Art. 276.
Brève sous CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987
Adrien Pech
Doctorant en droit de l’Union Européenne, IRDEIC
Université Toulouse I Capitole
Si le Conseil d’Etat semble particulièrement enclin à refuser (V. not. en ce sens HOSTIOU, R., « Jurisprudence administrative et judiciaire 1997-1998. L’expropriation pour cause d’utilité publique », AJDI 1998. 806; GILBERT, S., SIMONET, E., « L’expropriation pour cause d’utilité publique », AJDI 2007. 20 ; AUBY, J-M., BON, P., TERNEYRE, P., Droit administratif des biens, Paris, Dalloz, 7e éd., 2016, § 746.) l’annulation d’actes réglementaires prévoyant la construction ou l’aménagement de rocades (CE, 1er févr. 1980, n° 9712, Bodin et Marzat), d’axes autoroutiers (CE, 7 déc. 1979, Assoc. féd. rég. protection nature, n° 11706, Lebon, p. 400 ; CE, 13 févr. 1980, Cne Roncq et a., n° 14045 ; CE, 9 nov. 1994, Assoc. Juvignac-La-Plaine-Environnement, n° 103007), ou même de boulevards périphériques (CE, 16 juin 2007, Assoc. sauvegarde Vallée de la Choisille, n° 289204; CE, ass., 8 juill. 1994, Tête, n° 141301), au motif que les projets sont d’utilité publique, la construction du boulevard urbain nord de Toulouse se fracasse pourtant contre les marches du Palais Royal.
En l’espèce, le 5 décembre 2013, le Préfet de la Région Midi Pyrénées, suivant un avis favorable de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées, a pris un arrêté visant à déclarer d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du boulevard urbain nord. Par devant le Tribunal administratif de Toulouse, les requérants en ont demandé l’annulation pour excès de pouvoir. Ils s’en sont trouvés déboutés. Puis, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement de première instance. Devant le Conseil d’Etat, la question de l’autonomie de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées vis-à-vis du Préfet, est remise en cause (II), sur le fondement de l’application directe de la directive concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, faute de transposition de la part de la France (I).
L’application directe de l’article 6 de la directive concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement
La bonne application de droit de l’Union incombe aux collectivités territoriales (CJCE, 25 mai 1982, Commission C/ Pays-Bas, affaire 97/81, Rec. 1982 p. 1819, ECLI:EU:C:1982:193; BOULET, M., Les collectivités territoriales françaises dans le processus d’intégration européenne, Paris, L’Harmattan, 2012). Par conséquent, dès le stade de la prise de décision, la Région Midi-Pyrénées aurait dû, dans les circonstances de l’espèce, se conformer aux dispositions de la directive. L’affaire étant porté devant le Conseil d’Etat, ce dernier, en application d’une jurisprudence constante de la Cour de justice, qui a très tôt considérée que les dispositions précises et inconditionnelles des directives sont, en l’absence de transposition dans le délai imparti, susceptibles de produire des effets directs dans les relations entre les Etats et les particuliers (CJCE, 17 déc. 1970, Société SACE c/ Ministère des Finances de la République italienne, affaire 33/70, Rec. p. 1213 ; CJCE, 4 déc. 1974, Van Duyn c/ Home office, affaire 41-74, Rec. p. 1337), procède à une application directe de la norme européenne (CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987, points 8 et 9).
En effet, l’article 6 § 1 de la directive impose aux Etats membres de prendre « les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d’être concernées par le projet, (…) aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d’ouvrage et sur la demande d’autorisation ». Pour se faire, les Etats doivent désigner des autorités compétentes. En France, c’est notamment l’article R. 122-6, III du Code de l’environnement qui transposait la directive, prévoyant que, dans une hypothèse telle qu’en l’espèce, l’autorité compétente désignée est le « le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d’ouvrage ou d’aménagement doit être réalisé. ». Or, ledit article a été annulé par une décision du Conseil d’Etat (CE, 6 dec. 2017, Assoc. France Nature Environnement, n° 400559), en raison d’une absence de garantie de ce que la compétence consultative en matière environnementale soit exercée par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à l’égard du Préfet de Région (CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987, points 7 et s.).
Dès lors, aucune norme ne venant plus transposer la directive, le Conseil d’Etat a procédé à son application directe, le conduisant à analyser le degré d’autonomie de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées vis-à-vis du Préfet de Région (II).
L’absence d’autonomie de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées par rapport au Préfet de Région
Le Conseil d’Etat se demande si les conditions dans lesquelles l’avis a été rendu, sont conformes aux exigences de l’article 6 de la directive. Il indique que les services placés directement sous l’autorité hiérarchique du Préfet de Région, ne sauraient être considérés comme bénéficiant d’une autonomie réelle leur permettant d’exercer leur mission de consultation en matière environnementale (CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987, point 8.).
La jurisprudence de la Cour de justice (CJUE, 20 oct. 2011, Department of the Environment for Northern Ireland c/ Seaport (NI) Ltd, affaire C-474/10, ECLI:EU:C:2011:681) rappelée par le Conseil d’Etat, usant pleinement de son office de juge de droit commun du droit de l’Union européenne (pour une illustration récente de la notion, V. TEYSSEDRE, J., Le Conseil d’État, juge de droit commun du droit de l’Union européenne, Toulouse, thèse dactylographiée, en attente de publication, 2019), juge qu’en principe, l’autorité compétente désignée pour autoriser un projet peut être en même temps chargée de la consultation en matière environnementale. Néanmoins, « dans une telle situation, une séparation fonctionnelle » doit être organisée, « au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné » (CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987, point 7). Le droit de l’Union européenne a pour objectif de garantir la compétence et l’objectivité de l’autorité désignée par les Etats membres (CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987, point 7).
En l’espèce, l’avis portant sur l’évaluation environnementale a été préparé par les services de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées. Puis, il a été signé, pour le préfet de la région Midi-Pyrénées, par le directeur adjoint de cette direction, placée directement sous son autorité. C’est sur le fondement de cet avis, que le Préfet a pris l’arrêté en date du 05 décembre 2013. Or, le Conseil d’Etat, estime que l’avis n’a pas été rendu par « une entité interne disposant d’une autonomie réelle à l’égard de l’auteur de la décision attaquée » (CE, 31 dec. 2019, Boulevard Urbain Nord (BUN), N° 425987, point 9), de sorte que l’article 6 de la directive n’a pas été respecté. Dès lors, c’est à bon droit que la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait annulé l’arrêté en cause au principal déclarant d’utilité publique les travaux de réalisation du boulevard urbain nord.
Tel que nous l’avons affirmé, si la remise en cause de l’utilité publique d’un projet de construction autoroutier, afin d’y faire échec, semble être un moyen ne permettant que rarement d’obtenir gain de cause pour les requérants (Sur un bilan moins critique de la jurisprudence du Conseil d’Etat, V. not. Charline NICOLAS, C., FAURE, Y., « Des nouvelles du juge de l’utilité publique », AJDA 2018. 1661), ces derniers semblent avoir tout intérêt à se fonder sur le droit de l’Union européenne, afin d’élargir leurs chances de succès contentieux. Ainsi, par exemple, il y a plus de vingt ans, l’affaire du boulevard périphérique Lyonnais (CE, ass., 6 févr. 1998, Tête et Assoc. de sauvegarde de l’ouest Lyonnais, Rec. CE 1998, p. 30, JCP G 1998, II, 10109, note P. Cassia ; AJDA 1998.403), avait fait succomber un tel projet sur le fondement du droit de l’Union. En l’espèce, le Conseil d’Etat, dans le cadre d’un moyen visant à faire droit à l’exception l’illégalité (« exception d’inconventionalité », plus justement) soulevée, a invoqué une directive (CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ ENEL, affaire 6/64, Rec. 1964 p. 1195 ; CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’État c/ Simmenthal, affaire C-106/77, Rec. 1978 p. 629), afin d’annuler un acte réglementaire postérieur à son entrée en vigueur et lui étant contraire. Se faisant, il s’inscrivait dans une jurisprudence constante appliquée tant aux actes règlementaires antérieurs que postérieurs à l’entrée en vigueur de la directive (CE 7 déc. 1984, Féd. nationale des sociétés de protection de la nature, n° 41971 41972, Lebon 410 ; CE 17 mars 1993, Groupement pour le développement de la coiffure, no 73272 ; CE 20 mai 1998, Sté Lyonnaise des Eaux, n° 188239 ; CE 27 juill. 2001, Compagnie générale des eaux, no 229566 ; CE 28 avr. 2003, Féd. française des courtiers d’assurance et réassurance, no 233343 ; CE 6 juin 2007, Assoc. Le réseau « sortir du nucléaire », no 292386).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ; Art. 276.
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