Art. 414.
Florence Y Caurand
Avocat au barreau de Saintes
Attorney at law, Massachusetts, USA (inactive)
Depuis quelques années, le Conseil d’État accueille des rencontres et des colloques sur le thème du droit de l’environnement, manifestant ainsi l’importance croissante des préoccupations environnementales qui transcendent les frontières et les évolutions récentes de cette branche du droit.
En effet, depuis peu, l’État doit faire face au dérèglement climatique de plus en plus perceptible et ses conséquences multiples. De nombreuses mesures ont donc été prises aux fins d’y remédier. Des dispositions concernant l’environnement figurent désormais dans de le corps de traités ou conventions internationales (CCNUCC[i]) et en droit européen (Directives environnement[ii]). Sur le plan national, L’une Charte de l’environnement est désormais adossée à la Constitution, outre la publication d’un Code de l’environnement suivie d’un Code de l’énergie.
Avec la multiplication de textes, s’est développé un contentieux environnemental, principalement devant les juridictions administratives, juges de l’action, voire de l’inaction de l’administration.
Récemment, 2 séries de décisions ont été rendues qui profilent d’une part la force contraignante des objectifs chiffrées de réduction des gaz à effet de serre suite aux accords de Paris (Cop 21) et la nécessité de réparer un préjudice écologique (I), et d’autre part ouvrent plus largement la voie des procédures de référé par la consécration du droit de vivre dans un environnement équilibré, comme constituant une liberté fondamentale (II).
I – Le droit de l’environnement dont le Conseil constitutionnel est le garant de la valeur constitutionnelle (A), a désormais valeur contraignante dans ses objectifs chiffrés, dont le juge administratif est le garant (B)
La Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle et l’interprétation de sa portée normative revient au Conseil constitutionnel
La révision constitutionnelle de 2005 a adossé la Charte de l’environnement à la Constitution de la Vième République. Cette charte reconnaît des droits nouveaux, distincts de ceux contenus dans la Déclaration de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Ces droits sont énoncés en termes généraux mais novateurs. Par exemple, l’article 1 consacre le droit de vivre dans un environnement équilibré (Voir II ci dessous), et les articles suivants prônent le devoir de prévenir ou limiter les atteintes à l’environnement. L’article 6 consacre le principe du développement durable.
Il revient donc au Conseil constitutionnel d’en définir les contours et la portée lorsqu’il est saisi de l’inconstitutionnalité d’une loi, soit par les parlementaires avant sa publication, soit par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, à la demande d’un justiciable au cours d’une procédure à laquelle il/elle est partie. Dans cette hypothèse, le justiciable soulève une question prioritaire de constitutionnalité (‘QPC’)[iii].
Dans une première décision du 29 décembre 2019, le Conseil annule des régimes d’exemption fiscales contenus dans la loi de finances relative à la contribution carbone[iv]. Dans une seconde décision du 31 janvier 2020 (Décision 2019-823), le Conseil constitutionnel a jugé que la protection de l’environnement justifiait des atteintes à la liberté d’entreprendre[v].
Désormais, un choix de politique environnementale qui relevait auparavant de politique publique, revient désormais en partie au juge constitutionnel, mais aussi au juge administratif.
Le juge administratif sanctionne désormais le non respect par l’Etat des objectifs chiffrés de protection de l’environnement et la réparation d’un préjudice écologique
Dans les décisions «Grande-Synthe», puis «Affaire du siècle» et «Les Amis de la Terre France», le Conseil d’État et le Tribunal administratif de Paris ont jugé que l’État était tenu de respecter les objectifs chiffrés de réduction d’émission de gaz à effet de serre à 40% d’ici 2030 (devenu désormais 55% au niveau européen), ce qu’il ne l’avait pas fait, et a ordonné à l’État de réparer le préjudice écologique lié à ses manquements à ses obligations[vi]. Ces décisions constituent une réelle avancée dans la protection de notre environnement.
Le juge administratif s’inspire d’autres décisions rendues par des juridictions étrangères au sein de l’Union européenne (cours suprêmes d’Irlande et des Pays Bas[vii]), mais aussi au delà (Cour suprême des États-Unis et Cour fédérale américaine du 9ième circuit[viii]). Ceci semble en effet souhaitable car des actions coordonnées auront plus d’impact pour la protection de l’environnement et l’avenir de l’humanité.
Dans la décision «Commune de Grande Synthe» du 1er juillet 2021[ix], le Conseil d’État annule le refus du Gouvernement de prendre des mesures complémentaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Conseil observe notamment qu’en 2020, la réduction des gaz à effet de serre était avant tout liée à la baisse d’activité économique en période de crise sanitaire. Le Conseil souligne l’effet contraignant des accords de Paris ainsi que l’application du Règlement européen du 30 mai 2018 dit ESR (2018/842). Après avoir examiné les données scientifiques récentes, Le Conseil enjoint au Gouvernement de prendre les mesures complémentaires nécessaires avant le 31 mars 2022. Suite à cette décision, le Gouvernement a publié le 4 mai 2022 un communiqué contenant une synthèse de sa réponse au Conseil d’État, en exécution de l’injonction prononcée à son encontre.
Dans sa décision «Association les amis de la terre» concernant la pollution de l’air, le Conseil d’État va plus loin et prononce une astreinte fixée à 10 millions d’euros par semestre, faute pour l’État d’avoir exécuté sa précédente décision du 12 juillet 2017[x].
Dans les décisions «Affaire du siècle» en 2021, par 3 jugements distincts, le Tribunal de Paris, saisi par plusieurs ONG, enjoint à l’État de réparer à bref délai sa carence en matière de lutte contre le changement climatique et le condamne à réparer le préjudice écologique lié à l’impact direct sur le réchauffement climatique. Le Tribunal cite les engagements chiffrés pris par la France lors de la CCNUCC en 1997 puis lors des accords de Paris en 2015 et évalue le préjudice écologique par la part attribuée à la carence de l’État sur la mesure atmosphérique des émissions de gaz à effet de serre[xi].
Ces décisions récentes donnent toutes force de loi aux objectifs chiffrés de protection de l’environnement et confirment la réalité d’un préjudice écologique indemnisable devant le juge administratif. Parce qu’il est conscient de la nécessité de prendre une décision réaliste dans son exécution , en plus d’être politiquement acceptable, le juge administratif prend soin de préciser que s’il enjoint l’État de prendre les mesures nécessaires, il appartient au seul Gouvernement d’en déterminer la mise en oeuvre.
Dans une décision du 20 septembre 2022, le juge administratif ouvre également la voie à la protection de l’environnement dans le cadre de procédures rapides de référé (II).
II- Saisi dans le cadre de procédures rapide de référé, le juge administratif peut désormais ordonner à l’État de prendre des mesures nécessaires (A), et consacre en référé-liberté, une nouvelle liberté fondamentale (B)
Les procédures de référé devant le juge administratif: outil d’action du juge administratif depuis l’an 2000
Depuis 22 ans, le Code de justice administrative (‘CJA’) permet au justiciable de saisir le juge administratif dans le cadre de procédures accélérées, qui ne jugent pas définitivement l’affaire, car la décision prise par le juge, d’exécution immédiate, reste néanmoins provisoire. Certaines de ces procédures de référé permettent donc de saisir rapidement le juge administratif en matière d’atteinte à l’environnement.Il y a plusieurs types de référés, les référés liés à l’urgence (suspension, liberté, conservatoire) et les référés qui en sont exemptés (constat, instruction, provision)
Ainsi dans le cadre d’un référé-suspension, le requérant peut solliciter la suspension de l’exécution de la décision administrative qui porterait atteinte à l’environnement, décision dont il doit avoir parallèlement saisi le juge d’une demande d’annulation (L 521-1 CJA). Le requérant peut également saisir le juge d’une procédure de référé-constat ou de référé-instruction, afin d’obtenir la constatation de faits par un expert, ou d’obtenir une expertise concernant les faits du litige et les potentiels dommages pour l’environnement (L 521-3 du CJA) Dans le cadre du référé conservatoire (dit mesures utiles), le juge administratif peut prendre toute mesure utile, à la condition de ne pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Il peut par exemple s’agir de mettre un terme au danger immédiat pour l’environnement constitué par un ouvrage public (voir CE 5 juin 2020, Syndicat intercommunal des eaux de la Vienne n° 435126 B) Le référé-injonction ou «liberté» n’est possible, qu’en cas d’atteinte manifeste à une liberté fondamentale.
En 2021, un rapport rédigé par Mesdames Montebou et Untermaier, de la Commission des lois constitutionnelles à l’Assemblée Nationale, met en lumière la spécificité des atteintes à l’environnement et la nécessité d’agir en urgence compte tenu du risque de dommages irréversibles[xii]. Après avoir dressé l’inventaire des procédures de référé existant devant les juridictions administratives et judiciaires, les auteurs soulignent que la notion de risque environnemental peut être mal saisie par le juge, outre la difficulté pour ce-dernier à relever la condition d’urgence ou d’illégalité manifeste.
Malgré ces difficultés, dans sa décision du 20 septembre 2022, le Conseil d’État, saisi d’une procédure de référé-liberté ouvrait une nouvelle voie d’action en matière de protection de l’environnement.
Le droit de vivre dans un environnement équilibré: une liberté fondamentale consacrée par le juge administratif des référés
Le Conseil d’État était saisi d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L 521-2 du Code de justice administrative. Cette procédure permet au requérant de saisir le juge administratif lorsqu’il estime que l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il doit justifier de la condition d’urgence.
Des particuliers avaient saisi le Conseil d’État d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Toulon, qui avait rejeté leur demande de suspension de travaux routiers.Le Conseil rejette leur demande au motif que la condition d’urgence n’est pas réunie. Cependant, le Conseil d’État juge que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, pour rejeter la demande initiale, en jugeant que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 du Code de justice administrative. Sur le fond, le Conseil s’appuie sur un diagnostic environnemental réalisé un an auparavant par le département du var, pour juger que les travaux entrepris ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé[xiii]. Il convient de noter l’importance croissante de l’instruction du dossier, de plus en plus orale, afin que les parties produisent les informations et explications nécessaires et que le juge ait la possibilité d’inviter des experts à formuler leurs observations[xiv].
Il n’en reste pas moins que le droit de vivre dans un environnement équilibré vient désormais s’ajouter aux nombreuses libertés fondamentales reconnues par le juge administratif saisi d’un référé-liberté, telles que la liberté d’aller et de venir, la liberté du commerce et de l’industrie, la présomption d’innocence ou le droit d’exercer un recours effectif devant un juge.
Ainsi par des décisions récentes et innovantes, le juge administratif construit jour après jour un droit plus protecteur de l’environnement, qui invite chacun à prendre conscience des enjeux climatiques qui touchent notre planète. Ce nouveau droit qui s’élabore correspond avant tout à un modèle de société dans laquelle nous souhaitons vivre demain.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Caurand Florence Y. « Droit de l’environnement devant le juge administratif : un contentieux en ébullition » in Journal du Droit Administratif (JDA), 2023 ; Art. 414.
[i] CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques); CDB (Convention sur la diversité biologique); CLD (Convention sur la lutte contre la désertification) adoptées lors du sommet de la Terre à Rio en 1992.
[ii] Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 du Parlement européen et du Conseil; Règlement (UE)sur la qualité de l’air; 2018/842 du 30 mai 2018 du Parlement européen et du Conseil relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre; Décision 406/2009/CE du 23 avril 2009 du Parlement européen et du Conseil relative à l’effort fourni par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2020.
[iii] Prévue par l’article 61-1 de la Constitution de 1958, lors d’une instance en cours, le justiciable peut contester la constitutionnalité d’une loi directement applicable à son dossier. La QPC sera d’abord examinée par la juridiction saisie du dossier, puis la QPC pourra être transmise au Conseil constitutionnel.
[iv] Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009: le Conseil constitutionnel juge que l’importance des exemptions fiscales totales était contraire à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique.
[v] Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020: le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur les termes du préambule de la Charte de l’environnement et sur l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé résultant du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
[vi] CE 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe, n°427301; CE Ass, 10 juillet 2020, Les Amis de la Terre et autres, n° 428409; TA Paris février 2021, Oxyfam France et autres, n°1904967.
[vii] Friends of the Irish v. Ireland, record N° 2018/ 391 JR; Cour suprême des Pays Bas, 20 décembre 2020, Pays Bas c Fondation Urganda, 19/00135.
[viii] Massachusetts v. EPA, 549 US. 497 (2007); Juliana et al. US. District Court, 2016 WL 6661146 (D. Or. Nov. 10, 2016)
[ix] Idem note vi.
[x] Idem note vi.
[xi] Idem note vi.
[xii] Assemblée Nationale, Mission «flash» sur le référé spécial environnemental, Communication de Mesdames Naïma Moutabou et Cécile Untermaier, 10 mars 2021, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
[xiii] CE 20 septembre 2022, M et Mme C. Département du Var, n° 451129
[xiv] Décret 2023-10 du 9 janvier 2023 relatif aux procédures orales d’instruction devant le juge administratif.
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