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L’intitulé du Code et le choix des termes

par M. le pr. Didier TRUCHET,
professeur émérite à l’Université Panthéon Assas

Art. 67. Lors de la longue gestation du code, son intitulé a longtemps été discuté. La loi du 12 novembre 2013 qui habilitait le gouvernement à établir par ordonnance le nouveau code a tranché : ce serait un code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Chaque mot de cet intitulé résulte d’un choix. Il fallait annoncer pédagogiquement l’objet et le périmètre du code qui ont longtemps fait débat, et traduire politiquement l’objectif poursuivi. L’appellation « CRPA » a le mérite d’être compréhensible pour le public auquel le code s’adresse. « Code de procédure administrative non contentieuse » aurait été plus exact techniquement, mais plus obscur. Elle est cependant réductrice et donc un peu trompeuse : le code ne concerne que les relations juridiques (pas les relations de fait et donc pas la responsabilité) et parmi elles, que les relations unilatérales (pas les relations contractuelles). En outre, le lecteur non spécialiste ne percevra peut-être pas que le code ne s’applique pas aux relations qui font l’objet de dispositions spéciales dans d’autres textes , même si le premier article du CRPA l’en avertit.

Un « code » : il réunit dans un ensemble cohérent et aisément accessible les règles de droit en vigueur, auparavant dispersées dans les textes et la jurisprudence. Rien de plus : il ne prétend pas être une charte des droits administratifs, non plus qu’une loi de réforme de l’administration.

« Public » : on ne pouvait pas adopter un terme plus plat, plus anonyme et plus large. Cela rappelle les pancartes « Accès du public » ou « Interdit au public » de nos bâtiments administratifs. « Public » est aussi le mot utilisé de longue date par la législation pour distinguer les services de communication (presse, audiovisuel, spectacles…) des services de correspondance (téléphone, poste, courriels…) qui s’adressent à des personnes identifiées. Un public est un ensemble indéterminé de destinataires, sans considération de leurs caractéristiques personnelles. Les rédacteurs du code ont voulu exposer au plus grand nombre ce que l’on peut légalement demander à l’administration et attendre d’elle. Le droit administratif a toujours eu du mal à nommer l’ensemble des administrés, parce que sa tradition historique les situait dans des contextes particuliers (les contribuables, les assurés sociaux, les élèves et étudiants, les détenus etc.) et les considérait comme des requérants confiant au juge la protection de leurs droits envers les administrations. Les textes codifiés dans le CRPA parlaient déjà de « public » (loi du 11 juillet 1978 portant diverses dispositions d’amélioration des relations entre l’Administration et le public) mais aussi d’ « usagers » (décret –abrogé en 2006- du 28 novembre 1983 concernant entre les relations entre l’administration et les usagers, ordonnance du 8 décembre 2006 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives ) et même de « citoyens » (loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations). «Administré » aurait paru poussiéreux et passif ; guère plus moderne, «usager » aurait en outre été trop étroit car le mot désigne en principe l’utilisateur d’un service public ou d’un bien du domaine public ; « citoyens » aurait été trop large et aurait renvoyé à un thème, la citoyenneté administrative, qui est passé de mode.

Va donc pour « public », terme auquel chacun peut s’identifier. Mais je regrette que le nouveau code n’ait pas employé « personne » dans son titre. Car dans nos relations avec l’administration comme avec tout autre titulaire d’un pouvoir sur nous, nous ne voulons plus être considérés comme les particules élémentaires et anonymes d’un ensemble indifférencié mais respectés comme des personnes avec leur existence, leur dignité et leurs caractéristiques propres. D’ailleurs, l’article L 100-3 du CRPA définit le public comme « a) toute personne physique ; b) toute personne morale de droit privé […] ». Et ses dispositions parlent bien davantage des personnes (« toute personne », « une personne qui … ») que du public. Dommage que ce dernier fasse dans l’intitulé du code, écran entre l’administration et les personnes car ce sont bien elles et non le public, qui sont titulaires de droits et d’obligations.

« Administration » ? Le mot n’a aucune signification juridique précise puisque lorsque l’on dit d’une entité qu’elle est une administration, on ne dit en réalité pas grand-chose de sa nature juridique ou du régime auquel elle est soumise. Le code doit donc énumérer ce que recouvre l’administration, non pas en général, mais dans son champ d’application : « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Claire pour les spécialistes, cette liste ne l’est sans doute pas pour les autres lecteurs, qui auront aussi du mal à déceler que le code ne s’applique pas entre administrations elles-mêmes car elles n’entrent pas dans la définition du public. Mais ses auteurs entendaient user de formules simples, seraient-elles imprécises, incomplètes ou sujettes à interprétation : nul doute que le public auquel il est destiné subodorera aisément ce qu’est une administration.

L’intitulé du CRPA illustre la difficulté de l’intelligibilité du droit, que tant d’administrations (et pas elles seulement) rencontrent lorsqu’elles s’adressent au public : faut-il ne dire que l’essentiel, au risque de délivrer une information incomplète qui peut être trompeuse dans quelques cas particuliers, ou tout dire, au risque de délivrer une information si technique et exhaustive qu’elle en devient incompréhensible ?

Il me semble que le choix des mots et de l’intitulé du code résout bien cette difficulté. Le rapport au président de la République qui précède le code dit que son plan « traduit les différentes étapes du dialogue administratif ». C’est ce qui explique que dans l’intitulé, « public » précède « administration ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 67.

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