La médiation obligatoire en matière administrative

ParJDA

La médiation obligatoire en matière administrative

par Mme Georgina BENARD-VINCENT

Doctorante, Équipe de recherche en droit public, Centre de recherches
Droits et perspectives du droit, Université de Lille 2

On peut conduire un cheval à l’abreuvoir,
mais non le forcer à boire.

Proverbe anglais

129. C’est un lieu commun d’affirmer que les conflits, tout comme notre façon de réagir, font partie de notre vie. Petite sœur de la diplomatie, la médiation correspond à un besoin élémentaire de communication, et donc de relation à autrui. Sur le plan juridique, elle s’est introduite d’abord dans la sphère privée, à travers les relations familiales, commerciales ou liées au monde du travail. Aujourd’hui, les administrations et la justice administrative s’en emparent. La nouvelle loi, baptisée « J21 », du 18 novembre 20161 en est la consécration, avec un titre II qui lui est dédié. Pourquoi un tel engouement ? La médiation apparaît comme rapide, simple et peu coûteuse. Elle est perçue comme la panacée2. Jean Marc SAUVE, Vice-Président du Conseil d’État, en est le premier promoteur3.

Le procès est vu désormais comme un échec. Le modèle contemporain n’est pas dans le procès, mais dans son évitement. L’Union européenne a œuvré au développement des modes alternatifs et en particulier à celui de la médiation. La directive européenne du 21 mai 20084 réaffirme qu’elle est une voie essentielle de résolution des conflits. Elle indique que la médiation « devrait être un processus volontaire ». L’utilisation du conditionnel est révélateur de la possibilité pour les États membres d’introduire dans leur législation un processus de médiation obligatoire.

De façon opportune, la loi « J21 » maintient la définition de la médiation, issue de la transposition de la directive5. Elle « s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction ». Cette définition n’indique aucunement le caractère obligatoire ou facultatif de la médiation. Mais, pour encourager ce processus, rien ne vaut l’obligation. Par ailleurs, la mention du caractère gratuit de la médiation, quand celle-ci constitue un préalable obligatoire, n’est pas anodine. Le cœur de la réforme « J21 » n’est évidemment pas de retirer au juge ses compétences, mais de diminuer sensiblement les saisines. La médiation obligatoire fait partie des moyens pour aboutir à cet objectif.

Cette chronique a pour but de démontrer en premier lieu que le caractère obligatoire de la médiation est critiquable philosophiquement, car contraire à sa nature profonde (I). D’autre part, juridiquement, la médiation obligatoire est un objet non identifiable, souvent confondu avec le recours administratif préalable obligatoire (II).

La médiation obligatoire : un contresens philosophique

La médiation est à l’évidence une démarche consensuelle. Les parties doivent donner leur assentiment pour régler le différend, qui les oppose, par cette voie. Si la médiation est un « processus structuré », pour reprendre la définition, celui-ci doit comprendre dans ses règles celle du consentement préalable. Le Code national de déontologie du médiateur6 précise que « le médiateur doit obligatoirement recueillir le consentement libre et éclairé des personnes, préalablement à leur entrée en médiation ». Cela est conforme aussi à la vision édictée par la Directive européenne du 21 mai 2008 qui souligne explicitement son caractère volontaire (même si rien n’est imposé aux États membres). Rendre obligatoire le processus de médiation est antinomique. On peut s’inspirer de la démarche de la phénoménologie. Le philosophe et logicien allemand Edmund Husserl7 dirait que l’expression « médiation obligatoire » est un contresens (Widersinn) car elle contient en elle – même une contradiction formelle.

Alors quelles sont les raisons invoquées pour introduire le caractère obligatoire de la médiation en matière administrative ?

La première raison est empirique : faire économiser du temps au juge administratif. L’objectif de productivité (traiter un maximum d’affaires en un minimum de temps) est indéniable au regard du non accroissement des moyens des juridictions administratives. Il s’agit clairement d’une logique de résultats. Rendre la médiation obligatoire est un filtre efficace pour désengorger les tribunaux administratifs. Michèle GUILLAUME-HOFNUNG dénonce cette vision en parlant de médiation « Destop »8. Si la médiation ne doit pas, en effet, être une voie de secours, on peut néanmoins comprendre que le juge administratif ne souhaite plus être la bouée de sauvetage d’une administration défaillante. L’heure est à la dé – judiciarisation : on ne fait pas intervenir le juge sauf si cela est impératif9. Comme en médecine, on considère qu’une thérapie légère pour résoudre le conflit devrait rendre au juge une disponibilité qui lui manque, trop souvent, pour résoudre les difficultés les plus graves.

La deuxième est plus sociologique : responsabiliser les citoyens. La médiation est finalement au moyen de faire participer les citoyens au fonctionnement de la justice. Celui-ci doit comprendre que le recours au juge administratif n’est plus systématique. Il s’agit donc d’un changement profond de paradigme dans le règlement des litiges. Ce n’est pas sans rappeler la « médiation citoyenne », évoquée dans les travaux de Jean François SIX10. Mais il ne faut pas oublier que la tentative de médiation ne doit pas être un moyen de retarder le droit de chaque citoyen d’obtenir que la justice lui soit rendue. Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».

Pourtant, au lieu d’enjoindre de recourir à une médiation, d’autres solutions sont possibles, qui sont plus respectueuses de l’esprit de la médiation. La plus pertinente semble être l’obligation d’information, à l’image de celle du médecin vis à vis de son patient. Tout justiciable doit savoir que la médiation est une voie possible pour régler son différend, même en matière administrative, depuis la loi « J21 ». Les commissions départementales d’accès au droit devraient être en première ligne sur cette mission. Ainsi, en connaissance de cause, les protagonistes choisissent ou non d’engager ce processus. Il s’agit ici d’une contrainte légère qui maintient la liberté de décision. De plus, par ce choix actif et éclairé, cela responsabilise le justiciable.

Si le caractère obligatoire et systématique de la médiation est contestable philosophiquement,  qu’en est-il d’un point de vue juridique ?

La médiation obligatoire : un ovni juridique

La médiation avant toute action en justice a connu récemment un essor en droit privé. Par exemple, un professionnel doit proposer obligatoirement une médiation au consommateur, qui s’estime lésé11. Qu’en est-il en matière administrative ?

Les administrations utilisent pleinement un autre mode alternatif proprement publiciste : les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO). Plus de 140 procédures sont concernées12. C’est une forme de solution pacifique des différends car ces recours sont fondés sur le dialogue usagers / administrations afin d’éviter la saisine du juge. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une médiation, au sens juridique du terme, en raison de l’absence évidente d’une tierce-personne impartiale.

Plus récemment, des commissions collégiales ont été créées. L’exemple initial vient de la commission de recours des militaires, créée en 200113, auprès du Ministre de la Défense pour régler amiablement les conflits liés aux situations personnelles (hors recrutement et discipline) de ces fonctionnaires. Comme le RAPO « classique », la commission14 joue un rôle de filtre avant une action en justice en rapprochant les points de vue du militaire avec ceux de sa hiérarchie. Rappelons que le militaire ne pourra saisir le juge administratif qu’après l’avis de la commission, sous peine d’irrecevabilité de sa requête (sans régularisation possible).

Force est de constater que les RAPO, peu importe leurs formes, ont la vertu d’être efficaces15 et permettent de freiner l’inflation contentieuse. Néanmoins, il convient d’éviter deux écueils. Tout d’abord, la généralisation des RAPO serait désastreuse et improductive en raison principalement du retour inquiétant de l’administrateur-juge16. D’autre part, il ne faut pas confondre la démarche des RAPO avec celle de la médiation. Le RAPO permet à l’administration de corriger ses erreurs et/ou de répondre au public de manière plus précise. Il s’agit d’une démarche de prévention et à visée pédagogique dans le cadre d’une bonne administration. La médiation, quant à elle, est une démarche de résolution des conflits, donc à visée curative.

On retrouve cette confusion dans les commissions départementales de médiation pour le droit opposable à un logement décent et indépendant (DALO), consacré par la loi du 5 mars 200717. En réalité, il s’agit d’un recours administratif préalable, puisque cette instance détermine le caractère prioritaire ou non de la demande de logement18 selon des critères préétablis. De la même façon, mais dans le sens inverse, on peut évoquer le décret du 10 mai 201219 portant expérimentation d’un RAPO dans les contentieux liés à la situation personnelle des agents de l’État. La spécificité de ce RAPO est de faire appel à un « tiers de référence », qui est en réalité un médiateur, puisqu’il ne doit avoir aucun lien hiérarchique avec l’agent20.

En résumé, la médiation obligatoire en matière administrative est un « ovni » juridique que l’on a peine à identifier.

La situation va peut-être évoluer. En effet, la volonté récente du législateur, dans la loi « J21 », est justement d’aller plus loin. Il instaure, pour un délai de quatre ans, l’expérimentation d’un dispositif de médiation préalable obligatoire dans tous les litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics, toute fonction publique confondue. Cette expérimentation sera aussi menée dans un autre contentieux de masse : celui des droits sociaux. Un prochain décret devrait définir le cadre juridique de cette médiation obligatoire. Le premier réflexe sera de déterminer s’il s’agit d’une véritable médiation. Dans tous les cas, cela permettra de relancer ce débat, qui est loin d’être clos.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 04 ; Art. 129.

(1)  Loi 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016, JORF du  19 novembre 2016, Texte n°1 (NOR: JUSX1515639L) ; JCP A 2016, act. 902

(2)  v. notamment Florence Creux-Thomas, « La médiation : opportunité ou gadget », JCP G 2009, 558

(3) v. son intervention, Maison du Barreau, 24 novembre 2016, Rentrée solennelle du barreau de Paris, Paris, place internationale des modes alternatifs des règlement des litiges, http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-Interventions (consulté le 7 février 2017)

(4) § 13 et 14 de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, du Parlement européen et du Conseil, JOCE n° L136, 24 mai 2008, p.3

(5) Cette définition est désormais reprise dans l’article 213-1 du CJA. Elle est issue de l’ordonnance du du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, JORF du 18 novembre 2011 (NOR: JUSC1117339R)

(6) Code national de déontologie du médiateur rédigé par le rassemblement des organisations de la médiation, présenté au Palais Bourbon le 5 février 2009, http://www.anm-mediation.com/images/anm/documents/code-de-deontologie.pdf (consulté le 7 février 2017)

(7) v. Françoise Dastur, La phénoménologie en questions, Librairie philosophie J. Vrin, Problème et contreverses, p.32 et 36

(8) Michèle Guillaume-Hofnung, « La médiation : des textes à la pratique – Propos conclusifs », Gaz.Pal 2013, n°358

(9) v. Simone Gaboriau, « Déjudiciarisation et administration de la justice, promouvoir la juridiversité », Petites affiches, 2012, n°199, p.3

(10) Jean François Six, Dynamique de la médiation, Desclée de Brouwer, novembre 1995, 288 p.

(11) Décret n° 2015-1382 du 30 octobre 2015 relatif à la médiation des litiges de la consommation, JO du 31 octobre 2015, p.20408, texte n°42 (NOR : EINC1517228D)

(12) Selon une étude du Conseil d’État, Les recours administratifs préalables obligatoires, Doc.Fr. 2008

(13) Décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires, JORF du 11 mai 2001, p. 7786 (NOR : DEFP0101359D)

(14) Arrêté du 23 août 2010 relatif au fonctionnement des commissions de recours des militaires, JORF du 2 septembre 2010, p.16006, texte n°20 ; v. Jean Luc Pissaloux, « Une expérience réussie : le recours administratif préalable des militaires », AJDA 2005, p. 1042

(15) v. Jean Claude Bonichot, « Le recours administratif préalable obligatoire : dinosaure juridique ou panacée administrative ?, Mélanges Labetoulle, Dalloz 2007, pp.81-95

(16) v. Didier Truchet, Répertoire de contentieux administratif, Titre I, Chap. 3, Avantages et inconvénients du recours administratif (actualisation janvier 2015)

(17) Loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, JORF du 6 mars 2007, p.4190, texte n°4 (NOR : SOCXO600231L)

(18) v. Jean Michel Belorgey, « Deux RAPO pour le prix d’un », AJDA 2016, p.2185

(19) Décret n°2012-765 du 10 mai 2012 portant expérimentation de la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des agents civils de l’État, expérimentation jusqu’au 16 mai 2014, JORF du 11 mai 2012, texte n°6 (NOR : MFPF 1210008D) ; v. les propos de Lucienne Erstein, JCP A 2012, act. 736

(20) Pour plus de précisions, v. la circulaire du directeur général de l’administration et de la fonction publique du 5 octobre 2012 (NOR : RDFF1234399C).

 

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À propos de l’auteur

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3 commentaires pour l’instant

cloitrePublié le5:04 am - Avr 12, 2017

QUELLE IGNOMINIE !!!! un cahot sur le travail!!!!

JDAPublié le8:29 pm - Avr 12, 2017

Cher.e. inconnu.e.
le JDA n’a pas pour habitude de censurer …. nous laissons donc en l’état votre commentaire en espérant que la suite que vous y donnerez sera constructive. Si tel n’était pas le cas, nous le supprimerions car sans détails supplémentaires vous n’apportez rien au débat (à part vous être personnellement défoulé).
Bien cordialement

BENARD-VINCENT GeorginaPublié le6:47 am - Avr 13, 2017

Votre remarque a la faiblesse de ne porter aucune réflexion constructive.
Dommage pour moi et pour le JDA. A bon entendeur !

Répondre à BENARD-VINCENT Georgina