Art. 409.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Mélina Elshoud
Doctorante en droit public, Université du Mans,
Conseillère du département de la Sarthe, canton Le Mans-2
membre du Collectif L’Unité du Droit
Des recentralisations pour célébrer 40 ans de décentralisation ?
C’est le paradoxe que me semble ouvrir le projet de loi 3ds (Décentralisation, différenciation, déconcentration et simplification) – initialement baptisé 3D puis 4D – en passe d’être adopté par les parlementaires français en ce début d’année 2022.
En effet, ledit projet de loi ouvre la voie à l’expérimentation de la renationalisation du Revenu de Solidarité Active (Rsa) et fait ainsi suite aux demandes de plus en plus régulières exprimées par de nombreux Départements en tête desquels le Département de la Seine-Saint-Denis qui a vu le nombre d’allocataires de ce minimum social exploser depuis le transfert de cette compétence en 2004. D’ailleurs – et c’est sans doute le second paradoxe – l’appel à la recentralisation d’un certain nombre de dispositifs et politiques publiques locales (notamment dans les domaines de la solidarité : insertion, dépendance, protection de l’enfance, etc.) est lancé par les collectivités territoriales elles-mêmes, pourtant nées du mouvement décentralisateur dont elles sont le fruit et la caractéristique principale.
Élue au Conseil départemental de la Sarthe depuis sept ans, j’ai le sentiment que les capacités d’action des collectivités territoriales – et notamment des Départements – n’ont jamais été aussi contraintes. Dans le même temps, compte tenu de la situation économique, sociale et sanitaire, il me semble que les besoins de nos concitoyens n’ont jamais été aussi importants et multiples – qui plus est dans un département plutôt rural, plus sujet au chômage, à la pauvreté, aux difficultés de mobilité, ou encore d’accès aux soins. Par ailleurs, ces sollicitations croissent assez naturellement en période de crise, et d’autant plus pour les Départements qui sont les principaux financeurs de l’action sociale de proximité. Alors, à mon sens, l’appel à la recentralisation est avant tout révélateur du sentiment d’impuissance que peuvent partager celles et ceux qui siègent dans les assemblées départementales de France et qui constatent la difficulté à répondre aux besoins de plus en plus nombreux de leurs concitoyens dans un contexte budgétaire et opérationnel de plus en plus contraint.
Une autonomie malmenée.
Comme d’autres, j’ai fait le constat d’une certaine perte d’autonomie de ma collectivité, d’abord financière, liée à la diminution de ses ressources et à l’encadrement du volume de ses dépenses, mais également « opérationnelle » liée à la limitation de ses marges de manœuvre dans la détermination des politiques publiques.
En effet, d’une part, les ressources départementales n’ont pas évolué proportionnellement aux besoins qui ont augmenté. Parmi ces ressources, la part issue des impôts directs a quasiment disparu avec la suppression récente de la taxe foncière sur les propriétés bâties – quand elle était majoritaire il y a 20 ans – de sorte qu’on a ôté aux Départements leur dernier levier d’action – et notamment d’augmentation – sur les recettes. La fraction de la Tva et les droits de mutation à titre onéreux (Dmto) touchés par les Départements sont quant à eux des recettes fluctuantes, dépendant pour l’une des règles nationales posées, et pour les autres de la dynamique des transactions immobilières sur le territoire. De leurs côtés, les dotations de l’État n’ont pas suivi l’évolution démographique et sociale, de sorte que ces ressources sont, pour ainsi dire, indexées sur le passé et non sur l’avenir. D’une certaine manière, si vous êtes un Département vieillissant et plutôt pauvre, vous dépensez beaucoup en charges d’intervention, vous n’attirez pas forcément d’activités et de ressources nouvelles, et vos capacités d’investissement restent limitées.
En second lieu, les Départements sont de plus en plus soumis à des logiques de contractualisation financière avec l’État qui conduisent à encadrer la dépense publique locale. Dès 2018, le Pacte financier, également appelé « Pacte de Cahors », conditionnait le maintien d’un certain niveau de dotations de l’État aux Départements à l’engagement qu’ils limitent l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2% chaque année.
Ce Pacte a été longuement dénoncé par les collectivités territoriales, y voyant d’une part une nouvelle atteinte au principe constitutionnel de libre administration, et constatant d’autre part un certain nombre d’effets pervers. Il a en effet conduit à des situations ubuesques où, alors que l’État fixe une politique nouvelle et abonde le budget des collectivités territoriales afin qu’elles y inscrivent des actions particulières, les collectivités ne peuvent pas dépenser cet argent sous peine de dépasser le plafond de dépenses autorisées (ainsi, ma collectivité n’a pas pu utiliser l’ensemble des fonds alloués par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (Cnsa) – des fonds de l’État donc – pour mener des actions de prévention de la dépendance des personnes âgées) ou bien encore les collectivités l’emploient uniquement pour valoriser des actions préexistantes et non pas mener des actions nouvelles qui seraient pénalisantes pour le budget (ainsi, ma collectivité a davantage utilisé les financements nationaux liés à la lutte contre la pauvreté pour valoriser des actions déjà mises en œuvre et ainsi couvrir des dépenses existantes que pour lancer des actions nouvelles qui auraient nécessairement impacté le budget). La logique aurait voulu que ces enveloppes nationales soient exclues des règles de calcul. En soi, cette politique consistant à limiter la dépense des collectivités territoriales au regard des économies que doit faire l’État interroge le principe même de décentralisation et fait de la délégation de compétences ainsi réalisée une forme de délégation, sans réelle autonomie, à des collectivités à organes délibératifs élus.
Enfin, au-delà de l’encadrement des capacités financières des Départements, il me semble que cette tendance à la contractualisation – que l’on retrouve dans la loi 3ds – et le recours quasi-systématique aux appels à projets portent atteinte à l’autonomie politique des Départements car limitant leur capacité à décider véritablement des politiques publiques locales. Les collectivités sont aujourd’hui davantage dans l’exécution des commandes de l’État que dans l’initiative et l’innovation. Un tel système n’incite pas au travail réellement exploratoire. Or, s’il est important d’avoir des politiques communes dans différents domaines, il faut pouvoir avoir des politiques « uniques » en ce qu’elles sont adaptées au territoire, et notamment dans le domaine social. À quoi bon garder des assemblées délibérantes si les collectivités doivent n’être que des opérateurs de l’État ?
Dans un contexte politique enclin à une action publique de proximité et à un regain de la démocratie locale et dans un contexte sanitaire qui a prouvé l’utilité des collectivités territoriales pour apporter des solutions rapides et adaptées et compenser une gestion de la crise trop verticale, la question du maintien des capacités d’action des collectivités territoriales me semble essentielle.
Réinventer cette autonomie est probablement une gageure mais « ne rien faire » a et aura un coût pour l’État et les citoyens. Redonner aux collectivités territoriales et en l’espèce aux Départements une capacité à définir une stratégie, et redonner ainsi de la vigueur à la décentralisation en (re)faisant des Départements de véritables acteurs locaux sera gage d’efficacité et aussi d’efficience de l’action publique.
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 409.
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