faire travailler efficacement divers intervenants nationaux et locaux ? Les réponses, souvent partielles et sans cesse renouvelées, se construisent en deux temps pour souligner, d’abord, l’imbrication croissante des sphères (I), avant de mettre en évidence la persistance d’un déséquilibre entre elles (II).

I. L’imbrication croissante des sphères

Les compétences progressivement accordées par le législateur aux collectivités territoriales ne sont pas théoriques. Les bénéficiaires les exercent. Dès lors, la sécurité implique de travailler sur des missions communes, mais avec des pouvoirs différents. Cette imbrication des sphères se caractérise essentiellement par l’existence de la solidité du tandem constitué par le préfet de département et le maire (A), et l’exigence d’un partenariat entre les polices (B).

A. La solidité du tandem préfet de département – maire

Chaque autorité agit dans sa sphère de compétences, en relation avec l’autre. Chacune a aussi sa légitimité. Le préfet représente le gouvernement ; le maire est l’exécutif élu.

Sur le fondement du Csi, le préfet est responsable de l’ordre public et de la sécurité des populations (Article R. 132-1 du Csi). L’article L. 122-1 du Csi lui confie l’animation et la coordination de « l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure » (à l’exception de la police judiciaire). À ses traditionnels pouvoirs de police administrative, la loi a ajouté d’autres prérogatives. Alors qu’il était déjà chargé de diriger l’action des services de police, il s’est vu octroyer un pouvoir de direction sur les unités de gendarmerie. Il dispose ainsi des deux principaux leviers étatiques pour garantir l’ordre public. Tout au long de l’année, le préfet dialogue avec les responsables des services de police et de gendarmerie, tout comme avec les élus.

Car les maires n’ont rien perdu de leur importance, au contraire[4]. Au fil des siècles, si leurs missions varient, leur rôle perdure. L’étatisation de la police durant la première moitié du XXe n’a pas empêché de leur conférer une responsabilité accrue par la suite. À cet égard, la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 a constitué une étape significative en consacrant le rôle pivot du maire en matière de délinquance[5].

La loi municipale du 5 avril 1884 demeure, quant à elle, une référence en termes d’organisation des communes. Non seulement les prérogatives de police administrative ont conservé leur pertinence comme en témoignent les dispositions du Cgct (Article L. 2212-1) et du Csi, mais encore le maire sort renforcé des dernières décennies. Rien ne laisse présager un changement dans les années à venir. Même le maire de Paris ne suscite plus les réserves de l’État, au point d’avoir gagné le droit de diriger une véritable police municipale dont la construction est parachevée par la loi dite Sécurité globale n°2021-646 du 25 mai 2021[6]. L’État a confié au maire une place significative, puisqu’il « concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique » (Article L. 132-1 du Csi).

Pour fonctionner, le tandem a besoin de courroies de transmission.

Elles prennent, d’abord, la forme des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (Clspd – Articles L. 132-4 et s. du Csi), présidés par le maire et auxquels participe le préfet. Malgré son ancienneté[7], la formule se cherche encore. Éclairé par un rapport de l’Assemblée nationale[8], le législateur a profité de la loi n°2021-646 du 25 mai 2021 pour abaisser le seuil de création obligatoire de 10.000 à 5.000 habitants, et l’imposer dans les communes comprenant un quartier prioritaire de la ville. Elle valorise, à juste titre, le rôle du coordonnateur dans les communes de plus de 15.000 habitants (Article L. 132-4 du Csi), puisqu’il devient obligatoire. De son côté, le procureur « peut créer et présider » des groupes locaux de traitement de la délinquance (Article L. 132-10-2 du Csi) pour mieux coordonner les actions répressives et les échanges d’informations.

Ensuite, les contrats locaux de sécurité[9] (Cls), initiés à la fin des années 1990, puis renommés « stratégies territoriales de sécurité[10] » sont censés inciter les uns et les autres à clarifier les objectifs à atteindre et les moyens mobilisés par la commune et l’État.

Également, les conventions de coordination (Articles L. 512-4 et s. du Csi) conduisent le préfet et les autorités locales à s’accorder sur l’organisation des relations entre les polices (gendarmerie ou police nationale et la police municipale). Cette voie retient les faveurs de l’État puisqu’il en corrige régulièrement les défauts. Convaincu de son bien-fondé, il tend ainsi à élargir son champ d’application. À cette fin, la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 a fixé le seuil de signature obligatoire de cinq à trois agents de police municipale.

Également, le droit incite les différents intervenants à se parler, y compris dans des domaines sensibles. En 2020 et sur la base d’une circulaire[11], 155 chartes de confi-dentialité ont été signées entre des maires et des préfets. Elles permettent des échanges d’informations relatives aux menaces terroristes et, ponctuellement, sur des individus fichés pour radicalisation violente dans le cadre d’un dialogue renforcé entre l’État et les maires.

Enfin, les contrats de sécurité intégrée présentés par le Premier ministre fin 2020[12] poursuivent l’ambition de consolider les relations entre l’État et les collectivités pour mieux faire face à la délinquance quotidienne. La mise à disposition de forces de sécurité nationales passe par l’acceptation par la commune d’efforts particuliers en matière, par exemple, de police municipale ou de vidéoprotection, ce qui nécessite un examen précis des besoins et des capacités mobilisées ou pas. La coordination laisse la place à une recherche de complémentarité.

La pluralité d’autorités et de forces de sécurité donne son sens à la notion de sécurité globale, comme elle justifiait auparavant les réflexions sur la co-production et le partenariat.

B. L’exigence d’un partenariat entre les polices

L’État et les communes mettent en œuvre leurs prérogatives et assurent le respect de leurs décisions par l’intermédiaire de forces de sécurité. Or, les polices nationales (à statut civil ou militaire) et les polices municipales ont noué des partenariats malgré leurs différences.

Les effectifs de la police (environ 140.000) et de la gendarmerie (environ 100.000) sont certes largement supérieurs à ceux des polices municipales, ces dernières représentent cependant un apport très important dans l’organisation de la sécurité sur le territoire. Depuis la loi n°99-421 du 15 avril 1999, le nombre de communes dotées de policiers municipaux est passé de 3.000 à plus de 4.000, tandis que les effectifs ont dépassé les 20.000 agents. Cette croissance démontre l’implication des communes, souvent pour répondre aux attentes des administrés et indépendamment des majorités politiques. Elle confirme aussi que le cadre juridique élaboré par l’État a favorisé l’expansion de ces polices. La flexibilité offerte pour les faire fonctionner permet, en effet, de les employer comme des instruments de prévention de proximité, ou des bras armés du maire et, au-delà, de l’État. Les avantages pour ce dernier ne manquent pas. Les effectifs locaux ont facilité l’allégement des effectifs nationaux et leur redéploiement sur des missions du cœur de métier répressif.

La montée en puissance des polices municipales n’est pas synonyme d’uniformité[13]. Conformément à la libre administration, les maires optent pour des doctrines d’emploi parfois très différentes. Toutefois, elles s’inscrivent dans un mouvement de fond selon lequel leurs missions tendent à dépasser la seule bonne application des arrêtés de police du maire.

En plus de la faculté d’agir en flagrance de délit ou de crime, comme n’importe qui, les policiers municipaux ont bénéficié d’un accroissement continu de leurs prérogatives judiciaires. Afin de soulager les forces nationales, différentes lois ont permis de diversifier les contraventions qu’ils verbalisent. Le Code de la route offre plusieurs illustrations. Le mouvement ne se limite pas à ce domaine. Leur compétence concerne aussi les animaux dangereux, la protection de l’environnement, les agressions sexistes… La loi Sécurité globale enrichit encore la liste[14]. La conséquence de cette judiciarisation est double : d’un côté, le maire est associé à des objectifs répressifs ; de l’autre, il est contraint de travailler davantage avec les autorités étatiques, les forces de sécurité nationales, le préfet ainsi que le procureur.

Les polices municipales participent, par ailleurs, de plus en plus activement à des missions de prévention conjointes avec les forces nationales. La sécurisation des événements (Article L. 511-1-6 du Csi) justifie leurs pouvoirs de palpation et d’inspection visuelle des bagages. Dans un même ordre d’idées, ils contribuent au bon fonctionnement des périmètres de protection (Article L. 226-1 du Csi).

Dans ces conditions, les instruments de partenariats, en particulier, les conventions de coordination et les contrats de sécurité intégrée prennent un relief tout particulier. Les moyens matériels des policiers municipaux vont dans le même sens.

Les communes les plus riches disposent de capacités financières qui les incitent à bien doter leurs policiers municipaux. L’État conserve malgré tout la maîtrise de ce qui est possible. Or, sur ces aspects également, il a beaucoup œuvré en faveur des collectivités parce que cela servait aussi ses intérêts.

En droit, pour commencer, les dispositions applicables à l’armement et aux règles d’usage en sont une première illustration (Articles L. 511-5 et s. du Csi et Article L. 435-1 du même Code). De même, la vidéoprotection collective[15] (Articles L. 223-1 et s. du Csi) ou individuelle (caméras portées, Article L. 241-2 du Csi) connaît un engouement certain que seul autorise un cadre législatif adéquat. Dans ce registre, le déploiement des drones a été ralenti par la censure de la loi Sécurité globale par le Conseil consti-tutionnel[16]. Réécrivant le texte en suivant les préconisations des Sages, le législateur ne s’est pas découragé. Il a profité du texte sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure pour répondre à la sollicitation des communes en autorisant leur expérimentation (Article L. 242-7 du Csi). La reconnaissance faciale pourrait bénéficier, à terme, du même renfort étatique. À l’accélération technologique s’ajoute, en effet, une forte demande de certaines communes prêtes à s’engager toujours plus avant.

En fait, l’État soutient l’acquisition des matériels par les communes. Il mobilise pour cela le Fonds interministériel de prévention de la délinquance. Le maillage territorial en caméras lui doit beaucoup, avant que les priorités soient partiellement revues.

L’État et les communes partagent ainsi des intérêts communs. Le premier n’a pas besoin de les contraindre à s’équiper de caméras par exemple (y compris en matière de lutte contre le terrorisme, Article 223-8 du Csi). Les collectivités ont bien compris l’importance politique et opérationnelle de ces technologies qui répondent souvent aux attentes de leurs administrés comme de leurs agents[17]. Quant à l’État, il fait peser sur les communes l’essentiel des coûts de matériels. Or, ils bénéficient aussi aux forces nationales (Article L. 252-2 du Csi), même si la loi dite Sécurité globale a amélioré les capacités de visionnage par des agents locaux[18]. La réalité de l’imbrication des sphères n’implique pas leur équivalence. Au contraire, elles demeurent déséquilibrées.

II. La persistance d’un déséquilibre des sphères


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 397.


[1] Rapport au Premier ministre, « Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité ».

[2] Watin-Augouard, M. « Sécurité intérieure : conceptions partenariales et régaliennes », Droit et Défense 1998/1, p. 13.

[3] Latour X., « L’organisation territoriale et la sécurité intérieure », Jcp A 2015, 2375.

[4] Donier V., « L’objectif de renforcement du pouvoir de police du maire : quelle effectivité ? », Rfda 2020, p. 247.

[5] Latour X., « La loi relative à la prévention de la délinquance et le maire », Bjcl 2007, p ; 218.

[6] Renaudie O., « La création de la police municipale parisienne », Jcp A 2021, 2216.

[7] Les premiers conseils communaux ont été créés en 1983.

[8] AN Mission « flash » sur L’évolution et l’amélioration des conseils de sécurité et de prévention de la délinquance, Peu S. & Rebeyrotte R., 14 décembre 2020.

[9] Maugüé C., « Les réalités du cadre contractuel dans l’action administrative. L’exemple des contrats locaux de sécurité », Ajda, n°spécial juillet-août 1999, p. 38.

[10] Millet J., « Préfets, procureurs et maires : des contrats locaux de sécurité aux stratégies territoriales de sécurité » in Préfets, procureurs et maires. L’autorité publique au début du XXIe siècle, Puam, 2011, p. 91.

[11] Circulaire n°INTK1826096J du 13 novembre 2018.

[12] Circulaire n°6258-SG – Nor : PRMX2119950C du 16 avril 2021.

[13] Cour des comptes, Les polices municipales, Rapport thématique annuel, octobre 2020.

[14] Articles. L 511-4-1 et L 214-2 Csi sur l’immobilisation des véhicules en fuite ; introduction dans un local professionnel, commercial, agricole ou industriel en violation flagrante (article 226-4 Code pénal).

[15] Latour X., « La vidéoprotection et les collectivités territoriales » in Les politiques publiques locales de sécurité intérieure, L’Harmattan, 2015, p. 265 et s.

[16] DC 20 mai 2021, n°2021-81 ; Pauvert B., « L’utilisation des drones à l’appui de la sécurité », Jcp A 2021, n°2220.

[17] Latour X., « Les technologies et la loi relative à la sécurité globale : un flop ? », Ajda 2021, p. 1502 et s.

[18] Warusfel B., « La place de l’image : caméras et vidéoprotection dans la sécurité globale », in Jcp A 2021, n°2219.

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40 ans de décentralisation dans l’outre-mer de droit commun : de la rigueur de l’identité législative à l’émergence d’un droit différencié

Art. 404.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

(c) Atom

Pierre-Yves Chicot
Maître de conférences de droit public, Hdr, Creddi-ea 4541
Avocat au Barreau de la Guadeloupe

À l’occasion d’un colloque ayant pour thème : « outre-mer et devise républicaine », Bernard Stirn s’exprimait ainsi : « pour l’outre-mer, la République est le cadre dans lequel s’inscrit une évolution fondée sur le respect du droit et sur l’égale dignité des hommes. Pour la République, l’outre-mer est une de ses composantes, qui lui apporte davantage de diversité, lui impose des obligations et contribue, par les ouvertures qu’il lui offre, à son propre enrichissement… Dans la période récente, l’outre-mer a servi de laboratoire d’idées pour l’évolution constitutionnelle des rapports entre l’État et les collectivités territoriales, y compris de métropole[1] ».

L’histoire de la construction de l’État, en France, procède de l’agrégation de différents territoires qui ont donc précédé l’État, tel que nous le connaissons aujourd’hui. La somme de ce qui est qualifié de territoires locaux a concouru a formé la France. Au prix de guerres, de conquêtes, de sang et de règles de droit instituées, les aspérités locales ont été gommées pour donner naissance à un modèle étatique.

Dominé par l’uniformité, l’État unitaire qui demeure encore la forme choisie, n’a pas pour autant, irrémédiablement réussi l’extinction des identités territoriales particulières. La Langue de la République est bien le français[2], le Conseil Constitutionnel en a tiré la conclusion, notamment, en évoquant l’unicité du peuple français[3]. Le pouvoir central reste le lieu d’impulsion principal de la décision publique, même si l’exclusivité de cette impulsion lui échappe. Et ce, en raison pour l’essentiel, du mouvement de globalisation économique et son corollaire, la constitution de blocs régionaux supranationaux qui érode la souveraineté des États.

La pensée de Bernard Stirn évoque ces deux mouvements qui se font face, créant davantage de rivalités que de complémentarités. Le droit commun des collectivités territoriales d’outre-mer met en évidence le processus des forces étatiques centrifuges matérialisé par la volonté d’une identité normative sur l’ensemble du territoire national. Ce droit commun comporte en même temps des aspects bien dérogatoires, car la recherche de l’efficacité du droit exige de tenir compte de la diversité.

Au seuil de l’acte III de la décentralisation qui promet un nouvel approfondissement de celle-ci, c’est bien la conciliation de la tradition et de l’avenir dont il est question. Comment parvenir à ne pas dénaturer l’essence même de l’État unitaire aux racines jacobines tout en insufflant une nouvelle dose du couple liberté/responsabilité, aux collectivités territoriales ? C’est en effet, bien les libertés locales octroyées par la loi et l’exercice des responsabilités offertes qui irriguent la décentralisation française, décrit comme un processus incrémental de réforme[4].

À cet égard, que l’on se place du point de vue des collectivités d’outre-mer de droit commun ou de celles régies par un régime dérogatoire, notamment en matière d’application de la loi, le territoire de la France extra-hexagonale fait la démonstration du caractère plausible de la complémentarité entre unité et diversité. Le droit républicain appliqué aux collectivités dites secondaires[5] révèle sa capacité d’adaptation pour créer le lien nécessaire entre la tradition et la nécessaire modernité liée aux changements de circonstances. Du reste, le principe constitutionnel d’adaptation est consacré par le constituant au bénéfice des départements d’outre-mer et des régions d’outre-mer.

L’exception dictée par l’identité territoriale ne constitue donc pas une menace pour la République. L’obsession de l’uniformité qui prétend garantir l’unité fait l’objet d’une forme d’étiolement. Et en cela, comme l’indique Bernard Stirn et d’autres encore, l’outre-mer constitue à l’évidence un laboratoire d’idées pour renforcer l’efficacité de l’administration territoriale de la République.

L’observation de l’histoire juridique tout autant des faits laisse apparaître un ancrage de droit commun des collectivités d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution (I). A la faveur de la conjonction de diverses circonstances, événements et réformes, notoirement la décentralisation, leur mode d’administration va emprunter à l’adaptation et à la différenciation (II).

I. L’ancrage de droit commun des collectivités d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution

Le droit peut devenir la matrice du tout au détriment de la dimension factuelle qu’il va déformer. Le passage de l’institution gubernatoriale à l’institution préfectorale s’effectuera par un simple jeu d’écriture juridique qui deviendra la norme, précisément la norme constitutionnelle. Celui-ci symbolisera par la même, la transformation du statut colonial caractérisé par l’exception en statut départemental et régional caractérisé par l’identité normative.

Grâce donc à la force et à la légitimité de la règle pour laquelle la contestation est donc plus difficile, les quatre vieilles colonies : Guadeloupe, Guyane, Martinique et la Réunion deviennent des collectivités territoriales de droit commun sur le modèle de celles qui existent dans l’hexagone.

Cette traduction juridique et normative de l’affirmation du droit commun pour ces territoires est subordonnée à une construction minutieusement conduite. À l’énonciation philosophique et juridique du discours profitable au droit commun (A) va succéder une règle qui se veut instituante et valant autorité de la chose décidée par le pouvoir (B).

A. La construction de philosophie juridique
d’un droit commun applicable à l’outre-mer

Dans son rapport et projet d’articles constitutionnels relatifs aux colonies, présentés à la Convention Nationale au nom de la Commission des Onze dans la séance du 17 thermidor an III (4 août 1795), Boissy d’Anglas avait notamment précisé : « rattachons les colonies à nous, par un gouvernement sage et ferme, par les liens d’un intérêt commun, par l’attrait puissant de la liberté. Que les colonies soient toujours françaises, au lieu d’être seulement américaines ; qu’elles soient libres, sans être indépendantes ; qu’elles fassent partie de notre République indivisible et qu’elles soient surveillées et régies par les mêmes lois et le même gouvernement ; que leurs députés, appelés dans cette enceinte, y soient confondus avec ceux du peuple entier qu’ils seront chargés de représenter ; qu’ils y délibèrent sur tous les intérêts de leur commune patrie, inséparables des leurs. Au lieu des assemblées coloniales, dont la liberté pourrait s’alarmer, et dont l’autorité nationale pourrait redouter l’influence, nous vous proposerons de diviser les colonies en différents départements[6]».

Cette fameuse déclaration de Boissy d’Anglas relative aux colonies françaises d’Amérique rend compte de l’importance du primat de l’identité nationale sur les singularités locales. Le droit commun supplantant alors allègrement tout régime de l’exception. L’ordre colonial présente entre autres la particularité d’instituer un ordre juridique marqué par l’assimilation, sur le mode d’une asymétrie entre le centre (métropole et ses ressortissants) et les territoires excentrés (colonies et colonisés).

Boissy d’Anglas va déjà très loin dans sa déclaration, en évoquant dès cette époque la départementalisation, qui interviendra quelques siècles plus tard. Le pouvoir central n’a donc pas recours à l’assimilation par l’identité normative dans un premier temps. Dans le même temps, l’identité normative sera aussi progressivement alimentée par la revendication d’égalité des colonisés. Les intérêts des uns et des autres vont converger en faveur de l’institution du droit commun.

On assiste donc à une rencontre entre l’assimilation qui peut être définie comme une technique de gouvernement pour administrer le lointain et l’exigence sociale d’égalité qui résulte de l’intégration juridique et culturelle de ces territoires éloignés à la République. Comment puis-je être le même sans bénéficier du même traitement ? Cette ligne dynamique à double direction, du haut vers le bas (assimilation) et du bas vers le haut (égalité) constitue le socle du régime juridique de droit commun des collectivités d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution.

Sous l’ère coloniale et dans la période post-coloniale, l’assimilation est finalement la gangue du système, qui, traduit sur le plan juridique, correspond à l’application du droit commun à certaines collectivités territoriales sises outre-mer. L’édifice d’ensemble est conforté par le discours politique et juridique de l’uniformité qui est présenté à l’occasion des travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958 sous la formule suivante : « la République ne peut être une et indivisible et multiple et divisible[7] ».

Sont ainsi exprimés le principe fondamental du principe d’unité ainsi que la primauté de l’indivisibilité sur le pluralisme. Lorsque l’administration du territoire national relève pour l’essentiel du pouvoir central, il est plus aisé de refréner les tentations d’expression du pluralisme. Le droit jouant à cet égard un rôle majeur, en s’attachant à unifier en tout temps le territoire par la norme identique ; le représentant de l’État veillant, simultanément, comme l’indique la Constitution à garantir les intérêts nationaux.

Pour ce qui concerne les territoires situés outre-mer, traditionnellement appelés les quatre vieilles colonies (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion), les velléités d’affirmation de pluralisme territorial sont contenues, non seulement par la présence du représentant de l’État, mais aussi par l’identité normative qui va constituer depuis le centre, l’épine dorsale de l’administration de ces territoires excentrés.

Le régime juridique inlassablement réaffirmé est celui du droit commun des collectivités territoriales. Les références principales et primordiales deviennent pour les résidents de la colonie : la loi nationale protectrice, élévatrice et émancipatrice ainsi que la « métropole » : la France hexagonale dotées d’un régime politique républicain et d’institutions démocratiques.

B. La construction du droit commun
à destination des départements d’outre-mer

Le droit possède cette redoutable particularité qui consiste à transformer la nature juridique d’un territoire. Le droit, peut même sur un laps de temps variable influer considérablement sur l’identité culturelle. Il peut aussi raccourcir de manière significative les distances entre le centre d’impulsion qui crée la norme et le territoire de destination de cette dernière. Il concourt à l’unification, en tendant à rendre semblable ce qui est à l’origine différent. C’est une entreprise de conquête par sédimentation.

Il est dès lors largement possible, au regard de ce qui précède de conceptualiser une théorie de la gémellité par le droit[8]. L’effectivité de la théorie de la gémellité par le droit convertit des territoires sous statut colonial en collectivité départementale. D’un point de vue historique, on rappellera utilement que la centralisation étatique procède de deux créations institutionnelles successives : les départements qui garantissent l’uniformité du nouvel État révolutionnaire et les préfets, garants de l’unité étatique telle qu’elle est pensée par Napoléon Bonaparte.

Dans la France extra-hexagonale, la départementalisation procède d’une volonté de décoloniser par l’intégration normative et institutionnelle. L’abandon de la spécialité législative qui préside à l’administration coloniale est ainsi consommé. Des circonstances historiques expliquent cette évolution statutaire.

En effet, au sortir de la seconde guerre mondiale, la question de la décolonisation est posée avec acuité. En raison de leur situation géographique, les colonies américaines se trouvent dans l’orbite stratégique des États-Unis. Cette puissance hémisphérique, mais pas seulement, ne dissimule pas ses intentions d’adoubement à l’endroit de ces territoires, qui sont français depuis des siècles.

En même temps, la France est perçue comme une puissance coloniale dans un monde qui se veut changeant, car ayant entre autres rejeté la domination de l’homme par l’homme, dont le nazisme et le fascisme s’étaient fait les chantres. Pour affirmer sa souveraineté sur ces terres françaises d’Amérique[9], la France va procéder à une décolonisation par l’intégration, à l’inverse de ce qui se produira pour les possessions d’Afrique et d’Asie.

Par la loi n°46-451 du 19 mars 1946[10], les quatre vieilles colonies françaises d’Amérique et de l’océan Indien vont être transformées en départements. On parle de départements d’outre-mer. Mais, la qualification de départements d’outre-mer ne correspond pas à une catégorie juridique particulière. L’épithète « outre-mer » n’ayant qu’une portée géographique. Celle-ci indique simplement que ces départements ne sont pas situés sur le territoire de l’hexagone. Les collectivités de la République, aux termes des dispositions de la Constitution sont les : « communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier, les collectivités d’outre-mer ».

Les départements d’outre-mer, puis les régions d’outre-mer sont et demeurent la progéniture de la « mère patrie » étatique, support matriciel des collectivités territoriales. C’est l’État souverain, détenteur du pouvoir de faire la loi qui les génère. Pour établir une comparaison avec le droit civil en usant d’une métaphore, on dira que les enfants (légitimes, naturels, adultérins) quelque soient les circonstances de leur conception sont placés sur un pied d’égalité juridique[11], même si on peut évidemment reconnaître ça et là, qu’ils peuvent avoir des identités et des caractères différents.

Le critère géographique n’influe de prime abord, ni sur le droit qui va organiser le régime d’application de la loi, ni sur l’organisation administrative. Au surplus, il faut souligner en guise de rappel que l’article 73 de la Constitution du 27 octobre 1946 est rédigé de manière lapidaire, attestant d’une certaine intransigeance dans la volonté d’y installer le droit commun. En effet, l’article 73 de la Constitution qui institue la Quatrième République dispose : « le régime législatif et l’organisation administrative des départements d’outre-mer est la même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi ».

Le principe de l’identité législative est ainsi exprimé dans sa toute rigueur. À la philosophie d’administration qu’est l’assimilation culturelle, le pouvoir central y adjoint l’intégration institutionnelle formalisant la départementalisation puis la régionalisation. Il y adjoint également une intégration normative par la consécration du principe de l’identité législative et réglementaire.

Si la décentralisation ne remet pas fondamentalement en cause cette construction juridique super-structurelle (la norme) et infrastructurelle (l’institution), cette réforme de taille ouvre tout de même davantage la voie à une adaptation renforcée du droit commun, pouvant aller jusqu’à la différenciation normative.

II. Les collectivités d’outre-mer de l’article 73 :
la mise en œuvre d’une décentralisation adaptée et différenciée



La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 404.

[1] Stirn B., « L’outre-mer dans la République », Colloque organisé au Sénat par le Cercle pour l’excellence des originaires de l’outre-mer, Outre-mer et devise républicaine, CE, 29 avril 2011 :

http://www.conseil-etat.fr/media/document/DISCOURS%20ET%20INTERVENTIONS/l-outre-mer-dans-la-republique.pdf.

[2] Article 2 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958.

[3] Le Conseil constitutionnel a censuré la référence à un « peuple corse, composante du peuple français » dans la décision 91-290 DC du 9 mai 1991. Il s’est fondé notamment sur l’article 1er selon lequel « la France assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il a considéré que la Constitution ne connaissait que le peuple français, du moins pour la métropole, et qu’il ne pouvait y avoir de distinction au sein de ce peuple. Pour consulter la décision, V. Jorf du 14 mai 1991, p. 6350. Recueil, p. 50.

[4] Thoenig J-C., « La décentralisation, dix ans après », Revue Pouvoirs, n°60, 1992, p. 5.

[5] L’expression est de Louis Favoreu. V. Favoreu L. & Roux A., « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale ? », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°12, mai 2002.

[6] Cité par exemple par V. Sable : La transformation des îles d’Amérique en départements français (Larose, 1955, p. 54).

[7][7] Déclaration de Léopold Sédar Senghor, cité par R. Debbasch, « Unité et indivisibilité » in La continuité constitutionnelle en France de 1789 à 1989, Economica et Puam, 1990, p. 28.

[8] V. Chicot P-Y., « La théorie de la gémellité par le droit » in L’influence du régime juridique des collectivités d’outre-mer sur la nature de l’État français (à paraître).

[9] Guadeloupe, Guyane, Martinique, mais aussi La Réunion.

[10] Jorf, 20 mars 1946.

[11] C’est l’allusion à l’alignement du statut des enfants légitimes, naturels et adultérins opérés par le législateur par la réforme législative du 3 janvier 1972.

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L’échec de la décentralisation française : l’État, les élus et les règles

Art. 405.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

(c) Frontpopulaire.fr

Bertrand Faure
Professeur à l’Université de Nantes

Nos collectivités territoriales, pourtant constamment réformées, continuent d’offrir bien des commodités pour le pouvoir central de l’État lui-même. Les résultats obtenus au titre de la décentralisation n’ont pas permis de freiner le développement de tous les vices auxquels cette décentralisation est spécialement sujette et les a poussées du côté même, ou suivant une inclinaison naturelle, elle penchait déjà. Ces vices réapparaissent sans cesse avec une physionomie un peu différente mais toujours reconnaissable : on voit toujours l’État aider, empêcher, permettre. L’extrême morcellement des compétences distribuées aux collectivités par des textes surchargées en conditions d’exercice fût à l’opposé des préconisations de départ (Rapport « Vivre ensemble », O. Guichard, 1976). Toutes interviennent dans les mêmes domaines (environnement, éducation, transport, social…) et on ne sait plus qui fait quoi. On assiste, au surplus, à un quadrillage complet de leurs conditions d’exercice, la collectivité compétente étant tenu d’élaborer un schéma d’exercice, de prendre l’avis des autres collectivités, de créer des commissions spéciales, de satisfaire aux objectifs légaux… « On décentralise en centralisant » ironisait le Doyen Vedel ! La tendance technocratique et jacobine l’a emporté. Au moment même où le président Hollande proclamait la nécessité d’un « choc de simplification », sa majorité parlementaire votait la loi du 27 janvier 2014 de « modernisation de l’action publique territoriale » créant, sous des appellations diverses, une vingtaine de commissions et une quarantaine de documents de planification, d’avis à prendre et d’accords nouveaux ! On expertisait au même moment qu’à peu près 400.000 normes s’imposaient aux collectivités territoriales pour un coût d’application annuel de 2 milliards d’euros (Conseil national d’évaluation des normes, 2013).

Dans ces conditions, il n’existe pas d’initiative locale d’envergure qui puisse se dispenser de la collaboration de tous les acteurs publics. Mais alors le retour à l’unité de commandement se fait inévitablement par l’accord général et le contrat avec l’État. Drôle de guerre où l’administration d’État vient toujours replacer ses objectifs, ses méthodes, ses contrôles avec l’impossibilité de sortir du fatiguant et monotone balancement entre la toute puissance administrative des ministères et celle politique des élus locaux. L’administration d’État continue de remplir toute la sphère qu’il ne peut se résoudre à laisser vivre. Il ne faut pas s’y tromper : ce qui est présenté ici comme une critique de nos collectivités territoriales recouvre, en réalité, une critique des élites dirigeantes, des élus et des institutions réformatrices de l’État.

Le tort est d’avoir transposé dans notre décentralisation par laquelle on voulait traiter le mal de l’État tout puissant cet esprit géométrique, logicien, cet appétit de réglementations et de contrôles qui est précisément à la racine de la centralisation. Cet échec de vouloir décentraliser dans le plus pur style jacobin, la décentralisation la porte toujours dans ses flancs. Alors, non seulement l’autonomie acquise par les compétences confiées aux collectivités ne procure qu’une décentralisation limitée, mais encore notre territoire est abandonné aux arrangements locaux et nationaux multipliés à l’infini, à l’entente entre les élus, aux tours de table, aux montages financiers qui sont en réalité des marchandages politiques, c’est-à-dire à un état d’anarchie parce que la France n’a plus aucun ordre territorial décidé. Ce n’est qu’une illustration de nos vicissitudes : les 16 kilomètres de la ligne ferroviaire Genève-Annemasse auront été réalisés à raison de 14 kilomètres côté suisse et 2 kilomètres côté français. Côté suisse, en peu de temps, un simple accord entre l’État et le canton concerné a permis de financer les 1,25 milliards d’euros nécessaires. Côté français, un tour de table entre Réseau ferré de France, l’État, la région Rhône-Alpes, le département de la Haute-Savoie, Annemasse Agglomération et le syndicat intercommunal d’aménagement compétent ne parvient pas à dégager les 235 millions d’euros qui auraient suffi par mauvaise volonté de certaines de ces institutions souhaitant voir la charge assumée par les autres. La réalisation du projet aura été retardée de trois ans. Le constat n’échappe à la vue de personne d’une administration complexe, lente opaque et coûteuse (Rapport « Il est temps de décider », E. Balladur, 2009). Le mal d’une France inexorablement centralisée et pulvérisée à la fois relève davantage d’une infirmité que d’une maladie : il n’est pas un mal subit et n’est justiciable d’aucun remède, d’aucun recette rusée que nos réformateurs nous vendent pour tenter de pallier ses inconvénients (subsidiarité, expérimentation, différenciation des normes à présent) tant il procède de l’histoire et de notre tempérament.

On voit dans la France d’avant 1982 un autre trait qui frappe encore dans celle d’aujourd’hui : loin d’avoir détruit le système d’un gouvernement local par des « notables », les réformes décentralisatrices l’ont amplifié à la hauteur de leurs nouvelles responsabilités et des nouveaux moyens offerts à leur collectivité. Le territoire est devenu le champ d’action de leur pouvoir et les élus locaux restent les enfants gâtés de la République. L’État les traite comme ses enfants car il les met sous sa tutelle, les place sous l’autorité de ses lois toujours plus précises, plus directives et plus nombreuses. Mais ces enfants sont gâtés car, le plus beau, est qu’une bonne part de ces lois, de leur nombre de leur complexité, ne procède presque pas de la volonté des ministres et de leurs bureaux mais des élus locaux eux-mêmes entendant que s’y inscrivent les cas particuliers, les assouplissements, les exemptions permettant de donner à leur commune, leur département ou leur région des solutions particulières qu’ils estiment indispensables à leur territoire. Depuis une vingtaine d’années, on assiste particulièrement à l’évolution de la législation qui habille sous forme de règles générales les sollicitations d’égoïsmes politiques souverains et les petits arrangements locaux.

Évidemment, d’autres facteurs co-agissent à rendre les lois plus nombreuses et plus complexes. Le résultat est aggravé par le fameux mille-feuille territorial, c’est à dire l’empilement des niveaux d’administration locale (communal, intercommunal, départemental et régional), qu’on ne veut surtout pas remettre en question par peur du sacrilège qui consisterait, aux yeux des élus, à diminuer le nombre de leurs fiefs. Mais la rançon à payer est qu’il faut faire vivre ensemble cette communauté par une débauche d’institutions et de règles de coordination. Et aucun projet public d’ampleur ne pourra se dispenser de l’accord entre les d’élus de tous niveaux pour le décider et le financer, ce qui abandonne les réalisations publiques au marché noir de leurs relations personnelles (affaire du projet d’aéroport de Nantes dans les années 1990).

S’y ajoute notre goût pour la réforme dans le style technocratique au passif duquel on doit porter la prolifération des réglementations, leur extrême minutie, leur mise à jour permanente, en répugnant à laisser la moindre marge de liberté à ceux qui devront leur obéir.

S’y associe également le fait que le législateur ne s’impose aucune rigueur simplificatrice ni le moindre recul par rapport à l’actualité, ne craignant pas, dans tous les domaines d’ailleurs, de se déchaîner en règles nouvelles sous les à-coups permanents de l’actualité.

On ne manque pas d’illustrations où le perfectionnement de la réforme est poussé jusqu’à l’absurde sous l’effet cumulé de tous ces facteurs. À la suite de l’épisode des « emprunts toxiques » souscrits par un certain nombre de communes provoquant leur surendettement pour des générations, la loi de sécurisation bancaire du 26 juillet 2013 leur fait désormais interdiction d’y recourir, exception faite où la signature d’un tel contrat leur permettrait de faire face… aux dépenses nées d’un contrat toxique antérieurement souscrit ! Une deuxième illustration peut être donnée avec la loi du 16 décembre 2010 qui relance la politique de fusions de communes, de nouvelles communes plus vastes étant mieux à l’échelle des contraintes d’un monde moderne. Pourtant, la même loi, dans un de ses articles, installe, en contradiction avec son objectif, une procédure – certes temporaire – de défusion de communes ! Et ce casse-tête à propos de la métropole du Grand Paris : la loi a pu prévoir la rétrocession aux communes des compétences qu’elles lui avaient pourtant déléguée ; dans ce cas, ces compétences peuvent être exercées, soit par la création d’un syndicat intercommunal qui devra s’installer sur des périmètres de 300 000 habitants, soit, par convention… par la métropole ! Tout est possible et son contraire parce qu’il ne faut pas déplaire aux élus.

Alors en quoi la loi reste-t-elle encore la règle générale que tout le monde doit respecter ?


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 405.

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Franchir le Rubicon : la compétence de service public économique des collectivités territoriales

Art. 412.

(…) le présent article sera publié prochainement (…)

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 412.

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Suspension, sans surprise, des arrêtés démagogiques municipaux permettant l’ouverture des commerces a priori fermés en période pandémique

Art. 320.
Nb : le présent article est également publié sur le site de l’auteur.

par Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Imh,
Président du Collectif L’Unité du Droit

TA de Toulouse, Ordo., 09 novembre 2020, Préfet de Tarn-et-Garonne (req. 2005497)

Suspension, sans surprise, des arrêtés démagogiques municipaux permettant l’ouverture des commerces a priori fermés en période pandémique

Le TA de Toulouse, comme de nombreux autres sur tout le territoire républicain (dont TA de Nice, ordonnance, 05 novembre 2020, Préfet des Alpes-Maritimes (req. 2004420)), vient de prendre en référé une ordonnance que tout étudiant en droit administratif de deuxième année de Licence aurait pu prévoir tant il s’agit d’une application classique et, sans surprise, des normes prétoriennes assises en matière de concours de polices administratives spéciale et générale (cf. CE, Sect., 18 décembre 1959, Sarl Les Films Lutétia & alii ; rec. 693). En l’espèce, parallèlement à un déféré préfectoral demandant l’annulation d’un arrêté du maire de Montauban autorisant, à compter du 31 octobre 2020, le « maintien de l’ouverture des commerces non-alimentaires » de la commune, le préfet du Tarn-et-Garonne a formé un référé suspension fondé sur l’art. L. 2131-6 (alinéa 3) Cgct lui permettant de ne pas avoir à démontrer la condition d’urgence de sa demande, ce qu’a acté – sans difficulté – le juge toulousain. Restait alors à discuter – pour emporter la suspension – l’existence d’un « doute sérieux » quant à la légalité de l’acte déféré. Pour se faire, le juge va opérer un raisonnement en quatre temps dont seul le premier suffisait et l’on pourra donc s’interroger sur la pertinence, plus pédagogique que juridique, des quatre autres qui intéressent davantage le fond de la légalité que la suspension demandée.

Dans un premier temps, en effet, appliquant la jurisprudence préc. des films Lutétia mise à jour par CE, Ord. 17 avril 2020, Commune de Sceaux (req. 440057) (et nos obs. au Journal du Droit administratif ; en ligne ; art. 292), le juge rappelle qu’en application de la Loi du 23 mars 2020, a été instituée une nouvelle police spéciale aux mains, principalement, du premier ministre et que c’est dans ce cadre qu’a été pris un décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020, déjà modifié, ordonnant non seulement un confinement relatif des populations françaises mais encore la fermeture de toutes les activités considérées comme non-essentielles aux fins de freiner la propagation pandémique en cours.

A ce titre, l’art. 37 dudit décret a précisé la liste des commerces autorisés, par exception, à rester ouverts. Toutefois, malgré cet article, la mairie litigieuse a décidé de permettre, dans sa commune, l’ouverture d’autres commerces que ceux strictement listés en se fondant sur un motif principal (outre une question démagogique et politique non discutée sous ce cadre) : l’atteinte à la concurrence qu’implique l’ouverture de grandes surfaces et de commerces en ligne alors que ces derniers vendent également des produits que l’on retrouve dans les plus petits établissements considérés comme non-essentiels. Alors, répond le juge toulousain, « La police spéciale instituée (…) ne permet au maire que de prendre au titre de son pouvoir de police générale des mesures supplémentaires de restriction » mais ce, à la condition « que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable » (ce qui est l’application classique de la jurisprudence dite des films Lutétia). Et d’ajouter, de façon critiquable et surabondante selon nous comme dans l’ordonnance Comm. de Sceaux préc., que le maire en agissant ainsi ne doit par ailleurs pas « compromettre la cohérence et l’efficacité » nationale des mesures étatiques de police spéciale.

Or, en l’espèce, l’arrêté municipal n’ayant pas aggravé les mesures de police spéciale mais cherché à les adoucir en se fondant « sur des considérations économiques tenant à l’existence d’une concurrence déloyale entre les petits commerçants et les grandes plateformes numériques de commande en ligne », il ne pouvait qu’être suspendu (ce qui est acté). La commune a par ailleurs convenu « que la rupture d’égalité entre les petits commerces et les supermarchés et hypermarchés » avait désormais disparu depuis la modification du décret litigieux le 02 novembre suivant (les grandes surfaces n’étant plus autorisées à vendre ce que les commerces non-essentiels proposent à l’instar des jouets ou de la librairie).

Tout aurait certainement pu et du s’arrêter là (puisque le doute sérieux sur la légalité de l’arrêté municipal était entendu) mais le juge toulousain a ajouté trois autres considérations. D’abord, il a relevé qu’il n’existait effectivement pas de définition juridique ou normative des biens et/ou activités « non-essentiels » mais il a néanmoins pris soin de considérer qu’il ne s’agissait pas des commerces « vendant les produits les plus essentiels (sic) concernant tant l’alimentation, que le fonctionnement des secteurs économiques dont l’activité reste autorisée pendant le confinement ». Autrement dit, selon le juge, sont essentiels les biens « essentiels » ce qui n’est objectivement pas discutable mais ne définit pas vraiment davantage.

Par ailleurs, au fond, le juge (s’avançant sur le travail d’analyse de la légalité de l’acte déféré) relève que s’il existe effectivement un traitement différencié et, partant, une rupture d’égalité au regard du droit de la concurrence entre les petits commerces, les grandes surfaces et les plateformes en ligne, elle « est justifiée par la différence de situation objective entre les modes de vente » et conséquemment la présence rassemblée, ou non, de public, diminuant ainsi les chaînes de propagation pandémique.

Enfin, le juge conclut (mais là encore il n’était pas obligé de l’écrire dans le cadre d’une stricte suspension de l’arrêté municipal) qu’à ses yeux la mesure de police spéciale et nationale litigieuse est tout à fait proportionnée à la menace impactant la salubrité publique car « eu égard à la nette aggravation de la crise sanitaire, le prononcé d’une mesure de fermeture de certains commerces, rendue possible uniquement aux fins de lutter contre la propagation du virus est une mesure qui, en l’état de l’instruction, n’est pas manifestement injustifiée par la situation sanitaire spécifique qui prévaut sur le territoire national ».

En conclusion, même si l’on peut imaginer (et presque entendre) que les célèbres tontons flingueurs Montalbanais (du film de Lautner) auraient pu dire qu’on « ne devrait jamais quitter » (le centre-ville de) « Montauban » pour ne faire ses achats qu’en ligne ou en grandes surfaces, la décision ici présentée ne présente – justement – aucune nouveauté. Heureusement, aucun des acteurs au présent procès, ne se prénomme Raoul, a priori. Restera, par suite, à disséminer « façon puzzle » – et enfin – ce maudit coronavirus.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Art. 320.

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50 nuances de droit administratif ?

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou – Président du Collectif L’Unité du Droit
Fondateur du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Refondateur du Journal du Droit Administratif

Art. 139.

Qu’est-ce que le droit administratif ?
Vous avez cinq heures !

La question sonne à l’instar de celles posées par nos Maîtres lors de nos examens de DEA (nos anciens Masters II pour les plus jeunes !). Comment tout dire en quelques mots ? Quel(s) regard(s) donner sur cette matière, cette science académique et cette branche parfois si exorbitante du Droit ? C’est le défi que nous avons lancé à 50 juristes et apprentis juristes du droit public. 50 personnalités ici réunies et parmi lesquelles non seulement des « étoiles » parmi les plus confirmées et reconnues du droit public contemporain mais aussi, aux côtés d’universitaires et de praticiens du droit administratif, de jeunes juristes en devenir(s).

Des « étoiles » du Droit administratif :

Des praticiens du Droit administratif :

Des universitaires (français & étrangers) du Droit Administratif :

Des auteurs du Journal du Droit administratif (JDA) :

Des jeunes chercheurs & citoyens apprentis du Droit administratif :

Tel est effectivement bien l’esprit du Journal du Droit Administratif (JDA) : valoriser les actions mettant en avant – comme son « grand-frère » le premier JDA de 1853 – le « droit administratif à la portée de tout le monde« . Il fallait pour ce faire que des citoyens et des jeunes juristes aient également accès à la parole ici diffusée et que le questionnaire JDA ne soit pas réservé à 50 personnalités confirmées.

Nous avons concrètement posé treize questions auxquelles chacun.e. a répondu avec liberté(s) de ton(s), de forme(s) et de parole(s). A titre personnel, le directeur de publication voudrait en conséquence remercier toutes les contributrices et tous les contributeurs qui ont accepté de relever ce défi et qui l’ont généralement fait avec une grande rigueur. Un second merci – encore plus personnel – est adressé aux trois membres du JDA sans qui ces questionnaires n’auraient pas été aussi bien mis en formes : Mmes Delphine Espagno-Abadie, Lucie Sourzat et M. Abdesslam Djazouli.

Le présent éditorial – sans prendre trop du temps précieux du lecteur qui a hâte de lire et de découvrir les 50 questionnaires – voudrait alors insister sur quelques mouvements que semble traduire l’ensemble desdits questionnaires (auxquels ont répondu non seulement des publicistes français mais aussi étrangers (d’Allemagne, du Canada, d’Espagne, de Grèce & d’Italie).

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Etait-il vraiment possible – sans être original et après tant de doctrines connues et reconnues, célèbres et célébrées, de répondre à cette question fondamentale ? Nos contributeurs l’ont tenté et ce, quelquefois avec – précisément – une originalité des plus stimulantes. Et c’est peut-être notre collègue Caroline Lantero qui a en ce sens marqué les esprits en choisissant de prendre le contrepied des définitions les plus exhaustives. Avec un très bel effort de rigueur (et avec un humour qui n’échappera à personne), elle nous a proposé des réponses marquées de la matérialité des billets postés sur un célèbre réseau social en 140 caractères maximum. Cela donne ainsi, pour la définition du droit administratif :

L’auto-régulation d’une administration qui ne peut – par essence –  pas mal faire, et accepte de se soumettre à son (propre) droit.

D’autres (la plupart) ont repris les critères et les indices « traditionnels » depuis désormais près de deux siècles :

  • présence et matérialité de règles / normes
  • au coeur du droit public
  • mettant en avant l’intérêt général
  • et d’une part l’administration / personne publique / autorité administrative
  • face à un citoyen / usager / administré

Les termes de puissance publique, de service public, de juge administratif et d’Etat y étant souvent associés. Par ailleurs, près de la moitié des contributeurs, comme pour se réfugier derrière une autorité, ont cité dans leur proposition de définition un des grands Maîtres du droit administratif (ou d’autres auteurs ^^) ici regroupés :

  • André DE LAUBADERE
  • Chaïn PERELMAN
  • Charles de MONTESQUIEU
  • Charles EISENMANN
  • Didier TRUCHET
  • Dominique POUYAUD
  • Friedrich NIETZSCHE
  • Georges VEDEL
  • Grégoire BIGOT
  • Grégory KALFLECHE
  • Jacques CHEVALLIER
  • Jean-Anaud MAZERES
  • Jean-François LACHAUME
  • Jean-Jacques ROUSSEAU
  • Léon AUCOC
  • Léon DUGUIT
  • Marcel WALINE
  • Mathieu TOUZEIL-DIVINA
  • Maurice HAURIOU
  • Michel FOUCAULT
  • Prosper WEIL
  • Sophie THERON
  • Spyridon FLOGAITIS
  • Thomas HOBBES

Chaque auteur a été cité une fois (ce qui ne permet pas de tirer de conclusions importantes à part pour constater qu’il n’y a – précisément – pas unanimité quant à la définition finale mais au contraire plusieurs sensibilités. Seul un auteur a été cité cinq fois : le pr. Prosper Weil dont la doctrine a manifestement marqué plusieurs générations d’étudiants. Deux autres auteurs ont été cité deux fois (Marcel Waline & Maurice Hauriou) et un inconnu (Mathieu Touzeil-Divina) a même eu l’honneur d’être cité trois fois mais l’on ne veut voir dans cette citation multiple que la présence d’ancien.ne.s étudiant.e.s du susdit dans le panel des contributeurs 🙂 !

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Cette question a beaucoup intéressé nos contributeurs. 66 % d’entre eux y ont répondu favorablement tout en faisant généralement remarquer que si, effectivement, il y avait des différences notables entre hier et aujourd’hui, cela ne s’était transformé qu’à la suite d’une évolution constante et non au regard d’une fracture ou d’une opposition nette. Ceci explique alors peut-être le fait que 05 % des contributeurs aient préféré ne pas répondre !

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Vos pronostics ?

A la grande surprise du lecteur peut-être c’est la notion de service public (17 fois citée) qui s’impose ici et devance celle de puissance publique (12 citations). Et si l’on refaisait le match Duguit v/ Hauriou ? Il faut alors citer – pour l’art de cette synthèse – le Maître du droit administratif qui nous a fait l’honneur de parrainer le renouveau du Journal du Droit Administratif ainsi que d’offrir quelques réponses à notre questionnaire : le Professeur Pierre Delvolvé :

La notion de service public est évidemment le principal moteur (et en même temps critère de ce droit) mais on ne peut en séparer celle de puissance publique, comme instrument de la réalisation du service public.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Ici encore la question a divisé (plus qu’on ne l’aurait peut-être cru) les contributeurs et les contributrices. 31 (sur 50) ont répondu de façon plutôt positive (et 04 ne se sont pas prononcé) mais tout en actant le phénomène dit de globalisation, la plupart des interrogés ont affirmé que le phénomène de mondialisation / globalisation ne devait / ne pouvait être perçu qu’à l’instar d’une fatalité et – autrement dit – il ne s’agissait pas véritablement d’une « condamnation » du droit administratif national.

Comme toujours, la réponse du Président Stirn est des plus éclairantes en la matière :

Il ne s’agit pas d’une condamnation mais d’un contexte. Le droit s’inscrit de plus en plus au-delà des frontières, singulièrement en Europe. Droit national, droit européen et droit international s’interpénètrent de plus en plus. Le droit comparé est une nécessité. En Europe, un droit public européen se construit. Le droit administratif français, qui est un élément important de cet ensemble, y trouve de nouveaux horizons.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Onze auteurs sur 50 se sont ici défilés comme si la question n’existait pas 🙂 Cinq seulement y ont répondu de façon négative, la très grande majorité des contributeurs reconnaissant encore (sinon toujours) au Conseil d’Etat en particulier un rôle phare dans la création du droit administratif – y compris contemporain.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Si l’on ne retient que les réponses relatives au droit administratif français (mais rappelons qu’il existe aussi des réponses concernant ici les droits administratifs allemand, canadien, espagnol, grec et italien), 29 auteurs ont été cités (pour 50 contributions). En voici la liste par ordre de citation(s) :

  • Maurice Hauriou ; cité 31 fois
  • Léon Duguit 22 fois 
  • Edouard Laferrière 09 fois
  • Jean Rivero 06 fois
  • René Chapus 05 fois
  • Georges Vedel 05 fois

Avec moins de citations :

  • Joseph-Marie de Gerando ; cité 04 fois
  • Emile Victor Masséna Foucart ; idem
  • Louis Marie L. de Cormenin ; idem
  • Léon Aucoc ; cité 03 fois
  • Charles Eisenmann ; idem
  • Louis-Antoine Macarel ; cité 02 fois
  • Pierre Delvolvé ; idem
  • Raymond Odent ; idem
  • Le Conseil d’Etat ; idem

Ont fait l’objet d’une citation unique :

  • mon professeur
  • Jean Blanco
  • Marceau Long
  • Etienne Portalis
  • Marcel Waline
  • Jean Romieu
  • Alexandre François Vivien
  • Gaston Jèze
  • Marie René Edmond David
  • Léon Blum
  • Théophile Ducrocq
  • Prosper Weil
  • Jean-Pierre Théron
  • Léon Michoud

Il conviendrait de réfléchir ici à au moins trois observations à creuser :

  • le nombre de femmes citées ….
  • le nombre d’universitaires et de praticiens …..
  • le nombre d’auteurs vivants ou quasi contemporains qui traduit cette habitude actuelle de ne retenir (y compris comme « pères ») que les plus proches auteurs encore dans nos mémoires et délaissant – ce faisant – les véritables « pères » plus anciens et sans qui nous ne serions sûrement rien.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Au lieu d’un long discours, voici un graphe très parlant et permettant à chacun.e. de rassurer tous les promoteurs du mythe de la jurisprudence Blanco 🙂

Ici encore, il est intéressant de noter que dix de la quarantaine d’arrêts et de décisions cités sont postérieurs à l’an 2000.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?
12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?
13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les réponses à ces questions (quant elles ont été matérialisées) nous ont beaucoup plus. Il en ressort là encore une vision de diversité plus encore que d’Unité ou alors – peut-être – d’Unité dans la diversité à l’instar de l’Union européenne qui, elle aussi, on le sait est désormais au cœur de notre droit administratif.

Selon nos auteurs (avec parfois des explications étonnantes) le droit administratif serait (pour les citations les plus nombreuses) soit un félin (un chat, un lion, un tigre, etc.) soit un animal onirique (une licorne, un Léviathan entravé, etc.) mais – surtout – il aurait manifestement les visages de tout un bestiaire eu égard au nombre de propositions diversifiées !

Il en est de même pour les ouvrages et les oeuvres d’art avec deux exceptions :

  • le GAJA a été cité quatre fois comme « livre » du droit administratif
  • et La Liberté guidant le peuple (Delacroix) a manifestement les honneurs des goûts publicistes.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 139.

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Transformations des fonctions publiques (séminaires)

Art. 252.

A l’heure où vient d’être adoptée la nouvelle Loi de « transformation de la fonction publique » (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique), le Journal du Droit Administratif est heureux de soutenir la présente initiative toulousaine des Centre de Droit des Affaires (CDA) & Institut Maurice Hauriou (IMH) de l’Université Toulouse 1 Capitole avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit.

Le Centre de Droit des Affaires et l’Institut Maurice Hauriou proposent, sous la coordination des professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut et Mathieu Touzeil-Divina, de septembre 2019 à janvier 2020, un cycle inédit, sous forme de regards croisés entre spécialistes de droit du travail et droit des fonctions publiques, de cinq conférences mensuelles autour du thème : « Les transformations de la fonction publique : tous travailleurs ? ».

Toutes les conférences ont lieu
le mardi de 17h à 19h en salle Gabriel Marty
– site de l’Arsenal – Faculté de Droit
de l’Université Toulouse 1 Capitole

Ce cycle s’appuie sur l’importante loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique ». L’objectif est d’évaluer si cette loi est véritablement appelée à transformer le statut des agents publics notamment par le mouvement dit de « travaillisation » du droit des fonctions publiques que ce texte porte.

Chacune de ces conférences s’articule autour d’un dialogue entre un chercheur de droit public et un chercheur de droit privé sur une thématique inclue dans la loi de transformation de la fonction publique. Ce dialogue se déroulera en présence d’un grand « témoin-praticien » (avocat, magistrat, responsable Ressources Humaines…). Le public visé est tout autant celui d’universitaires (chercheurs et étudiants) que celui de praticiens concernés (responsables RH de toutes les personnes publiques, représentants du personnel, magistrats avocats…).

Les actes de ces conférences sont appelés à être progressivement publiés en ligne sur les sites du Centre de droit des affaires et de l’Institut Maurice Hauriou (Université Toulouse 1 Capitole : http://www.ut-capitole.fr/)ainsi que sur ceux du Collectif L’Unité du droit (http://unitedudroit.org/) et du Journal du Droit administratif (www.journal-du-droit-administratif.fr)avec des comptes rendus de chaque événement. En fin de cycle, une publication est prévue dans la Revue Droit social.

Cette manifestation est organisée avec le soutien de la Faculté de droit de Toulouse, l’Institut fédératif de recherche de l’Université Toulouse 1 Capitole et le Collectif L’Unité du Droit.

Cette manifestation est organisée avec le soutien de la Faculté de droit de Toulouse, l’Institut fédératif de recherche de l’Université Toulouse 1 Capitole et le Collectif l’Unité du Droit.

La participation & l’inscription y sont gratuites
& l’on vous y attend nombreux.

Après chaque conférence du cycle, le CLUD en publiera en ligne un compte-rendu et des échos. L’ensemble des interventions fera (en mars 2020) par ailleurs l’objet d’une publication (dans la Revue Droit social).

Première conférence : 24 septembre 2019
Evolution ou révolution du droit des fonctions publiques ?

La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique » transforme-t-elle véritablement le droit des fonctions publiques ?

Trop d’intitulés de lois dites de « modernisation » ou de « rénovation » de la fonction publique n’ont été qu’en trompe-l’œil. Ces lois n’ont été, en fait bien, souvent que des textes fourre-tout manquant d’unité et ne faisant qu’ajuster le droit en vigueur. La présente loi de transformation de la fonction publique échappe-t-elle à la règle ?

L’importation des principes en vigueur en droit du travail semble être le dogme de cette loi. Cela se vérifie aussi bien à propos du recours aux agents publics contractuels (conférence n° 2, 22 octobre 2019), la gestion des emplois des fonctionnaires (conférence n° 3, 26 novembre 2019), du dialogue social (conférence n° 4, 17 décembre 2019) ou de l’éthique des agents publics (conférence n° 5, 21 janvier 2020).

La « transformation » voulue par la loi éponyme est-elle le produit d’une évolution déjà entamée depuis longtemps ou change-t-elle radicalement et brusquement la vision traditionnelle de la fonction publique française ?  

Pour en débattre, trois spécialistes de Droit du travail et de droit des fonctions publiques (Professeurs Isabelle Desbarats, Pierre Esplugas-Labatut, Mathieu Touzeil-Divina) croiseront leurs analyses, lors d’un débat ouvert à tous.

Un compte-rendu de M. Mathias Amilhat pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 24 septembre 2019 se trouve en ligne ICI.

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Deuxième conférence : 22 octobre 2019
Aujourd’hui fonctionnaires, demain tous contractuels ?

Un compte-rendu de M. Adrien Pech pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 22 octobre 2019 se trouve en ligne ICI.

Si l’ambition gouvernementale de supprimer 50 000 postes de fonctionnaires a été revue à la baisse, la loi n° 2019-828 du 6 aout 2019, dite de « transformation de le fonction publique » a pour objectif, non seulement de favoriser la mobilité des agents publics vers le secteur privé, mais aussi d’élargir les cas de recours au contrat, ce qui devrait réduire, à terme, le nombre de fonctionnaires.

De quelles façons les modalités de recrutement des agents publics sont-elles assouplies et le sont-elles semblablement dans les trois versants de la fonction publique ? 

Une rupture avec les dispositifs préexistants est-elle opérée ou bien les nouvelles dispositions ne font-elles, au fond, qu’amplifier un mouvement déjà bien entamé ?  Autrement dit, le verrou statutaire de l’article 3 de la loi n°83-634 statutaire (modifiée) du 13 juillet 1983 a-t-il été contré ou ne sommes-nous que sur une pente accentuée (mais non révolutionnée) du recours au contrat ?

Par ailleurs, la « contractualisation » opérée n’est-elle perceptible que par le biais de l’emploi contractuel (de droit public mais aussi de droit privé) ou n’est-ce pas la méthode contractuelle elle-même qui a fait sa révolution dans et par l’emploi public ?

Qu’en est-il alors de la situation sinon du « statut » de ces agents contractuels dont le nombre va aller croissant dans les collectivités publiques ? Quelle y est – en particulier – la place qui sera faite aux CDI de droit public face aux fonctionnaires, véritablement statutaires ?

Alors que l’on s’interroge sur l’éclosion d’une « fonction publique contractuelle », deux spécialistes de droit du travail (Morgan Sweeney, Maître de conférences, Université Paris-Dauphine) et de droit de la fonction publique (Emmanuel Aubin, Professeur, Université de Poitiers), débattront de l’ampleur de ce phénomène, en présence d’un grand « témoin-praticien » (Amaury Vauterin, magistrat au Tribunal administratif de Nantes) et de Mathieu Touzeil-Divina (Professeur, Université Toulouse-I Capitole).

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Troisième conférence : 26 novembre 2019
La gestion des emplois des fonctionnaires

Un compte-rendu pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 26 novembre 2019 se trouve en ligne ICI.

C’est dans le but de renforcer l’efficacité de l’action publique que la loi n°2019-828 du 6 août 2019, dite de « transformation de la fonction publique », a doté les administrations de nouveaux leviers managériaux.

En effet, outre de nouvelles marges de manœuvres octroyées aux encadrants dans le recrutement de leurs collaborateurs via un assouplissement des cas de recours au contrat, d’autres outils pourront être désormais activés, ce qui devrait profondément transformer le cadre de gestion des Ressources Humaines.

En ce sens, que penser de la simplification des procédures de mouvement de mutation des fonctionnaires ?

Quels sont les effets attendus de la réforme des outils de reconnaissance de la performance professionnelle et de la généralisation de l’entretien professionnel comme modalité d’évaluation individuelle des agents publics ?

Qu’attendre des dispositifs instaurés pour favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics, et dont certains sont clairement inspirés du droit du travail (portabilité des droits, rupture conventionnelle…) ?

Telles sont quelques-unes des interrogations qui seront évoquées lors des débats organisés entre une spécialiste de droit du travail (Florence Debord, Maître de conférences-HDR, Université Lyon II) et un spécialiste de droit de la fonction publique (Fabrice Melleray, Professeur IEP Paris), en présence d’un grand « témoin-praticien » (Cécile Chicoye, DGS, Université Toulouse-Capitole), et d’Isabelle Desbarats.

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Quatrième conférence : 17 décembre 2019
Du monologue au dialogue social ?

NB : en raison – précisément – des mouvements sociaux,
la présente conférence a été reportée.

« Promouvoir un dialogue social plus stratégique et efficace, dans le respect des garanties des droits des agents » : tel est l’un des objectifs poursuivis par la loi du 6 aout 2019 dite de « transformation de la fonction publique » qui, pour ce faire, modifie profondément l’architecture, les attributions et le fonctionnement des instances de concertation. Il s’agit également, selon le rapport de la Commission des lois, de « déconcentrer les décisions individuelles au plus près du terrain » et de « responsabiliser les managers publics en développant les leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe » dans le respect des garanties individuelles des agents publics.

Dans ce contexte, quels sont les effets attendus et/ou redoutés de ce remodelage du dialogue social, se traduisant par la création de comités sociaux, pendants, dans le public, des comités sociaux et économiques institués par les « ordonnances Travail » dans le privé ?

Quelles seront, à l’avenir, les nouvelles prérogatives des commissions administratives paritaires dont la réforme a été jugée respectueuse du principe de participation des travailleurs par le Conseil Constitutionnel?

Demain, assistera-t-on, dans les fonctions publiques, à un développement de la négociation collective calqué sur celui opéré dans le secteur privé ?

Telles sont quelques-unes des questions qui seront débattues dans une approche croisée par deux spécialistes de droit du travail (Carole Giraudet, Ingénieur de recherche, Université de Université Lyon II) et de droit de la fonction publique (Didier Jean-Pierre, Professeur, Université Aix-Marseille), en présence d’un grand « témoin-praticien » (Eric Manoncourt, Directeur Général Ressources Humaines, Ville de Toulouse et Toulouse Métropole), et d’Isabelle Desbarats.

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

  • Mme Carole Giraudet
  • Pr. Didier Jean-Pierre
  • M. Eric Manoncourt

Cinquième conférence : 21 janvier 2020
Fonctionnaires, salariés, une même éthique ?

Un compte-rendu de M. Mathias Amilhat pour le Journal du Droit Administratif de la présente conférence du 21 janvier 2020 se trouve en ligne ICI.

La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique » comporte un important volet destiné à renforcer la déontologie des agents publics.

Il est vrai que les agents publics ont toujours été perçus, selon l’expression d’Hauriou, comme des « citoyens spéciaux » destinés à avoir un comportement irréprochable.

En ce sens, la question se pose aujourd’hui de savoir si les obligations déontologiques assignées aux agents publics par cette loi sont suffisantes, efficaces et adaptées.

Au rebours, on peut se demander si le statut d’agent public implique une éthique qui soit fondamentalement différente de celle des salariés du secteur privé.

Ces interrogations seront au cœur des débats qui vont se nouer, sous la houlette du professeur Pierre Esplugas-labatut, entre un universitaire, spécialiste de droit public (Professeur Anthony Tallefait) et un avocat spécialisé en droit social (Maître Laurent Nougarolis).

Retrouvez ci-dessous en liens et dès qu’ils seront disponibles les textes de leurs contributions :

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Séminaire Fonction publique ; Art. 252.

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ParJDA

L’image du domaine public déchirée

Maxime Boul
Docteur en droit public
Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou

Art. 234.

note sous CE, ass., 13 avril 2018, Établissement public du domaine national de Chambord

Il est vrai que pour rejoindre l’Hôtel de Girancourt, à Rouen, depuis le château de Chambord, il n’est pas utile de passer par Tours et son musée des Beaux-arts. Le Conseil d’État, tout à son objectif, ne s’est d’ailleurs pas autorisé ce détour avec son arrêt d’Assemblée du 13 avril 2018[1] relatif à l’image du domaine public immobilier en général, et du château de Chambord en particulier. Alors que le Conseil constitutionnel s’est récemment prononcé sur la constitutionnalité de l’article L. 621-42 du Code du patrimoine[2] issu de l’amendement « Chambord » sur l’image des domaines nationaux, le Conseil d’État a en effet pris le contrepieds des décisions des juridictions administratives du fond et de sa propre jurisprudence sur l’image des biens du domaine public issu désormais célèbre arrêt du 29 octobre 2012, « Commune de Tours c. Eurl Photo Josse » [3], rendu au sujet de l’image des œuvres du musée des Beaux-arts de Tours.

Les faits de l’affaire sont déjà bien connus. Le Conseil d’État devait statuer sur les titres exécutoires émis en 2011 par l’établissement public du domaine national de Chambord à l’encontre de la société Kronenbourg relatif au paiement de redevances domaniales pour l’utilisation de l’image du château à l’occasion d’une campagne publicitaire pour la bière « 1664 ». Dans un jugement du 6 mars 2012, le tribunal administratif d’Orléans avait, dans un premier temps, annulé les titres de recettes au motif que l’image du domaine public immobilier n’était assimilable ni au domaine public[4], ni à un accessoire de celui-ci. La Cour administrative d’appel de Nantes s’était détachée du raisonnement tenu en première instance certainement parce que le Conseil d’État s’était entretemps prononcé pour le domaine public mobilier, avec l’arrêt « Photo Josse » de 2012, en assimilant des prises de vues à une utilisation privative. Ainsi, pour le juge administratif d’appel nantais, si l’image du bien ne pouvait être confondue avec le domaine public immobilier, elle était tout de même soumise à un régime « quasi-domanial »[5]. Sans être dans le domaine public, l’utilisation commerciale de l’image des immeubles devait donner lieu à « une autorisation préalable délivrée par le gestionnaire de ce domaine dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique ». Cette solution a, entre temps, été reprise en substance par le législateur dans la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (dite « LCAP »)[6] créant l’article L. 621-42 du Code du patrimoine[7]. Ces dispositions s’appliquant aux domaines nationaux, personnes publiques, mais également personnes privées[8], voient alors leurs droits renforcés sur l’image de leurs biens.

Cette loi, la très récente décision QPC du Conseil constitutionnel ainsi que la jurisprudence concernant l’image du domaine public mobilier laissaient supposer que le Conseil d’État continuerait à façonner un régime spécifique de l’image du domaine public en alignant le statut de l’image des immeubles sur celui des meubles. Il n’en est rien. Bien au contraire, le Conseil d’État vient d’effacer d’un trait de plume toute la construction prétorienne des juges du fond pour aligner le régime de l’image des immeubles du domaine public sur celui de l’image des biens privés. Il aligne sa position avec la jurisprudence de la Cour de cassation issue de l’arrêt de 2004 « Hôtel de Girancourt »[9], mettant fin au rattachement de l’image au droit exclusif du propriétaire, reconnu en 1999 par l’arrêt « Café Gondrée » [10], qui ne peut alors demander que la réparation du « trouble anormal » causé par sa reproduction. Mieux, le Conseil d’État réécrit certains passages puisqu’il substitue ce « motif de pur droit » à celui de l’arrêt de la CAA de Nantes pour fonder sa décision. Ce faisant, il crée une distinction au sein du domaine public entre l’image des meubles et celle des immeubles. L’image du domaine public est ainsi déchirée.

Déchirée d’abord en ce qu’il existe désormais deux régimes de l’image de biens du domaine public : un régime domanial pour les meubles pour lesquels les prises de vue à des fins commerciales sont des utilisations privatives soumises à l’octroi d’une autorisation et au paiement de redevances, et un régime de responsabilité pour les immeubles permettant uniquement aux personnes publiques de demander la réparation d’un « trouble anormal ». Déchirée, enfin, par son alignement des biens immobiliers sur le régime de l’image des biens privés, ce qui ne constitue pas une surprise étant donné qu’un bien du domaine public est avant tout objet de propriété d’une personne publique.

Que l’image des immeubles appartenant à une personne publique soit soumise au même régime que celle des immeubles des personnes privées ne fait que conforter la thèse du rapprochement entre les propriétés publiques et privées. Cette affaire concentre les tensions contradictoires qui travaillent la question de l’image des biens du domaine public : d’une part, le principe d’une libre utilisation par les professionnels de l’image pour garantir une large diffusion et, d’autre part, l’affirmation d’une logique de valorisation économique au bénéfice des gestionnaires publics. Autrement dit, le Conseil d’État était appelé à faire le choix entre l’image entendue comme une « valeur collective » ou comme une « valeur commerciale »[11]. La propriété des personnes publiques sur leur domaine public n’est pas plus absolue que celle des personnes privées et rencontre, elle aussi, des limites malgré les objectifs de valorisation[12]. Ainsi, comme l’a souligné le rapporteur public M. Romain Victor (que nous remercions pour l’aimable communication de ses conclusions) : « le pourvoi impose de trancher une controverse d’une certaine importance théorique sur la consistance du droit de propriété des personnes publiques sur leurs immeubles. Enfin, pas seulement « théorique », car nous avons pu mesurer, en préparant nos conclusions, que la valorisation des propriétés publiques était dans de nombreux esprits ». Les prétentions des personnes publiques sur le potentiel de l’image, trésor caché parmi les trésors, sont alors ralenties par cet arrêt. Le Conseil d’État suit en effet les contours du régime l’image de la propriété privée esquissé par la Cour de cassation (I), au risque de découper le régime de l’image du domaine public en deux (II).

L’image calquée sur la propriété privée

Le Conseil d’État reproduit à bien des égards le mouvement jurisprudentiel opéré par la Cour de cassation entre 1999 et 2004. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation avait en effet abandonné l’approche propriétariste de l’arrêt « Café Gondrée » pour lui préférer les mécanismes de responsabilité dans l’« Hôtel de Girancourt », après seulement trois années, l’Assemblée du Conseil d’État change également de paradigme pour l’image des biens du domaine public immobilier. L’arrêt du 13 avril a le mérite d’être clair et rompt tout lien entre l’image et la domanialité publique des immeubles. Sur ce point les juges du Palais Royal n’innovent pas, ils ne font que confirmer ce que la CAA de Nantes avait mis en avant dans son arrêt du 16 décembre 2015[13]: l’image ne peut directement être soumise au régime domanial, car les prises de vues, c’est-à-dire la captation de l’image, ne constituent pas une utilisation privative qui excède le droit d’usage appartenant à tous, pas plus que l’emprise physique du domaine public pour la réalisation de cette opération. L’image étant autonomisée de son support, le Conseil d’État reprend la position du juge administratif d’appel nantais, en considérant qu’il s’agit d’une chose différente dissociée de l’immeuble domanial. Il ne peut donc pas s’agir d’une utilisation du domaine public, tout comme la réalisation matérielle de cette utilisation. L’utilisation privative de l’image, du et sur le domaine public, n’est donc pas réglementée[14], ce qui n’est pas sans appeler au retour des logiques de la jurisprudence administrative des photographes-filmeurs[15].

Par cette décision, le Conseil d’État évite de concurrencer le régime mis en place avec l’article L. 642-21 du Code du patrimoine pour l’image des domaines nationaux. Il rappelle que « l’autorité administrative ne saurait, en l’absence de disposition législative le prévoyant, soumettre à un régime préalable l’utilisation à des fins commerciales de prises de vues d’un immeuble appartenant au domaine public, un tel régime étant constitutif d’une restriction à la liberté d’entreprendre et à l’exercice du droit de propriété ». Outre le fait qu’il s’agissait d’un régime créé par la CAA de Nantes et non pas par les autorités administratives elles-mêmes, le Conseil d’État abandonne toute velléité de création d’un régime prétorien plus large que celui adopté par la loi du 7 juillet 2016. Le législateur, en reprenant la solution de la CAA de Nantes de 2015, empêche sa confirmation en cassation. L’action législative semble avoir eu pour effet d’annihiler l’œuvre créatrice du juge administratif suprême et de lui rappeler que seul le législateur est habilité pour fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » et déterminer les principes fondamentaux « du régime de la propriété ».

Le Conseil d’État appréhende donc l’image comme une chose  « dissociée de son objet »[16] dans le seul but de contourner l’obligation de soumettre son utilisation commerciale à l’octroi d’une autorisation et au paiement de redevances domaniales. Par conséquent, si les dispositions de l’article L. 621-42 du Code du patrimoine ne s’appliquent pas en l’espèce, l’image du domaine public immobilier doit répondre au même régime que celle des biens privés tel qu’il en résulte de l’arrêt de la Cour de cassation « Hôtel de Girancourt » de 2004. La position du Conseil d’État est nouvelle puisqu’elle fait expressément référence à l’application de ce régime construit par les juges du quai de l’Horloge. En effet, le TA d’Orléans, en 2012, avait seulement annulé les titres exécutoires[17], alors que la CAA de Nantes avait retenu la responsabilité des personnes privées ayant utilisé l’image sans autorisation, mais « qu’en l’absence de disposition législative contraire, il n’appartient pas à la juridiction administrative de statuer sur la responsabilité qu’une personne privée peut avoir encourue à l’égard d’une personne publique ». La réparation des dommages causés par la faute commise par l’utilisateur pour une « quasi-occupation » sans titre ne relève donc pas de la compétence du juge administratif contrairement au « véritable » domaine public[18]. La personne publique « frustrée »[19] devait donc saisir le juge judiciaire. Dans la présente décision, le Conseil d’État ne retient pas la liaison officieuse de l’image et du domaine public pour considérer qu’il n’est pas compétent. Tout comme la Cour de cassation en 2003 avait jugé « erroné » le rattachement du droit à l’image au droit de propriété[20], le Conseil d’État substitue le motif de la « quasi-domanialité », retenu par le juge nantais, par celui de la responsabilité entraînant a fortiori la compétence du juge judiciaire.

Par conséquent, et sur les conclusions conformes du rapporteur public, le mouvement de rapprochement des propriétés publique et privée se poursuit. Le « voile » de la domanialité publique est levé pour faire apparaître que l’image est avant tout celle d’un bien approprié. Dans ces circonstances, rien ne justifie que le régime diffère de celui applicable aux biens privés et aux biens publics dans le domaine privé[21] Ainsi, l’image d’un immeuble appartenant à une personne publique incorporé dans le domaine public ou dans le domaine privé, et celle d’un immeuble appartenant à une personne privée est soumise à un régime unique sous le contrôle d’un seul et même juge : le juge judiciaire. Le Conseil d’État corrige les contradictions de la CAA de Nantes qui, en distinguant l’image de son objet immobilier, l’avait exclue de toute propriété en considérant que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle et le Code général de la propriété des personnes publiques ne pouvaient s’appliquer[22]. Mais, dans cet effort correcteur, la haute juridiction administrative n’échappe pas non plus aux contradictions reprochées, en son temps, à la Cour de cassation pour l’arrêt « Hôtel de Girancourt ». La substitution de la responsabilité pour « trouble anormal » à la propriété de l’image est avant tout empreinte de pragmatisme afin de concilier les intérêts des professionnels avec ceux des propriétaires[23]. Elle a mis fin aux incertitudes concernant le champ de la reproduction de l’image[24] (l’immeuble devait-il être l’objet principal ?) et limité les abus de droit « dernier rempart contre les excès redoutés de l’égoïsme des propriétaires »[25]. Cependant, l’Assemblée plénière, tout en reconnaissant « que le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci », invoque la propriété pour fonder le mécanisme de responsabilité[26] puisqu’« il [le propriétaire] peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal ». Le propriétaire n’a donc pas de droit exclusif sur l’image de son bien, mais c’est en sa qualité de propriétaire qu’il bénéficie de l’action en responsabilité en cas de trouble anormal. La « quasi-domanialité » fait place à une « quasi-propriété » publique. Une contradiction peut en cacher une autre. Celle « importée » par le Conseil d’État fait fi de la domanialité publique de l’immeuble porté à la vue des photographes. Elle a toutefois le mérite de favoriser l’exercice des libertés, notamment de la liberté du commerce et de l’industrie, au détriment de la valorisation économique du domaine public[27], ce qui satisfera les tenants d’un accès libre à l’image pour une plus large diffusion[28] ou pour constituer, à leur tour, des droits exclusifs sur les reproductions.

L’image découpée sur le domaine public

L’image des domaines publics mobilier et immobilier n’est pas traitée de la même manière. Elle est largement floutée à la suite de cette décision. Le Conseil d’État a tranché « le débat métaphysique », pour reprendre les termes du rapporteur public[29], de la condition juridique de l’image des biens. Il confirme expressément la position des juges du fond en considérant que « l’image d’un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même, ni en qualité d’accessoire indissociable »[30]. Il ne l’avait encore jamais fait. Il avait même évité cette « redoutable question »[31] pour le domaine public mobilier, dans les arrêts « Photo Josse »[32], en considérant que « la prise de vues d’œuvres relevant des collections d’un musée, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues, doit être regardée comme une utilisation privative du domaine public mobilier impliquant la nécessité, pour celui qui entend y procéder, d’obtenir une autorisation ainsi que le prévoit l’article L. 2122-1 » du Code général de la propriété des personnes publiques. N’est pas visée l’« occupation » physique du domaine public, comme avait pu l’avancer Nathalie Escaut dans ses conclusions[33], mais bien l’« utilisation » privative[34] de l’image induite de l’activité de reproduction et de commercialisation[35]. La haute juridiction administrative nie pourtant l’existence de l’image comme un bien autonome. Il s’agit d’une utilité immatérielle du bien corporel, « une dimension de la chose »[36]. Le professeur Zénati estime en effet que la « chose est un atome constellé d’une multitude d’utilités »[37] pour fonder l’extension du droit exclusif sur l’image. En ce sens, la jurisprudence administrative adapte l’arrêt « Café Gondrée » aux spécificités domaniales, car c’est la domanialité publique des meubles qui emporte le régime de l’utilisation privative. Si le meuble public avait été dans le domaine privé, le juge administratif aurait très probablement appliqué la solution de 2004. La domanialité publique du meuble cristallise l’image comme utilité immatérielle qui ne peut s’en détacher que dans le domaine privé. Avec l’arrêt « Photo Josse » de 2012, le statut juridique de l’image n’est donc pas clairement établi, puisqu’« en écartant toute dissociation du bien et de l’image, le Conseil d’État ramasse la problématique en une question unique, celle de l’utilisation privative »[38].

L’arrêt « Photo Josse » de 2016 n’a pas renseigné davantage sur ce point, quand bien même il s’agissait d’articuler les règles de la domanialité publique avec celles du droit d’auteur prévues à l’article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, une œuvre dans le domaine public d’une personne publique peut également faire l’objet d’un droit exclusif d’exploitation au profit de son auteur, ou de ses ayants droit pendant les soixante-dix années qui suivent l’année de son décès. L’image est ici au cœur de ce second arrêt « Photo Josse » puisque l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « la propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel ». La question était de savoir si la personne publique disposait des droits sur l’image des œuvres sans être cessionnaire des droits patrimoniaux surtout après leur extinction. Le Conseil d’État s’inscrit, pour cette affaire, dans le prolongement de la solution rendue par le juge d’appel nantais[39] en considérant que « les dispositions de l’article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle (…) n’ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à l’application à des œuvres relevant du 8° de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques des règles découlant de ce code, et notamment de celles relatives aux conditions de délivrance d’une autorisation devant être regardée comme tendant à l’utilisation privative de ce domaine public mobilier »[40]. La domanialité publique est ici l’instrument de réappropriation des droits sur l’image de l’œuvre[41] contrairement au principe selon lequel l’extinction des droits patrimoniaux « ne provoque (…) aucun retour de l’utilité au propriétaire du bien corporel »[42]. M. Victor, ayant également conclu sur l’arrêt « Photo Josse » de 2016, n’avait pourtant, à cette occasion, guère hésité à dire « que la liberté d’exploiter l’œuvre dans le domaine public doit être conciliée avec les règles relatives à l’utilisation et à la protection du domaine public des personnes publiques »[43]. La domanialité publique du support mobilier permet alors d’absorber l’image qui en redevient une utilité soumise au droit exclusif de la personne publique. Le sort de l’image n’est pas le même en fonction de la nature immobilière ou mobilière de son support corporel.

Plusieurs raisons de fait ont entraîné à cette distinction. Elle résulte d’abord de la nature du support de l’image entre les immeubles, biens « visibles », et les meubles, « biens clos »[44]. Il est d’abord bien plus aisé d’empêcher un opérateur d’accéder et photographier un meuble dans un musée, que de recouvrir le château de Chambord pour le protéger des flashs. Les faits de ces affaires permettent ensuite d’éclairer les solutions divergentes. Pour le domaine public mobilier, l’image n’est pas immédiatement au centre de l’affaire puisque l’EURL Photo Josse contestait la décision implicite de refus du maire de Tours de photographier à des fins commerciales des œuvres du musée des Beaux-arts de la commune. Il fallait alors de concilier les objectifs de valorisation économique du domaine public avec la liberté du commerce et de l’industrie. Le Conseil d’État a donc assimilé les prises de vues à des utilisations privatives soumises au cadre concurrentiel posé quelques mois auparavant dans l’arrêt « RATP»[45]. En revanche, le contentieux entre le domaine de Chambord et la société Kronenbourg prend directement sa source dans l’utilisation privative de l’image du château pour laquelle les titres exécutoires ont été émis. Ainsi pour les meubles, l’image n’a pas eu le temps d’exister du fait du refus du maire, alors que pour les immeubles, elle existe, la société Kronenbourg agissant comme un « passager clandestin » rattrapé par l’établissement public.

Le Conseil d’État aligne donc sa position avec celle de la Cour de cassation, mais il loupe corrélativement l’occasion d’harmoniser sa jurisprudence sur l’image du domaine public. La solution de la CAA de Nantes de décembre 2015 était certes « excessive »[46], mais sans « trancher la question de la nature juridique des prises de vue »[47], elle constituait une étape dans le rapprochement de l’image des immeubles et des meubles du domaine public. Les « exigences constitutionnelles tenant à la protection du domaine public » retenues par le juge d’appel nantais renvoient à celle consacrées par la jurisprudence constitutionnelle, à savoir : « l’existence de la continuité des services publics dont ce domaine est le siège, dans les droits et libertés des personnes à l’usage desquelles il est affecté, ainsi que dans la protection du droit de propriété que l’article 17 de la Déclaration de 1789 accorde aux propriétés publiques comme aux propriétés privées ». Selon le raisonnement de la CAA de Nantes, l’image ne trouvait donc pas son fondement dans la propriété mais dans la domanialité publique, ce qui explique que les autorisations devaient être délivrées « par le gestionnaire de ce domaine public dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique », et non dans le cadre du droit de propriété, rappelant le droit de garde ou de surintendance « proudhonien »[48].

Sans disposition législative prévoyant la mise en place d’un tel régime, la CAA ne pouvait créer un régime d’autorisation préalable pour l’image du domaine public immobilier. Ce raisonnement mène à un dernier paradoxe : le régime d’autorisation créé par la CAA de Nantes n’a pas de base légale, alors le Conseil d’État refuse de le confirmer, pour finalement lui substituer un motif de droit qui repose sur la jurisprudence de la Cour de cassation. À défaut de trouver une base légale, le Conseil d’État a abandonné sa compétence au profit du juge judiciaire, car « il n’appartient pas à la juridiction administrative, en l’absence de disposition législative contraire, de statuer sur la responsabilité qu’une personne privée peut avoir encourue à l’égard d’une personne publique, une telle action indemnitaire relève de la compétence judiciaire »[49]. Le champ de compétence du juge administratif est alors substantiellement réduit au contrôle de légalité du refus d’une personne publique de saisir le juge judiciaire pour réparer un « trouble anormal » causé par l’utilisation commerciale de l’image des immeubles du domaine public.

La valorisation économique au détriment d’une valorisation qualitative du domaine public atténue sans conteste sa particularité de chose publique au profit d’une approche patrimoniale[50] à tel point que le juge administratif a préféré l’abandonner pour assurer les libertés. Cela ne justifie pas pour autant les contradictions de cette solution qui n’est cohérente qu’avec le mouvement de renforcement du libre accès aux biens publics immatériels. La photo du domaine public est désormais coupée en deux. Les 80 km qui séparent le château de Chambord du musée des Beaux-Arts de Tours ne suffiront peut-être pas à éviter que les effets de Kronenbourg atteignent l’image du domaine public mobilier pour faire tourner la tête du juge administratif.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016-2018 ; chronique administrative ; Art. 234.

[1] CE, ass., 13 avr. 2018, Établissement public du domaine national de Chambord.

[2] Cons. const., n° 2017-687 QPC du 2 févr. 2018, Association Wikimédia France et autre.

[3] CE, 29 oct. 2012, Cne de Tours c. Eurl Photo Josse.

[4] J. Francfort, « Valorisation du patrimoine immatériel : l’image du monument n’est pas le monument », AJDA 2012, p. 1227.

[5] N. Foulquier, « Hors CGPPP, le pouvoir quasi domanial sur l’image des biens du domaine public », AJDA 2016, p. 435.

[6] Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

[7] H. Delesalle, « L’image, le juge et la loi », AJDA 2016, p. 2345.

[8] Art. L. 621-35 C. patr.

[9] Ass. plén., 7 mai 2004, SCP Hôtel de Girancourt c. SCIR Normandie et autre ; cf. égal. 1re civ., 5 juill. 2005, Mlle Massip c. SARL Flohic Editions.

[10] Civ. 1re, 10 mars 1999, Mme Gondrée ép. Pritchett c. Sté Éditions Dubray n° 96-18699, Bull. civ. I, n° 87.

[11] F. Tarlet, « L’image des biens publics », AJDA 2017, p. 2069.

[12] En ce sens voir M. Levy, J.-P. Jouyet, L’économie de l’immatériel. La croissance de demain, Rapport de la commission sur l’économie de l’immatériel, Paris, La Doc. fr., 2006, p. 111.

[13] CAA Nantes, 16 déc. 2015, n° 12NT01190, Établissement public du domaine national de Chambord, cons. 6.

[14] J.-F. Giacuzzo, « L’utilisation réglementée », in L’utilisation du domaine public, Poitiers, Presses universitaires juridiques, LGDJ, 2016, p. 39.

[15] CE, ass., 22 juin 1951, Daudignac et Féd. nat. des photographes filmeurs (2 espèces).

[16] N. Foulquier, art. préc.

[17] TA Orléans, 6 mars 2012, n° 1102187, Société les Brasseries Kronenbourg c. Domaine national de Chambord ; AJDA 2012, p. 1227, concl. J. Francfort.

[18] CE, sect., 25 mars 1960, n° 44533, SNCF c. Dame Barbey ; CE, 15 avr. 2011, n° 308014, SNCF ; CE, 11 févr. 2013, n° 347475, Voies navigables de France.

[19] M. Douence, « L’utilisation irrégulière du domaine public », in L’utilisation du domaine public, Poitiers, Presses universitaires juridiques, LGDJ, 2016, p. 75.

[20] Civ. 2e, 5 juin 2003, Sté du Figaro, n° 01.12.583, Bull. civ. II, n° 175.

[21] En ce sens, notre thèse : Le patrimoine immatériel des personnes publiques, th. Toulouse 1, 2017, n° 305-309.

[22] CAA Nantes, 16 déc. 2015, n° 12NT01190, Établissement public du domaine national de Chambord, cons. 7.

[23] En ce sens cf. B. Gleize, La protection de l’image des biens, préf. J.-M. Bruguiere, Paris, Defrénois, 2008, n° 367 et s., p. 233 et s.

[24] Cf. Civ. 1re, 25 janv. 2000, n° 98-10671, Bull. civ. I, n° 24.

[25] W. Dross, Droit civil. Les choses, Paris, LGDJ, 2012, n° 20-4, p. 29.

[26] Th. Revet, obs. Ass. plén., 7 mai 2004, RTD civ. 2004, p. 528.

[27] Cf. not. J.-P. Brouant, « Domaine public et libertés publiques : instrument, garantie ou atteinte ? », LPA 15 juill. 1994, p. 25 ; P. Caille, « Domaine public et libertés publiques », Gaz comm., cahier détaché n° 2, 19/2125, 7 mai 2012, p. 7 ;

[28] J.-M. Bruguiere, « Au secours, l’image des biens revient ! », CCE 2013, n° 2, p. 7 ; P. Noual, « Photographie au musée : imbroglio sur le domaine public », Juris art 2017, n° 46, p. 35.

[29] R. Victor, concl. sur CE, ass., 13 avr. 2018, Établissement public du domaine national de Chambord, pt 3.2.1.

[30] Cons. 2.

[31] F. Melleray, « L’utilisation privative du domaine public. De quelques difficultés illustrées par la jurisprudence récente », AJDA 2013, p. 992.

[32] CE, 29 oct. 2012, Cne de Tours c. Eurl Photo Josse. ; CE, 23 déc. 2016, Société Photo JL Josse.

[33] N. Escaut, concl. sur CE, 29 oct. 2012, Commune de Tours c. EURL Photo Josse, BJCL 2013, p. 54.

[34] P. Delvolve, « L’utilisation privative des biens publics », RFDA 2009, p. 229.

[35] S. Boussard, « Le droit à l’utilisation du domaine public », in L’utilisation du domaine public, Poitiers, Presses universitaires juridiques, LGDJ, 2016, p. 29.

[36] V.-L. Benabou, « La propriété schizophrène, propriété du bien et propriété de l’image du bien », Droit et patrimoine, n° 91, mars 2001, p. 85.

[37] F. Zenati, obs. Civ. 1re, 10 mars 1999, RTD civ. 1999, p. 861-862.

[38] M. Ubaud-Bergeron, « Pouvoirs du propriétaire public versus liberté du commerce et de l’industrie ? », RJEP avr. 2013, p. 26.

[39] CAA Nantes, 28 févr. 2014, n° 12NT02907, Société Photo JL Josse.

[40] CE, 23 déc. 2016, Société Photo JL Josse, cons. 12.

[41] N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, 4e éd., Paris, LGDJ, 2016, n° 949, p. 584 ; du même auteur : « Instruments contractuels de mise à disposition des œuvres d’art », Juris art 2015, n° 23, p. 18. Cf. égal. P. Noual, « Le domaine public à l’épreuve des revendications abusives », Juris art 2014, n° 18, p. 38.

[42] W. Dross, op. cit., n° 19-1, p. 26.

[43] R. Victor, concl. sur CE, 23 déc. 2016, Société Photo JL Josse.

[44] B. Gleize, op. cit., n° 418, p. 274.

[45] CE, 23 mai 2012, RATP.

[46] Ph. Hansen, « Sur l’autorisation requise pour photographier les monuments appartenant au domaine public », JCP A 2016, n° 3, 2016.

[47] M. Douence, « La réalisation d’une photo du château de Chambord à des fins publicitaires est soumise à autorisation sans être une utilisation domaniale », Légipresse 2016, n° 342, p. 545.

[48] N. Foulquier, art. préc.

[49] Cons. 13.

[50] Ch. Lavialle, « Le domaine public : chose publique ou patrimoine public ? », in Pouvoir et Gestion, Presses UT1, 1997, p. 281.

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ParJDA

Transplantation d’un organe humain et infection nosocomiale, quand l’ONIAM tente vainement, de ne pas indemniser la victime

par Arnaud LAMI
Maître de conférences HDR,
Université d’Aix-Marseille

Art. 233.

Transplantation d’un organe humain et infection nosocomiale,
quand l’ONIAM tente vainement, de ne pas indemniser la victime
note sous CE, 30 juin 2017, n°401497

En 1837, la société de médecine de Lyon s’émouvait de constater que « la responsabilité médicale n’est écrite nulle part dans les lois françaises », et qu’il « fallut pour l’établir remonter au droit romain »[1]. Il faut dire que le milieu du XIXe siècle était une période relativement critique pour les praticiens qui se voyaient régulièrement attraire devant les juridictions pour répondre des dommages qu’ils avaient causés à leurs patients.  Cette période où le silence de la loi était une source d’incertitude et d’inquiétude pour l’ensemble de la communauté médicale, semble aujourd’hui révolue. Au titre des symboles, on pourra, par exemple, relever que l’occurrence « responsabilité », prise dans son acception la plus large, se retrouve dans environ 340 articles du seul Code de la santé publique. Le nombre exponentiel de lois et de textes règlementaires traitant de la responsabilité médicale pourrait laisser à penser que l’état du droit est aujourd’hui relativement complet. De là à dire qu’il est achevé, il n’y a qu’un pas qu’il serait malvenu d’effectuer. L’insuffisance des lois, en ce domaine, a laissé place à une surabondance de celles-ci, qui, a priori, n’est pas toujours plus sécurisante sur le plan juridique.

Malgré des avancées significatives, ces dernières années, le droit de la responsabilité médicale se caractérise par ses aspects mouvants et évolutifs. Les raisons de ce phénomène sont plurales mais se retrouvent essentiellement dans la relation, qu’entretiennent, en ce domaine, le droit et la science médicale. L’amélioration des moyens servant à l’expertise des dommages et l’innovation thérapeutique influent, à n’en pas douter, sur l’évolution régulière des règles juridiques applicables en la matière. Cette réalité « médico-juridique » est de nature à créer des situations complexes dans lesquelles l’intérêt du patient doit se concilier avec un système institutionnel d’indemnisation, dont les rouages ne sont pas toujours évidents à appréhender pour les victimes. Il suffit d’ailleurs, pour abonder en ce sens, de constater le nombre toujours plus important de décisions juridictionnelles qui viennent fixer, modifier ou expliciter l’état du droit sur ce point. Certains dommages médicaux, comme ceux résultant des maladies nosocomiales, semblent particulièrement sensibles à cette tendance[2].

La décision du Conseil d’Etat du 30 juin 2017 mérite, à ce titre, une attention particulière. Affecté d’une insuffisance rénale, Monsieur L, a bénéficié le 21 novembre 2012- dans un hôpital public marseillais- d’une greffe du rein droit. Suite à cette opération, une infection a été décellée d’où s’en sont suivis de lourds traitements et deux nouvelles interventions chirurgicales. L’équipe médicale a dû finalement se résoudre à explanter l’organe, en pratiquant une opération qui, de l’avis de la communauté médicale, est jugée complexe. Il résulte de ces faits, tragiques, que le patient doit désormais vivre avec de graves séquelles. Suivant une procédure devenue classique en la matière, le requérant décide de saisir la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI), dont l’expertise ne fait qu’acter la situation et conclut que les dommages subis résultent d’une contamination du liquide ayant servi à conserver le greffon avant la greffe. La succession de ces événements devait entraîner, pour le patient, « un taux de déficit fonctionnel permanent évalué à 30 % ». La gravité des dommages subis, jointe à leur supposée nature nosocomiale, poussait donc le patient – en toute logique contentieuse- à saisir les juridictions administratives dans le cadre d’un référé provision, afin que l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), l’indemnise -dans un premier temps de façon provisionnelle- au titre de la solidarité nationale. Le requérant entendait que soient mises en œuvre les dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (CSP), qui ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale, pour « les dommages résultant d’infections nosocomiales dans les établissements, … correspondant à un taux « d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % ».

Alors que le tribunal administratif refusait de faire droit à la demande au motif de son caractère infondé, la cour administrative d’appel de Marseille, pour sa part, allouait au requérant une provision de 81 000 euros. L’ONIAM, qui conteste le bien-fondé de l’arrêt d’appel, décide de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat.

A priori dramatiquement anodine, cette affaire n’en reste pas moins d’un intérêt certain pour le juriste, qui y trouva d’utiles explications sur l’étendue de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale. Indépendamment de l’aspect procédural (qui ne retiendra pas, ici, notre propos), l’arrêt du Conseil d’Etat mérite une attention particulière en ce qu’il permet de clarifier la compétence de l’ONIAM lorsque l’infection nosocomiale est le résultat d’une transplantation d’organe. Une telle problématique renvoie à une réalité complexe où le régime de responsabilité doit considérer les souffrances des victimes, mais aussi les contraintes d’un régime d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale. Le Conseil d’Etat devait donc s’atteler à démêler cet enchevêtrement de questions, il devait aussi et surtout faire face à la stratégie d’évitement de l’ONIAM qui souhaitait, par diverses interprétations juridiques, voir sa compétence exclue.

Bien que l’Office déniât la qualification juridique de l’infection comme revêtant un caractère nosocomial, en raison de l’origine du dommage, de l’infection, que le Conseil d’Etat décida d’aller dans le sens contraire de la position soutenue par l’ONIAM (I.). Alors que l’état du droit en vigueur pouvait sur ce point laisser planer des doutes, la Haute juridiction précise l’étendue de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale en matière de maladie nosocomiale (II.). Une telle précision est d’autant bienvenue que les contentieux ne cessent de voir le jour et mettent en jeu une conception claire du statut des greffes et des greffons.

La tentation pour l’ONIAM de décliner sa responsabilité

L’enjeu premier du présent arrêt était de définir la nature de l’infection. Dans cette affaire, comme dans tous les contentieux similaires, la nature du dommage est d’une importance capitale. Selon que l’origine du dommage est d’origine nosocomiale ou non, le régime d’indemnisation va grandement différer. Conscient de ce fait, l’ONIAM s’est efforcé de démontrer que l’origine du dommage résultant d’une greffe, ou de son liquide de conservation, ne présente pas les caractéristiques d’une infection nosocomiale (A.). En refusant d’abonder en ce sens, le Conseil d’Etat apporte une précision utile et refuse, de facto, d’engager la responsabilité sans faute de l’établissement public de santé dans lequel l’intervention a été pratiquée (B.).

La stratégie contentieuse de l’ONIAM pour contester sa responsabilité

L’institution de l’ONIAM, par l’intermédiaire de la désormais célèbre loi du 4 mars 2002, a pu être jugée comme une véritable innovation pour l’indemnisation des victimes de certains dommages de santé. Bien que ce caractère novateur mériterait d’être longuement discuté, il n’en demeure pas moins vrai que depuis sa création l’Office joue un rôle, qui ne cesse de s’accroitre, dans l’indemnisation des dommages qui relèvent de sa compétence. Pour la seule année 2016, les indemnisations versées représentent 103,14 millions d’euros[3], chiffre en augmentation régulière depuis 2002.

L’importance du chiffre évoqué s’explique, entre autres, par l’accroissement grandissant du champ de compétence de l’Office. Indépendamment des nouvelles attributions souhaitées par le législateur, l’Office doit continuer à indemniser les victimes de dommages qui dès sa création entraient dans son giron et qui n’en sont jamais sortis. Tel est notamment le cas des infections nosocomiales.

A ce titre, l’ONIAM est seul tenu d’assurer la réparation des dommages résultant d’une maladie nosocomiale, « l’établissement de santé dans lequel l’infection a été contractée peut uniquement, en cas de faute, être appelé à indemniser l’ONIAM, au titre d’une action récursoire ou subrogatoire, de tout ou partie des sommes ainsi mises à sa charge »[4]. Lorsque l’ONIAM « a indemnisé la victime ou ses ayants droit, celui-ci ne peut exercer une action en vue de reporter la charge de la réparation sur l’établissement où l’infection s’est produite ou sur un professionnel de santé »[5].

Les juridictions administratives et judiciaires sont largement enclines, une fois que la solidarité nationale a joué son rôle, à ce que l’Office exerce une action subrogatoire pour récupérer les sommes versées. Ainsi, les juges entendent autant préserver les intérêts de la victime, en favorisant une indemnisation rapide, que les intérêts financiers de l’Office. Enfin, cette approche permet de ne pas déresponsabiliser les acteurs du monde de la santé.

La présente affaire est sur ce point extrêmement intéressante. Alors que l’on aurait pu légitimement s’attendre à ce que l’Office indemnise la victime, et s’engage par la suite dans une action subrogatoire à l’encontre de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille, elle a décidé de contester dès le départ la mise en cause de sa responsabilité et donc le versement de la créance réclamée.

Bien que le principe de l’action subrogatoire soit, au plan de l’équité, relativement satisfaisant, il présente de sérieux inconvénients pour l’Office. En effet, dans ces hypothèses, l’Office s’expose non seulement au risque de ne pas récupérer l’intégralité des sommes versées, mais il s’engage également dans des procédures longues et à l’issue toujours incertaine.

Pour toutes ces raisons, on peut donc légitimement comprendre que les responsables de l’établissement public se montrent particulièrement attentifs quant au montant et la nature des demandes indemnitaires qui lui sont soumises. Dans une conjoncture où le nombre d’indemnisations est mécaniquement amené à augmenter, la vigilance sur les cas où la solidarité nationale doit intervenir semble être de vigueur.

Pour atteindre son objectif, l’ONIAM trouvait dans les faits de l’espèce deux possibilités lui permettant de soutenir la mise hors de cause de sa responsabilité et donc de ne pas indemniser la victime. Soit il tentait de démontrer que les critères ouvrant droit à la prise en charge des dommages au titre de la solidarité nationale n’étaient pas satisfaits, soit il démontrait qu’en raison de son origine, le dommage ne pouvait pas être qualifié d’infection nosocomiale. La première hypothèse a, semble-t-il, été rapidement écartée par la défense. Face au rapport de la CRCI, qui avait conclu à un taux d’incapacité fonctionnel du patient de 30%, alors que l’indemnisation est légalement ouverte dès 25%, l’Office ne pouvait guère espérer voir cet argument prospérer. Même si la tendance, générale est à la remise en cause, par l’ONIAM, du fonctionnement et des avis de la CRCI[6], cette solution n’a pas été en l’espèce retenue, car probablement vouée à l’échec.

C’est donc avec un certain pragmatisme que l’Office tente de démontrer que la contamination d’un organe transplanté, ou de son liquide de conservation, doit conduire à ce que soit retenue la seule responsabilité de l’établissement dans lequel l’acte a été pratiqué.

La vaine recherche de la responsabilité de l’Etablissement transplanteur

Pour aboutir à cette conclusion, il fallait démontrer que l’organe et son liquide de conservation sont des « produits de santé », de la sorte, en avançant cette hypothèse, l’Office espérait voir s’appliquer le régime de responsabilité des produits défectueux. Cette vision des choses qui a été retenue, en première instance, par le Tribunal administratif de Marseille aurait eu pour conséquence de faire peser sur le seul service public hospitalier l’intégralité de la réparation, et surtout d’éviter à l’ONIAM d’indemniser la victime. L’argumentaire reposait sur une équation dont les éléments pris isolément pouvaient laisser à penser que la solidarité nationale n’aurait pas à jouer.

De jurisprudence constante, les juridictions administratives admettent, que « le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise »[7]. Cette position prolonge celle de la Cour de cassation qui considère, pour sa part, que les médecins ou établissements de santé relevant du droit privé sont soumis à une obligation de sécurité et de résultat des appareils de santé qu’ils utilisent[8].

En ce sens, pour les juridictions nationales ainsi que pour la Cour de justice de l’Union européenne, les mécanismes de responsabilité énoncés par la directive du 25 juillet 1985, relatifs aux produits défectueux, ne font pas « obstacle à l’application du principe selon lequel, sans préjudice des actions susceptibles d’être exercées à l’encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise »[9].

Le maintien d’une responsabilité sans faute, à la charge de l’utilisateur professionnel du produit, présente classiquement un réel avantage pour les victimes. Outre la simplicité et la visibilité de la procédure, les demandeurs bénéficient, dans ce cas, du régime de prescription décennale à compter de la date de consolidation du dommage -tel que prévu par l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique-, alors que l’action contre le producteur est prescrite par trois ans (à compter de la connaissance de l’identité du producteur ou de la connaissance du dommage). Au reste, assimiler l’organe à un produit de santé n’aurait en théorie soulevé aucune difficulté indemnitaire pour la victime, puisqu’ auraient été préservées toute ses chances d’indemnisation. Ces deux conséquences auraient pu constituer des arguments solides pour  décider de ne pas mettre, en l’espèce, l’indemnisation du dommage à la charge de l’Office.

Toutefois, si cette option ne présentait pas un désavantage pour le requérant, celui-ci n’en aurait pour autant tiré aucun bénéfice procédural. D’abord, parce qu’en l’espèce la question des délais de recours ne faisait pas débat. Ensuite, parce qu’en extrapolant à d’autres litiges similaires, et en les anticipant, une telle solution n’aurait pas eu d’utilité contentieuse dans la mesure où, en cas d’indemnisation au titre de la solidarité nationale, les délais de prescription sont également de dix ans. Cette projection, sur des cas similaires à venir, n’est pas dénuée de sens tant on sait que pour la société et pour le juge, le souci d’indemnisation des victimes de dommages est une préoccupation majeure. Dans ce cadre, les juridictions n’hésitent pas à s’accommoder de certains arguments si l’intérêt des patients le justifie. Or, ici, rien de tel n’aurait pu être retenu, le seul vrai bénéficiaire aurait été l’Office.

En élargissent notre propos, nous aurions pu nous demander, au regard des récents rapports mettant en cause la politique de l’Office et ses nombreuses défaillances, si les victimes sont réellement gagnantes à solliciter l’ONIAM[10] ? Cependant, envisager ces critiques dans le cadre de la présente affaire aurait conduit à déresponsabiliser juridiquement et politiquement l’Office et ses représentants. Il aurait été extrêmement condamnable que la remise en cause du régime d’indemnisation, mettant en jeu la solidarité nationale, ait pour conséquences de conduire le juge à reporter vers d’autres acteurs du monde de la santé la charge de l’indemnisation du dommage subi par la victime.

Le Conseil d’Etat, en soulignant, en l’espèce, « qu’une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de cette prise en charge présente un caractère nosocomial », coupe court à toute tentative visant à reporter l’indemnisation du requérant sur l’établissement de santé dans lequel l’infection a été contractée.

La spécificité de l’organe transplanté ne fait nullement obstacle à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale

D’un point de vue de la stratégie contentieuse, la position de l’Office n’était pas incongrue et cela même si elle a échoué. Indépendamment de la volonté de se dessaisir de  la charge de l’indemnisation, la proposition de l’Office était habile. En proposant de qualifier l’organe ou son produit de conservation de produits de santé, elle entendait démontrer que les spécificités des organes transplantés justifient que le régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale soit exclu (A.). Néanmoins, le Conseil d’Etat en refusant cette solution opte, comme il a pu le faire par le passé, pour une approche bienveillante à l’égard des victimes (B.).

L’organe une greffé n’est pas un produit de santé

Les juridictions administratives ont pu se montrer hésitantes sur la qualification juridique qu’il fallait retenir pour les organes humains dans le cadre de transplantations. Cette question recouvre un vaste enjeu philosophique et métaphysique : tout organe composant le corps humain doit-il, ou non, avoir la même nature juridique que ce corps lui-même ? Peut-on dissocier la nature d’un ensemble et celle de ses sous-ensembles le composant alors que ni les uns ni les autres ne peuvent exister sans solidarité organique entre les uns et les autres ? Au terme d’un bras de fer entre les juridictions du fond, preuve de l’importance et de la gravité de l’enjeu, le Conseil d’Etat a dû trancher définitivement entre  les différentes interprétations. En 2006, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé « qu’un organe transplanté doit être regardé comme un produit de santé » à la réserve que cet organe ait été « infecté antérieurement à la transplantation »[11]. De son côté, la Cour administrative d’appel de Paris avait retenu la solution inverse, en estimant, pour sa part, que la contamination d’un greffon ne peut avoir comme conséquence la mise en œuvre « du régime général de responsabilité du fait des produits défectueux »[12].

Ces différences d’interprétations, voire de considérations sur la nature juridique et donc sur le statut de l’organe humain, devaient conduire le Conseil d’Etat à trancher en direction de la dernière hypothèse. Les juges du Palais-Royal estiment que les organes de transplantation ne peuvent pas être assimilés à un produit défectueux, au sens de la directive de 1985[13].

Le choix opéré par la Haute juridiction n’était pourtant pas marqué par l’évidence. La lecture de certaines dispositions législatives aurait parfaitement pu militer pour une solution inverse. Par exemple, l’article L.5311-1 du CSP indique que les organes humains entrent dans les missions de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ce qui devrait ou pourrait impliquer que les organes sont des produits de santé. Par ailleurs, l’article 1245-11 du Code civil, qui refuse l’exonération de la responsabilité du producteur « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci », aurait lui aussi pu justifier que les organes utilisés dans le cadre des greffes soient assimilés à des produits de santé.

Pourtant, selon la solution retenue par le Conseil d’Etat il n’en est rien. En se détachant des textes en vigueur, ou plutôt en les interprétant finement, les juges du Palais-Royal ont clairement entendu protéger l’activité médicale de la greffe et la protection de la dignité, à la fois, du corps humain considéré, in globo, que chacun de ces organes pris ut singuli. Ils ont, au passage, distingué dans la grande catégorie des organes humains, celle des organes vitaux qui se singularise notamment par l’extrême difficulté, pour ne pas dire impossibilité, de les reproduire. Faire d’un organe vital un produit de santé aurait complétement bouleversé l’idée que l’on peut se faire de ces produits. Ces derniers sont avant tout la conséquence de l’action de l’homme et non celle de la nature comme cela est le cas pour les organes humains. En poussant le raisonnement jusqu’à ses conséquences ultimes, toute autre solution que celle retenue aurait soulevé des difficultés quant à l’identification de critères permettant de juger de la défectuosité d’un organe. « Les greffes et les transplantations (qui) nous ont appris qu’on pouvait arracher la vie à la mort »[14], demeurent des pratiques médicales, éminemment, complexes. Les rejets des organes, les défauts non visibles de ceux qui ont été transplantés, ne sont pas toujours scientifiquement identifiables. Reconnaitre la défectuosité d’un organe et en tirer les conséquences juridiques est une pratique bien trop incertaine pour qu’elle s’impose comme une règle.

Il s’agit alors d’un « choix de politique jurisprudentielle destinée à envoyer un signal positif à l’égard du monde de la greffe qu’il convient de soutenir plutôt que de déstabiliser, compte tenu du nombre insuffisant de greffons et de la dérive gestionnaire de cette ressource rare qui risquerait, à terme, de se manifester »[15]. Il est évident que, par cette interprétation, le Conseil d’Etat entend faire primer, en ce domaine, les considérations éthiques et pratiques sur la construction de catégories légales, qui, si elles étaient interprétées littéralement en matière de greffe, soulèveraient à n’en pas douter de nombreuses et surtout de graves difficultés.

Malgré son intérêt indéniable, la jurisprudence traditionnelle et la solution de principe qui en découle, reposent sur des faits antérieurs à la création de l’Office, ce qui pouvait laisser présager d’une possible évolution en ce domaine. Évolution souhaitée et espérée par l’Office.

Néanmoins, sur le fond du problème ici exposé -à savoir celui de l’assimilation d’un organe à un produit de santé- l’instauration d’une indemnisation par la solidarité nationale devait rester sans effet. Il aurait été surprenant que le Conseil d’Etat revienne sur sa position initiale fondée sur des arguments solides et pérennes. De plus et de façon très prosaïque, il faut aussi relever qu’une autre solution aurait eu pour effet de pousser la victime à devoir réorienter sa demande, ce qui, corrélativement, aurait eu pour conséquence de retarder son indemnisation. Or, les exigences de célérité qu’impose ce type de situation et les objectifs mêmes du référé, n’étaient pas favorable pour que la solution de l’espèce soit autre que ce qu’elle est en définitive.

Le Conseil d’Etat par un syllogisme implacable, reposant sur sa jurisprudence, traditionnelle, vient rappeler que si l’action de transplantation est bien susceptible de relever de la responsabilité d’un établissement de santé, en revanche, n raison de sa nature, l’organe transplanté ne peut pas être considéré comme un produit de santé, ce qui revient à exclure la responsabilité de ce dernier sur ce fondement. En conséquence de quoi, en l’absence de cause exonératoire, l’Office devait indemniser seul la victime du dommage.

Une position jurisprudentielle favorable à la victime

Alors que le choix de qualifier un organe de produit de santé paraissait, in fine, aller dans la logique des choses, on aurait pu s’attendre à ce que la solution soit nuancée concernant le liquide de conservation. En effet, de l’aveu du Conseil d’Etat, à l’origine le germe infectieux était, « soit (…) déjà présent dans l’organisme du donneur avant le prélèvement, soit s’est développé, en raison d’un défaut d’asepsie, dans le liquide de conservation de l’organe prélevé ».

Curieusement, et par un raccourci dont la rapidité était certainement préméditée, la Haute juridiction n’a pas opéré, dans sa décision, de distinction entre les deux causes possibles du dommage, étant précisé que la CRC, lors de son expertise, avait conclu que le dommage résultait d’une contamination du liquide.

 D’un point de vue juridique, ce silence peut surprendre, car les conséquences qui lui sont attachées auraient pu être importantes pour l’issue du litige. Admettre que la défectuosité du liquide de conservation ait été le fait générateur du dommage aurait, probablement, induit la responsabilité de l’Hôpital. Dans pareille situation, il est beaucoup plus compliqué pour les juridictions de dénier l’application du régime de la responsabilité en raison des produits défectueux. A cet égard, la CJCE[16] retient la responsabilité d’un établissement de santé, en raison de la défectuosité d’un liquide de perfusion lors d’une transplantation rénale.

Alors que la nature juridique de l’organe et les conséquences indemnitaires en découlant, prêtaient à débat, et ont focalisé l’attention des juges, la question de la contamination du liquide de conservation a tout simplement été tue. Un tel constat, qui peut juridiquement surprendre, s’avère, dans les faits, particulièrement bienveillant pour la victime et pour ses ayants droit.  Le Conseil d’Etat[17] a, par le passé, indiqué que « seule une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale ».  Ce critère lapidaire, permet d’identifier la maladie nosocomiale de manière très large. Cette dernière peut donc survenir à propos de tout événement infectieux subi à l’occasion de soins auprès d’un professionnel ou dans un établissement de santé.

En formalisant sa solution comme il l’a fait, le Conseil d’Etat fait clairement prévaloir le soucis d’indemnisation de la victime sur toute autre considération. Le système d’indemnisation, comme nous le montre cette espèce, est souvent d’une complexité folle pour les spécialistes et, a fortiori, pour les victimes qui sont, la plupart du temps, profanes en la matière. Il est inutile de rajouter à la douleur un contentieux qui s’avère pesant pour les protagonistes.

Dans un système de responsabilité où le patient cumule les souffrances, il serait mal venu de lui faire subir, outre ses douleurs physiques et morales, un combat juridique pour qu’il obtienne réparation. La bienveillance des juges, même si elle est, sur un strict plan juridique, critiquable, est sur un plan humain et moral à saluer. Le droit, auquel il est régulièrement reproché son manque d’humanisme, rappelle, par l’intermédiaire du présent arrêt, que l’Humain en est bien la première motivation. En outre, au-delà de ces problématiques indemnitaires, le présent arrêt doit inviter à s’interroger sur la complexité de notre système indemnitaire, et surtout sur la nécessité de réformer urgemment les mécanismes de solidarité nationale, dont l’inefficacité devient de plus en plus criante. Une telle conclusion est facile dans un contexte où l’Office est attaqué et remis en cause de toutes parts. Toutefois, n’oublions pas que derrière le constat de carence institutionnelle, se dissimule la souffrance de victimes, qu’il est essentiel de protéger, ce que fait, à notre sens, parfaitement bien le présent arrêt….

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2018 ; Art. 233.

 

[1] Rapport sur une question de responsabilité médicale, fait à la Société de médecine de Lyon, Lyon Louis Perrin, 1837, p.7

[2] Voir pour des exemples récents : CE 9 décembre 2016, n° 390892 ; Civ. 1re, 8 févr. 2017, n° 15-19.716

[3] ONIAM, Rapport d’activité pour 2016, p.63

[4] Civ. 1re, 19 juin 2013, no 12-20.433

[5] Civ, 1ère 28 septembre 2016, n°15-16-17

[6] Cour des comptes, Rapport public annuel 2017, p.75

[7] CE, 9 juillet 2003, Assistance publique – Hôpitaux de Paris c/ Mme M…, req. n°220437, Rec. p. 338

[8] Civ. 1re, 9 nov. 1999, n° 98-10.010, D. 2000. 117, JCP 2000. II. 10251, note Brun

[9] CE, 12 mars 2012, req. n° 327449 , CHU de Besançon, RDSS 2012. 716, note Peigné

[10] Cour des comptes, Rapport public annuel 2017, op. cit. ; Un rapport de l’IGAS de fin 2017, non publié se montre lui aussi extrêmement critique sur l’organisation et le fonctionnement de l’Office.

[11] Voir également, le tribunal administratif de Lyon a indiqué dans un jugement du 28 mai 2006, Consorts Juhel, qui n’a pas jamais été frappé d’appel, que « la transplantation d’un organe infecté engage la responsabilité de l’établissement hospitalier même en l’absence de faute de sa part ».

[12] CAA Paris, 18 octobre 2006, Véronique X., req. n° 03PA00636

[13]  CE, 27 janvier 2010, Hospices civils de Lyon et CHU de Besançon, req. n° 313568

[14] RUSS (J.) LEGUIL (C.), « La bioéthique : comment faire vivre ? Comment laisser mourir ? », in, La pensée éthique contemporaine, Presses Universitaires de France, 2012, p. 65

[15] PEIGNE (J.), « l’inapplicabilité de la jurisprudence M…. (n°220437) à la réparation des dommages résultant de la transplantation d’un organe contaminé », RDSS, 2010, p.501

[16] CJCE 10 mai 2001, Veedfald, aff. C-203/99, D. 2001. Jur. 3065, note P. Kayser

[17] CE 21 juin 2013, Centre hospitalier du Puy-en-Velay, req. n°347450

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Questionnaire de Mme Crouzatier-Durand (32/50)

Florence Crouzatier-Durand
Maître de conférences à l’Université Toulouse I Capitole

Art. 171.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Comme l’a souligné Prosper Weil, si nous sommes aujourd’hui accoutumés à voir l’Etat soumis au contrôle juridictionnel, nous en oublions parfois que l’existence même d’un droit administratif relève du miracle, l’Etat lui-même acceptant de se considérer comme lié par le droit. Le droit administratif découle précisément de ce miracle et peut être défini comme l’ensemble des droits et obligations de l’Administration. Autrement dit, le droit administratif est le droit de l’action publique, laquelle se caractérise toujours par l’intérêt général. Une action publique visant à satisfaire les besoins essentiels de la population par l’existence de services publics et s’attachant au maintien de l’ordre public dans le respect des libertés fondamentales. Le droit administratif est, pour ces raisons, au cœur des questions de société relatives tant aux rapports entre le pouvoir et le citoyen, qu’à la conception des libertés publiques, leur mise en œuvre et leurs limites, ou encore aux questions de responsabilité.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Si le droit administratif d’hier était un droit presque exclusivement jurisprudentiel, celui de demain serait davantage un droit émanant du législateur et des instances juridictionnelles internationales. Pour autant, le rôle fondamental du juge administratif français demeure et sa mission de contrôle du principe de légalité est constante. L’évolution du droit administratif relève de l’effet du temps sur le droit et de l’adaptation de celui-ci aux évolutions de la société. Car le droit administratif, dans son essence même, demeure au cœur de la vie de tout citoyen, de tout administré ; hier, aujourd’hui et demain. Ainsi en témoigne la vie d’Agnès, qui lorsqu’elle était petite fille fut renversée par le wagonnet d’une manufacture des tabacs et dont l’enfance est par la suite celle de tous les enfants de la commune de Néris-les-Bains où ses parents ont déménagé. Lorsqu’ils périssent dans un bombardement pendant la 1ère guerre mondiale, elle est recueillie par ses oncles : d’abord, le Sieur Heyriès, longtemps dessinateur de 2ème classe du génie avant d’être révoqué, et ensuite elle a pu étudier auprès de son oncle René Benjamin, conférencier contesté. Auprès de tous deux, elle apprit la chance de vivre dans un état de droit, l’incitant à poursuivre ses études dans une faculté de droit, où elle comprit le rôle du juge administratif. Elle aime lire, familière de la librairie Maspero, elle aime aller au cinéma où elle vit Le feu dans la peau, elle déteste cependant les spectacles de lancer de nain organisé dans la commune de Morsang-sur-Orge. Elle a payé ses études en travaillant en tant que contractuelle dans un kiosque à journaux, avec une amie de son oncle la Dame Trompier-Gravier, et pour la société du Journal l’Aurore. Elle passe finalement un concours pour travailler dans des organismes d’assurance telles que la Caisse primaire Aide et protection ou encore la Caisse de Meurthe-et-Moselle. Blessée par la chute d’un bloc de granit porphyroïde des Vosges, elle prend sa retraite anticipée au cours de laquelle elle participe activement à des actions caritatives, dans l’accueil des réfugiés avec Monsieur Bertin, bénévole pour le GISTI, mais également dans des associations d’aide aux détenus. C’est là qu’elle rencontre son âme sœur Pascal Marie, incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, très ami avec Philippe Hardouin, ancien timonier sur un navire de guerre. Dès sa sortie de prison, elle déménage dans une petite maison à proximité de l’allée des Alyscamps en Arles où elle vit des jours heureux jusqu’à sa mort. Ses dernières volontés furent respectées par les autorités municipales funéraires puisqu’elle est enterrée aux côtés de son amie de toujours, Madame Duvignères.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Le droit administratif français se caractérise par l’équilibre institué entre les notions de puissance publique et de service public. Si l’école du service public a fait du service public la notion centrale du droit administratif et du droit public, cette école de pensée a fait l’objet de nombreuses critiques. L’école de la puissance publique a proposé une vision différente, elle a notamment relativisé la place du service public. Pour Hauriou, la puissance de l’Etat constitue la pierre angulaire du droit public. Il convient néanmoins de reconnaître que la puissance publique vise la satisfaction de l’intérêt général, qui demeure la raison d’être de l’ensemble des services publics.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général est à la fois un moteur et un critère du droit administratif. Comme l’a souligné le Conseil d’Etat lui-même dans le rapport public consacré à cette question en 1999, « L’intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au cœur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l’action publique ». L’intérêt général occupe une place centrale dans l’ensemble du droit public tel qu’il est mis en œuvre par les pouvoirs législatif et réglementaire, mais aussi par le Conseil d’Etat et par le Conseil constitutionnel ; il est incontestablement la pierre angulaire du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Ce droit est mis en œuvre quotidiennement, sur l’ensemble du territoire, pour l’ensemble des citoyens et par eux ; cette seule prise de conscience pourrait et devrait permettre au droit administratif d’être à la portée de tout le monde. Au-delà, la gratuité des procédures, la facilité d’accès au juge administratif, l’amélioration de la lisibilité et de la visibilité des textes, sont d’autres aspects d’un droit administratif susceptible d’être à la portée de tous.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Non, bien que l’influence d’autres droits soit une réalité.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Non, le législateur a largement investi le champ du droit administratif comme l’illustre le Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Prosper Weil pour sa démonstration si juste selon laquelle le droit administratif relève du miracle.
  • René Chapus pour son précis si précieux pour l’étudiante que je fus.
  • Jean-Pierre Théron, mon maître, et à ce titre le plus important de ces « pères ».

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt « Blanco » pour avoir admis la responsabilité de l’Etat selon des règles propres et devant un juge spécial.
  • L’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge » pour avoir complété et précisé la notion d’ordre public.
  • L’arrêt « Ternon » pour avoir repensé les conditions du retrait d’un acte administratif unilatéral créateur de droit.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

La Constitution et son préambule entretiennent avec le droit administratif des liens particuliers, étroits et très importants. En 1954, le Doyen Vedel avait présenté les bases constitutionnelles du droit administratif, cinquante ans plus tard la reconnaissance de la question prioritaire de constitutionnalité a confirmé ce mouvement.

La loi, source fondamentale et incontestée de la légalité administrative.

La circulaire parce qu’elle établit le lien entre le politique et l’administratif ; elle est le document qui informe sur les orientations politiques, les activités de service public, les actions administratives ou encore le comportement des agents publics.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le chat agile et souple, doué d’un grand sens de l’équilibre.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le Petit Prince, intemporel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Maman, l’araignée de Louise Bourgeois, expression de la protection maternelle et, de manière quelque peu ambivalente, de la force et de la puissance supérieure et dominatrice.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 171.

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ParJDA

Questionnaire de Me Lantero (31/50)

Caroline Lantero
Avocate
Maître de conférences à l’Université d’Auvergne

Art. 170.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

L’auto-régulation d’une administration qui ne peut – par essence –  pas mal faire, et accepte de se soumettre à son (propre) droit.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Non, même s’il est difficile de ne pas voir le droit de l’UE et de la CEDH comme des catalyseurs d’évolution.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

  • Le fait même qu’il existe en tant que droit (privilégié) de l’administration ;
  •  Sa juridiction

#LexistencePrécèdeLessence

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général : notion indéfinissable mais belle vitrine à défaut d’en être toujours le moteur, pour ne pas dire le critère

#PointRivero

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Lorsque les spécialistes sortent de leur zone de confort (amphi, prétoire, revues), diffusent et échangent sur des supports originaux #Twitter #Blogs

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Globalisé par la multiplication/stratification des sources ? Un peu. Par l’ « anglo-saxonnisation » des procédures ? Pas encore.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui, mais la loi est trop bavarde et le juge sur-réagit parfois pour dire quand même quelque chose #PointPortalis

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est tellement impossible de trancher que le contentieux administratif l’emportera ici sur le droit administratif : Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Une seule (pour l’emphase) : Benjamin 1933, malmenée depuis (Soupe aux cochons, Morsang, Dieudonné) et retrouvée en 2016 (Burkini).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La loi des 16 et 24 août 1790
  • La Constitution
  • La CEDH

#ChronologieNestPasHiérarchie

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

(…)

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

(…)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

(…)

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 170.

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ParJDA

Questionnaire du Pr. Iannello (30/50)

Carlo Iannello
Professeur à l’Université de la Campania (Naples)
Directeur adjoint du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Art. 169.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit qui pose les normes fondamentales de l’organisation administrative et de l’exercice de la fonction publique, qui règle les tâches administratives et établit ses contenus, dans le but de garantir les intérêts publics. Si ce droit se présente comme un droit de la puissance publique, il faut lui reconnaitre une fonction « révolutionnaire », parce que dès que ce droit a réglé la puissance qui se prétendait souveraine, il l’a transformée en une autre chose. La puissance publique est en effet ainsi devenue contrôlable par les administrés à travers le paramètre même de l’intérêt public indiqué par la loi.

Le droit administratif est donc le droit qui a transformé un pouvoir autoritaire en un pouvoir rationnel et libéral-démocratique, qui trouve ses limites dans les droits et les libertés des citoyens. Le droit administratif est, donc, en même temps, le droit du pouvoir et le droit de la protection des droits et des libertés des citoyens. Un droit qui a dans son code génétique une fonction aussi complexe qu’essentielle pour une société libérale et démocratique : la conciliation entre l’autorité et les libertés des citoyens.

2 – Qu’est-ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ?

Le droit administratif italien a été beaucoup influencé par le droit administratif français. Il a donc suivi cette tradition, du dualisme juridictionnel au rôle reconnu au juge administratif dans l’élaboration des principes généraux, à la centralisation de l’administration étatique.

Cependant, il s’est souvent éloigné de cette tradition, et l’action publique a perdu sa cohérence centralisatrice déjà pendant la période libérale, en devenant de plus en plus pluraliste, dans le cadre d’une société fragmentée qui n’a presque jamais permis à l’Etat (à part l’exception des première 15 années après l’unité) de ressembler à la construction doctrinale des maitres du droit public du siècle XIX, moins que jamais pendant la période fasciste. Le fascisme, loin de rétablir la cohérence et la rationalité du pouvoir étatique, a fini pour l’affaiblir ultérieurement, en substituant l’Etat avec le parti fasciste (une association de droit privé) et la chambre représentative avec la « Camera dei fasci e delle corporazioni », donc avec un chambre corporatiste, où s’exprimaient les intérêts particuliers. Rien de plus loin de l’idée de représentation de la Nation.

Le pluralisme structurel de la société italienne c’est manifesté également dans le cadre de l’Assemblé Constituante, qui a réalisé un Etat sociale et fortement pluraliste, perméables aux intérêts sociaux et, ce qui plus est, a donné à la république une organisation régionale.

Cela a contribué à caractériser ce droit comme un droit non étatique et multi niveau, même avant l’irruption du droit européen et du droit de la globalisation. Ce qui a continué également à accentuer le processus de fragmentation de l’action publique, qui a ainsi perdu toute trace de son initiale cohérence centraliste. L’élargissement des pouvoirs locaux avec la réforme du titre V de la Constitution a ultérieurement accentué ce trait. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité, enfin, dont la portée juridique est très controversée, a associé le citoyen à l’administration dans l’accomplissement des tâches d’intérêt général. L’art. 118, dernier alinéa de la Constitution, introduit en 2001, a attribué aux citoyens, individuellement ou en tant que membres d’une association, le droit d’agir pour « l’exercice de toute activité d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité ».

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Par la façon dont est né le juge administratif en Italie, le droit administratif s’est formé autour de la notion « d’intérêt légitime ». L’Etat unitaire avait adopté en 1865 un modèle moniste, en reconnaissant seulement au juge judiciaire la fonction de protéger les « droits civils et politiques » des citoyens. Cependant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation à partir de 1877 (quand elle devint juge de la juridiction) rendaient impossible les actions contentieuses contre les actes qui étaient considérés comme des manifestations de la puissance publique (par exemple, contre un acte d’expropriation le particulier n’avait pas de protection judicaire). La protection offerte aux particuliers était donc limitée aux seuls actes de gestion de l’administration.

Le juge administratif n’a alors été matérialisé que plus de trente ans après, en 1889, pour combler ce vide intolérable de protection des « intérêts » des administrés qui n’étaient pas protégés par le juge judicaire. C’est pour cette raison que dans le droit administratif italien l’ « intérêt légitime » a occupé une place centrale.

Cette notion est devenue le critère de répartition de la compétence entre juges administratif et judicaire, qui protège les « droits ». Cette notion « d’intérêt légitime », qui a été développée par la jurisprudence (administrative et de la Cour de Cassation, en tant que juge des juridictions). Enfin, cette notion a reçu une consécration constitutionnelle en 1948, par les articles 24, 103 et 113 de la Constitution. Il s’agit d’une situation juridique qui a la même force que le droit subjectif.

Pour autant, donner une définition, précise et synthétique, de cet « intérêt légitime » est très difficile. Il s’agit d’une situation juridique dont jouissent les particuliers à l’égard de l’administration publique qui agit en force des prérogatives spéciales et, en concret, il est représenté par tout ce qui s’interpose entre le pouvoir (et l’acte) de l’administration et les intérêts substantiels de l’administré. C’est justement cet exercice concret du pouvoir administratif, qui interfère avec les intérêts des particuliers, qui transforme leurs intérêts substantiels dans des « intérêts légitimes ». Cette situation juridique permet à l’administré de conditionner l’action administrative et, qui plus est, de recourir au juge pour obtenir l’annulation d’un acte admiratif qui lui concerne directement.

L’importance de cette notion, en tant que critère de répartition de la juridiction, a diminué au cours des dernières années, à cause d’une récente tendance d’élargir la juridiction administrative, dans certains domaines, à la fois aux droits et aux intérêts, mais elle n’a pas perdu son importance et caractérise encore aujourd’hui notre droit administratif.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • Si l’on parle du droit administratif italien on doit nommer tout d’abord Vittorio Emanuele Orlando (1860-1952) et son école de droit public, qui a eu la mérite de fonder la science du droit administratif et de contribuer à l’édification de l’Etat italien et de son administration vouée à l’intérêt général (ou à la réalisation de l’intérêt public, pour le dire à l’italienne), avec un engagement non seulement sur le plan scientifique (auteur, entre autre, du Primo trattato completo di diritto amministrativo), mais aussi politique (il a été, entre outre, chef du gouvernement).
  • Cependant, cette œuvre de construction de la doctrine publiciste n’aurait pas été possible sans celle de Silvio Spaventa (1822-1893). Il n’est pas proprement un auteur, car il a surtout été un politicien libéral engagé dans la bataille pour l’unification italienne. Mais la trace de ses batailles, politiques et juridiques au même temps, est encore présente dans l’ordre juridique italien. Bien que Silvio Spaventa soit normalement cité dans tous les manuels de droit administratif, son œuvre est anormalement sous-évalué en Italie. Silvio Spaventa, pourtant, a posé les bases de deux piliers du droit administratif italien. Il s’est battu pour la création de la IVe section du conseil d’Etat en formation juridictionnelle (dont il a été le premier Président, lors de son institution en 1889). Une loi de 1865 avait effectivement supprimé le contentieux administratif et gardé la seule juridiction du juge judicaire. Pour garantir la justice dans l’administration et la protection des citoyens contre les abus des administrations, Spaventa a conduit une importante bataille politique (les manuels de droit administratif rappellent son discours concernant La giustizia nell’amministrazione prononcé en 1880 à l’assemblée constitutionnelle de Bergamo, publié dans la Gazzetta provinciale di Bergamo, dans lequel il a affirmé une idée moderne et très actuelle de justice « dans » l’administration : « la libertà oggi deve cercarsi non tanto nella costituzione e nelle leggi politiche, quanto nell’amministrazione e nelle leggi amministrative»). La réalisation de la IVe section du Conseil d’Etat en fonction juridictionnelle, et donc de la juridiction administrative italienne elle-même, est bien ainsi l’œuvre de Spaventa. En outre, on doit rappeler sa bataille pour la nationalisation des chemins de fer, souvent oubliée, conduite dans le siège du gouvernement d’Italie en tant que ministre des travaux publics entre le 1874 et le 1876. Bataille qui fut la cause de la chute du gouvernement libéral qui avait réalisé l’unification italienne. Dans les rapports, écrits par lui-même et présentés par le Gouvernement au Parlement en mars 1876 (« Lo Stato e le ferrovie » & « Sul riscatto ed esercizio delle ferrovie italiane »), à l’occasion de la discussion concernant la nationalisation des chemins de fer, Spaventa a affirmé l’idée de service public en Italie et la responsabilité de l’Etat dans la fourniture de ces services. En particulier, il a soutenu la nécessité de la réserve étatique des activités d’entreprise, comme celle des chemins de fers, indispensables pour la satisfaction des intérêts sociaux des citoyens ; il a énoncé, dans ses écrits et dans ses discours, les lois du service public, comme l’égalité, la continuité, l’adaptation aux besoins de l’usager. Bien qu’il ait perdu cette bataille sur le plan politique, ces idées se sont affirmées sur le plan juridique au cours des décennies suivants et elles démurent vivantes sur le plan culturel, encore plus actuelles aujourd’hui, dans une période caractérisée par la généralisation de l’économie de marché qui est en train de provoquer une profonde révision de l’idée étatique en tant qu’institution sociale consacrée à l’actuation des intérêt sociaux.
  • Bien que l’ouvre de Santi Romano (1875 – 1947), avec sa théorie institutionnelle et de la pluralité des ordres juridiques ait eu un gros succès sur le plan non seulement italien mais européen, et qu’elle soit aujourd’hui, dans un monde globalisé, encore plus actuelle qu’avant, le juriste qui est réussi à émanciper la culture juridique italienne du positivisme juridique et de son corollaire, c’est-à-dire le formalisme, a été sans aucun doute son élève Massimo Severo Giannini (1915-2000). Il a relié le droit aux facteurs historiques et sociales, soutenant que dans l’interprétation des normes il ne faut pas utiliser seulement les donnés de droit positif, mais il faut également donner espace à le réalité, à la vie, aux aspect sociaux. Cela a permis de reconsidérer la science même du droit administratif, non plus entendue comme une doctrine formaliste qui s’occupe exclusivement de l’acte administrative et de sa théorie (réduite, comme l’a écrit Alessandro Pajno, actuel Président du Conseil d’Etat, à une « technologie de l’acte administratif»), mais comme une science qui sert à comprendre et à garantir le développement de la société. Il a donc contribué à expliquer la transformation de l’Etat, devenu pluraliste et social, non plus en termes de puissance et de personne juridique. Il a ainsi connecté les études juridiques à la sociologie et à la politologie (comme observé par Sabino Cassese, le plus grand juriste italien contemporain, dont Giannini a été l’élève). Ses ouvres (notamment celles concernant l’interprétation de l’acte administratif et le pouvoir discrétionnaire) ont poussé l’administration et les juges à occuper une place de plus en plus importante dans la vie de l’ordre juridique et de se faire interprètes des intérêts sociaux émergeants au sein de la société, intérêts auxquels le législateur ne réussît pas à répondre. Il comprit que la notion d’intérêt public, cristallisé dans la loi, n’était pas capable de représenter une convenable limitation de l’action de l’administration, car les intérêts publics sont plusieurs et ils sont normalement en conflit entre eux. L’essence du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique était donc, d’après Giannini, celle de concilier ces intérêts entre eux et avec les intérêts des particuliers. En autre, Massimo Severo Gannini a été un théorique du pluralisme du droit administratif. En tant que président de la commission qui a eu la tâche de préparer les décrets pour l’actuation du transfert des compétences aux régions, il a guidé ce processus d’actuation du régionalisme italien, qui a posé les bases d’un droit administratif non plus exclusivement étatique.

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

La loi sur la procédure administrative de 1990 et la loi de réforme du procès administratif de 2010 assument une importance centrale parmi les sources de droit administratif.

La première loi a été approuvée à la suite d’un important débat doctrinale concernant la nécessité de régler la procédure administrative, qui n’avait jamais eu une réglementation organique, et qui se fondait surtout sur les principes élaborés par le juge administratif.

La loi n. 241 de 1990 est née des travaux d’une commission gouvernementale dont le président a été un des pères du droit administratif, Mario Nigro, qui avait compris que l’élargissement des tâches administratives et du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique, dans un cadre de complexité sociale croissante, imposaient la réglementation de la participation des particuliers à la procédure administrative. Cela non seulement dans le but d’approfondir l’enquête / l’examen / l’instruction de la procédure mais aussi pour assurer à l’action de l’administration un consensus sociale davantage nécessaire pour la réalisation d’intervention complexes (comme les ouvrages publics, par exemple, qui ne peuvent plus s’imposer aux administrés à travers le seul exercice de l’autorité). Cette loi à donc offert des outils à l’administration publique pour s’ouvrir à la dimension sociale et pour rendre perméable l’exercice du pouvoir par la concrète dynamiques des intérêts, dans la mesure où l’exercice du pouvoir passe à travers une procédure où peuvent participer non seulement les administrés « directement » intéressés à l’acte administratif, mais aussi les associations qui protègent des intérêts collectifs.

La loi concernant le procès administratif complète la modernisation du droit administratif déclenchée par la loi de 1990. Comme la nouvelle procédure à donnée à l’administration des outils pour mieux évaluer les intérêts substantiels des citoyens, ainsi la réforme du procès administratif (d.lgs. 104 de 2010) a permis au juge de satisfaire plus efficacement les intérêts substantiels des particuliers compromis par l’action administrative. Tout d’abord la codification, en elle-même, a fourni aux citoyens un cadre organique de règles, en éliminant les incertitudes. En outre, l’ouverture du procès à la prouve par témoins rend ce procès plus perméable aux faits et donc aux besoins sociaux. Enfin, la possibilité de prendre des mesures d’urgence atypiques, permet au juge de mieux protéger les intérêts substantiels de l’administré.

Donc un outil qui va dans la direction de la garantie de l’effectivité de la protection juridictionnelle et qui contribue encore plus à faire du juge admiratif un interprète efficace de la demande de justice des citoyens.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

L’édifice du droit administratif a été réalisé par la jurisprudence administrative en ce qui concerne à la fois le droit administratif substantiel et celui procédural. L’effort de rationalisation du juge administratif s’est avéré fondamental dans la construction de ce droit ainsi que dans le maintien de sa cohérence. On n’exagère pas si l’on affirme que le droit administratif coïncide avec la jurisprudence du juge administratif, surtout avec celle du Conseil d’Etat, dont l’interprétation est, en principe, fidèlement respecté par les juges de première instance. Les plus importantes constructions juridiques ont été élaborés par cette jurisprudence, qui a aussi construit les principes de ce droit, auxquels est reconnu une force juridique supérieure à la loi.

Cependant, la question du repart de compétence entre juge judiciaire et juge administratif a eu une importance préliminaire dans la construction du droit administratif, car elle a contribué à définir le volume de l’édifice (donc l’espace de ce droit). Cette jurisprudence à intéressé non seulement le Conseil d’Etat, mais aussi la Cour de Cassation, dans sa fonction de juge de la juridiction et, en 2004, la Cour Constitutionnelle.

La question de la compétence du juge administratif a été controversée depuis toujours, car la loi de 1889 disposait que le recours au juge admiratif pouvait être présenté par qui avait un «intérêt».

Il était donc difficile à comprendre quand il y avait la compétence du juge administratif et, surtout, si l’existence d’un droit excluait cette juridiction. Il y a eu une longue période de conflit entre Conseil d’Etat et Cassation, la quelle avait tendance à exclure la juridiction du juge administratif dans le cas où elle considérait que l’acte administratif, expression de la puissance publique, affectait tout de même un droit subjectif (provocant ainsi une substantielle irresponsabilité des actes du pouvoir exécutif).

Le conseil d’Etat, dans l’arrêt de 1930, quand le président était Santi Romano, à éclairci que sa compétence devait être affirmée sur la base de deux paramètres : en rapport à ce qui demande le particulier (petitum), c’est-à-dire dans le cas où il demande l’annulation d’un acte administratif, mais aussi, en même temps, quand la nature de la situation juridique que le particulier fait valoir était un intérêt légitime.

La Cour de Cassation en 1949 a complété ce cadre dans la mesure où elle a éclairci que les actes de l’administration publique, expression de la puissance publique, ont comme effet celui de transformer les droits des particuliers, affectés par l’action de l’administration, en « intérêts légitimes ». Par conséquence, le juge judicaire pourrait juger d’un acte administratif seulement dans la mesure où l’administration publique a agi sans avoir aucun pouvoir, donc au même titre d’un particulier.

Dans un but de simplification, au cours des derniers décennies le législateur a fait un large usage de la possibilité, prévue par la constituions, d’attribuer au juge administrative une compétence étendue, en même temps, aux droits et aux intérêts, dans certaines matières où ces situations juridiques sont inextricablement liées.

En 1998 et en 2000 ce type de compétence du juge administratif avait eu une grande extension. Pour simplifier les questions liées à la juridiction et pour mieux garantir l’effectivité de la protection juridictionnelle des blocs de matières, comme les services publics, ont été attribués au juge administratif.

En 2004 (arrêt n. 204), la Cour constitutionnelle a annulé partiellement une telle extension de compétence du juge administratif. Selon la Cour, la Constitution républicaine a prévu la règle de l’attribution de la compétence concernant les droits au juge judicaire et celle concernant les intérêts au juge administratif. Si la possibilité de déroger à ce critère de repart est une exception, cet exception doit être limitée aux cas où les droits et les intérêts sont étroitement liées, et non pas à des blocs de matières génériquement liés aux intérêts public. Seulement dans le premier cas cette extension est une garantie de l’effectivité de protection juridictionnelle. L’extension de la compétence du juge administratif aux compétences concernant tous « les services publics », ne trouve donc pas de justification sur le plan constitutionnelle, car cette attribution (services publics) est tellement large qui perd sa concession avec les situations juridiques où droits et intérêts sont étroitement liés. La Cour a donc reformulé la disposition, en précisant quand, dans le domaine des services publics, il y a la compétence du juge administratif.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Certainement il y a un droit administratif traditionnel, lié à l’expérience de l’Etat libéral, centralisateur et hiérarchisé. Cependant, il existe (mais il a toujours existé) un droit administratif en transformation. Une transformation qui a permis au droit administratif de se confronter aux nouvelles exigences sociales de sociétés davantage complexes pour y donner des réponses efficaces.

Avec la pluralisation des centres de décision, au-dessous et au-dessus de l’Etat, le droit administratif s’est éloigné de son centre unique de référence (l’Etat), mais cette fragmentation de la personne étatique n’a pas provoqué la fin du droit administratif. Au contraire, ce droit a eu la fonction d’étendre ses principes fondamentaux, nés pour guider l’action publique étatique, à l’ensemble des organisations publiques ultra étatiques ou infra étatiques, en contribuent ainsi à garantir la cohérence de leur action et, en définitive, leur même légitimation.

Les principes du droit administratif et, avec eux, le droit administratif lui-même, ont donc dépassés la crise du leur créateur, l’Etat, et se sont affirmés en tant que principes généraux de l’action publique infra et ultra étatique.

Cependant, il y a des indices dans le droit positif qui font entrevoir une tendance de régression vers un droit administratif des origines, caractérisé par des traits autoritaires. Un droit conçu pour le pouvoir, non plus pour la limitation du pouvoir.

Plusieurs sont les indices de cette tendance : l’idée que le droit commun reconduirait les particuliers et administration sur une position d’égalité (l’art. 1 de la loi concernant la procédure administrative de 1990, reformulé en 2005 : « La pubblica amministrazione, nell’adozione di atti di natura non autoritativa, agisce secondo le norme di diritto privato salvo che la legge disponga diversamente ») ; l’idée que les règles administratives, lourdes, ralentissent l’efficacité de l’action publique (au nom de la simplification, on a drastiquement réduit les contrôles de légitimité et on a approuvé un corps de règles dérogatoires par rapport au droit administratif traditionnel, pour garantir la vitesse de la procédure) ; l’idée que l’intervention publique directe doit être empêchée pour assurer l’application généralisé de la loi du marché. Le même débat concernant l’abolition du juge administratif lui-même, considéré comme obstacle à l’efficacité de l’action administrative, se relie à cette tendance.

Tout cela contribue à donner une marge de liberté plus ample au pouvoir politique et à l’entreprise, en mettant en péril non tant le droit administratif en soi, mais plutôt sa fonction de conciliation entre autorité et liberté.

La résistance de cette branche du droit aux forces visant à l’homologuer, en compromettant ainsi sa spécialité, est quand même forte et trouve sa source dans la force normative des principes de ce droit et son gardien dans le juge administratif. Comme le juge administratif a édifié le droit administratif à travers sa jurisprudence, aujourd’hui c’est sur ce juge qui pèse la tâche de reconduire dans un système rationnel et cohérent les récentes réformes administratives, qui sont guidées par une fausse idée de simplification (au moins en Italie); une tendance qui va dans une direction qui éloigne de droit de son code génétique (qui a toujours été celui de limiter concrètement le pouvoir) ; code génétique dont le juge administratif est, désormais, le vrai gardien.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Si l’on entend le droit administratif de demain celui exprimé par la perspective pessimiste ci-dessous citée, la distinction est simple. Le droit administratif qu’est en train de se développer est un droit administratif qui marche vers l’affaiblissement de sa spécialité et de sa vocation à la réalisation de l’intérêt général.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Le droit administratif est un produit de l’Etat moderne. L’européisation du droit administratif, si a entamé les compétences de l’Etat comme décideur politique, n’a cependant pas affaibli celles de l’administration, qui reste l’exécuteur principal de ce droit supranational. Le droit administratif européen devient ainsi un droit mis en œuvre par l’Etat, les Régions et les communes dans le cadre d’un procès d’hybridation.

Les compétences des administrations étatiques et infra étatiques se sont élargies à la suite du droit européen. Le droit administratif italien s’est donc intégré avec celui européen, en gardant un rôle central en tant que cadre de principes de l’action publique, principes qui trouvent leur légitimation dans la constitution républicaine. Si le droit européen éloigne le droit administratif de l’Etat, ne l’éloigne pas de ses principes et de sa fonction.

Un discours diffèrent concerne le droit de la globalisation économique, processus dans le quel jouent de façon importante les Etats et l’Union européenne, qui ne sont pas cependant les seuls acteurs. La globalisation des marchés est un est un phénomène économique antagoniste aux Etats, qui vise à soumettre les Etats à ces propres fins en faisant des Etats les agents du droit du marché, qui doivent mettre a disposition leur puissance pour l’actuation de finalités qui les dépassent. La globalisation économique produit un droit radical, qui ne doit garantir que l’application d’un seul principe (la concurrence) et servir un intérêt abstrait (neutre). Ce processus met en péril à la fois fonction et principes du droit administratif et des Constitutions nationales. Considérant la vitesse des changements actuels, l’ambiguïté du processus, et le fait qu’il s’agit d’un processus récent, pour l’instant c’est plus convenable suspendre le jugement, car ce nouveau droit est en formation et transformation rapide. On verra donc si cette transformation, qui est sous nos yeux, redonnerait leur place aux intérêts sociaux et à l’intérêt général. Comme l’a dit Zygmunt Bauman à propos de la condition humaine, on peut dire pour le droit de la globalisation: « Suspendu entre le ‘non plus’ et le ‘pas encore’, [ce droit] est le [droit] de l’indéchiffrable, de l’interrègne ».

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

La place du droit administratif dans la société contemporaine s’est accrue avec l’élargissement des domaines administrés. Dans une société où tous les aspects de la vie (individuelle et sociale) sont règlementés, où il a une sorte de pan-juridisme, où le droit s’occupe de tout de la protection de l’environnement jusqu’aux aspects plus intime de la vie individuelle, affectant l’entier catalogue des droits fondamentaux, la place du droit administratif est encore plus important qu’hier.

Plus augmente l’exigence de réglementation, plus augment l’extension du pouvoir, plus augmente la nécessité d’un un droit voué à la conciliation entre autorité et liberté.

Aujourd’hui on comprend encore mieux le rôle fondamental joué par le droit administratif. Si la conciliation entre autorité et liberté est une prérogative des constituions, le droit administratif représente cependant le terrain le plus important où se déroule cette confrontation, où ce conflit s’aperçois dans sa dimension réelle. Le droit administratif c’est donc le lieu où s’exprime continûment la globalité des intérêts individuels : de la liberté du commerce jusqu’à la protection de la vie privée ; de la protection de l’environnement à la sureté, de l’instruction jusqu’à de la santé. Ce droit spécial, détaché de l’Etat s’encre aux pouvoirs, en assurant toujours la même fonction: celle de soumettre l’action du pouvoir au droit au fin protéger les droits et les libertés des citoyens qui trouvent leur concrétisation dans la vie social.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un « ircocervo », car il a toujours été traversé par des tensions contradictoires, donc il a une double nature (autorité et liberté).

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le chevalier qui n’existe pas (I. Calvino), si l’on pense aux tensions actuelles qui essaient de vider le droit administratif de sa substance sociale (biens et services publics) pour n’en utiliser que l’armure (la puissance publique).

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Ce serait un tableau de Picasso de la période cubiste, car ces tableaux rendent très bien la dimension du mouvement, donc de la transformation continue, ce qui représente une constante du droit administratif.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 169.

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ParJDA

Questionnaire du Pr. Houle (29/50)

France Houle
Professeur de droit à l’Université de Montréal

Art. 168.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

En droit québécois, le droit administratif suit la tradition de common law et non celle de droit civil. En effet, au Québec, le droit privé est de tradition civiliste ; le droit public, de tradition de common law britannique (et non américaine). Donc, en common law britannique, le droit administratif s’intéresse principalement au contrôle judiciaire des actes de l’administration et aussi au processus réglementaire. Au Québec, la tradition britannique s’est enrichie de la tradition continentale en ce que plusieurs de nos professeurs ont fait leur doctorat en France.

2 – Qu’est ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ? 

Voir réponse question 1.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

J’en doute.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • René Dussault
  • David Mullan

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Le principe de déférence
  • Les normes de contrôle
  • L’équité procédurale

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

Pour ce qui est du contrôle judiciaire, les décisions de la Cour suprême du Canada :

  • C.U.P.E. v. N.B. Liquor Corporation, [1979] 2 S.C.R. 227
  • Dunsmuirv. New Brunswick, [2008] 1 S.C.R. 190

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Hier : Droit administratif local ; demain, droit administratif global.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?  

Au Canada et au Québec, le droit administratif local s’intéresse principalement au droit national; le droit administratif est en construction et s’intéresse notamment aux institutions supranationales et leurs normativités.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Pour le moment, encore largement un droit national au Canada ; la prise en compte du droit international ou supranational en droit national reste encore très marginal.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Très importante. Difficile d’envisager un retour en arrière ou un démantèlement de l’État administratif. D’ailleurs, l’École de Chicago a tenté le virage vers la dérèglementation, mais les résultats –du moins au Canada- sont plutôt modestes. Le Canada reste un État social-démocrate et dont la social-démocratie est plus développée que chez nos voisins américains, mais moins que chez nos amis européens.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Au Canada et au Québec, un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Un livre de poésie de Guillaume Apollinaire – surréel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les horloges molles de Dali – tout aussi surréel.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 168.

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ParJDA

Questionnaire du Pr. Franch-Saguer (28/50)

Marta Franch-Saguer
Professeur à l’Université autonome de Barcelone

Art. 167.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Une possible définition du droit administratif serait la suivante : branche du droit public, le droit administratif est constitué de l’ensemble des règles qui s’appliquent à l’administration. Ces règles sont dérogatoires au droit privé en raison de l’objet même du droit administratif, qui est la défense de l’intérêt public.

A partir de cette définition, on peut inclure dans le droit administratif tout ce qui se réfère à l’organisation du secteur public, à ses activités (fourniture de services publics, police…), à ses relations avec les citoyens et autres personnes publiques ou privées, ainsi que le contrôle de ses actions, qu’elles soient administratives ou judiciaires.

Les particularités de ce droit supposent la création d’un système normatif, ayant certaines caractéristiques, techniques et principes propres qui le différencient des autres branches du droit.

De plus, il se caractérise comme un droit statutaire puisque dans une partie de la relation il y a toujours une administration publique avec des prérogatives de puissance publique, mais qui reste à tout moment soumise à la loi et de manière plus générale à l’ordre juridique dans son ensemble.

2 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif de votre pays ?

Les singularités les plus importantes sont :

La grande diversité des secteurs et spécialités qu’il contient. Le droit administratif est un droit qui comprend de multiples “droits administratifs”.

Un droit en évolution tant pour des raisons internes (lois de transparence, d’administration électronique…) qu’en raison de phénomènes de globalisation et d’européanisation.

L’article 2 de la Constitution espagnole dispose : « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles ». La distribution des compétences entre l’Etat et les Communautés autonomes est garantie par la Constitution espagnole dans ton titre VIII. Cette distribution des compétences marque notre droit public puisqu’il se réparti entre le niveau étatique, le niveau autonome ou le niveau local qui détient la compétence. L’article 137 de la Constitution dispose que : « L’État, dans son organisation territoriale, se compose de communes, de provinces et des Communautés autonomes qui se constitueront. Toutes ces entités jouissent d’autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs ».

Un droit administratif marqué par l’autonomie des communes et des provinces pour la gestion de leurs intérêts selon ce qui est établi dans la Constitution. L’article 140 dispose : « La Constitution garantit l’autonomie des communes. Celles-ci auront la pleine personnalité juridique. Leur gouvernement et leur administration incombent à leurs conseils municipaux respectifs, formés par les maires et les conseillers. Les conseillers seront élus par les habitants de la commune au suffrage universel, égal, libre, direct et secret, sous la forme établie par la loi. Les maires seront élus par les conseillers ou par les habitants inscrits. La loi déterminera les conditions dans lesquelles il conviendra d’établir le régime du conseil ouvert ».

Notre droit administratif se créé et se construit à travers des normes (lois ou règlements) et la jurisprudence créé les principes généraux qui interprètent, dirigent et structurent le droit administratif. En droit espagnol, la jurisprudence n’est pas une source directe de création de droit mais une source d’interprétation du droit.

C’est un droit protecteur et de privilèges. Il faut souligner en particulier que la régulation de la procédure administrative se trouve dans une loi spécifique. Il s’agit de la Loi n° 39-2015, du 1er octobre 2015, relative à la Procédure Administrative de droit commun des administrations publiques.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Puissance publique et limites.

Le droit administratif est basé sur un déséquilibre de pouvoir, qui se traduit par l’attribution, par l’ordre juridique, de prérogatives de puissance publique aux personnes publiques. Mais ce déséquilibre se trouve en même temps compensé par un ensemble de garanties qui limite et canalise le pouvoir : la procédure administrative, les finalités qui la justifie, le contrôle administratif et judiciaire, la responsabilité administrative, la garantie patrimoniale – notamment l’indemnisation et la responsabilité administrative – les différents versants du principe de légalité (principe de légalité, soumission à la loi et à l’ensemble de l’ordre juridique…)

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

Le Professeur Eduardo García de Enterría (1923-2013)

Juriste espagnol du XXème siècle, il a joué un rôle essentiel dans la création et la formation du Droit public en Espagne. Il a été avocat au Conseil d’Etat ainsi que professeur d’Université depuis 1957 à Valladolid et, ultérieurement, à l’Université Complutense de Madrid en 1962.  Sa grande contribution au droit administratif espagnol et international se retrouve particulièrement dans « Cours de Droit Administratif », en deux volumes, en collaboration avec Tomás Ramón Fernández ainsi que dans ses nombreuses publications, puisqu’il a publié plus de trente livres.

Il faut plus particulièrement citer :

  • Révolution Française et Administration contemporaine (« Revolución Francesa y Administración contemporánea »)
  • La langue des droits (« La lengua de los derechos »)
  • La lutte contre les immunités du Pouvoir dans le Droit Administratif (« La lucha contra las inmunidades del Poder en el Derecho administrativo »)
  • La responsabilité patrimoniale de l’Etat-législateur dans le Droit espagnol (« La responsabilidad patrimonial del Estado legislador en el Derecho español »)
  • Démocratie, juges et contrôle de l’Administration (« Democracia, jueces y control de la Administración »)
  • La Constitution comme norme et le Tribunal Constitutionnel (« La Constitución como norma y el Tribunal Constitucional »)

Il a aussi reçu plusieurs prix :Prix Prince d’Asturies de Sciences Sociales (1984), Alexis de Tocqueville de l’Institut Européen d’Administration (1999) et le Prix International Menéndez Pelayo (2006). Enfin, il a reçu le titre de Docteur honoris causa, remis par diverses Universités espagnoles, européennes et d’Amérique Latine.

Prof. Jesus Leguina  (1941- 2016)

Il a d’abord exercé à la chaire de San Sebastian, où il en fut aussi le Doyen. Il poursuivit par la suite à l’Université de Alcalá de Henares.Il a été le directeur de thèses en doctorat d’importants juristes espagnols, tous dédiés à la vie universitaire dans les diverses Universités espagnoles.On relève parmi eux: Luis Ortega, Miguel Sánchez Morón, Carmen Chinchilla, Iñaki Agirreazkuenaga   Martín Razquin, Diego Vera, Eva Desdentado, Ximena Lazo y  Edorta Cobreros, notamment. Il est élu magistrat du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire et il fut aussi Magistrat au Tribunal Constitutionnel (de février 1986 à juillet 1992).  En 1992, il reprend son activité universitaire et occupe la chaire de Droit Administratif.  En 1994 il est élu Conseiller de la Banque d’Espagne, poste qu’il occupa jusqu’à 2000. Ultérieurement, il exerça un second mandat de 2004 à 2010. En 2006, le titre de Docteur Honoris Causa lui est remis par l’Université de Castilla-La Mancha.

Il convient de citer parmi ses diverses œuvres :

  • La responsabilité civile de l’Administration publique, 1970 (La responsabilidad civil de la Administración Pública)
  • Dépenses publiques et manquements aux contrats d’œuvres éducatives, 1978 (Gasto público e incumplimiento de contratos de obras educativas)
  • Ecrits sur les autonomies territoriales, 1984 (Escritos sobre autonomías territoriales)
  • Nouvelle règle du régime juridique des Administrations publiques, 1993 (Nueva Ley de régimen jurídico de las Administraciones Públicas)
  • Action administrative et développement rural, 1994 (Acción administrativa y desarrollo rural)
  • La réforme de la Loi de la juridiction contentieuse-administrative, 1995 (La reforma de la Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa)

Prof. Luciano Parejo

Professeur de Droit Administratif de l’Université de La Laguna (1983) et d’Alcalá de Henares (1989) et, depuis 1990, de l’Université Carlos III de Madrid. Il a été Doyen de la faculté des Sciences Sociales et Juridiques de l’Université Carlos III de Madrid, Secrétaire Général et Vice-recteur du corps-enseignant et des Services et Vice-recteur de Coordination. Il a été également Recteur de l’Université International Menéndez Pelayo en 2005 et 2006 et nommé Recteur Honoraire en 2008. Directeur Général de l’Institut de l’Administration Locale (1983-1985) ; Secrétaire Adjoint des Ministères d’Administration Territoriale (1985-1986), et des Administrations publiques  (1986-1987) ; Président de l’Institut National d’Administration Publique (1987-1989).Il a été honoré du titre de Docteur Honoris Causa attribué par plusieurs universités : l’Université de Tucumán (Argentine), l’Université Catholique de Tachira (Venezuela) et l’Université de Valparaiso (Chili).

Il faut citer, parmi ses œuvres récentes :

  • Transformation et réforme du droit administratif en Espagne. Edité par INAP (Institut d’Administration Publique), Editorial Derecho Global. Madrid 2012 («Transformación y ¿reforma? del Derecho Administrativo en España»)
  • La Discipline Urbanistique, 2e Edition, Editorial Iustel, 2012 (“La Disciplina Urbanística”)
  • Le Concept de Droit Administratif, Ed. Jurídica Venezolana y Universidad Externado de Colombia, 2ª ed. Actualizada, Bogotá 2009, 594 p. (“El concepto del Derecho Administrativo»)
  • Commentaires du Texte Refondé de la Loi du Sol Real Decreto Legislativo 2/2008, du 20 juin, en collaboration avec G. Roger Fernández, Ed. Iustel, Madrid, 2009 («Comentarios al Texto Refundido de la Ley de Suelo»)
  • Loi de la juridiction contentieuse-administrative. Ed. Tirant lo Blanch, Valencia 2008 (“Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa”)

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Loi 39/2015 du 1er octobre, sur la Procédure Administrative commune des Administrations Publiques. Cette loi encadre la procédure administrative générale que doivent suivre toutes les Administrations espagnoles lorsqu’elles exercent leur pouvoir administratif. Elle établit les étapes, qui peuvent être précisées par d’autres normes. Elle régule la procédure administrative, le régime juridique des actes administratifs, les différents contrôles de l’Administration (notamment les recours administratifs), les procédures de sanction et de responsabilité administrative. La grande nouveauté est que la Loi prévoit un fonctionnement entièrement électronique, qui, selon le Préambule, permet de mieux servir “ les principes d’efficacité et d’efficience, en économisant des coûts aux citoyens et aux entreprises, et renforce les garanties des intéressés”. Cette loi renforce, avec les autres lois de transparence adoptées par l’Etat et la Catalogne, le principe de bonne administration. En effet, l’enregistrement des documents et des actions menées dans un dossier électronique facilite le respect des obligations de transparence, puisque cela permet d’offrir aux intéressés une information ponctuelle, souple et actualisée.La loi introduit, dans le titre VI, la régulation sur l’initiative législative et le pouvoir normatif des Administrations Publiques. Sont retranscrits dans la loi les principes que doit respecter l’Administration dans l’exercice de son pouvoir, rendant ainsi effectifs les droits constitutionnels en la matière.
  • La loi 40/2015 du 1er octobre, du Régime Juridique du Secteur Public. Cette loi encadre, comme son nom l’indique, le régime juridique des Administrations Publiques ainsi que celui du secteur public institutionnel.Elle présente la réforme de l’organisation et du fonctionnement du secteur public et régule ad intra le fonctionnement interne de chaque Administration et des relations entre elles.Son article 2 énumère tout ce que comprend le concept de secteur public. Celui-ci est formé par: l’Administration Générale de l’Etat, les Administrations des Communautés Autonomes, les Entités qui intègrent l’Administration Locale et le secteur public institutionnel.Le secteur public institutionnel est formé par: a) tous les organismes publics et entités de droit public liées ou dépendantes des Administrations publiques ; b) Les entités de droit privé liées ou dépendantes des Administrations Publiques qui sont soumises au respect de ce que prévoit les normes de la Loi qui se réfèrent spécifiquement à celles-ci, en particulier aux principes prévus dans l’article 3, et, dans tous les cas, lorsqu’ils exercent les pouvoirs administratifs ; c) Les Universités publiques qui se régissent par leur propre loi spéciale ainsi que par les prévisions de la présente loi. Cette législation régule le régime juridique administratif, applicable à toutes les Administrations Publiques ainsi que le régime juridique spécifique de l’Administration Générale de l’Etat. Enfin, la Loi régule les relations internes entre les Administrations, instaurant les principes généraux des actions administratives et les relations entre les différentes personnes publiques.
  • Décret Royal Législatif 3/2011, du 14 novembre, par lequel est adopté le texte refondé de la Loi des Contrats du Secteur public. Par ce Décret Royal, ont été réunies en un texte unique toutes les modifications introduites à la Loi 30/2007, du 30 octobre par diverses lois modificatives qui ont donné une nouvelle rédaction à certains concepts ou qui ont introduit de nouvelles dispositions.
  • La Loi 30/2007, qui transpose la Directive 2004/18/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. La Directive 2014//24/UE du Parlement Européen, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE. De plus, l’Union Européenne a adopté une autre Directive 2014/23/UE du Parlement Européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession. Elles n’ont pas encore été transposées en droit espagnol. Depuis le 16 mars 2017, le Congrès discute du Projet de Loi des Contrats du Secteur Public, par lequel sont transposées dans l’ordre juridique espagnol les Directives du Parlement Européen et du Conseil 2014/23/UE et 2014/24/UE, du 26 février 2014.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

En Espagne, c’est très difficile de choisir des décisions juridictionnelles qui déterminent la ligne jurisprudentielle. La raison, comme on déjà dit, c’est que la Constitution, la loi, les règlements priment sur la jurisprudence qui n’a que pour fonction de compléter l’ordonnancement juridique.

  • Le Tribunal Constitutionnel (Ley Orgánica 2/1979, de 3 de octubre del Tribunal Constitucional, LOTC ) est l’interprète suprême de la Constitution, grâce à différents mécanismes prévus dans l’art 2 LOTC.
  • Le recours d’Amparo protège contre les violations des droits fondamentaux et des libertés publiques (article 14 a 29 de la Constitution). L’Amparo constitutionnel a pour seul objectif le rétablissement, la protection des droits et libertés selon l’article 41.
  • On ne peut pas oublier le rôle déterminant que joue la jurisprudence du Tribunal de justice de l’Union Européenne dans l’interprétation des normes qui sont de manière directe ou indirecte déterminés par le droit européen.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Je crois que oui. Le droit administratif d’hier c’était un droit administratif « obscur » qui tournait sur l’Administration elle-même et, quelques fois, en défense des intérêts propres de l’Administration.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Aujourd’hui l’intérêt public et la forme de sa détermination devient le centre du droit public. Cette détermination qui devient chaque fois plus transparente et pourtant plus proche des citoyens qui peuvent connaitre et contrôler le processus à travers lequel l’administration décide.  Le dossier, « l’expédient » administratif doit être connu pour le citoyen et comme ça connaitre les vraies motivations de la décision administrative.

Le droit « d’hier » était un droit de contrôle préalable, avec des mécanismes d’autorisation, permission… ou même de silence négatif.  Le droit d’aujourd’hui, influencé par le droit européen est devenu un droit de contrôle a posteriori. Le droit européen repose sur l’élimination des obstacles injustifiés et disproportionnés pour l’accès et l’exercice d’une activité administratives et de services mais il laisse au régulateur la détermination des besoins proportionnés pour pouvoir exercer l’activité et aux entrepreneurs de services la responsabilité de les accomplir pour pouvoir commencer son activité. L’Administration doit se convertir dans le droit administratif « d’aujourd‘hui » :  une Administration qui exerce un contrôle a posteriori.

Le droit Administratif devient et encore deviendra dans le futur immédiat un droit plus efficient, plus claire, plus accessible, et surtout comportera une modernisation de l’organisation administrative, qui devra être plus au service du citoyen et moins au service de l’Administration et moins au service seulement des grands acteurs économiques.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Non, le droit administratif ne reste plus un droit national fermé même s’il y a toujours des structures, techniques, sources qui sont tout à fait propres et qu’appartiennent à l’idiosyncrasie de chaque pays. Mais le droit international surtout en matière économique (secteurs économiques et contrats) à travers les grandes institutions (comme le FMI, la Banques Mondiale, le BID, )  ou des organismes internationales ( OMC, OCDE…) imposent des règles Dans le cas de l’Europe, le droit primaire et le droit dérivé ont transformé notre manière de faire, de comprendre et d’appliquer le droit. Les Règlements, les directives, avec quelques fois notre lente transposition, et les arrêts de la CJUE ne nous permettent plus d’appliquer et d’interpréter notre droit sans devoir aller vers une conception plus large du droit.

Cette influence, soit européenne soit plus internationale, suppose aussi que les droits internes soient transformés par ces nouveaux principes et règles qui inspirent et structurent nos droits administratifs.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Une place très importante de régulateur et d’arbitre d’une activité économique qui ne se tient pas seulement avec les règles des marchés. La dernière crise financière nous a montré l’importance de la régulation, des autorités indépendantes, du contrôle de l’Administration…. La libéralisation des marchés nous a fait prendre conscience qu’il faut une intervention publique pour que le marché fonctionne. L’organisation de l’Administration doit aussi être une partie importante dans l’avenir du droit administratif. Il faut construire une Administration au service de l’intérêt public qui réponde aux besoins de la société et pas une Administration qui trouve son but à accomplir les volontés des hauts fonctionnaires de l’Administration. Il faut redéfinir qu’elle sorte d’employés de l’Administration nous souhaitons : des fonctionnaires ? des employés soumis au code du travail ? La réponse est très importante parce qu’on aura une Administration plus ou moins objective, plus au moins au service du pouvoir.   En l’Espagne, il y a des changements dans beaucoup d’emplois dans les services publics qui sont passés d’emplois occupés par des fonctionnaires à des emplois occupés par des différents sortes de contrat de travail. Les contrats publics avec ses principes (publicité, transparence, concurrence, égalité, non-discrimination) seront dans le noyau de tout sorte d’emploi des fonds publiques. L’extension subjective et objective des contrats publics sera un des grands sujets du droit administratif contemporain et futur. Et finalement et toujours la détermination de l’intérêt public et sa recherche que finalement est la raison et le but de la puissance publique.

 

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif », (dir. Touzeil-Divina); Art. 167.

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ParJDA

Questionnaire du Pr. Ciaudo (27/50)

Alexandre Ciaudo
Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté

Art. 166.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit régissant l’organisation et le fonctionnement de l’activité administrative.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

A mon sens, le droit administratif s’inscrit dans la continuité de l’action de l’Etat et des personnes publiques. Il n’y a donc pas un droit administratif d’hier et un droit administratif de demain. Le droit administratif évolue avec l’activité administrative qu’il est censé régir.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif réside dans le fait qu’il est façonné et en permanence remodelé par le Conseil d’Etat. La dualité fonctionnelle du Conseil d’Etat français, à la fois conseil de Gouvernement et juge administratif suprême, chargé donc de donner son avis sur les textes de lois et de décrets, mais également de contrôler la légalité de l’action administrative, constitue la spécificité du droit administratif français. Elle résulte ainsi non seulement de la conception spécifique française de la séparation des pouvoirs, mais également du choix du constituant d’avoir conservé une institution napoléonienne.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je dirais que le moteur du droit administratif est la légalité et que la route suivie est la sécurité juridique.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

A mon sens, il ne le peut pas. Comme l’a parfaitement démontré Guy Braibant (G. Braibant , « Du simple au complexe : Quarante ans de droit administratif (1953 – 1993) », EDCE, 1993, p. 409), le droit administratif est par essence complexe compte tenu de son objet. Les règles du droit administratif peuvent donc être vulgarisées pour être mises à la portée de tout le monde, mais ce faisant, elles perdraient de leur rigueur et de leur sens.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Sans doute, mais il ne s’agit pas d’une fatalité. L’activité administrative elle-même ne pouvant plus être exécutée de manière autocentrée, le droit qui la régit subit les influences extérieures. Il s’enrichit et s’inspire d’exemples étrangers. Le dialogue des juges en est un parfait exemple.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui. Et il le restera certainement. La preuve en est que la multiplication des codifications récentes consiste souvent à codifier des jurisprudences du Conseil d’Etat (V. par exemple le récent code des relations entre le public et l’administration). L’activité administrative ne cesse d’évoluer et le juge administratif reste amené à l’envisager avant le législateur ou le pouvoir réglementaire.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Léon Duguit;
  • Maurice Hauriou ;
  • Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 21 juin 1895 « Cames» (responsabilité sans faute) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 13 décembre 1889 « Cadot » (fin de la théorie du ministre-juge) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 17 février 1950 « Ministre de l’agriculture contre Dame Lamotte» (soumission par principe des actes administratifs à la légalité).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Les décrets ;
  • Les lois ;
  • Les directives communautaires.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

La Bible (Ancien Testament)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les colonnes de Buren.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 5à nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); art. 166.

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Questionnaire de M. Barrué-Belou (26/50)

Rémi Barrué-Belou
Maître de conférences à l’Université de la Réunion

Art. 165.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit de la puissance publique, dépassant le droit commun par une volonté de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. L’intérêt général étant relatif et contingent, le droit administratif est un droit évolutif qui se construit principalement par la jurisprudence de l’ordre juridictionnel administratif.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

L’évolution des règles et du régime s’appliquant au droit administratif permettent d’établir le constat d’une intégration de logiques privatistes et commerciales (rentabilité, réduction des risques pour les co-contractants privés, insertion de clauses propres au contrat de droit privé). Ainsi, si l’on devait qualifier un « droit administratif d’hier », il serait possible de le qualifier du droit de la puissance publique et de l’exorbitance alors que le « droit administratif de demain » semble pouvoir davantage être qualifié de droit mixte.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Pas de réponse

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Pas de réponse

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Comme toute discipline scientifique, son accès ne peut résulter que de l’explication, l’information et l’apprentissage (tout relatif soit-il).

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Seul un juge peut condamner. Le sort du droit administratif sera celui que nous (citoyens, gouvernants, législateur et enseignants-chercheurs) souhaiteront lui donner. Le droit commercial, qui est l’une des matières juridiques les plus anciennement internationalisé, n’a pas vraiment fait l’objet d’une globalisation, à l’heure actuelle. Le droit administratif étant le droit de la puissance publique et donc manifestant la souveraineté d’un État, il ne fera pas rapidement l’objet d’une globalisation.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si certains pans du droit administratif sont encore fortement marqués par la touche prétorienne, l’influence de l’Union européenne est de plus en plus prégnante (le droit de la commande publique en est un exemple évident).

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Gerando
  • Foucart
  • Duguit

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Blanco,
  • Terrier,
  • Société Arcelor et autres.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Davantage que des normes, je verrais deux idées fondamentales : la prévalence de l’intérêt général, l’exorbitance du droit commun.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

L’être humain, tant par sa capacité évolutive suivant les époques que par son choix de valoriser l’intérêt général en raison de sa vie au sein d’une société.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ainsi parlait Zarathoustra, car il caractérise l’Homme qui doit dépasser Dieu et devenir un surhomme, notamment par l’association.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif serait davantage un musée d’art contemporain car il intégrerait perpétuellement de nouvelles œuvres.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 165.

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Questionnaire du Pr. Aubin (25/50)

Emmanuel Aubin
Professeur agrégé à l’Université de Poitiers

Art.164.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est, avant tout, le droit du fonctionnement de l’Etat ; il a pour objet de rendre possible la poursuite de missions d’intérêt général avec des moyens publics, dans le cadre d’actes imposés et non négociés (à l’exception des contrats administratifs qui restent toutefois singuliers à l’aune du consensualisme propre au droit des obligations) et par l’intermédiaire de travailleurs qui sont dans une situation légale et réglementaire et doivent respecter des obligations inhérentes à l’activité de service public, laquelle implique de servir l’intérêt général sans se servir ou s’asservir.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier a posé les jalons des grands principes du procès administratif et comblé les carences ou l’absence de normes écrites qui l’ont progressivement rattrapé. Essentiellement protecteur des prérogatives de l’administratif, le droit administratif devient de plus en plus protecteur des administrés et des agents publics. Afin de ne pas être débordé par l’insécurité juridique inhérente à l’inflation normative, le droit administratif de demain sera marqué par la révolution de l’open data ; il sera un droit administratif moins secret, plus ouvert, plus pédagogique également ; Le droit administratif laisse également une place plus importante à la contractualisation dans ses différentes branches (action publique, fonction publique, droit des collectivités territoriales).

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif tient à la place de l’acte unilatéral, le consensualisme demeurant l’exception malgré un développement de la contractualisation. L’activité publique reste et sera toujours soumise au respect de principes et de valeurs qui sont propres au droit administratif car ce dernier s’inscrit clairement comme l’ont montré les travaux de la doctrine depuis Duguit dans une perspective holiste.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Rivero avait magistralement démontré que la guerre des critères ne devait pas avoir lieu mais, aujourd’hui, le contexte montre que la puissance publique devient de nouveau l’un des critères d’application ou à tout le moins un moteur essentiel du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif peut gagner en pédagogie avec des arrêts qui seraient plus compréhensibles. Un premier pas purement formel a été franchi avec la numérotation des considérants qui confère une plus grande lisibilité aux décisions et au syllogisme juridique appliqué par le juge. Le recours au droit souple permet également de vulgariser le droit administratif en rappelant dans des documents non normatifs (comme les chartes) les exigences juridiques (textuelles et jurisprudentielles) parfois complexes s’appliquant à l’action administrative. Comment ne pas mentionner, également, la recréation du JDA et sa dématérialisation ?

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Comme l’ont montré les travaux précurseurs du professeur Auby, la question est désormais derrière nous ; le droit administratif est d’ores et déjà globalisé depuis que la révolution Nicolo a permis au juge administratif de neutraliser l’application de la loi en faisant primer des normes européennes et internationales sur des dispositions législatives incompatibles. Il n’en demeure pas moins que la tendance à la rationalité managériale et à la création de pôles a sans doute pour effet de globaliser les enjeux juridiques au cœur des décisions des acteurs publics. En outre, le droit venu d’ailleurs a contribué à enrichir les sources du droit administratif qui est sans doute devenu plus pragmatique au contact de la globalisation juridique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si le droit administratif a été rattrapé par les textes, il n’en demeure pas moins que, chaque année, le juge administratif suprême rend plusieurs milliers de décisions qui contribuent à façonner des politiques jurisprudentielles dont les décideurs publics ne peuvent faire l’économie pour agir utilement et faire reposer leurs décisions sur une certaine sécurité juridique. Toutefois, il serait réducteur d’assimiler le droit administratif au seul contentieux car, comme le souligne le professeur Truchet, le droit administratif est, avant tout, un « art de la décision ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Laferrière a joué un rôle décisif en identifiant clairement la structure du contentieux administratif et en mettant en évidente la dimension prétorienne du droit administratif.
  • Duguit a contribué à inscrire le droit administratif dans une dimension holiste incarnée par la notion de service public.
  • De son côté, Hauriou a mis en évidence le rôle essentiel de la puissance publique dans le fonctionnement des personnes morales de droit public soumises au droit administratif.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Partant du postulat du grand processualiste Motuloski (« Le droit n’atteint sa plénitude que lorsqu’il se réalise), les grands arrêts du droit administratif sont ceux qui ont permis aux administrations et aux fonctionnaires et usagers de voir le juge administratif exercer pleinement et efficacement son office. Sous ce rapport, le premier grand arrêt (CE, 29 mars 1901, Casanova) est celui qui est à l’origine d’une politique d’ouverture du prétoire du juge administratif. Le deuxième plus grand arrêt pourrait être la décision Association AC ! du 11 mai 2004 par laquelle le juge de l’excès de pouvoir a intégré une dimension très réaliste dans son office en rendant possible la neutralisation, dans des conditions clairement précisées, de l’effet rétroactif d’une annulation contentieuse.  Le troisième grand arrêt est la décision Danthony de décembre 2011 (qui concernait du reste une Université) dans laquelle le Conseil d’Etat fait œuvre de pragmatisme en permettant au juge de sauver de la censure une décision dont l’illégalité externe n’a pas exercé d’influence décisive sur la prise de décision ni privé le requérant d’une garantie substantielle.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Le principe d’égalité est une norme essentielle au cœur des grandes branches du droit administratif et trouve à s’appliquer notamment à travers une autre norme essentielle (la non-discrimination) qui génère des obligations de faire et de ne pas faire pour les acteurs du droit administratif.
  • La neutralité est une norme importante qui permet au droit administratif de revêtir une dimension axiologique qui singularise nettement l’action administrative ( et son contrôle) de l’activité au sein du secteur marchand.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif serait une petite souris qui se glisserait sous la table des délibérations afin de rendre possible une meilleure compréhension de certaines décisions réservées parfois aux seuls initiés.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ne jugez pas d’André Gide qui explore les ressorts psychologiques d’affaires déconcertantes pour la justice

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La bataille de San Romano de Paolo Uccello peinte sur trois tableau car les relations juridiques sont souvent triangulaires en droit administratif.

 Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 164.

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Questionnaire de M. Duranthon (35/50)

Arnaud Duranthon
Maitre de conférence en droit public à l’Université de Strasbourg
Membre du Comité scientifique & de rédaction du JDA

Art. 173

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le doute est, dit-on souvent avec raison, le moteur de la recherche scientifique. Je dois donc assumer que, s’agissant de cette définition, j’entretiens de très grands doutes tant il est vrai que la plupart des critères qui ont été proposés (service public, puissance publique, gestion administrative etc…) paraissent avoir, dans le même temps, de belles capacités mais aussi de réelles lacunes. J’en suis donc venu à penser que, plutôt que de procéder manière déductive au moyen de critères stipulatifs qui, quoique consacrés par la jurisprudence, le sont toujours avec d’infinies nuances, d’irrésistibles doutes et de nombreuses variations et hésitations, il convient de tenter de définir le droit administratif de manière inductive. L’histoire et la théorie du doit constituent, de ce point de vue, un secours précieux. J’ai en effet le sentiment que ce n’est qu’au regard d’une posture assise sur une conception concevant le droit comme une unité que l’on peut en saisir la complexité intrinsèque. De ce point de vue, le droit administratif n’est rien d’autre qu’un outil visant à transcrire, sur le plan administratif, les effets de la souveraineté de l’État dans son rapport avec les individus et dans la réalisation de son projet social – que l’on qualifie d’intérêt général. Les contours du droit administratif évoluent dès lors au gré des flux et reflux des conceptions de la souveraineté, en épousant les nuances et les subtilités. Il n’est dès lors plus de « crises » du droit administratif, mais simplement des ajustements liés à l’évolution de la conception du rôle de l’État et de son rapport avec la société.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

« Le passé m’oblige, le présent me guérit, je me fous de l’avenir », écrit Sylvain Tesson dans son dernier livre, Sur les chemins noirs. Je crois que l’on peut adapter cette citation au droit administratif. Vouloir dresser des barrières entre plusieurs périodes, un « avant » et un « après » constitue à mon sens un véritable écueil. Un tel effort est en effet condamné à tracer des frontières au milieu d’un territoire plus subtil que ce que le résultat tracé pourrait laisser penser. Les frontières sont toujours brutales et ne laissent, sur la carte, rien paraître de leur inévitable porosité. C’est pourquoi il me semble qu’il faille plutôt concevoir le droit administratif dans son continuum et qu’il faille comprendre chacun de ses objets de manière diachronique. Le passé sert alors à éclairer sa formation, des évolutions, ses difficultés. Le présent permet de pourvoir à la stabilité juridique nécessaire et constitue l’état positif du droit. Le futur, quant à lui, reste indéterminé et si l’on s’efforce toujours de le prévoir, de le dessiner, il reste rare que l’œuvre produite ressemble au dessin – et au dessein – que l’on s’en faisait. Il ne reste alors qu’à partir du principe que la guérison du présent et le soin accordé au présent tel que conçu au regard du passé suffit au travail du juriste.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Je serais tenté de dire que c’est son processus constitutif qui donne au droit administratif toute sa singularité. Constitué en dehors de toute « raison » générale, produit autopoïétique fait de strates diverses qui s’accumulent au gré du temps, se recouvrent en laissant parfois paraître à la surface d’anciennes couches, il constitue un produit vivant passionnant qui s’éloigne des prétentions rationalistes selon lesquelles d’autres systèmes se sont agencés… et selon lesquelles certains tenants des logiques de la performance et du rationalisme morbide s’efforcent aujourd’hui de vouloir l’enfermer, notamment dans ses versants en rapport avec les questions institutionnelles.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je ne crois pas au caractère absolu d’un critère en droit administratif. Je reste cependant convaincu que le service public en constitue le cœur et s’en présente un peu comme le phare que l’on peut garder à l’œil pour évoluer. La filiation de cette notion avec l’intérêt général permet en effet de garder un cap, même si celui-ci est incertain du fait de l’indétermination qui anime ce dernier !

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

En cessant de le considérer comme une matière simplement technique faite de problèmes à résoudre, mais en le concevant comme un système général qui n’est rien d’autre que le produit d’une société tentant de s’organiser et d’organiser le pouvoir. Il faut probablement pour cela admettre que si les catégories techniciennes sont indispensables à la résolution des litiges qui se présentent au juge, la compréhension et la présentation du droit administratif ne se limitent pas à elles. Il faut donc, au-delà de la description, vouloir comprendre le droit administratif, c’est à dire le situer dans l’inextricable sac de nœuds que constitue généralement le droit. Il faut pour cela prendre la hauteur nécessaire. Un parfait exemple de ceci se situe dans le maquis contractuel existant en France. On peut s’en tenir à présenter les différentes formes contractuelles existantes en présentant leurs délicats régimes. C’est un effort indispensable, mais qui doit nécessairement être complété par un autre, consistant à comprendre, par la généalogie des notions, les moteurs de leur apparition. Le régime n’est alors plus une fin en soi, il est la conséquence d’un mouvement plus profond qui le rend compréhensible et facilite son apprentissage.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Il faudrait pour cela admettre la globalisation comme une condamnation ! Condamné, le droit administratif l’est simplement par sa nature à devoir épouser les formes d’une société qui, par définition évoluent et qu’il n’a pas vocation à transformer ou à guider. Son office s’arrête à celui d’une digue qui s’efforce que le fleuve puisse poursuivre son cours, parfois calme, parfois impétueux, au sein d’un cadre qui en garantisse néanmoins l’équilibre. Quant à la globalisation, s’il est certain que des notions aient vocation à se transformer au contact d’autres réalités, cette transformation peut s’effectuer selon diverses nuances qui ne condamnent pas le droit à une pure uniformité, mais s’assure simplement de la communicabilité entre plusieurs objets appelés à vivre ensemble.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif reste prétorien dans ses fondements, et ce n’est pas un problème en soi. S’il est indiscutablement rogné, de toutes parts, par des normes d’origine législatives, celles-ci ne me paraissent pas avoir toujours brillé par leur réussite. L’exemple récent de la transformation du régime des décisions implicites en témoigne avec force. Je crois que l’on retrouve ici le problème central de cette prétention de la rationalité qui, niant les équilibres subtils autour desquels s’est agencé le droit administratif du fait de son mode prétorien de formation, s’efforce de vouloir dompter la bête par quelques coups de fouets. S’il ne s’agit pas de prétendre au conservatisme, qui est un repère de faiblesse, il s’agit cependant d’avancer qu’une évolution n’est jamais garantie que par sa progressivité, qui seule la rend acceptable.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Si par pères on entend ceux qui aident à rendre la vie compréhensible en donnant des points de repère, alors je dirais :

  • Maurice Hauriou
  • Léon Michoud
  • Charles Eisenmann

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Le trio Feutry/Terrier/Thérond, a donné corps à une vision unitaire de l’administration qui me tient à cœur. L’arrêt Blanco, évidemment : pas pour la raison qu’on lui donne d’habitude (l’arrêt Rothschild l’avait par exemple largement devancé), mais pour ce qu’il a donné comme assise à la responsabilité administrative en lieu et place de la conception sur la liquidation des dettes de l’État. Le feu arrêt Peyrot, pour ce qu’il laissait comme place à la complexité et pour la voie qu’il permet de tracer entre deux conceptions du droit administratif : l’une ouverte à la complexité des situations et recherchant l’essence (le sens ?), l’autre attachée à le réduire à une simple technique et à faire dépendre le régime juridique d’un objet de catégories réductrices… et donc forcément contestables.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

L’article L2212-2 du CGCT, pour le corps qu’il donne à la police administrative en laissant subtilement ouvertes les voies d’une évolution de la notion et de son adaptation aux circonstances et aux besoins ; la loi communale de 1884, à l’origine de la clause de compétence générale communale, objet juridique passionnant ; la loi du 11 juillet 1979 et la loi du 12 avril 2000, pour ce qu’elles ont apporté à la redéfinition des rapports entre la puissance publique et les administrés.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un animal, il serait un lombric. Nourri par un humus dont il est l’indispensable agent de l’entretien, de l’aération et de la structure, il est hermaphrodite et peut donc se développer spontanément, sans secours extérieur. Il est enfin capable de se régénérer même lorsqu’il est coupé, montrant sa grande capacité d’adaptation spontanée.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un livre, il serait celui dont on ne sait jamais vraiment quand il a commencé, ni quand et s’il s’arrêtera un jour.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Si le droit administratif était un œuvre d’art, il serait un tableau de Pierre Soulages. De loin, il apparaît comme un bloc, quelque chose de brut, d’uniforme mais à mesure qu’on l’observe, on ne peut que se perdre dans ses nuances, qui offrent une matière infinie à l’exploration.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 173.

 

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Questionnaire de Mme Sourzat (50/50)

Lucie Sourzat
Doctorante attachée temporaire d’enseignements et de recherche
Institut du Droit de l’Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication

Art. 188

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Afin de proposer une définition du droit administratif, nous partirons d’une citation de Marcel Waline selon lequel le droit administratif doit « éviter d’une part l’immobilisme et l’impuissance, d’autre part la tyrannie » des autorités publiques (Marcel Waline, Droit administratif, Sirey, 1963, p.4, n°5) .

En effet lorsque l’on aborde le droit administratif, cela nous conduit inévitablement à rechercher un équilibre – parfois subtil – entre pouvoir et contrôle de l’Administration.

Le droit administratif se trouve ainsi défini comme un ensemble de règles de droit venant à la fois donner et encadrer les pouvoirs de l’Administration afin que cette dernière puisse s’établir, fonctionner et agir raisonnablement dans l’intérêt de tous.

Ici l’utilisation de l’adverbe « raisonnablement » n’est bien évidemment pas innocente. Terme « utilisé aux Etats-Unis par les juridictions dans le cadre du contrôle des droits et de l’action administrative » (S. Théron, «Au-delà du droit administratif, en droit administratif : quelles références ? Quelle signification ? » in Le raisonnable en droit administratif, ouvrage collectif sous la direction de Madame Sophie Théron, 2016, éd. L’Épitoge – Lextenso, pp. 13-22, voir spéc. p.16 & 19), le raisonnable se trouve véritablement au cœur de la définition du droit administratif. En effet aux pouvoirs – souvent exorbitants – conférés à l’Administration par le droit administratif doit être obligatoirement rattaché un système de contre-pouvoirs garanti notamment par la prévision de mécanismes juridictionnels visant à surveiller et à sanctionner l’action de cette dernière lorsqu’elle outrepasse les attributions qui lui sont normalement confiées. Cela s’inscrit bien dans l’idée plus large selon laquelle « chaque fois qu’un droit ou un pouvoir quelconque, même discrétionnaire, est accordé à une autorité, ou à une personne de droit privé, ce droit ou ce pouvoir sera censuré s’il s’exerce d’une façon déraisonnable » (Chaïm Perelman, Le raisonnable et le déraisonnable en droit. Au-delà du positivisme juridique, 1984, LGDJ, vol. XXIX, voir spéc. p.12).

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Dans le contexte de crises économique et financière actuel, il semblerait que le droit administratif soit effectivement l’objet d’un certain nombre de mutations.

Le principal changement semble alors résider dans la porosité de plus en plus marquée des frontières qui existaient autrefois entre le droit administratif et le droit privé. Ainsi l’approche dogmatique d’un droit administratif autonome et singulier par rapport au droit commun ne semble plus qu’appartenir au passé. Un tel phénomène de révision du droit administratif s’explique notamment par la raréfaction des financements publics. Le droit administratif de demain s’inscrit alors – du moins partiellement – dans un mouvement de financiarisation nécessaire à la vie des affaires aussi bien publiques que privées. Plus prosaïquement le « droit administratif de demain » voit certaines de ses « règles d’or » relativisées. Cela transparait par exemple en droit administratif des biens avec la relativisation du principe d’inaliénabilité du domaine public. Une autre illustration peut être donnée en droit des contrats administratifs à travers la prolifération de montages contractuels complexes souvent inspirés du droit privé à la qualification juridique incertaine et visant à s’extraire d’ « un carcan trop contraignant, qu’il s’agisse des règles de la domanialité publique, de l’obligation d’exercer la maitrise d’ouvrage publique, ou encore, et bien évidemment, des multiples règles régissant la passation des contrats publics » (Nil Symchowicz, Partenariats public-privé et montages contractuels complexes, éd. Le Moniteur, 2009, voir spéc. p.19). Précisons toutefois que la réforme de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2016 révise la possibilité de conclure de tels montages (Voir not. Nil Symchowicz, « La réception des « montages contractuels complexes » par le nouveau droit de la commande publique », BJCP, mars 2016, n°105, pp. 101-116).

Par ailleurs au-delà des règles, ce sont aussi les pouvoirs exorbitants de l’Administration eux-mêmes qui se trouvent de plus en plus limités au sein du droit administratif de demain. Cela se traduit notamment par une tendance au rééquilibrage des rapports entre l’Administration et les administrés. L’illustration certainement la plus patente d’un tel phénomène réside dans la relativisation du pouvoir de modification unilatérale pour motif d’intérêt général détenu par l’Administration contractante (Voir not. Gabriel Eckert, « Les pouvoirs de l’Administration dans l’exécution du contrat et la théorie générale des contrats administratifs, Ctts MP, octobre 2010, n°10, pp. 7-15) et plus généralement dans les limites apportées au principe de mutabilité (Voir not. Hélène Hoepffner, « L’exécution des marchés publics et des concessions saisie par la concurrence : requiem pour la mutabilité des contrats administratifs de la commande publique », Ctts MP, juin 2014, n°6, pp. 67-70). Au-delà d’un simple rééquilibrage des rapports entre l’Administration et les administrés, il semblerait que sous l’impact de « la puissance économique » des opérateurs avec lesquelles l’Administration entretient des relations d’affaires, émergent « aussi des contrats administratifs nettement déséquilibrés en faveur de la partie privée » (Fabrice Melleray, « Déséquilibres contractuels », AJDA, 2014, p.1793) remettant en question sa position et, par voie de conséquence, les contours du droit administratif. À l’origine contrôlée par le droit administratif lui-même afin d’éviter une action abusive de sa part, la question se pose de plus en plus de savoir si l’Administration serait en passe de se trouvée contrôlée par les agissements d’administrés détenant d’importantes marges de manœuvres financières.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Théoriquement la singularité du droit administratif se trouve engendrée par l’existence de règles spéciales, exorbitantes du droit commun jouant en général au profit de l’Administration. Toutefois si nous reprenons les développements précédents, l’on constate une altération progressive de la singularité du droit administratif et un net rapprochement avec le droit commun. Nous justifions notamment cet argument à travers le prisme du contrat administratif dont il semblerait, in fine, que « l’exorbitance (…) a été largement mythifiée » (Marguerite Canedo, « L’exorbitance du droit des contrats administratifs », in L’exorbitance du droit administratif en question(s), Études réunies par le Professeur Fabrice Melleray, LGDJ, 2004, pp. 125-177, voir spéc. p.127. Voir aussi Léon Duguit, Traité élémentaire de droit constitutionnel, 2è édition, t. III, voir spéc. p.41) . Il est vrai qu’en dehors du strict périmètre du contrat, le droit administratif, de par son objectif premier résidant dans la satisfaction de l’intérêt général, semble toutefois conserver une certaine originalité par rapport aux branches voisines du droit. Pourtant nous sommes tentés de conclure le présent propos par une phrase empruntée au professeur Charles Debbasch selon lequel « chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’on ne peut parler de droit administratif comme d’un droit dérogatoire au droit commun que par une commodité de langage » (Charles Debbasch, « Le droit administratif, droit dérogatoire au droit commun ? », in Mélanges René Chapus, LGDJ, 2014, pp.127-133, voir spéc. p.133).

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Nous risquons de ne pas être très originaux dans la réponse à cette question. Il semblerait en effet que le principal moteur du droit administratif se trouve notamment incarné par l’intérêt général. Pourtant dans la droite ligne de nos développements précédents, il semblerait bien que dans un mouvement de libéralisation « l’intérêt général censé légitimer l’action publique se mue progressivement en intérêt économique général » (David Bailleul, « Le droit administratif en question : de l’intérêt général à l’intérêt économique général ? », JCP A, mars 2005, n°13, pp. 587-592).

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Au risque de faire preuve d’un manque d’optimisme, la tâche n’est pas si simple. Il est vrai que le droit administratif, sûrement par sa complexité, souffre malheureusement d’une mauvaise réputation. Le droit pénal ou encore de le droit de la famille parce qu’ils sont davantage popularisés – médias, cinéma, séries télévisées – apparaissent alors comme plus accessibles. Ces derniers sont pourtant tout aussi complexes, voire peut-être même plus. Nous pensons qu’il s’agit tout d’abord de tenter de démystifier le droit administratif dans l’esprit du « profane » en lui faisant prendre conscience que nous pratiquons quotidiennement du droit administratif sans forcément nous en apercevoir. Ensuite il est question de faciliter l’accès à l’étude du droit administratif. Délicat à vulgariser, car souvent assez technique et subtil, tout semble être question de pédagogie. Il s’agit par exemple de simplifier le droit administratif en l’abordant par des exemples concrets et parlants.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « globalisé ». Il semblerait que pour certains « la globalisation et l’internationalisation du droit renvoient à des processus qui interdisent toute réponse définitive » (Marie-Claire Ponthoreau, « Trois interprétations de la globalisation juridique. Approche critique des mutations du droit public », AJDA, janvier 2006, n°1, pp. 20-25) . Pour d’autres « la globalisation juridique se situe sans doute moins dans la formation des normes, leur contenu, leurs effets, que dans les processus de leur transmission, de leur circulation, de leur intrusion dans les systèmes juridiques » (Jean-Bernard AUBY, La globalisation, le droit et l’Etat, Montchrestien, coll. Clefs, 2003, voir spéc. p.78). Nous retiendrons une approche extensive de la globalisation associant ces deux dernières définitions. Selon nous la globalisation correspondrait à la fois à une actualisation et à une projection constante des futures règles du droit administratif, ces dernières se trouvant nettement influencées par le droit privé, le droit européen et les droits étrangers (Voir not. Fabrice Melleray, « L’imitation des modèles étrangers en droit administratif français », AJDA, juin 2004, n°23, pp.1224-1229) .

Nous l’avons vu en droit interne, le droit administratif – et le droit public en général – tend à voir ses frontières avec le droit privé devenir de plus en plus fines. Maintenant, la globalisation du droit administratif peut aussi s’entendre comme sa dilution progressive au sein des règles issues du droit dérivé de l’Union européenne. Cela s’illustre notamment à travers la logique européenne de marché impactant fortement les règles encadrant le droit des contrats administratifs et notamment le droit de la commande publique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui et non. Même si un réel mouvement de codification est en marche en droit administratif – nous pensons notamment aux Code de justice administrative, Code des relations entre le public et l’administration, futur Code de la commande publique (prévu pour décembre 2018), etc. – la jurisprudence continue tout de même à faire évoluer le droit administratif et notamment à éclairer les textes confus et ambigus pouvant être source d’insécurité juridique. C’est le cas par exemple de la décision « SA Axa France IARD » rendue par le Tribunal des conflits le 13 octobre 2014 redéfinissant la si controversée notion de « clause exorbitante du droit commun ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est selon nous difficile de faire un choix parmi un grand nombre de célèbres noms du droit administratif. Nous citerons alors :

  • Maurice HAURIOU (1856-1929),
  • Léon DUGUIT (1859-1928)
  • & Gaston JÈZE (1869-1953).

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • «Blanco » rendue par le Tribunal des conflits le 8 février 1873 ;
  • « Terrier» rendue par le Conseil d’Etat le 6 février 1903 ;
  • & « Société commerciale de l’Ouest africain » ou « Bac d’Eloka » rendue par la Tribunal des conflits le 22 janvier 1921.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Là encore il nous faut faire un choix.

  • La loi 16-24 août 1790 & le décret du 16 fructidor an III ;
  • La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
  • & bien sûr la Constitution du 4 octobre 1958.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait ressembler à une sorte pieuvre parce qu’il est un droit tentaculaire se cachant souvent dans les abysses du droit.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait être La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1761) parce qu’il est un droit passionnel, tumultueux, et sensible aux mouvements du temps et aux changements.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif pourrait être le Bal du moulin de la galette (1876) d’Auguste Renoir parce qu’il est un droit vivant, animé, assez flou mais parsemé de tâches de lumières ci et là.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 188.

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Questionnaire de Mme Glinel (49/50)

Marie Glinel
Etudiante en Master II
Université Toulouse 1 Capitole

Art. 187

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif désigne l’exorbitance pure, celle qui par sa singularité parvient à rendre compte avec force des rapports qu’entretiennent administrés et administration, dans leurs obligations et droits réciproques, pour former une harmonie fondée sur le déséquilibre essentiel et intrinsèque à l’intérêt général. C’est en quelques sortes le droit de la force, de l’exorbitance et de l’harmonie réunies.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif est avant tout vécu, pour la génération envisagée ici, comme une continuité. L’on part de la jurisprudentialisation de la responsabilité de l’administration en 1873 vers la codification des droits des administrés et usagers (version consolidée en 2016). Ainsi, le droit administratif d’hier n’est pas tant usagé que cela… il reste tout aussi vif, car ce ne sont après tout que deux manières de « faire droit » et de « dire droit » qui prennent toujours autant en compte les deux acteurs que sont l’administration et ses aimés administrés.

Subséquemment, s’il n’y a pas de rupture envisagée entre différents âges, il y a continuité. Continuité vers quoi ? La quête de l’harmonie et de l’équilibre entre différents enjeux de la cause publique peut, en réalité ne pas avoir de frontières et partir à la conquête de l’Union européenne. Cette méta-Institution qu’est l’Union européenne est en quête d’une harmonisation des droits administratifs, car il s’agit de l’échelle juridique la plus efficace pour l’UE : celle de la mise en œuvre concrète des politiques. Et force est de constater que nos modèles européens sont tous très différents… Notamment sur ce qui fonde en partie la force de notre système : le service public et la puissance publique.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Ce qui fonde la singularité du droit administratif français est la richesse doctrinale qu’il a pu susciter. En l’espace de moins de deux siècles, les thèses se sont entretuées et confondues, croisées et recroisées pour ne former qu’une synthèse continuelle. Pour ne parler que de Bordeaux et Toulouse, les notions mères de service public et puissance publique ont bercé, encore aujourd’hui, les siestes en cours de droit administratif… Ainsi, les inflexions jurisprudentielles et juridiques ont été indéniablement influencées par les auteurs qui les ont observées et commentées. En quelques sortes, ce qui singularise le droit administratif français est donc sa source première, secrète, inavouée et essentielle : la doctrine.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

C’est bien évidemment par pure honnêteté intellectuelle (oui, oui) et non par chauvinisme forcené qu’au hasard, le principal moteur du droit administratif français est la reconnaissance d’une puissance publique dans les affaires concernées. C’est donc un critère organique qui primerait ? C’est le travers de l’essentialisation des acteurs qui nous pousse à envisager ainsi le moteur du droit public. Pour compléter cette organicité, penchons-nous plutôt sur la notion plus substantielle d’intérêt général. En latin « général » se dit « universum » … Tout est dit. Le droit administratif français s’applique précisément à chacun de nous, chacun est inclus dans son projet universel.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif doit par essence être à la portée de tous, puisque par son universalité il s’applique à tous. Les essais de RGPP ont tenté, en surfant sur la vague de la modernité, de l’inscrire sur le support de l’avenir : l’Internet. Etait-ce si opportun ? Pourquoi ne pas opter pour les Dix commandements du droit administratif inscrits dans le marbre des guichets et Institutions ? Outre l’irréalisable travail de synthèse de ces bibles en construction, n’oublions pas l’incontournable pouvoir d’interprétation qui en résulterait…

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Adjoindre « globalisé » et « condamné » est un parti pris sémantique intéressant à exploiter : poser la question implique qu’il peut y avoir une autre issue. Mais la poser dans ce sens implique une marche forcée : est-ce inéluctable ? Le droit administratif français peut-il constituer le modèle de demain, pour ou contre son gré ? Cette question implique deux niveaux de réponse. D’une part, s’il doit être globalisé dans le sens d’une exportation du modèle dans d’autres modèles, alors c’est dans son digne intérêt français – donc conquérant – d’aller à la rencontre d’autres contrées. D’autre part, s’il doit être globalisé dans le sens d’une explosion des repères et d’une gouvernance identique, mais changeant d’échelle pour être mondiale, alors… Jamais ne sera envisageable cette possibilité. Raisonner par l’absurde a du bon pour se connaitre soi : le droit administratif français est bien trop empreint (malgré lui !) de valeurs et de symboles sociaux, moraux adaptés à une société, pour se calquer juridiquement sur un autre modèle plus libéral et pragmatique. La question est : mais le droit administratif français n’est-il pas en train, justement, de prendre en marche le train d’un libéralisme forcené ? Après tout, le terme « globalisé » est lui-même économique, sans pourtant être au rabais.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Est-ce que la codification des positions jurisprudentielles compte ? Tout dépend de la dynamique que l’on donne au terme « prétorien » qui, à ses origines est relatif au prêteur romain. Sa dignité est toute militaire, quand sous le vocable juridique actuel elle est juridictionnelle. Dans son application, le droit qui prime est le droit codifié. En revanche, dans son enseignement, le droit administratif qui importe est souvent l’évolution qu’il a subie au gré des arrêts et revirements. En d’autres termes : l’étudiant retient davantage l’évolution du droit prétorien que le résultat codifié. C’est bien que l’enseignant n’est pas, lui-même, dans une logique de rentabilité pragmatique (logique du résultat) : voici l’esprit du droit administratif français !

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Maurice, Hauriou et Toulouse. Plus sérieusement Hauriou et Duguit pour la complémentarité qu’ils s’offrent mutuellement. Car c’est en étudiant la dialectique qui est née entre les positions de ces deux auteurs que l’on prend assez de recul sur ce qu’est cette matière. Le « Laurel et Hardy » du droit administratif a trouvé son lot d’humour, en s’assommant à coup de Traité Administratif…

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Lorsqu’il était question plus haut de protection, cela implique une vision fort paternaliste du droit administratif qui n’a pas quitté certains et qui a été le socle d’émancipation d’autres. Ici est assumée pleinement la vision paternaliste du droit administratif, entendu dans sa fonction de protection de la dignité humaine : Morsang sur Orge de 1995. Ajoutons à cela la protection de l’harmonie et de l’universalité du droit administratif envers ses administrés, par le principe d’égalité devant le service public : Denoyez et Chorques de 1974. Enfin, pour la dimension gallicane et insolente de la juridiction administrative française en lien avec la question sur la globalisation, n’oublions pas Sarran et Levacher de 1998. Elles sont toutes trois importantes, à des moments différents, car elles fondent en identité ce qu’est notre spécificité : la protection absolue de tous, dans l’égalité, et au regard de notre propre référentiel juridique, axiologique et philosophique.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Cette question apparait curieuse. En tout premier lieu le terme de « norme de droit administratif » fait penser à l’échelon normatif dévolu au pouvoir administratif : la norme réglementaire. Seulement, cela peut également faire penser aux normes au sens de principe. Sauf que ces derniers sont souvent dégagés par jurisprudence. Mais lister des règlements n’a rien de bien exaltant. Quid juris ? Les normes les plus importantes sont celles prises par le pouvoir administratif : la délivrance d’un permis de construire (pour les possibilités contentieuses croustillantes qu’il laisse poindre…) ; l’arrêté en matière de police administrative en général (pour les possibilités d’évaluation de la liberté laissé aux administrés dans l’exercice de leurs droits). Ces deux normes permettent une mise en perspective des libertés face à l’administration, ou face à autrui.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Une louve, protectrice et acharnée dans sa mission, mère des deux principes que sont la puissance publique et le service public ayant fondé en droit la cité de l’administration, dont le trésor est l’intérêt général.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

L’Antigone de Sophocle, pour sa tentative d’une harmonie (ou d’une compréhension, déjà) entre l’attention due à l’administré réalisée par un droit adapté à l’administré (Antigone) et l’intention provenant d’une administration en quête d’efficacité et d’effectivité (Créon).

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La Tour de Babel de Brueghel, pour la sophistication de ses courbes et la symbolique de son origine : c’est pour retrouver un langage adamique – entendre harmonique, issu du premier père Adam – entre l’administré et l’administration, que le droit administratif œuvre, humble. Il est bien question d’une harmonieuse rationalité brisée par les cieux car trop orgueilleuse. Cette Tour, c’est la fierté en reconstruction et les efforts de chacun, la solidarité dans la lucidité.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 187.

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Questionnaire de M. Gemberling (48/50)

Max Gemberling
Etudiant (Licence) à l’Université du Maine
Membre du Collectif L’Unité du Droit

Art. 186

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Montesquieu affirme dans l’esprit des lois : « du droit de tuer dans la conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire en esclavage ». Si le droit administratif est clairement le contrepoids de ce droit des politiques, il demeure difficile de le circonscrire. Au premier abord, si le droit administratif diffère du droit constitutionnel, il n’en est toutefois pas autonome. L’administration est en effet soumise à la Constitution, expression de la volonté politique. Le droit constitutionnel fait donc partie du droit administratif en ce sens qu’il encadre l’action de l’administration. Le droit administratif transcende ensuite la distinction classique entre droit public et droit privé. Ce droit n’est pas un droit véritablement public qui s’applique exclusivement aux relations qui existent entre les administrations ou entre les personnes publiques et les personnes privées. L’administration peut en effet se voir appliquer le droit privé si son comportement est constitutif d’une voie de fait (Tribunal des conflits, 17 juin 2013, affaire Bergoend). Il ne s’agit pas non plus d’un droit qui a vocation à régir les rapports entre les personnes privées même si cette hypothèse peut malgré tout se matérialiser à l’occasion d’un contrat conclu entre deux personnes privées si l’une d’entre elle agit au nom et pour le compte d’une personne publique (CE, 21 mars 2007, affaire Commune de Boulogne Billancourt).

Les Professeurs Maurice Hauriou et Léon Duguit ont tenté de mettre en place une définition positive du droit administratif. Pour Maurice Hauriou, le droit administratif est le droit des prérogatives de puissance publique (PPP). L’existence de ces prérogatives se caractérise par la position d’inégalité et de soumission de l’administré vis à vis des administrations. Selon Léon Duguit, il s’agit du droit des services publics. Le service public s’y caractérise par l’intérêt général poursuivi par la personne publique. La personne publique ne disposerait alors des prérogatives de puissance publique que si elle poursuit cet objectif d’intérêt général. Ces deux définitions sont insuffisantes. Il est en effet possible d’appliquer du droit privé à des services publics (CE 22 janvier 1921, affaire société générale d’armement). De surcroit le droit administratif peut tout à fait s’appliquer à des décisions qui ne sont pas empreintes de puissance publique (CE 20 juillet 1990, affaire Ville de Melun). Face à ces difficultés de circonscrire le droit administratif, le Conseil constitutionnel a fait de ces critères doctrinaux des indices justifiant par faisceau l’application du droit administratif (Conseil Constitutionnel, 1987, affaire Conseil de la concurrence).

Il me semble que ces deux indices sont aujourd’hui partiellement dépassé et qu’il convient d’actualiser la définition du droit administratif. En premier lieu, le droit administratif se caractérise moins par une soumission de l’administré que par l’émergence d’un véritable dialogue entre l’administré et l’administration (Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016). Le droit administratif ne se caractériserait alors plus principalement par l’existence de prérogatives de puissance publique mais par une participation des citoyens au processus décisionnel des administrations.

En second lieu, et il s’agit selon moi de la conséquence de l’émergence de ce dialogue, le service public est profondément modifié. Le service public n’est plus la poursuite de l’intérêt général déterminé exclusivement et subjectivement par la personne publique (cf. la théorie dite du post-it du pr. Touzeil-Divina) mais la poursuite d’un intérêt général déterminé par plusieurs acteurs dont font partie les administrations. L’exemple le plus frappant est sans doute celui de l’étude d’impact en matière environnementale qui va permettre à la population de formuler des observations sur tout projet pouvant porter atteinte à l’environnement. Ce n’est alors que dans un second temps que l’administration prendra sa décision finale.

Le droit administratif n’est donc plus un droit exclusif des services publics ou des prérogatives des puissances publiques mais également le droit qui régit la participation du public aux processus décisionnels des autorités administratives.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif est le ciment des structures juridiques organisant la société. Il s’adapte en permanence pour répondre aux nouvelles missions qui lui sont assignées par la société. La détermination d’une définition du droit administratif a permis d’affirmer que le droit administratif devient aussi le droit régissant la participation du public au processus décisionnel des autorités administratives.

Si au XIXe siècle, le droit administratif est le droit des prérogatives publiques et qu’il devient au début du XXe siècle un mélange des prérogatives publiques et des services publiques, le droit administratif est en passe de connaître sa troisième mutation : « la démocratisation du post-it ». Cependant, cette mutation est actuellement en gestation dans certains domaines du droit administratif comme le droit à l’environnement. Elle est d’autant plus en gestation qu’à l’intérieur de ces domaines particuliers, toutes les procédures de participation du public ne sont pas délibératives (Ordonnance n°2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement). L’ordonnance du 21 avril 2016 crée par exemple une consultation locale pour les projets importants comme celui de l’aéroport de notre Dame des Landes. Cette consultation n’est cependant pas un référendum car l’autorité administrative n’est pas tenue par l’avis de la population.

Il existe donc, selon moi, un droit administratif d’hier qui coexiste au sein d’un droit administratif de demain. Ces deux droits d’hier et de demain ne sont pas distincts mais se caractérisent par la naissance au sein d’une même structure d’une négociation directe du concept d’intérêt général en plus de la branche toujours existante du droit des prérogatives de puissance publique et des services publics. Ainsi, le droit administratif qui a été l’outil de protection du citoyen fasse à l’administration devient progressivement aussi l’outil qui pourra faire connaître et comprendre le processus décisionnel administratif aux citoyens.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Il est compliqué de répondre à cette question dans la mesure où je ne connais pas d’autre droit administratif que le droit administratif français. Il me semble cependant que la dualité juridictionnelle permettant l’application de deux droits distincts, droit administratif et droit privé, n’est pas présente partout. Par exemple en droit anglais, c’est une formation spécialisée (l’administrative court) au sein d’une même Cour suprême qui applique et crée le droit administratif. La singularité du droit administratif français serait alors à chercher dans l’histoire de sa création qui a permis la mise en place d’un juge administratif né au sein même de l’administration et une stricte séparation des autorités juridictionnelles administratives et judiciaires (Lois des 16 et 24 août 1790).

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Certains auteurs comme le Professeur Maurice Hauriou ou le Professeur Léon Duguit ont tenté de définir un critère d’application permanent du droit administratif. Cependant, outre les exceptions trop nombreuses en pratique, il est également dangereux en théorie de déterminer un critère unique d’application du droit administratif.

Le Professeur Hauriou affirmait que le critère d’application du droit administratif pouvait être matérialisé par la notion de prérogative de puissance publique. Cependant la pratique a montré que le droit administratif peut s’appliquer indépendamment de toute prérogative de puissance publique. Le Professeur Duguit matérialisait le critère d’application du droit administratif dans le service public. Cependant la pratique du juge administratif a montré que tous les services publics n’étaient pas soumis au droit administratif.

Cette volonté du juge administratif de ne pas se laisser enfermer dans des critères de compétence est certainement dû à la dangerosité du critère unique marqué notamment par un risque de cristallisation du droit administratif. Résumer le droit administratif à l’application des prérogatives de puissance publique, pourrait faire dériver le droit administratif vers un droit de la toute-puissance de l’administration qui ne respecterait plus les libertés fondamentales de l’administré. Résumer le droit administratif à la mise en œuvre d’un service public risque de faire dériver ce droit vers un droit qui ne prend plus en compte les spécificités de l’autorité étatique nécessaire à la continuité de l’Etat.

Il n’existe donc pas, selon moi, de critère unique d’application du droit administratif mais plusieurs indices permettant sa mise en œuvre, exactement comme l’a enseigné le Conseil Constitutionnel en 1987 dans sa décision « Conseil de la concurrence » (Conseil Constitutionnel, 1987, affaire Conseil de la concurrence).

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Permettre de faire comprendre le droit administratif à « tout le monde » est un bel objectif qui prouve que les Professeurs de droit public sont des gens courageux. Je n’ai pas encore réfléchi sur une méthode permettant de faciliter cet apprentissage.

Si la mise à la portée de chacun du droit administratif est la possibilité de permettre à tous d’utiliser le droit administratif, il faut renforcer la mutation du droit administratif vers une démocratisation des décisions administratives. Le droit administratif est en chemin. On le remarque dans les cas particuliers de l’enquête publique ou de l’étude d’impact (il existe d’autres exemples). Un projet administratif qui aura pour conséquence d’exproprier doit être soumis à une enquête publique qui permettra à la population de formuler des suggestions, des propositions voire des contre-propositions. L’étude d’impact analyse l’incidence d’un projet administratif sur l’environnement. Le droit européen précise qu’il convient de mettre en œuvre un résumé non technique des informations qui constituent le contenu de l’étude.

Cette nécessité de mise en œuvre d’une démocratisation du droit administratif va obliger les initiateurs de l’enquête publique, de l’étude d’impact à rédiger les projets de manière accessible pour permettre aux administrés concernés de prendre position et donc de participer à la prise de décision.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

« L’Europe n’est pas un petit village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur ». M. Jean Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, a prononcé ces mots lors de son intervention à l’occasion du congrès inaugural de l’Institut européen du droit.

Pour Jean-Marc Sauvé, L’Union européenne (UE) et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme (Cesdh) participent de la globalisation d’un droit public général qui comprend le droit administratif français. Ainsi, de nombreux concepts de droit administratif en France ont pu être généralisés par les deux ordres juridiques européens. Il s’agit par exemple du concept de proportionnalité tel qu’il ressort de la décision Benjamin rendue par le Conseil d’Etat en 1933. Il s’agit également des notions de service d’intérêt communautaire (Sig) de l’article 14 du Tfue similaires aux notions de Spa et de Spic français. Les règles des procédures de passation des marchés publics sont ensuite prévues par le droit de l’UE et s’imposent au droit administratif interne. Enfin, les règles du procès équitable, et notamment le droit au délai raisonnable prévu à l’article 6 paragraphe 1 de la Cesdh s’impose en droit administratif. En outre, l’institut européen du droit est créé pour réfléchir à la mise en oeuvre effective d’un « Jus Commun » qui pourra inclure le droit administratif des Etats membres de l’UE.

Certains de ces principes font l’objet d’une interprétation constructive des juridictions européennes et administratives françaises, ce qui permet d’aboutir à une interprétation commune du droit administratif. C’est le cas du droit au délai raisonnable qui, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh), a permis au juge administratif d’affirmer qu’une faute simple suffit à enclencher la responsabilité de l’Etat pour service défectueux de la justice. C’est également le cas de la jurisprudence de la Cedh qui prend en compte la jurisprudence administrative pour affirmer que la double fonction consultative et juridictionnelle du CE n’est pas contraire au principe d’impartialité de l’article 6 paragraphe 1 de la Cesdh.

Le Juge administratif a toutefois pu, pour l’application de certains droits, se détacher de la position européenne et donc de la position globalisée. En matière de droit au délai raisonnable, le juge administratif affirme qu’il est possible qu’un délai soit excessif alors même qu’il est raisonnable au sens de la position globale. Le droit administratif français garde, dans certains cas, une marge de manœuvre dans la détermination du champ d’application de son droit.

Ces illustrations me permettent de penser que le droit administratif français n’est pas un droit condamné à une globalisation le faisant disparaître dans un ordre juridique supérieur mais un droit autonome qui complète le droit globalisé au sein des ordres juridiques européens. Un véritable dialogue est finalement instauré entre les ordres juridiques européens et administratifs français qui permet une protection plus importante de l’administré dans un souci par exemple d’une bonne administration de la justice.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

La jurisprudence est le tissu même du droit administratif. Même si des apports construits par des textes nouveaux comme le code de justice administrative existent, la structure prétorienne du droit administratif ne change pas. A mon avis toutefois, on peut remarquer un glissement de cette structure prétorienne depuis les juridictions nationales vers les juridictions européennes qui interviennent beaucoup plus fréquemment dans la construction de la matière.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Le père du droit administratif est pour moi peut-être le père malheureux de la petite Blanco
  • et certainement tous ceux qui, constitués en équipe à l’origine au Mans, m’ont donné goût à son étude.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Conseil d’Etat, 8 février 1873, affaire « Blanco». Il s’agit de l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat crée le droit administratif en rendant l’Etat responsable de ses décisions dans un cadre spécifique différent du droit privé. Il n’était pas possible d’aboutir à un système de responsabilité sans mettre en place une compétence indépendante et impartiale pour juger d’une administration.
  • Conseil d’Etat, 13 décembre 1889, affaire « Cadot». Le Conseil d’Etat met fin à la théorie du ministre-juge. Il est désormais compétent pour statuer en premier et en dernier ressort sur l’annulation des actes administratifs de manière indépendante de l’existence d’un texte organisant sa compétence. Le Conseil d’Etat se dote ainsi de l’outil qui lui permet de produire du droit administratif. Une fois le Conseil d’Etat juge de droit commun de l’annulation des actes administratif, il était nécessaire de fixer des critères stables de répartition des compétences entre l’ordre juridictionnel administratif et judiciaire.
  • Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, « conseil de la concurrence » : Le Conseil constitutionnel va distinguer les compétences de l’ordre judiciaire et de l’ordre juridictionnel administratif. Ce faisant, le Conseil organise le bloc de compétence du juge administratif tout en mettant en œuvre un nombre de limites pour les matières que tiennent par nature les juridictions judiciaires et sauf raison de bonne administration de la justice qui pourrait permettre une dérogation aux critères de répartition.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La Constitution dans son ensemble et plus particulièrement son article 61-1 organisant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette QPC permet en effet au juge administratif de décider ou non de renvoyer une question posée par un justiciable à l’occasion d’une instance au Conseil constitutionnel. En jugeant du caractère sérieux et nouveau de la question et de l’applicabilité de la disposition concernée au litige, le juge administratif dispose en réalité d’une marge d’appréciation importante pour décider du renvoi. Cet article 61-1 a donc indirectement permis au juge administratif, lorsqu’il estime qu’il n’a pas à renvoyer la question, de s’ériger en juge de constitutionnalité de la loi.
  • L’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui conditionne l’action d’un juge administratif qui doit être impartial, indépendant et doit statuer dans un délai raisonnable même si le champ d’application de cet article reste limité à la contestation de droits ou d’obligations à caractère civils ou au bien fondé de toute accusations en matière pénale.
  • Le code justice administrative et le code des relations entre le public et l’administration. Le premier conserve les principes directeurs anciens du procès administratif et le deuxième formalise la mutation du droit administratif d’un droit de pouvoir vers un droit d’échange et de dialogue.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 186.

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ParJDA

Questionnaire de M. Garcia (47/50)

Leo Garcia
Etudiant – UT1 Capitole

Art. 185

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit qui touche l’ensemble des faits et gestes de l’administration. Il régit les relations entre les administrations elles-mêmes, les relations entre les administrations et les personnes privées ainsi que le fonctionnement et l’organisation de toutes les structures publiques. C’est donc tout ce qui ne touche pas aux relations entre personnes privées. C’est un droit essentiellement jurisprudentiel.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Oui. Il y a un droit administratif d’hier ; qui est d’ailleurs le même qu’aujourd’hui, et je l’espère un droit administratif de demain.

Le droit administratif d’hier et d’aujourd’hui n’a pas une jurisprudence unifiée. Le principe dégagé au départ devient au fil des années une exception. De plus, ce droit administratif donne l’occasion à tous d’avoir de nombreuses et différentes interprétations sur la règle que les juridictions vont dégager.

Le droit administratif de demain c’est un droit qui devra faire en sorte que les juridictions ne dégagent pas un principe qui deviendrait une exception parmi les exceptions et qui ne s’appliquerait qu’à un seul cas. C’est un droit qui devra clarifier et qui donner un cadre plus précis à sa jurisprudence pour éviter ces interprétations qui pourraient être source d’instabilité et d’insécurité juridique.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

C’est son autonomie par rapport au droit privé, son caractère dérogatoire au « droit commun ». Les rapports entre les personnes privées et les rapports concernant l’administration ne sont pas régis par le même droit et tranchés par les mêmes tribunaux alors qu’on aurait très bien pu l’imaginer. Le droit administratif français est également très prétorien.

 4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Sans hésiter, l’administration ou tout organisme public.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Par une unification de la jurisprudence, par la mise en place de grands principes qui ne deviennent pas des exceptions, ériger de grandes règles qui marqueraient les esprits des gens comme peut avoir cette faculté le droit privé et demander à la majorité des professeurs d’université d’arrêter de diaboliser ce droit.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

A une globalisation internationale, je pense que non. Mais à une globalisation européenne, assurément. La volonté d’une intégration européenne renforcée est toujours très présente chez les décideurs européens et cela dans tous les domaines. Le droit et le droit administratif n’y échappe pas. Cela fait déjà quelques années que le droit européen ne cesse de vouloir imprégner de son esprit nos règles administratives. La très récente réforme de la commande publique en est un parfait exemple. Et un virage à 180 degrés vers un retour à une stricte nationalisation du droit cela semble difficile.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

A la lecture de mes récents cours touchant des matières relatives au droit administratif et à la taille de la liste des arrêts à apprendre pour les partiels, assurément.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Maurice Hauriou, le père des pères.
  • René Chapus, pour l’aspect contentieux.
  • Pierre Delvolvé, pour la notion des contrats administratifs.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Tribunal des conflits, 8 février 1873, Blanco: le fondement du droit administratif français.
  • Conseil d’État, 20 avril 1956, Époux Bertin et ministre de l’agriculture c/ consorts Grimouard : le critère du service public et la qualification de contrat administratif ou de travaux publics.
  • Conseil d’État, 17 février 1950, Ministre de l’agriculture c/ Dame Lamotte : toute décision administrative peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Article 13 de la loi du 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». C’est le principe de la séparation de l’autorité administrative de l’autorité judiciaire qui est posé.
  • Les lois de décentralisation des années 1980 : l’application et le champ d’intervention du droit administratif change et de nouveaux acteurs entrent en jeux.
  • Le Code de Justice Administrative.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un chat : imprévisible, acrobate et gracieux.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

(…)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le Cri d’Edvard Munch.

La tête de l’homme représentée dans cette peinture semble refléter celle qu’une partie des juristes, professeurs de droit et citoyens peuvent souvent faire à la lecture des jurisprudences ou à chaque arrêt rendu par les juridictions administratives.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 1785.

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ParJDA

Questionnaire de Mme Cariven (46/50)

Marine Cariven
Etudiante – UT1 Capitole

Art. 184

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Les premières phrases du Que sais-je de Prosper Weil révèlent le caractère miraculeux de ce droit : « L’existence même d’un droit administratif relève en quelque sorte du miracle. Le droit qui régit l’activité des particuliers est imposé à ceux-ci du dehors, et le respect des droits et obligations qu’il comporte se trouve placé sous l’autorité et la sanction d’un pouvoir supérieur : celui de l’État. Mais que l’État lui-même accepte de se considérer comme «lié» par le droit (étymologiquement, la loi est ce qui lie) mérite l’étonnement. »

Il apparaît que le droit administratif est un « droit d’équilibre » (G.Kalflèche) qui fait la balance entre les intérêts des administrés (liberté des citoyens) et les intérêts de l’administration (intérêt général). Si P.Weil le considère comme un miracle, c’est parce que non seulement le droit administratif sert à défendre les droits des citoyens face à l’administration, mais aussi, parce qu’en raison de la nature même de l’Etat de s’imposer au citoyen, il le limite afin qu’il ne devienne pas un Etat totalitaire. Le droit administratif est un droit qui limite le pouvoir de l’Etat de manière à ce que l’Etat respecte les droits des citoyens. Ce qui mérite l’étonnement est qu’il est en fait créé par l’Etat pour s’autolimiter.

«Le droit administratif n’est pas, et ne peut pas être, un droit comme les autres : si ces mots avaient un sens, on dirait volontiers qu’il n’est pas un droit juridique, mais un droit politique. Il s’insère dans ces problèmes fondamentaux de la science politique que sont les rapports entre l’État et le citoyen, l’autorité et la liberté, la société et l’individu. »

Selon P.Weil, le droit administratif est politisé, et il est vrai que ce droit « exorbitant de droit commun » qui concède des prérogatives de puissance publique à l’administration au nom de l’intérêt général ou du bon fonctionnement du service public, dépend en grande partie de la lignée politique du gouvernement. En effet, en reposant sur des notions contingentes et relatives à l’évolution de la société, telles que l’intérêt général ou le service public, ce droit est caméléon, et se modifie au gré de la volonté subjective du gouvernement. Selon Mathieu Touzeil Divina dans son Dictionnaire de droit public interne, le droit administratif «a pour moteur principal le service public et la recherche de l’intérêt général au moyen de procédés dits exorbitants du droit privé à l’instar des prérogatives de puissance publique ». D’ailleurs, ce Professeur de droit administratif combat le préjugé que le droit administratif serait un droit purement objectif et technique, et conclut que finalement ce serait l’un des droits les plus subjectifs et interprétatifs.

Plus abstraitement, en partant des théories philosophiques de Rousseau ou de Hobbes, le droit administratif peut être compris d’une part comme l’intermédiaire du monopôle de la violence légitime, et d’autre part comme l’incarnation régissant la volonté générale, c’est-à-dire la loi. Le droit administratif serait la limitation des pouvoirs de l’Etat où chaque individu a accepté de lui concéder ses droits naturels, afin de garantir des droits et libertés individuelles.

Le droit administratif apparaîtrait comme un droit à la frontière du juridique et du politique, et avant tout, comme une puissance publique dérivée du monopôle de la violence légitime garante des libertés individuelles de chaque citoyen et de la paix sociétale.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

J’aurai tendance à répondre que forcément, comme la plupart des droits qui sont en perpétuelle réforme et évolution. Le droit administratif, à l’instar de tous les autres droits, n’est pas figé dans un bloc de marbre parce que le droit est vivant et qu’il est marqué par des évolutions jurisprudentielles ou légales, qui elles mêmes sont le miroir des changements historiques, sociétales, économiques, sociales et politiques. Toutefois, même si cette approche est cohérente, elle a le défaut d’être ‘un peu bateau’.

En ce qui concerne le droit administratif d’hier, il serait peut-être le droit qui ne se définissait que par le prisme de l’indice organique, soit la personne publique, qui voulait absolument se démarquer du droit privé et s’affirmer comme indépendant et autonome du Code Civil et de la compétence du juge judiciaire, notamment en s’imposant aux administrés (Théorie de l’Ecole de la Puissance publique de M. Hauriou) et en usant de prérogatives de puissance publique. Le droit administratif d’hier était celui qui avait besoin de s’affirmer pour pouvoir exister, et s’établir de manière propre.

Aujourd’hui, le droit administratif a achevé ce combat et poursuit d’autres intérêts. En effet une juridiction administrative a été créé et un contentieux particulier s’applique pour ce droit. Pourtant, il devient de plus en plus difficile de le distinguer du droit privé dans certaines hypothèses, étant donné la privatisation de ce droit. En effet, toutes les notions dont dépendent le droit administratif (comme le service public, le domaine public, les travaux publics, les ouvrages publics…) mutent et adoptent un caractère hybride. D’ailleurs et à titre d’exemple, depuis 2006 le CG3P a une volonté de particulariser l’administration, en réduisant le domaine public et en valorisant le domaine privé dans une recherche où le profit économique prime de plus en plus sur les règles de la domanialité publique. Pourtant, la pratique prétorienne démontre que les juges font de la résistance à cette privatisation. Et surtout, en dépits de ces nombreuses modifications, l’intérêt général demeure le pilier du droit administratif, ce qui empêche pour l’instant ce dernier de retourner sa veste.

Le droit administratif de demain ne peut pas se définir, mais il peut être pronostiquer. Il dépend non seulement de la volonté du gouvernement, mais aussi du droit de l’Union Européenne qui définit certaines notions à l’encontre de la conception française. Par exemple, alors que le service public obéit souvent à la notion de monopole, notamment le « service public à la française », l’idée d’un marché commun ouvre nécessairement le service public à la concurrence, rompant avec la tradition monopolistique.

Le droit administratif de demain sera peut-être un droit qui ne veut plus se définir par le biais de certains primes, mais qui accepte une pluralité de critère sans que cela ne porte atteinte à son essence.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif français provient de son histoire, et de toute la conception de l’Ecole du Service Public portée en partie par L.Duguit. Cette école du service public estime que le droit administratif se justifie par son but. Et le but du droit administratif, c’est de garantir le service public.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

(…)

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

(…)

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

(…)

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

(…)

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

(…)

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

(…)

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

(…)

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

S’il était un animal, il serait sans hésitation un caméléon par sa faculté de s’adapter et de changer de peau selon les contextes et les besoins politiques. J’ai hésité avec l’assimilation à un oiseau, en raison de son caractère libre et insaisissable, mais le caméléon me paraît plus approprié car comme le droit administratif, il se montre et se laisse voir tout en changeant d’apparence très rapidement.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Il serait « Du Contrat Social » de Rousseau, qui explique selon moi à merveille la création d’un Etat de droit et ses conséquences sur la liberté des citoyens. Ou le « Léviathan » de Hobbes, qui complète la théorie rousseauiste en démontrant que le seul individu que le droit empêche d’être renversé, c’est l’Etat de droit.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

(…)

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 184.

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