Le présent article, rédigé par M. Corentin Auffret, étudiant en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Dans le monde, les conditions sanitaires des populations se sont beaucoup améliorées depuis le XIXe siècle. Ces progrès en la matière sont dus aux nombreuses découvertes et innovations dans le domaine de la santé. L’espérance de vie a ainsi beaucoup augmenté : entre 2010 et 2015, l’espérance de vie moyenne à la naissance était de 70,1 ans selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), alors qu’elle n’atteignait que 47 ans en 1950. Le taux de mortalité infantile lui était de 42 pour 1000 enfants âgés de moins de 5 ans en 2012 contre 135 pour 1000 en 1950. Néanmoins de nombreuses inégalités demeurent entre les pays du Nord et les pays du Sud notamment dans le domaine de la santé. En effet, concernant la mortalité infantile, les Pays du Sud accusent une proportion de 174 pour 1000 au Sierra Leone, de 176 pour 1000 au Burkina Faso ou de 178 pour 1000 au Mali. Les pays du Nord eux oscillent entre 3 et 8 enfants sur 1000 qui n’atteignent pas l’âge de 5 ans (3/1000 pour la Norvège). Concernant l’espérance de vie, les inégalités sont aussi très marquées : en Afrique subsaharienne elle est de 49,5 ans contre 80,2 ans en Europe du Nord.
Il apparaît important de réaliser les retards dans le domaine de la santé dans les pays (dits) du Sud pour discuter de l’apport du numérique dans les politiques de santé de ces pays et de l’aide que peuvent apporter les pays (dits) du Nord notamment au travers de fondations.
Nota bene : l’appellation « Pays du Sud » est entrée dans le langage courant comme désignant les pays caractérisés par un PIB par habitant faible, souvent moins développés économiquement et majoritairement situés dans la partie du Sud des continents (on pense à l’Afrique comme à l’Asie). Par opposition on appelle « Pays du Nord », les pays plus industrialisés et économiquement plus riches, situés pour la plupart plus au Nord géographique (en Europe, en Amérique (du Nord)). Néanmoins, il est important de rappeler que cette réalité à changé : ainsi, certains pays du Sud géographique (Chili, Émirats Arabes Unis) ont un IDH qui dépasse des pays d’Europe. Inversement des pays dit « émergents » se retrouvent encore dans cette appellation de pays du Sud (Chine, Afrique du Sud, Mexique). Dans cet article l’appellation pays du Sud / pays du Nord fait référence à l’opposition pays développé au niveau de la santé avec ceux qui le sont moins et souffrent d’une espérance de vie moindre.
Constats sanitaires
Dans certaines parties du monde on parle de « blanc sur la carte sanitaire » : en effet de nombreux pays du Sud manquent de praticiens de santé, d’infrastructures de santé, de formations en matière de santé, d’hygiène, d’épidémiologie ou de production de médicaments efficaces. De nombreuses zones sont touchées par une désertification médicale, l’accès au soin n’étant disponible que dans les grosses villes souvent à plusieurs dizaines de kilomètre des populations (l’Afrique concentre 20% des malades du monde pour 3% des soignants). De plus, ces Pays accusent une absence de formation aux professions médicales. L’OMS parle d’une nécessité d’un million de médecins, sages-femmes, et infirmiers en Afrique Subsaharienne. Le coup de grâce est donné par une augmentation toujours croissante du « medical brain drain » ou fuite du personnel médical. Selon l’OMS, la fuite est de 27 % pour l’Afrique du Sud, 22 % pour le Ghana et 14 % pour l’Ouganda.
Ces manques dans le domaine de la santé peuvent s’expliquer par l’absence d’investissement des États. En effet, les pays pauvres, faute d’argent, ne consacrent qu’une infime part de leur PIB aux dépenses de santé. Celles-ci ne représentaient ainsi en 2012 que 2,3 % du PIB du Mali, 1,3 % de celui de l’Érythrée, 1,1 % de celui du Tchad, 0,9 % de celui de l’Afghanistan et 0,6 % de celui de la Guinée.
Donc, dans les Pays les plus pauvres des maladies quasiment éteintes plus au Nord persistent et sont des causes de mortalité : 90 % des cas de paludisme dans le monde sont attribuables à l’Afrique. De même si 11% de la population mondiale est en Afrique, 70% des décès dus au virus y est assignable. La drépanocytose, 1ère maladie génétique au monde, et très méconnue (caractérisé comme maladie de l’ignorance) touche 2% des enfants en Afrique et cause 50% de mortalité avant les 5 premières années de vie en l’absence de soins de qualité.
A contre-courant de la révolution sanitaire, la révolution numérique à bel et bien eu lieu dans les Pays du Sud, avec en Afrique environ 46 % des 1,17 milliards d’Africains qui avaient souscrit à des offres de téléphonie mobile en 2015. Tous les africains ont maintenant un portable ou en partage, à tel point que le numéro de téléphone se substitue à l’adresse postale et aux banques. Le numérique s’impose donc comme une des solutions pour tenter de palier aux inégalités sanitaires et permet d’imaginer une multitude d’application dans l’E-santé.
Apport de la E-santé dans les Pays dits du sud
Le concept de E-santé apparaît il y a 20 ans d’abord dans les pays du Nord, développés. Il connaît une croissance exponentielle allant jusque l’avènement de d’IA de santé capable de déceler un mélanome avec une fiabilité de 95%. Si son champ d’intervention dans les pays occidentaux se concentre sur le bien-être ou les maladies chroniques, dans les pays en développement il a une importance vitale pour répondre à des besoins d’accès aux soins de santés primaires. Le numérique pour améliorer la santé des populations et renforcer les systèmes de santé est un objectif mondial : « Il est essentiel d’exploiter les possibilités offertes par les technologies numériques pour parvenir à la couverture sanitaire universelle », dit le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’ Organisation mondiale de la santé (OMS). « Les technologies numériques ne sont pas une fin en soi ; ce sont des outils indispensables qui permettent de promouvoir la santé, de préserver la sécurité mondiale et de servir les populations vulnérables », a-t-il ajouté pour accompagner l’annonce en mars 2019 du lancement d’un département en Santé numérique au sein de l’OMS.
Ainsi un smartphone, un téléphone, un appareil photo et/ou un ordinateur peuvent être des outils permettant un diagnostic accessible aux populations des Pays du Sud. Au Mali, une plateforme développée par des ingénieurs maliens permettent aux populations éloignées des grandes villes, et donc des médecins, d’obtenir un diagnostic en ligne par des médecins bamakois. Ce même modèle se développe au Togo, en Mauritanie et en Centre Afrique. Des algorithmes ou des plateformes de réponses SMS entre des populations locales et des professionnels de santé sont misent en place au Sierra Leone. Néanmoins, l’analphabétisme des populations, surtout dans les parties éloignées de l’accès aux soins, cause des problèmes de compréhensions et des peurs. Dans ces cas comme au Niger, c’est une application d’envoi de messages vocaux qui est mise en place, dans plusieurs dialectes, et qui sont traités par des praticiens qui apportent des réponses dans le même langage.
De plus, des coopérations entre les universités occidentales et celles d’Afrique ou d’Asie permettent la mise en place de formation en ligne pour les praticiens afin de mieux pouvoir appréhender les besoins de la population. Des formations non pas seulement en santé pure mais aussi en numérique : sur la récolte de données et l’utilisation des applications de E-santé.
Pour développer cette digitalisation, les acteurs des systèmes de santé des États du Sud peuvent compter sur le soutien de partenaires institutionnelles et d’acteurs privés. Pour en citer quelques-uns on retrouve des acteurs internationaux comme l’OMS, l’ONUSIDA, UNITAID (financement) ; des organisations non gouvernementales comme l’ONG Santé Sud qui développe le DATASANTÉ Mali ; des acteurs français comme SANOFI France, Orange Healthcare ou encore la Fondation Pierre Fabre.
L’apport des fondations
En France, une fondation est définie comme l’affectation de ressources, de droits ou de biens à l’accomplissement d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. Elles sont des personnes morales de droit privé. Si l’État l’autorise (après avis favorable du Conseil d’État), après une analyse exigeante des statuts, la fondation peut être reconnue d’utilité publique. Outre Atlantique, la réglementation est plus souple sur la forme juridique mais la finalité de l’intérêt général est la même. Néanmoins une fondation américaine a le droit de dépenser ses fonds comme bon lui semble dans les limites de la loi. Pour la santé globale, on peut compter sur de grandes fondations familiales philanthropique qui par le volume de leurs contributions, influencent de manière profonde les politiques de santé des pays. En France, de grands groupes pharmaceutiques (Sanofi) ou de grandes entreprises (Total) se tournent aussi vers l’aide dans la santé globale en créant des fondations, parfois reconnues d’utilité publique (Fondation Pierre Fabre).
On peut citer le cas de la fondation de Bill & Melinda Gates (BMGF), à elle seule, elle contribue dans le domaine de la santé autant que toutes les fondations américaines réunies. La fondation est le deuxième (premier si le retrait des États-Unis se concrétise) donateur de l’OMS et les nombreux discours de Bill Gates sur des sujets de santé mondiale (Assemblée mondiale de la santé, 2011) confirme l’importance de cette fondation dans ce paysage. Concernant la E-Santé, la fondation collabore et finance des organisations qui ont pour projet de construire des systèmes de santé plus efficaces grâce à la conception et à la mise en œuvre de solutions basées sur la santé digitale, qui répondent aux besoins locaux et fournissent aux communautés mal desservies les outils nécessaires pour offrir des soins de meilleure qualité. Parmi ces organisations, on peut citer eHealth Africa qui est une organisation à but non lucratif qui œuvre pour « construire de nouvelles normes en matière de prestation de soins de santé et d’intervention d’urgence grâce à l’intégration de l’information, de la technologie et de la logistique ». En effet, l’organisation crée des plateformes de traitement de données de santé (Aether), met en place des systèmes de surveillance épidémiologique (eIDSR) ou encore organise grâce à des applications, la gestion des stocks de matériels médicales et leurs approvisionnements.
La Fondation Bill & Melinda Gates contribue aussi financièrement aux efforts de l’UE visant à renforcer les services de santé de diagnostic en Afrique subsaharienne dans le cadre du plan d’investissement extérieur. Cette contribution sera investie dans l’assistance technique dans le cadre de la plateforme européenne de garantie des soins de santé pour l’Afrique. Ce programme encouragera la recherche et l’innovation dans le domaine de la santé en ligne dans les environnements moins développés et fragiles, ce qui permettra de réduire le coût des services de santé pour les personnes à faibles revenus et de sauver des vies.
En France, on peut citer le cas de la Fondation Pierre Fabre. Historiquement, elle avait vocation à axer son aide sur le besoin des Pays du Sud à être formé et, notamment, la formation des pharmaciens. En effet, dans ces Pays, les médicaments contrefaits sont légions et infectent le marché. Ainsi par soucis d’argent, de facilité ou même de disponibilité, les populations ont recours à des médicaments de mauvaise qualité, non contrôlés et parfois même dangereux pour la santé. Cette aide passe par la construction de facultés de pharmacies, comme à Phnom Penh au Cambodge, à Antananarivo à Madagascar mais aussi par la formation des pharmaciens jusqu’au doctorat pour qu’à leurs tours ils puissent transmettre leurs savoirs dans leurs Pays. La Fondation œuvre aussi à créer des réseaux de coopération avec les facultés et universités françaises, notamment avec la faculté de Toulouse Paul Sabatier avec au total 50 professeurs qui ont contribué à leurs programmes en allant former des formateurs en Asie du Sud-Est, au Togo et à Madagascar. Un moment fort de 2019 est aussi la création d’un diplôme interuniversitaire E-santé en collaboration avec 3 universités (Mali, Sénégal, Cote d’Ivoire).
Les actions de la Fondation concerne aussi une maladie souvent méconnue mais tout autant meurtrière, la drépanocytose. Ainsi en soutenant la télé-expertise, des centres médicaux sont équipés et des infirmiers sont formés pour prendre des photos, constituer un dossier médical et l’envoyer vers une plateforme à un dermatologue à Bamako pour diagnostic. Néanmoins pour agir sur la santé d’un pays il faut en plus d’agir comprendre, analyser, partager et promouvoir les initiatives, les créations des populations locales. Il faut aussi apporter des financements pour que des idées trouvent des applications concrètent auprès des malades. C’est en ce sens que la Fondation Pierre Fabre a créé en 2016 l’Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud (ODESS), avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD) et de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Un travail de veille, d’analyse des projets et d’enquêtes de terrain permet de concentrer sur une base ouverte à tous les initiatives pertinentes (160 initiatives dans plus de 80 pays). Parmi ces initiatives prometteuses, certaines peuvent être lauréates et recevoir un prix et un financement ce qui aide grandement leur développement. C’est le cas notamment de « Integrated E-Diagnostic Approach (IeDA) » au Burkina Faso, qui permet une aide digitalisée afin de guider et faciliter le diagnostic et qui propose un support de formation.
Il est important de souligner que pour permettre la mise en place de la e-santé, il faut des accords avec les États concernés. Ainsi pour une bonne efficacité au regard de l’échelle et des spécificités de chaque pays il faut une « action coordonnée et régulée qui intègre le développement de solutions numériques de santé au sein de la politique nationale de santé, afin d’avoir un alignement entre les priorités et les moyens alloués, dans une vision à long terme » dit Béatrice Garrette (Directrice Générale de la Fondation Pierre Fabre).
Eléments critiques
La E-santé s’impose dans notre ère comme une aubaine qui permet toujours plus de réactivité et de précision dans le traitement des pathologies mais aussi de facilité de traitement des données et de suivis des patients. Néanmoins, la digitalisation dans les Pays développés a déjà fait naitre de grands débats éthiques concernant le traitement des données de santé, l’utilisation des intelligences artificielles et bien d’autres encore. Au Sud aussi la santé numérique doit s’accompagner d’un cadre règlementaire par les États. Le système de santé doit réagir face à la visibilité et à la disponibilité des informations.
La question de la sécurité de l’accès aux données personnelles de santé doit être posée en même temps que les solutions numériques de santé. Comme Bernardo Mariano, Directeur des systèmes d’information de l’OMS le dit, « La santé numérique n’est pas une solution miracle ». La e-santé doit être perçue comme une valeur ajoutée pour des populations dans des situations particulières, comme un éloignement géographique mais ne doit pas se substituer à un examen physique par un praticien qualifié. De ce fait la télémédecine doit être un complément et non remplacer un rendez-vous face à face avec le médecin. La Commission du Haut Débit pour le développement durable en ce point a publié, en 2017, un rapport intitulé « Santé numérique : appel au leadership et à la coopération intergouvernementale entre les TIC et la santé ». Ce rapport insiste sur le rôle primordial des gouvernements dans la mise en place d’un écosystème favorable aux politiques de santé digitale.
Une analyse sur huit pays jugée précurseur dans leur stratégie nationale en santé numérique a révélé que la solution est un travail de coopération, ainsi qu’une gouvernance commune entre les ministères chargés des communications, les agences nationales du numérique, les partenaires institutionnels, les acteurs privés et les ministères de santé.
Enfin, l’aide précieuse des États occidentaux ne doit pas amener à une dépendance dans le domaine de la santé. L’OMS a alerté sur cette dépendance croissante des équipes de chercheurs envers les financements de la BMGF et sur les problèmes d’indépendance des projets de recherches financés par cette fondation. En effet, si la fondation devient le premier « investisseur » de l’OMS, le poids de cette dernière sur le budget de l’organisation pourrait faire pencher certaines décisions en faveur des convictions du philanthrope, ce qui serait aux antipodes de la mission d’une organisation internationale comme l’OMS. Les aides doivent permettre au long terme à favoriser une autonomie des pays du Sud pour pérenniser les avancées et à terme ne plus avoir besoin de soutien d’autres pays. De par la multiplicité des acteurs publics et privés, un « marché de l’assistance des pays pauvres » doit être évité pour ne pas conduire au changement de point de vue faisant passer les populations dans le besoin à des futurs clients de multinationales à la pointe dans de nombreux domaines de la santé (GAFAM).
Eléments de bibliographie :
Bourgain, A., Pieretti, P. & Zou, B. (2010). Migration des professionnels de santé de pays d’Afrique subsaharienne et politique de substitution. Revue économique, 6(6), 1011-1022.
INA, Santé et développement dans les Pays du Sud [en ligne], Antenne 2, 21 Décembre 2001, Reportage (2 :19).
Sciences et Avenir avec AFP, « Une intelligence artificielle capable de reconnaître le mélanome avec 95% d’efficacité », Dermato [en ligne], 2018.
WHO, Recommendations on digital interventions for health system strengthening, ISBN: 978-92-4-155050-5, 2019, 124.
LEEM avec Les délégations des Pays francophones, Les principaux succès de la santé numérique dans l’espace francophone, Genève, 22 mai 2016, 20.
Fondation Pierre Fabre, Observatoire de la e-santé dans les Pays du Sud, 2019, 21.
Annales des Mines, Réalités Industrielles :Quel avenir pour l’économie africaine ?, Août 2019. Alain DUCASS, « La transition numérique de l’Afrique et les emplois induits. Le risque d’une génération Ninja ? », p 58. Béatrice Garrette, « Missions et résultats de l’Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud. Les opportunités du numérique dans la transformation des systèmes de santé en Afrique. », p 64, 101.
Gil Bousquet, La Dépêche du Midi, Béatrice Garrette, directrice générale de la fondation Pierre Fabre : « La e-santé est vitale pour les pays du Sud », 20/10/2020, https://www.ladepeche.fr/2020/10/20/la-e-sante-est-vitale-pour-les-pays-du-sud-9151376.php.
Dominique Kerouedan, « Préambule » dans sommaire, Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud, Hors collection, Politiques sociales & de santé, Janvier 2011, p13-22.
Marine Buissonnière, « Nouveaux acteurs et questions de gouvernance », in Marine Buissonière, The New Realities of Global Health: Dynamics and Obstacles, International Development Policy, Revue internationale de politique de développement [Online], 2012.
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ; Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 324.
Voici un extrait d’une note à paraître courant février au JCP A.
Le présent article, rédigé par M. Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole, Co-directeur du Master Droit de la Santé, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Obs. sous CE, 22 décembre 2020, Escolano & alii (439804 & autres).
L’arrêt ici commenté comporte deux versants : par le premier, il confirme un an (ou presque depuis mars 2020) de mesures sanitaires gouvernementales en réaffirmant la juste proportionnalité des mesures de polices, pourtant potentiellement liberticides, prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Dans un second temps (inattendu des professionnels du secteur funéraire), il ordonne la mise en bière immédiate d’une pratique installée depuis le printemps dernier : le confinement absolu des cadavres infectés (ou suspectés de l’être ou de l’avoir été) par le coronavirus.
Le présent arrêt, rendu à la suite de dix requêtes parallèles (dont la connexité a été actée), est le fruit d’un réquisitoire tous azimuts contre les mesures gouvernementales destinées à lutter contre la propagation du sars-cov-2 entraînant la covid-19 et ce, lors de la période dite du « premier » des confinements entre mars et mai 2020. Concrètement, dix requérants citoyens ont en effet critiqué, au fond (et outre de parallèles référés[1]), cinq décrets (respectivement les n°2020-260, 264, 293, 371 et 384 en date des 16, 17, 23, 30 mars et 1er avril) ainsi que l’arrêté du 14 mars 2020 portant (comme les précédentes normes) diverses mesures de fermetures d’établissements et de limitations des libertés (de circulation, d’entreprendre, etc.) ; dispositions relatives à la lutte contre la pandémie précitée. Ces requêtes ont alors tout tenté (mais en vain) pour obtenir l’annulation de ces premières mesures gouvernementales jugées insuffisantes par certains citoyens. Il faut dire que, sur ce point, l’arrêt ne surprend que peu le juriste qui aurait été à l’écoute de la jurisprudence administrative, notamment en procédures d’urgence, pendant presque toute l’année 2020. Il n’y a en la matière, aucune nouveauté et la simple application des principes répétés sinon ânonnés par le juge au nom de l’urgence sanitaire (I). En revanche, parmi toutes les contestations tentées, l’une d’elles – celle relative à la dissimulation des corps morts suspectés (ou confirmés) d’avoir été contaminés par la Covid-19 – a pu entraîner l’annulation (inattendue), pour contrariété au « droit à une vie privée et familiale normale » du dernier alinéa de l’article 1er du décret préc. du 1er avril (II).
I. Une tentative vaine d’annuler la réglementation sanitaire jugée insuffisante
Dans un premier temps, l’arrêt ici commenté après avoir épuisé les arguments de fond et de forme (A) ne fait que traduire une solution prétorienne éculée : le juge confirmant la juste proportionnalité de la plupart des mesures étatiques prises face à la pandémie (B).
L’invocation d’arguments tous azimuts
(…)
La confirmation de la proportionnalité des mesures sanitaires prises
(…)
II. La dignité respectée des corps morts au nom de la vie privée et familiale (des vivants ?)
Cela acté, les requérants demandaient également la « mise en place dans chaque hôpital ou clinique d’une télé-cérémonie funéraire pour les proches d’un patient décédé du coronavirus et d’une prise en charge des frais funéraires par l’État » ainsi que des « mesures permettant aux proches de personnes décédées de pouvoir les revoir avant la mise en bière ». Il faut rappeler en effet que depuis le décret du 1er avril 2020 (figurant parmi les normes attaquées), le gouvernement (sur demande explicite de nombreux professionnels funéraires craignant pour la santé de leurs opérateurs) a ordonné que toute personne décédée ou suspectée d’être défunte à la suite d’une infection à la Covid-19 soit mise en bière immédiate sans possibilité notamment qu’une toilette mortuaire, des soins de conservation et qu’une présentation du corps aux proches ne soient effectuées. Pour éviter une propagation post–mortem du virus et pour protéger les personnels ayant à manipuler les corps défunts, on a donc appliqué de manière générale une mesure connue dans la législation funéraire[4] en présence d’un cadavre ayant rencontré (ou suspecté de l’avoir été) une maladie très infectieuse : l’immédiateté d’un confinement mortuaire au nom de la salubrité publique des vivants (cf. art. R. 2213-2-1 Cgct). Toutefois, cet « autre confinement[5] » qui ne concerne plus les vivants mais les morts ne permettait pas aux premiers de faire « leur deuil » et leurs adieux à leurs proches décédés. Et, si le juge n’a pas retenu la demande d’obligation de prise en charge des télé-cérémonies funéraires, il a bien voulu accueillir, créant la surprise, la demande de cessation de mise en bière immédiate (A) au nom d’une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale et non, comme on aurait pu s’y attendre, du fait de la dignité des personnes humaines (B).
Une annulation inattendue et non souhaitée par le secteur funéraire
Disons-le explicitement : l’annulation de la mise en bière immédiate, également demandée par le rapporteur public, Laurent Domingo (dont les conclusions ont été publiées en ligne sur le site de la juridiction), a surpris le secteur funéraire qui y tenait dans l’objectif entendu de protéger et de rassurer les travailleurs de la Mort. Voilà presqu’un an que de mars à fin décembre 2020, les corps des défunts pandémiques ont été immédiatement placés en cercueils sans que les proches n’aient pu y accéder. La mesure n’a effectivement pas été temporaire et a été reprise par toutes les normes postérieures d’urgence sanitaire à l’instar du décret – toujours en vigueur – du 29 octobre 2020 en son article 50 : « Eu égard au risque sanitaire que présente le corps de défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès : 1° Les soins de conservation définis à l’article L. 2223-19-1 du Cgct sont interdits sur le corps des défunts probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès ; 2° Les défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès font l’objet d’une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts, à l’exclusion des soins réalisés post-mortem par des professionnels de santé ou des thanatopracteurs. Les soins et la toilette qui ne sont pas interdits par le présent article sont pratiqués dans des conditions sanitaires appropriées ». On croyait la mesure pérenne et incontestable puisque, en référé certes mais avec certains mêmes requérants qu’au présent arrêt (cf. CE, ord., 4 avril 2020 préc.), le juge administratif avait considéré que le fait que des cérémonies funéraires – même restreintes – puissent avoir lieu suffisait sans qu’il soit besoin de toucher à l’immédiateté du confinement funéraire ou même sans que cela entraîne « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, de nature à justifier qu’il soit ordonné à l’État (…) d’organiser à ses frais dans les hôpitaux la retransmission à distance des opérations et cérémonies consécutives au décès ou l’envoi de photographies ».
(…)
Une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée des vivants sans mention de l’atteinte à la dignité des personnes décédées
(…)
Il s’agit alors à nos yeux d’une double surprise : d’abord, parce que le secteur funéraire ne le réclamait pas et que les référés précédant n’y inclinaient pas après dix mois d’application de mise en bière immédiate et quasi automatique et alors que les contestations sur ce point semblaient avoir cessé comme par résignation. Ensuite, parce que ce n’est pas la notion de dignité de la personne humaine qui a été mise en avant mais – a priori – le droit des vivants et des proches des défunts à pouvoir leur offrir, malgré la pandémie, un dernier au revoir.
(…)
Deux remarques finales : d’abord, on insistera sur le fondement juridique de l’annulation opérée. Le juge la proclame au nom du droit au respect de la vie privée et familiale. Or, souligne le rapporteur public, « pour la Cour Edh, on ne peut exclure que le droit au respect de la vie privée et familiale puisse s’étendre à certaines situations postérieures au décès (13 septembre 2005, W… c. Royaume-Uni, n° 42639/04). La Cour a reconnu que certaines questions concernant le traitement réservé à la dépouille d’un proche décédé, ainsi que la possibilité d’assister aux obsèques d’un proche et de se recueillir sur sa tombe, relèvent du droit au respect de la vie privée ou familiale garanti par l’article 8 (20 septembre 2018, Y… et Z… c. Pologne, n°s 30491/17 et31083/17) ». On ne sait donc pas explicitement si le droit ici reconnu l’est au profit des vivants ou (comme on le croit et le défend) des « personnes » décédées. Enfin, signalons qu’a priori, le décret préc. du 29 octobre 2020, en son art. 50, impose toujours et a priori jusqu’au 16 mars 2021 une « mise en bière immédiate » pour « les défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès » et n’a semble-t-il pas encore été abrogé pour l’avenir.
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ; Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 328.
[1] Dont l’un émis par l’une des requérantes au présent arrêt : CE, ord., 4 avril 2020, Mme Escolano et autres, req. n° 439816.
[2] Voyez en ce sens, parmi de très nombreuses et uniquement pour décembre dernier : CE, ordo., 23 déc. 2020, A. (req. 447698 & alii) à propos de la demande (refusée) de réouverture de lieux culturels comme les cinémas ; CE, ordo., 11 déc. 2020, Domaines skiables de France & alii (req. 447208) concernant la demande (refusée) de suspension de fermeture des remontées mécaniques ; CE, ordo., 08 déc. 2020, Umih & alii (req. 446715) s’agissant la demande (refusée) de réouverture des bars et restaurants ; etc. Seules de rares décisions comme CE, ordo., 07 nov. 2020, Association Civitas & autres (445825 & alii) (avec nos obs. dans cette revue) ont pu consacrer quelques réajustements ou annulations ordonnés aux gouvernants (ici en matière de liberté religieuse). La plupart du temps, le juge confirmant la position gouvernementale estimée juste et proportionnée.
[3] Comme par l’une des premières ordonnances de référé CE, Ord., 22 mars 2020, Syndicat Jeunes Médecins & alii (req. 439674) avec nos obs. : « Ni oui ni non, ni bravos ni confinements totaux «en l’état» d’urgence sanitaire : l’ordonnance dilatoire du Conseil d’Etat » in Journal du Droit Administratif (Jda) ; 2020 ; Actions & réactions au Covid-19 ; Art. 281 ; ou encore avec la désormais célèbre décision CE, Ord., 17 avril 2020, Commune de Sceaux (n°440057) et nos obs. : « Quand le Conseil d’Etat n’avance plus masqué pour réaffirmer qu’il est, même en juridiction, le Conseil «d’Etat» et non «des collectivités» » in JDA ; 2020 ; Actions & réactions au Covid-19 ; Art. 292.
[5] L’« autre confinement », à propos des cadavres, est le titre d’une contribution à paraître (2021, Bruylant) dans le cadre d’un ouvrage collectif confrontant le Droit à la pandémie de coronavirus (dir. Arnaud Lami).
[6] Décrets n° 2020-1262 et 2020-1310 des 16 et 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Le présent article, rédigé par Mme Isabelle Poirot-Mazères, professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole, Co-directeur du Master Droit de la Santé, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santédu Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Prothèses PIP & responsabilité de l’Etat comme autorité de police sanitaire :du principe et des faits (Obs. sous CE, 16 nov. 2020,n° 431159 ; 16 nov. 2020, n° 437600)
Les contentieux de santé publique se succèdent en France dans une longue litanie où se mêlent incuries, défaillances et parfois collusions en tous genres qui propulsent au cœur d’une actualité qui semble bégayer, non plus les seuls médicaments mais désormais aussi les dispositifs médicaux. Si la mise en cause de ces produits de santé lors de scandales médiatisés n’est pas inédite, l’affaire des prothèses de la société Poly Implant Prothèses (PIP) est exemplaire à divers égards, sorte de précité chimiquement pur tout à la fois des contextes, des solutions jurisprudentielles et des paradoxes qui caractérisent les contentieux relatifs aux dispositifs médicaux, singulièrement implantables. Paradoxe de victimes censées retrouver souffle, mobilité ou simplement image corporelle, obligées de subir en retour explantation ou nouvelles interventions quand elles ne souffrent pas de pathologies ou d’infirmités induites. S’agissant des deux dossiers traités par le Conseil d’Etat le 16 novembre 2020, l’une et l’autre des requérantes avaient, à la suite de la révélation de l’affaire et sur les recommandations des autorités sanitaires, accepté de subir une explantation de leurs prothèses mammaires PIP. On se souvient qu’en 2010, à la suite d’une inspection de l’ANSM, elle-même motivée par de graves suspicions, il est révélé que la société, alors troisième exportateur mondial de prothèses mammaires, a frauduleusement remplacé dans ses produits le gel de silicone par un « gel maison » non homologué, différent de celui qui avait été déclaré dans le dossier de conception et de fabrication de ces implants, avec des risques plus élevé de rupture et des conséquences médicales délétères liées notamment au caractère inflammatoire du gel utilisé. Le ministère de la santé français a alors recommandé à l’ensemble des femmes concernées (30 000 en France sur 400 000 dans le monde) de faire réopérer pour procéder, à titre préventif, à l’explantation de leurs prothèses, recommandation qui sera suivie par 18 667 d’entre elles entre 2001 et fin mars 2016, dont 13626 préventivement sans signe d’alerte et 7 708 après avoir subi un évènement indésirable[1].
Pour beaucoup alors, l’injustice est totale : à l’épreuve de la maladie et de la mutilation, surmontée par la reconstruction, succède un long combat judiciaire, aux multiples volets. Car le contexte lui-même complique la quête d’une indemnisation : il ne s’agit pas seulement de mettre en cause un produit défectueux pour obtenir réparation comme lors d’autres contentieux relatifs à des prothèses articulaires[2], testiculaires[3] ou cardiaques[4], mais aussi de poursuivre les responsables identifiés. Or les voies disponibles se sont avérées les unes après les autres décevantes. Les poursuites pénales à l’encontre des responsables directs ont débouché sur une impasse indemnitaire en raison de l’insolvabilité de la société PIP, placée en liquidation judiciaire dès mars 2010, comme de celle de ses dirigeants, définitivement condamnés pour escroquerie et tromperie aggravée[5].
Les victimes n’ont eu alors d’autre choix que de se tourner vers les autres acteurs de l’affaire, sans guère plus de résultats: la mise en cause de l’assureur de la société PIP, la société Allianz, a tourné court, la garantie plafonnée à 3 millions d’euros limitant de facto le montant des indemnisations accordées à chacune des victimes (environ 460 €) ; celle des chirurgiens eux-mêmes, sur la base d’une responsabilité pour faute, singulièrement pour défaut d’information, à être admise, ne permettait pas davantage de couvrir l’intégralité des préjudices ni de compenser la défaillance du principal coupable[6] .
Dans cette recherche de débiteurs enfin solvables et propres à couvrir, par une condamnation à la mesure de leur implication, l’ensemble des préjudices subis, le comportement des contrôleurs de la société PIP et de ses produits va rapidement être interrogé, qu’il s’agisse de l’organisme notifié, TÜV Rheinland, ou de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (devenue entretemps l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) en charge du suivi des produits et de la matériovigilance. Dans l’un et l’autre cas, c’est l’abstention fautive qui est dénoncée, faillite du certificateur d’abord, dans sa mission de garantie de la conformité et de surveillance du système qualité, carence de l’Etat ensuite, dans sa mission de contrôle et de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux telle que prévue par les textes (directive 93/42/CEE et articles L.5212-1 et s. du code de la santé publique). Comme le rappelle Vincent Villette dans ses conclusions[7], sur le plan politique, cette affaire PIP -et dans une moindre mesure celle des prothèse de hanche ASR[8]– a conforté la conviction largement partagée de la nécessité d’une refonte des textes européens, issus d’une « Nouvelle approche » à l’inspiration libérale dépassée, préparant les esprits à un renforcement des pouvoirs de contrôle porté par les nouveaux règlements de 2017[9].
L’affaire PIP, dans ses divers développements contentieux -au pénal, au civil et donc devant les juridictions administratives- comme dans ses prolongements politiques, a été l’occasion aussi de mettre en lumière, au mieux les limites d’une procédure « longtemps sous-dimensionnée par rapport aux risques inhérents à certains dispositifs médicaux », au pire les graves dysfonctionnements du contrôle des dispositifs médicaux, de leur mise sur le marché à leur utilisation, dans un « mélange surprenant de complexité et de flexibilité »[10] propice à toutes les dérives.
Par ces deux décisions du 16 novembre 2020, le Conseil d’Etat met un terme à une séquence juridictionnelle entamée avec la condamnation de l’Etat par le tribunal administratif de Montreuil en 2019[11] et marqué depuis par des prises de position différentes des tribunaux administratifs sur les demandes d’indemnisation formulées contre l’Etat pour carence fautive[12].
La Haute juridiction y articule l’affirmation de la responsabilité de principe de l’Etat dans sa mission de police sanitaire sur les dispositifs médicaux -alignant ainsi sans surprise le statut contentieux de la matériovigilance sur celui d’autres vigilances précédemment prises en défaut- (I) avec le rejet circonstancié de cette même responsabilité, au regard d’une chronologie des faits rigoureusement décryptée (II). Ces décisions rejoignent ainsi la lignée des arrêts « prétexte » dont la postérité tient non tant à la solution ponctuellement retenue qu’à la règle posée et au considérant de principe…
I. La reconnaissance de principe de la responsabilité de l’Etat dans l’exercice de son pouvoir de police sur les dispositifs médicaux
C’est au terme d’une analyse serrée des compétences de chacun des acteurs de nature à être mis en cause dans leur mission de contrôle des dispositifs médicaux que le Conseil d’Etat consacre sans surprise le principe d’une responsabilité de l’Etat pour faute simple en la matière.
A. Le rappel de la répartition des rôles entre l’organisme certificateur et l’ANSM
1. Les textes
Le cadre juridique des dispositifs médicaux a été tardivement fixé, à la différence de celui des médicaments objets depuis toujours d’une attention particulière[13]: il était jusqu’à peu constitué de trois textes désormais en cours de remplacement, la directive 90/385/CEE du 20 juin 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs (DMIA), la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (DM), enfin, la directive 98/ 79/CE du 27 octobre 1998, relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV)[14]. Leurs dispositions, notamment celles relatives à la répartition des attributions ante et post commercialisation, ont été transposées en droit interne dans les parties législative et réglementaire du deuxième livre de la cinquième partie du code de la santé publique (C. santé publ., art. L. 5211-1 et R. 5211-1 et s.).
Elles déterminent le rôle respectif des fabricants et des autorités nationales dans le cycle de vie du dispositif médical. La mise sur le marché dépend totalement des premiers qui doivent démontrer la conformité de leur dispositif médical aux exigences essentielles de qualité, de performance et de sécurité énoncées dans les directives afin de pouvoir disposer du marquage CE sur leur produit. Plus précisément, l’entreprise se doit de choisir un organisme notifié qui se charge de certifier que les produits sont conformes et sur la base du certificat délivré par l’organisme notifié, elle peut alors apposer le marquage CE sur ses produits et les vendre librement dans toute l’Union européenne.
De la sorte, tout dispositif médical, préalablement à sa commercialisation, doit avoir été conçu -et avoir été vérifié comme tel- de façon à ce que son utilisation ne compromette ni l’état clinique des patients, ni la sécurité et la santé des patients et des utilisateurs. La procédure de certification elle-même dépend de la classification du dispositif: hors la classe 1[15], l’apposition du marquage est subordonnée à l’obtention d’un certificat CE délivré par un organisme notifié, habilité par les autorités compétentes. En raison de leur caractère sensible, et par dérogation à l’annexe IX de la directive 93/42/CEE, les implants mammaires, jusqu’alors en classe IIb ont fait l’objet en 2003 d’une reclassification en classe III (directive 2003/32/CE de la Commission du 3 février 2003 concernant la reclassification des implants mammaires), ainsi d’ailleurs que les prothèses totales de hanche, genou, épaule (directive 2005/50/CE). Pour cette classe de dispositifs, l’article 11 de la directive de 1993 offre au fabricant une alternative en prévoyant deux procédures de certification distinctes : la première repose sur l’examen d’un produit type, sur la base d’un échantillon représentatif de la production (dite « examen CE de type » annexe III en liaison avec la procédure relative à la vérification CE visée à l’annexe IV ou avec la procédure relative à la déclaration CE de conformité -assurance de la qualité de la production- visée à l’annexe V) ; la seconde fait porter le contrôle non plus sur le produit lui-même mais sur la documentation relative à sa conception.
C’est cette dernière, dite de « déclaration CE de conformité » (système complet d’assurance de qualité visé à l’annexe II de la directive de 1993, point 4 « Examen de la conception du produit »), qui a été retenue par la société PIP pour la certification de ses prothèses : dans ce cadre, le producteur dépose un dossier, où il explicite les conditions de fabrication, le contrôle qualité et les matériaux de base utilisés, obligations complétées par la réalisation d’un audit du système de qualité. Tout repose ainsi sur l’action du fabricant dès lors qu’il lui incombe de procéder lui-même aux contrôles qualité avant d’en présenter les résultats à l’organisme de certification, qui se contente de les vérifier alors sur papier. L’évaluation ce dernier couvre le process de conception et de production des dispositifs médicaux, l’ensemble du système d’assurance qualité et son application, et intègre, entre autres, un contrôle strict des matières premières utilisées. L’effectivité en reste relative, fortement dépendante de la loyauté des allégations du producteur : le contrôle en effet porte avant tout sur la capacité même de l’entreprise à produire des produits conformes, sans aller jusqu’à en analyser la constitution, un point fortement discuté lors de la mise en cause de TüV Rheinland. Il résulte de ce schéma que « l’organisme notifié ne peut travailler que sur le dossier qui lui est fourni, tant que la documentation est conforme aux exigences de production dudit produit »[16], avec les zones grises et les risques de fraude que cette latitude autorise. Ce positionnement de l’organisme certificateur a été qualifié de « minimaliste » par le rapport parlementaire du 6 mars 2019, qui relève que loin de s’apparenter à un contrôle scientifique, comme en matière d’AMM pour les médicaments, il se résume à une « évaluation d’évaluation » ou plus exactement à une « évaluation d’autoévaluation »[17].
2. Des obligations de chacun, interprétées à la lumière des faits
a)
Ce sont en premier lieu les insuffisances et incuries dans le contrôle réalisé par l’organisme notifié TüV Rheinland, qui ont été dénoncées et que les plus hautes juridictions, en dernier lieu la plus haute juridiction allemande (BGH-Bundesgerichthof[18]), après la Cour de cassation, ont condamnées en reconnaissant sa responsabilité singulière de certificateur.
Il lui a en effet été reproché de ne pas avoir procédé à des contrôles inopinés auprès de la société, lesquels auraient permis, en examinant notamment sa politique d’achat de matières premières, de dévoiler les incohérences et la fraude[19]. Pourtant dès l’abord, cette mise en cause ne s’imposait pas à la lecture stricte des textes. D’ailleurs, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait sur ce point exonéré TüV aux motifs que ses responsables avaient « respecté les obligations leur incombant en qualité d’organismes certificateurs » et « n’avaient pas commis de faute engageant leur responsabilité civile délictuelle »[20]. Plus précisément, alors même qu’ils en avaient la faculté, rien ne les obligeait à procéder à des visites inopinées « ni même d’effectuer des prélèvements sur le produit, ni d’effectuer des tests sur les prothèses commercialisées »[21]. C’est de façon plus radicale que la CJUE, sur renvoi préjudiciel de la Cour fédérale d’Allemagne, s’est prononcée sur la portée des obligations du certificateur, redonnant espoir aux victimes quant à la possibilité de trouver un responsable à même d’assumer leurs demandes de réparation[22]. A la requête de la requérante, la Cour a en effet répondu que si un organisme notifié « n’est pas tenu de manière générale d’effectuer des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant », il se doit toutefois de prendre, « en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences découlant de la directive 93/42 (…) toutes les mesures nécessaires afin de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 16, paragraphe 6, de cette directive, qui lui attribue le pouvoir de suspendre, de retirer ou d’assortir de restrictions le certificat délivré, ainsi qu’au titre des points 3.2, 3.3, 4.1 à 4.3 et 5.1 de l’annexe II de la directive, qui lui imposent d’analyser la demande d’examen du dossier de conception des dispositifs médicaux introduite par le fabricant, de déterminer si l’application du système de qualité du fabricant garantit que ces dispositifs satisfont aux dispositions pertinentes de la directive et de s’assurer, en procédant à la surveillance du fabricant, que celui-ci remplit correctement les obligations qui découlent du système de qualité approuvé ». Tirant les conclusions de ce rappel au texte[23], la Cour de cassation[24] en déduit à la charge du certificateur une obligation particulière de vigilance et la responsabilité: en présence d’indices de non-conformité comme en l’espèce, il devait procéder, non pas à des visites annoncées mais réellement impromptues, propres à déjouer toute manœuvre de dissimulation, se livrer aussi « au contrôle des documents du fabricant qui recensent les achats de matières premières » comme au contrôle des dispositifs médicaux eux-mêmes.
b)
C’est en regard des attributions de TüV Rheinland et des responsabilités qui étaient les siennes au titre de son rôle de certificateur qu’il convenait d’apprécier celles de l’AFSSAPS en sa qualité d’autorité nationale en charge du suivi des produits et de la matériovilance, telles que précisées par la directive du 14 février 1993 transposée aux articles L.5212-2 et R. R212-14 et s. du code de la santé publique. Le dispositif est articulé sur certains fondamentaux que le nouveau cadre réglementaire, relèvent les analystes, ne bouleverse pas : « vaste latitude du fabricant, centralité des organismes notifiés, renvoi des exigences sanitaires au suivi des incidents »[25].
Le rôle des autorités sanitaires, résiduel en ce qui concerne la mise sur le marché des dispositifs médicaux, a été concentré dans le système de matériovigilance, auquel contribuent tous les acteurs concernés et que pilote l’ANSM, chargée notamment de réaliser une veille des événements inattendus ou indésirables[26] et de mettre en œuvre un programme de surveillance. Ces activités font l’objet depuis décembre 2018 d’une accréditation ISO 9001 pour l’action « Gérer le risque »[27]. Il lui appartient ainsi d’une part, « de mettre en œuvre un dispositif de matériovigilance permettant de recenser et d’évaluer, de façon centralisée, les dysfonctionnements et altérations délétères des caractéristiques ou des performances d’un dispositif comme d’en ordonner le rappel et, d’autre part, de prendre, « au vu des informations ainsi recueillies ou dont elles auraient connaissance par d’autres moyens, toute mesure provisoire nécessaire à la protection de la santé ou de la sécurité des patients ou d’autres personnes ». Elle reçoit ainsi et traite les signalements d’incidents ou risques d’incident grave, assure une activité propre de surveillance du marché des dispositifs médicaux par le truchement d’inspections annoncées ou inopinées (inspection sur site des fabricants et analyses en laboratoire), dispose de pouvoirs de police sanitaire au nom de l’Etat lui permettant de restreindre ou suspendre l’utilisation d’un dispositif dangereux ou suspect, et d’enjoindre au fabricant, comme elle l’a finalement fait à l’encontre de PIP, de retirer du marché les produits de nature à menacer la santé humaine (article L. 5312-1 du code de la santé publique).
L’analyse des pouvoirs reconnus à l’Agence en matière de surveillance des dispositifs médicaux postcommercialisation permet au Conseil d’Etat de reprendre ici le raisonnement et les formulations qui avaient été les siens lors de l’appréciation de la réaction de l’AFSSAPS dans l’affaire du Médiator au sujet de la pharmacovigilance et telles qu’elles avaient été dégagées il y a presque trente ans s’agissant de l’hémovigilance.
B. La confirmation attendue d’une responsabilité pour faute simple
1. Un principe de solution devenu classique
Déjà retenu par les tribunaux administratifs par transposition d’une jurisprudence désormais bien établie autour des activités de contrôle et de police administrative, le principe d’une responsabilité pour faute simple a été sans surprise consacré par le Conseil d’Etat, au terme d’un raisonnement aux éléments et aux considérants clefs devenus classiques. On y retrouve les nuances argumentatives autour de la qualification juridique des comportements de carence et d’inaction de l’administration, toujours difficiles à appréhender. L’évolution jurisprudentielle est connue qui a vu les solutions adoptées en matière de police administrative[28] investir le domaine de la santé publique, plus précisément les missions de contrôle et de police sanitaire, pour des raisons politiques similaires et par une argumentation réitérée. Le juge retient la faute simple au regard de l’importance des intérêts en cause (la santé publique) et des pouvoirs dont disposait le contrôleur, propres à lui assurer une réelle emprise sur le contrôlé et à lui permettre d’éviter les dérives. Initié dans l’affaire du sang contaminé à propos du contrôle de la transfusion sanguine[29], le raisonnement a été transposé dans l’affaire du Médiator au sujet de la police sanitaire relative aux médicaments[30] et repris lors des procès mettant en cause les dommages causés par la Dépakine[31].
La question de la responsabilité de l’Etat, au travers de l’AFSSAPS puis de l’ANSM, se focalise sur les pouvoirs postcommercialisation dont il disposait et sur les marges d’appréciation qui étaient effectivement les siennes au moment des faits. A cet égard, rappelons que si les attributions de l’autorité sanitaire sont réelles en matière d’autorisations de mise sur le marché, elles sont en revanche limitées s’agissant de la mise sur le marché des dispositifs médicaux, qui ne font pas l’objet, contrairement aux médicaments, d’une évaluation préalable par l’agence de leur bénéfice-risque. Comme vu précédemment, les textes ont en retour conforté les pouvoirs de vigilance des autorités nationales.
2. Une transposition prévisible
Dotée de pouvoirs appréciables, l’ANSM se doit aussi d’en répondre. Ainsi, comme il l’a fait à propos du médicament, le juge confronté à une défaillance supposée lors des contrôles après commercialisation des prothèses PIP, se livre à une analyse textuelle serrée des attributions de l’Agence -de la directive concernée aux articles du code de la santé publique qui en réalisent la transposition-, pour en déduire un principe de la responsabilité pour faute simple, à la mesure des pouvoirs reconnus à l’autorité sanitaire et des intérêts visés, à savoir la santé et la sécurité des patients : « eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions précitées à l’AFSSAPS, agissant au nom de l’Etat, en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, qu’aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l’Etat peut être engagée par toute faute commise dans l’exercice de ces attributions, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain ». Le Conseil d’Etat d’ailleurs rejette explicitement l’argument opposé la requérante selon lequel le tribunal administratif de Marseille aurait par erreur de droit « subordonné la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat à la caractérisation d’une faute d’une certaine gravité »[32]. Rappelons aussi que les fautes imputables à la société PIP ne pouvaient, pas plus que dans l’affaire du Médiator du fait des manœuvres dolosives des laboratoires Servier, exonérer la puissance publique de sa responsabilité.
Ce faisant, la Haute juridiction facilite les recours contre l’autorité sanitaire en matière de dommages causé par les dispositifs médicaux comme ils l’ont été lors de la mise en cause de médicaments, au risque peut-être de méconnaître la difficulté de l’exercice. Il est en effet dans l’esprit et la lettre de la jurisprudence de subordonner l’appréciation de la faute à la complexité des missions de police. Si une faute simple suffit en principe à engager la responsabilité de l’Etat dans l’exercice de ses pouvoirs de police phytosanitaire[33], il est autorisé à faire valoir qu’en présence d’activités complexes, telles que la lutte contre les maladies contagieuses, seule une faute lourde peut engager sa responsabilité de ses services[34].
On comprend ainsi pourquoi, à en admettre le principe, le juge est particulièrement attentif à en circonscrire la reconnaissance par une analyse fine et séquencée du comportement effectif de l’AFSSAPS au moment des faits.
II. Le rejet circonstancié de la responsabilité de l’Etat pour carence fautive
Dès lors que l’ANSM n’intervient pas dans le processus de mise sur le marché, le principe du marquage CE suppose une surveillance ex post du marché efficace et active, qu’elle intervienne « à froid » dans le cadre d’une évaluation du bénéfice/risque ou « à chaud », à la suite de signalements[35].
Le système suscite des réserves, que reprend la Cour des comptes : « si les médicaments font l’objet d’une vigilance ancienne, restructurée ces dernières années, mais encore perfectible, la vigilance des dispositifs médicaux mériterait, quant à elle, d’être clairement renforcée », et ce alors même que le secteur concentre actuellement l’essentiel des mesures de police[36]. Toute défaillance doit donc être mesurée à l’aune des circonstances, des moyens mis en œuvre et des informations pertinentes disponibles au moment des faits. Cette appréciation conduit le juge à réfuter, dans les deux dossiers en cause, toute faute de l’Agence, clôturant par là même ce volet contentieux.
A. Une appréciation de la chronologie des faits au bénéfice de l’ANSM
L’une et l’autre des requérantes, comme bien d’autres devant les différents tribunaux administratifs saisis, demandaient la condamnation de l’Etat à réparer les préjudices subis, invoquant la carence fautive de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans l’exercice de sa mission de contrôle et de police sanitaire des activités de la société Poly Implant Prothèse.
1. Temporalité du contrôle et responsabilité de l’AFSSAPS
Deux remarques s’imposent en préalable. La première pour rappeler que la carence peut résider aussi bien dans le défaut d’action des autorités que dans l’insuffisance de leurs interventions, mais non, en principe, dans leur inefficacité, l’obligation d’agir ne relevant que d’une obligation de moyens. La seconde pour souligner la difficulté à démontrer la carence et l’incurie, comportements en négatif, souvent insaisissables, se dérobant à l’examen probatoire et mobilisant comparaisons et confrontations diverses dans une temporalité parfois complexe à stabiliser. Les contentieux de police sanitaire supposent à cet égard du juge, ainsi que le soulignait le rapporteur public, « qu’il définisse lui-même, en creux, ce qu’était une réponse appropriée à l’évènement et ils participent à ce titre de la construction empirique de la police sanitaire ».
Pour juger du comportement de l’Agence dans la surveillance de la société PIP, les juridictions successivement saisies ont décrypté la chronologie des faits et des actions, telle qu’analysée précédemment dans le rapport rédigé à la demande du ministre de la Santé[37].
Les arrêts distinguent ainsi trois temps dans la surveillance opérée par l’AFSSAPS : jusqu’en avril 2009, celui de la « vigilance ordinaire », qui, à partir des déclarations et le bilan des incidents relatifs aux implants PIP, ne relève rien d’anormal ; celui des premiers signaux et de la suspicion, en octobre et novembre 2009, débouchant sur la convocation de la société le 18 décembre 2009 et les demandes d’informations complémentaires; celui de l’enquête enfin, en février 2010, de la révélation de la fraude et finalement de la suspension et du retrait en mars 2010. Il restait au juge à placer le curseur entre l’action attendue et l’inaction coupable, afin de déterminer à quelle date précise le comportement de l’Agence pouvait être qualifié de carence fautive, « datation fine (…) pourtant cruciale s’agissant d’implantations qui sont intervenues en continu pendant près d’une décennie »[38].
Ce faisant, il évite les pièges tout à la fois de l’impression déformante causée a posteriori par la connaissance de faits alors dissimulés aux autorités de contrôle et de la généralisation hâtive par analogie avec des contentieux récents similaires. On peut en revanche questionner l’absolution que l’analyse conduit à délivrer à l’Etat face à un comportement de l’Agence qui, à n’en pas être jugé fautif, laisse songeur quant à sa réactivité.
2. De l’incidence de l’information sur la responsabilité
L’examen chronologique, dans ce qu’il établit concrètement, va ainsi se révéler décevant pour les victimes en dédouanant l’Agence de toute responsabilité fautive. On sait que l’initiative d’agir est déterminée par l’état des connaissances dont dispose alors l’autorité sanitaire sur les risques-bénéfices du produit, sur sa composition, comme sur la pérennité de ses propriétés et qualités ; il appartient à l’Administration de se tenir informée, de vérifier les informations émanant des laboratoires, de se donner les moyens de susciter l’expertise visant à corroborer ou renforcer l’état des savoirs et d’agir en cas de signalement mettant en cause la sûreté du dispositif médical. Il apparaît en l’espèce que ce n’est que lorsqu’elle a eu connaissance d’informations réellement préoccupantes, précisément en octobre et novembre 2009, que l’Agence a sollicité la société, avant de diligenter, face à l’insuffisance des explications fournies, une inspection en mars 2010 dont les résultats l’ont conduite à suspendre puis à retirer du marché les prothèses PIP le 29 mars. Cette chronologie, drastiquement établie, règle le sort des requêtes des requérantes dont aucune, sans doute, n’arrivera à terme sur ce terrain de responsabilité.
En effet, en 2006, très en avant du scandale, lorsque Mme K… a été opérée, l’AFSSAPS, en sa qualité d’autorité uniquement chargée de la matériovigilance, ne disposait que d’informations normales, sans constat de problèmes autres que ceux habituellement identifiés pour les prothèses de même sorte, et certainement pas de nature à éveiller le soupçon d’un danger ou d’une absence de conformité des implants commercialisés. D’autant que les prothèses étant des dispositifs de série et leur rupture éventuelle un événement « attendu », « elles n’appellent pas une évaluation individuelle mais une surveillance de leur fréquence de survenue »[39], laquelle, s’agissant des implants PIP, ne suscite pas à l’époque d’inquiétude particulière.
En revanche, au moment où Mme I…E… s’est fait poser dans le cadre d’une reconstruction mammaire, des implants PIP, le 30 novembre 2009, l’AFSSAPS est déjà alertée : les données de matériovigilance de l’année 2008, dont l’analyse utile est sortie en avril 2009, font apparaitre une augmentation significative des incidents et notamment des cas de rupture des membranes ; dès octobre 2009, les alarmes se suivent : le 26 octobre, l’agence reçoit successivement un courrier d’alerte, une délation interne à PIP sur les matières utilisées, et le directeur lui-même est personnellement saisi début décembre par un chirurgien sénologue « de sa connaissance », ce qui contribuera à accélérer la procédure auprès de la société PIP. Le Tribunal administratif de Besançon va ainsi déceler, dans cette suite de signaux non suivis d’action, un manque de diligence de l’AFSSAPS, constitutif d’une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l’Etat. C’est une toute autre analyse que livre le rapporteur public du Conseil d’Etat après un décryptage minutieux des faits : dans l’appréciation des réactions successives de l’Agence, la période critique -à savoir les quelques semaines entre octobre 2009 et le moment de la convocation de la société qui acte publiquement la mise en cause de la société PIP, le 18 décembre 2009- n’en est pas une pour le juge, ce qui le conduit à exclure, également ici, toute défaillance de l’autorité sanitaire : l’agence a fait preuve d’une diligence normale dans le traitement des informations et des alertes qui lui étaient transmises durant cette période à propos des implants litigieux. Si l’on peut entendre l’argument de la prévalence d’un examen rigoureux des faits sur l’attraction d’une lecture compatissante des requêtes, encore faudrait-il être assuré du premier. Or, à l’instar de la lecture qu’en firent précédemment les premiers juges, et au vu de l’expérience –acquise ( ?)- des précédents scandales sanitaires, le temps de réaction de l’Agence, dès le moment où les premières informations qui lui parviennent, peut susciter la perplexité.
Quoiqu’il en soit, effet en retour immédiat, le Conseil d’Etat verrouille toute possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement d’une éventuelle carence dans sa surveillance des prothèses PIP.
B. La gageure de l’action contentieuse des victimes
Les leçons à tirer de l’analyse chronologique des faits par la haute juridiction sont radicales, interrogeant dans la foulée les solutions qui restent à la disposition des victimes, au terme de ce que l’on a pu qualifier de leur « long chemin de croix »[40].
1. Les leçons à tirer
Ce n’est donc pas par la mise en cause de la matériovigilance que les victimes des implants mammaires PIP pourront obtenir indemnisation de leurs préjudices. Que soit visée l’absence de faute de l’AFSSAPS par le Conseil d’Etat[41] ou l’impossibilité d’établir, comme le notèrent les certaines juridictions administratives, un lien de causalité entre l’invocation d’une carence et les préjudices subis[42], les arrêts rendus sur la responsabilité de l’Etat dans cette affaire ont été, pour reprendre l’image utilisée par Vincent Vioujas, autant de portes entrouvertes débouchant sur des culs-de-sac[43].
Sur le plan juridique, le raisonnement adopté a toutefois permis au Conseil d’Etat de transposer à la matériovigilance le principe d’une responsabilité pour faute simple de l’autorité sanitaire, déjà dégagé pour l’hémo puis la pharmacovilance. Il participe également, dans un contexte réglementaire évolutif, de la clarification des compétences entre les institutions en charge du contrôle des dispositifs médicaux, répartition renforcée par les nouveaux règlements. Tirant les enseignements de la crise qui a suivi l’affaire PIP, le règlement (UE) 2017/745 intègre explicitement les prothèses mammaires dans la classe de risque la plus élevée (5.4. Règle 8 : reprise de la directive 2003/12/CE du 3 février 2003). Et pour répondre aux critiques martelées dans l’enquête Implants files sur les lacunes des procédures de mise sur le marché des dispositifs médicaux présentant un risque pour la santé humaine, singulièrement les implants, le règlement européen, à défaut d’introduire une procédure d’autorisation de mise sur le marché mal adaptée aux caractéristiques de produits et d’« un univers technique où les évolutions sont essentiellement incrémentales »[44], instaure une procédure d’examen approfondi (scrutiny) préalablement à la commercialisation des dispositifs implantables de classe III.
Sur le plan contentieux, la position du Conseil d’Etat pose une solution qui devrait conduire à l’annulation des procès administratifs encore en cours contre l’Etat[45] et renvoie ainsi les victimes à d’autres prétoires. A cet égard, les regards se tournent une fois encore vers TüV Rheinland, géant mondial de la certification, société prospère et de surcroît bien assurée[46], dont les négligences pourraient enfin permettre aux victimes de trouver un responsable solvable. La CJUE n’en a pas exclu la mise en cause[47], et c’est à la cour d’appel de Paris, appelée à statuer en tant que cour de renvoi[48], de se prononcer désormais sur la responsabilité civile du certificateur.
2. Les suites à attendre
Surtout, le dossier des dispositifs douteux ou défectueux, des lacunes de l’information comme des insuffisances de la matériovigilance ou des errements de la répartition des rôles dans le cycle de vie de ces produits de santé, est loin d’être clos. Les vigilances ont été densifiées autour des implants mammaires[49].
Surtout, de nouveaux contentieux sont d’ores et déjà engagés. Le plus connu d’entre eux est certainement celui des implants de stérilisation définitive Essure que porte une nouvelle action de groupe initiée par l’association RESIST (Réseau d’entraide, soutien et informations sur la stérilisation tubaire) contre la société Bayer afin de démontrer la défectuosité du produit et le défaut d’information qui l’accompagne[50].
Selon le Wall Street, la firme pharmaceutique a d’ores et déjà déboursé, pour éviter le procès aux Etats-Unis, 1,6 milliard de dollars destinés à dédommager 90 % des 39 000 plaignantes américaines. En France, l’ANSM, après avoir mis le dispositif sous surveillance en 2015, a préconisé en 2017 de ne plus l’utiliser « par mesure de précaution » et demandé aux laboratoires de « procéder au rappel des produits en stock »[51]. Plusieurs actions sont donc aujourd’hui en cours, au pénal comme au civil, dont certaines lancées en février dernier contre l’Etat, quatre anciennes porteuses d‘Essure réclamant notamment, au soutien de leur action, une étude indépendante et des indemnisations.
L’échec des victimes PIP ne préjuge en rien de ce que pourra être l’issue des actions contentieuses contre d’autres dispositifs. Il appartiendra aux juridictions saisies, comme elles l’ont fait pour les prothèses PIP, d’apprécier la pertinence des réactions de l’ANSM à l’aune des informations dont elle disposait sur les dangers suspectés des dispositifs en cause et des moyens d’action qu’elle a mobilisés pour les contrer. A suivre donc.
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ; Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 327.
[1]ANSM, « Données PIP Mise à jour des signalements de matériovigilance », Juin 2016.
[2] CE, Sect., 25 juillet 2013, Falempin, n°339922, D.2013.2438, note M.Bacache, D.2014.47 note Ph.Brun et O. Gout , AJDA 2013.1972, Chron. X. Domino et A.Bretonneau, JCP 2013, note Ch.Paillard. Cass.1re, 26 février 2020, n°18-26.256.
[3] Cass, 1re civ., 12 juillet 2012, Brèque, n°11-17.510, Bull.civ.I, n°165 ; P. Sargos « L’abandon par la Cour de cassation de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur les médecins en matière de prothèses défectueuse », JCP 2012.1768 ; JCP 2012, n° 987, note O. Gout et 2066, obs. P. Stoffel-Munc ; D. 2012. 1610, obs. I. Gallmeister, 1794, note A. Laude; RTD civ. 2012. Chron.737, obs. P. Jourdain ; RGDM 2012, n°45, p.201, note P.Véron ; Med. et Droit, nov-déc.2013, p.175, note G.Mémeteau ; RDSS 2012, 757, obs. F. Arhab-Girardin .
[4] Cass. 1re civ., 19 déc. 2006, n° 05-15721, D. 2007, p. 2897, obs. P. Brun
[5] Cass crim., 11 septembre 2018, n° 16-84.059. Reste en cours une instruction pour blessures involontaires qui devrait être close dans les mois à venir avec un procès en 2022.
[6] CA Paris, ch. 2, 8 janvier 2016, n° 14/06777, JurisData n° 2016-000126, JCP G 2016, 206, act. J.- Ch. Bonneau, indemnisation de 1000 euros sur ce fondement. A la suite des scandales liés aux implants mammaires PIP et aux prothèses de hanches Ceraver, l’obligation d’information du chirurgien esthétique en cas d’implantation d’un dispositif médical a été renforcée (Décret n° 2015-1171 du 22 septembre 2015 relatif à l’information à délivrer à la personne concernée préalablement à une intervention de chirurgie esthétique et postérieurement à l’implantation d’un dispositif médical ; C. santé publ., art. D. 6322-30-1).
[8]Cas des prothèses « métal sur métal », qui alimentent une suspicion plus large réactivée récemment par l’enquête internationale Implant Files. Recommandation AFSSAPS, Point d’information « Prothèses de hanche ASR du fabricant DePuy, rappelées en juillet 2010 », 1er mars 2012.
[9] Ce règlement renforce les prérequis nécessaires à l’obtention du marquage CE comme les outils de traçabilité et de transparence, en exigeant du fabricant les éléments de démonstration du rapport bénéfice/risque, qui devront satisfaire aux attendus en matière d’évaluation clinique pré et post mise sur le marché, durant tout le cycle de vie du dispositif médical. Cf J.Peigné, « Dispositifs médicaux : le nouvel horizon réglementaire », n° spécial, Bull.306-1, Santé, bioéthique, biotechnologies, sept.2019 ; SNITEM, « Dispositifs médicaux, nouvelle réglementation », mars 2020.
[10] J. Borowczyk et P. Dharréville, Ass.Nat., Mission d’information relative aux dispositifs médicaux, 6 mars 2019, p.20-22.
[11] TA Montreuil 29 janvier 2019, Mme L., n° 1800068, JurisData n° 2019-001257.
[12]TA Orléans, 9 mai 2019, n° 1703560 ; TA Besançon, 12 novembre 2019, n°1701712 : reconnaissance de la responsabilité ; TA Marseille, 11 mars 2019, n° 1710122 : rejet, au vu de la chronologie des faits, de la demande de la requérante.
[13] A. Leca et A. Lami, Droit pharmaceutique, LEH Editions, 2017.
[14] Ces directives laissent place en 2021 et 2022 au règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux (modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE) et au règlement (UE) 2017/746 du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et abrogeant la directive 98/79/CE et la décision 2010/227/UE de la Commission.
[15] Sur la base du guide « Guidelines for the classification of medical devices », un dispositif médical non stérile de classe I va bénéficier d’une procédure « allégée » d’auto-certification par son fabricant, qui doit déclarer auprès de l’autorité compétente du pays où il a son siège social, que son produit est conforme aux exigences essentielles de santé et de sécurité requises, ceci par écrit et sous son unique responsabilité. Cf Medical Device Coordination Group Document, « Guidance notes for manufacturers of class I medical devices », déc.2019.
[16] J. Borowczyk et P. Dharréville, Rapport préc. : « c’est en effet à l’entreprise que revient le soin de définir des conditions de fabrication et d’évaluation de son produit, qui sont auditées et certifiées par l’organisme notifié au regard des normes contenues dans le droit européen. », p.23.
[18] Le 27 février 2020, la Cour fédérale de justice a annulé une décision qui avait rejeté la responsabilité du certificateur TÜV Rheinland, en retenant que la garantie de protection individuelle de la santé des patientes porteuses des implants PIP n’incombait pas seulement au fabricant, la société PIP, « mais aussi à l’organisme notifié » certificateur de ces implants. Voir aussi Peter Rott et Carola Glinski. « Le scandale PIP devant les juridictions allemandes », Revue internationale de droit économique, vol. t.XXIX, n°1, 2015, pp. 87-98. https://www.bundesgerichtshof.de/SharedDocs/Termine/DE/Termine/VIIZR151.html.
[19] Selon les plaignantes, aucun achat de gel Nusil, l’un des seuls autorisés pour les prothèses mammaires, n’est intervenu au cours de l’année 2004 alors même que le produit doit être utilisé dans les six mois…L’enquête a révélé que l’entreprise PIP se servait pour partie d’un autre gel non autorisé, du silicone industriel de la société Brenntag normalement utilisé dans la composition d’équipements électroniques.
[20] CA Aix-en-Provence, 2 juillet 2015, n°13/22482.
[21] L. Bloch, « Prothèses PIP : le long chemin de croix des victimes », Resp.civ. et assur., 2015, alerte 24.
[22] CJUE, 16 février 2017, Elisabeth Schmitt/TÜV Rheinland LGA Products GmbH, aff.C-219/15.
[23] L’intervention de l’organisme notifié dans le cadre de la procédure de déclaration de conformité « vise à protéger les destinataires finaux des dispositifs médicaux ».
[24]Cass. 1re civ., 10 octobre 2018, n° 16-19430, n° 15-26093, n° 15-26388, n° 15-26115, n° 15-28531, n° 17-14401, JCP G, 26 novembre 2018, n° 1235, note M. Bacache, RDSS 2018, p. 1105, obs. J.Peigné. La Cour de Cassation, ne jugeant pas sur le fond et ne pouvant donc directement condamner TUV a renvoyé la procédure devant la Cour d’Appel de Paris, qui sera chargée de juger en tenant compte de ses indications. Le délibéré de cette dernière est attendu le 20 mai 2021.
[26] « Vigilance » déclinée en fonction des produits, pharmaco-, hémato,- infectio-, cosméto-, bio-, réactovigilance, … et donc matériovigilance
[27] Cour des comptes, « L’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) », Communication à la Commission des affaires sociales du Sénat Novembre 2019, p.79 et s.
[28] CE, 28 novembre 2003, Commune de Moissy-Cramayel, n°238349, JCP A 2004, 1053, note J.Moreau, AJDA 2004, p. 989, note C.Deffigier, Dr. adm. 2004, 36 ; RFDA 2004, p. 205 : abstention à prendre une réglementation destinée à lutter contre les nuisances sonores ; CE, 30 mars 1969, Moisan et Cne d’Étables sur-Mer, Rec.143, AJDA 1979, p.29, D.1979, 559, note L.Richer : carence dans le maintien de la sécurité lors d’un tir de feux d’artifice; Sect.13 mai 1983, Mme Lefèvre, Rec.194, AJDA 1983, p.476 concl. M. Boyon : maintien de la sécurité sur les plages ; 12 décembre 1986, Rebora c/ Commune de Bourg Saint Maurice, Rec.281 : sécurité en montagne ; CE 25 juillet 2015, Baey, Rec. 285 : contrôle des installations classées ; CE, 5e et 6e Ch., 9 novembre 2018, n°411626 : condamnation de la ville de Paris et de l’État pour carence fautive dans l’exercice de leurs missions de protection de la sécurité et de la tranquillité, et de maintien de la salubrité. Récemment, CE 18 décembre 2020, Ministre du Travail / M. A., n°437314 : la responsabilité de l’Etat peut être engagée par une faute de l’inspection du travail dans l’exercice de ses missions de contrôle en matière d’hygiène et de sécurité, en l’espèce, par l’absence de contrôle pendant dix ans du respect des mesures de protection contre l’amiante sur un chantier naval.
[30] CE 9 novembre 2016, Mme K., n°393108, Mme G, n°393904, Mme Bindjouli et Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de la femme, n° 393902, 393926.
[34] Aussi, le juge relève-t-il qu’ « eu égard aux difficultés particulières que présentent les mesures prises par les services vétérinaires de l’Etat dans le cadre de la police sanitaire et dans l’intérêt de la protection de la santé publique en vue d’assurer l’exécution d’un arrêté portant déclaration d’infection et compte tenu de l’urgente nécessité d’éviter la propagation de l’épizootie, la responsabilité de l’Etat n’est susceptible d’être engagée qu’en cas de faute lourde», CAA Lyon, 22 décembre 2009, n° 07LY02147, Jonnet et Centre Technique d’hygiène ; CAA Nancy, 2 décembre 2004, n° 98NC01732
[36] Préc., p.80 : « 88 % des mesures de police concernent des dispositifs médicaux, produits qui ne font pas l’objet, de sa part, d’un contrôle antérieur à leur mise sur le marché ».
[37] « État des lieux des contrôles opérés par les autorités sanitaires sur la société PIP », févr. 2012.
[50] L’action souligne que le laboratoire BAYER n’a pas informé les utilisatrices de la composition du dispositif ni de ses effets secondaires liés à la présence de métaux lourds. Elle identifie plus de 2 000 victimes et réclame la consignation par Bayer HealthCare de 45 millions d’euros.
[51] Site ANSM « Surveillance des dispositifs médicaux de stérilisation définitive » ; « Connaissances scientifiques autour de l’implant de stérilisation définitive Essure : état des lieux – Point d’information », 2 octobre 2020 ; Communiqué DGS « Surveillance des dispositifs médicaux de stérilisation définitive. Comité de suivi des femmes porteuses du dispositif de stérilisation définitive ESSURE-Présentation du plan d’actions », 17 décembre2020. Il s’agit à ce stade « de caractériser les phénomènes à l’origine des effets indésirables présentés par certaines femmes porteuses d’Essure » et de rassembler toutes les informations de nature à apporter des éléments de réponse aux questions qui restent en suspens. Il est ainsi prévu de créer un registre des effets indésirable pour enregistrer les signalements des patientes.
Le présent article, rédigé par M. Hugo Ricci (doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH) s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Nouvelle évolution de l’obligation d’information du patient par les praticiens & appréciation de la perte de chance
Conseil d’Etat, Sect., 20 novembre 2020, req. 422248, Publié au recueil Lebon
Le Conseil d’État a souhaité apporter un certain nombre de précisions quant à la notion de possibilité raisonnable de refuser les soins. Issue de la jurisprudence M. Telle[1] et complété par la jurisprudence Beaupère et Lemaitre[2], cette possibilité de refuser les soins appelle directement au consentement et à l’obligation préalable d’information du patient, non seulement sur les « risques connus de décès ou d’invalidité, (…) la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement »[3] ne dispensant pas les médecins de cette obligation. La réparation du non-respect de cette obligation est l’indemnisation pour la perte de chance de refuser l’intervention, mais également le préjudice d’impréparation notamment en prenant certaines dispositions personnelles, ces deux types d’indemnisation étant autonomes[4] ; le défaut d’information étant constitutif d’un préjudice autonome[5] de la perte de chance, Conseil d’État et Cour de Cassation ayant une position commune à ce sujet[6].
Ainsi, il est donc possible pour les magistrats d’écarter la perte de chance, ce qui est le cas lorsque « l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus », mais d’indemniser la victime pour le préjudice d’impréparation.
En l’espèce, une patiente chute sur son lieu de travail, qui entraine un déplacement musculaire au niveau du genoux, nécessitant une intervention chirurgicale en vue de refixer le tendon à l’origine de ce déplacement. À l’issue de l’intervention médicale, une paralysie du pied nécessite une nouvelle intervention, qui met en évidence une compression accidentelle d’un nerf, étant survenu au cours de la première intervention. La patiente ayant engagé des poursuites de l’établissement auprès du tribunal administratif de Fort-de-France obtient une réparation du préjudice « de perte de chance ayant résulté pour elle du manquement de cet établissement à son obligation d’information sur les risques inhérents à l’intervention ».
Cette décision sera annulée par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, qui estimait que compte tenu de l’absence d’alternative thérapeutique à l’intervention chirurgicale qui lui était proposé, la victime aurait consenti à cette opération même si elle avait été informée des risques d’atteinte au nerf fibulaire, et que de ce fait, le manquement de l’établissement n’avait privé la victime d’aucune chance de se soustraire au risque en renonçant à l’opération chirurgicale. La décision sera cassée en Conseil d’État, puis renvoyé devant la CAA de Bordeaux, qui avait – comme la premier fois – rejetée la demande de la requérante. Dans cette ultime décision du Conseil d’État, les magistrats vont apporter un certain nombre de précisions sur l’obligation d’information, tout en rejetant la demande de la requérante.
Origine, contenu et qualité de l’information délivré au patient
L’origine de l’obligation d’information (A) est lointaine et sa source est évolutive, mais le contenu et sa qualité (B) semble se renforcer au fil des années.
A. Origine de l’obligation d’information
Le fondement de l’obligation d’information du médecin à son patient trouve l’un des premiers points de départ dans les arrêts Mercier[7]de 1936 et Teyssier[8] de 1942, illustrant l’information comme un élément au contrat médical[9] qui se créé entre le patient et médecin. La jurisprudence sera constante en matière d’information préalable du patient, désormais élevé au rang du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine[10], et étroitement lié au droit au respect de l’intégrité corporelle. Ce dernier ne permet aucune atteinte au corps sans le consentement de son titulaire, qui suppose une information préalable, et qui découle du code civil[11] depuis 1994[12]. Les mêmes exigences existent par ailleurs en droit européen[13]. La loi du 4 mars 2002[14] apporte au code de la santé publique l’article L. 1111-2 qui consacre le droit pour toute personne « d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver »[15].
B. Contenu et qualité de l’information
Le patient doit être informé afin d’être à même de se rendre compte de la gravité potentielle de sa pathologie, c’est-à-dire porter sur son état de santé, sur les gestes entrepris, la nature de l’opération ou de l’intervention, son ampleur et ses conséquences possibles, et les risques et les complications potentielles. En outre, les conséquences prévisibles en cas de refus, les alternatives thérapeutiques doivent également être détaillées.
La différence importante de niveau de connaissance technique entre le professionnel et le patient rend difficile, sinon impossible, la communication de données médicales « en l’état », qui serait une source d’incompréhension très grande[16]. En l’absence de texte, la jurisprudence a qualifié l’information comme devant être « simple, approximative, intelligible et loyale »[17], avant de faire disparaitre l’approximation de l’information[18], le médecin étant aujourd’hui tenu à « une information loyale, claire et appropriée ». Pour autant, les magistrats administratifs ont recherché une précision de la qualité de l’information, qui s’étend également aux résultats des examens, qui compte tenu des conditions dans lesquels ils sont conduit, peuvent « être affecté d’une marge d’erreur inhabituelle »[19].
La terminologie jurisprudentielle sera reprise[20] dans le code de déontologie médicale en son article 35, qui est désormais réglementaire[21] : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».
Les conséquences du défaut d’information
Deux conséquences juridiques au défaut d’information viennent sanctionner celui-ci par le biais de la responsabilité, à travers le préjudice d’impréparation (A) et la perte de chance (B), ces deux mécanismes étants autonomes.
A. Le préjudice d’impréparation
L’existence du préjudice d’impréparation a été consacrée par la décision du Conseil d’État « Beaupère et Lemaître » [22], et sa définition pourrait être celle d’un « préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle »[23], bien que les hauts magistrats de l’ordre judiciaire, s’inspirant de la solution rendue en 2012, définiront postérieurement ce préjudice de façon plus large, comme « résultant d’un défaut de préparation aux conséquences » d’un risque inhérents à un acte d’investigation, de traitement ou de prévention.
La jurisprudence précitée ouvre le droit à réparation pour le patient, né du manquement des médecins à leur obligation d’informer, pour les troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à l’éventualité que certains risques se réalisent.
Ces troubles, peuvent prendre la forme de l’impossibilité de prendre certaines dispositions personnelles, comme les impacts professionnels, en matière successorales ou assurantielles, et qui, fondées sur la possible survenance d’un risque, auraient permis au patient, s’il avait été informé, d’en anticiper les conséquences. Ainsi, tous les troubles subis du fait de la survenance du risque qui n’avait été signalé, semblent pouvoir donner lieu à réparation, à condition d’en apporter la preuve devant le juge.
B. La perte de chance de se soustraire au risque qui s’est finalement réalisé
Cour de Cassation[24] et Conseil d’État[25] ont utilisé la théorie de la perte de chance de se soustraire au risque, lorsque celui-ci s’est finalement réalisé, pour indemniser les victimes, en prenant en compte la faction du préjudice directement en lien avec le défaut d’information. Cette technique permet notamment au juge de prendre en compte les risques qui subsistent en cas de renonciation aux soins[26]. C’est en ce sens que dans la décision de l’espèce, les précisions des magistrats sont importantes : le manquement à l’obligation d’information entraine la responsabilité de l’hôpital lorsque ce manquement entraine « un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n’a pas été porté à sa connaissance », la réparation du préjudice résidant dans la « perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération ». Le Conseil d’État[27] insistant sur la nécessité pour le juge administratif de systématiquement se prononcer sur la nature et l’importance des dommages physiques et des troubles dans les conditions d’existence subis par l’intéressé, en prenant en compte cet équilibre entre les risques de l’intervention et les risques encouru en cas de refus de traitement. Encours l’annulation la décision qui n’établirait pas le rapprochement entre ces deux éléments.
Si le patient « ne dispose d’aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d’information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte »[28]. S’il existe des alternatives thérapeutiques moins risquées[29], le juge en déduit que l’intervention n’est pas impérieusement requise, auquel cas le défaut d’information fait perdre au patient une chance d’échapper à l’accident médical survenu[30].
A contrario, si l’état de santé nécessite de manière vitale une intervention, et en l’absence d’alternative thérapeutique moins risquée, le patient ne pourra invoquer la notion de perte de chance, le patient ne pouvant se soustraire à ce risque[31]. Il en va de même lorsque l’intervention est urgente et nécessaire[32]. Aucune indemnisation ne peut donc être versé à ce titre. Ainsi, dans les hypothèses dans lesquelles le patient ne peut se soustraire à l’intervention, le juge considère que le défaut d’information, même fautif[33], n’a pas à être sanctionné[34]. Par ailleurs, selon des mécanismes juridiques qui fondent le principe même de la justice, la proportionnalité ou l’équilibre sera toujours recherché, entre l’information sur les risques, et la nécessité de l’acte médical. Ainsi, nulle perte de chance s’il est « raisonnablement improbable » pour le patient qu’il refuse à consentir à une opération, même averti de tous les risques : le juge se fondant sur l’équilibre entre « l’information [qui] aurait dû mettre en parallèle d’une part, les risques encourus, limités et le bénéfice escompté et d’autre part(…) l’évolution prévisible de son état de santé en cas d’inaction »[35]
Dans la décision qui nous concerne, le juge ne peut que présumer que la patiente, même informé « des risques d’atteinte au nerf fibulaire » que comportait l’opération, et « compte tenu de ce qu’était l’état de santé du patient et son évolution prévisible en l’absence de réalisation de l’acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu’il aurait fait » aurait consenti à l’acte en question. Ainsi, même si effectivement le centre hospitalier régional n’apportait pas la preuve de l’information qui lui incombait, ce manquement n’avait privé la justiciable « d’aucune chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération ».
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ; Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 326.
[1] Conseil d’État, 5 janvier 2000, n° 181899, publié au recueil Lebon
[2] Conseil d’État, 5èmes et 4èmes sous-sections réunies, 10 octobre 2012, 350426, Publié au recueil Lebon
[26] Voir en ce sens Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 02/02/2011, 323970, Inédit au recueil Lebon
[27] Conseil d’État, du 5 janvier 2000, 198530, inédit au recueil Lebon
[28] Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 06/03/2015, 368010, Inédit au recueil Lebon
[29] En réalisant un équilibre entre le risque effectivement réalité, et un éventuel autre risque probable le cas échéant ; voir en ce sens Cour Administrative d’Appel de Nantes, 3ème chambre, 07/04/2016, 14NT02841, Inédit au recueil Lebon
[30] Solution qui est différente hors des situations urgente. Voir en ce sens Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 03/07/2015, 372257, Inédit au recueil Lebon, décision dans laquelle la haute juridiction considère que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en se fondant sur l’absence de l’existence d’autres techniques médicales pour déceler une malformation sur un fœtus, comme ne suffisant pas à caractériser l’absence de toute possibilité raisonnable de refus.
[31] Conseil d’État, 5 / 7 SSR, du 15 janvier 2001, 184386, mentionné aux tables du recueil Lebon. Voir également Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 10/10/2012, 350426, Publié au recueil Lebon
[32] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 3 juin 2010, 09-13.591, Publié au bulletin
[33] Conseil d’Etat, 5 / 7 SSR, du 15 janvier 2001, 184386, mentionné aux tables du recueil Lebon
[34] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 13 novembre 2002, 01-00.377, Publié au bulletin
Le présent article, rédigé par Mme Mathilde Gobert, étudiante en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Mesures COVID et université : le déni de la souffrance estudiantine par le juge des référés ; note sous CE, Ord., 10 décembre 2020 (447015)
Saisi d’un référé-liberté porté par un collectif de 77 enseignants du corps universitaire, le Conseil d’État s’est vu interrogé sur la question de savoir si le décret du 27 novembre 2020, et plus précisément son article 34 maintenant l’interdiction faite aux étudiants de se rendre dans leurs universités, ne constituait pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit à l’instruction, droit fondamental.
Dans une ordonnance du 10 décembre 2020 (n°447015), le juge des référés a débouté les requérants de leurs prétentions. Ces derniers demandant d’enjoindre au Premier ministre de modifier ledit décret pour faire revenir les populations estudiantines sur site avec une organisation respectant les impératifs de santé publique.
Le juge s’est fondé sur quatre points pour motiver son rejet.
Premièrement, selon les magistrats de la Haute juridiction, la différence de traitement faite entre les étudiants à l’université et les étudiants de l’enseignement secondaire et des formations professionnelles post-bac qui, eux, ont pu continuer à recevoir des enseignements en « présentiel » n’est pas, en elle-même, une discrimination portant atteinte à la liberté fondamentale du droit à l’instruction.
Deuxièmement, le juge se prononce sur le respect de la vie qu’invoquaient les requérants. Il estime que le fait de limiter très fortement le nombre d’usagers accueillis dans les universités n’est pas une action ou une carence de l’autorité publique qui créerait un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes. Ici, était notamment invoqué l’impact désastreux des mesures sur la santé, psychologique notamment, des étudiants. Le juge ne retient pas l’atteinte au droit la vie.
Ensuite, le juge des référés conclut à l’absence de violation du droit à l’éducation. En effet, le maintien des travaux pratiques, de la possibilité d’accéder aux bibliothèques universitaires et la mise à disposition de matériels informatiques pour les élèves en situation de « précarité numérique » sont des mesures que le juge qualifie de « modalité d’organisation suffisantes ».
Enfin, le juge estime que les mesures prises par le décret sont proportionnées. En effet, les atteintes au droit de réunion qu’il porte ne sont pas excessives. Ces atteintes sont le résultat de la conciliation faite entre le droit de réunion et l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Cette ordonnance suscite néanmoins quelques remarques.
D’abord, existe-t-il, véritablement, une différence de situation entre une classe de formation professionnelle post-bac et une promotion de deuxième année de master du même nombre ? Même si l’on peut envisager qu’il y ait des spécificités propres à la voie professionnelle tel que le besoin de recourir à des travaux pratiques, il apparaît difficile de considérer ces deux populations étudiantes comme radicalement différentes. En effet, ce sont des publics qui appartiennent à la même catégorie d’âge notamment, catégorie où le virus circule le plus. Partant, comment ne pas voir ces différences de traitement comme une discrimination ? Et donc, a fortiori, comme une atteinte au droit à l’instruction…
En second lieu, le 12 janvier 2021 une étudiante lyonnaise tentait de se suicider en se défenestrant dans sa résidance étudiante. Cette tentative suit, malheureusement, celle d’un autre étudiant, à Villeurbanne cette fois-ci, qui lui aussi a tenté de se suicider en se défenestrant. Bien entendu, il n’est pas question ici de reprocher au juge son incompétence pour lire l’avenir mais ces actualités traduisent un mal-être profond qui dure depuis le début de la crise sanitaire. Les étudiants crient leur désespoir et leur sentiment d’abandon depuis des mois. Cette décision raisonne donc comme un acte de mépris sur la question de la santé mentale des étudiants. Plus encore, cette ordonnance révèle une déconnexion évidente du juge sur ces questions.
A la lecture de cette décision on ne peut qu’avoir la sensation que le juge ne souhaite pas non plus « mettre des bâtons dans les roues » d’une Administration et d’un exécutif en improvisation totale dans la gestion de la crise sanitaire. Ce sentiment est renforcé lorsque l’on prend connaissance des derniers motifs, ceux-ci sont laconiques, lapidaires et peu étayés en droit.
Il nous tarde donc de lire la décision qui sera rendue au fond. Si le juge concluait à l’illégalité du décret, même s’il serait trop tard pour les étudiants dont l’année universitaire aura été sacrifiée, cela serait tout de même un commencement de reconnaissance de la souffrance éprouvée par ces derniers.
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ; Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 325.
Art. 323. Source de l’image ci-après : twitter ZEventfr
Le présent article rédigé par M. Nicolas André, étudiant en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
« Nous faisons tous des choix. Mais à la fin, ce sont nos choix qui font de nous ce que nous sommes ».
Andrew Ryan, personnage fictif du jeu BioShock.
Nous aimerions vous faire part, dans cet article, de deux sujets qui nous intéressent particulièrement, les jeux vidéo et la santé.
De prime abord, on peut s’interroger sur ce qui les relie et ce qu’ils ont en commun. Quand on cherche un peu, on découvre rapidement que les jeux vidéo peuvent influencer la vie et la santé de leurs utilisateurs. De nombreux articles existent déjà sur l’impact des jeux vidéo, les conséquences qu’ils peuvent avoir sur les jeunes et les risques pour leur santé. Bien que récemment des études tendent à démontrer les apports bénéfiques qu’ils peuvent avoir. Tant sur la santé mentale notamment en période de confinement que sur le développement de certaines zones spécifiques du cerveau ou encore des réflexes.
Néanmoins, on ne parle que très peu du rôle que cette communauté peut avoir, que ce soit socialement par de la prévention et de l’éducation ou financièrement par des dons et des évènements caritatifs.
C’est pourquoi nous avons eu envie d’écrire cet article, pour vous faire découvrir ces acteurs et leurs actions incroyables auprès du public et de certaines associations de santé. Ils ont réussi une prouesse unique, reconnue dans le monde entier et dont nous allons vous narrer l’histoire.
Avant-propos
Nous vivons une période où les maladies, les infections et les situations sociales difficiles augmentent. Partout, dans le monde, des individus ont besoin d’aide, humaine, matérielle ou financière pour subvenir à leurs besoins et ainsi améliorer leurs conditions de vie.
Pour cela, nous pouvons compter sur des associations qu’on définit comme étant un groupement de personnes volontaires, réunies autour d’un projet commun ou partageant des activités, mais sans chercher à réaliser des bénéfices. Elles peuvent avoir des buts très divers (sportif, défense des intérêts des membres, humanitaire, promotion d’idées ou d’œuvres…).[1]
Il existe deux principaux types d’associations.
L’association « simple » non déclarée en préfecture, avec une existence juridique, mais qui ne peut pas posséder de patrimoine ni agir en justice.
L’association « déclarée » qui nous intéresse plus particulièrement. Comme son nom l’indique elle sera déclarée en préfecture et aura la personnalité juridique. Elle peut donc posséder un patrimoine et agir en justice. Certaines d’entre elles disposent du statut particulier d’associations reconnues d’utilité publique par décret en Conseil d’État. Leur objet est jugé d’intérêt général (ex : lutte contre certaines maladies). Cette reconnaissance leur permet de recevoir des dons et des legs, mais elles doivent en contrepartie présenter de sérieuses garanties et sont soumises à un contrôle administratif plus strict, notamment de la part de la Cour des comptes.
Ainsi ces associations sont utiles pour un grand nombre de personnes mais elles manquent souvent de financement car elles sont à but non lucratif et ne font donc pas de bénéfice. C’est pourquoi en dehors des subventions possibles de l’Etat, les dons sont très importants.
Tout le monde peut donner à ces associations en allant dans leurs bureaux ou via leurs sites internet dédiés. Tous les dons sont importants, quelle que soit la somme. Mais il faut souligner que les plus gros dons arrivent principalement lors d’évènements particuliers que ce soit à la télévision ou dans notre cas sur internet.
La naissance d’un projet caritatif sur internet
Nous allons ici vous parler d’une idée grandiose, pensée et réalisée par Adrien Nougaret alias ZeratoR, un animateur, streamer et vidéaste français, en collaboration et coorganisation avec Alexandre Dachary alias Dach.
Ils ont eu l’idée de créer un projet caritatif dont le but est de rassembler plusieurs animateurs spécialisés dans le streaming de jeux vidéo sur internet pour un marathon s’étalant sur tout un week-end. Pendant plus de 50h, les participants diffusent du contenu en direct tous ensemble sur la plateforme Twitch et encouragent les spectateurs à se mobiliser pour soutenir une association caritative.[2]
Twitch, qu’est-ce que c’est ?
Pour les non-initiés, il existe actuellement une plateforme du nom de twitch qui est un service de streaming vidéo en direct et de vidéo à la demande exploitée par Twitch Interactive et lancée en juin2011.[3] Le site se concentre principalement sur la diffusion en direct de jeux vidéo, y compris les diffusions de compétitions d’Esport. Néanmoins, il se diversifie petit à petit notamment avec du contenu musical, de discussion ou des évènements spéciaux et notamment l’entrée de la politique dans ce monde virtuel et interactif.
Il est important d’évoquer le fait que cette plateforme prend une place de plus en plus importante, elle attire tous les jours 15 millions de visiteurs uniques et 1 million d’entre eux y sont connectés en permanence dans plus de 180 pays.
Ci-dessous, vous pouvez voir quelques chiffres. En rouge le nombre de personnes qui regardent un stream le 19/11/20 à 12:00 ainsi que le nombre de chaînes twitch à ce même moment. En vert le nombre de personnes présentes en moyenne et le nombre record de personnes présentes en même temps.[4]
Cette plateforme est interactive, car en direct et elle permet un échange instantané avec le streamer, le chat permettant de voir ce que les personnes disent et comment elles réagissent. Le streamer ne peut simplement pas les ignorer ou les stopper, mais il peut tout de même les modérer.
C’est un outil et potentiellement un concurrent pour la télévision. C’est une nouvelle utilisation d’un média plus proche des spectateurs qui va au-delà du simple fait de regarder un programme sans pouvoir y réagir. Il touche également une population beaucoup plus jeune et potentiellement moins sensible aux médias traditionnels. C’est pourquoi de nouveaux acteurs s’y sont mis tels que Jean Luc Mélenchon, la chaîne parlementaire Public Sénat ou encore des médias tels que Le figaro ou l’Equipe.
Qui sont ces streamers ?
Pour en revenir aux jeux vidéo, ces joueurs vont donc jouer sur leurs ordinateurs, chez eux ou dans des locaux spécialisés et vont retransmettre ce qu’ils font en direct pour que d’autres personnes puissent les regarder. En fait, c’est la télévision des jeux vidéo. Certains sont des joueurs professionnels ou anciens joueurs et vont se spécialiser dans les jeux vidéo à différents niveaux, que ce soit Fortnite, Call of Duty, Rocket League ou encore League of Legends et bien d’autres. D’autres streamers s’orientent vers de l’animation ou le rôle de commentateur de ces mêmes jeux vidéo.
Chaque streamer a ses particularités, il regroupe autour de lui une communauté qui lui ressemble et partage une même philosophie. Pour n’en citer que certains, nous avons Gotaga, joueur professionnel de jeux de tir, Mistermv qui fait du multi gaming et est aussi compositeur de musique, Jean Massiet qui anime autour de la politique, Kameto, Ponce, Domingo ou encore des structures telles que Solary ou O ’Gaming qui forment des joueurs et streamers et leur fournissent des locaux.
Vous trouverez ci-dessous et sur le site du Zevent tous ceux ayant participé à l’édition de 2020 et aux précédentes.
La première édition de cet évènement créé par ZeratoR et Dach a eu lieu en 2016 sous le nom de « Projet Avengers ». Elle avait eu lieu suite à l’appel du youtubeur Belge Bachir Boumaaza via son programme caritatif « gaming for good » afin de récolter des dons pour l’ONG Save the Children et ainsi aider les Ethiopiens face à la sécheresse et la famine. Cette édition a regroupé 16 streamers pour 34h de live et a récolté 170 770€. [5]
En 2017 a eu lieu la seconde édition sous le nom de « Zevent », au profit de la Croix-Rouge Française afin de soutenir les populations victimes de l’ouragan Irma qui avait frappé les Antilles. A cette occasion 30 streamers se sont réunis et ont permis de récupérer 451 851€ en 52 heures de live.
En 2018, la troisième édition au profit de Médecins sans frontières a récolté 1 094 731€ en 53 heures de live par 38 streamers. Cette somme a notamment servi à la reconstruction intégrale d’un hôpital au Yémen.
Ensuite, en 2019, lors de la quatrième édition, de nombreuses ONG voulaient être représentées, mais c’est finalement l’institut Pasteur qui a été choisi. L’évènement regroupant 55 streamers a récolté 3 509 878€ en 54 heures de live.
Selon Jean-François Chambon, directeur de la communication et du mécénat à l’institut Pasteur, un tiers du budget de l’institut provient des dons et la somme réunie par le Zevent représente environ 10 % de la collecte annuelle opérée auprès du public ; un million d’euros permet de mettre en place un centre de recherche avec une douzaine de chercheurs pendant une année.
Enfin, en 2020, la cinquième édition a eu lieu début octobre, elle a évidemment longtemps été remise en question à cause de l’épidémie du coronavirus, mais elle a finalement eu lieu. Cette année 54 streamers étaient présents que ce soit sur place (après avoir passé un test PCR) ou en distanciel pour récolter 5 724 377€ en 55 heures de live pour l’association Amnesty International France. À titre de comparaison, en 2018 Amnesty International Monde avait récolté 299 millions d’euros, avec plus de 2 millions de personnes qui auraient fait des dons d’une valeur moyenne de 8,75€.[6]
Ci-dessous, vous pouvez observer l’infographie des trois dernières éditions avec par exemple le nombre de viewers en moyenne (personnes regardant le stream), la moyenne des dons et autres informations.
Source : Twitter ZeratoR
Il est difficile de transmettre à l’écrit les émotions et la joie ressentie en regardant cet évènement. Car au-delà d’être un évènement caritatif, c’est aussi un regroupement de personnes qui s’amusent, profitent du moment et le partagent avec ceux qui les regardent tout en leur permettant de se mobiliser pour une association. Le manque d’information, de motivation ou même de moyen peut générer l’absence de telles actions pour certaines personnes.
Quelques chiffres comparatifs sur les donations (en France & dans le monde)
En France en 2018, selon France générosité[7], malgré une augmentation de 6 % du nombre de foyers imposables, le nombre des foyers fiscaux ayant déclaré des dons a baissé de 3,9 %, passant de 5,219 millions en 2017 à 5,016 millions. Avec également une baisse globale des montants de dons de – 4,2% en 2018.
Néanmoins, en 2019, il y a une augmentation de 3,5% des montants de dons, mais une baisse de 15% de nouveaux donateurs à une association ou une fondation entre 2009 et 2019.
De manière générale, la générosité privée des français représente 7,5 milliards d’euros, soit le budget annuel du Ministère de la Justice.
Cette générosité est portée à 61% par les particuliers et 39% par des entreprises. Les libéralités représentent 1 milliard d’euros de don chaque année, soit 23% à 30% des produits de la générosité privée pour les associations et fondations.
Les collectes populaires, comme la Croix-Rouge ou les Pièces Jaunes représentent environ 47,5 millions d’euros de dons. Les collectes en nature sont estimées à 39,5 millions d’euros.
Ci-dessous, le détail de la provenance des dons ainsi que les principaux domaines où ils sont effectués.
Les Français donnent chaque année 35 millions d’euros pour un million d’habitants, soit moins que le Royaume-Uni (140 millions), la Suisse (90 millions), les Pays-Bas (80 millions) ou l’Allemagne (60 millions), mais plus que l’Espagne (20 millions).[8]
À côté de ça, les dons aux Etats-Unis seraient bien plus importants, à hauteur de 300 milliards de dollars, mais cela est principalement dû aux entreprises et milliardaires qui n’hésitent pas à faire don d’une partie de leur fortune à certaines associations ou fondations.
Les statistiques de l’année 2020 sont difficiles à analyser du fait de la crise du Covid. Cependant, il semble que nos citoyens soient plus sensibilisés aux inégalités et difficultés de certaines populations, mais cette crise sanitaire ayant aussi créée une crise économique, il est bon d’attendre des statistiques officielles pour en tirer des conséquences.
Une communauté parfois décriée
Tout ceci est à mettre en parallèle avec l’image que cette communauté, de joueurs de jeux vidéo, peut donner. Certains peuvent les considérer comme fainéants, sans engagement, n’apportant rien de concret à la société et encore plus en période de crise. Et pourtant, nous le voyons clairement ici, ces personnes exercent un métier parmi tant d’autres. Il existe tout une économie autour d’eux et ce domaine d’activité est extrêmement porteur dans une société de plus en plus dématérialisée.
Ces acteurs créent du contenu, qui est une source de divertissement pour de nombreuses personnes. Ils parviennent à regrouper ces dernières autour d’eux, à créer un lien collectif, à faire passer des messages et ainsi faire bouger tout un groupe. Ces collectifs, qui partagent un intérêt commun dans ce monde du streaming et du jeu vidéo, permettent son développement qui se matérialise par l’augmentation des dons faits aux associations. À cela s’ajoute un apport de connaissances autour des thèmes portés par les associations ainsi que de la prévention et de la motivation concrète à souhaiter être bienveillant et accompagner au mieux son prochain.
Nous nous devons également de nous interroger sur les éventuels effets négatifs ou les risques que cela pourrait avoir sur certaines tranches de la population comme l’addiction aux jeux vidéo, des paroles ou des actes malveillants. Cependant, il faut souligner que la plateforme Twitch est surveillée et contrôlée. En effet, les streamers ne peuvent dire ou faire n’importe quoi. Vous ou vos enfants ne risquez donc quasiment rien à regarder vos joueurs préférés se divertir et vous divertir par la même occasion.
Un bilan critiqué
Toutefois, cette année, une critique a été émise autour de la somme récoltée. Une volonté de pousser toujours plus au don, de demander plus aux donateurs dans le but de faire toujours mieux a été ressentie. La finalité est une cause louable et peut donc parfois pousser des personnes à donner plus que raisonnablement.
De plus, afin de récolter les dons, chaque streamer met en place des « donations goals » une liste de choses qu’il va faire quand il dépassera un seuil d’argent récolté sur sa chaîne. Prenons l’exemple d’un streamer qui a une barbe depuis des années et bien disons qu’à 50 000€ récolté sur sa chaîne, il devra la raser. Cela parait anodin et amusant d’autant plus que chaque streamer choisit ses donations goals, mais certains ne s’attendaient pas à les atteindre jusqu’à ce que d’autres streamers se regroupent pour demander aux spectateurs d’aller sur leurs streams pour justement atteindre ces seuils.
La question qui reste sans réponse est donc de savoir jusqu’où certains streamers sont-ils prêts à aller pour récolter de l’argent ?
Une finalité positive
Il faut tout de même souligner que cela semble fonctionner. Force est de constater que les sommes récoltées sont de plus en plus élevées, on passe de 170 000€ pour la première édition à 5 700 000€ pour la cinquième. Cette augmentation donne de plus en plus d’ampleur à l’évènement.
Ce qui fait que de plus en plus d’associations souhaitent être l’objet de ces dons.
D’ailleurs, depuis quelques années, le président met en lumière cet évènement et félicite ces initiatives. Toutefois, nous pouvons nous interroger : n’y a-t-il pas ici les signes d’une volonté de s’approprier l’évènement et de le politiser ?
Source : Twitter Emmanuel Macron
Néanmoins, cela n’enlève en rien de la beauté de l’évènement. Sur 5 ans, plus de 10 millions d’euros ont été récoltés par une communauté sur laquelle personne n’aurait parié. Les résultats sont là, le monde des jeux vidéo peut influencer bien d’autres secteurs. En l’occurrence celui de la santé, principalement par son financement, mais également par l’éducation et la prévention.
Selon nous, l’important est de mettre en lumière, via ces évènements ce que les gens peuvent faire ensemble quand ils sont motivés par un projet commun, qui a du sens pour eux quels que soient les domaines de la vie. C’est un message très fort pour l’humanité, être persévérant et garder à l’esprit qu’ensemble, nous sommes plus forts.
Par le biais de cet article, notre objectif était de vous faire découvrir ce nouveau secteur en pleine expansion et toutes ces personnes qui se donnent tous les jours pour nous divertir et nous sensibiliser sur des sujets qui sont aujourd’hui plus que jamais primordiaux dans notre société. Nous espérons y être parvenus.
Pour plus de précisions sur cet évènement, vous pouvez vous référer au site internet du Zevent, ou encore vous renseigner sur les différents streamers sur Twitch, internet ou twitter. Les Best-of et making-of de l’évènement sont également disponibles sur Youtube.
Source : Twitter ZeratoR
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ; Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 323.
La crise du Covid-19 en est un témoignage topique s’il en était encore besoin, le droit public se soucie du ou des droit(s) de la santé. Forts de ce constat, les professeurs Isabelle Poirot-Mazères & Mathieu Touzeil-Divina ont décidé d’ouvrir au sein du Journal du Droit Administratif une nouvelle chronique – essentiellement prétorienne – en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse.
Présentation de la Chronique
Le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.
Depuis 2021, la chronique est également ouverte aux analyses des étudiant.e.s, notamment ceux du Master Droit de la santé de l’Université Toulouse I Capitole, sous la responsabilité des Professeurs Isabelle Poirot-Mazères et Mathieu Touzeil-Divina.
2. Chronique 2 – février 2021
La première chronique sous l’impulsion de la promotion Gisèle Halimi du Master II en Droit de la Santé comprend à ce jour les articles suivants :
A ne pas confondre avec une espèce d’oiseaux disparue, le DODA (car intitulé Des Objets du Droit Administratif) risque bien de constituer la nouvelle référence des étudiants qui envisagent d’aborder le droit administratif !
Des débuts de la justice administrative retenue avec la décision De Beauvau en 1800, à l’arrêt UNEDESEP de 2020 concernant la « gratuité » du service public universitaire, ce sont 220 années de jurisprudence administrative qui sont présentées et expliquées de manière parfaitement claire. Car c’est là tout l’intérêt de cet ouvrage : il s’adresse aux « apprentis » du droit administratif et a donc été avant tout pensé pour les étudiants.
La méthode retenue est remarquable par son originalité : elle s’appuie sur les mémoires visuelle et kinesthésique en présentant les décisions de manière simple et agréable. La première chose qui saute aux yeux lorsque l’on décide d’ouvrir l’ouvrage est donc…une image ! Ce n’est cependant pas n’importe laquelle : chacune d’elles a été choisie pour illustrer la décision qu’elle accompagne et son apport. D’ailleurs, chaque objet est décrit dans un encadré qui repose toujours sous un même format. Il est alors possible de le rattacher à l’anecdote qui figure dans le second encadré qui figure aussi sur la première page. Des informations plus « traditionnelles » sont également présentes avec les références de l’arrêt, ainsi que le renvoi systématique à une référence bibliographique. Sur ce point, certains lecteurs pourraient se sentir frustrés mais ce ne sera certainement pas le cas du plus grand nombre : la référence semble avoir été sélectionnée pour permettre l’ouverture d’une réflexion doctrinale sans submerger le fameux « apprenti ». Il ne faut en effet pas oublier que c’est à lui que s’adressent ces « objets du droit administratif ».
La présentation écrite de chaque décision a aussi été pensée pour le profane. La page de droite (en plus de la seconde moitié de l’objet) est découpée en deux items : le premier consacré aux faits qui ont conduit à la décision, le second à sa portée. Les faits comme la portée sont rédigés de manière concise, en retenant un format quasi-similaire d’une décision à l’autre. Les informations les plus importantes sont surlignées, ce qui permet au lecteur de saisir (de voir en réalité) immédiatement ce qu’il faut retenir.
Il y a même, dans la présentation des décisions, une touche d’originalité qui n’a rien d’anecdotique. La page de gauche comporte, sous les quelques mots qui résument l’apport de la décision, des mots-clés déclinés en hashtags (ou mots-dièse) ! Le lecteur comprendra vite que l’intérêt ne réside pas dans un tweet éventuel mais dans le fait que ce format attire son regard, ici encore vers les informations les plus importantes liées à la décision. Certains d’entre eux ne manqueront pas de faire sourire.
La meilleure façon de s’en convaincre est de le feuilleter, tous ceux qui aiment le droit administratif seront immédiatement séduits !
Références :
Touzeil-Divina Mathieu, Des objets du Droit Administratif (DODA ; Vol. 1) ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020.
Vous pouvez citer cet article comme suit : Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 329.