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Le zombi au tribunal : une analyse de la situation anthropo-juridique de la zombification en Haïti

Art. 423.

à la suite d’une première étude (cf. ICI) – par les mêmes auteurs – le JDA est heureux de vous présenter ci-dessous le second article suivant :

Jean Renel SENATUS
Doctorant  en Droit (Laboratoire DANTE, UVSQ, Université Paris Saclay,
France & Laboratoire  LASEJ de  l’Université  d’Etat d’Haïti)
senatusjnrenel@yahoo.fr

Philippe CHARLIER,
(Laboratoire LAAB, UVSQ, France & Département d’épidémiologie
/ santé publique, APHP, Garches, France)

Résumé : Dans cet article, il sera question de saisir la personnalité juridique du zombi dont le statut légal et social est ignoré par la société. Dépouillé de tout privilège nécessaire à son humanité, le zombi fait face au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes et est devenu une espèce vivante à ressemblance humaine, vivant en marge de la loi et de la société. L’existence du zombi remet en question l’équilibre du droit et de la justice puisque le phénomène dont il est le produit ébranle les théories qui s’opposent aux réalités du mort-vivant. Dès lors, le droit positif par le biais du tribunal se doit de restituer à cet individu la pleine et entière jouissance de ses droits et prérogatives essentiels à son humanité volée et la restitution ou le rétablissement de ses patrimoines distraits.

Mots clés : zombi, zombification, esclave, tribunal, vodou, traite des personnes

Abstract: In this article, we will discuss the legal personality of the zombie, whose legal and social status is ignored by society. Stripped of all the privileges necessary for his humanity, the zombie faces the principle of the unavailability of the state of persons and has become a living species in human likeness, living and marginalized by the law and society.

The existence of the zombie calls into question the balance of law and justice, in the sense that the phenomenon of zombification of which it is the product undermines the prevailing theories in force that oppose the realities of the living dead. Therefore, positive law, through the court, must restore to this individual the full and complete enjoyment of his rights and prerogatives essential to his stolen humanity and the restitution or recovery of his distracted patrimony.

Keywords: zombie, zombification, slave, court, voodoo, human trafficking

« De nos jours, mieux vaut être un papier sans homme qu’un homme sans papier »

René De Obaldia

Depuis plus d’un siècle, la zombification a préoccupé beaucoup de curieux, artistes et chercheurs de tous bords, à commencer par les disciplines de l’anthropologie, de l’ethnologie et de l’histoire des religions. Ce phénomène, métaphore moderne de l’aliénation servile et de l’oppression, est devenu populaire à la faveur de l’occupation américaine de 1915 en Haïti ; il a nourri sans cesse l’imagination des opérateurs culturels et des cinéastes en Occident qui soutiennent l’idée selon laquelle le zombi est un monstre, une créature anthropophage qui vit de la chair et du sang humains. Plusieurs milliers de films ont été réalisés (notamment à Hollywood) autour de cette réalité, à leurs yeux, étrange et sensationnelle. Certains traitent de son origine et ses liens avec le vodou, d’autres ont privilégié sa dimension politique. Ainsi, de nombreux films comme White Zombie, Walking Dead, I am a legend exhibent et mettent en vedette des personnages incarnant la « figure du vrai zombi ». Par ailleurs, des institutions telles que Zombies Society et Zombies Media Database (ZMBD) ont été créées afin de débusquer la vérité sur ce phénomène par-delà les fantasmes que celui-ci n’a cessé d’alimenter dans la conscience collective. Des observateurs arrivent même à croire que la terminologie ‘zombi’ figure parmi celles les plus utilisées du monde cinématographique puisqu’elle met à l’honneur la fiction, la monstruosité, l’inimaginable et les installe, avec aisance dans le réel. Pour l’Occident, la zombification et ses manifestations ne sont que l’expression de la fiction. En un mot, un mythe, au même titre que le folklore ou les légendes urbaines.

Alors qu’il est relégué au rang de fiction et de fantasme par les artistes écrivains, peintres, cinéastes occidentaux, l’existence du zombi est établie par des anthropologues et des médecins qui travaillent sur le sujet tant sur le terrain qu’en laboratoire depuis une cinquantaine d’années. Ces recherches ont pu fournir des éclairages intéressants dans la compréhension du phénomène producteur de cet être, la zombification.

En effet, pour le sociologue haïtien Laёnnec Hurbon, la zombification est « sceptique et a-réaliste »[1]. Alors que pour les anthropologues canadien et français Wade Davis, Franck Dégoul (et nous-même) qui, tour à tour, ont et avons entrepris des missions scientifiques sur ce phénomène en Haïti, cet ensemble de recherches a révélé que le zombi existe bel et bien. Ce zombi, différent de celui du cinéma, est fait de chair, d’os et de sang, prend forme humaine, d’où son appartenance incontestable à l’humanité. Cette espèce humaine, suivant les données ethnographiques recueillies, rentre dans la catégorie des esclaves modernes, non pris en compte par la législation locale haïtienne et encore moins par les conventions internationales de protection des droits de l’homme auxquelles Haïti est partie prenante.

D’un autre côté, les travaux anthropologiques sur cette thématique (à commencer par ceux d’Alfred Métraux[2], puis d’autres plus récents) affirment que les zombis ne sont autres que des individus dont le décès a été dûment constaté, qui ont été ensevelis au vu et au su de tous, et que l’on retrouve plus tard chez un bòkò (bokor) dans un état voisin de « l’idiotie » ou « hébétude » (parfois induite par des privations de nourriture, par un usage de drogues/médicaments, ou en raison de séquelles liées à l’usage de poisons au moment de l’induction de la zombification elle-même), travaillant sans volonté pour le compte de son désormais maitre : « le zombi originaire d’Haïti, est un corps sans âme, un individu bien vivant qui, soit parce qu’il a fait du mal à la société (viol, vol, vente d’un terrain qui ne lui appartient pas, etc.), soit parce qu’il est victime de pratiques de sorcellerie, a été mis en état de mort sociale. Être zombi, c’est une mort sociale, pas biologique »[3].

Le zombi est donc vu comme un être humain qui, théoriquement, a été « réanimé » après avoir été mort et enterré (il s’agit d’une mort factice, un « état de mort apparente », et le rituel est plus religieux et spirituel que véritablement médical ou biologique). « Ces êtres humains, officiellement rayés de la liste des vivants, constituent (…) une main-d’œuvre gratuite. On les utilise surtout dans les travaux domestiques et agricoles. On comprendra Lionel Obadia qui, analysant la figure zombie présentée par l’Occident par rapport aux réalités d’existence de cet être, eut à déclarer : ‘Plus qu’un monstre, le zombie est aussi un symbole, qui dit quelque chose de la condition humaine. À ce titre, il a plusieurs « vies » : celle, matérielle, des livres et des écrans (ou des manifestations de rue), où il se manifeste sous une forme concrète, et celle, abstraite, de l’espace de réflexion qui se constitue autour de lui’ »[4].

Le « corps sans âme » de cet être décrit précédemment constitue un cadavre-vivant ambulant, dépouillé de toute volonté ou de conscience, désignant le zombi haïtien, identifiable à partir de son regard vide, hagard et caractérisé par gestes maladroits, répétitifs et des expressions mono ou bisyllabiques, nasillard, automate, privé de ses libertés individuelles et qui ne cesse de vivre au profit de son maitre qui exerce sur sa personne un véritable droit de propriété.

Préoccupés par la situation lamentable et le statut d’existant/inexistant du zombi et après avoir obtenu les résultats d’une analyse médicale et psychiatrique de trois zombis frappés de troubles psychiques ou d’encéphalopathie chronique, l’anthropologue Roland Littlewood du département d’anthropologie et de psychiatrie de l’University College de Londres en Angleterre et le Dr Chavannes Douyon, de la Polyclinique Medica de Port-au-Prince, estiment8 que le zombi fait partie des sujets qui méritent la compassion et affirment que « peu de bòkò ou de médecins prétendent pouvoir ramener un zombie cadavre à son état de santé et de conscience originel »[5].

Pour sa part, l’auteur du livre « The Serpent and the Rainbow (Le serpent et l’arc-en-ciel) », l’ethnobotaniste Wade Davis, qui a mené une enquête sur la poudre zombifère, les rites vaudou et le processus de zombification en Haïti en 1982, propose un examen approfondi de ce phénomène sur le plan anthropologique afin d’explorer les pratiques de zombification en Haïti à la lumière de la croyance du vodou[6].

Quant à Zora Neale Hurston, elle a produit un récit ethnographique dans lequel elle explore les traditions religieuses afro-caribéennes, dont le vodou et les relations de ces pratiques avec les faits de la zombification vodou en Haïti et en Floride (permettant de conclure que le phénomène a largement dépassé les frontières d’Haïti)[7]. De son côté, la professeure et anthropologue Elizabeth McAlister a, dans son ouvrage Rara ! Vodou, power, and performance in Haïti and its diaspora, fait aussi une grande exploration des dimensions religieuses, politiques et sociales de la zombification en l’inscrivant dans le contexte haïtien.

D’autres spécialistes comme la journaliste Amy Wilentz, dans son ouvrage The rainy season: Haïti since Duvalier, ont aussi étudié la zombification en tant que phénomène culturel haïtien en établissant ses liens avec la politique et la religion, dont l’origine11 est prêtée tantôt au continent africain, tantôt à la « fille rebelle de l’Afrique » (Haïti)[8]. Dans la droite lignée d’un grand nombre d’anthropologues, le journaliste fait le lien entre la zombification et le passé esclavagiste d’Haïti et identifie de deux types de zombi : le zombi esprit/spirituel et le zombi matériel (ou physique) qui deviendra un esclave domestique, un travailleur agricole, ou un employé de boutique : « Il s’agit d’un phénomène du Nouveau Monde né du mélange de vieilles croyances religieuses africaines et de la douleur de l’esclavage, en particulier de l’esclavage notoirement impitoyable et de sang- froid d’Haïti, dirigé par les Français, avant l’indépendance. En Afrique, l’âme d’une personne mourante peut être volée et enfermée dans une bouteille rituelle pour une utilisation ultérieure. Mais le zombi à part entière était une progéniture très logique de l’esclavage du Nouveau Monde » (notre traduction).

Dans le cadre de cet article, nous nous pencherons sur le zombi physique, le zombi toxique ou « physico-chimique »[9], c’est-à-dire celui qui est victime du poison à base de tétrodotoxine (TTX) mêlé de toute une préparation ésotérique et spirituelle, et qui le plonge dans un état cataleptique, pseudo-thanatologique ou para-thanatologique (état de mort apparente transitoire). Nous devrions noter aussi que le « plaidoyer » ne concerne que le zombi relâché ou « marron » (pour reprendre un terme propre au contexte de l’esclavage).

Pour saisir la condition du zombi dans sa profondeur, les anthropologues recourent au croisement de données de terrain, à partir de l’observation participative, d’entretiens ethnographiques (parfois avec traducteur), de recherches documentaires et d’enquêtes in-situ incluant des entretiens avec des praticiens, des témoins ou des victimes présumées de zombification, des compilations de récits oraux historiques, d’articles de presse, de récits de voyage et d’archives « coloniales ». La situation anthropologique du zombi étant analysée, on comprendra pourquoi sa situation d’humain ignoré pointe un déséquilibre du droit au moment de la confrontation de sa réalité aux faits et théories dominantes.

Son statut de victime étant confirmé tant par les sociologues, les médecins, les anthropologues et même les journalistes, le zombi au tribunal est un justiciable ignoré dont le cas doit interpeller le système juridique. Comment le juriste ou l’avocat doit-il saisir le dossier de celui-ci au regard du droit à un recours effectif, reconnu par le droit international de l’homme ? Le zombi est-il une personne ? Si oui, quels droits est-il capable de revendiquer et par-devant quelle instance ?

Au tribunal, on peut être demandeur ou défendeur suivant le lieu où est situé son intérêt dans l’instance. L’adversaire du zombi imposera, sans nul doute, des exceptions relatives à l’indisponibilité de l’état de la personne du zombi, son incapacité à pouvoir tester en Justice et évoquera même l’idée de la preuve de l’existence de la personne de celui-ci, anéantie par un acte officiel d’état civil, c’est-à-dire l’acte de décès. Au prétoire de ce tribunal, faits et théories s’affronteront. Qui aura le dessus ?

 « Lorsqu’on découvre un fait qui s’oppose à la théorie régnante, il faut accepter le fait et abandonner la théorie », rappelait le biologiste Claude Bernard[10].

A cet égard, l’alibi de la preuve ne tient pas debout dans la mesure où l’inexistence de la preuve n’est pas une preuve de l’inexistence des faits. De Clairvius Narcisse, en passant par Medulia, Adeline Dassasse, Hermith Rubin pour arriver à Jameson Beaujan de Savanette, les faits sont incontestables dans ces individus considérés socialement comme zombis.

Ainsi, l’argumentaire développé dans cet article constituera un réquisitoire des doléances des privations juridiques du zombi et se veut une contribution en ce qu’il entend interpeller les acteurs politiques et judiciaires à se pencher sur les torts infligés à ce marginalisé de la société, à le « justiciabiliser » et ainsi contribuer à la reconnaissance et au respect des droits de la personne du zombi.

Mais d’abord, pour saisir le tribunal, il faut être soit une personne physique ou morale, dotée de capacité juridique, à cet égard, peut-on considérer le zombi est -il une personne ?

Pour être pris en compte par les dispositions de loi et des conventions internationales régissant la traite des personnes, il faut se poser la question suivante : le zombi est-il une personne ? En droit, une personne est définie comme tout être humain ou organisme susceptible d’acquérir des droits et de contracter des obligations[11]. Le dictionnaire juridique définit ce même concept ajoutant qu’il s’agit de « tout individu, homme ou femme, est une « personne », c’est-à-dire, un sujet de droits, doué de capacité et responsable »[12].

Par ailleurs, la notion de personne, issue de la psychologie et de la philosophie suivant une tradition occidentale, est perçue comme la jonction indissociable de l’âme et du corps, formant un tout doué de raison et de perfectibilité[13]. Ce tout constitué du physique et du psychique, se définit un caractère unique ou singulier. Pour le psychologue, une personne est un être social pourvu de sensibilité, avec une intelligence et une volonté proprement humaine. La personne est donc un être humain, sans distinction de race, de sexe, de religion entre autres.

Répondant à la question de savoir si le zombi est une personne, l’ancien Ati[14] Max Beauvoir a défini celui-ci comme « une personne comme toutes les personnes, qui a son corps, mais possède une panoplie d’esprits qu’on appelle nanm (âme) dans laquelle on trouve le gros bon ange, le petit bon ange »[15].

Dans le cas du nouveau Code pénal haïtien, à l’article article 281, traitant de la zombification par empoisonnement, il est plutôt question de « personne » au lieu de « cadavre de la personne inhumée » pour ainsi qualifier le zombi. Cet article dispose : « Que cette personne, après son inhumation, a été identifiée et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure officielle ou le lieu de travail ou la voiture ou accompagnant d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Ici, le législateur incrimine, sanctionne les faits de la zombification et laisse le reste aux spécialistes de la victimologie, en ce qui concerne les réparation et réhabilitation ou réinsertion du zombi dans le corps social[16]. De ce qui précède, si le zombi est une personne humaine, quels droits est-il capable de revendiquer et devant quelle instance ?

Des juristes haïtiens ont contribué à la mise du dossier des zombis sur la place des tribunaux. Des mémoires de licence à la Faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince ont essayé de définir, suivant les données de terrain recueillies, la situation du zombi. Tous sont parvenus à reconnaitre la pénible existence du zombi en Haïti.

Le juriste Frantz Moïse voit dans le zombi est un être humain vivant. Il a été physiologiquement mis en contact avec certaines substances qui ont mis son corps dans un état cataleptique tel que même des médecins le déclarent mort. Inhumé, il est ensuite déterré, ranimé et emmené en captivité[17]. Quant à Éric Dubosse, il voit le zombi comme est un individu prétendument mort, qui revient à la vie[18].

a)      De la capacité juridique du zombi

Pour pouvoir jouir directement de la plénitude de ses droits et privilèges offerts par la loi, le sujet de droit doit être capable. La capacité est l’une des conditions essentielles à la recevabilité de l’action en justice qui est aussi ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. Le terme « capacité » fait naitre une dichotomie intimement liée à l’état des personnes, c’est-à-dire la capacité de jouir et celle de pouvoir l’exercer par le sujet du droit. A ce propos, Bertrand Ancel définit la capacité comme « l’aptitude de l’individu à figurer comme sujet dans un rapport juridique établi par la règle de droit ».

Il existe un principe qui veut que toutes les personnes soient par définition capables. L’incapacité est donc l’exception à cette règle. Même si des discriminations positives, des restrictions et limitations sont établies par la loi en vue de protéger une certaine catégorie de la population contre les abus des autres, la capacité est inhérente à la personne humaine. L’incapacité de jouissance ne peut être générale, elle concerne toujours certains droits.

b)     Qui sont les incapables pour le législateur haïtien ? Que disposent les règles du droit en ce qui concerne le zombi ?

En s’interrogeant sur la capacité du zombi, le juriste Erick Dubosse répond en ces termes : « Il faut poser la question à savoir si le zombi jouit de la capacité juridique. La réponse à cette question doit tenir compte de l’état du zombi. Il a été établi précédemment que le zombi est un être vivant. Cependant, il n’est pas une personne au sens juridique du terme. Il a cessé d’être un sujet de droit. Il en découle qu’il ne peut être titulaire de droit. Cette incapacité se rattache directement à son état de non-personne[19] ».

Il y a lieu de reconnaitre, dans l’état actuel de la législation haïtienne, que le zombi, dont l’inexistence légale et administrative est désormais (et théoriquement irrémédiablement) attestée par son certificat ou acte de décès, est une personne de fait sans état ou statut juridique. Il est frappé d’une complète incapacité légale de jouissance et d’exercice de droits, pour être un sujet de non-droit, ignoré par les règles en vigueur. Le zombi ne fait même pas partie d’une catégorie d’espèce humaine vulnérable, spéciale et/ou particulière. Autrement dit, tout acte ou toute transaction passée avec un zombi est considérée comme nulle de plein droit, en raison de son état de « non-personne ».

Voilà pourquoi, dans cette partie, nous allons parcourir les dispositions des législations civiles et pénales en vigueur en Haïti pour voir comment les dispositions que ces dernières mettent en place seront applicables à la personne du zombi.

Le Droit civil gère l’état des personnes et des biens. L’état des personnes regroupe l’ensemble des critères ou éléments qui concourent à identifier un être humain et le distinguer des autres. En ce

sens, l’état des personnes implique que l’individu soit doté d’un prénom et d’un nom qui constituent un facteur d’identification de son porteur tant au sein de sa famille que dans la vie sociale. Le nom attribué par la puissance ou l’autorité parentale figure parmi les premiers droits du nouveau-né.

A son opposé dégagent des exceptions dont le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes que nous nous projetons de voir illico et l’individualisation administrative de la personne du zombi, ses biens faisant partie des droits extra- patrimoniaux visant la perpétuation de l’humanité à l’être humain et patrimoines matrimoniaux sont aussi pris par la loi.

i. Zombi et droits extrapatrimoniaux

Les droits extrapatrimoniaux désignent des droits relevant du droit de la famille, dits « droits subjectifs » et sont exclusivement attachés à la personne ; ils font de cette dernière un sujet de droit. Ils relèvent aussi des libertés individuelles qui sont d’une valeur morale, sociale et/ou politique. N’étant pas inclus dans le patrimoine de la personne qui en est titulaire, ces droits sont, par conséquent, non négociables, non transmissibles, non saisissables et non prescriptibles. Ils procurent par la réunion des droits au nom et la filiation, au domicile, au mariage et autres le droit l’intégrité physique, le droit à l’intégrité morale, et de manière générale, le droit aux libertés individuelles. A ce propos, l’article 56 du Code civil haïtien dispose : « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui seront donnés : les prénoms, noms, professions et domiciles des père et mère, ou de la mère seulement si le père n’a pas fait la déclaration ; enfin ceux des témoins ».

En ce qui concerne le zombi, suivant les informations ethnographiques que nous avons recueilli auprès de nos enquêtes de terrain, à l’instar de l’esclave arrivé dans la colonie de Saint Domingue aux 17e-18e siècles, qui fut soumis au baptême forcé et à une nouvelle nomination/identité imposée, le zombi est sans filiation, dénommé puis renommé. Son patronyme est supprimé à la suite du processus de zombification. Il porte jusqu’à sa mort définitive, le nom de son maitre. Or, la Cour de cassation de la République a décidé que « l’identité d’une personne, quand elle est contestée, doit résulter formellement de ses nom et prénom et des énonciations de son acte de naissance[20] ». Ainsi, le zombi, en demandant (mais le peut-il, puisqu’il n’est plus personne ?), pourrait solliciter du tribunal la récupération de son nom de naissance vu que l’acte de décès implique la suppression automatique de l’acte de naissance alors son existence est constatable.

Dès lors, le zombi réhabilité n’a-t-il pas le droit de contester le nom de son second état de personne marginalisée ? Si oui, comment s’y prendre vu qu’il n’est pas reconnu par la loi ?

ii. Le zombi et son droit à un domicile

Le domicile constitue un important élément dans l’individualisation des humains. Selon F. TERRE, il constitue le lieu de rattachement juridique de la personne vu qu’il est le lieu où l’individu est repérable de fait ou de droit[21]. A ce propos, l’article 92 du code civil dispose : « Dans le cas de changement de domicile, on devra en faire la déclaration tant à la justice de paix du lieu que l’on quitte, qu’à celle du lieu où l’on transfère son domicile ».

Aucune personne ne peut exister, en théorie, sans domicile. A ce propos, Erick Dubosse avance : « Dans sa très large généralité, la règle s’applique à tous : adultes sains ou majeurs en curatelle, les enfants mineurs, les domestiques, les fous et les vagabonds. Nul ne peut s’y soustraire. La personne est à la fois le support et la seule condition de son applicabilité »[22]. En un mot, il suffit d’exister pour avoir un domicile.

Le zombi est renommé et vit dans des endroits très éloignés de celui qui lui a été reconnu avant sa zombification (donc sans domicile, vu qu’il n’a aucun rattachement juridique à son lieu d’hébergement). La question du domicile du zombi attend donc la réponse du droit.

iii. Le zombi, membre à part entière de la catégorie des adultes ou majeurs légalement protégés

Le régime de protection de majeurs issu du droit des capacités est constitué de la tutelle, la curatelle, la sauvegarde de justice et l’habitation en ce qui concerne les adultes à protéger. Ils peuvent l’être soit par l’interdiction de la loi, soit par décision judiciaire. En effet, le législateur haïtien prévoit à l’article 399 du Code civil haïtien : « Le majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, de démence ou de fureur, doit être interdit, lors même que cet état présente des intervalles lucides ». L’interdiction peut être provoquée soit par des proches de la victime, soit par l’État par le biais du ministère public (le procureur). Elle rend son sujet incapable. L’art 401 du Code civil haïtien dispose : « Dans le cas de fureur, si l’interdiction n’est provoquée ni par l’époux, ni par les parents, elle doit l’être par le ministère public, qui, dans les cas d’imbécillité ou de démence, peut aussi le provoquer contre un individu qui n’a ni époux, ni épouse, ni parents connus ».

Loin d’être considéré comme un humain en état d’imbécilité, le zombi souvent réapparu en état d’hébétude n’est pas qualifié pour être bénéficiaire de cette mesure de protection.

iv.   La curatelle

Partons d’un exemple historique. En Haïti, avant le décret du 8 octobre 1982, la femme mariée ne pouvait poser une liste d’action sans l’assistance de son mari. L’article 201 du Code civil haïtien dispose : « La femme, même non commune, ou séparée de biens, ne peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou onéreux, sans le concours du mari dans l’acte ou son consentement par écrit ».

Si la curatelle est envisagée en vue de protéger des majeurs dont l’état mental les rend inaptes à gérer leur personne, le zombi souvent réapparu souffre de profondes altérations de ses facultés mentales, lesquelles sont assimilables à un état d’hébétude partiel ou total, n’étant ni mineur, ni en état d’imbécillité habituelle, pratique la plénitude des limitations à l’exercice de ses droits. Ne devrait-il pas être soumis à un régime de protection spéciale ?

v.  Zombi et son mariage ante- ou post-zombification

Le mariage est défini dans le Code civil haïtien comme la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée. Donc le mariage, sans disconvenir aux spécialistes, F. Terré et A. Weill qui le voient comme un acte juridique solennel par lequel un homme et une femme établissent entre eux une union dont la loi civile règle impérativement « les conditions, les effets et la dissolution »[23], constitue une convention de gens lucides, ne pouvant être conclu qu’entre deux êtres vivants et en pleine possession de leurs moyens intellectuels.

Suivant les dispositions de l’article 212 du Code civil haïtien, les causes de la dissolution du mariage sont « la mort de l’un des époux, le divorce légalement prononcé ; et la condamnation devenue définitive de l’un des époux à une peine perpétuelle, à la fois afflictive et infamante ». Il y a lieu de noter que le mariage est dissous de plein droit par le décès de l’un des conjoints.

La problématique de l’existence du mariage demeure en raison du fait que le décès déclaré est remis en question et frappé de perception irréelle. Peut-on à ce niveau parler de la dissolution de ce mariage ? Le zombi n’est-il pas en droit de revendiquer son toit familial et sa vie conjugale ? A ce propos, Erick Dubosse souligne31 : « Étant vivant, le zombi est soumis à un juridisme déshumanisant par lequel on dissout le mariage d’une personne prétendue morte. Il subit les conséquences d’une mort irréelle et insoutenable »[24].

S’il y a autant de difficultés pour la juridisation du mariage ante-zombification, comment approcher au vu des législations en vigueur, le mariage que souhaite contracter un individu-zombi ?

Dans le cas du zombi, il faut rappeler qu’il est astreint et frappé par le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Il vit en marge de la loi et par conséquent n’a pas de nom, de domicile, de nationalité et de documents d’identité. Le mariage, au regard de ce qui précède, reste et demeure un vœu pieu.

A son arrivée au monde, la personne humaine, a besoin d’un acte de naissance et d’autres pièces d’identification administratives et de services. A son décès, son patrimoine ne peut être ouvert à ses ayants-droits sans un acte de décès, attestant la fin de son existence. La personnalité juridique est comme la dignité, elle est inhérente et indissociable de l’être humain. Le zombi au tribunal est en droit de revendiquer la restitution de l’humanité à son être ; réclamer une protection spéciale de l’État et s’assurer qu’il soit compté comme une personne à part entière, quoiqu’à besoins spéciaux. Il doit être en mesure enfin de réclamer ses droits patrimoniaux que nous verrons à travers les prochaines lignes.

vi.   Le zombi et les droits patrimoniaux

Le patrimoine d’une personne est constitué de l’ensemble des biens matériels et immatériels acquis soit par elle-même ou reçus en héritage ou en donation. En effet, le patrimoine d’une personne est l’expression vivante de ses droits économiques présents et futurs, lesquels sont inhérents à son porteur. Planiol et Ripert voient dans ce concept des droits et des charges d’une personne appréciables en argent[25]. Pour le Pr. Jean-Luc Aubert, c’est un sac qui rassemble tous les rapports juridiques de la personne susceptibles d’une évaluation positive et négative.

Le patrimoine est inséparable et indissociable de l’individu. Pas de patrimoine sans le sujet auquel il se rapporte. Eric Dubosse pense34 que « tout individu a donc un patrimoine indépendamment de la valeur et de la fluctuation de ses éléments constitutifs. Ceux-ci peuvent ne pas exister du tout. Le patrimoine demeure toujours puisqu’il est indifférent à une virtualité, « un réceptacle contenu » suivant la belle image de Jean Carbonnier. L’individu conserve donc le patrimoine jusqu’à la mort »[26].

En ce qui concerne le zombi, il faut analyser sa situation sous deux angles : sa succession ouverte à la déclaration de son décès et la difficulté juridique créée par sa réapparition.

L’article 578 du Code Civil Haïtien dispose que seul le décès dument constaté ouvre la succession. Le zombi, dont le décès a été déclaré (quoiqu’il s’agisse uniquement d’apparence de décès), est-il habilité à faire valoir ses droits à la récupération de ses biens ? Par ailleurs, si la succession de ses parents a été ouverte pendant la période de sa zombification, à son retour, est-il en droit d’attaquer en nullité le partage opéré, vu qu’il n’est pas incapable de succéder suivant les dispositions de l’article 586 du Code Civil Haïtien stipulant que, pour succéder, il faut nécessairement exister à l’instant de l’ouverture de la succession ?

Sera-t-il en mesure de prouver son existence lorsque l’art 124 dispose : « Quiconque réclamera un droit échu à un individu dont l’existence ne

sera pas reconnue, devra prouver que ledit individu existait quand le droit a été ouvert : jusqu’à cette preuve, il sera déclaré non recevable dans sa demande » ?

Demi-vivant, demi-mort et ignoré par la loi, le zombi n’est pas mentionné parmi les incapables de jouir de la succession. Son état de « mort déclaré » fait obstacle à sa vocation successorale. A ce propos, Erick Dubosse précise : « Étant passé par un état de mort apparente, son décès a été déclaré. Son non-être, officiellement proclamé et juridiquement accepté au moment où s’ouvre la succession à laquelle il serait légitimement appelé, il n’existe plus pour le droit. Alors qu’en fait son existence est réelle »[27].

vii.  Les Droits personnels du zombi

Il est des droits tels que la rente viagère, l’obligation alimentaire et les donations mutuelles qui sont qualifiés de droits personnels ou droit de créance. Ils constituent en quelque sorte « un pouvoir juridique octroyé à une personne d’exiger d’une autre qu’elle fasse ou donne ou non quelques chose»[28]. Ils font naitre l’obligation de faire ou de ne pas faire entre deux personnes.

La créance alimentaire fait dégager une obligation de secours et d’assistance en engageant une personne envers un proche parent, ascendant ou un allié. Ces obligations s’éteignent à la mort de créancier. Dans le cas du zombi, étant détenteur d’un acte de décès, peut-on lui revendiquer des créances alimentaires en faveur de ses enfants parents en détresse ?

viii.   Des droits intellectuels du zombi

Les droits intellectuels font partie intégrante des droits patrimoniaux des individus. Ce sont des privilèges intellectuels ou des droits de propriété reconnus à un créateur de conserver, vendre ou céder tout ou partie sa propriété intellectuelle qui peut être de la peinture, des livres, des enregistrements musicaux ou autres. Ce droit fait dégager deux obligations immédiates :

  1. Un droit pécuniaire permettant au créateur intellectuel d’exploiter ses œuvres économiquement par le paiement des droits d’auteur. Cette exploitation se limite dans le temps et obéit à la loi cinquantenaire. Après ces cinquante ans, l’œuvre du créateur tombe de plein droit dans le domaine public.
  2. Un droit moral qui implique la protection de la mémoire de l’auteur contre toute éventuelle déformation de son œuvre[29].

Retenons que le décès simulé de la victime donne lieu à un véritable imbroglio juridique au cas où celui -ci souhaiterait recouvrer son pouvoir sur le produit de son activité intellectuelle d’une part ; résoudre d’autre part l’équation de l’existence hors norme de ce zombi relativement au comptage de la durée de jouissance successorale du droit intellectuel au regard de la loi cinquantenaire. N’est-on pas en droit d’exiger le principe général du droit qui veut que « fraus ommia corrumpit » en vue de réhabilitation juridique du zombi dans la jouissance de son droit de créateur ?

  1. Le zombi et ses actes pénaux ante-zombification

Dans le droit haïtien, la responsabilité pénale est réputée personnelle. On est responsable que de ses propres actes dès lors que ces derniers constituent une infraction pénale. Dans son ouvrage intitulé Voyage en Haïti, sur la piste du zombi, Roland Wingfield explique les actes de violence de Clairvius Narcisse, le zombi le plus « célèbre » d’Haïti (années 1970/1980)[30]. Il rapporte que celui-ci expliqua le processus sa « libération » qui a commencé par une querelle entre lui et son maitre qu’il a pu frapper violemment et brutalement. Travaillant dans un champ agricole, le zombi avait saisi la houe du maitre et tué. La femme du défunt-maitre, ayant eu vent de la nouvelle du décès tragique de son mari, aurait alors libéré tous les zombis de sa maison. Au vu de la législation pénale en vigueur en Haïti, Narcisse devrait être poursuivi pour coups et blessures ayant entrainé la mort d’un homme. Mais comment le poursuivre au tribunal pour qu’il réponde de son forfait alors que l’état même de sa personne est indisponible ? Et n’est-il pas enseigné en droit pénal général que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » (et la zombification semble sans aucun doute rentrer largement dans ce cadre).

Par ailleurs, qu’adviendrait-il d’une personne condamnée à perpétuité, puis zombifiée pendant la purgation de sa peine et qui refait surface ? Doit-il être repris et replacé dans sa geôle pour l’épuisement de sa peine ?

b)       Le zombi et l’empoisonnement

L’empoisonnement est défini comme le fait de se suicider ou d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances pouvant entraîner la mort immédiate ou de manière différée. L’article 246 du Codepénal haïtien fait provision pour la répression de l’empoisonnement, et a posé les bases de la répression de la zombification en disposant : « Si, par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée, l’attentat sera qualifié assassinat ».

Par ailleurs, le code pénal du 24 juin 2020, a adopté une disposition portant création du mécanisme de poursuite des faits de la zombification. A ce propos, l’article 281 dispose : « L’infraction est passible de vingt ans à trente ans de réclusion criminelle lorsque le décès de la personne a été déclaré à un officier de l’état civil et que cette personne, après son inhumation, a été identifiée et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Cet article offre la définition la plus complète du zombi qui peut aussi se plaindre d’avoir été victime d’empoisonnement, par l’administration de la substance pouvant entrainer un état cataleptique et  de léthargie prononcée.

Aussi, le zombi peut-t-il, devant le tribunal siégeant en ses attributions pénales, demander l’application de la loi contre son assassin, exiger des réparations civiles et même un droit à la réhabilitation.

c)        Le zombi, victime d’association organisée de malfaiteurs

Dans le processus de zombification, c’est une kyrielle de personnes qui se trouvent impliquées depuis l’administration du poison zombifère, en passant par la simulation de son inhumation jusqu’à la conduite de la victime vers son lieu de travail, sa réduction prolongée en esclavage et le viol lorsque des relations sexuelles non consenties sont mises en place. Tout est l’œuvre d’une association qu’on peut qualifier de « criminelle » en terme de loi.

d)     Le zombi victime de meurtre, d’assassinat ou de tentative de commission d’infraction

Dans nombre de cas suspectés d’être sujets à zombification, pour éviter que le corps des leurs soit enlevé, des parents font administrer un poison « définitif » dans le corps de la victime pour l’achever dans le cas où il aurait été plongé dans le coma. D’autres parents font pratiquer des autopsies « amateur » pour enlever, dans le cadavre des leurs, les principaux organes vitaux afin de s’assurer de la mort réelle de la personne disparue[31]. La zombification est en effet vécue par les familles et les proches, comme « une peine pire que la mort »[32]. D’autres exigent que le cercueil soit cloué de toutes parts pour écarter toute possibilité de réveil et s’assurer que le corps meure effectivement là où il est placé car pour des parents avoir un proche en zombification est un acte particulièrement déshonorant auparavant, on enterrait sur les lieux de passage (route, carrefour) pour éviter toute exhumation en raison de l’importante fréquentation des badauds (comme on voit au tout début du film White Zombies, avec Bela Lugosi, 1932). Dans de pareils cas, le sujet est une personne tuée par asphyxie (victime de meurtre ou assassinat), et s’il ne l’est pas, il constituera tout de même en terme de loi une victime d’assassinat suivant les dispositions des articles 240, 241 et 242 du Code pénal haïtien.

e)          Le zombi victime de voie de fait, séquestration et de traite des personnes

La voie de fait est une infraction réprimée par la loi pénale. Au réveil du zombi de sa catalepsie, il est rapporté par feue Euvronie Georges Auguste qu’ils sont maltraités par les bourreaux (kondè) tout le long du chemin à parcourir jusqu’au centre de rétention. Puis, il est séquestré à des fins d’exploitation. A ce propos, l’article 289 du Codepénal haïtien dispose : « Seront punis d’un emprisonnement d’un an à cinq ans au plus, ceux qui, sans ordre des autorités constituées et hors les cas où la loi ordonne de saisir les prévenus, auront été arrêtés, détenu ou séquestré par des personnes quelconques ».

Le zombi peut être dépersonnalisé et dépersonnifié, retenu de force par des personnes qu’il ne connait pas, réduit en état d’esclavage dans un endroit non reconnu par la loi est d’emblée victime d’une infraction de voies de fait, de séquestration et de traite des personnes à des fins d’exploitation. A titre de demandeur au pénal, le zombi peut se plaindre d’être victime d’une pléiade d’actions qualifiées et réprimées par la législation pénale haïtienne. Défendeur audit tribunal, comment pourrait-il répondre de ses actes avant et pendant sa zombification ?

f)         Le zombi entre disparu et absent

Le disparu est la personne dont nul ne sait où elle se trouve et auquel se rattache une perception de mort supposé ou en attente de confirmation physique ou légale. Contrairement au zombi, le statut de disparu est décidé par une décision de justice obtenue à la suite d’événements de nature à faire sérieusement douter de son éventuelle chance de survie (par exemple naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie, etc.) et que le corps n’a pu être retrouvé avec possibilité pour le sujet d’être vivant, que la mort est vraisemblable et incontestable, comme le prescrivent les articles 100 et 101 du Code civil haïtien.

A partir de cette décision, conformément au principe de continuité de la personne du défunt, la succession du disparu est ouverte. Cependant, en cas de réapparition, il est prévu une procédure de récupération du patrimoine partagé, ce qui est impossible pour le zombi dont le tout n’est pas pris en compte par la loi et qui vit dans une singularité propre (son certificat de décès a été acté sans

sans possibilité de retour en arrière, son nom a été changé sans acte administratif, etc.). Quant à l’absent, contrairement au disparu et au zombi qui ont laissé des traces – même imaginaires – sur leur dernière « existence », c’est la durée de sa non-réapparition qui propage la perception de sa mort. L’absence s’établit dans le temps.

A cet effet, l’article 99 du Codecivil haïtien dispose : « S’il y a nécessité de pourvoir à l’administration de tout ou partie des biens laissés par une personne présumée absente, et qui n’a point de procureur fondé, il y sera statué par le tribunal civil, sur la demande des parties intéressées ».

Le point de ressemblance entre l’absent et le zombi est qu’à sa réapparition, l’absent est provisoirement un individu sans personnalité avec toutes les conséquences et les implications de sa situation. A l’instar du zombi, il est frappé d’incapacité. Suivant l’article 106 du Code civil haïtien, une fois que la décision judiciaire d’absence acquiert l’autorité de la chose jugée, la succession de l’absent est ouverte suivant les stipulations de l’article 119 du Code civil haïtien et une possibilité de réhabilitation de l’absent est prévue à l’article 121 du même code.

Dans le cas du zombi, c’est une « certitude » opposée à l’incertitude de l’absence. Les formalités administratives de l’inhumation ont été accomplies. Il s’agit d’un décès bien objectivé. La porte laissée ouverte dans le cas d’un retour éventuel de l’absent est ici bien fermée pour le zombi. Le droit haïtien ne traite pas de la résurrection.

La plaidoirie de la cause du zombi étant faite dans toute leur acuité, à la lumière des législations en vigueur, il paraitrait absurde pour le tribunal de rester dans son mutisme ou dans un déni de justice pour ne pas prononcer le mot du droit. Certaines analogies ou considérations catégorielles comme celles des morts civils, des absents, des disparus, des déments peuvent influer sur le magistrat en siège, qui serait tenté d’appliquer d’autres situations à celles du zombi.

Pour l’édification du tribunal, les espèces des catégories suscitées sont traitées par pure fiction juridique laissant au législateur le soin de gérer une situation de fait qui s’apparenterait au réel, par un « mensonge de la loi ». Ainsi, on comprendra que la situation du zombi, quoiqu’elle ressemble à celle du mort civil, les deux diffèrent en réalité considérablement l’une de l’autre.

En effet, la mort civile est la conséquence du bannissement ou de la condamnation à perpétuité régulièrement prononcée par un tribunal légalement constitué alors que pour le zombi, sa condamnation est prononcée par une société secrète (Bizango, le plus souvent) suivant des normes tirées du droit pénal informel d’Haïti. Si les deux vivent sans exister pour le droit et pour la loi, que les deux sont déchus et marginalisés, leur situation fait apparaître l’incapacité juridique des deux majeurs. Vivants et dans la majeure des cas, mais lucides : les deux situations dépouillent leur sujet de l’exercice de leur droits civils et politiques.

Notons que des points de jonction ou de rapprochement lient les deux situations (zombi et mort civil). Le mort civil est un condamné de la loi et de la justice, le zombi, quant à lui, souffre du mutisme et du formalisme de la loi en qui le concerne, laquelle l’abandonne aux jugements de fait et informels de certaines franges de la société. Dans aucun cas, on ne peut les confondre.

Les trois situations juridiques (mort civil, disparu, absent) comparées au vu du Codecivil haïtien avec celle du zombi qui relève du mutisme du législateur, ont permis de dégager certaines analogies des trois qui sont incontestables. Cependant, ils ne peuvent être confondus ni se substituer à la spécificité du zombi qui n’est ni un mort civil, ni un disparu, encore moins absent. Contrairement au disparu et à l’absent, le zombi n’est pas recherché, il n’est pas pris en compte par le législateur. Aucune possibilité pour le zombi, dans l’état actuel de la législation haïtienne, d’être rétabli dans ses droits et d’être réhabilité socialement.

Conclusion

L’état des personnes est défini comme la situation de la personne en droit qui couvre la période allant de la naissance à la mort de l’individu en traversant sa filiation[33], sa situation matrimoniale, son âge, son sexe, son nom et son domicile. Ce principe s’oppose celui de l’indisponibilité qui suppose la négation des prérogatives relatives à l’état des personnes, on se rendra compte qu’il est d’emblée frappé par le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes selon lequel le zombi pris comme une personne à part entière se trouve dans l’impossibilité de jouir de la plénitude des droits inhérents à son statut d’humain. Il implique la non-disponibilité ou la disponibilité pleine et entière de sa personnalité juridique. Devant cet état de fait, c’est à bon droit que la victime saisit le tribunal : Wilfrid Dorissaint (1990), Clairvius Narcisse (1980), Adeline Dassasse (2009), Hermith Rubin (2021), Jameson Beaujean (2022) ont tous été déclarés morts, inhumés, puis retrouvés vivant quelque part à travers la République d’Haïti après ladite inhumation. Tous sont allé au tribunal, soit pour un constat de réapparition, soit pour poursuivre leur malfaiteur.

Ces individus présentant les caractéristiques de la personne humaine, dépourvus de personnalité juridique, ne sont pas habilités à agir en leur nom, d’autant qu’à leur retour, ils sont frappés de pathologies psychiques et plongés en état d’imbécilité et d’hébétude patents.

Il revient à l’État d’assurer leur prise en charge psychologique, médicale, de penser à leur restituer leur humanité volée par l’application de la théorie de l’indisponibilité de l’état de personne d’une part et de restaurer, leur personnalité juridique à fixer par le législateur puisqu’aucune analogie issue des théories régnantes ne semble s’appliquer à la situation jusqu’ici inédite.

Lorsque la juridiction interne de jugement est saisie et se renferme de son mutisme, la voie des cours internationales des droits de l’homme est ouverte au justiciable lésé. Aussi, le zombi peut-il saisir la Cour Inter-Américaine des Droits de l’homme (CIDH) pour revendiquer bien d’autres droits comme le droit de se constituer et d’être reconnu comme une minorité vulnérable, le droit à la vie, à la santé, à la justice et surtout le droit à la non-discrimination.

BARTHÉLEMY Gérard, Le pays en dehors, éditions Henri Deschamps, 1989. : Le pays en dehors, éditions Henri Deschamps 1989.

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Les fascinants secrets du métier de croque – mort en Haïti/ www.Ayibopost.com


[1] Hurbon L. Le Barbare imaginaire, page 42

[2] Métraux A. Le vaudou haïtien, Page 25

[3] Charlier P. Zombis. Enquête sur les morts vivants. Paris, Tallandier, 2005, p 35

[4] Obadia L. Le zombie est une métaphore philosophique. Idées reçues sur les zombies, 2023, www.cairn.info/idees-recues-sur-les-zombies

[5] Littlewood R, Douyon C. Clinical findings in three cases of zombification. Lancet, 1997.

[6] Del Guercio G. The secrets of Haiti’s living dead. Harvard Magazine 2017;10:31.

[7] Hurston ZN. Tell My Horse: Voodoo and life in Haiti and Jamaica.

[8] L’origine des pratiques de la zombification fait polémique. Sa paternité est quasi unanimement attribuée au vodou haïtien, principale expression culturelle d’Haïti. Toutefois Éric De Rosny a contesté cette thèse en affirmant que la zombification tire sa source en Afrique et faisait partie intégrante du marché de la traite à Douala (Cameroun).

[9] Charlier P. 2015, op. cit.page 25

[10] Cité par Waszek N. L’émergence d’une théorie de l’opposition dans l’école hégélienne. Revue Française d’HistoiredesIdéesPolitiques 2007;1(25):89.

[11] Définition de personne – Concept et Sens (lesdefinitions.fr).

[12] Personne – Définition – Dictionnaire juridique (dictionnaire-juridique.com).

[13] Définition du concept de « Personne » (www.Universalis.com/personne).

[14] Ce titre renvoie au représentant officiel du secteur vodou en Haïti.

[15] Zombification : condamnation secrète (b), Le Nouvelliste, 2 septembre 2008.

[16] Allard JO. Les morts se lèvent. Zombies, pouvoir, résistance. Thèse de maitrise, Université de     Québec, Montréal, 2015.

[17] Frantz Moïse, Zombi et législation dans la société haïtienne. Port-au-Prince, Haïti, Université d’État d’Haïti,   Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince, 1991.

[18] Dubosse E.La problématique juridique du zombi.Port-au-Prince, Haïti, Université d’État d’Haïti, Faculté de  Droit et des Sciences Économiques, 1992, p. 37.

[19] Dubosse,  E. ibidem, p. 48.

[20] Cass. haïtienne, 1ère Section, arrêt du 10 novembre 1952, Les Deb No 69 du 26 novembre 1952 / Code civil dHaïti, mis à jour par Jean Vandal, page 27.

[21] Terré F, Weill A. Droit civil – Les personnes, 5e éd. Paris, Dalloz, 1983, p. 86.

[22] Dubosse E., ibid., p 46.

[23] Terré F, Weill L, op. cit., p. 166.

[24] Dubosse E, op. cit., p 52.

[25] Planiol, Ripert. Traité pratique de droit civil français, Tome III. Paris, L.G.D.J., 1926, p. 19.

[26] Dubosse, op. cit., p 59.

[27] Dubosse E., op cit., p. 76.

[28] https://www.lemondepolitique.fr/cours/droit_civil_biens/droits_reels_droits_personnels/droits-reels-et-droits- personnels.html

[29] Carbonnier J, op. cit. ;  Dubosse E, op.cit., p. 69.

[30] Wingfield R. Voyage en Haïti, sur la piste du zombi, p 143.

[31] Laura  Louis,  Les fascinants secrets du métier de croque-mort en Haïti, Ayibopost, 19 juin 2019.

[32] Charlier P (dir). Zombis : la mort n’est pas une fin ? Catalogue de l’exposition au musée du quai Branly – Jacques Chirac. Paris, Gallimard, 2024.

[33] Fanny Vasseur-Lambry. L’Identité, l’état civil et le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Fanny Vasseur-Lambry; Valerie Mutelet. Qui suis-je ? Dis-moi qui tu es. L’identification des différents aspects juridiques de l’identité, Artois Presses Université, pp. 61-87, 2015, Droit et sciences économiques, ⟨10.4000/books.apu.23488⟩⟨hal-04067099⟩

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8e chronique en droit(s) de la santé

Art. 422.

Voici (avec un peu de retard !) la 8e chronique du Master Droit de la santé (Université Toulouse Capitole) publiée en partenariat avec le Journal du Droit Administratif (JDA). Merci à tous ses contributeurs & à toutes ses contributrices.

La présente chronique contient au 09 janvier 2024 :

  • des actes issus de colloques (trois) ;
  • une note de jurisprudence ;
  • trois articles contributifs (l’un sur un débat d’actualité, l’autre sur une proposition et enfin une étude sur un pionnier du droit administratif et de la santé) ;
  • ainsi que plusieurs annonces relatives au Master porteur de la présente chronique.

Bonnes lectures !


Actes issus du colloque de l’Association Française de Droit de la Santé (AFDS) : Les juges de la santé qui s’est tenu à Bordeaux les 28 et 29 septembre 2023 sous la présidence de Mme le professeur Isabelle Poirot-Mazères :

Actes issus de la journée d’études (septembre 2023) du Master Droit de la santé portant – notamment – sur l’hypnotisme & le(s) droit(s) :

Note de jurisprudence :

Actualité :


Annonces relatives au Master Droit de la Santé :


Vous pouvez citer cet article comme suit :
8e chronique en droit(s) de la santé
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 422.

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ParJDA

La zombification : une forme anthropo-juridique de traite des personnes

Art. 415.

Jean Renel SENATUS,
Avocat au barreau de Port-au-Prince, Senior au Cabinet SÉNATUS, 29 angle des rues Metellus et Chavannes, Petion-Ville, Haïti,
& Président de l’Université Soleil d’Haiti (USH), Rue O#13, Port au Prince, Haïti
& Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB), UFR des Sciences de la Santé, UVSQ / Paris-Saclay, 2 avenue de la Source de la Bièvre, 78180 Montigny-Le-Bretonneux, France /
senatusjnrenel@yahoo.fr

Philippe CHARLIER,
Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB), UFR des Sciences de la Santé, UVSQ / Paris-Saclay, 2 avenue de la Source de la Bièvre, 78180 Montigny-Le-Bretonneux, France /
& Fondation Anthropologie, Archéologie, Biologie (FAAB) – Institut de France, 23 quai de Conti, 75006 Paris, France / philippe.charlier@uvsq.fr

Résumé

La zombification est une forme de traite des personnes ignorée tant à l’échelle nationale d’Haïti qu’à l’internationale. Les deux faits se ressemblent dans leurs éléments constitutifs ou dans leurs mécanismes de constitution. Elles poursuivent une même finalité, celle de réduire en esclavage une personne humaine au mépris de la dignité qui lui est inhérente, ce, en vue de poursuivre des objectifs généralement économiques, sous couvert d’une justification de justice magico-religieuse’. Dans cet article, notre analyse anthropo-juridique porte sur la manière de procéder des organisations criminelles liées à la traite des personnes ou la zombification et un plaidoyer y est fait pour que la zombification soit prise comme une forme ignorée de traite des personnes, qui devrait être incriminée, sanctionnée et prévenue avec l’adoption de mesure de réinsertion ou de réhabilitation des victimes de la zombification.

Mots-clés

Zombification, zombi, traite des personnes, exploitation, droits humains, esclavage

Summary/abstract

Zombification is a form of human trafficking that is ignored both nationally in Haiti and internationally. Zombification and human trafficking are practices that affect the well-being and dignity of the human person. The two facts are similar in their constituent elements or in their mechanisms of constitution.  They have the same purpose, that of enslaving human beings in disregard of their inherent dignity, in order to pursue generally economic objectives, under the guise of a justification of « magico-religious justice ». In this article, an anthropo-legal analysis spotlight is shone on the way criminal organizations deal with human trafficking or zombification.  A plea is made that zombification be taken as an ignored form of human trafficking, which should consequently be criminalized, sanctioned and prevented, with the adoption of measures for the reintegration or rehabilitation of zombification victims.

Keywords

Zombification, zombi, human trafficking, exploitation, slavery

Photo d’illustration ; P. Charlier (c)

Introduction

La traite des personnes, en raison de la domination de l’homme par l’homme qu’elle préconise, est une forme de violation majeure des droits fondamentaux de la personne humaine.  Elle désigne en clair le processus par lequel des personnes sont recrutées, transportées, transférées, hébergées, reçues etplacées sous contrôle ou influence d’autrui, avec des contrôles spécifiques sur leur liberté de mouvement ou déplacements en vue de les maintenir en situation d’exploitation multiforme et continue, à des fins économiques ou autres[1].

Le phénomène de zombification a commencé à attirer l’attention des scientifiques   internationaux à la fin du XXe siècle. Cette chronologie écarte, semble-t-il la tradition de pensée sociale haïtienne nationaliste revendiquant l’érection du fait révolutionnaire de 1804, comme la première forme de contestation géopolitique et historique de la traite humaine à grande échelle, explicable par le colonialisme et l’esclavagisme des temps modernes. Cette institutionnalisation de pratiques d’injustice masque les fondements criminels de la zombification par l’invocation des principes et valeurs du système de droit informel haïtien, à forts relents religieux. Pourtant, le processus de la zombification comporte des traits juridiques analogues aux pratiques de traite humaine. En effet, le processus de zombification s’authentifie avec le processus qui part du choix, de l’identification ou du recrutement de la victime, de la demande de la « mise à mort », de l’administration du poison/ou de l’envoûtement, du renforcement de l’apparence de la mort, des rites d’exhumation et de réveil, l’orientation en état vers un lieu de dépendance, le convoiement ou transport / déportation ou effacement et poursuit les mêmes finalités que la traite des personnes.

En effet, les zombis sont contraints de travailler dans les champs de canne à sucre, les bananeraies, les mines, dans les installations de pêche, la construction, d’exécuteur des tâches domestiques ou de s’atteler à sans espérer la contrepartie salariale définie par les conventions internationales, notamment, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en ses articles[2] 23, 24, sur les  droits  des  travailleurs  et encore moins  les  avantages et privilèges tels que l’assurance  de travail, les  congés, la prime de fin d’année, alors qu’ils sont contraints de réaliser des travaux non contrôlés et régulés par l’Etat et par la loi.

Des femmes-zombies à l’instar de Nadia[3], Medula[4] et Ermithe rapportent avoir enfanté et été exploitées sexuellement pendant la durée de leur zombification. Sans droit de visite médicale, elles ont été faites esclaves sexuelles et détenues dans des conditions inhumaines et de terreur constante.

Si des sources internationales avancent que plus de 80 % des personnes touchées par la traite des personnes sont victimes d’exploitation sexuelle, dans le cas de la zombification peu de chiffres sont disponibles et l’on comprendra les obstacles auxquels s’exposera un chercheur dans ce domaine. D’où la nécessité de mettre les projecteurs sur cette forme de traite complètement ignorée sur le plan anthropologique  et juridique[5]

Comme dit ci-haut, la traite des personnes est diversement interprétée à travers le monde et magnétise l’attention de nombre d’organisations nationales et internationales qui ne cessent de conjuguer des efforts, les uns plus visibles que des autres en vue de l’éradiquer.

S’il est un fait que des progrès considérables ont été observés dans la lutte contre la traite des personnes à travers le monde, comme en témoignent les différents rapports de l’Organisation des Nations Unies, aucune littérature n’a été établie sur les liens entre la zombification et la traite des personnes, vu que celle-là est considérée comme une fiction dans l’imaginaire collectif occidental pendant qu’elle est une réalité incontestable dans le mental collectif haïtien. En dépit des visibles similitudes qu’elle partage avec la traite des personnes, la zombification n’a jamais préoccupé les chercheurs juristes. Aussi, sommes-nous amené à formuler la question suivante : qu’est ce qui empêche les scientifiques du droit, de la sociologie, de l’anthropologie à considérer la zombification, selon les procédés de sa mise en œuvre, comme une forme de traite des personnes ?


Quid de la dignité de la personne du zombie ?

L’humanité ne devrait-elle pas être interpellée et sensibilisée à combattre cette forme de traite ?

Pour répondre à ces préoccupations, nous proposons ici d’essayer de mettre en lumière les similarités complexes qui unissent ces deux réalités. Nous exposerons les différents mécanismes d’exécution de la traite des personnes et nous nous pencherons sur les différentes formes de lutte engagées contre la traite sur les plans local, régional et mondial afin de dégager l’identité du zombi à partir des caractéristiques de la personne humaine et de montrer, au regard du processus de la zombification, que le zombi est une victime de traite des personnes.

Pour répondre à ces questions, notre article sera organisé en trois parties : la première sera consacrée aux généralités, statistiques et luttes visant l’éradication de la traite dans le monde ; la deuxième exposera la zombification et le processus de zombification. Quant à la dernière partie, il sera question des points de ressemblance et des finalités de la traite des personnes et la zombification. 

A la fin de ce parcours, qui se veut un plaidoyer pour que les pratiques de la zombification soient prises en compte tant sur les plans juridique et anthropologique, nous serons amenés à reconnaitre que la zombification est une forme de traite des personnes, complétement ignorée par les scientifiques, ce qui mérite d’être redressé pour le plus grand bien de l’humanité.

Partie A

Traite des personnes dans le monde :
généralités, statistiques et luttes :

Nombre d’instruments adoptés par des institutions de renommée mondiale ont tenté de définir la traite des personnes. Ainsi, la Convention Europol de 1995 définit la traite des êtres humains comme suit : 

« Soumettre une personne en abusant d‘un rapport d‘autorité ou de manœuvres en vue notamment de se livrer à l‘exploitation de la prostitution d‘autrui, à des formes d‘exploitation et de violences sexuelles à l‘égard des mineurs ou au commerce lié à l‘abandon d‘enfant[1] ». 

En effet, la traite des personnes est considérée comme l’esclavage des Temps modernes, en ce sens que des êtres humains sont contraints à se prostituer, travailler en dehors des normes du code de travail et de la dignité, subir des extractions d’organes ou contraints de mendier au profit d’autrui. Toutes ces actions supposent des relations ou rapports de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.

De son côté, l‘Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), dans « Trafficking in Human Beings: implications for OSCE [2] », propose une définition plus ample dudit phénomène :

«Tous les actes inclus dans le recrutement, l‘enlèvement, le transport, la vente, le transfert, l‘hébergement ou la réception des personnes;- par la menace ou l‘utilisation de la force, la tromperie, la coercition, ou la servitude pour dettes;- à des fins de placement ou de détention des personnes, payées ou non, dans un état de servitude involontaire, pour un travail forcé ou pour un créancier, dans une communauté autre que celle dans laquelle la personne vivait avant d‘être trompée, prise de force ou soumise à des créanciers[3] ».

La lecture des faits constitutifs de la traite tel que vus par l’OSCE offre un large éventail d’actions ou de faits faisant partie de ce crime. 

En dehors des instruments légaux internes d’abolition de l’esclavage, adoptés par certains pays, c’est en 2000 qu’un cadre juridique solide voit le jour avec le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier commise contre les femmes et les enfants. Cet instrument juridique se révélait d’une importance capitale pour la lutte et des engagements allaient être pris par des acteurs internationaux en vue de la naissance de la coopération internationale ou le partenariat multilatéral indispensable à la lutte. Ce protocole semble proposer la meilleure définition de la traite des personnes :

« Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes[4]»

Cette définition semble englober la traite des personnes dans toutes ses dimensions. On y décèle aussi toute une kyrielle d’infractions ou de comportements réprimés par certaines législations locales, tels que l’enlèvement, la fraude, la duperie, l’abus de pouvoir ou exploitation de l’état d’ignorance ou de la situation de vulnérabilité de l’autre avec le miroitage de conditions et situation de vie meilleure projetée à la victime. L’entreprise mafieuse de traite des personnes est à date, une entreprise extrêmement prospère, un marché noir prometteur pour les trafiquants et touche une bonne faction de la population mondiale. Pour combattre la traite de personnes, des actions se sont multipliées partout à travers le monde.

Ainsi, l’histoire de l’activisme contre la traite des personnes aura retenu l’année 1990 comme celle des grandes mobilisations qui visaient l’éradication de ce fléau. Yasmeen Hassan[5], Directrice exécutive d’Equality Now, rappelle qu’avant les années 1990, il n’y avait pas d’organisation de militance et d’activisme contre la traite des personnes. A partir de cette date, des voix se sont élevées pour dénoncer ces pratiques, sensibiliser le monde aux menaces qu’elles représentent pour l’humanité et poser les bases de partenariat multilatéral entre états pour les combattre. Le plaidoyer de la société civile internationale (ONG et institution internationale) met en évidence les statiques alarmantes des pratiques de traite dans le monde contemporain.


  1. Rapports sur l’état de la situation

Selon un rapport de 2006 de l’UNICEF, des enfants (7-18 ans) recrutés illégalement, par force, fraude ou coercition sont exploités dans le cadre des travaux forcés ou d’esclavage sexuel partout à travers le monde[1]. Le taux le plus élevé de victimes est enregistré en Afrique où 41 % des enfants âgés de 5 à 14 ans sont soumis aux travaux forcés contre 21% en Asie et 17% dans les Caraïbes.

La clandestinité et la fraude figurent parmi les grands moyens de contrainte qui caractérisent les opérations de traite des personnes. En dépit de ces faits, en 2016, La fondation Walk Free et l’OIT ont dénombré les victimes du phénomène à 25 millions de personnes soumises aux horreurs du travail forcé, d’exploitation sexuelle, du trafic d’organe, et ce, à l’échelle mondiale[2].  Le rapport mondial 2016 de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) sur l’identification par rapport au genre des victimes de la traite rapporte « que 51 % des victimes sont des femmes, 21 % des hommes, 20 % des filles et 8 % des garçons. Parmi ces personnes, 45 % ont été victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et 38 % de travail forcé [3]». Le rapport[4] de 2020 sur la catégorisation des victimes note que « les femmes victimes continuent d’être particulièrement touchées par la traite des personnes. En 2018, pour 10 victimes détectées dans le monde, environ cinq étaient des femmes adultes et deux des filles. Environ un tiers de l’ensemble des victimes détectées étaient des enfants, filles (19 %) et garçons (15 %), tandis que 20 % étaient des hommes adultes. » Suivant le rapport, ces victimes sont destinées à travailler dans des chantiers divers et sont ainsi réparties : 50% de travail sexuel, 38% de travail forcé, 6% d’activité criminelle, 1.5% de mendicité, 1% de mariage forcés[5], 1% de trafic d’enfant et/ou d’organes.

La traite des personnes est considérée comme la nouvelle forme que prend l’esclavage à travers le monde. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme OHCHR[6] :

« Plus de 40 millions d’hommes, de femmes et d’enfants suivant les estimations datées de 2020, sont réduits à l’esclavage. Parmi eux, 25 millions de personnes sont victimes de travail forcé et 15 millions, de mariage forcé. Une victime sur quatre est un enfant[7]. »

Devant des statistiques aussi alarmantes, l’Assemblée générale des Nations Unies, sous la présidence de M. Abdulla Shahid, s’est autosaisie de ces faits et les a considérés comme « une puissante tragédie humaine qui affaiblit la sécurité nationale, provoque la distorsion des marchés, enrichit les criminels et les terroristes et constitue un affront aux valeurs universelles ». Devant l’ampleur de la lutte visant l’éradication du fléau, les Nations Unies ont consacré et proclamé le 30 juillet « Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains » en vue de sensibiliser les acteurs, prévenir ces faits horribles, protéger les victimes et restituer la dignité aux personnes victimes. Pour le président Shahid, la problématique de traite de la personne humaine est plus qu’une question politique : «Elle est à cet égard une puissante tragédie humaine qui affaiblit la sécurité nationale, provoque la distorsion des marchés, enrichit les criminels et les terroristes et constitue un affront aux valeurs universelles ».

Le rapport « Traficking in persons report » du département d’Etat, rendu public en 2018, traitant de la position vulnérable d’Haïti en matière de traite, rapporte que :

« Le Gouvernement a identifié pas moins que 31 victimes potentielles de la traite, contre 43 victimes en 2016. En 2017, les fonctionnaires du Gouvernement ont fermé des orphelinats qui abritaient 116 enfants et potentiellement impliqués dans le trafic. »

Par ailleurs, les statistiques en Haïti révèlent que plus de 300 000 enfants sont soumis à la domesticité ou travaux forcés et à l’exploitation sexuelle.

Dans un rapport de 2022, le gouvernement français estime que sur 40 000 à 50 000 personnes qui sont dans la prostitution en France, environ quatre-vingt-dix pour cent (90 %) sont étrangères, probablement des victimes de la traite des êtres humains.

Tout en reconnaissant le droit de résister à sa réduction en esclavage ou son asservissement, comme un droit de l’homme à part entière, Michele Bachelet a reconnu que « l’esclavage est l’une des violations les plus graves et les plus totales de la dignité humaine », lors de la réunion-débat. L’esclavage est une attaque choquante contre toutes les sociétés[8]

La traite des personnes, productrice de l’esclavage, est donc la négation totale des droits de la personne humaine, en ce sens qu’elle met à mal les avancées en matière des droits de l’homme.  Les victimes de la traite sont dépouillées du droit fondamental l’être humain, c’est-à-dire la dignité. L’esclave sexuel, le travailleur forcé est un « zombi » dont le corps prime sur la conscience, la volonté et la dignité. 

En raison de son expansion considérable, la traite des personnes est devenue une préoccupation mondiale. Sa clandestinité ne permet pas aux organisations et activistes d’établir le nombre de ses victimes. Cependant, des organisations internationales soutiennent que ce chiffre varie de 700 000 à 4 millions de victimes par an. Le réalisme de l’ethnobotaniste Wade Davis et d’Emerson Douyon sur la zombification permet, à cet égard, de parvenir à la conclusion suivante :

« L’arme par laquelle des juges d’un système parallèle de justice imposent le respect de certains principes réglant souterrainement la vie sociale haïtienne. Le phénomène est ainsi analysé sous l’angle de sa fonction sociale dans le cadre d’une problématique ethno-criminologique.Mais Emerson Douyon semble aller plus loin dans le fragment précité : ces crimes censément rituels masqueraient d’autres crimes de bien moindre prestige. ».

Emerson Douyon, Crimes rituels et mort apparente en Haïti : vers une synthèse critique. Anthropologie et sociétés (Caraïbes), volume 8, numéro 2, 1984.

2. Les instruments légaux de combat contre la traite des personnes

Dans le souci croissant et justifié de protéger les victimes de la traite des êtres humains, des instruments légaux pouvant servir de base référentielle juridique, sur le plan étatique, conventionnel régional ou international ont été élaborés. Déjà en 1948, quelque trois années après la Seconde Guerre Mondiale, la Déclaration universelle des droits de l’homme, avait déjà prévu :

« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude : l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.

Cette disposition est aussi adoptée, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales l’art.4 :

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».

Des conventions sont adoptées des entités spécialisées de l’ONU. De son côté, l’OIT a également adopté un corpus normatif prévoyant la suppression du travail forcé par le biais de la Convention no 29 sur le travail forcé ou obligatoire en 1930 ; la Convention n105 concernant l’abolition du travail forcé en 1957 ; la Convention no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination de 1999 qui interdit l’esclavage sous quelque forme qu’il se pratique vente d’humain majeur ou mineur, servage, exploitation de prostitutions etc.

Avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le droit international s’est officiellement engagé en faveur de cette lutte en interdisant la traite des êtres humains. Puisque les catégories les plus convoitées par les malfaiteurs de la traite sont les femmes et les enfants, dans une approche progressive et ciblée.

L’adoption de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des enfants, d’une part, et la Convention relative aux droits de l’enfant par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants allait renforcer l’engagement des acteurs internationaux à endiguer cet état de fait.

Quant aux travaux forcés, la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, l’Organisation des Nations Unies engage les Etats membres et les exhorte à supprimer tout travail ou service exigé d’un individu sous toute forme de violence ou de contrainte.

Le Protocole de Palerme[1] de 2000 aura aussi enjoint auxétats d’adopter des mesures visant à prévenir la traite, à former les agents des forces de l’ordre et des frontières en vue sceller du sérieux le combat pour l’éradication de la traite, jugée incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine, mettant en danger le bien-être individuel et collectif. 

  • De la personne du zombi

Considérant les dispositions de loi et des conventions internationales régissant la traite des personnes, une question s’impose : le zombi est-il une personne humaine ? En quoi peut-il être considéré comme un sujet de droit ?

D’emblée, rappelons qu’en droit une personne[2] comme « tout être humain ou organisme susceptible d’acquérir des droits et de contracter des obligations et distingue plusieurs types de personnes, à savoir : les personnes physiques (les êtres humains) et les personnes morales ou juridiques (les sociétés, les corporations, l’État, les organisations sociales, etc.)»

Partant de l’étymologie traditionnelle[3], le terme « personne » vient du latin persona, terme lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire « résonner », « retentir », et désigne le masque de théâtre, le masque équipé d’un dispositif spécial pour servir de porte-voix.

Pour sa part, le Dictionnaire juridique de Serge Braudo définit ce même concept de la manière suivante : «Tout individu, homme ou femme, est une « personne » c’est-à-dire, un sujet de droit, doué de capacité et responsable. »

La personne, suivant cette définition, est un être humain vivant auquel s’attachent rationalité, conscience de soi-même, intelligence, volonté, sensibilité et identité ou disposant ou jouissant in globo, de l’état des personnes. Partant de cette définition et eu égard au cas de la zombie Ermithe Rubin ci-haut exposé, un être aux apparence d’un humain connu dont l’identité a été légalement anéantie par un acte de décès, frappée d’hébétude, enceinte et qui n’est pas en mesure de décliner le nom du géniteur de son enfant, dépourvue même de la capacité de déclarer légalement et  officiellement la naissance de son nouveau-né, Ermithe est-elle une personne à laquelle pourraient s’attacher des  droits inhérents, inaliénables, imprescriptibles et intangibles ? Si oui, comment les sciences humaines et sociales peuvent elles s’auto-saisir de ce cas-limite ?

La notion de personne, issue de la psychologie et de la philosophie suivant une tradition occidentale, été vue comme la jonction indissociable de l’âme et le corps formant un tout doué de raison et de perfectibilité[4]. Ce tout constitué du physique et du psychique présente un caractère unique ou singulier.

Pour le psychologue, une personne « est un être social pourvu de sensibilité, avec une intelligence et une volonté proprement humaine ». La personne est donc un être humain sans distinction de race, de sexe, ou de religion.

Répondant à la question de savoir si le zombi est une personne, le feu Max Beauvoir, ex-atti (chef spirituel)[5] national du vaudou, lui, a défini celui-ci comme « une personne[5] comme toutes les personnes, qui a son corps, mais possède une panoplie d’esprits qu’on appelle ‘‘nanm’’ dans laquelle on trouve le ‘‘gros bon ange’’, le ‘‘petit bon ange’’ ».

En fait, le nouveau code pénal publié dans le Journal officiel de la République d’Haïti, Le Moniteur, en date du 24 juin 2020, en son article 281, traitant de la zombification par empoisonnement, sans le terme, qualifie le zombi comme une personne. Il dispose :   

« Est passible de quinze (15) ans à vingt (20) ans de réclusion criminelle le fait d’administrer à une personne des substances de nature à provoquer un état léthargique momentané ou prolongé, ou de provoquer une altération durable des facultés mentales ou psychiques, annihilation de toute volonté ».

L’infraction est passible de vingt ans à trente ans de réclusion criminelle lorsque le décès de la personne a été déclaré à un officier de l’état civil et que cette personne, après son inhumation, a été identifié et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure officielle ou le lieu de travail ou la voiture ou accompagnant d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Le législateur a préféré ici parler de « personne » au lieu de « cadavre » de la personne inhumée. On peut donc conclure que le législateur haïtien reconnait que le zombi est une personne dont la déclaration de sa « réapparition » confirme le nouveau statut qu’il incrimine, sanctionne et en prévoit sans nul doute la réparation, sans piper mot sur la réhabilitation ou la réinsertion[6] de ce dernier dans le corps social. Dès lors, si nous admettons que le seul fait d’exister et d’appartenir à l’espèce humaine montre que le zombi est une personne à part entière, et qu’en est-il de la dignité de sa personne ?  

  • Le zombi et la dignité humaine

La dignité est la valeur intrinsèque qui élève et fait vivre la personne humaine. Elle s’oppose d’ailleurs au vocable mérite, lié à sa famille de naissance, la réputation de sa famille de naissance qui peuvent se perdre comme c’est le cas d’ailleurs du zombi. Des circonstances de la vie peuvent conduire à la perte de toutes les considérations sociales mais elles ne peuvent en aucun cas, annihiler la notion de la dignité. Cette valeur intrinsèque aurait tiré sa source dans la Bible puisque l’homme est fait à l’image de Dieu. La dignité humaine est d’abord celle du physique ou du psychique de l’humain, qu’il soit vivant ou mort.

Quand l’humain est traité comme un objet ou un instrument, sa valeur intrinsèque couverte par la notion dignité est violée, son essence est humiliée. Il faut reconnaitre que, suivant une conception moderne de la dignité développée par Descartes dans le Discours de la Méthode, la notion de dignité implique le triptyque autonomie-indépendance et maitrise. La maladie, à elle seule, peut saper les deux autres. Ce triptyque réunit les conditions dignes de la dignité. Pour Descartes, « la santé est la première des conditions de tous les biens ».

L’artiste Nicola Ciccone[7] souligne, de son côté, que la dignité est un simple mot qui résume les concepts de respect et d’humanité. Celle-ci est l’aune qui mesure l’égard qu’on a pour chaque être dans une société. « Je veux qu’on m’enterre droit debout, je veux garder ma dignité. Les plus faibles seront protégés au nom de la dignité… ». En ce sens, elle est ontologique.

Pour Maya Hertig Randall, professeure à la Faculté de droit de l’université de Genève, la dignité humaine est la première des quatre valeurs universelles à côté de la liberté, l’égalité et la solidarité, elles-mêmes fondatrices des droits de l’homme.

Ce concept englobe en quelque sorte le respect physique, psychologique ou moral des êtres humains. En ce qui concerne la personne du zombi, nul ne peut lui réclamer un quelconque droit à la dignité, en application de ce que son statut d’humain lui doit. Comme toute victime de traite des personnes, le zombi vit sa vie dans l’indignité la plus criante et cruelle. Comment un individu peut-il devenir zombi ? Quels en sont les mécanismes ?


Partie B

Le processus de la zombification

Le processus[1] de la zombification repose sur tout un rituel dans lequel plusieurs acteurs sont impliqués depuis le jour de la déclaration de décès de la victime[2] de la zombification. Evidemment, la première étape consiste à simuler « la mort apparente » de la victime. Ce rituel est très discret puisqu’on n’utilise jamais d’arme à feu, ni d’arme blanche pour tuer ou persuader ce décès apparent sauf dans le cas des accidents provoqués. Toutefois, est-il de bon ton ou n’est-il pas impropre de parler de tuer quand on sait que la personne n’est pas vraiment décédée ?

Cette première étape est souvent l’œuvre d’un redoutable « connaisseur » qui a recours aux ressources disponibles de la biocénose tropicale et de la toxicologie traditionnelle en Haïti. Cet empoisonneur maitre peut être très proche d’un prêtre religieux ou d’une société secrète (Champwèl, Bizango, Vlenglendeng, etc.)

Étape 1 : Le choix ou le recrutement[3] de la victime / la demande de la « mise à mort » formulée par un client, un parent ou une personne qui se plaint d’avoir été victime d’un comportement reprochable de la personne ciblée. Un contrat verbal est passé entre les parties, en vertu duquel la condamnation ou culpabilité sera arbitrairement suite à la tenue d’une audience mystique publique tenue par des régiments d’une secte secrète ou d’un connaisseur indépendant du procédé d’empoisonnement. Le jugement une fois prononcé, le condamné devra être écarté de la communauté. De ce fait, son décès devra être simulé.

Le docteur Yves Saint-Gérard, dans son ouvrage intitulé « Le phénomène zombi » (1992, p. 25), a abordé cette idée de justice-vengeance. Pour le chercheur, le processus de la zombification reflète ainsi une idée de vengeance souvent disproportionnée d’un sujet très susceptible, humilié (injures, injustices, déceptions amoureuses…) ou abusé par sa victime ou un proche de celle-ci. La zombification est le bénéfice secondaire d’une riposte qui n’est heureusement pas toujours maximale. Cette punition va de l’infirmité mineure à la mort réelle, en passant par des sanctions économiques comme les pertes d’objets précieux, d’emploi ou d’instruments de travail[4] ».

Étape 2 – Administration du poison/ou l’envoûtement

La première étape une fois franchie, il faut trouver dans l’entourage immédiat de la cible quelqu’un qui soit capable de lui administrer le poison ou la substance provoquera un état de mort apparente chez son sujet qui sera cliniquement mort. Il faut noter que, dans nombre de cas de zombification, il ne se révèle pas nécessaire de procéder ainsi dans la mesure ou les objectifs peuvent être atteints sans qu’il soit nécessaire de créer cet état de mort apparente. Au dire de feue Mme Euvonie Georges Auguste, on ne procède ainsi rien que pour porter les parents et amis à accepter que la personne cible n’est plus de ce monde. Ce peuvent donc être des funérailles factices, symboliques, non seulement sans cadavre, mais aussi sans corps.

Il faut noter aussi que dans l’imaginaire haïtien, certains peuvent parfois prendre la qualité de zombificateur en vue de créer une certaine peur dans leur environnement immédiat.

Plusieurs facteurs doivent authentifier le décès à savoir :

a) l’établissement sommaire d’un certificat de décès ;

b) une justification issue d’une procédure médico-légale, non disponible dans les milieux reculés ;

c) l’organisation de rites funéraires faits de façon expéditive, parfois dans les 24 heures suivantes ;

d) l’embaumement spécial qui interdit une longue exposition.

Autant de facteurs vont faciliter les effets du poison selon un chronométrage approximatif réglé à l’avance. On peut comprendre que la personne victime n’a pas besoin d’être enterrée pour devenir zombi. C’est justement une astuce utilisée par les « malfrats des ténèbres », ces « architectes de cauchemars funéraires », pour feindre que leurs victimes ne sont plus de ce monde.

Il se révèle important de souligner que ce n’est pas dans tous les cas de zombification que la poudre est indispensable, bien au contraire.

Étape 3Les funérailles du sujet

Après avoir atteint la proie, l’apparence de la mort créée, un contact sera vite établi avec la morgue d’accueil pour étiqueter le cadavre afin qu’il soit protégé jusqu’au jour de ses « funérailles ».

Des « funérailles » publiques sont alors organisées en sa mémoire. 

Étape 4 – Rites d’exhumation et de réveil

Suivant les données ethnographiques disponibles[5], l’exhumation de sujet fait l’objet de tout un rituel magique. La personne enterrée, peut être captivée soit à la faveur d’expertises magiques réalisées sur place au cimetière ou au carrefour quatre chemins le plus proche (procédé Bluetooth). Le rituel d’exhumation est brutal, atroce et horrifiant, à en croire à certains initiés et/ou témoignages de victimes.

Étape 5 – L’orientation vers un état de dépendance/ transport / déportation et effacement) :

Le cadavre transformé en « mort-vivant », une fois « réanimé », le corps se met en marche, sous la conduite d’une escorte, appelée « Kondè » du français « conducteur » (à moins qu’il ne s’agisse de l’argot français pour le mot « policier » ?) vers un lieu de réclusion où il accède à un nouveau statut, celui de zombi, à une nouvelle personnalité et même une nouvelle identité. Privé de son nom, uniquement affublé d’un prénom, il est nourri à même le sol sur une feuille de bananier, sans sel, comme les anciens esclaves, et souvent drogué pour le priver définitivement e tout libre arbitre.


Partie C

Zombification et traite des personnes : 
Similarités des processus

Le législateur ou le juge, dans le questionnement des éléments de la traite des personnes, est autorisé à questionner ou à rechercher les éléments caractéristiques de base de la traite des personnes, à savoir : recruter, transporter, transférer, héberger, recevoir,placer sous contrôle ou une influence sur leurs mouvements ou déplacements et maintenir en situation d’exploitation multiforme, à des fins économiques.

La traite des personnes, vue comme une forme moderne d’esclavage et une des plus sévères violations des droits de la personne s’affiche dévastatrice des valeurs, engagements et enseignements du droit international de la personne humaine. Elle est considérée comme une agression constante, dévalorisante et envahissante à l’égard des droits fondamentaux des victimes et la suppression totale de la notion de la dignité humaine. Les modes opératoires des trafiquants et des zombificateurs se ressemblent. Ils ont un dénominateur commun à savoir, la privation imposée aux victimes de leurs droits, de leur liberté, de leur dignité et de leur potentiel humain. Les deux opèrent en pleine clandestinité. Ils utilisent des moyens diversifiés de contrôle sur leurs victimes, lesquels sont soumis à un même traitement sur le plan anthropologique.

La zombification et la traite des personnes se partagent des objectifs internationalement reconnus et réprimés. Elles poursuivent, entre autres, et pour le moins, des fins de travail forcé non ou peu rémunéré pour la victime, des activités criminelles forcées, des fins d’exploitation sexuelle et des fins du prélèvement d’organes.

Déduisons que pour parler de traite de personnes, tout en considérant qu’elle crée une situation de vulnérabilité et implique l’abus de ladite situation par laquelle la victime n’a pas d’autre choix que de se soumettre (par force ou tromperie). Au moins trois critères doivent se réunir pour la constitution de ce crime : l’acte, les moyens et les fins d’exploitation, pour le moins, manifestés dans des actions concrètes tendant à : faire le recrutement, transporter, transférer, héberger, détenir, offrir / recevoir des avantages ; faire usage de violence, coercition, enlèvement, fraude, tromperie, excès ou abus de pouvoir pour contraindre la victime ; poursuivre la psychologie d’exploitation de la victime soit sous la forme d’exploitation sexuelle (prostitution, proxénétisme, porno), de travaux forcés (non rémunéré ou peu rémunéré, esclavage), de prélèvements d’organes à des fins économiques, etc. 

Il y a une nécessité de réparer les effets psychosociaux de ces faits, de travailler la réinsertion des victimes dans leur famille et dans la société, en raison de la rupture des liens familiaux et les protéger contre les stigmatisations d’une part ; de leur accorder une assistance financière en vue de leur réinsertion économique et assistance juridique de l’Etat pour poursuivre les trafiquants et zombificateurs et faire en sorte que les représailles changent de camp. 

Voilà pourquoi les Haïtiens et les autres états doivent se préparer et engager (les 4 P) :

  1. La prévention qui devrait se matérialiser dans la dotation du pays d’instruments légaux, à l’instar du projet du nouveau code pénal, conçus dans les lignes du combat dans l’adoption et la ratification de conventions internationales visant à réprimer cette pratique ; dans la lutte pour l’adoption d’une véritable politique publique en matière de famille en Haïti ; durcir la législation haïtienne dans la fixation des peines y afférentes et opter pour la politique tolérance zéro en matière de traite de la personne.
  2. La protection : par une vaste campagne visant à sensibiliser sur c’est qu’est la traite et réduire en conséquence le nombre des acteurs et victimes. À réprimer sévèrement et surtout les auteurs, les co-auteurs et les complices de cette activité inhumaine, par une véritable synergie entre les officiers des unités spécialisées des forces de l’ordre, les organes de poursuites répressives, d’instruction et de jugement de manière afin de disposer de plus de dossiers qui aboutissent à des condamnations. Aujourd’hui, l’infraction « traite de la personne » et « zombification » devrait faire l’objet d’une spécialisation dans la police/justice. Il faut que ces secteurs soient mieux armés professionnellement pour traiter de pareilles infractions.
  3. Notons que la prise en charge est aujourd’hui quasi impossible en Haïti, en raison de l’état actuel de son économie et de ses pouvoirs politiques. Cependant, en tant qu’Etat, elle devrait constituer un objectif à atteindre.
  4. Le partenariat : la traite, ayant mis en exergue l’indisponibilité de l’intégrité morale et physique de la personne humaine est un acte violateur de la dignité. L’anéantissement de cet acte sous-tend des luttes collectives bien organisées en ce sens que la traite implique assez souvent des déplacements et ceux-ci ne sont pas toujours exécutés à l’interne.

Conclusion

Si la zombification est ce processus qui tend à empoisonner ou envoûter une personne cible, simuler son décès, renforcer la perception du décès, l’exhumer de son caveau, la maltraiter et la conduire au lieu de dépendance à des fins d’explorations économiques entre autres, le means rea de la traite des personnes exige ce même mécanisme à savoir : « recruter », « transporter », « transférer », « héberger ». Recevoir, placer et maintenir en situation d’exploitation, il y a lieu de comprendre que même différentes dans leurs appellations, la traite des personnes et la zombification méritent d’être réprimées partout à travers le monde. Cette dernière mérite d’être prise en compte et même intégrée dans les conventions internationales relatives à la protection de la personne humaine.

Comme nous l’avons soutenu tout au long de cet article, le processus de la traite des personnes, à travers le recrutement, le déplacement, l’accueil et l’asservissement non ou sous-rémunéré du sujet est un acte qui doit être sanctionné par la société. Il faut un engagement ferme dans la poursuite des objectifs fixés dans la règle des 4 P indispensables à l’éradication de ce mal.

Dans des cas de traites à des buts de trafic d’organes ou d’exploitation de proxénétisme, on signale assez souvent des déplacements internationaux.

Pour le zombi, le droit international des droits de l’homme cherche à assurer une spéciale et particulière protection aux groupes, aux minorités et catégories comme les femmes et les enfants, les personnes vivant avec des handicaps, pour ne citer que celles-là : et pourquoi pas les zombis ? Il faut prêter l’oreille aux zombis du point de vue juridique et anthropologique, les écouter et réfléchir sur leur sort en tant que personne, même par simple existence physique.  

Lutter contre la traite des personnes, plus particulièrement contre la zombification, est plus qu’une exigence légale. C’est une obligation morale, citoyenne et responsable, dans la perspective de bannir la méfiance et de ressouder le lien social entre des membres d’une société, de prévenir la décapitalisation[1] de la société, finir avec la haine de groupe, clan ou de famille qui pourrait entretenir l’incohésion sociale et mettre fin à toutes les formes d’esclavage moderne. Elle doit s’appuyer sur les derniers éléments de la recherche anthropologique, dans une complète collaboration entre disciplines scientifiques et leur application directe en terme juridique, éthique et législatif.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Senatus Jean-Renel & Charlier Philippe, « La zombification : une forme anthropo-juridique de traite des personnes » in Journal du Droit Administratif (JDA), 2023 ; Art. 415.

Bibliographie 

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CHARLIER, Philippe (2015). Zombi. Enquête sur les morts-vivants en Haïti. Paris, Tallandier.

CHARREDIB, Karim. (2013),Les zombies et le visible : ce qu’il en reste. Une pratique artistique de la hantise cinématographique [Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne].

DEGOUL, Franck. (2005), Dos à la vie, dos à la mort : Une exploration ethnographique des figures de la servitude dans l’imaginaire haïtien de la zombification, [Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille/ Laval].

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HURBON, Laennec (1988), Le barbare imaginaire, Paris, Editions du Cerf.

Karim Charredib, Les zombies et le visible : ce qu’il en reste, thèse de doctorat, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, 2013

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SENATUS, Jean Renel, Le Commissaire du Gouvernement et ses attributions de poursuite au regard du phénomène de la zombification, Mémoire de maitrise, FDSE.

Frantz Alix LUBIN, Le Processus de zombification en Haïti.

Joseph, Maxo, Pasteur, Le réveil, un antidote à une société zombifiée, First printing, 2016.

Article : Zombification: Condamnation secrète b, Journal le nouvelliste  du  12  septembre  2008

Webographie:

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https://www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains/Types-de-traite-d-etres-humains

https://haiti.loopnews.com/content/haiti-la-rencontre-des-filles-vendues

https://haiti.loopnews.com/content/verrettes-des-fillettes-sont-vendues-des-hommes-comme-concubines

https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201512/12/01-4930573-haiti-plus-de-200-000-enfants-exploites-comme-domestiques.php

https://www.ohchr.org/fr/node/100325, plan  des  Nations  Unies  contre la  traite

https://www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains/Types-de-traite-d-etres-humains

L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés | OHCHR

Rapport 2018 de la lutte contre la traite, Haïti en position vulnérable | Haïtitweets

UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006 : exclus et invisibles, 2005. http://www.unicef.org/french/sowc06/pdfs/sowc06_fullreport_fr.pdf


[1] ONU/HCDH, Le HCDH, les droits de l’homme et la traite des êtres humains, 16 juin 2023, www.ohchr.org/fr/trafficking-in-persons

[2] Article 23
 Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. 
2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. 
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. 
4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Article 24
Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodique.

[3]  SENATUS, Jean Renel, Le Commissaire du Gouvernement et ses attributions de poursuite au regard du phénomène de la zombification, Mémoire de licence, UEH /FDSE, p 100, 2018.

[4]  WIENGFIELD, Roland : Sur la piste du zombi, éditions 24 heures, p.162.

[5]  Interpol, Traite d’êtres humains, trafic de migrants, www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains-et-trafic-de-migrants


[1] La Convention Europol, Bruxelles, 26 juillet 1995.

[2] Organization for Security and Co-operation in Europe, Trafficking in Human Beings: Implications for the OSCE, 16 September 1999, www.osce.org/odihr.

[3]   TOSUN Leman, La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble]. p.33.

[4] Article 3 du Protocole de Palerme.

[5]  KELLY L., “‘You can find anything you want’: A Critical Reflection on Research on Trafficking in Persons within and into Europe”, International Migration, vol. 43, n°1/2, 2005, pp. 235-265.


[6] La Convention Europol, Bruxelles, 26 juillet 1995.

[7] Organization for Security and Co-operation in Europe, Trafficking in Human Beings: Implications for the OSCE, 16 September 1999, www.osce.org/odihr.

[8]   TOSUN Leman, La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble]. p.33.

[10]  KELLY L., “‘You can find anything you want’: A Critical Reflection on Research on Trafficking in Persons within and into Europe”, International Migration, vol. 43, n°1/2, 2005, pp. 235-265.


[1] UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006: exclus et invisibles, 2005. http://www.unicef.org/french/sowc06/pdfs/sowc06_fullreport_fr.

[2] ONU, Plan des nations unies contre la traite, www.ohchr.org/fr/node/100325

[3]OHCHR,  Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants |

[5] Les victimes des mariages forcés sont considérées comme des esclaves modernes. Voir : Global Estimates of Modern Slavery. There were 5.4 victims of modern slavery for every thousand people in the world in 2016. There were 5.9 adult victims of modern slavery for every 1,000 adults in the world and 4.4 child victims for every 1,000 children in the world. global_estimates_of_modern_slavery-forced_labour_and_forced_marriage.pdf (alliance87.org).

[6] The Office of the High Commissioner for Human Rights (UN Human Rights) is the leading UN entity on human rights. 

[7] L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés | OHCHR.

[8] ONU, L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés, 02 décembre 2019, consulté le 4  septembre 2023, en ligne.


[1]Dont l’objectif est de prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention particulière aux femmes et aux enfants, de protéger et d’aider les victimes d’une telle traite en respectant pleinement leurs droits fondamentaux ; de promouvoir la coopération entre les États Parties en vue d’atteindre ces objectifs.

[2] www.dictionnaire-juridique.com/index

[3] Cette définition est tirée du blog – Encyclopædia Universalis

[4] Ce terme renvoie au représentant national du secteur vodou en Haïti.

[5] CINCIR Amos et coll., Zombification : condamnation secrète b, Journal Le Nouvelliste du 12 septembre 2008,  

[6] ALLARD, Jérôme-Olivier, Les morts se lèvent : Zombies, Pouvoir et Résistance, thèse de maitrise, Université de Montréal], 2015.

[7] Ethnomusicologue


[1] Voir LUBIN Frantz Alix : Le Processus de zombification en Haïti, p 76.

[2] Normalement pour zombifier quelqu’un, deux procédés peuvent être utilisés : l’empoisonnement et l’envoutement.  

[3] JOSEPH, Maxo, Pasteur : Le réveil, un antidote à une société zombifiée, p36.

[4]  DEGOUL, Franck. (2005), Dos à la vie, dos à la mort : Une exploration ethnographique des figures de la servitude dans l’imaginaire haïtien de la zombification, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille/ Laval, p.163.

[5] CHARLIER, Philippe (2015). Zombi. Enquête sur les morts-vivants en Haïti. Paris, Tallandier.


[1] Aujourd’hui en Haïti, l’organisation des funérailles constitue l’une des causes d’appauvrissement des membres de la société. Très attachés aux proches disparus, ils acceptent des débours faramineux pour célébrer les derniers jours des dits proches. Si Dr Lalime Parle de 1000 zombis par année, avec mille dollars américains pour chaque funérailles, un million de dollars auraient été déjà partis en fumée d’une part ; de l’autre, sauf quelques exceptions, la zombification ne vise que des gens préparés faisant partie de la force active du pays. Assez souvent c’est le leader économique et financier de la famille qui est victime de cette conjuration. Dès lors, la famille est plongée dans la misère et le désespoir.

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ParJDA

Droit de l’environnement devant le juge administratif : un contentieux en ébullition

Art. 414.

Florence Y Caurand
Avocat au barreau de Saintes
Attorney at law, Massachusetts, USA (inactive)

Depuis quelques années, le Conseil d’État accueille des rencontres et des colloques sur le thème du droit de l’environnement, manifestant ainsi l’importance croissante des préoccupations environnementales qui transcendent les frontières et les évolutions récentes de cette branche du droit.

En effet, depuis peu, l’État doit faire face au dérèglement climatique de plus en plus perceptible et ses conséquences multiples. De nombreuses mesures ont donc été prises aux fins d’y remédier. Des dispositions concernant l’environnement figurent désormais dans de le corps de traités ou conventions internationales (CCNUCC[i]) et en droit européen (Directives environnement[ii]). Sur le plan national, L’une Charte de l’environnement est désormais adossée à la Constitution, outre  la publication d’un Code de l’environnement  suivie d’un Code de l’énergie.

Avec la multiplication de textes, s’est développé un contentieux environnemental, principalement devant les juridictions administratives, juges de l’action, voire de l’inaction de l’administration.

Récemment, 2 séries de décisions ont été rendues qui profilent d’une part la force contraignante des objectifs chiffrées de réduction des gaz à effet de serre suite aux accords de Paris (Cop 21) et la nécessité de réparer un préjudice écologique (I), et d’autre part ouvrent plus largement la voie des procédures de référé par la consécration du droit de vivre dans un environnement équilibré, comme constituant une liberté fondamentale (II).

I – Le droit de l’environnement dont le Conseil constitutionnel est le garant de la valeur constitutionnelle (A), a désormais valeur contraignante dans ses objectifs chiffrés, dont le juge administratif est le garant (B)

La Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle et l’interprétation de sa portée   normative revient au Conseil constitutionnel

La révision constitutionnelle de 2005 a adossé la Charte de l’environnement à la Constitution de la Vième République. Cette charte reconnaît des droits nouveaux, distincts de ceux contenus dans la Déclaration de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Ces droits sont énoncés en termes généraux mais novateurs. Par exemple, l’article 1 consacre le droit de vivre dans un environnement équilibré (Voir II ci dessous),  et les articles suivants prônent le devoir de prévenir ou limiter les atteintes à l’environnement. L’article 6 consacre le principe du développement durable.

Il revient donc au Conseil constitutionnel d’en définir les contours et la portée lorsqu’il est saisi de l’inconstitutionnalité d’une loi, soit par les parlementaires avant sa publication, soit par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, à la demande d’un justiciable au cours d’une procédure à laquelle il/elle est partie. Dans cette hypothèse, le justiciable soulève une question prioritaire de constitutionnalité (‘QPC’)[iii].

Dans une première décision du 29 décembre 2019, le Conseil annule des régimes d’exemption fiscales contenus dans la loi de finances relative à la contribution carbone[iv]. Dans une seconde décision du 31 janvier 2020 (Décision 2019-823), le Conseil constitutionnel a jugé que la protection de l’environnement justifiait des atteintes à la liberté d’entreprendre[v].

Désormais, un choix de politique environnementale qui relevait auparavant de politique publique, revient désormais en partie au juge constitutionnel, mais aussi au juge administratif.

Le juge administratif sanctionne désormais le non respect par l’Etat des objectifs chiffrés de protection de l’environnement et la réparation d’un préjudice écologique

 Dans les décisions  «Grande-Synthe», puis «Affaire du siècle» et «Les Amis de la Terre France», le Conseil d’État et le Tribunal administratif de Paris ont jugé que l’État était tenu de respecter les objectifs chiffrés de réduction d’émission de gaz à effet de serre à 40% d’ici 2030 (devenu désormais 55% au niveau européen), ce qu’il ne l’avait  pas fait, et a ordonné à l’État de réparer le préjudice écologique lié à ses manquements à ses obligations[vi]. Ces décisions constituent une réelle avancée  dans la protection de notre environnement.

Le juge administratif s’inspire d’autres décisions rendues par des juridictions étrangères au sein de l’Union européenne (cours suprêmes d’Irlande et des Pays Bas[vii]), mais aussi au delà (Cour suprême des États-Unis et Cour fédérale américaine du 9ième circuit[viii]). Ceci semble en effet souhaitable car des actions coordonnées auront  plus d’impact pour la protection de l’environnement et l’avenir de l’humanité.

Dans la décision «Commune de Grande Synthe» du 1er juillet 2021[ix], le Conseil d’État annule le refus du Gouvernement de prendre des mesures complémentaires à la réduction des  émissions de gaz à effet de serre. Le Conseil observe notamment qu’en 2020, la réduction des gaz à effet de serre était avant tout liée à la baisse d’activité économique en période de crise sanitaire. Le Conseil souligne l’effet contraignant des accords de Paris ainsi que l’application du Règlement européen du 30 mai 2018 dit ESR (2018/842). Après avoir examiné les données scientifiques récentes, Le Conseil enjoint au Gouvernement de prendre les mesures complémentaires nécessaires avant le 31 mars 2022. Suite à cette décision,  le Gouvernement a publié le 4 mai 2022 un communiqué contenant une synthèse de sa réponse au Conseil d’État, en exécution de l’injonction prononcée à son encontre.

Dans sa décision «Association  les amis de la terre» concernant la pollution de l’air, le Conseil d’État va plus loin et prononce une astreinte fixée à 10 millions d’euros par semestre, faute pour l’État d’avoir exécuté sa précédente décision du 12 juillet 2017[x].

Dans les décisions «Affaire du siècle» en 2021, par 3 jugements distincts, le Tribunal de Paris, saisi par plusieurs ONG, enjoint à l’État  de réparer à bref délai sa carence en matière de lutte contre le changement climatique et le condamne à réparer le préjudice écologique lié à l’impact direct sur le réchauffement climatique. Le Tribunal cite les engagements chiffrés pris par la France lors de la CCNUCC en 1997 puis lors des accords de Paris en 2015 et évalue  le préjudice écologique par la part attribuée à la carence de l’État sur la mesure atmosphérique des émissions de gaz à effet de serre[xi].

Ces décisions récentes donnent toutes force de loi aux objectifs chiffrés de protection de l’environnement et confirment la réalité d’un préjudice écologique indemnisable devant le juge administratif. Parce qu’il est conscient de la nécessité de prendre une décision réaliste dans son exécution , en plus d’être politiquement acceptable, le juge administratif prend soin de préciser que s’il enjoint l’État de prendre les mesures nécessaires, il appartient au seul Gouvernement d’en déterminer la mise en oeuvre.

Dans une décision du 20 septembre 2022, le juge administratif ouvre également la voie à la protection de l’environnement dans le cadre de procédures rapides de référé (II).

II- Saisi dans le cadre de procédures rapide de référé, le juge administratif peut désormais ordonner à l’État de prendre des mesures nécessaires (A), et consacre en référé-liberté, une nouvelle liberté fondamentale (B)

Les procédures de référé devant le juge administratif: outil d’action du juge administratif depuis l’an 2000

Depuis 22 ans, le Code de justice administrative (‘CJA’) permet au justiciable de saisir le juge administratif dans le cadre de procédures accélérées, qui ne jugent pas définitivement l’affaire, car la décision prise par le juge, d’exécution immédiate, reste néanmoins provisoire. Certaines de ces procédures de référé permettent donc de saisir rapidement le juge administratif en matière d’atteinte à l’environnement.Il y a plusieurs types de référés, les référés liés à l’urgence (suspension, liberté, conservatoire) et les référés qui en sont exemptés (constat, instruction, provision)

Ainsi dans le cadre d’un référé-suspension, le requérant peut solliciter la suspension de l’exécution de la décision administrative qui porterait atteinte à l’environnement, décision dont il doit avoir parallèlement saisi le juge d’une demande d’annulation (L 521-1 CJA). Le requérant peut également saisir le juge d’une procédure de référé-constat ou de référé-instruction, afin d’obtenir la constatation de faits par un expert, ou d’obtenir une expertise concernant les faits du litige et les potentiels dommages pour l’environnement (L 521-3 du CJA) Dans le cadre du référé conservatoire (dit mesures utiles), le juge administratif peut prendre toute mesure utile, à la condition de ne pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Il peut par exemple s’agir de mettre un terme au danger immédiat pour l’environnement constitué par un ouvrage public (voir CE 5 juin 2020, Syndicat intercommunal des eaux de la Vienne n° 435126 B) Le référé-injonction ou «liberté» n’est possible, qu’en cas d’atteinte manifeste à une liberté fondamentale.

En 2021, un rapport rédigé par Mesdames Montebou et Untermaier, de la Commission des lois constitutionnelles à l’Assemblée Nationale, met en lumière la spécificité des atteintes à l’environnement et la nécessité d’agir en urgence compte tenu du risque de dommages irréversibles[xii]. Après avoir dressé l’inventaire des procédures de référé existant devant les juridictions administratives et judiciaires, les auteurs soulignent que la notion de risque environnemental peut être mal saisie par le juge, outre la difficulté pour ce-dernier à relever la condition d’urgence ou d’illégalité manifeste.

Malgré ces difficultés, dans sa décision du 20 septembre 2022, le Conseil d’État, saisi d’une procédure de référé-liberté ouvrait une nouvelle voie d’action en matière de protection de l’environnement.

Le droit de vivre dans un environnement équilibré: une liberté fondamentale consacrée par le juge administratif des référés

   Le Conseil d’État était saisi d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L 521-2 du Code de justice administrative. Cette procédure permet au requérant de saisir le juge administratif lorsqu’il estime que l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il doit justifier de la condition d’urgence.

 Des particuliers avaient saisi le Conseil d’État d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Toulon, qui avait rejeté leur demande de suspension de travaux routiers.Le Conseil rejette leur demande au motif que la condition d’urgence n’est pas réunie. Cependant, le Conseil d’État juge que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, pour rejeter la demande initiale, en jugeant que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 du Code de justice administrative. Sur le fond, le Conseil s’appuie sur un diagnostic environnemental réalisé un an auparavant par le département du var, pour juger que les travaux entrepris ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé[xiii]. Il convient de noter l’importance croissante de l’instruction du dossier, de plus en plus orale, afin que les parties produisent les informations et explications nécessaires et que le juge ait la possibilité d’inviter des experts à formuler leurs observations[xiv].

Il n’en reste pas moins que le droit de vivre dans un environnement équilibré vient désormais s’ajouter aux nombreuses libertés fondamentales reconnues par le juge administratif saisi d’un référé-liberté, telles que la liberté d’aller et de venir, la liberté du commerce et de l’industrie, la présomption d’innocence ou le droit d’exercer un recours effectif devant un juge.

Ainsi par des décisions récentes et innovantes, le juge administratif construit jour après jour un droit plus protecteur de l’environnement, qui invite chacun à prendre conscience des enjeux climatiques qui touchent notre planète. Ce nouveau droit qui s’élabore correspond avant tout à un modèle de société dans laquelle nous souhaitons vivre demain.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Caurand Florence Y. « Droit de l’environnement devant le juge administratif : un contentieux en ébullition » in Journal du Droit Administratif (JDA), 2023 ; Art. 414.


[i] CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques);  CDB (Convention sur la diversité biologique); CLD (Convention sur la lutte contre la désertification) adoptées lors du sommet de la Terre à Rio en 1992.

[ii] Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 du Parlement européen et du Conseil; Règlement (UE)sur la qualité de l’air; 2018/842 du 30 mai 2018 du Parlement européen et du Conseil relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre; Décision 406/2009/CE du 23 avril 2009 du Parlement européen et du Conseil relative à l’effort fourni par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2020.

[iii] Prévue par l’article 61-1 de la Constitution de 1958, lors d’une instance en cours, le justiciable peut contester la constitutionnalité d’une loi directement applicable à son dossier. La QPC sera d’abord examinée par la juridiction saisie du dossier, puis la QPC pourra être transmise au Conseil constitutionnel.

[iv] Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009: le Conseil constitutionnel juge que l’importance des exemptions fiscales totales était contraire à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique.

[v] Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020: le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur les termes du préambule de la Charte de l’environnement et sur l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé résultant du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

[vi] CE 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe, n°427301; CE Ass, 10 juillet 2020, Les Amis de la Terre et autres, n° 428409; TA Paris février 2021, Oxyfam France et autres, n°1904967.

[vii] Friends of the Irish v. Ireland, record N° 2018/ 391 JR; Cour suprême des Pays Bas, 20 décembre 2020, Pays Bas c Fondation Urganda, 19/00135.

[viii] Massachusetts v. EPA, 549 US. 497 (2007); Juliana et al. US. District Court, 2016 WL 6661146 (D. Or. Nov. 10, 2016)

[ix] Idem note vi.

[x] Idem note vi.

[xi] Idem note vi.

[xii] Assemblée Nationale, Mission «flash» sur le référé spécial environnemental, Communication de Mesdames Naïma Moutabou et Cécile Untermaier, 10 mars 2021, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

[xiii] CE 20 septembre 2022, M et Mme C. Département du Var, n° 451129

[xiv] Décret 2023-10 du 9 janvier 2023 relatif aux procédures orales d’instruction devant le juge administratif.

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ParJDA

Un Roi-mage de la médecine légale, Balthazard

Art. 413.

Le présent article s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina
Université Toulouse 1 Capitole
Co-directeur du Master Droit de la Santé

« Balthazard’s rule » : « règle utilisée en expertise, en présence d’une invalidité pré-existante, le taux attribuable pour la survenue d’un nouvel accident est calculé en pourcentage de la validité restante » :

c’est par ces mots que le Dictionnaire de l’Académie nationale de médecine[1] définit le principe que le contentieux connaît sous le nom français de « règle de Balthazard » ; règle qu’un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venu rappeler sans en faire pour autant un principe général du Droit[2]. A la présente chronique, c’est Mme Louise Parent[3] (que l’on félicite pour sa contribution) qui revient sur l’énoncé et la portée de cette « règle de Balthazard » en droit positif. Nous avons quant à nous décidé de revenir, entre histoire, droit et médecine, sur la paternité attribuée audit principe. En effet, lorsque nous avons eu à commenter l’arrêt préc. de la Caa de Bordeaux, il nous a fallu plusieurs recherches pour comprendre d’où provenait l’énoncé de la règle disposant qu’en[4] « matière d’invalidité préexistante s’imposerait une « règle des capacités restantes » selon laquelle lorsqu’un agent s’est vu reconnaître un taux d’invalidité consécutif à un accident du travail, le nouveau taux d’invalidité qui proviendrait d’un accident ultérieur (en lien fonctionnel avec le précédent) serait calculé sur la seule validité restante. Notamment retenue de façon principielle par la jurisprudence (CE, 20 juillet 1990 ; req. 67280) puis sous conditions par le décret n°2005-442 du 2 mai 2005[5] », de nombreux auteurs et jugements, de nombreux ouvrages et rapports énoncent l’existence d’une « règle de Balthazard » mais personne ou presque ne précisait qui était ledit Balthazard.

Un professeur de droit ? Un magistrat ? Un médecin ? Un patient victime d’incapacités consécutives ? Un législateur, député ou même ministre ayant accolé son nom à celui d’une norme comme le décret précité ? Et pourquoi pas un des membres du Conseil d’État ayant rapporté (en section administrative ou contentieuse) sur ces éléments ? Notre curiosité ainsi piquée, nous avons enfin réussi à obtenir satisfaction en découvrant au sein d’un rapport[6] de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) la paternité de cette règle[7] : « au 19e siècle, le Professeur de médecine légale Balthazard inventa une règle relative au calcul des infirmités multiples permettant d’obtenir un pourcentage d’invalidité toujours inférieur à 100 %, mais néanmoins proportionnel au nombre et à la gravité des infirmités en cause. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel l’invalidité d’une infirmité venant au rang N, après classement de l’ensemble des infirmités par ordre décroissant de taux, doit être appréciée par rapport à la validité restante résultant de la prise en compte des invalidités entraînées par les infirmités classées au rang N-1 ».

Carte postale éditée (circa 1930)
par les laboratoires pharmaceutiques Chantereau
pour diffuser le portrait des « maîtres de la médecine »
dont celui du professeur Balthazard (collection personnelle Touzeil-Divina ©).

Ainsi informés, nous avons compris que l’énoncé de la règle désormais juridique et propre aux droits de la santé et des dommages corporels, nous provenait directement d’un[8] « « roi-mage[9] » du droit de la santé, Victor Balthazard (1872-1950), un des promoteurs actifs de la médecine légale à qui l’on doit également de précieuses recherches sur la balistique et les projections de gouttes de sang dont raffolent toutes les séries policières ». On a conséquemment décidé de lui consacrer une étude inscrite dans le cadre d’une recherche plus importante sur l’histoire du droit de la santé et de son enseignement[10]. On a alors exploré les trois pistes suivantes : celle de la doctrine de l’auteur entre droit & médecine (I) en insistant sur son apport à la criminologie (II) à une époque socialement (et heureusement) révolue pour conclure sur la postérité patronymique du personnage (III).

Un des « rois » de la médecine légale
préfigurant le droit médical

& l’ordre des médecins

Entre médecine & Université. Victor Balthazard est né à Paris le 1er janvier 1872[11] au 124 du Boulevard Voltaire. Il n’a pas directement suivi les chemins de la médecine mais est d’abord sorti de la prestigieuse École polytechnique (1891-1893) pour se consacrer aux mathématiques[12] avant de rejoindre les bans de l’Université parisienne et de sa Faculté de médecine pour intégrer, au fil des années d’études, l’externat puis l’internat des hôpitaux de Paris en 1899[13]. Sa formation académique et pratique fut marquée par l’excellence et l’obtention, à cet égard, de plusieurs prix dont celui (dit Monthyon) de l’Institut de France en 1901. On retrouve son nom d’abord associé à l’Institut de médecine coloniale (où il est chef des travaux pratiques) et c’est en juillet 1903 qu’il soutient sa thèse de doctorat en médecine sur la toxine et [l’]antitoxine typhiques[14]. Dès 1897, il est publié dans de nombreux supports académiques et la liste de ses travaux est déjà impressionnante. Elle comprend, en 1904[15], plus d’une quarantaine de matérialisations alors qu’il n’est qu’un jeune docteur en début de carrière. Ses principaux domaines de recherches sont alors : la radioscopie[16], la régénération de l’air, les lécithines du foie ou encore la sécrétion urinaire dont il analyse la toxicité et la cryoscopie.

Faisant le choix de ceux que l’on nommera plus tard les « hospitalo-universitaires », Balthazard opta non seulement pour une carrière de médecin praticien et clinicien pratique mais aussi pour celle d’un enseignant et surtout d’un chercheur. Il fut ainsi agrégé des Facultés de médecine dès 1904[17] et se fit connaître par plusieurs études sur l’estomac ou encore – de façon générale – en physiologie pour devenir professeur titulaire au lendemain de la Première guerre mondiale (1919) après avoir intégré et travaillé auprès de plusieurs laboratoires. Il fut par ailleurs l’un des administrateurs[18] de la Société d’assurance mutuelle contre les accidents de laboratoire dans l’enseignement public supérieur.

Entre médecine & Droit. Il devint alors l’un des spécialistes de la médecine légale et se vit confier en 1923 la direction de son premier établissement français dédié : l’Institut médico-légal. Dès 1905, cela dit, Balthazard avait investi ce champ et était devenu médecin expert près le Tribunal de la Seine puis en 1912 auprès du Tribunal de commerce. On pourrait s’étonner de cette seconde mention d’un expert médical en matière commerciale mais ceci nous montre bien à quel point le docteur Balthazard dépassait le seul cadre des liens entre médecine et droit au profit unique de la Justice pénale. Concrètement, par exemple, on sait ainsi que de 1932 à 1935, Balthazard intervint directement dans l’un des contentieux commerciaux entre la charcuterie Marius Raffin et l’industriel automobile Citroën (juste avant son dépôt de bilan puis sa sauvegarde-reprise par l’État[19]) comme en témoigne ce courrier retrouvé (même si l’on ne sait en quoi consista l’expertise demandée).

Lettre autographe (11 octobre 1932) signée du doyen Victor Balthazard
& adressée à un avocat dans le cadre de l’affaire Raffin c. Citroën
(collection personnelle Touzeil-Divina ©)

Balthazard va alors voir son nom associé à la recherche de la vérité juridique dans de très nombreux dossiers criminels et/ou de mœurs singulièrement médiatiques comme l’affaire de l’assassinat de la rue de la Pépinière (à propos d’un courtier en bourse dénommé Rémy assassiné par ses employés de maison (Renard & Courtois), davantage décrits par la vindicte et par l’arrêt de la Cour d’assises[20] de la Seine comme « dangereux homosexuels » que comme meurtriers) ou encore, la même année (1909), dans le dossier du double assassinat de l’impasse Ronsin plus connu sous le nom d’affaire Steinheil[21]. Dans la première affaire précitée, ses conclusions aux fins d’identifications de la main de l’auteur présumé du meurtre, parmi plusieurs traces ensanglantées, se sont avérées primordiales et en ont été publiées[22].

Balthazard a même fait partie des experts sollicités dans l’extraordinaire et sulfureuse affaire dite Stavisky ce qui lui valut, dans la presse, de nombreuses critiques ou louanges selon les opinions, plus politiques que juridiques, des journalistes et polémistes auteurs[23].

Après la morgue, l’institut médico-légal. Les travaux de Balthazard expriment deux mouvements qui lui furent contemporains : la recherche continue d’échanges fructueux entre droit et médecine (on y reviendra) et l’objectivation, par la méthode scientifique, des recherches sur la criminologie en particulier. C’est à ce titre précité qu’en 1923 Balthazard (spécialiste de la question depuis 1905 puis professeur titulaire formellement reconnu depuis 1919) se vit confier la direction du nouvel Institut médico-légal de Paris, entre le quai de la Rapée, face à la Seine, et la place Mazas. C’est en mars 1923 que l’établissement, qui succédait à l’ancienne morgue parisienne, dont même le nom fut transformé en objet scientifique de recherche(s), fut inauguré. Les journaux généralistes[24] ou spécialisés[25] décrivirent avec détails l’installation du nouvel organisme en prenant soin de souligner le luxe des lieux dédiés à la science et à la vérité. Le nom de Victor Balthazard, premier directeur de l’Institut, était alors clairement associé à celui de la modernité et des progrès médicaux[26] :

« la plus grande merveille de l’Institut médico-légal consiste dans les laboratoires pour les professeurs et les étudiants. Ils ont été aménagés pour le travail en commun, qui stimule la découverte et qui, par conséquent, donne de meilleurs résultats.

Certaines machines d’invention récente ont été installées là. L’une sert à faire à la fois le vide et l’air comprimé. Il suffit d’ouvrir un robinet pour produire le gaz ou pour le supprimer ; l’autre sert, inventée par le docteur Balthazard, à dégager rapidement et proprement la moelle de la colonne vertébrale, opération qui se faisait auparavant au moyen d’un marteau de bronze et d’un pied de biche, qui prenait un temps très long et qui ne réussissait pas toujours ; une autre enfin, qui sert à scier en quelques secondes les crânes les plus durs… » pour conclure de façon générale : « étudiants, professeurs, personnels de garde, ont des vestiaires avec eau courante et même une salle de bain et de douche », c’était dire la modernité de ce lieu d’exception(s).

Cette même année 1923, l’agence de presse Rol réalisa un reportage photographique visant à faire état de l’extraordinaire scientificité des lieux et publia dans la presse plusieurs remarquables clichés montrant les laboratoires et les installations toutes plus impressionnantes et modernes que les autres.

Toutefois, le directeur étant un professeur d’Université, il fut représenté non en laborantin mais en grande tenue académique[27] à laquelle il ne manquait que les gants alors que le mortier, la ceinture, les médailles et autres palmes académiques clinquaient sur les deux robes (soutane et simarre) professionnelles fusionnées. Nous avons repris l’une de ces photographies et l’avons colorisée en essayant de faire ressortir (avec difficulté avouée !) la couleur dite cramoisie (entre rouge et violet) de l’ordre médical et il y apparaît encore davantage, selon nous, ce décalage entre modernité et scientificité médicale des lieux face à la solennité et à la tradition du costume du directeur Balthazard entre autorité et faste rendant, cela dit, très clairement impossible matériellement toute activité scientifique concrète ; la robe n’étant là que pour l’apparat !

Portrait en pied du directeur de l’Institut médico-légal de Paris, le professeur Victor Balthazard ; 1923 ; agence Rol (Paris) ; colorisation (2022) Touzeil-Divina.

De la médecine légale au droit médical. On annonce ici la publication prochaine d’une recherche[28] sur l’évolution des ouvrages relatifs à celui que l’on nomme aujourd’hui le droit de la santé mais qui fut d’abord uniquement questionné sous l’angle de la médecine légale. Or, l’un des tournants que va emprunter ladite médecine légale pour sortir du seul prisme de l’application à la Justice pénale des questions de médecine et de santé se nommera précisément le « droit médical » et ce, à partir uniquement du début de siècle peu après la publication (1890) du Droit médical[29] de l’avocat Alfred Lechopié et du docteur en médecine Charles Floquet. Il faut ensuite attendre 1931, selon nos recherches, pour que le docteur en médecine Marcel Salama et le professeur de droit, Paul Appleton, publient la première édition de leur Droit médical inversant les aspects de médecine appliqués au Droit pénal en visions juridiques et juridicisées de questions médicales. Or, qui préfaça la première édition, de cette publication remarquable et remarquée préfigurant le(s) droit(s) contemporain(s) de la santé ? Victor Balthazard[30].

Conscient des liens (non réduits à ses yeux à la question de l’identification criminelle) entre droit et médecine, Balthazard a manifestement accompagné et encouragé la publication d’écrits réunissant les spécialistes et experts des deux arts ou sciences. C’est toujours à ce titre qu’il préfaça les travaux juridiques de l’un des plus grands ténors du Barreau de Paris, Maître Vincent de Moro-Giafferi dont il présenta le bel ouvrage sur le secret professionnel médical[31] témoignant bien de ce que Balthazard avait effectivement une vision des liens nombreux et étroits entre médecine et droit et qu’il ne réduisait pas ses derniers à sa seule spécialité : la médecine légale. Il présenta également les travaux scientifiques d’une autre grande avocate parisienne, docteure en droit, avec laquelle il collaborait : Henriette Roberti-Lagarde[32] et revint en 1933 sur les aspects juridiques du secret médical en offrant à un dénommé Jacomet une présentation[33] publiée et très élogieuse de ses travaux. A la fin de sa vie, c’est aussi lui qui réalisa la préface de l’un des tous premiers ouvrages juridiques à envisager de façon rigoureuse les questions de responsabilité en matière médicale[34] : la somme réunie par le magistrat Louis Kornprobst.

Dans ce domaine le précis « rouge » de Balthazard (publié dans la collection de la « bibliothèque du doctorat en médecine » va rapidement devenir une référence. Édité pour la première fois en 1906[35], il compta six éditions de son vivant dont la dernière parut en 1943[36]. Citons également, toujours dans la sphère médico-légale, la parution en 1934[37] de son précis de police scientifique à l’usage…. des juristes non spécialistes de médecine.

Balthazard Victor, Précis de médecine légale ; Paris, Baillière et fils ; 1906 ;
1ère éd. (collection personnelle Touzeil-Divina ©)

Parallèlement, le professeur participa à (ou dirigea) des ouvrages plus généraux et plus « classiques » d’art médical à l’instar de ses chapitres au précis (qui fut davantage un traité) de pathologie interne[38] qu’il anima aux côtés du professeur Henri Verger. En 1930, succédant au professeur Georges Henri Roger, doyen de la Faculté de médecine depuis 1917, Balthazard accéda au décanat et s’engagea (on y reviendra) en faveur de la réorganisation de syndicats organisés et fédérés médicaux puis d’un véritable « ordre » professionnel des médecins. C’est à ce titre décanal que la jeune revue Art et médecine dont il accompagna l’initiative (et que dirigea le docteur François Debat) lui réserva un « portrait » ainsi qu’une entrevue aux débuts de son premier numéro. Ici encore, les liens entre médecine et droit triomphaient en cette dernière phrase de l’auteur du portrait[39] :

« Le scalpel d’un Maître de la médecine légale, c’est un peu le glaive de la Loi ».

Portrait du doyen Balthazard par Bilis in Art et médecine ; 1930, n°1 ; p. 7
(collection personnelle Touzeil-Divina ©).

Académie & ordre des médecins. C’est dès 1919, lorsque Balthazard devient (enfin) professeur titulaire, que la prestigieuse Académie de médecine l’intègre en son sein.

Il y prend une part active et s’avère très impliqué et intéressé par les questions de déontologie et de discipline professionnelles. Il participa en ce sens à des groupes de travail et rédige même, dès 1922, une préface[40] aux Prolégomènes à une déontologie médico-sociale du docteur Cibrié avec lequel il collabore à plusieurs reprises, généralement aux côtés du préc. (et ami) Maître Moro-Giafferi. Comme le relève par exemple le docteur Pouillard[41], ancien vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins,

« le 9 avril 1929, l’Académie de Médecine, saisie de l’opportunité d’un Ordre des Médecins par les ministres de l’époque, adoptait le vœu du Pr. Victor Balthazard demandant au gouvernement que : « soit soumise aussi rapidement que possible au vote du Parlement la création de l’Ordre des Médecins qui contribuerait à conserver à la pratique médicale son caractère de profession libérale, indispensable à l’intérêt des malades…, seule, une profession obligatoirement organisée peut être la fidèle gardienne de la moralité…. et que soit donné régulièrement dans toutes les facultés un enseignement de déontologie, obligatoire pour les étudiants de 1ère et 2e année », vœu d’ailleurs confirmé le 11 juin 1929….

« Il apparaît nécessaire, poursuit le Pr Balthazard, de compléter la création d’un Ordre des Médecins qui englobera tous les médecins et qui sera pourvu de sanctions suffisantes pour imposer à ceux qui auraient tendance à les méconnaître, les règles déontologiques. Nous avons la conviction que M. Loucheur saura prendre les initiatives nécessaires devant le Parlement, la présente communication ayant pour but de lui apporter l’approbation de l’Académie de Médecine, gardienne des traditions d’honneur du Corps médical français. L’Ordre des médecins sera au point de vue moral, l’ampliation du Syndicalisme médical ».

En 1932[42], Balthazard appartient depuis plusieurs années déjà à la Fédération des syndicats médicaux préfigurant le futur « ordre professionnel ». De 1928 à 1930, il est même le président d’honneur de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) ce qui lui valut la frappe d’une médaille à son nom sous la composition de la sculptrice Anie Mouroux (1930) (cf. infra). Rappelons à ce sujet que si pour d’aucuns l’histoire d’un Ordre des médecins paraîtrait récente (parce que sa création officielle ne daterait « que » de l’après Seconde guerre mondiale dans sa version contemporaine et républicaine), la demande – par les médecins eux-mêmes organisés en corporations puis en syndicats – remonte a minima au premier[43] Congrès médical de France du 1er novembre 1845. En effet, avant même que ne soit permise la réorganisation des professions en syndicats, les médecins se sont organisés en associations professionnelles demandant, dès le milieu du 19e siècle des gages d’indépendance. Par suite, lorsque les syndicats furent à nouveau autorisés par la grande Loi dite Waldeck-Rousseau, c’est dès le mois de juillet 1884 que les médecins proposèrent la création d’une Union des syndicats médicaux cherchant à promouvoir une forme d’autorégulation du corps et de la profession et militant pendant près d’un siècle pour la constitution d’un véritable corps ordinal.

Ce dernier fut revendiqué au moyen de nombreuses propositions de Loi portées par des députés (généralement médecins !). Le nom de Balthazard doit alors être associé à cette histoire[44] parce que c’est lui, aux côtés de son ami le professeur Paul Cibrié, qui insuffla la création de la précitée Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) qui fut chargée – avant la Seconde guerre mondiale – d’un travail (notamment auprès des parlementaires) de lobbying actif et de représentation sinon de communication de la profession médicale réunie. On le retrouve ainsi en 1929[45] présentant autour de collègues sa vision de la morale professionnelle médicale devant le Comité national d’études sociales et politiques. C’est aussi à ce titre que 1935 parut, à l’initiative de deux amis proches de Balthazard et avec le soutien des laboratoires pharmaceutiques Midy qui en assurèrent la diffusion nationale entre des dizaines de publicités pour leurs produits (en toute indépendance donc !?), un ouvrage intitulé : L’ordre des médecins (bien avant sa création officielle donc). L’ouvrage du médecin Paul Cibrié et de l’avocat Moro-Giafferi[46], ancien membre du Conseil de l’Ordre des avocats, était alors un plaidoyer efficace et énergique pour l’érection du futur Conseil ordinal.

On le sait, c’est par suite la législation de l’État français, sous le régime dit de Vichy, qui va transformer l’essai républicain en Ordre reconnu et formellement doté de la personnalité morale[47] des médecins par la Loi du 7 octobre 1940[48]. Partant (et on y reviendra in fine) le patronyme de Balthazard va également être associé à cette période et aux actions ordinales collaborationnistes.

Le doyen Balthazard fut ainsi le premier Président du Conseil de l’Ordre des Médecins de la Seine.

Médaille de bronze « Balthazard » par Anis Mouroux (1930)
(collection personnelle Touzeil-Divina ©).

Balthazard,
derrière la « glace »
juridique d’un Bertillon

Dans la plupart des affaires, où, à partir de 1905, Balthazard sera consulté comme expert, il travaillera souvent en binôme (comme dans l’affaire Steinhell précitée) avec le père non des « glaces » parisiennes (Berthillon) mais du système anthropométrique, Alphonse Bertillon[49], au cœur du premier laboratoire de police d’identification criminelle. Cette collaboration fructueuse lui apportera une notoriété exceptionnelle et médiatique dont témoignent plusieurs caricatures le représentant à l’instar de celle[50] parue en 1923 dans le magazine Chanteclair. On y reconnaît et y aperçoit alors son précis (de couleur rouge et déjà célèbre) de médecine légale ainsi que la mention d’affaires en cours et surtout la représentation du « service de l’identité judiciaire » qu’il tient entre ses mains comme si rien ne pouvait par suite lui échapper et qu’il jouait avec les criminels qu’il identifiait grâce à la science au service du Droit et de la Justice. Matériellement, du reste, Balthazard fut effectivement à la tête dudit service de l’identité judiciaire (à la Préfecture de la Seine) en 1920 après Bertillon.

Chanteau Alphonse, « Docteur Balthazard » in Chanteclair ; 1923 ; n°182 
(collection personnelle Touzeil-Divina ©)

C’est aussi à ce titre d’expert médico-légal que l’extraordinaire dessinateur Adrien Barrère[51] le croqua parmi les plus célèbres professeurs contemporains de la Faculté parisienne de médecine, dans un « tube à essai » comme si c’était lui l’objet de l’analyse et de la dissection (un revolver à la main, objet sur lequel il avait beaucoup travaillé au titre de la balistique (cf. infra)). On le voit ainsi ici dans une version colorisée et lithographiée de l’œuvre de Barrère aux côtés du docteur Marcel Labbé, l’un des premiers spécialistes du diabète.

Barrère Adrien, « La Faculté de médecine en bocal ; les médecins » (extraits) ; reproduction d’une lithographie datée de 1927 et insérée au Supplément illustré du Progrès médical ; 1927 
(collection personnelle Touzeil-Divina ©)

À plusieurs reprises, de même, Balthazard, dès 1905, travailla l’interdisciplinarité du droit et de la médecine comme en atteste par exemple ses travaux sur la docimasie pulmonaire co-écrits avec un juriste, Louis Lebrun. On écrit alors même de lui[52] qu’il aurait « l’oreille des juges » !

Parmi les études et les apports de Balthazard en la matière, on signale ses travaux sur les empreintes digitales[53] (qui veulent démontrer l’importance mathématique des probabilités dans l’exposé de plusieurs empreintes litigieuses) ou encore celles relatives aux poils[54] (de l’homme et des animaux), aux avortements criminels[55], aux tâches, aux projectiles[56] et autres éclaboussures de sang[57]. Ses travaux sont alors si empreints de meurtres et de cadavres, que la presse le représente en 1910[58] comme un amateur de « viandes froides » et autres jeux de mots morbides issus d’un « garage des autopsies » entre « abats d’écrasés » et « tripes à la morgue » !

Marin Emile, « Le festin de Balthazard » in L’album du rictus ; 1910 
(collection personnelle Touzeil-Divina ©)

Un « père » de la « balistique » moderne. Parmi les titres et actions reconnus à Balthazard plusieurs historiens de la criminologie[59] retiennent encore aujourd’hui son action particulière dans « l’avènement de la balistique moderne ». Citons en ce sens les travaux éclairants de M. Marion[60] :

« Deux articles publiés en 1913 dans les « Archives d’Anthropologie Criminelle de Médecine légale et de Psychologie Normale et Pathologique », vont [effectivement faire de Balthazard] (…) le père de la balistique moderne.

Dans le premier intitulé « Identification de projectiles d’arme à feu », Balthazard démontre que lors de la fabrication des canons des armes à feu, les machines-outils utilisées laissent des microtraces sur l’intérieur de ceux-ci, différentes sur chaque arme.

En effet, le tranchant de l’outil, frottant sur de l’acier, s’use à chaque emploi. Il est donc nécessaire de l’affûter souvent, ce qui introduit sur son fil des défauts particuliers qui se gravent dans le canon de chaque arme. Chacune d’entre-elles peut ainsi être caractérisée par les rayures de son canon. La comparaison de ces stigmates de tir se fait généralement à l’aide d’agrandissements photographiques. 

Ces résultats ont déjà donné des résultats probants devant les tribunaux, comme en 1911, dans l’affaire du meurtre de Charles Guillotin. Victor Balthazard, en collaboration avec M. Villedieu, armurier à Tours examine les balles retrouvées dans la cave de Houssard, l’assassin présumé. Après les avoir décapées à l’acide nitrique pour faire disparaître les traces d’oxydation, lavées à grande eau, séchées et photographiées, il met en évidence sur le pourtour de ces balles, quatre-vingt-cinq particularités (des micro-rayures) communes avec celles issues de l’autopsie.

Pour les experts, l’arme de Houssard est bien celle qui a été utilisée pour tuer Charles Guillotin. En 1922, Balthazard améliore encore son système de comparaison en réalisant une empreinte des projectiles dans des feuilles d’étain, ce qui rend la comparaison plus aisée. 

Dans le second article « Identification des douilles de pistolets automatiques », il explique que dans les pistolets automatiques, la douille de la munition tirée est ensuite éjectée automatiquement au-dehors, tandis qu’une munition neuve est replacée en position de tir. Tous ces mouvements s’accomplissent avec une grande force, laissant des empreintes sur le cuivre, un métal assez mou, de la douille.

Balthazard démontre que le percuteur, le butoir de culasse, l’extracteur et l’éjecteur laissent des traces sur cet étui percuté qui sont caractéristiques de l’arme utilisée. Sa conclusion ne laisse aucun doute :

« Nous sommes donc en possession d’une méthode d’identification des douilles, qui par la précision et le nombre des similitudes invoquées ne laisse aucune place au doute et permet de dire si oui ou non une douille provient d’un pistolet automatique déterminé » ».

D’une postérité télévisée
à la déchéance morale ?

On comprend conséquemment pourquoi le nom de Balthazard a pu conquérir la postérité médico-légale en adossant son patronyme à au moins trois éléments encore utilisés de façon contemporaine :

  • la règle précitée en introduction (en matière de calcul des invalidités préexistantes) ;
  • la « formule » dite de Balthazard et Dervieux[61] selon laquelle[62] : « en anatomo-pathologie ou en médecine légale » on peut « évaluer l’âge et la taille d’un fœtus » comme suit : « âge (jours) = taille (cm) x 5,6 ; taille (cm) = longueur de l’humérus ou du tibia x 6,5 + 8 ».

Si l’on sonde la 1ère édition du précis préc. de médecine légale (1906), on s’aperçoit alors que les recherches menées par Balthazard sur ces deux futures « règles » qui porteront son nom sont présentes. L’homme fut en effet – de façon classique dans l’imaginaire collectif dira-t-on – directement impliqué dans des travaux médico-légaux cherchant à faire éclater les preuves scientifiques d’un assassinat par asphyxie comme par pendaison[63], par empoisonnement ou intoxication[64] ou encore par l’examen des taches de sang[65]. Il porta alors non seulement un intérêt – dès 1906 – aux situations des fœtus[66] et des infanticides mais encore (ce qui est bien plus rare dans la littérature de l’époque) aux traumatismes présents sur des corps de personnes vivantes à travers des études (directement inspirées de sa collaboration avec Bertillon) sur les empreintes digitales et les poils[67], les coups et les incapacités conséquentes[68], les taches de sperme[69] (après viol notamment) ou de matières fécales[70] et consacra de longs développements souvent très moraux sur ses considérations en matière d’avortement[71], d’attentat à la pudeur[72] et de pédérastie[73].

Cela dit, au-delà des sphères historiennes et académiques, c’est véritablement en 2018 que le patronyme de Balthazard (mais ici encore amputé de son « d » final à l’instar d’un roi-mage sans Galilée) va connaître une consécration médiatique puisqu’une série policière télévisée (franco-belge) va très directement l’honorer en offrant à son acteur principal (Tomer Sisley) le rôle-titre et éponyme de « Balthazar », un médecin légiste. À ce jour, le personnage de fiction(s) Raphaël Balthazar a ainsi prêté son nom à quatre saisons télévisées ayant rencontré un véritable succès médiatique.

Les incarnations des personnages de fiction
du Capitaine Bach (Hélène de Fougerolles) & du Dr Raphaël Balthazar (Tomer Sisley)
en présentation de la 2e saison (Tf1 © / 2019)
de la série télévisée Balthazar
(création Clothilde Jamin & Clélia Constantine).

On sait également de l’homme ici étudié qu’il habita notamment à Paris, 6, place saint-Michel (près de la Faculté de médecine) et que[74] « pendant la guerre de 1914-1918, il fut successivement capitaine d’artillerie à pied, chef d’escadron, commandant de groupe » et qu’il en reçut des récompenses et médailles[75] dont celles de Chevalier de la Légion d’honneur, croix de guerre avec palme (le 27 avril 1915). Il a par ailleurs été cité « à l’Ordre de la 2ème Armée (4 juillet 1915) » lorsque « le capitaine de territoriale Balthazard, commandant la 4e batterie bis du groupe de 155 court 1912, du 2e régiment à pied » fut décrit comme un « excellent officier, d’un courage, d’un sang-froid et d’une habileté des plus remarquables » ayant « pris part à de nombreuses affaires et notamment aux combats du 7 au 13 juin au sud d’Hébuterne ». On sait aussi qu’il a commandé « pendant les opérations d’avril-mai 1917 un important groupe d’artillerie lourde et en a obtenu le meilleur rendement, grâce à ses qualités de commandement, à l’emploi judicieux des moyens mis à sa disposition et à son inlassable activité ».

On relève alors (ce qui n’étonne plus quant à son expertise en balistique) qu’il fut un « remarquable artilleur, connaissant à fond la technique de l’arme et sachant l’appliquer avec une expérience consommée ». Après la guerre, il fut élevé Officier de la Légion d’honneur le 16 juin 1920.

S’agissant de sa vie privée, on sait aussi qu’il convola en doubles noces : d’abord le 30 août 1910 avec Marie (Blanche) Petit avec laquelle il eut au moins une fille (Germaine (1897-1994)), hors mariage et alors qu’il était étudiant, et qu’il n’épousa qu’en 1910 pour demeurer (dans le cinquième arrondissement parisien) à ses côtés jusqu’à leur divorce[76].

Alors, le 31 janvier 1921[77], Victor épousa Marcelle (Marie Agathe) Lambert dont il avait préfacé en 1910, l’année de son premier mariage, les travaux de doctorat en médecine (cf. supra).

Signature (11 octobre 1932) du doyen Victor Balthazard
(collection personnelle Touzeil-Divina ©).

Tous les éléments précédents militent donc en faveur de la célébration et de l’hommage envers Victor Balthazard, ce « roi-mage » de la science entre médecine et droit. Pourtant, si l’on sait que l’homme a été décoré notamment de la légion d’honneur, il nous a été impossible d’en retrouver la trace au sein du célèbre fichier « Léonore[78] » des légionnaires concernés. Deux explications peuvent alors en être tirées : soit (ce qui est très probable), son nom ne figure pas car l’attribution de ses médailles s’est faite hors dossier classique, à la suite de la « Grande guerre », comme pour de nombreux militaires (notamment par la Commission Fayolle) à la suite d’une procédure accélérée sans dossier (sic)… soit on peut en déduire qu’il ne s’agit pas d’un oubli mais bien davantage d’un retrait (mais sans certitude, on porte donc ce questionnement au conditionnel).

Pourquoi, cela dit, cette hypothèse nous est-elle suggérée ?

Malheureusement parce que Balthazard s’est compromis pendant (et même avant) la Seconde guerre mondiale par des propos et un militantisme commun aux tristes années 1930[79]. Rappelons en effet que s’il intégra en 1919 (année de son accession au titulariat d’une chaire professorale) l’Académie nationale de médecine en en devenant membre de sa section d’hygiène publique, c’est en 1943 qu’il en deviendra le Président ce que ladite institution mineure d’ailleurs dans tous ses documents contemporains comme si elle n’avait pas tenu de séances entre 1939 et 1945. Or, on ne devenait évidemment pas Président d’un tel organisme en 1943 sans complaisance particulière, soutien ou adhésion au moins partielle au régime et aux doctrines de Vichy. À ce titre, plusieurs publications font état de présence sinon de direction de Balthazard à la tête de soutenances de thèses ou d’écrits xénophobes et/ou antisémites. Il faut lire à ce sujet les travaux de Bénédicte Vergez-Chaignon[80] qui relève la présence ou complaisance de Balthazard aux thèses suivantes :

« De l’étude et de l’exercice de la médecine en France par les étrangers (1934) ;

De l’envahissement du corps médical par certains éléments nés en Pologne et Roumanie (travail fait avec le concours du syndicat des médecins de la Seine et de la Confédération des syndicats médicaux français)

ou Aspect médical et social du problème des étrangers en France, toutes deux en 1939.

Sous ce dernier titre, 20 % des pages sont consacrés à la pléthore médicale, avec des listes de 120 noms de médecins nés à l’étranger. « En étudiant ces divers noms à consonance bizarre, nous remarquons que nous nous trouvons en présence de gens faisant partie des minorités ethniques d’Europe centrale ou orientale » ».

Manifestement proche de l’Action française, Balthazard était « félicité » en 1935 par le journal des étudiants de ce mouvement[81] pour avoir déclaré :

« il y a deux catégories d’étrangers : ceux qui veulent nos titres pour s’en servir chez eux, puis ceux qui veulent nos titres pour se faire ensuite naturaliser en tournant la loi militaire. Je demande qu’un naturalisé ne puisse exercer la médecine en France que dix ans après sa naturalisation ». Le journal d’ajouter : « Voilà qui est bien parlé et qui fait la distinction entre l’étranger et le métèque. L’étudiant étranger retourne dans son pays et sert le prestige de la France ; le métèque reste chez nous et prend la place du français ».

Il ne s’agit pas, certes, de propos aussi nauséabonds et directement antisémites notamment que ceux d’un Fernand Querrioux[82] (qui cite, cela dit, Balthazard[83]) mais ces mots de Balthazard sont bien révélateurs des années 1930 et expliquent peut-être quelques actions (dont nous n’avons pourtant pas encore de traces en l’état de nos recherches) pendant le régime de Vichy et pouvant peut-être expliquer son relatif « oubli » conséquent.

Il est en revanche manifeste et avéré que Balthazard rédigea avec d’autres médecins un rapport intitulé[84] « la pléthore médicale » « adressé au recteur » et « le mettant en garde contre le risque que représente l’inscription des étudiants roumains le plus souvent juifs, en faculté de médecine ». De manière encore plus explicite, Bruno Halioua[85] relevait que « le Pr. René Leriche, premier président de l’Ordre (1940-1942), qui dit avoir accepté cette charge « à reculons » pour éviter à ses confrères de rentrer « dans la discipline de la médecine allemande » » avait, après la Libération « été élu président de l’Académie de chirurgie en 1954 » et que, « Victor Balthazard, doyen de la faculté de médecine de Paris, « chantre de la xénophobie médicale d’avant-guerre » et président du conseil de l’Ordre de la Seine en 1943 » avait été « nommé membre émérite de l’Académie de médecine en 1949  et commandeur de la Légion d’honneur en 1950 ». Comme si la génération des années 1950 n’avait pas osé les condamner mais seulement, après 1960, essayé de les faire oublier.

Il y a encore beaucoup à rechercher, à analyser et à écrire sur ces périodes et sur l’implication de l’Université, des juristes et des médecins sous Vichy. Quoi qu’il en soit, Victor Balthazard décéda le 24 décembre 1950 à Ciboure[86] dans sa propriété dite de Bordagain (Basses-Pyrénées devenues Pyrénées-Atlantiques) et sa sépulture se trouve dans cette dernière commune.

Carte postale éditée (circa 1930) par les laboratoires pharmaceutiques Chantereau
pour diffuser le portrait des « maîtres de la médecine »
dont celui du professeur Balthazard (collection personnelle Touzeil-Divina ©).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Touzeil-Divina Mathieu, « Un roi-mage de la médecine légale : Balthazard »
in Journal du Droit Administratif (JDA), avril 2022 ; Art. 413.


[1] Dictionnaire (en ligne) de l’Académie nationale de médecine (édition 2017) :
http://dictionnaire.academie-medecine.fr/

[2] Cf. CAA de Bordeaux, 3 février 2022, C. (req. 19BX01860) avec nos obs. in Jcp A 2022 ; act. 139 : « la règle de Balthazard (d’indemnisation d’invalidités successives d’un fonctionnaire) ne serait pas un principe général du droit ».

[3] Étudiante en 1ère année du Master Droit de la Santé de l’Université Toulouse 1 Capitole ; cf. : « la règle de Balthazar (sic) n’est pas un principe général du Droit » au sein du même dossier que le présent article et, comme de nombreux auteurs, amputant le « d » de Balthazard.

[4] On reprend ici nos obs. préc. au Jcp A.

[5] Décret n°2005-442 du 2 mai 2005 « relatif à l’attribution de l’allocation temporaire d’invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ».

[6] Aballea Pierre & Marie Etienne, L’évaluation de l’état d’invalidité en France : réaffirmer les concepts, homogénéiser les pratiques et refondre le pilotage du risque ; rapport de l’Igas ; 2012 ; RM2012-059P ; Tome I ; p. 173 et s.

[7] Ibidem.

[8] On reprend ici nos obs. préc. au Jcp A.

[9] On rappellera aux lecteurs non férus de culture biblique que les trois « rois-mages » de l’épiphanie sont en effet les Rois Melchior, Gaspard et Balthazar ; le dernier s’écrivant, dans la traduction du Nouveau Testament (évangile selon saint Matthieu), sans « d » final (à la différence du professeur de médecine ici honoré). Balthazar est alors surnommé le « roi noir » à la barbe drue et c’est lui qui offre en reconnaissance de la myrrhe à l’enfant Jésus. On notera que dans de nombreux écrits contemporains, la « règle de Balthazard » est souvent amputée de son « d » final et ce, sûrement par habitude d’écrire « Balthazar » comme le Roi mythique précité.

[10] Recherche(s) de l’auteur en cours. Sur Balthazard, on consultera l’un des rares écrits disponibles mais difficilement accessible : Oliveres-Ghouti Catherine, Victor Balthazard, médecine légale et police scientifique 1872-1950 ; thèse de doctorat en médecine ; Paris, Société Parisienne d’imprimerie ; 1974.

[11] Acte de naissance aux archives départementales de Paris ; registre des naissances du 11e arrondissement de Paris (1872) ; ses parents se prénomment Victor (né en 1850 à Voiron) et Henriette Eugénie (1845-1920).

[12] Il est d’ailleurs souvent présenté comme étant un ancien élève de Chaptal (cf. notice nécrologique in L’aube du 26 décembre 1950).

[13] C’est à ce titre que le recense par exemple l’Association Amicale des Anciens Internes en Médecine des Hôpitaux de Paris (Aaihp) : https://www.aaihp.fr/AIHP.php?Lettre=B.

[14] Balthazard Victor, Toxine et antitoxine typhiques ; Paris, Baillière & fils ; 1903.

[15] Balthazard Victor, Titres et travaux scientifiques ; Poitiers ; Roy ; 1904.

[16] Qu’il est l’un des premiers à pratiquer « au bismuth » s’agissant d’une radioscopie gastrique selon Paris médical ; la semaine du clinicien ; 1930, n° 78, p. IV (avec un portrait de l’auteur).

[17] Raison pour laquelle il fait paraître la publication précitée attestant de ses qualités académiques.

[18] Cf. Argus du 28 février 1932.

[19] Voyez en ce sens Le petit parisien du 22 décembre 1934.

[20] Cour d’assises de la Seine, 4 février 1909 ; à son sujet : « L’assassinat de la rue de la Pépinière » in L’œil de la police ; 1909 ; n°29.

[21] Il ne s’agit pas de la première « affaire » Meg (pour Marguerite) Steinhell, au moment de la mort du Président Félix Faure (dont elle aurait été l’amante et donnant lieu à l’un des jeux de mots les plus connus du droit constitutionnel), mais de la mort de sa mère et de son époux le 31 mai 1908.

[22] Balthazard Victor, « Identification d’une empreinte d’une main ensanglantée » ; au bulletin de l’Académie des sciences ; séance du 30 novembre 1908.

[23] Voyez en ce sens Le quotidien du 22 décembre 1934 et sur « l’affaire » : Goyard Claude, « Un aspect de la police politique sous la Troisième République : l’enquête et le rôle de la Sûreté générale dans l’affaire Stavisky » in L’État et sa police en France, 1789-1914 ; Genève, Droz ; 1979 ; p. 177 et s.

[24] Comme dans le Matin du 27 février 1923 ou dans l’Homme libre du 02 mars 1923.

[25] Il en est ainsi de l’illustré médical ; n°4 ; 1923.

[26] L’Homme libre du 25 mai 1923.

[27] On se permettra à cet égard de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, « La réinvention napoléonienne des costumes juridiques » in Napoléon et le Droit ; Paris, Cnrs ; 2017 ; p. 169 et s.

[28] Contribution à l’ouvrage anniversaire des 40 ans de l’association française de droit de la santé (Afds) publié en septembre 2022 sous la direction du professeur Isabelle Poirot-Mazères.

[29] Lechopié Alfred & Floquet Charles, Droit médical ou Code des médecins (docteurs, officiers de santé, sage-femmes, pharmaciens, vétérinaires, étudiants, etc) ; au courant de la doctrine et de la jurisprudence (…) ; Paris, Doin, Marchal & Billard ; 1890.

[30] Balthazard Victor, « Introduction » in Droit médical : exercice de la médecine, responsabilité, expertises, organisation sanitaire publique, accidents du travail et assurances sociales. Exposé, textes, formules, par Paul Appleton & Marcel Salama ; Paris, Monde médical ; 1931.

[31] Balthazard Victor, « Préface » in Le Secret professionnel médical. Étude juridique par Me de Moro-Giafferri & étude professionnelle par le docteur Paul Cibrie ; Paris, Laboratoires Midy ; 1934.

[32] Balthazard Victor, « Préface » in La Réparation des maladies professionnelles. Étude théorique et critique ; Paris, Lavergne ; 1927.

[33] Balthazard Victor, « Préface » in Le secret médical. Son caractère juridique ; Paris, Doin ; 1933.

[34] Balthazard Victor, « Préface » in La Responsabilité médicale, origines, fondement et limites ; Paris, Baillière et fils ; 1947.

[35] Balthazard Victor, Précis de médecine légale ; Paris, Baillière et fils ; 1906 ; 1ère éd.

[36] Balthazard Victor, Précis de médecine légale ; Paris, Baillière et fils ; 1943 ; 6ème éd.

[37] Balthazard Victor, Précis de police scientifique, à l’usage des magistrats, officiers de police judiciaire, médecins légistes, inspecteurs de la sûreté, gardiens de prisons médecine légale ; Paris, Baillière et fils ; 1934.

[38] Balthazard Victor & Verger Henri (dir.), Précis de pathologie interne ; Paris, Steinheil ; 1906.

[39] Laromiguière René (de), « La Faculté de médecine et son nouveau doyen » in Art et médecine ; 1930, n°1 ; p. 8.

[40] Balthazard Victor, « Préface » in Prolégomènes à une déontologie médico-sociale ; Paris, Alcan ; 1922.

[41] Pouillard Jean, « Un peu d’histoire » ; contribution à la Société Française d’Histoire de la Médecine lors de la séance du 15 mai 2004 ; en ligne sur le site du conseil réunionnais de l’ordre des médecins :

https://conseil974.ordre.medecin.fr/content/peu-dhistoire-0.

[42] Il est photographié en ce sens le 26 décembre 1931 lors de l’inauguration de l’hôtel particulier accueillant à Paris ladite fédération ainsi que le relève La Presse médicale ; 16 janvier 1932 ; n°5.

[43] A son sujet : Matysiak Michel, Contentieux du contrôle technique à l’encontre des professionnels de santé ; Bordeaux, Leh ; 2018 ; p. 60 et s.

[44] Cf. Hassenteufel Patrick, « Syndicalisme et médecine libérale : le poids de l’histoire » in Les Tribunes de la santé ; 2008 ; n° 18 ; p. 21 et s.

[45] Balthazard Victor & alii., «Organisation de la morale professionnelle dans les milieux médicaux ; fascicule n°407 du 25 novembre 1929 ; Paris, Comité national d’études sociales et politiques.

[46] Cibrié Paul, L’ordre des médecins avec une préface de Me de Moro-Giafferri ; Paris, Laboratoires Midy ; 1935.

[47] On lira à ce sujet : Reynaud Jacques, L’ordre des médecins ; Lyon, Salut public ; 1943.

[48] Loi du 7 octobre 1940 « instituant l’ordre des médecins » in Jo du 26 octobre 1940 ; p. 5430 et s.

[49] Il faut lire, sur l’homme, les très éclairants travaux de Pierre Piazza notamment sur l’exceptionnel site :

https://criminocorpus.org/fr/criminocorpus/auteurs/piazza/.

[50] Chanteau Alphonse, « Docteur Balthazard » in Chanteclair ; 1923 ; n°182 ; p. 6.

[51] Barrère Adrien, « La Faculté de médecine en bocal ; les médecins » ‘extraits) ; reproduction d’une lithographie datée de 1927 et insérée au Supplément illustré du Progrès médical ; 1927 ; p. 48.

[52] L’album du rictus ; 1910 ; Tome III ; p. 70.

[53] Dont Balthazard Victor, « De la certitude dans l’identification par les empreintes digitales » in Bulletin de la Société de Médecine légale ; 1911, tome 8 ; p. 106 et s.

[54] Dont il tirera même un ouvrage aux côtés de l’une des pionnières féminines de la médecine légale (sur laquelle on reviendra ci-après), la docteur Marcelle Lambert : Balthazard Victor, Le poil de l’homme et des animaux. Applications aux expertises médico-légales et aux expertises des fourrures ; Paris, Steinheil ; 1910.

[55] Balthazard Victor, Une plaie sociale. Les avortements criminels ; Paris, Maloine ; 1912.

[56] Balthazard Victor, « Identification de projectiles d’armes à feu » in Archives de l’anthropologie criminelle ; 1913 ; tome 28 ; p. 421 et s.

[57] Citons ainsi sa participation à l’étude collective : Étude des gouttes de sang projeté ; rapport présenté au XXIIe Congrès de médecine légale de langue française [Paris, 5, 6, 7 juin 1939] ; Paris, Baillière et fils ; 1939.

[58] MarinEmile, « Le festin de Balthazard » in L’album du rictus ; 1910 ; Tome III ; p. 71.

[59] Voyez ainsi les éléments qu’y consacre Philippe Marion sur le site :

[60] Ibidem.

[61] À propos d’Henri Dervieux, médecin ayant collaboré avec Balthazard notamment sur le fœtus, voyez l’étude des deux médecins, « Étude anthropologique sur le fœtus humain » aux Annales de médecine légale ; 1921 ; n°1 ; p. 17 et s.

[62] Selon le Dictionnaire préc. de l’Académie nationale de médecine (édition 2017).

[63] Balthazard Victor, Précis de médecine légale ; Paris, Baillière et fils ; 1906 ; 1ère éd. ; p. 148 et s.

[64] Qui forme l’objet de la première partie de son précis ; op. cit. ; p. 5 à 118.

[65] Op. cit ; p. 317 et s.

[66] Objet – global – de la quatrième partie du précis ; p. 284 et s.

[67] Op. cit ; p. 342 et s.

[68] Objet principal de la troisième partie de l’ouvrage et à partir de laquelle il suggérera ra sa désormais célèbre « règle » en matière d’incapacités ; op. cit ; p. 191 et s.

[69] Op. cit ; p. 329.

[70] Op. cit ; p. 330 et s.

[71] Il y consacre la deuxième section de sa quatrième partie; p. 284 et s.

[72] Op. cit ; p. 261 et s.

[73] Op. cit ; p. 264 et s. Sa classification sur les pédérastes habituelles, actifs et passifs avec démonstration de signes « évidents » ou rejetés mérite la lecture pour se rendre compte des présupposés non scientifiques de l’auteur.

[74] Lesné Edmond, « notice » in Bulletin de l’Académie nationale de médecine ; 1951, tome 135- ; p. 2.

[75] Il est cité en ce sens dans l’Annuaire de l’Armée Française pour l’année 1914 aux « faits de service » du 32e régiment d’artillerie de l’armée de terre ainsi que dans l’ouvrage Les Chaptaliens à la guerre ; Paris, Collège Chaptal ; 1924.

[76] Prononcé le 16 février 1920 par un jugement du Tribunal civil de la Seine.

[77] La même année, son père, également prénommé Victor épousa, le 4 novembre 1921, une dénommée Marguerite Niel, à Nice (cf. L’Avenir ; 9 novembre 1921) quelques semaines après le décès de sa première épouse, mère du professeur Balthazard.

[78] Https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Bases-de-donnees/Fiches-bases-de-donnees/Leonore-l-index-des-titulaires-de-l-Ordre-de-la-Legion-d-Honneur.

[79] À leur propos (et questionnant le « retour » d’idées propres à ces années), nous coordonnons avec notre collègue le Dr. Clément Benelbaz, une série de recherche(s) en cours :

cf. http://unitedudroit.org/les-politiques-les-droits/.

[80] Vergez-Chaignon Bénédicte, « Les milieux médicaux et l’Action française » in L’Action française : culture, société, politique ; Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion ; 2008, p. 113 et s.

[81] L’Étudiant français ; 25 février 1935.

[82] Querrioux Fernand, La médecine et les Juifs selon les documents officiels ; Paris, Les Nouvelles éditions françaises ; 1940.

[83] Op. cit. ; et ce, à plusieurs reprises comme aux pages 15 ; 20 et 35 et s. de son essai préc.

[84] A son sujet : Halioua Bruno, Blouses blanches, étoiles jaunes : l’exclusion des médecins juifs en France sous l’Occupation ; Paris, Liana Levi ; 2000 ; p. 30 ; cité par Fabrice Noyer dans sa thèse de doctorat en médecine : Du syndicalisme médical de l’entre-deux guerres à la naissance de l’Association Médicale Mondiale : Vie et œuvre du docteur Paul Cibrié ; Université de Strasbourg ; 2016.

[85] Op. cit. et citation par : Marques Aveline, « « Né sous Vichy » : quand le sombre passé de l’Ordre des médecins resurgit » in Egora.fr ; article en ligne du 9 juillet 2021.

[86] Comme l’annonce Paris-Presse L’intransigeant du 26 décembre suivant à ses lecteurs. On sait par ailleurs que son collègue, le professeur Piedelièvre prononça son éloge funèbre (publiée au Bulletin préc. de l’Académie nationale de médecine le 24 avril 1951).

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ParJournal du Droit Adminisitratif

Elle est née la Divine Cour !

Art. 414.

nb : photo d’illustration (capture écran) issue du site de la Cour (c) :

http://toulouse.cour-administrative-appel.fr/

par M. Adrien Pech
ATER à l’Université Toulouse 1 Capitole
IRDEIC

La dernière-née du droit administratif est la Cour administrative d’appel de Toulouse. Elle est la neuvième Cour administrative d’appel française et succède aux premières Cours instituées en 1989[1], 1997[2], 1999[3] et 2004[4]. Depuis plus de 18 ans, l’organisation juridictionnelle de l’ordre administratif français n’avait pas connu si grand chambardement. Le projet de création de cette juridiction remonte à la prise de fonction du vice-président Bruno Lasserre où il a trouvé un soutien en la personne de la garde des sceaux de l’époque, Nicole Belloubet[5], qui a donné un accord de principe à la création de cette nouvelle juridiction le 29 octobre 2018[6]. Au seuil de sa mise à la retraite[7], Bruno Lasserre s’est rendu à Toulouse, accompagné du premier ministre, Jean Castex et du garde des sceaux, Éric Dupont-Moretti, afin d’inaugurer, le 16 décembre 2021 cette nouvelle juridiction. Malgré la crise sanitaire et les contestations de la ville de Montpellier[8], le 1er janvier 2022[9] marque la naissance de cette juridiction attendue par les magistrats[10], les avocats et les justiciables[11]. Elle permettra d’une part de mieux répartir la justice administrative sur le territoire et d’autre part de décharger les cours administratives de Marseille et de Bordeaux[12]. La création de cette nouvelle juridiction passe par l’adoption de mesures transitoires (I) et par une organisation interne progressive (II).

  1. Les mesures transitoires

Juridiquement, la cour administrative d’appel de Toulouse est compétente ratione temporis pour connaître des requêtes qui, relevant de sa compétence territoriale[13], sont enregistrées à compter du 1er mars 2022. Néanmoins, trois séries de mesures transitoires sont prévues afin d’articuler la compétence des Cours administratives d’appel de Bordeaux et Marseille et celle de Toulouse.

  • Les requêtes

Le décret prévoit un mécanisme transitoire pour les requêtes relevant de la compétence ratione loci de la Cour administrative d’appel de Toulouse enregistrées au greffe de la cour administrative d’appel de Bordeaux ou de Marseille à compter du 1er mai 2021 et qui n’ont pas été inscrites au rôle de l’une de ces cours avant le 1er mars 2022. Elles feront l’objet d’une transmission à la cour administrative d’appel de Toulouse par le président de la cour auprès de laquelle elles ont été enregistrées, sans que la décision n’ait à être motivée.  La décision de transmission est notifiée aux parties et au président de la cour administrative de Toulouse. Il en va de même pour les requêtes relevant de la compétence territoriale de la cour administrative d’appel de Toulouse qui, enregistrées au greffe de la cour de Bordeaux de Marseille jusqu’au 30 avril 2021, sont connexes à des requêtes transmises à la cour administrative d’appel de Toulouse, dès lors qu’elles n’ont pas été inscrites à un rôle de l’une des deux cours avant l’inscription de l’affaire connexe à un rôle de la cour administrative d’appel de Toulouse. Il est précisé que les Cours de Bordeaux et Marseille demeurent saisies des requêtes qui n’ont pas été transmises à la cour administrative d’appel de Toulouse, ne relevant plus de leur compétence territoriale. Procéduralement, les actes de procédure accomplis régulièrement devant les cours administratives d’appel de Bordeaux et de Marseille sont valables devant la cour administrative d’appel de Toulouse. La cour administrative d’appel de Toulouse peut accomplir tout acte de procédure avant le 1er mars 2022 pour les affaires qui lui sont transférées avant cette date en application des dispositions de l’article R. 351-8 du code de justice administrative[14].

  • Le tableau des experts pour l’année 2022

Le décret prévoit que le tableau des experts auprès de la Cour administrative d’appel de Toulouse prévu par l’article R. 221-9 du Code de justice administrative pour l’année 2022 est constitué par les experts inscrits sur les tableaux des Cours administratives d’appel dde Bordeaux et de Marseille à la condition qu’ils aient un établissement professionnel ou une résidence dans le ressort de la cour administrative d’appel de Toulouse pour la durée de leur inscription probatoire ou définitive qui reste à courir[15].

  • Les demandes d’aide juridictionnelle

Le décret prévoit que les demandes d’aide juridictionnelle présentées avant le 1er mars 2022 auprès des bureaux d’aide juridictionnelle des Cours administratives d’appel de Bordeaux et de Marseille pour former appel contre un jugement de l’un des tribunaux du ressort de la cour administrative d’appel de Toulouse sont transmises à celle-ci à moins qu’elles n’aient donné lieu à une décision à cette date.

Il est précisé que les recours formés avant le 1er mars 2022 contre les décisions des bureaux d’aide juridictionnelle ou les sections placées auprès des tribunaux du ressort de la cour administrative d’appel de Toulouse sont transmis au président de la Cour cour, à moins qu’ils n’aient donné lieu à une décision avant cette date[16].

  • Les demandes d’exécution d’un jugement 

Les demandes d’exécution portant sur un jugement d’un tribunal du ressort de la Cour administrative d’appel de Toulouse présentées avant le 1er mars 2022 auprès des cours administratives d’appel de Bordeaux ou de Marseille sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, sont transmises à la cour de Toulouse lorsque le jugement a fait l’objet d’un appel lui-même transmis à cette dernière[17].

  1. L’organisation interne progressive

La création de la Cour administrative d’appel de Toulouse implique une organisation progressive concernant à la fois son personnel et sa structure.

  • Le personnel

Du 1er mars au 1er septembre 2022, la cour sera composée de 21 magistrats et de 25 agents. Jean-François Moutte[18] a déjà été nommé président de la Cour et Anabel Lesourd, greffière en chef[19].

  • La structure

Du 1er mars au 1er septembre 2022, la Cour sera provisoirement composée de deux chambres. A compter du 1er septembre 2022, quatre chambres seront chargées d’examiner les litiges. La première chambre sera consacrée au contentieux de l’environnement et de l’urbanisme. La deuxième chambre, au contentieux des affaires de responsabilité hospitalière et de fonction publique. La troisième chambre au contentieux des marchés. La quatrième chambre, aux dossier fiscaux. Par ailleurs, chaque chambre traitera du contentieux des étrangers.

Le Journal du Droit Administratif souhaite une belle et longue vie à cette nouvelle Cour, avec laquelle, espérons-le, un lien étroit sera tissé.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), Adrien Pech ;
2022 ; Art. 414.


[1] Paris, Lyon, Nancy, Nantes et Bordeaux.

[2] Marseille.

[3] Douai.

[4] Versailles.

[5] LASSERRE B., « Le vrai trésor du Conseil d’Etat, c’est sa verte jeunesse », AJDA, 2021, p. 2548.

[6] Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, art. 269.

[7] Le 4 janvier.

[8] Mentionnons ici une plainte déposée par le maire de Montpellier, Philippe Saurel à l’encontre de la garde des sceaux Nicole Belloubet le 25 janvier 2020 pour prise illégale d’intérêt.

[9] Décret n° 2021-1583 du 7 décembre 2021 portant création de la cour administrative d’appel de Toulouse, JORF n°0285 du 8 décembre 2021, article premier. 

[10] Qui constatent, à l’instar de leurs homologues de l’ordre juridiaire, la dégradation de leurs conditions de travail. V. LAFORET E., « Les magistrats administratifs tirent le signal d’alarme », AJDA, 2021, p. 2481.

[11] PASTOR J-M., « Une neuvième cour administrative d’appel nécessaire et attendue », AJDA, 2021, p. 2484.

[12] LASSERRE B., « Le vrai trésor du Conseil d’Etat, c’est sa verte jeunesse », AJDA, 2021, p. 2548.

[13] A savoir des appels relevés devant les tribunaux administratifs de Montpellier, Nîmes et Toulouse, V. Décret n° 2021-1583 du 7 décembre 2021 portant création de la cour administrative d’appel de Toulouse, op. cit., article 2.

[14] Ibid., article 3.

[15] Ibid., article 4.

[16] Ibid., article 5.

[17] Ibid., article 6.

[18] Décret du 22 décembre 2021 portant nomination d’un président de cour administrative d’appel (Conseil d’Etat) – M. MOUTTE (Jean-François), JORF n°0298 du 23 décembre 2021.

[19] Inauguration de la cour administrative d’appel de Toulouse – Discours de Bruno Lasserre, Vice-président du Conseil d’État, 16 décembre 2021.

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ParJDA

Nouveau dossier, nouvel ouvrage !

art. 387.

On annonce la présente parution :

  • en partie en ligne (par extraits dans un premier temps) sur le présent site Internet mais aussi
  • à l’intérieur d’un ouvrage publié aux Éditions l’Épitoge :

40 regards
sur 40 ans de décentralisation(s)


mars 1982- mars 2022

Dossier spécial du Journal du droit administratif

Dir. Prs F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina

Dans un discours prononcé le 27 juillet 1981, G. Defferre affirmait : « La France profonde est dans nos villes, dans nos villages. Elle aspire à tenir sa place, à être considérée, à jouer son rôle, à choisir son destin. Il est injuste et dangereux de la maintenir sous le boisseau, de l’empêcher de s’exprimer, de décider pour elle-même. Le Gouvernement (…) a confiance dans les Français, dans leur capacité de choisir leurs élus, des élus majeurs et responsables. Des élus libres d’agir, sans tous ces contrôles a priori, sans que leurs décisions soient remises en cause, retardées, déformées par des fonctionnaires ou des ministres lointains, qui connaissent mal leurs problèmes et que rien n’habilite à décider à leur place. Il est enfin temps de donner aux élus des collectivités territoriales la liberté et la responsabilité dans le cadre de la loi ».

A l’occasion du 40e anniversaire des lois Defferre, un dossier spécial du Journal du droit administratif (Jda) (fondé en 1853 à Toulouse et refondé dans ce même lieu en 2015) donne la parole à 40 personnalités particulièrement qualifiées (universitaires, élus nationaux et élus locaux, agents publics) pour apporter leur témoignage, leur regard sur cette période de 40 années de décentralisation(s) en France.


Décentralisation(s). Joyeux anniversaire la décentralisation ou plutôt joyeux anniversaires tant ils sont nombreux les points de vue(s) et les possibilités – tant positives que négatives – tant laudatives que dépréciatives – de considérer les décentralisations assumées, avérées, imaginées, redoutées ou encore fantasmées et parfois même repoussées que la France a connu entre les mois de mars 1982 et 2022.

Tel a bien été l’objectif que nous nous sommes fixé en proposant aux lecteurs et aux citoyens « 40 points de vue(s) », « 40 contributions », « 40 regards » sur 40 ans de décentralisation(s) et non de décentralisation au singulier. Partant, le présent projet s’inscrit dans deux « traditions » que matérialisent au quotidien de leurs travaux le Journal du Droit Administratif (Jda) et le Collectif L’Unité du Droit (Clud), partenaires de la présente publication aux côtés de l’Université Toulouse 1 Capitole et de son laboratoire, l’Institut Maurice Hauriou (Imh).

Le Jda, en effet, a pour vocation, depuis 1853[1] lors de sa première création depuis la Faculté de Droit de Toulouse, d’offrir et de diffuser des points de vue(s) et des publications qui non seulement cherchent à mettre « à la portée de tous » et donc des citoyennes et des citoyens des questions juridiques potentiellement réservées à des juristes spécialistes mais encore à diversifier sciemment et volontairement ces points de vue en confrontant des opinions diverses mais surtout complémentaires afin que chacun, in fine, se forge sa propre opinion née de la confrontation potentielle des avis éclairants d’autres auteurs. C’est aussi pleinement la vocation du Clud et de ses éditions (les Éditions L’Épitoge) qui depuis dix-huit années déjà (autre anniversaire de majorité !) emploient et assument dans leurs contributions l’usage du « s » dit cludien (sic) placé entre parenthèses et évoquant de façon assumée la potentialité des avis et d’éventuelles diffractions doctrinales.

Voici donc bien 40 regards… sur 40 ans de décentralisation(s).

L’ouvrage en est construit autour de quatre thématiques : celle des bilans et perspectives (I), celle des compétences décentralisées au cours des 40 dernières années (services publics, finances publiques avec une focale sur le secteur sanitaire et social) (II), celle de la mise en perspective(s) des territoires (III) ainsi qu’une série conclusive de tribunes et de témoignages (IV).

Ont ainsi participé au 40e anniversaire de la décentralisation française en nous offrant leurs contributions : Célia Alloune, Jean-Bernard Auby, Robert Botteghi, Jordan Chekroun, Pierre-Yves Chicot, Jean-Marie Crouzatier, Florence Crouzatier-Durand, Méghane Cucchi, Carole Delga, Virginie Donier, Maylis Douence, Vincent Dussart, Mélina Elshoud, Delphine EspagnoAbadie, Pierre EsplugasLabatut, Bertrand Faure, André Fazi, Léo Garcia, Nicolas Kada, Marietta Karamanli, Florent Lacarrère, Franck Lamas, Éric Landot, Xavier Latour, Jean-Michel Lattes, Pierre-Paul Leonelli, Alexis Le Quinio, Marine de Magalhaes, Wanda Mastor, Clément Matteo, Jean-Luc Moudenc, Isabelle MullerQuoy, Jean-Marie Pontier, Laurent Quessette, Anne Rainaud, Claude Raynal, Jean-Gabriel Sorbara, Marie-Christine SteckelAssouère, Mathieu Touzeil-Divina, Michel Verpeaux & André Viola.

Table des matières

Extraits en ligne :

Le JDA est par ailleurs heureux en ce jour anniversaire de la Loi du 2 mars 1982 de vous proposer en ligne et en accès libre outre l’introduction dudit dossier, 22 extraits (puisque 2022) des 40 contributions précitées :

Art. 389. 1982-2022 : 40 ans de décentralisation(s) en 40 contributions

Par Florence Crouzatier-Durand & Mathieu Touzeil-Divina

Art. 390. La décentralisation, une volonté politique de François Mitterrand

Par Delphine Espagno-Abadie

Art. 391. Décentralisation : 40 ans de navigation à vue ?

Par Nicolas Kada

Art. 392. Vers un nouvel acte de la décentralisation ?

Par Jean-Luc Moudenc

Art. 393. Les 40 ans de la décentralisation : à la recherche d’un nouveau souffle

Par André Viola

Art. 394. Du mythe de l’abolition de la tutelle de l’État sur les collectivités territoriales.
La décentralisation inaboutie

Par Florent Lacarrère

Art. 395. De l’émergence progressive d’un service public local d’éducation

Par Marine de Magalhaes

Art. 396. Transports publics et décentralisation 

Par Jean-Michel Lattes

Art. 397. 40 ans de décentralisation : quels effets sur la sécurité intérieure ?

Par Xavier Latour

Art. 398. Décentraliser le système de santé : un problème insoluble ?

Par Jean-Marie Crouzatier

Art. 399. La collectivité départementale de 1982 à aujourd’hui :
retour sur quelques vicissitudes du droit de la décentralisation

Par Virginie Donier

Art. 400. 40 ans de finances locales et toujours à la recherche de l’autonomie financière des collectivités territoriales !

Par Vincent Dussart

Art. 401. 40 années d’autonomie financière des collectivités territoriales

Par Claude Raynal

Art. 402. 40 ans de décentralisation à travers la Dgf : un anniversaire en demi-teinte

Par Léo Garcia

Art. 403. De la décentralisation à l’autonomie : l’hypothèse de la Corse

Par Wanda Mastor

Art. 404. 40 ans de décentralisation dans l’outre-mer de droit commun : de la rigueur de l’identité législative à l’émergence d’un droit différencié

Par Pierre-Yves Chicot

Art. 405. L’échec de la décentralisation française : l’État, les élus et les règles

Par Bertrand Faure

Art. 406. 1982-2022, ou 40 nuances de décentralisation

Par Michel Verpeaux

Art. 407. À propos du rôle de l’élu local : les tourments d’un élu en charge de politiques culturelles  

Par Pierre Esplugas-Labatut

Art. 408. La décentralisation 40 ans après : un désastre

Par Jean-Bernard Auby

Art. 409. Plaidoyer pour une autonomie retrouvée des départements

Par Mélina Elshoud

Art. 410. 40 ans de décentralisation

Par Carole Delga

Art. 411. Décentralisation, le jour sans fin ?

Par Marietta Karamanli

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021-2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 387.


[1] Sur le média : Touzeil-Divina M., « Le premier et le second Journal du Droit Administratif : littératures populaires du droit public ? » in Littératures populaires du Droit ; Paris, Lextenso ; 2019 ; p. 177 et s.

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ParJDA

5e Chronique en Droit(s) de la Santé du Master éponyme (décembre 2021)

Art. 381.

Le Master Droit de la Santé & le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.

La première chronique sous l’impulsion des promotions Marie Curie (Master II) & Emmanuelle Charpentier (Master I)
en Droit de la Santé comprend les neuf articles suivants :

par M. Vincent Vioujas, Directeur d’hôpital, chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence (AMU), chercheur associé au Centre de droit de la santé (UMR 7268 ADES, AMU/EFS/CNRS)

par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

par Mmes Samantha Dorinet, Océane Grivel, Laura Meillan & Ana Murria, Etudiantes en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Marie Curie (2021-2022)

par M. Vianney Marie-Joseph, Doctorant en droit public, Université d’Aix-Marseille, Centre Droit de la Santé

par Mmes Anne-Camille Deléglise & Eva Mahoudeaux, Etudiantes en Master I Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Emmanuelle Charpentier (2021-2022)

par M. le pr. Mathieu Touzeil-Divina (Co-directeur du Master Droit de la Santé, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 381.

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Assemblée générale du JDA

Art. 374.

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,
(et chers contributeurs au Journal du Droit Administratif)

La prochaine réunion / assemblée générale du JDA
aura lieu le 10 novembre 2021 à 18h00
en salle des thèses (site de l’Arsenal)
à l’Université Toulouse 1 Capitole.



Nous pourrons – enfin – nous retrouver en « présentiel » et partager ensemble nos idées et points de vue à propos des dossiers en cours ou à venir ainsi que des chroniques et même des ouvrages publiés par le JDA et son association.Vous pouvez également vous y faire représenter et aussi y participer en simple observateur si vous n’êtes encore jamais venu. Chacun y est en effet le bienvenu.

Nous attirons par ailleurs votre attention sur les candidatures ouvertes aux chroniques en cours : « transformation(s) du service(s) public(s) » (prévue pour fin novembre 2021) et droit(s) de la santé (même date).

Avec l’expression de notre sincère et profond respect,

Pour le JDA, son comité de rédaction,
Dr. M. Amilhat,M. A. Pech& Pr. M. Touzeil-Divina


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 374.

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ParJDA

L’animal & le droit administratif

Art. 361.

Voici le 8e des dossiers du JDA :

Il porte sur « L’animal et le droit administratif ». Deux principales raisons ont conduit le comité de rédaction -approuvé par l’assemblée générale-, à s’intéresser à cette question et à lancer pour ce faire un appel à contribution(s).

Le droit en est croassant,
son actualité est rugissante.
L’animal est au cœur du droit administratif.

D’une part, la question de l’animal, sans même la teinter d’un aspect « protection des droits », est au cœur des préoccupations des individus. L’actualité ne saurait le démentir. Or, le Journal de Droit Administratif, rappelons-le, a pour objectif de se départir d’une vision élitiste –qui perdure-, du droit administratif, afin de le placer « à la portée de tout le monde » (V. not. Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) II / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 254). Dès lors, s’emparer d’une question relevant d’un intérêt citoyen et populaire croissant, correspond à l’accomplissement de ce qui constitue la toute première mission du journal et ce, depuis sa création en  1853.

D’autre part, la question de l’animal fait l’objet d’un intérêt, déjà ancien, de la part de la doctrine privatiste (V. not. MARGUENAUD, J-P., L’Animal en droit privé, Limoges, Publications de la faculté de droit et de sciences économiques de l’Université de Limoges, 1992). Néanmoins, les études relatives au droit public et, particulièrement au droit administratif, sont plus éparses et rares (Sur ce constat, V. PAULIAT, H.,  « Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs, 2009/4 (n° 131), p. 57-72). Or, le Journal de Droit Administratif a la volonté de proposer des thèmes de recherches permettant de faire avancer la connaissance dans des domaines encore peu défrichés par la doctrine. Dès lors,  la perspective d’ouvrir une réflexion d’ensemble sur la place de l’animal en droit administratif recèle, à n’en pas douter, d’un intérêt certain. En effet,  la question de l’animal est observable à la fois dans une dimension contentieuse et non contentieuse de sorte que son étude permettra de balayer l’étendue du spectre du droit administratif français, de l’Union européenne, international et étranger.

Sous la direction de :

– Madame le Professeur Isabelle Poirot-Mazères (UT1, IMH),
– Monsieur le Professeur Mathieu Touzeil-Divina (UT1, IMH),
– Monsieur Adrien Pech (UT1, IRDEIC)
& Monsieur Mathias Amilhat (UT1, IEJUC),

voici donc le huitième dossier du JDA reprenant l’expression léguée par le « premier » JDA de 1853 ayant vocation de mettre le droit administratif à la portée du plus grand nombre :

L’animal & le droit administratif
… mis à la portée de tout le monde

Sommaire

Art. 362. Editorial : l’animal & le droit administratif

par MM. Mathias Amilhat,
Adrien Pech,
Mathieu Touzeil-Divina
& Mme Isabelle Poirot-Mazères

Espèces animales

Art. 363. De Lamarck aux marques : remarques sur l’insecte et le droit administratif

par Mme le prof. Isabelle Poirot-Mazères

Art. 364. Le pangolin & le droit administratif

par M. Dr. Arnaud Lami

Art. 365. Le pigeon & le droit administratif

par M. Hugo Ricci

Art. 366. Le requin & le droit administratif

par M. Vincent Vioujas

Art. 367. Les animaux du cirque & le droit administratif

par Mme Amélia Crozes

Art. 368. Les animaux des grands arrêts

par M. Dr. Mathias Amilhat

Art. 369. La chatte & le strat’ : quels contentieux ?

par M. le prof. Mathieu Touzeil-Divina

Polices des animaux

Art. 370. Errance animale et co-errance du droit

par M. D. Loïc Peyen

Art. 371. L’abattage rituel & l’animal

par M. Dr. Clément Benelbaz

Art. 372. La chasse pendant les confinements pandémiques

par M. Adrien Pech

Art. 373. La construction d’un statut juridique cohérent pour l’animal ?

par Mme Dr. Sonia Desmoulin-Canselier

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), Dir. Pech / Poirot-Mazères
/ Touzeil-Divina & Amilhat ;
L’animal & le droit administratif ; 2021 ; Art. 361.

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ParMathias AMILHAT

5e chronique Contrats publics

Art. 355.

5ème chronique Contrats publics (septembre 2021)

Mathias Amilhat,
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole , IEJUC,
Comité de rédaction du JDA

Après une (trop) longue pause, la chronique « contrats publics » revient sur le site du Journal du droit administratif (JDA). Beaucoup de choses ont évolué depuis la dernière mouture de cette chronique, à commencer par l’adoption du code de la commande publique ! Or, les contraintes temporelles font qu’il n’est pas possible de résumer ici l’ensemble des évolutions du droit des contrats publics sur les deux à trois dernières années.

Cette nouvelle version de la chronique « contrats publics » propose donc d’adopter un format renouvelé qui devrait permettre de renouer avec une publication semestrielle. Un découpage simple a été retenu. Il distingue de manière classique la présentation des nouveautés textuelles et une sélection de jurisprudences marquantes au cours des 6 ou 7 derniers mois.

Du côté des nouveautés textuelles, deux points nous semblaient mériter une attention particulière :

S’agissant de la jurisprudence, une sélection de décisions a été opérée, en espérant qu’elle ne soit pas à l’origine de frustrations.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021;
Mathias Amilhat ; chronique contrats publics 05 ; Art. 355.

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ParJDA

Rentrée laïque des classes (4e chronique) – septembre 2021

Art. 354.

Pour célébrer les rentrées (de l’enseignement primaire à l’Université en passant par les mondes judiciaires, politiques et professionnels), le LAIC-Laïcité(s) vous propose quelques actualités de septembre :

Affiche du Parti Communiste Français pour l’abolition des Lois dites antilaïques
(format à l’italienne ; 37,50 / 57,5 cm) 02 nov . 1960 (coll. perso. MTD)

Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.

Cette chronique proposera a minima et ce, tous les mois ou deux mois :

  • la mise en avant d’une jurisprudence (administrative, constitutionnelle, judiciaire ou internationale ou étrangère) en matière de laïcité ;
    • soit parce qu’elle témoigne d’une actualité récente ;
    • soit parce que l’on en célèbre l’anniversaire.
  • L’objectif est alors de nourrir le catalogue (dit bréviaire prétorien) laïque des décisions réunies sur le sujet tout en offrant quelques éléments de contextualisation / commentaire.
  • En outre, la chronique pourra y ajouter & intégrer :
    • des commentaires et/ou des propositions doctrinaux :
    • des éléments d’actualité(s) ;
    • des iconographies détaillées (toujours avec pour thème la laïcité) ;
    • des comptes-rendus, etc.
par Mathieu TOUZEIL-DIVINA, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre du Collectif L’Unité du Droit, membre du LAIC-Laïcité(s) [photo UT1 ©]

Pour la 4e chronique (rédigée par le pr. Touzeil-Divina) en date du 18 septembre 2021, le JDA & le LAIC-Laïicté(s) vous proposent :

  • la mise en avant d’une jurisprudence « anniversaire » à quelques jours du 26 septembre :
    • Cedh, [req. 18748/91] 26 septembre 1996, Manoussakis & alii c. Grèce ; (composantes de la liberté religieuse : liberté (absolue) de conscience & liberté (limitée selon l’ordre public) de manifestation cultuelle + obligation de neutralité de l’État) ; [J1996-CEDH-18748-91] ;

On y a ajouté :

  • une norme d’actualité et sa décision a priori de conformité partielle à la Constitution :
    • décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021 du Conseil constitutionnel relative à la Loi confortant le respect des principes de la République (anciennement dite « séparatisme ») ; en ligne ICI & là : [J2021-CC-823] ;
    • Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ; [N-L2021-01] ;

Par ailleurs, l’actualité – toujours riche en matière de Laïcité – nous permet de signaler également :

  • la préparation (en cours) d’un séminaire (en partenariat avec les Universités de Toulouse 1 Capitole & de Savoie-Mont-Blanc) sur la Loi précitée du 24 août 2021 ;
  • la publication (au JORF du 12 septembre 2021) d’un des arrêtés d’application de la Loi du 24 septembre « fixant le cahier des charges relatif au continuum de formation obligatoire des personnels enseignants et d’éducation concernant la laïcité et les valeurs de la République » ; Arrêté du 16 juillet 2021 [N-PR2021-02] ;

Les éléments doctrinaux de la chronique (commentaires, observations, propositions, compte-rendus, etc. ) sont publiés parallèlement sur les deux sites partenaires.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 354.

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ParJDA

Sur les traces d’un de nos premiers abonnés, l’avocat, militaire, docteur en Droit & élu local, Victor Ucay (1856-1950)

Art. 349.

Par M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina,
fondateur et directeur du Journal du Droit Administratif,
professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IMH

Le présent article est dédié à M. le professeur B. Pacteau
– en respectueux hommage –
ainsi qu’à la famille de M. Victor Ucay.

Des fondateurs aux lecteurs. Le Journal du Droit Administratif (Jda) a été fondé en 1853 et ce, notamment par les professeurs de la Faculté de Droit de Toulouse, Adolphe Chauveau[a] (1802-1868) et Anselme (Polycarpe) Batbie[b] (1827-1887). Il nous a été donné, déjà, non seulement de leur rendre un juste hommage et tribut mais encore de revenir sur l’histoire même[c] du premier (et pérenne) média spécialisé dans la branche dite publiciste du droit administratif. Après nous être ainsi intéressés à ses fondateurs et à ses promoteurs, penchons-nous maintenant sur leurs lecteurs.

Il nous a alors semblé intéressant – dans le cadre de la section « Histoire(s) du Droit Administratif » – de mettre ici en lumières – en cinq articles ainsi répartis – les éléments que nous avions trouvés, entre droit administratif, histoire locale et politique mais aussi généalogie, concernant Victor Ucay (1856-1950) :

I. Rencontre fortuite,
le long de la Garonne,
avec M. Ucay, étudiant en droit

Il faut, au préalable, raconter notre étonnante rencontre avec celui qui a justifié sinon provoqué la présente contribution. En décembre 2020, à Bordeaux où la Garonne finit de charrier les humeurs et autres alluvions chers au droit administratif des biens, nous avions organisé un petit événement en hommage officieux au 150e anniversaire de la Faculté de Droit de Bordeaux et de son plus fin connaisseur et narrateur, le professeur Bernard Pacteau. Ce dernier venait en effet de signer[1] un extraordinaire opus sur cette histoire académique. Le jour même de l’anniversaire du décret du 15 décembre 1870[2] (re)créant une Faculté de droit en Gironde, ce 15 décembre 2020, nous l’avions donc célébré malgré les confinements. A cette occasion et après avoir évoqué notamment les grands maîtres bordelais du droit administratif, Léon Duguit (1859-1928) en tête mais aussi Henri Barckhausen (1834-1919) ou encore Jean-Marie Auby (1922-2000) pour ne mentionner ici que notre « tiercé[3] gagnant », le professeur Pacteau nous confia (et on voudrait ici très respectueusement et chaleureusement l’en remercier) plusieurs trésors (mais aussi anecdotes) de l’histoire de notre droit administratif. Alors, aux côtés d’écrits rares et précieux des deux maîtres publicistes de la Garonne, Duguit et Hauriou (1856-1929), et notamment « les » thèses[4] de doctorat du (futur) doyen de Toulouse envoyées en hommage à son ami Bordelais, le professeur nous confia ce qui pouvait apparaître de prime abord qu’à l’instar d’un simple clin d’œil complice et amical.

Ill. 01 © & coll. perso. Mtd. Cahier numéro 05 (juin 1878) du « premier » Journal du Droit Administratif (26e année) envoyé en juillet suivant à l’abonné n°1980 – M. Ucay ; oblitéré avec timbre (modèle Paix & Commerce (dessiné par Jules Auguste Sage (1829-1908)) à 02 centimes.

Encore cerclé d’un bandeau de papier jauni permettant au Journal du Droit Administratif d’envoyer (sans avoir à le mettre sous enveloppe comme on le ferait aujourd’hui) un exemplaire de sa dernière édition mensuelle (en l’occurrence le numéro de juin 1878[5]), le professeur nous remettait un exemplaire du « premier » Jda (celui de 1853) sachant que nous avions refondé en 2015, ce « second » média[6]. La transmission de ce numéro, qui n’avait semble-t-il jamais été ouvert par son destinataire (un dénommé M. Ucay) ainsi que le matérialisent plusieurs pages qui n’avaient pas été encore coupées ainsi que le bandeau d’expédition a priori non arraché, était alors doublement émouvante. D’abord, évidemment, parce que le geste de son donateur était rempli d’une si délicate attention et pensée. Ensuite parce que nous nous retrouvions comme en « contact » avec l’un des premiers abonnés (certes vingt-six années après la création du média mais il y a de cela près d’un siècle et demi aujourd’hui) du Journal du Droit Administratif.

Mystérieux abonnés des premières revues juridiques. On ignore presque tout (à défaut d’une étude historique et sociologique exhaustive en la matière) sur ces premiers abonnés des médias spécialisés en droit public.

Qui étaient-ils[7] ?

Le nombre d’abonnés à un journal est évidemment un signe de sa diffusion – restreinte aux spécialistes – ou – au contraire – popularisée et élargie à un autre cercle que celui – originel – des « prêtres » de la matière. Pour le premier Jda, on sait (grâce aux recherches de Mme Vanneuville[8]) que ce nombre fut en 1861 au moins de 600 abonnés (ce qui est considérable pour l’époque) et montre que le pari de ses promoteurs fut réussi : non seulement quelques dizaines de spécialistes s’abonnèrent mais il y eut aussi beaucoup d’administrateurs et d’administrations (et sûrement quelques particuliers) à franchir ce pas. On imagine même (et sait ainsi par quelques archives retrouvées) que ce premier Jda, était principalement lu des administrateurs (nationaux et locaux) non seulement partout en France (puisque le Journal avait un certain monopole de fait à être longtemps le seul à n’être spécialisé qu’en droit administratif) mais aussi particulièrement dans l’actuelle Occitanie. On connaît par ailleurs autour de 1878 le prix annuel d’un abonnement : 11 francs sans les frais d’envoi et de recouvrements portés à 12 francs en les comprenant (si l’on en croit une archive retrouvée) ce qui équivaut, selon les historiens et économistes, à une somme d’à peu près quarante euros actuels[9].

Ill. 02 © & coll. perso. Mtd. Mandat adressé par la rédaction du Journal du Droit Administratif
à M. le maire de Cintegabelle le 25 mars 1873.
Ill. 03 © & coll. perso. Mtd. Extraits (sans le bandeau d’envoi) du cahier numéro 05 (juin 1878)
du « premier » Journal du Droit Administratif (26e année).

Ces liens entre lecteurs et rédaction du Jda font l’objet de nombreux échanges (souvent reproduits dans des rubriques de type « courrier des lecteurs ») où l’un des rédacteurs ou directeurs du Jda discute avec ses honorables lecteurs de tel ou tel point de droit, d’actualité ou d’un sujet pratique (à l’instar des cliniques juridiques[10] actuellement ressuscitées) qui aurait été soumis à la sagacité et à la réflexion de la rédaction.

Du reste, sur la couverture bleue de ce cinquième cahier pour 1878 du Journal, on peut encore trouver et lire la mention spéciale selon laquelle :

« Le rédacteur » c’est-à-dire le directeur de la Revue,
                « répond avec exactitude » (sic) « aux doutes soumis par les abonnés »
                « sur des questions administratives » !

En 1878, ainsi, le Jda cherchait et provoquait les questions de ses abonnés pour pouvoir offrir ses lumières à ses lecteurs. Il faut lire à cet égard les « lettres à un administré sur quelques matières usuelles de droit administratif », elles sont truculentes : rédigées dans un français courant ce qui les rend accessibles à tout public et surtout – ce qui est étonnant lorsqu’on les découvre – elles sont parfois pleines d’humour[11] (ce qui, d’après nos recherches, était dû principalement aux premières de ces consultations régies par Batbie) témoignant alors de véritables liens entre le Journal et ses pourtant centaines d’abonnés parmi lesquels le « mystérieux » dénommé Ucay.

Le bandeau d’affranchissement contenant son adresse indiquait « 1980 » ce qui laisse croire qu’après un demi-siècle d’existence, le Jda allait bientôt enregistrer 2000 abonnés cumulés.

On peine en effet à croire qu’il y avait effectivement au moins 1980 abonnés en 1878 (sachant qu’il y en avait trois fois moins en 1860).

La façon de compter du Journal a d’ailleurs toujours été celle de la succession accumulée et non du renouveau annuel des listes et ce, tant pour le nombre d’abonnés que pour celui de la recension des articles publiés.

Ainsi, à chaque mois de janvier, on continuait la liste précédente des items (sujets d’articles) et des découpages de chaque cahier depuis la création en 1853. Ce cahier de 1878 retrouvé comportait ainsi les art. 245 et s. et évidemment il n’y avait pas eu 244 articles publiés entre janvier et mai 1878 mais le 1er article était celui inséré dans la première tomaison du Journal.

Dans cette dernière, Batbie écrivait en 1853 à un administré qui se plaignait avec une verve toute toulousaine des malheurs que lui feraient vivre plusieurs administrations (notamment locales). Il est alors particulièrement savoureux de lire la réponse que lui fit publiquement Batbie qui mêlait non seulement des arguments juridiques (comme dans une consultation) mais également des éléments rendus sur un ton presque familier à l’égard de son « lecteur administré » dont il raillait abondamment le caractère ; ces premiers mots étant[12] : « Je n’ai pu m’empêcher de rire, mon cher ami, en lisant la lettre que vous m’avez adressée ».

Ces lettres ou consultations pratiques plaisaient énormément au lectorat du Jda. Dès la première année, Chauveau (Jda 1853 ; p. 233) se plaisait ainsi à reproduire une lettre qu’il avait reçue et qui expliquait combien les « lettres aux administrés » qui deviendront des « lettres aux administrateurs » étaient utiles aux lecteurs.

Plus encore, Batbie & Chauveau iront même jusqu’à critiquer vertement certains abonnés : « Vos articles me paraissent un peu longs et trop scientifiques. Faites-les plus courts et plus nombreux ; moins de motifs et plus de choses, surtout de choses usuelles qui arrêtent si souvent l’administrateur et l’administré ». Le décor est, dès 1853, clairement posé : si une revue – au grand désespoir de certains universitaires – met en avant des observations courtes et pratiques, des résumés, des propositions calibrées et brèves c’est bien dans un but simple et toujours actuel : satisfaire les abonnés praticiens (bien plus nombreux que les universitaires parfois théoriciens). Ces « consultations » importaient donc énormément aux rédacteurs comme aux lecteurs du premier Jda et il s’agissait là d’une des forces du Journal.

Chaque année d’ailleurs, dans le bilan dressé par les rédacteurs sur l’année écoulée insistait fréquemment sur cette force participative et interactive que le Jda avait réussi à instaurer. Concrètement, ces consultations eurent lieu de 1853 à 1893 puis après 1910 mais de façon bien moins littéraire qu’aux débuts du Journal.

Critique sur cette démarche, Mme Vanneuville retient (ce qui semble effectivement judicieux) qu’en agissant de la sorte, les rédacteurs (par ailleurs avocats) considéraient leur lectorat comme une clientèle à laquelle ils démontraient leurs compétences in vivo.

Au Tome XXVI du Jda. Qu’allait ou plutôt qu’aurait dû découvrir notre mystérieux lecteur, Victor Ucay, dans ce numéro retrouvé (et peut-être jusqu’alors égaré) de juin 1878 ?

En voici le sommaire : le fascicule cousu d’une quarantaine de pages au format in-octavo comprenait les pages 241 à 288 de l’année 1878 et en son sein une vingtaine d’items numérotés à partir du n°3241.

Ill. 04 © & coll. perso. Mtd. Dos ou quatrième de couverture du cahier numéro 05 (juin 1878)
du « premier » Journal du Droit Administratif (26e année).

On y retrouve ce qui faisait la force du premier Jda : non seulement des informations sur la parution et l’actualité normatives (avec par exemple, au n°3241, en ouverture, une reproduction / diffusion de la Loi[13] du 1er juin 1878 « sur la construction des maisons d’école ») ainsi que plusieurs thématiques chères au droit administratif de l’époque : des éléments sur les chemins vicinaux (n°3255 et 3256), sur les chemins… de fer (n°3254), sur les hospices (n°3243 et 3245) ou encore sur les cultes (n°3249 et s.). L’ensemble du numéro est surtout centré sur le droit des collectivités à l’époque dites locales et, en particulier, sur la discussion des compétences et responsabilités communales avec, entre autres (au n°3252), la question de la responsabilité d’un premier édile municipal qui avait lacéré les affiches électorales d’un candidat (on y reviendra in fine).

Concrètement, comme la plupart des numéros de ces années, les revues étaient constitués d’items répartis en articles. Il y avait, en l’occurrence ici deux articles :

  • le n°245 (comprenant les items 3241 à 3250) correspondant à la diffusion directe des normes nouvelles et intitulé « Lois, décrets, avis du Conseil d’Etat, circulaires, décisions ministérielles » ; il y s’agit d’informations brutes ainsi diffusées aux administrateurs et administrés soucieux de la gestion et de la chose publiques ;
  • l’art. 2456 (intégrant les items 3251 à 3262) et comprenant quant à lui les « questions diverses (sic) » c’est-à-dire les faits, questionnements ou actualités repérés par la rédaction en matière administrative ainsi que, ce qui était la force du Jda dès cette époque, une mise en avant – avec commentaires et observations – de plusieurs décisions de « jurisprudence administrative » et même « judiciaire ». Au sein du numéro, le Jda avait réservé une étude spéciale sur le droit des octrois (n°3251) et commentait plusieurs jurisprudences qu’il avait relevées comme étant dignes d’intérêt(s) dont cet arrêt Cass., 03 janvier 1878, Thigé (item 3253) à propos de la conciliation de la Loi sur la liberté du commerce, de l’industrie et les prix, défiant toute concurrence, pratiqués par certains boulangers. Un autre item intéressant (n°3259) interrogeait la compétence communale à partir de la décision CE, 26 janvier 1877[14], Compans, Fournié et commune de Dalon.

Surtout, on a particulièrement été attiré par l’item 3258. A priori, on a d’abord cru qu’il s’agissait d’une facilité de la part de la rédaction puisqu’elle initie ce passage par la reprise d’un article[15] déjà publié et signé de « nos excellents confrères du Recueil Sirey-Devilleneuve ». On a donc cru que le Jda se contentait ici de reprendre quelques bonnes feuilles à propos d’un commentaire paru sur un arrêt de la Cour d’Amiens daté du 18 février 1878 (Maire et commissaire de police de Bohain contre Raveneau). Toutefois, et précisément, le Journal ne s’est pas contenté de reproduire l’avis du Recueil Sirey en matière de compétence et de propriété communale des chemins ruraux : il l’a commenté et même plus critiqué ou querellé. En effet, relève la rédaction, alors placée sous la direction d’Ambroise Godoffre[16] (1826-1878) :

« Nous ne partageons pas l’opinion exprimée dans ces observations critiques. Certes, nous ne sommes pas suspect (sic) de sacrifier les principes qui sauvegardent l’indépendance de l’administration aux prérogatives de l’autorité judiciaire. Nous pensons que, chacun des deux pouvoirs doit rester dans sa sphère, mais sans donner notre entière approbation à tous les motifs de l’arrêt de la cour d’Amiens, nous croyons que la situation juridique dont elle était saisie permettait la décision qui est intervenue ».

Par suite, expliquait le directeur Godoffre, il eut été plus simple, en l’espèce, de consacrer une voie de fait plutôt que de permettre au juge judiciaire de critiquer la compétence et la légalité d’actes administratifs ce qui n’est pas sans nous rappeler un conflit latent et quasi perpétuel entre défenseurs et/ou promoteurs des juridictions de droits public et privé. L’émotion du Jda était alors vive et il désira se lancer dans la controverse. Sauf erreur de notre part, en revanche, le Recueil Sirey n’y a pas répondu !


Le professeur Touzeil-Divina tient à remercier la mairie de Grenade-sur-Garonne, l’Université Toulouse 1 Capitole et, surtout, la famille de Victor Ucay pour leur disponibilité et l’accès privilégié à leurs sources.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 349.


[a] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=128.

[b] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Batbie [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 15 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=131.

[c] Touzeil-Divina Mathieu, « Le premier et le second Journal du Droit Administratif (Jda) : littératures populaires du Droit ? » in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. ; Eléments en partie repris in : Journal du Droit Administratif (Jda), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I à IIII [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253, 254 et 255. En ligne depuis : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2651.

[1] Pacteau Bernard, La Faculté de droit de Bordeaux, 150 ans en 2020 et même davantage… ; Toulouse, L’Epitoge, 2020.

[2] Cf. Bull., n° 35, texte n° 231 ; Jorf du 16 décembre ; Carette, Lois annotées, 1866-1870, p. 526 ; et sur la norme : Pacteau Bernard, La Faculté de droit de Bordeaux (…) ; op. cit. ; p. 21 et s.

[3] On en comprendra par suite l’allusion.

[4] Hauriou Maurice, Etude sur la condictio et Des contrats à titre onéreux entre époux en droit français ; Bordeaux, Veuve Cadoret ; 1879.

[5] Cinquième cahier de l’année 1879 ; 26e année de la collection fondée en 1853.

[6] Désormais en ligne à l’adresse : http://www.journal-du-droit-administratif.fr.

[7] Quels étaient leurs réseaux ? On reprend, cela dit, au présent paragraphe quelques éléments issus de notre recherche préc. à l’ouvrage des prof. Hakim et Guerlain.

[8] Que nous remercions pour la communication de ses notes non encore publiées au colloque Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » ; France-Allemagne ; XIX-XXe siècles (Berlin, juin 2010) : « Le Journal du droit administratif, ou comment mettre l’administration dans le droit (1853-1868) ».

[9] Sur la base moyenne retenue d’un franc de 1860 équivalent à 3.27 €.

[10] À propos desquelles, il « faut » lire : Aurey Xavier & Pitcho Benjamin, Cliniques juridiques et enseignement clinique du droit ; Paris, LexisNexis ; 2021.

[11] Lors du soixantenaire du Jda en 1913, le directeur Mihura qualifiait le talent épistolaire de Batbie de « vraiment folâtre » (sic) (Jda 1913 ; p. 108) : « n’est-ce pas joyeux et enjoué » ? Et de conclure : « nous ne sommes » désormais « pas aussi aimables, aussi agréables ». Le conseiller Deville (ancien Président du conseil municipal de Paris) ajoutait en ce sens (op. cit. ; p. 117) qu’aujourd’hui le Jda ne contenait plus « les boutades ou les frivolités » de M. Batbie.

[12] Ils sont reproduits en ligne sur le site du Jda : 2016, Dossier 02 ; Art. 65 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=706.

[13] Publiée au Jorf du 04 juin 1878.

[14] Rec. 94.

[15] Sirey ; 1878 ; II, 81.

[16] On sait (encore) très peu de choses sur ce directeur (depuis 1869) du Journal avant qu’Henri Rozy (1829-1882) n’en prenne la direction et après que le fondateur Adolphe Chauveau se soit éteint. Il était avocat (et signait ainsi de ce titre aux archives du Jda) mais on retrouve surtout sa trace en qualité d’administrateur et en l’occurrence, en 1878, de chef de division à la préfecture de la Haute-Garonne.

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4e chronique Droit(s) de la Santé !

Art. 342.

Le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.

Depuis 2021, la chronique est également ouverte aux analyses des étudiant.e.s, notamment ceux du Master Droit de la santé de l’Université Toulouse I Capitole,  sous la responsabilité des Professeurs Isabelle Poirot-Mazères et Mathieu Touzeil-Divina.

La troisième chronique sous l’impulsion de la promotion Gisèle Halimi du Master II en Droit de la Santé comprend à ce jour les sept articles suivants :

par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

Par M. Gauthier Desfontaine, Etudiant en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021)

Par M. le pr. Mathieu Touzeil-Divina (Co-directeur du Master Droit de la Santé, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

Bonus d’été :

Il paraîtrait même qu’un « film » s’est tourné au sein du Master II Droit de la Santé ….

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 342.

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Laïcité(s) : 2e chronique (juin 2021)

Art. 340.

Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.

Cette chronique proposera a minima et ce, tous les mois ou deux mois :

  • la mise en avant d’une jurisprudence (administrative, constitutionnelle, judiciaire ou internationale ou étrangère) en matière de laïcité ;
    • soit parce qu’elle témoigne d’une actualité récente ;
    • soit parce que l’on en célèbre l’anniversaire.
  • L’objectif est alors de nourrir le catalogue (dit bréviaire prétorien) laïque des décisions réunies sur le sujet tout en offrant quelques éléments de contextualisation / commentaire.
  • En outre, la chronique pourra y ajouter & intégrer :
    • des commentaires et/ou des propositions doctrinaux :
    • des éléments d’actualité(s) ;
    • des iconographies détaillées (toujours avec pour thème la laïcité) ;
    • des comptes-rendus, etc.
par Mathieu TOUZEIL-DIVINA, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre du Collectif L’Unité du Droit, membre du LAIC-Laïcité(s) [photo UT1 ©]

Pour la 2e chronique (rédigée par le pr. Touzeil-Divina) en date du 10 juin 2021, le JDA & le LAIC-Laïicté(s) vous proposent :

  • la mise en avant d’une jurisprudence « anniversaire » en ce 10 juin :
    • CE, [req. 45681] 10 juin 1921, Commune de Monségur ; (travaux publics d’utilité générale dans une église communale) ; [J-1921-CE-45681] ;

On y a ajouté – toujours concernant une église et sa gestion communale – :

Par ailleurs, l’actualité – toujours riche en matière de Laïcité – nous permet de signaler le mois précédent (mai 2021) :

Les éléments doctrinaux de la chronique (commentaires, observations, propositions, compte-rendus, etc. ) sont publiés parallèlement sur les deux sites partenaires.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 340.

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3e Chronique en Droit(s) de la Santé (juin 2021)

Art. 331

Le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.

Depuis 2021, la chronique est également ouverte aux analyses des étudiant.e.s, notamment ceux du Master Droit de la santé de l’Université Toulouse I Capitole,  sous la responsabilité des Professeurs Isabelle Poirot-Mazères et Mathieu Touzeil-Divina.

La deuxième chronique sous l’impulsion de la promotion Gisèle Halimi du Master II en Droit de la Santé comprend à ce jour les sept articles suivants :

par M. Vincent Vioujas, Directeur d’hôpital, chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence (AMU), chercheur associé au Centre de droit de la santé (UMR 7268 ADES, AMU/EFS/CNRS)

par Mme Léa Bernard, Doctorante en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

par Mme Dr. Lucie Sourzat, Maître de conférences en Droit public, Université de Lille

Par M. Gauthier Desfontaine, Etudiant en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021)

Par Mme Marianne Fares, Titulaire du Master 2 Juriste européen et du DU DESAPS, Étudiante à l’Institut d’Etudes Judiciaires de Toulouse

par M. Antoine Herson, étudiant en Master 1 Éthique du Soin et de la Recherche, Université Toulouse 1 Capitole

Par Mme Clarisse Varo-Rueda, Etudiante en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Gisèle Halimi (2020-2021).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 331.

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Laïcité(s) : 1ère chronique (mai 2021)

art. 328.

par MM. Clément Benelbaz, maître de conférences de droit public, Université de Savoie
& Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole

Le Journal du Droit Administratif, fondé en 1853 à Toulouse puis refondé en ligne en 2015, propose, en partenariat avec le Laboratoire d’Analyse(s) Indépendant sur les Cultes (LAIC) – Laïcité(s), une nouvelle chronique régulière (à vocation mensuelle) placée sous la direction commune des drs. et enseignants-chercheurs Clément Benelbaz & Mathieu Touzeil-Divina.

Cette chronique proposera a minima et ce, tous les mois ou deux mois :

  • la mise en avant d’une jurisprudence (administrative, constitutionnelle, judiciaire ou internationale ou étrangère) en matière de laïcité ;
    • soit parce qu’elle témoigne d’une actualité récente ;
    • soit parce que l’on en célèbre l’anniversaire.
  • L’objectif est alors de nourrir le catalogue (dit bréviaire prétorien) laïque des décisions réunies sur le sujet tout en offrant quelques éléments de contextualisation / commentaire.
  • En outre, la chronique pourra y ajouter & intégrer :
    • des commentaires et/ou des propositions doctrinaux :
    • des éléments d’actualité(s) ;
    • des iconographies détaillées (toujours avec pour thème la laïcité) ;
    • des comptes-rendus, etc.

Pour la 1ère chronique du 03 mai 2021, le JDA & le LAIC-Laïicté(s) vous proposent, en ouverture du site Internet du LAIC :

On y a ajouté pour l’ouverture du LAIC-Laïcité(s) :

Les éléments doctrinaux de la chronique (commentaires, observations, propositions, compte-rendus, etc. ) sont publiés parallèlement sur les deux sites partenaires.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Laïcité(s) ; Art. 328.

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L’animal & le droit administratif

Art. 266.

Le Jda (Journal du droit administratif ; ISSN 2494-6281) est un journal juridique en ligne (cfhttp://www.journal-du-droit-administratif.fr/) qui, depuis 2016, fait revivre le premier média français spécialisé en droit administratif créé à Toulouse en 1853. En novembre 2019, le Jda continue sa progression et vous propose de participer à un huitième dossier « mis à la portée de tout le monde » qui fera l’objet d’une publication en ligne courant 2021.

L’animal et le droit administratif

Le droit en est croassant,
son actualité est rugissante.
L’animal est au cœur du droit administratif.

Voici donc notre prochain dossier portant sur « L’animal et le droit administratif ». Deux principales raisons ont conduit le comité de rédaction -approuvé par l’assemblée générale-, à s’intéresser à cette question.

D’une part, la question de l’animal, sans même la teinter d’un aspect « protection des droits », est au cœur des préoccupations des individus. L’actualité ne saurait le démentir. Or, le Journal de Droit Administratif, rappelons-le, a pour objectif de se départir d’une vision élitiste –qui perdure-, du droit administratif, afin de le placer « à la portée de tout le monde » (V. not. Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) II / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 254). Dès lors, s’emparer d’une question relevant d’un intérêt citoyen et populaire croissant, correspond à l’accomplissement de ce qui constitue la toute première mission du journal et ce, depuis sa création en  1853.

D’autre part, la question de l’animal fait l’objet d’un intérêt, déjà ancien, de la part de la doctrine privatiste (V. not. MARGUENAUD, J-P., L’Animal en droit privé, Limoges, Publications de la faculté de droit et de sciences économiques de l’Université de Limoges, 1992). Néanmoins, les études relatives au droit public et, particulièrement au droit administratif, sont plus éparses et rares (Sur ce constat, V. PAULIAT, H.,  « Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs, 2009/4 (n° 131), p. 57-72). Or, le Journal de Droit Administratif a la volonté de proposer des thèmes de recherches permettant de faire avancer la connaissance dans des domaines encore peu défrichés par la doctrine. Dès lors,  la perspective d’ouvrir une réflexion d’ensemble sur la place de l’animal en droit administratif recèle, à n’en pas douter, d’un intérêt certain. En effet,  la question de l’animal est observable à la fois dans une dimension contentieuse et non contentieuse de sorte que son étude permettra de balayer l’étendue du spectre du droit administratif français, de l’Union européenne, international et étranger.

Sous la direction de :
– Madame le Professeur Isabelle Poirot-Mazères (UT1, IMH),
– Monsieur le Professeur Mathieu Touzeil-Divina (UT1, IMH),
– Monsieur Adrien Pech (UT1, IRDEIC),
le présent appel à contribution(s) est lancé selon le calendrier suivant – sensiblement modifié du fait de la pandémie de Covid-19 – :  

Printemps 2021 : dernier (r)appel à contributions : vous pouvez envoyer vos propositions de contributions (environ 2000 caractères) accompagnées d’un court CV ; ces propositions sont libres dans la thématique de l’animal & du droit administratif étant entendu que les thèmes non exhaustifs suivants sont encore selon nous à explorer :

Les virus & le droit administratif ;
Le « droit à la vie » de l’animal ;
La naissance des animaux & le droit administratif ;
La mort des animaux & le droit administratif ;
Les animaux errants & le droit administratif ;
Le cirque & le droit administratif ;
Le canard & le droit administratif ;
Le loup & le droit administratif ;
L’ours & le droit administratif ;
La religion, l’animal & le droit administratif ;  
L’équarrissage & le droit administratif ;
L’épizootie & le droit administratif ;
La grippe aviaire & le droit administratif ;
Les professions animalières règlementées (vétérinaire, ostéopathe animalier notamment).
Les services d’inspection vétérinaire & le droit administratif ;
Etc.

Juin 2021- Septembre 2021 : écriture des contributions et montage du dossier pour une publication en ligne en septembre 2021.

Sans perdre de vue l’optique pédagogique du JDA,
il est demandé aux contributeurs de concevoir une contribution en respectant les consignes suivantes :

  • contribution de 45.000 caractères espaces comprises au maximum ;
  • police unique dans tout le corps du texte (Times New Roman au plus simple) (12) ;
  • proposition de titre et d’au moins trois mots-clefs référentiels ;
  • emploi des subdivisions suivantes I. II. III. etc. ; puis A. B. etc. ; au besoin 1, 2. etc. ;
  • la proposition sera accompagnée d’un CV, de la mention des noms, prénoms, titres & fonctions à retenir ainsi que d’une photographie au format 604/270 px.

Toute personne souhaitant participer au présent dossier du JDA est ainsi invitée à respecter les consignes ci-dessus et à envoyer les éléments pertinents demandés à l’adresse : contribution@j-d-a.fr

Les auteurs seront informés de la recevabilité de leur proposition ou des contre-propositions éventuelles avant le 15 juin 2021.

Contributions retenues
au 1er avril 2021 (par ordre alphabétique & non scientifique)

L’abattage rituel des animaux
La chasse pendant les confinements pandémiques
La chatte dans le strat’
La construction d’un statut juridique cohérent pour l’animal ?
Le requin & le droit administratif
Le pangolin & le droit administratif
Le pigeon & le droit administratif
Les animaux des grands arrêts du droit administratif
Les insectes & le droit administratif

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019-2021 ; Art. 266.

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Chronique de février 2021 (Droit(s) de la Santé)

Art. 322.
en association avec le Master Droit de la Santé de l’Université Toulouse 1 capitole.

par les professeurs Isabelle Poirot-Mazères
& Mathieu Touzeil-Divina

La crise du Covid-19 en est un témoignage topique s’il en était encore besoin, le droit public se soucie du ou des droit(s) de la santé. Forts de ce constat, les professeurs Isabelle Poirot-Mazères & Mathieu Touzeil-Divina ont décidé d’ouvrir au sein du Journal du Droit Administratif une nouvelle chronique – essentiellement prétorienne – en partenariat étroit avec le Tribunal Administratif de Toulouse.

Présentation de la Chronique

Le Journal du Droit Administratif avec le soutien du Tribunal administratif de Toulouse ont décidé de proposer, de façon régulière, une chronique jurisprudentielle en droit(s) de la santé, réunissant , en fonction de l’actualité et/ou de l’intérêt juridique du sujet, une ou deux décisions du Tribunal assorties des conclusions du rapporteur public. Elles pourront être accompagnées d’un commentaire ou de propositions doctrinales et parfois même uniquement de présentations académiques.

Depuis 2021, la chronique est également ouverte aux analyses des étudiant.e.s, notamment ceux du Master Droit de la santé de l’Université Toulouse I Capitole,  sous la responsabilité des Professeurs Isabelle Poirot-Mazères et Mathieu Touzeil-Divina.

2. Chronique 2 – février 2021

La première chronique sous l’impulsion de la promotion Gisèle Halimi du Master II en Droit de la Santé comprend à ce jour les articles suivants :

par M. Nicolas ANDRE (Master II Droit de la Santé, UT1 Capitole, promotion Gisèle Halimi 2020-2021) ;

par M. Corentin AUFFRET (Master II Droit de la Santé, UT1 Capitole, promotion Gisèle Halimi 2020-2021) ;

par Mme Mathilde GOBERT (Master II Droit de la Santé, UT1 Capitole, promotion Gisèle Halimi 2020-2021) ;

par M. Hugo RICCI (Doctorant en Droit public, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

par Mme le pr. Isabelle POIROT-MAZERES (Co-directeur du Master Droit de la Santé, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA (Co-directeur du Master Droit de la Santé, UT1 Capitole, Institut Maurice Hauriou) ;

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Chronique Droit(s) de la Santé ; Art. 322.

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Doda ?

Art. 329.

Mathias Amilhat
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Membre du comité de rédaction du Journal du Droit Administratif, Iejuc

A ne pas confondre avec une espèce d’oiseaux disparue, le DODA (car intitulé Des Objets du Droit Administratif) risque bien de constituer la nouvelle référence des étudiants qui envisagent d’aborder le droit administratif !

Des débuts de la justice administrative retenue avec la décision De Beauvau en 1800, à l’arrêt UNEDESEP de 2020 concernant la « gratuité » du service public universitaire, ce sont 220 années de jurisprudence administrative qui sont présentées et expliquées de manière parfaitement claire. Car c’est là tout l’intérêt de cet ouvrage : il s’adresse aux « apprentis » du droit administratif et a donc été avant tout pensé pour les étudiants.

La méthode retenue est remarquable par son originalité : elle s’appuie sur les mémoires visuelle et kinesthésique en présentant les décisions de manière simple et agréable. La première chose qui saute aux yeux lorsque l’on décide d’ouvrir l’ouvrage est donc…une image ! Ce n’est cependant pas n’importe laquelle : chacune d’elles a été choisie pour illustrer la décision qu’elle accompagne et son apport. D’ailleurs, chaque objet est décrit dans un encadré qui repose toujours sous un même format. Il est alors possible de le rattacher à l’anecdote qui figure dans le second encadré qui figure aussi sur la première page. Des informations plus « traditionnelles » sont également présentes avec les références de l’arrêt, ainsi que le renvoi systématique à une référence bibliographique. Sur ce point, certains lecteurs pourraient se sentir frustrés mais ce ne sera certainement pas le cas du plus grand nombre : la référence semble avoir été sélectionnée pour permettre l’ouverture d’une réflexion doctrinale sans submerger le fameux « apprenti ». Il ne faut en effet pas oublier que c’est à lui que s’adressent ces « objets du droit administratif ».

La présentation écrite de chaque décision a aussi été pensée pour le profane. La page de droite (en plus de la seconde moitié de l’objet) est découpée en deux items : le premier consacré aux faits qui ont conduit à la décision, le second à sa portée. Les faits comme la portée sont rédigés de manière concise, en retenant un format quasi-similaire d’une décision à l’autre. Les informations les plus importantes sont surlignées, ce qui permet au lecteur de saisir (de voir en réalité) immédiatement ce qu’il faut retenir.

Il y a même, dans la présentation des décisions, une touche d’originalité qui n’a rien d’anecdotique. La page de gauche comporte, sous les quelques mots qui résument l’apport de la décision, des mots-clés déclinés en hashtags (ou mots-dièse) ! Le lecteur comprendra vite que l’intérêt ne réside pas dans un tweet éventuel mais dans le fait que ce format attire son regard, ici encore vers les informations les plus importantes liées à la décision. Certains d’entre eux ne manqueront pas de faire sourire.

La meilleure façon de s’en convaincre est de le feuilleter, tous ceux qui aiment le droit administratif seront immédiatement séduits !

Références :

Touzeil-Divina Mathieu, Des objets du Droit Administratif (DODA ; Vol. 1) ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 329.

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115 ans !

Art. 321.

115 ans
de la Loi de séparation
des Eglises & de l’Etat
du 09 décembre 1905 :
et demain ?

(petit) séminaire en ligne – 09 décembre 2020 – 17h30
sur inscription : LAIC.laicites@gmail.com

séminaire en ligne coordonné par
MM. Clément Bénelbaz (Université de Savoie-Mont-Blanc)
& Mathieu Touzeil-Divina (Université Toulouse 1 Capitole)

Au programme :

  • Bon anniversaire la Loi !
  • Contexte(s) normatif & doctrinal
  • Création d’une chronique mensuelle au Journal du Droit Administratif
    (avec appel à participation(s))
  • Constitution et mise en ligne progressive sur un site dédié
    d’un catéchismedoctrinal
    & d’un reliquairenormatif laïques
  • Naissance (& appel à rejoindre) un nouveau groupe de travail :

le Laboratoire d’Analyse(s)
Indépendant sur les Cultes – Laïcité(s)

Conférences courtes sur l’actualité
de l’article 28 de la Loi du 09 décembre 1905
suivies d’échanges & de débats :

  • Crèche(s) (de la nativité) & art. 28 de la Loi du 09 XII 1905
  • Relique(s) & art. 28 de la Loi du 09 XII 1905
  • Statue(s) & art. 28 de la Loi du 09 XII 1905

Séminaire organisé avec les soutiens suivants :

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Suspension, sans surprise, des arrêtés démagogiques municipaux permettant l’ouverture des commerces a priori fermés en période pandémique

Art. 320.
Nb : le présent article est également publié sur le site de l’auteur.

par Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Imh,
Président du Collectif L’Unité du Droit

TA de Toulouse, Ordo., 09 novembre 2020, Préfet de Tarn-et-Garonne (req. 2005497)

Suspension, sans surprise, des arrêtés démagogiques municipaux permettant l’ouverture des commerces a priori fermés en période pandémique

Le TA de Toulouse, comme de nombreux autres sur tout le territoire républicain (dont TA de Nice, ordonnance, 05 novembre 2020, Préfet des Alpes-Maritimes (req. 2004420)), vient de prendre en référé une ordonnance que tout étudiant en droit administratif de deuxième année de Licence aurait pu prévoir tant il s’agit d’une application classique et, sans surprise, des normes prétoriennes assises en matière de concours de polices administratives spéciale et générale (cf. CE, Sect., 18 décembre 1959, Sarl Les Films Lutétia & alii ; rec. 693). En l’espèce, parallèlement à un déféré préfectoral demandant l’annulation d’un arrêté du maire de Montauban autorisant, à compter du 31 octobre 2020, le « maintien de l’ouverture des commerces non-alimentaires » de la commune, le préfet du Tarn-et-Garonne a formé un référé suspension fondé sur l’art. L. 2131-6 (alinéa 3) Cgct lui permettant de ne pas avoir à démontrer la condition d’urgence de sa demande, ce qu’a acté – sans difficulté – le juge toulousain. Restait alors à discuter – pour emporter la suspension – l’existence d’un « doute sérieux » quant à la légalité de l’acte déféré. Pour se faire, le juge va opérer un raisonnement en quatre temps dont seul le premier suffisait et l’on pourra donc s’interroger sur la pertinence, plus pédagogique que juridique, des quatre autres qui intéressent davantage le fond de la légalité que la suspension demandée.

Dans un premier temps, en effet, appliquant la jurisprudence préc. des films Lutétia mise à jour par CE, Ord. 17 avril 2020, Commune de Sceaux (req. 440057) (et nos obs. au Journal du Droit administratif ; en ligne ; art. 292), le juge rappelle qu’en application de la Loi du 23 mars 2020, a été instituée une nouvelle police spéciale aux mains, principalement, du premier ministre et que c’est dans ce cadre qu’a été pris un décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020, déjà modifié, ordonnant non seulement un confinement relatif des populations françaises mais encore la fermeture de toutes les activités considérées comme non-essentielles aux fins de freiner la propagation pandémique en cours.

A ce titre, l’art. 37 dudit décret a précisé la liste des commerces autorisés, par exception, à rester ouverts. Toutefois, malgré cet article, la mairie litigieuse a décidé de permettre, dans sa commune, l’ouverture d’autres commerces que ceux strictement listés en se fondant sur un motif principal (outre une question démagogique et politique non discutée sous ce cadre) : l’atteinte à la concurrence qu’implique l’ouverture de grandes surfaces et de commerces en ligne alors que ces derniers vendent également des produits que l’on retrouve dans les plus petits établissements considérés comme non-essentiels. Alors, répond le juge toulousain, « La police spéciale instituée (…) ne permet au maire que de prendre au titre de son pouvoir de police générale des mesures supplémentaires de restriction » mais ce, à la condition « que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable » (ce qui est l’application classique de la jurisprudence dite des films Lutétia). Et d’ajouter, de façon critiquable et surabondante selon nous comme dans l’ordonnance Comm. de Sceaux préc., que le maire en agissant ainsi ne doit par ailleurs pas « compromettre la cohérence et l’efficacité » nationale des mesures étatiques de police spéciale.

Or, en l’espèce, l’arrêté municipal n’ayant pas aggravé les mesures de police spéciale mais cherché à les adoucir en se fondant « sur des considérations économiques tenant à l’existence d’une concurrence déloyale entre les petits commerçants et les grandes plateformes numériques de commande en ligne », il ne pouvait qu’être suspendu (ce qui est acté). La commune a par ailleurs convenu « que la rupture d’égalité entre les petits commerces et les supermarchés et hypermarchés » avait désormais disparu depuis la modification du décret litigieux le 02 novembre suivant (les grandes surfaces n’étant plus autorisées à vendre ce que les commerces non-essentiels proposent à l’instar des jouets ou de la librairie).

Tout aurait certainement pu et du s’arrêter là (puisque le doute sérieux sur la légalité de l’arrêté municipal était entendu) mais le juge toulousain a ajouté trois autres considérations. D’abord, il a relevé qu’il n’existait effectivement pas de définition juridique ou normative des biens et/ou activités « non-essentiels » mais il a néanmoins pris soin de considérer qu’il ne s’agissait pas des commerces « vendant les produits les plus essentiels (sic) concernant tant l’alimentation, que le fonctionnement des secteurs économiques dont l’activité reste autorisée pendant le confinement ». Autrement dit, selon le juge, sont essentiels les biens « essentiels » ce qui n’est objectivement pas discutable mais ne définit pas vraiment davantage.

Par ailleurs, au fond, le juge (s’avançant sur le travail d’analyse de la légalité de l’acte déféré) relève que s’il existe effectivement un traitement différencié et, partant, une rupture d’égalité au regard du droit de la concurrence entre les petits commerces, les grandes surfaces et les plateformes en ligne, elle « est justifiée par la différence de situation objective entre les modes de vente » et conséquemment la présence rassemblée, ou non, de public, diminuant ainsi les chaînes de propagation pandémique.

Enfin, le juge conclut (mais là encore il n’était pas obligé de l’écrire dans le cadre d’une stricte suspension de l’arrêté municipal) qu’à ses yeux la mesure de police spéciale et nationale litigieuse est tout à fait proportionnée à la menace impactant la salubrité publique car « eu égard à la nette aggravation de la crise sanitaire, le prononcé d’une mesure de fermeture de certains commerces, rendue possible uniquement aux fins de lutter contre la propagation du virus est une mesure qui, en l’état de l’instruction, n’est pas manifestement injustifiée par la situation sanitaire spécifique qui prévaut sur le territoire national ».

En conclusion, même si l’on peut imaginer (et presque entendre) que les célèbres tontons flingueurs Montalbanais (du film de Lautner) auraient pu dire qu’on « ne devrait jamais quitter » (le centre-ville de) « Montauban » pour ne faire ses achats qu’en ligne ou en grandes surfaces, la décision ici présentée ne présente – justement – aucune nouveauté. Heureusement, aucun des acteurs au présent procès, ne se prénomme Raoul, a priori. Restera, par suite, à disséminer « façon puzzle » – et enfin – ce maudit coronavirus.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Art. 320.

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Extraits du Bulletin de la Chaire Desaps

Art. 319.

La chaire Jean Monnet de l’Université Toulouse 1 Capitole, « Droit européen de la santé et des produits de santé » (Desaps) de notre collègue Nathalie De Grove Valdeyron vient de mettre en ligne un nouveau bulletin collectif.

Pour soutenir et partager cette très belle initiative, le Journal du Droit Administratif vous en propose ci-dessous trois extraits et vous engage à lire ledit bulletin en totalité en cliquant ci-après :

https://ceec.ut-capitole.fr/medias/fichier/bulletin-n-6-1final_1600067907973-pdf

1. avant-propos :

par Nathalie de Grove-Valdeyron
Professeure de droit public, Université Toulouse 1 Capitole (IRDEIC)
Chaire Jean Monnet

Dans le contexte de la pandémie liée au coronavirus, deux bulletins spéciaux de la Chaire Jean Monnet DESAPS, coordonnés par Sarah Bister (docteur en droit et avocate) et Lucas Sutto (doctorant), ont été consacrés aux mesures adoptées par l’Union européenne pour gérer la crise sanitaire. Ils ont permis de porter à la connaissance des lecteurs du bulletin DESAPS le nombre impressionnant de mesures adoptées par l’Union[1] pour aider les États à gérer, du mieux possible, une crise liée à un virus imprévisible et inconnu dont la propagation extrêmement rapide et la dangerosité ont pris de court les instances internationales, européennes et nationales.

            Cette pandémie liée au coronavirus a mis en lumière la compétence limitée attribuée par le traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) à l’Union dans la lutte contre les menaces transfrontières graves pour la santé[2] (simple compétence d’appui aux États), mais aussi, le rôle incontournable qu’elle a à jouer dans ce cadre. L’Union européenne a géré, et continue à gérer, avec les moyens qui sont les siens, une crise inédite en n’hésitant pas, dans le contexte d’urgence sanitaire, à adapter la législation existante en l’assouplissant[3], en faisant preuve de la flexibilité[4] qui s’impose, ou en la complétant pour permettre la mise en œuvre de mesures nationales, tant sanitaires qu’économiques, elles aussi justifiées par le contexte particulier.

Ce sixième bulletin semestriel est consacré largement aux mesures adoptées pour gérer la crise de la COVID-19, depuis la parution du deuxième bulletin « spécial covid-19 ». Il fait également état, comme les précédents bulletins semestriels de la Chaire, des mesures (contraignantes ou non) adoptées dans le domaine de la santé et des produits de santé au cours des 6 derniers mois (autres que celles déjà reprises dans les bulletins spéciaux). Il comporte enfin une veille contentieuse, les arrêts les plus importants étant commentés.     

Parmi les points les plus marquants de ces dernières semaines repris dans ce bulletin, alors que le virus circule toujours activement et qu’une « seconde vague » semble se profiler en Europe, on retiendra que la Commission réfléchit déjà aux améliorations à apporter à la gestion des crises sanitaires de façon à être en mesure de faire face de manière plus efficace, à l’avenir, à de nouvelles menaces transfrontières. Elle a ainsi adopté, le 4 septembre dernier, une proposition de recommandation du Conseil [5] visant à garantir que toutes les mesures prises par les États membres qui restreignent la libre circulation en raison de la pandémie de coronavirus soient coordonnées et clairement communiquées au niveau de l’Union. Cette amélioration s’imposait face à la réaction de repli sur soi et de fermeture désordonnée des frontières décidée unilatéralement par les Etats au nom de la santé publique, dès le début de la crise (février 2020)[6]. De telles mesures ont eu pour effet, notamment, de retarder l’arrivée des protections individuelles (masques chirurgicaux, blouses etc..) particulièrement attendues dans les États les plus touchés par la pandémie[7] (Italie et Espagne). Au-delà des mesures adoptées et des instruments créés (réserve médicale RescUE notamment) afin de garantir que tous les États membres disposent dans les mois à venir des fournitures médicales essentielles en quantité suffisante, l’Union européenne a adopté une stratégie qui vise à accélérer la mise au point, la fabrication et le déploiement de vaccins efficaces et sûrs contre la pandémie. La Commission négocie puis passe des contrats d’achat anticipé avec des sociétés pharmaceutiques (Curevac, BioNTech-Pfizer, Astrazéneca…) en vue de l’acquisition de candidats vaccins. De façon concrète, en échange du droit d’acheter un nombre défini de doses de vaccin dans un délai donné (12 à 18 mois), à un prix fixé, la Commission finance une partie des coûts initiaux supportés par les producteurs de vaccins. Le financement fourni est considéré comme un acompte sur les vaccins qui seront par la suite effectivement achetés par les États membres. La recherche européenne est mise au service du développement d’un vaccin et tous les centres de recherches en font une priorité[8]. Par ailleurs, une coopération internationale s’organise aussi pour tendre au développement d’un vaccin accessible à tous[9].

 L’Union européenne a montré, une fois encore, sa capacité de résilience face à des crises et a éprouvé la solidarité des États membres. Le plan de relance « Next Generation UE » adopté par le Conseil européen remplira-t-il ses promesses et les États seront- ils, le moment venu, prêts à créer de nouvelles ressources propres[10] ? Le nouveau plan « EU4Health programme » (2021-2027), à l’état de projet, qui se présente avant tout comme un programme financier et spécifique tirant les leçons de la COVID-19 sera-t-il réellement suffisant ? l’avenir nous le dira mais une chose est certaine la crise aura mis en évidence, plus que jamais, la nécessité pour l’Union de préserver une souveraineté européenne dans un domaine essentiel, celui de la santé, et particulièrement s’agissant de la disponibilité des médicaments et des dispositifs médicaux, ce qui devrait amener à réfléchir à la création d’une nouvelle compétence partagée entre l’Union et les États membres dans ce domaine.


[1] Pour un rapide rappel de ces mesures voir aussi J-P Jacque, L’Union à l’épreuve de la pandémie, RTDE 2020, p. 175.

[2] M. Blanquet et N. De Grove-Valdeyron, La compétence de l’Union vis-à-vis des menaces transfrontières graves de santé publique à l’épreuve de la COVID-19, RAE/LEA2020/1. p. 9.

[3] On pense aux mesures concernant les aides d’Etats, la concurrence, le marquage CE etc. (voir le bulletin spécial COVID 1 et 2).

[4] E. Dubout et F. Picod, Forces et faiblesses de l’Union européenne face à la crise de COVID-19, RAE/LEA 2020/1- Avant- propos.

[5] COM (2020) 499.

[6] C. Bories, Quand l’Union européenne reconsidère la question de ses frontières par temps de coronavirus, RUE n °638, p. 296 ; D. Blanc : unis dans l’adversité : la protection civile de l’Union, instrument d’une solidarité éprouvée par le coronavirus, ibid. p 270 ; N. De Grove-Valdeyron, La gestion du COVID-19 par l’Union européenne : la réponse sanitaire, ibid. p.277).

[7] N. De Grove-Valdeyron, La pénurie d’équipements médicaux de première nécessité et de médicaments : que fait l’Union européenne ?, RUE n°639, juin 2020.

[8] Louisa COT, Les enjeux de la recherche & de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé durant la crise sanitaire liée à la covid-19, mémoire de Master 2 santé et protection sociale, Université Toulouse 1 Capitole.

[9] La Commission participe à l’initiative « COVID-19 Vaccine Global Access » (COVAX).

[10] Le plan de relance Next Generation EU : Un changement de cap historique ou un rendez-vous manqué pour réformer le budget de l’UE ? par Nicolas de Sadeleer, Professeur de droit de l’UE, université St Louis, chaire Jean Monnet, Research Fellow, METRO, Maastricht Universiteit, disponible sur http://blogdroiteuropeen.com

2. : L’affaire PIP
et la complexe réparation des préjudices causés par l’utilisation de dispositifs médicaux :
réflexions autour de l’applicabilité du droit de l’Union européenne à l’aune de l’arrêt du 11 juin 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne

Pierre Jean THIL,
Doctorant en droit (IRDEIC)

« Existe-t-il pour l’homme un bien plus précieux que la Santé »
Socrate,

L’évocation par Socrate du caractère primordial de la préservation de la santé chez l’être humain pourrait paraître désuète dans la société européenne du 21ème siècle. En effet, cet impératif est parfois laissé de côté en raison d’intérêts autres que celui de protection de la santé publique. Cette situation est parfaitement illustrée par les tristes affaires de santé publique de ces dernières années, telles que celles du sang contaminé[1], ou du médiator[2], où l’État a vu reconnaître sa responsabilité « pour faute simple en matière d’activité de contrôle de la police sanitaire »[3]. L’arrêt du 11 juin 2020[4] de la Cour de justice de l’Union européenne[5] (CJUE), pour sa part, s’inscrit dans le cadre de l’affaire des « Poly Implant Prothèse » (PIP) et est plus particulièrement relatif à l’indemnisation des victimes du fait du défaut de ce dispositif médical décelé tardivement en raison d’un système de contrôle défaillant.

Dans cette affaire, la requérante au principal (une patiente allemande) s’est fait poser en Allemagne, le 30 octobre 2006, des implants mammaires produits par la société PIP et commercialisés par l’entreprise néerlandaise Rofil Medical Netherlands. En l’espèce, l’organisme notifié TÜV Rheinland a réalisé, en vertu des obligations de la directive 93/42[6], à partir de 1997 et jusqu’en 2010, des inspections annoncées en avance chez la société PIP à la suite desquelles le système de qualité a toujours été validé et la certification CE renouvelée. La société PIP était couverte par un contrat d’assurance de responsabilité civile pour la production de ses produits conclu auprès d’AGF IARD à laquelle a succédé Allianz[7]. Ledit contrat contenait une clause stipulant que la couverture d’assurance ne prendrait en compte que les dommages qui surviendraient en France métropolitaine ou dans les départements et territoires français d’outre-mer. En mars 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS[8]) a relevé à l’occasion d’une inspection que le silicone utilisé était un silicone industriel non autorisé. Ainsi, le 1er avril 2010, il a été conseillé aux médecins par l’Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux en Allemagne de tenir informées les patientes s’étant fait poser ces implants et de ne plus utiliser ce dispositif médical. Le 6 janvier 2012, ce même institut a conseillé de faire explanter ces prothèses de manière préventive au vu du risque de rupture et « du caractère inflammatoire du silicone utilisé »[9]. En ce qui concerne la société PIP, cette dernière a fait faillite en 2010 puis a été liquidée l’année suivante. Enfin, l’explantation et le remplacement des implants de la requérante au principal ont été effectués en 2012.

Une action en dommages et intérêts a été introduite par la requérante au principal devant le Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main) visant conjointement et solidairement le médecin lui ayant posé les implants défectueux, l’organisme notifié et l’assureur. La requérante au principal considérait, d’une part, que le médecin n’avait pas correctement respecté son obligation d’information concernant les risques encourus et la véritable nature des implants et, d’autre part, que l’organisme notifié n’avait pas respecté de manière correcte ses obligations concernant « les vérifications nécessaires et les inspections annuelles »[10]. Elle estimait que l’organisme notifié aurait dû effectuer des contrôles inopinés afin de se rendre compte du caractère défectueux des implants mammaires. En troisième lieu, elle mettait en avant que la clause limitant la portée géographique de la couverture du contrat d’assurance de responsabilité civile était contraire au droit de l’Union, et partant, qu’elle disposait d’un droit d’action directe contre l’assureur du fabricant. L’organisme notifié, pour sa part, estimait ne pas être obligé de réaliser ces contrôles inopinés et que ces derniers n’auraient en aucun cas pu être utiles au vu des pratiques frauduleuses du fabricant. L’assureur, quant à lui, considérait que les dommages de la requérante au principal n’étaient pas couverts par le contrat de responsabilité civile du fabricant.

Le juge de première instance n’ayant pas fait droit aux prétentions de la requérante au principal, cette dernière a interjeté appel auprès de l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main) alléguant que la juridiction de première instance aurait commis une erreur de droit en confirmant la validité de la clause et en ne retenant pas une violation de la libre circulation des marchandises.

Ledit tribunal s’est alors interrogé sur la légalité de la clause de limitation géographique de la couverture des dommages au regard du droit de l’UE et plus particulièrement de l’article 18 alinéa premier du TFUE. La juridiction considérait premièrement que cette disposition du traité pourrait avoir un effet direct horizontal. Elle estimait deuxièmement que, si ladite disposition n’était pas applicable dans le cadre des relations entre particuliers, elle pourrait servir de fondement pour déclarer l’illégalité de la clause du contrat d’assurance. Le tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main cherche également à connaître, d’une part, les conditions d’une éventuelle justification de cette situation qu’elle considère comme une discrimination indirecte et, d’autre part, si l’assureur pourrait refuser l’application de la couverture d’assurance à la requérante au principal dans le cas où le plafond de garantie aurait été atteint pour des sinistres répondant aux conditions contractuelles de couverture du risque. Afin de répondre à ces questionnements, le tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main a sursis à statuer afin de poser à la CJUE quatre questions préjudicielles. Le juge de Luxembourg a donc eu à s’interroger sur la comptabilité d’une clause de limitation territoriale de la garantie d’assurance aux dommages survenus dans un État membre déterminé avec l’article 18 alinéa premier du TFUE prohibant toute discrimination fondée sur la nationalité et sur sa possible justification. La CJUE a rendu un arrêt en grande chambre, le 11 juin 2020, estimant que l’article 18 premier alinéa du TFUE ne s’applique pas à une clause telle que celle faisant l’objet du renvoi préjudiciel car la situation « ne relève pas, en l’état actuel du droit de l’Union, du domaine d’application de celui-ci ».

L’intérêt de cet arrêt réside dans une réflexion relative à l’applicabilité du droit de l’UE en cas de défaillances des dispositifs médicaux et plus particulièrement en ce qui concerne d’une part, la complexité de l’indemnisation et, d’autre part, les limites du droit de l’Union en la matière (I). En effet, à la suite de la révélation de ce scandale sanitaire, une enquête d’investigation a été menée par un consortium de journalistes internationaux en vue d’éveiller l’opinion publique sur les importantes lacunes de la règlementation des dispositifs médicaux qui font peser un risque important sur les patients. Cette enquête met notamment en lumière le manque de vigilance et de traçabilité de ces produits[11]. On peut alors se questionner sur le manque d’opportunisme de la CJUE dans cette affaire ainsi que sur l’état du droit actuel en matière de sécurité des dispositifs médicaux et des moyens d’indemnisation offerts en cas de défaillance de ces dispositifs au vu du renforcement de la réglementation européenne en 2017 (II).

I. La complexe réparation des défaillances des dispositifs médicaux et les limites du droit de l’Union européenne : le cas de la limitation territoriale du contrat d’assurance du fabricant des implants PIP

Le volet indemnitaire de l’affaire des implants PIP illustre parfaitement la complexité à laquelle les victimes de défaillances de dispositifs médicaux ont à faire face pour obtenir une indemnisation, mettant ainsi en lumière les déficiences du droit de l’UE dans ce domaine (A), que la CJUE n’a pas appréciée dans sa décision du 11 juin 2020 en concluant que la situation ne peut pas être rattachée au champ d’application du droit de l’UE (B).

A. La question cruciale de l’indemnisation des victimes de dommages dus à la défaillance d’un dispositif médical : l’affaire des implants PIP et l’influence du droit de l’Union européenne

L’arrêt rendu le 11 juin 2020 met en lumière l’importance de l’indemnisation des victimes ayant subi des dommages dus à des défaillances de dispositifs médicaux. L’affaire des implants PIP n’est pas isolée et porte l’attention du juriste sur les difficultés d’obtention d’une indemnisation, notamment pour les victimes situées hors de France (en raison d’une clause du   contrat d’assurance du fabricant limitant territorialement la garantie d’assurance aux dommages survenus en France). Afin de bien comprendre les enjeux de l’arrêt du 11 juin 2020, il convient de procéder à une brève présentation des éléments juridiques majeurs de cette affaire de santé publique internationale et à l’exposition des caractéristiques essentielles relatives à la « nouvelle approche ».

Tout d’abord, une référence à la technique législative adoptée le législateur de l’UE, à savoir la « nouvelle approche »[12], en matière de réglementation des dispositifs médicaux permet de comprendre la complexité de l’équilibre à trouver entre protection et innovation en matière de dispositifs médicaux[13]. En effet, la nouvelle approche « organise une conciliation, évolutive, entre liberté de circulation et exigences sanitaires[14] » et vise à « rapprocher les standards de protection de l’intérêt général, plutôt que de négocier des produits communs à toute l’Europe »[15]. En vertu de cette méthode, une importante responsabilité incombe aux entreprises (en l’espèce le fabricant) dans le respect des exigences essentielles. Le contrôle de conformité qui donnera droit à l’apposition du marquage CE[16] est généralement confié à un organisme notifié qui garantit la conformité dudit produit. Le rôle des organismes notifiés a été vivement critiqué[17]. En effet, la technique de la « nouvelle approche » fait reposer sur ces entités une trop grande part de responsabilité sans prévoir une « voie de droit pour obtenir réparation d’une faute commise par ces organismes »[18]. Par ailleurs, il existe un manque flagrant de contrôle et des risques de conflits d’intérêts[19].

Dans cette affaire, les victimes sont confrontées à des difficultés juridiques majeures eu égard à la délimitation et au type de préjudices indemnisables, à l’existence d’un dommage certain, à la preuve « du lien de causalité entre la rupture et le développement de la maladie »[20] et notamment à la recherche de responsables, c’est à dire des acteurs allant de la production à la vente en passant par le contrôle et la certification des dispositifs médicaux, et enfin des juridictions compétentes. 

En ce qui concerne la saga judiciaire de cette affaire, elle débute en 2010 avec l’ouverture par le parquet de Marseille d’une « enquête préliminaire pour tromperie aggravée et mise en danger de la vie d’autrui »[21]. De nombreuses plaintes au civil de victimes sont alors déposées, ainsi que par l’assureur du fabricant. La même année, une plainte contre TÜV Rheinland est déposée par l’association PPP[22]. De plus, l’AFSSAPS recommande une vigilance accrue ainsi que le retrait de ces implants lorsque le risque de rupture existe. L’unique solution proposée est ici une nouvelle intervention médicale, ce qui provoque chez ces victimes « un dommage corporel »[23]. Dans les situations les plus graves, le risque de cancer est également présent. En décembre 2011, il est recommandé en France, ainsi que dans d’autres pays, de faire retirer à titre préventif ces implants, à la suite du signalement de cancers. Le 27 janvier 2012, l’ex-dirigeant de la société est mis en examen pour blessures involontaires et le 5 juillet de la même année pour abus de biens sociaux, blanchiment et blanchiment de fraude fiscale. Par ailleurs, TÜV Rheinland s’est vu assigné devant le Tribunal de commerce de Toulon « pour manquement à ses obligations de certification et contrôle par plusieurs milliers de victimes et six distributeurs étrangers »[24].

Le fondateur de la société a été condamné le 10 décembre 2013 par le Tribunal correctionnel de Marseille a quatre ans de prison ferme et 100.000 euros d’amende pour escroquerie et tromperie aggravée et à une interdiction d’exercice. Ce jugement été confirmé en appel[25] mais fut l’objet d’une cassation partielle[26]. En ce qui concerne l’assurance, la Cour d’appel d’Aix en Provence[27] n’a pas retenu la nullité du contrat. Toutefois, comme le souligne Caroline Lantero, la réparation est limitée car « la garantie reste plafonnée à 3 millions d’euros et ne concerne que les victimes opérées en France et à Monaco »[28]. Pour sa part, l’organisme notifié, TÜV Rheinland, a été condamné par le Tribunal de commerce de Toulon, mais l’arrêt a été infirmé par la Cour d’appel d’Aix en Provence en 2015[29] au motif qu’il n’est pas prévu d’obligation de réaliser des contrôles inopinés.

Il est donc possible de se rendre compte que les victimes des implants PIP ont une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête dans leur quête de réparation des dommages subis à la suite de la défaillance des implants PIP même si elles ont pu être bercées par l’illusion que la CJUE allait œuvrer en leur faveur, à la suite d’un important un arrêt du 16 février 2017[30]. Dans cette décision, le juge de Luxembourg a estimé qu’un organisme notifié n’est pas dans l’obligation de réaliser « des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant »[31]. Toutefois, l’organisme notifié ne doit pas rester inactif lorsqu’il existe des « indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences découlant de la directive 93/42 »[32]. Dès lors, « cet organisme doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de s’acquitter de ses obligations »[33]. Il s’agit alors d’un « devoir de vigilance »[34] imposé aux organismes notifiés. Cette décision a sans aucun doute influencé l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 octobre 2018[35] qui a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence susmentionné. Cette conclusion de la CJUE ne laissait donc rien présager de l’interprétation restrictive qu’elle allait rendre concernant l’applicabilité de l’article 18 TFUE à la clause du contrat d’assurance de responsabilité liant PIP à Allianz concernant sa possible nature discriminatoire fondée sur la nationalité. En effet, de nombreuses victimes de la société PIP pouvaient espérer que la CJUE allait répondre de manière favorable aux questions de la juridiction de renvoi motivée par un objectif de protection des patients à l’échelle européenne.

B. L’absence d’obligation de souscription d’un contrat d’assurance de responsabilité en matière de dispositifs médicaux en droit de l’Union européenne et la non-applicabilité de l’article 18 TFUE : reflet du difficile équilibre entre intérêts divergents

La CJUE, afin de répondre à la question préjudicielle de la juridiction de renvoi relative à la possible discrimination indirecte créée par la clause litigieuse du contrat, analyse si les conditions d’invocation de l’article 18 premier alinéa TFUE sont remplies. La CJUE rappelle, dans cet arrêt du 11 juin 2020, les circonstances dans lesquelles les conditions d’application sont remplies, à l’appui d’une jurisprudence constante. Les deux conditions étant les suivantes : « selon la première condition, la situation à l’origine de la discrimination invoquée doit relever du champ d’application du droit de l’Union »[36], « selon la seconde condition aucune règle spécifique prévue par les traités et visant à interdire une discrimination en raison de la nationalité ne doit trouver à s’appliquer à une telle situation »[37]. On retrouve ici une application du principe lex specialis derogat lex generalis[38]. En l’espèce, la discrimination indirecte fondée sur la nationalité serait le fruit de la limitation géographique de la couverture d’assurance « en ce que celle-ci ne prévoit pas que cette couverture d’assurance s’étend aux dommages survenus sur l’ensemble du territoire de l’Union »[39].

Dans le cadre de l’analyse de la première condition, la CJUE s’intéresse tout d’abord au droit dérivé de l’UE et conclut qu’il ne prévoit pas d’obligation visant à ce que « le fabricant de dispositifs médicaux […] [souscrive] une assurance de responsabilité civile visant à couvrir les risques liés à ces dispositifs ou qui régit, d’une manière ou d’une autre, une telle assurance »[40]. Tout d’abord, une telle obligation n’est nullement présente dans la directive 93/42[41]. En effet, le juge de Luxembourg relève qu’une obligation d’assurance de responsabilité civile s’impose uniquement à l’organisme notifié « à moins que cette responsabilité ne soit couverte par l’État sur la base du droit interne ou que les contrôles incombant aux organismes notifiés, en vertu de cette même directive, ne soient effectués directement par l’État membre »[42]. Pour sa part, la directive 85/374[43] ne contient pas non plus une telle obligation de souscription d’assurance pour le fabricant du dispositif médical « pour les dommages éventuels liés à ces produits, ni ne régit d’une autre manière cette assurance »[44].

Eu égard à l’analyse du droit dérivé de l’Union, l’Avocat général au point 38 de ses conclusions souligne que « pour qu’une question relève du champ d’application du droit de l’Union, il suffit qu’il existe des règles du droit dérivé de l’Union régissant de manière générale l’objet ou les questions en cause. Il n’est donc pas nécessaire, au stade de la détermination de la compétence de la Cour, d’avoir clairement et explicitement identifié une règle ou une obligation spécifique du droit de l’Union qui s’applique à l’affaire ». Il résume sa vision au point 41 en constatant que « la Cour décline sa compétence lorsque la situation en cause est, dans tous ses éléments, cantonnée à l’intérieur d’un seul État membre, ou lorsqu’il est évident qu’aucune disposition du droit de l’Union, tout particulièrement celles qui sont soumises à l’interprétation de la Cour, ne peut trouver à s’appliquer ».

La Cour s’oppose donc, en l’espèce, à la vision de l’Avocat général qui paraissait empreinte d’une certaine logique. En effet, il existe notamment la directive sur les produits défectueux qui régit de manière générale la question objet du litige à savoir l’engagement de la responsabilité civile du fabricant. Alors, bien qu’il n’existe pas d’obligation spécifique d’assurance dans la législation européenne applicable à l’espèce, la situation devait relever du champ d’application du droit de l’Union européenne. La décision de la CJUE provoque une véritable insécurité juridique qui sera confirmée dans le cadre de l’analyse du rattachement de cette situation au cadre d’une liberté fondamentale.

En outre, on peut également s’étonner du silence du législateur concernant l’absence de cette obligation. En effet, cette omission a pour conséquence que les patients, en cas de défaillances des dispositifs médicaux, doivent se tourner vers les législations nationales, souvent disparates (comme l’a relevé le Parlement européen dans sa résolution du 14 juin 2012[45] sur les implants PIP), afin d’obtenir une possible réparation. L’impératif de protection de la santé semble ici absent alors que les dispositifs médicaux présentent un risque certain pour les patients.

Cette absence d’obligation légale de souscription d’un contrat d’assurance de responsabilité civile pour le fabricant de dispositifs médicaux est parfaitement compréhensible pour la directive 85/374 car ce n’est pas la fonction première de cet acte législatif de l’UE qui est plus ancien. Cela est confirmé par la CJUE au point 42 de l’arrêt où elle se réfère au considérant 18 de ladite directive afin de justifier son interprétation : « celle-ci n’a pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà des points qu’elle réglemente » citant à l’appui un arrêt du 21 juin 2017[46]. Cela est également logique pour la directive 2006/123 car « cette dernière ne s’applique pas aux services financiers tels que ceux ayant trait à l’assurance. Dès lors, ladite directive ne saurait trouver application dans une affaire telle que celle au principal »[47]. Toutefois, cet état du droit paraît plus problématique pour la directive 93/42 qui vise à harmoniser les droits nationaux en matière de sécurité et protection des dispositifs médicaux, comme le relève la CJUE dans le troisième considérant de la directive[48].

Néanmoins, on comprend très vite à la lecture de ce troisième considérant que les règles de cette directive doivent concilier cet objectif de protection et de sécurité et la garantie de « la libre circulation des dispositifs médicaux »[49].  Cet impératif de conciliation est renforcé par le fait qu’il apparaisse préalablement à l’énoncé de l’objectif d’harmonisation des règles en matière de protection et sécurité des dispositifs médicaux[50]. La CJUE conclut donc au point 44 qu’« en l’état actuel du droit de l’Union, l’assurance de responsabilité civile des fabricants de dispositifs médicaux pour les dommages liés à ces dispositifs ne fait pas l’objet d’une réglementation par ce droit » et parfait sa démonstration en citant un domaine où un tel système est prévu par le droit de l’UE, à savoir le domaine de l’assurance de responsabilité civile relative à la circulation des véhicule automoteurs[51]

Cette première analyse du cadre législatif dans lequel cette obligation d’assurance pour le fabricant des DM est absente illustre les carences du droit de l’Union européenne en ce qui concerne le volet indemnitaire de ces affaires de santé publique. Ce constat sera renforcé par la conclusion de la CJUE concernant l’impossible rattachement de la situation d’espèce à l’exercice d’une liberté de circulation. Toutefois, une vision plus approfondie – prenant en compte la structure du droit de l’UE en matière de réglementation relative aux dispositifs médicaux et la nécessité de concilier des intérêts pouvant être divergents dans cette branche du droit – amène à conclure que le droit de l’UE, en pleine évolution, tente de trouver des palliatifs aux insécurités juridiques nées d’un manque de réglementation pouvant complexifier de possibles indemnisations.

II. La délicate indemnisation des victimes de dommages dus aux défaillances des implants PIP et l’inconcevable application de l’article 18 TFUE 

La CJUE n’a pas conclu que la situation d’espèce pouvait être rattachée à l’exercice d’une liberté de circulation, estimant donc que la première condition d’application de l’article 18 TFUE n’était pas remplie. L’analyse du raisonnement de la CJUE, lue de manière conjointe avec les conclusions de l’Avocat général Bobek, permet de mettre en exergue la logique et les fondements de la décision de la CJUE rendant inconcevable l’application de l’article 18 TFUE (A). Par ailleurs, la présentation de l’affaire des implants PIP dans la présente contribution, étudiée à l’aune de la décision de la CJUE, rend nécessaire l’exposition du nouveau cadre législatif européen renforcé et plus protecteur (B).

A. L’impossible rattachement de la clause de limitation de la portée géographique d’une couverture d’assurance de responsabilité civile au droit de l’Union

Dans le cadre de l’analyse de l’applicabilité de l’article 18 premier alinéa du TFUE, le juge de Luxembourg recherche, dans un deuxième temps, à savoir s’il est en l’espèce possible de rattacher la clause au droit de l’Union en vérifiant « si la situation à l’origine de la discrimination invoquée dans la présente affaire entre dans le champ d’application d’une liberté fondamentale prévue par le traité FUE »[52]. Pour ce faire, la CJUE insiste sur le fait qu’il doit exister « un lien de rattachement concret entre la personne, le service ou la marchandise ayant circulé et la prétendue discrimination »[53]. L’intérêt de la CJUE porte en l’espèce sur les libertés de circulation des marchandises, de services et des personnes.

En l’espèce, la requérante au principal réside dans l’État membre dans lequel elle s’est fait poser les implants mammaires défectueux, à savoir l’Allemagne. Dès lors, la CJUE relève premièrement que la situation ne peut être rattachée à l’exercice de la libre circulation des citoyens car la requérante au principal n’en a pas fait usage, ce qui est une condition exigée par une jurisprudence constante[54], ainsi le « lien de rattachement n’est dès lors pas concret entre la situation en cause au principal et la libre circulation des citoyens de l’Union ». Elle estime, deuxièmement, pour la libre prestation de services que la requérante n’a pas fait usage ce cette liberté au vu de la situation de l’espèce. On peut toutefois noter que ce lien de rattachement concret aurait pu être caractérisé si la requérante s’était rendue dans un autre État membre pour se faire poser les implants mammaires, comme le relève la CJUE au point 50 de l’arrêt qui se réfère au point 82 des conclusions de l’Avocat général[55]. Il convient également de noter que la libre prestation de services en assurance n’est pas un moyen qui permet de rattacher la situation au principal au droit de l’UE car le contrat a été conclu entre le fabricant français et une société d’assurance française. Il ne contient donc pas d’élément d’extranéité et ne rentre pas dans les situations – mentionnées au point 51 de l’arrêt – pouvant permettre de caractériser l’exercice de la libre prestation de services en assurance.  En dernier lieu, la même conclusion que pour les deux précédentes libertés s’applique pour la libre circulation des marchandises, c’est à dire l’absence d’un lien de rattachement concret entre ladite liberté et la situation en cause au principal. En effet, bien que la libre circulation des implants n’ait pas été entravée de manière discriminatoire[56], la CJUE opère, en l’espèce, au point 56, une importante distinction entre l’exercice stricto sensu de la liberté de circulation des marchandises et les « dommages causés par des marchandises qui ont fait l’objet d’une telle circulation » et, par conséquent, l’obtention d’une indemnisation par l’assureur du fabricant des prothèses PIP du fait des dommages subis. Il faut ici remarquer que « l’assurance de responsabilité civile ainsi contractée n’affecte pas la commercialisation dans un autre État membre des produits dont elle vise à couvrir les risques ni leur circulation au sein de l’Union »[57].

La conclusion de la CJUE visant à considérer que cette situation est purement interne[58] peut paraître à première vue étonnante au regard de l’interprétation extensive de la jurisprudence en matière de libertés de circulation, comme le relève l’Avocat général Bobek dans ses conclusions : « Il est vrai que, au fil des ans, la jurisprudence concernant les dispositions relatives aux libertés fondamentales a étendu plus encore leur champ d’application. Elle a commencé à inclure non seulement les obstacles réels (à savoir ceux qui sont déjà matérialisés), mais également le fait de dissuader ou de rendre l’exercice des libertés moins attrayant. De même l’éventualité d’un élément transfrontalier suffit […]. »[59]. L’Avocat général se pose alors la question de la limite de la « logique de l’éventualité », il relève qu’« il n’arrive pas souvent que la Cour constate qu’elle n’est pas compétente s’il existe dans l’affaire un élément transfrontalier raisonnablement concevable (et non pas entièrement hypothétique) ayant trait à l’une des quatre libertés »[60].

En l’espèce, le juge de Luxembourg aurait pu conclure que la situation relevait du champ d’application du droit de l’UE. L’Avocat général le met en lumière dans ses conclusions en soulignant que la CJUE devrait relever l’existence d’un lien de rattachement avec, d’une part, la liberté de circulation des marchandises : « il ne fait guère de doute que les dommages étaient, en un sens, la conséquence logique des échanges de marchandises à l’intérieur de l’Union »[61]. D’autre part, avec « la liberté de recevoir des services [d’assurance] », comme il le souligne au point 44 de ses conclusions, en constatant que « [s]i la clause territoriale devait effectivement être considérée comme incompatible avec le droit de l’Union, la requérante qui réside en Allemagne pourrait hypothétiquement demander des dommages et intérêts à la défenderesse qui réside en France, cherchant ainsi à avoir accès à une assurance transfrontalière en sa qualité de partie lésée ».

Toutefois, la CJUE, à la suite de son analyse en deux temps de la première condition d’application de l’article 18 premier alinéa du TFUE, considère que cette dernière n’est pas remplie. Partant, elle estime qu’il n’est pas opportun de rentrer dans l’analyse de la seconde condition cumulative[62]. Cette conclusion s’oppose à première vue avec sa jurisprudence classique, notamment en matière de libertés de circulation[63], ainsi qu’avec les conclusions de l’Avocat général[64]. Elle répond alors par la négative à la première question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi en affirmant « qu’une telle situation ne relève pas, en l’état actuel du droit de l’Union, du domaine d’application de celui-ci ». La décision rendue dans cette affaire laisse en suspens de nombreux points abordés par la juridiction tels que ceux relatifs à l’effet direct horizontal de la disposition invoquée, ainsi qu’à la caractérisation d’une possible situation de discrimination indirecte produite par la clause du contrat d’assurance de responsabilité civile.

 On peut alors s’étonner de cette conclusion, comme le relève l’Avocat général au point 99 de ses conclusions concernant la possible conclusion que la CJUE pourrait tirer de son analyse des conditions d’application de l’article 18 TFUE.  En effet, il affirme qu’il aurait « des doutes sur l’honnêteté intellectuelle d’une telle interprétation […] [qui] pourrait également avoir des répercussions étonnantes quant à l’applicabilité de l’article 18 TFUE lui -même. ». La décision de la CJUE pourrait alors apparaître comme contraire à la logique d’une nécessaire prise en compte par le droit de l’UE de la prévision et de la mise en œuvre de la responsabilité « dans des cas où ces marchandises s’avèreraient défectueuses »[65] dans le but de proposer une possible indemnisation à toutes les victimes possibles. Voire que cette situation contredise l’objectif de protection des consommateurs comme l’Avocat général le rappelle au point 106 en se fondant sur l’article 12 du TFUE et sur l’article 38 de la Charte.

Toutefois, il convient de relever que la réponse de la CJUE, bien que s’éloignant de la conclusion finale de l’Avocat général concernant le fait que la présente affaire ne relève du champ d’application du droit de l’UE, vise en substance à préserver la structure même de l’ordre juridique de l’UE. Dès lors, les motivations de l’arrêt commenté peuvent alors paraître plus compréhensibles et fondées. Le droit dérivé ne prévoyant une obligation de souscription d’assurance de responsabilité civile que pour l’organisme notifié et la situation n’étant pas rattachable à l’exercice de la liberté de circulation, il n’incombait donc pas à la CJUE de pallier les carences du législateur ou des différents acteurs intervenant dans la fabrication ou le contrôle des dispositifs médicaux, ou même de se livrer « à une interprétation « créative » »[66] de la directive 93/42.

Le juge de Luxembourg n’aborde pas directement la véritable question qui était ici celle de la norme applicable[67] à la situation d’espèce et du caractère problématique d’une possible application de l’article 18 TFUE en tant qu’obligation autonome. En effet, l’applicabilité de l’article 18 aurait pu porter atteinte à l’intégrité de l’ordre juridique de l’UE et à la logique même de ce droit dans le cadre du marché intérieur. L’Avocat général souligne qu’elle serait « erronée sur le plan structurel. Elle transformerait l’article 18 TFUE en une disposition sans limites, en vertu de laquelle toute question, aussi éloignée soit-elle d’une disposition du droit de l’Union, pourrait être harmonisée par voie juridictionnelle »[68].  En effet, elle irait à l’encontre du « principe de base du respect de la diversité règlementaire dans les domaines qui ne sont pas explicitement harmonisés par le droit de l’Union »[69]. L’Avocat général rajoute que cet article ne peut pas être une obligation matérielle autonome car cela contredirait la portée de la jurisprudence en matière de libre circulation des marchandises[70] étant donné que l’on se trouve ici dans le cadre d’une utilisation postérieure d’un dispositif médical.

Il est alors raisonnable de soutenir l’interprétation restrictive de l’applicabilité de l’article 18 TFUE afin d’éviter de possibles « conflits règlementaires entre les États membres »[71] dans un domaine dans lequel prédomine la « vision marché intérieur » On peut donc conclure que la décision de la CJUE témoigne de l’objectif d’assurer un haut niveau de sécurité et de prévisibilité juridique[72].

Néanmoins, l’arrêt objet de la présente contribution s’ajoute malheureusement aux nombreuses situations illustrant le problème complexe de la réparation[73] des préjudices des victimes de défaillances de dispositifs médicaux. On peut brièvement évoquer ici la complexité inhérente au caractère transfrontalier de cette affaire de santé publique qui a eu pour conséquence l’éclatement du contentieux et l’apparition de problématiques en lien avec le droit international privé[74]car toutes les victimes ne sont pas françaises : notamment quant à l’interprétation de l’article 5.3 du règlement Bruxelles 1 bis, à « la détermination du lieu de l’événement causal », à la nature de cet événement, au fait de l’existence de plusieurs faits dommageables[75], à la possibilité de recherche de différents types de responsabilité[76]. En effet, différentes possibilités ont pu être évoquées au début de l’affaire, le médecin (chirurgien), l’État, les fournisseurs, l’organisme notifié. En outre, l’absence d’une traçabilité adéquate des personnes s’étant fait poser ces implants mammaires défectueux a rendu complexe l’idée même de réparation. Cette situation pourrait laisser penser que les victimes françaises sont plus chanceuses. Toutefois, bien que l’on puisse conclure que la réparation des préjudices de ces victimes sera plus facile en France, l’importance de la réparation est très faible du fait du plafonnement de la garantie[77]. On pourrait alors en conclure que l’engagement de la responsabilité de l’État pourrait être plus aisé. Néanmoins, l’engagement de la responsabilité de l’État – pour carence fautive – n’a été reconnu qu’à partir d’avril 2009 dans un jugement du Tribunal administratif de Montreuil[78]. En l’espèce, la faute réside dans le fait que « l’AFSSAPS [n’a pas] pris des mesures au moment où elle ne pouvait plus ignorer le problème »[79]. Toutefois, ledit tribunal considère que la « fenêtre de responsabilité » ne court que sur neuf mois.

 La conclusion de cette affaire illustre la nécessaire amélioration du cadre législatif européen en matière de dispositifs médicaux. Ainsi, la question incidente que soulève cet arrêt n’est pas celle de savoir si la CJUE a manqué de volonté dans la conclusion de ce renvoi préjudiciel[80] quant à l’applicabilité de l’article 18 TFUE[81]. En effet, il s’agit de la question relative au manque d’ambition du législateur européen et des États membres[82] eu égard à l’encadrement des dispositifs médicaux, déjà présente avant que l’affaire présentement commentée n’éclate. Cet arrêt qui intervient quelques jours après l’entrée en application du règlement 2017 rend ainsi opportun la présentation de ce nouveau cadre juridique en matière d’encadrement des dispositifs médicaux qui met l’accent sur traçabilité, la vigilance des dispositifs médicaux et la responsabilisation des acteurs[83].

B. La réponse efficace mais limitée du droit de l’Union face aux affaires de défaillances des dispositifs médicaux : le nécessaire renforcement du cadre législatif européen au vu de la complexe réparation des dommages subis par les victimes de dispositifs médicaux

La lecture de la décision de la CJUE dans cette affaire pourrait laisser croire que les patients sont en quelque sorte délaissés par le droit européen à la suite d’une défaillance d’un dispositif médical. Toutefois, la présentation de ce nouveau règlement amène à nuancer cette considération. En effet, ce texte vise à rétablir la confiance des citoyens européens dans les principes et objectifs qui guident l’action de l’UE dans le cadre de la mise sur le marché et le contrôle des dispositifs médicaux avec notamment le renforcement des obligations des acteurs de la chaine des dispositifs médicaux (fabricant[84], mandataire).

Le corpus de règles en matière de dispositifs médicaux au niveau de l’UE bien que datant des années 90, est un « environnement juridique […] caractérisé par sa relative jeunesse »[85]. L’apparition d’un cadre juridique au niveau de l’Union a été rendue nécessaire par des législations nationales divergentes[86]. La première directive est la directive 90/385/CE[87] suivie de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux. Toutefois, face à un énième scandale sanitaire, en l’espèce l’affaire PIP, la Commission européenne a réagi avec entre autres l’adoption d’un règlement d’exécution du 24 septembre 2013[88] relatif « aux critères auxquels doivent satisfaire les organismes notifiés »[89] afin que l’organisme notifié soit « indépendant du fabricant du produit sur lesquels portent les activités d’évaluation de la conformité » et « de tout autre opérateur économique ayant des intérêts dans le produit ainsi que de tout concurrent du fabricant »[90]. Il prévoit également qu’« il doit être organisé et fonctionner de façon à préserver l’indépendance, l’objectivité et l’impartialité de ses activités »[91]. Néanmoins, ce système était insuffisant, profondément ancré dans une logique nationale, trop souple et inadapté face à « l’évolution des technologies médicales »[92]. Ainsi, le Parlement européen appelait de ses vœux la modification du cadre juridique en matière de dispositifs médicaux au niveau européen afin de rendre ce dernier plus efficace, plus sûr et plus transparent. Il invitait les États en collaboration avec la Commission européenne à renforcer leur collaboration « dans les domaines de la surveillance, de la vigilance et de l’inspection du marché, et de durcir les contrôles, afin de mieux garantir la sécurité des patients, en particulier de ceux exposés à des dispositifs médicaux à haut risque »[93]. L’OCDE le mettait également en évidence dans un rapport de 2017 en évoquant les limites d’un système fondé essentiellement sur le rôle des organismes notifiés avec les possibles conflits d’intérêts[94] et les lacunes de la surveillance post-commercialisation. Cela pouvait amener le juriste à s’interroger sur la possible préférence donnée à l’innovation au détriment de la sécurité des produits[95].

Il paraissait alors nécessaire d’adapter le cadre législatif européen en matière de dispositifs médicaux avec pour objectif d’améliorer le système de marquage CE[96], la traçabilité et la vigilance, afin de rendre le système de mise sur le marché et de contrôle des dispositifs médicaux plus transparent dans le but in fine de renforcer la confiance des citoyens européens dans le domaine de la santé publique. En 2012, la Commission européenne[97] a présenté deux propositions de règlements[98] dans le but de modifier la règlementation applicable au secteur des dispositifs médicaux afin de proposer un cadre « solide, transparent et viable »[99]. Cette législation, comme le met en avant la Commission européenne, doit concilier les intérêts des patients et des professionnels tout en assurant à la fois la protection de la santé et l’incitation à innover[100]. Elle a reçu un avis favorable du Conseil économique et social européen qui souligne que cette proposition d’actes législatifs « ne se limite pas à simplifier le cadre en vigueur mais introduit des règles plus efficaces, en renforçant les procédures d’approbation avant commercialisation, et en particulier la surveillance après commercialisation. […] Cette approche répond aux exigences des citoyens en matière de sécurité des patients et d’efficacité »[101].

La règlementation européenne en matière de dispositifs médicaux a ainsi été profondément réformée par un règlement de 2017[102] entré en application le 26 mai 2020 qui vient remplacer la directive 93/42/CEE et la directive 90/385/CEE. Il entend « établir un cadre règlementaire rigoureux, transparent, prévisible et durable pour les dispositifs médicaux qui garantisse un niveau élevé de sécurité et de protection de la santé tout en favorisant l’innovation » [103]. Il vise à renforcer la sécurité de ces dispositifs en palliant les lacunes de la législation précédente[104] en s’appuyant notamment sur la traçabilité et la vigilance[105] et en « imposant des exigences plus strictes principalement par le biais d’un accroissement des obligations (ainsi que des responsabilités) pesant sur les opérateurs économiques, mais également par un rôle étendu conféré aux autorités de contrôle »[106].

On peut également noter que « les apports majeurs du règlement concernent les distributeurs et importateurs – opérateurs jusqu’alors « oubliés » par les Directives sur les dispositifs médicaux »[107]. On peut relever un renforcement de la procédure de certification ainsi que de la surveillance pré et post-commercialisation qui occupe une place importante dans ce nouveau règlement. En premier lieu, ce sont les fabricants les premiers responsables de cette surveillance qui est elle-même complétée par des obligations spécifiques pour les importateurs[108] et les distributeurs[109] qui coopèrent avec les autorités de contrôle. On peut toutefois regretter qu’il n’y ait pas une définition de la notion de « risque grave »[110] et que « le règlement reste […] silencieux sur l’opérateur qui est chargé de cette mise en conformité, ce qui peut nuire à l’efficacité des missions confiées à ces différents acteurs. Toutefois, avec des obligations plus étendues, l’engagement de la responsabilité de ces opérateurs pourrait s’avérer plus aisée. Il faut également noter que « les distributeurs se voient reconnaître un statut à part entière sur le plan règlementaire, ce qui n’était pas le cas dans la directive ». Ces derniers doivent agir « dans le cadre leurs activités, avec la diligence requise pour respecter les exigences applicables »[111]. De plus, afin de veiller au respect de la réglementation, l’article 15.1 prévoit que les « fabricants disposent au sein de leur organisation d’au moins une personne chargée de veiller au respect de la réglementation possédant l’expertise requise dans le domaine des dispositifs médicaux ».

Par ailleurs, le règlement apporte des changements importants au régime juridique[112] des organismes notifiés[113] car il pouvait exister des différences entre États membres en matière d’évaluation de la conformité, ainsi que de son contrôle, en vue d’uniformiser les pratiques[114]. Il y a également l’affirmation d’un meilleur contrôle de ces organismes ainsi que de la qualification du personnel.

 En ce qui concerne l’obligation d’assurance, il est noté au point 1.4.1 de l’annexe VII que les organismes notifiés ont l’obligation de souscrire un contrat d’assurance de responsabilité civile. Toutefois, il doit être souligné que le nouveau règlement n’oblige pas les fabricants de dispositifs médicaux à souscrire un contrat d’assurance de responsabilité civile. L’article 10 paragraphe 16 dans son deuxième alinéa dispose que « [l]es fabricants auront, d’une manière qui soit proportionnée à la classe de risque, au type de dispositif et à la taille de l’entreprise, pris des mesures pour disposer d’une couverture financière suffisante au regard de leur éventuelle responsabilité en application de la directive 85/374/CEE, sans préjudice de l’adoption de mesures plus protectrices en vertu du droit national ». Ils peuvent également être l’objet d’une demande en réparation en cas de défaut de dispositifs médicaux engendrant un dommage.

On pourrait comprendre par couverture financière suffisante, comme le souligne l’Avocat général Bobek, que le législateur se réfère à la nécessité de disposer d’un contrat d’assurance et a anticipé le fait que ce vide juridique pouvait être préjudiciable. Toutefois, l’Avocat général relève à juste titre que « la référence dans l’article 10, paragraphe 16, à la législation nationale indique clairement que le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention de prévoir une solution harmonisée unique à cet égard »[115]. On peut alors porter un regard critique sur cette absence d’obligation au sein de ce nouveau règlement car, bien que l’on puisse comprendre le refus de la CJUE d’appliquer l’article 18 TFUE en tant qu’obligation matérielle autonome, ce manque de précision concernant une couverture financière suffisante apporte certes une première réponse mais peut amener à des situations similaires à celles de l’affaire commentée. Les intentions du législateur européen peuvent ici paraître difficilement acceptables bien que cette situation puisse trouver son origine dans un refus des États membres d’harmoniser cette question.

Un autre fondement de cette nouvelle réglementation qui doit être conçue comme un vecteur de confiance est l’attention portée à la traçabilité[116] et à la vigilance. La traçabilité fait notamment référence à l’importance de l’identification des acteurs, ainsi que du suivi des dispositifs médicaux avant et après commercialisation, c’est à dire durant tout leur cycle de vie. Cela sera facilité par la création d’un système d’identification unique des dispositifs (IUD)[117]. Cet identifiant est conçu comme un outil qui améliorera la gestion des risques et l’identification des victimes en cas de défaillance d’un dispositif médical[118], ce qui aurait pu être d’une grande utilité dans le cadre de l’affaire PIP. Le renforcement des obligations en la matière est le vecteur d’une meilleure transparence et in fine de sécurité des dispositifs médicaux. La présence d’un comité d’experts dénommé GCDM dans le règlement sera également bénéfique pour favoriser une « application harmonisée de la réglementation »[119]. De plus, s’inscrivant dans le cadre de la gestion des risques et de la qualité, le règlement prévoit un système d’évaluation clinique et de suivi clinique après commercialisation[120] « dans le but de confirmer la sécurité et les performances pendant toute la durée de vie prévue du dispositif, d’assurer le caractère constamment acceptable des risques identifiés et de détecter les risques émergents sur la base d’éléments de preuves concrets »[121]. Par ailleurs, en matière de surveillance, on peut relever l’apparition des obligations de surveillance du marché et de surveillance après commercialisation qui sont à la charge de l’autorité compétente[122] pour la première et du fabricant pour la seconde[123]. Enfin, concernant la vigilance qui « s’intéresse à l’analyse des incidents graves concernant un dispositif médical et aux mesures correctives de sécurité qui en découlent »[124], on peut noter l’accroissement des obligations pour le fabricant en matière de documentation et de notification des incidents graves et dans la prise de mesures correctives de sécurité[125]. Le règlement prévoit également un rôle majeur pour la Commission européenne eu égard à l’évaluation des mesures nationales au niveau de l’Union tel que le prévoit l’article 96 du règlement.

Cette description des principales nouveautés de cette réglementation relative aux dispositifs médicaux, entrée en application quelques jours avant l’arrêt commenté, illustre la prise en considération par le législateur, à la suite de nombreux scandales sanitaires, de l’urgence d’agir en proposant un cadre ambitieux en adéquation avec les attentes légitimes des patients au XXI° siècle. Ce nouveau règlement tend donc à pallier les insuffisances du cadre législatif ancien en s’appuyant sur de nouveaux outils et obligations qui devraient permettre d’éviter de nouveaux scandales sanitaires.

Néanmoins, certains auteurs ont vivement critiqué cette réglementation en considérant tout d’abord que législateur aurait dû procéder à une refonte « du droit des dispositifs médicaux en le fondant clairement sur les principes du droit européen de la santé [afin de] le rationaliser en élaborant des régimes qui tiennent pleinement compte des spécificités sanitaires des produits plutôt que de vouloir maintenir un système d’accompagnement d’un secteur économique aux activités hétérogènes »[126]. Ces derniers s’interrogent également sur la faisabilité des contrôles inopinés[127], critiquent le fait que l’idée de création d’un organisme unique de certification soutenue par la France n’ait pas abouti[128], et que ce nouveau règlement ne propose pas une « articulation avec les règles du droit de la responsabilité alors que l’affaire des implants PIP a montré les limites du système actuel pour les victimes »[129]. Toutefois, d’autres auteurs nuancent cette constatation à l’instar d’Emmanuel Garnier et Anne-Catherine Perroy qui évoquent que « si les arrêts rendus jusqu’à présent confirment un début de clarification des modalités d’appréciation et de répartition des responsabilités juridiques de chacun, nul doute que le Règlement, qui apporte des amendements majeurs aux obligations imposées à chacun, devrait conduire à de nouvelles clés de répartition de ces rapports, en premier lieu au bénéfice des utilisateurs finaux des dispositifs médicaux »[130]. Ainsi, il ne convient pas de porter un regard trop sévère sur la décision de la CJUE qui doit être lue en lien avec le nouveau règlement. En effet, il est nécessaire d’attendre l’application – concrète – de ce nouveau cadre législatif afin de voir si le juge de Luxembourg devra agir de manière plus active, en vue d’assurer une meilleure protection des patients au sein de l’UE, grâce au rétablissement de l’équilibre entre la liberté de circulation des marchandises et l’impératif de protection de la santé publique.


[1] Conseil d’Etat, ass., 9 avr. 1993, n° 138653.

[2] Conseil d’Etat, 9 nov. 2016, n° 393902 ; Cour de cassation, Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-19.643 (en ce qui concerne les laboratoires).

[3] Lantero. (C.), Prothèses PIP : chronique d’un échec indemnitaire, AJDA, 2019 p.951.

[4] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD, 11 juin 2020, ECLI:EU:C:2020:453.

[5] Heuzé. (V.), « Limitation territoriale : nationalité », Répertoire de droit international-Assurance terrestre, Août 2004 (actualisation : Juin 2020). « Non-discrimination (nationalité) : limitation géographique d’une clause d’assurance », Recueil Dalloz 2020 p.1295; Golosov. (E.), « Affaire « Prothèses PIP » devant la CJUE absence de couverture par le contrat d’assurance français des implants exportés vers un autre État membre et utilisés sur le territoire de ce dernier », Lamyline, 12 juin 2020 ;  Berlin. (D.), « Nouvelle illustration de situation purement internes : l’affaire des implants mammaires PIP », La Semaine Juridique – Edition générale n°26, 29 juin 2020, 802 ; « CJUE : implants mammaires défectueux, assurance géographiquement limités et droit de l’union », Actualités Juridiques, Lextenso, 29 juin 2020.

[6] Directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux.

[7] Obligation de souscription imposée à AGF IARD par le Bureau central de tarification (autorité française).

[8] L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a succédé à l’AFSSAPS le 1er mai 2012.

[9] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 17.

[10] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 21.

[11] Monin.(J.), Ce que révèlent les « Implant Files » sur les failles du système de certification des dispositifs médicaux, France info, 25/11/2018, disponible à : https://www.francetvinfo.fr/.

On doit tout de même relever comme cela sera expliqué dans le II.B) de cette contribution que la réglementation en  la matière a été grandement réformée en 2017 par le Règlement (UE) n°2017/745, du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux.

[12] Berrod. (F.), « Chronique Marché Intérieur – La « Nouvelle approche » de l’harmonisation au prisme des principes fondamentaux d’une gouvernance démocratique », RTD Eur. 2018 p.697 ; Verbruggen. (P.) ; Van Leeuwen.(B.), « The Liability of Notified Bodies under the EU New Approach : The Implications of the PIP Breast Implants Case », ELRev 2018/3, p. 394 ; Van Leeuwen.(B.), « PIP Breast Implants, the EU’s New Approach for Goods and Market Surveillance by Notified Bodies », (2014)5 European Journal of Risk Regulation 338, 349.

[13] Van Leeuwen. (B.), « La responsabilité des organismes notifiés du fait d’implants mammaires défectueux : TÜV Rheinland devant les tribunaux français et allemands », Rev. int. dr. écon., n° 1, 2015. 69. L’auteur précise que : « Les différentes actions qui ont été intentées à la suite du scandale relatif aux implants mammaires PIP concernent essentiellement la problématique de l’articulation du cadre réglementaire ex ante établi par l’Union européenne, dans le cadre de la nouvelle approche, avec la gestion ex post du risque et du préjudice potentiels mise en œuvre soit par les agences de contrôle publiques, soit par les parties privées », p.69.

[14] Borowczyk. (J.) ; Dharréville. (P.), « Rapport d’information n°1734 en conclusion des travaux de la mission d’information relative aux dispositifs médicaux », Assemblée Nationale, Commission des affaires sociales, 6 mars 2019, p.13, disponible à http://www.assemblee-nationale.fr/.

[15] Cit., Berrod, « La « Nouvelle approche » … ».

[16] Cit., Borowczyk et Dharréville, « Rapport d’information n°1734 … », p..23 : « le marquage s’obtient sur demande du fabricant, ce qui signifie en pratique que c’est à lui d’identifier que son produit relève de la réglementation sur les dispositifs médicaux et qu’il doit suivre la procédure prévue par celle-ci ». 

[17] Le Gal Fontes (C.) ; Chanet. (M.),  «  Le rôle et les conditions de surveillance des organismes notifiés : une réforme tant attendue…, RDSS, 2018.

[18] Cit., Berrod, « La « Nouvelle approche » … ».

[19] Adèle. (P.-A.) ; Desmoulin-Canselier. (S.), « Droit des dispositifs médicaux : vers une réforme ou un simple réaménagement », RDSS, 2016, p.930. Les auteurs évoquent que : « Ces organismes, dits « notifiés », sont certes agréés par les pouvoirs publics, mais ils sont rémunérés par les fabricants et travaillent à partir des informations fournies par eux ».

[20] Cit., Borowczyk et Dharréville, « Rapport d’information n°1734 … », p.8.

[21] Le Monde, Prothèses mammaires PIP : Chronologie d’un scandale, 18 janvier 2012, disponible à  https://www.lemonde.fr/.

[22] Association de défense des porteuses de prothèses PIP.

[23] Jourdain-Fortier. (C.), « L’affaire PIP ou la difficile réparation en Europe des dommages corporels de masse causés par un dispositif médical défectueux », RID éco. 2015. 5. L’auteur souligne qu’« elles doivent être réopérées pour que leur prothèse puisse être explantée et remplacée. Les préjudices qui en découlent sont aussi bien patrimoniaux (coûts des prothèses, coûts de l’intervention restés à charge, perte de gains professionnels, frais divers…) qu’extrapatrimoniaux (souffrances endurées, préjudice d’anxiété, déficit fonctionnel temporaire, préjudice esthétique temporaire, préjudice sexuel…). », p.8.

[24] Cit., Le Monde, « Prothèses mammaires… ».

[25] Cour d’appel d’ Aix-en-Provence, 7e ch. Corr, 2 mai 2016.

[26] Cour de cassation, Crim. 11 sept. 2018, n° 16-84.059, voir RTD com. 2018. 1061, obs. Bouloc.(B.).

[27] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 22 janv. 2015, n° 12-11337.

[28] Cit.,Lantero, « Prothèses PIP… ».

[29] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 2 juill. 2015, n° 13-22482.

[30] CJUE, aff. C-219/15, Schmitt c/ TUV Rheinland, 16 févr. 2017, ECLI:EU:C:2017:128.

[31] CJUE, aff. C-219/15, point 48.

[32] CJUE, aff. C-219/15, point 48.

[33] Berlin. (D.), « Produits défectueux et responsabilité de l’organisme certificateur », La Semaine Juridique Edition Générale n° 10, 6 Mars 2017, 252. Blanc. (N.), « Précisions sur la responsabilité du certificateur de dispositif médical », Gaz. Pal. 25 avril 2017, n° 293d0, p. 25 ; Knetsch. (J.), « La responsabilité de la société certificatrice dans l’affaire des prothèses mammaires PIP : les précisions attendues de la CJUE », RDC 2017, n° 114d1, p. 241.

[34] Coulon. (C.) , « Scandale des implants mammaires PIP : fin de parcours pour les victimes étrangères », Responsabilité civile et assurances n° 5, Mai 2017, alerte 13.

[35] Cour de cassation, Civ. 1re, 10 oct. 2018, n° 17-14.401 (voir RDSS, 2018. 1105, obs. J. Peigné), cassation de l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix et renvoi à la Cour d’appel de Paris.

Bacache. (M.), « Prothèses PIP : responsabilité pour faute des organismes de certification », La Semaine Juridique Edition Générale n° 48, 26 Novembre 2018, 1235 ; Bloch. (L.), « Prothèses PIP : la Cour de cassation redonne espoir aux victimes », Responsabilité civile et assurances n° 11, Novembre 2018, alerte 23 ; Boskovic. (O.), Fait dommageable – Conflit de lois. – Règlement (CE) n° 864/2007. – Règlement (CE) n° 44/2001. – Fait dommageable. – Parties domiciliées à l’étranger. – Union Européenne. – Exception d’incompétence. – Loi applicable, Journal du droit international (Clunet) n° 2, Avril 2019, 14.

[36] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 32.

[37] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 33.

[38] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff.  C-581/18, TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD, 6 février 2020, ECLI:EU:C:2020:77, point 51 : « Ainsi, l’article 18 TFUE joue un rôle résiduel. Comme l’a indiqué l’avocat général Jacobs, la fonction de cette disposition est « de combler les lacunes créées par les dispositions plus spécifiques du traité » ».

[39] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 34.

[40] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 37.

[41] Cette obligation de souscription d’un contrat d’assurance de responsabilité civile est prévue en France par l’article L.1142-2 du Code de la santé publique.

[42] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 40.

[43] Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.

[44] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 41.

[45] Parlement européen, Résolution du Parlement européen du 14 juin 2012 sur les implants mammaires en gel de silicone défectueux produits par la société française PIP, (2012/2621(RSP)) : « considérant que la transposition de la législation européenne sur les dispositifs médicaux en droit national n’a pas prévenu cette fraude sanitaire, qui a entraîné et entraînera encore des conséquences négatives graves sur la santé au niveau international ». Il relève également un manque de coopération au niveau de l’Union et au niveau international : « en matière de partage des informations et de notifications des effets nocifs ainsi qu’un manque de traçabilité des matières premières utilisées pour les dispositifs médicaux ».

[46] CJUE (deuxième chambre), C‑621/15, W e.a, 21 juin 2017, ECLI : EU:C:2017:484, point 21.

[47] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 43.

[48] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 39.

[49] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 38.

[50] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 39 : « Cette directive ainsi qu’il ressort de ses sixième et douzième considérants, régit la mise sur le marché des dispositifs médicaux et fixe des normes harmonisées au niveau de l’Union visant à la prévention contre les risques liés à la conception, à la fabrication et au conditionnement des dispositifs médicaux ».

[51] Directive 2009/103/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité.

[52] CJUE (grande chambre), aff.  C-581/18, point 45.

[53] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 46

[54] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 48.

[55] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 50 : « cette liberté inclut également la liberté des destinataires de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service et que les bénéficiaires de soins médicaux peuvent être considérés comme des destinataires de services ».

[56] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 55.

[57] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 56.

[58] Voir notamment pour la notion de situation « purement interne », CJUE, aff. C-175/78, La reine contre Vera Ann Saunders, 28 mars 1979, ECLI:EU:C:1979:88, point 11.

[59] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 30.

[60] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 32. 

[61] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 43.

[62] CJUE (grande chambre), aff. C-581/18, point 59 : « compte tenu des circonstances de l’affaire au principal, [il y a lieu] d’exclure l’application de cette disposition à cette affaire sans qu’il soit besoin d’examiner s’il existe une règle spécifique de non-discrimination prévue par le traité FUE applicable à celle-ci et si ladite disposition est susceptible d’être invoquée dans le cadre de relations entre particuliers ».

[63] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 31 : « il n’arrive pas souvent que la Cour constante qu’elles n’est pas compétente s’il existe dans l’affaire un élément transfrontalier raisonnablement concevable (et non pas hypothétique) ayant trait à l’une des quatre libertés ».

Pour une interprétation jurisprudentielle d’une situation purement interne : CJUE, Ullens de Schooten, aff. C-268/15, 15 novembre 2016, ECLI:EU:C:2016:874.

[64] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 42 : « pour trois raisons : i) un élément transfrontalier dans le contexte de la libre circulation des marchandises et les conséquences qui en découlent en matière de responsabilité ; ii) l’éventualité en ce qui concerne la liberté de recevoir des services (d’assurance) provenant d’un autre État membre et, iii) l’objet normatif de l’affaire, à savoir la responsabilité des fabricants du fait des produits défectueux et les dispositifs médicaux en tant que marchandises dans le marché intérieur, qui font tous deux l’objet d’une harmonisation partielle dans le droit dérivé de l’Union ». 

[65] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 106. 

[66] Cit., Berrod, « La « Nouvelle approche » … ».

[67] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 49 : « la véritable question qui se pose dans cette affaire : existe-t-il une disposition spécifique du droit de l’Union interdisant une telle restriction ? Si ce n’est pas le cas, l’article 18 TFUE peut-il à lui seul, constituer une telle disposition ? ».

[68] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 109.

[69] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 110.

[70] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 111 : « S’il est interprété en ce sens, le champ d’application de l’article 18 TFUE ne connaîtrait aucune limite : cette disposition se transformerait en une formule de l’arrêt Dassonville dopée aux stéroïdes ».  

[71] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 115.

[72] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 115 : « En effet, cette interprétation expansionniste de l’article 18 TFUE pourrait rendre la législation de n’importe quel État membre potentiellement applicable sur le même territoire sans aucun critère clair et objectif pour déterminer quelle loi doit prévaloir dans un litige donné, la victime pouvant choisir la législation la plus favorable ».

[73] L’exemple qui suit, bien qu’en relation avec une situation interne, illustre parfaitement cette constatation. Par exemple, dans l’affaire du Mediator, l’État n’a pas été tenu pour entièrement responsable.

[74] Cit., Jourdain-Fortier. (C.), « L’affaire PIP ou la difficile réparation… ».

[75] Pour une illustration voir : Groutel. (H.), « Rupture des coiffes des implants mammaires PIP distribués à l’étranger : domaine territorial de la garantie », Responsabilité civile et assurances, n° 11, Novembre 2017, comm. 290 ; Astegiano-La Rizza. (A.),  « Le fait générateur et l’application territoriale de la garantie », Bulletin Juridique des Assurances, n° 52, Juillet 2017, comm. 13.

[76] De Silguy. (S.), « Affaire PIP : des coupables non responsables ? », Revue Lamy Droit civil, n°91, 1er mars 2012.

[77] Cit., Lantero, « Prothèses PIP… » : « la garantie reste plafonné à 3 millions d’euros (…) ce qui ne représente rien (environ 450 euros) et ne couvre rien (80% des prothèses étaient vendues à l’étranger) ». 

[78] Tribunal administratif de Montreuil, 29 janv. 2019, n° 1800068. Pauliat. (H.), « Prothèses PIP : une carence fautive de l’État, mais limitée », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 6, 11 Février 2019, act. 92.

[79] Cit., Lantero, « Prothèses PIP… ».

[80] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 93 : « une interprétation extensive de l’article 18 TFUE « transformerait l’article 18TFUE en une disposition d’harmonisation sans limites, ce qui porterait atteinte à la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres et créerait des conflits problématiques entre les régimes juridiques au sein du marché intérieur ».

[81] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 122 : « l’article 18 TFUE ne s’oppose pas, à lui seul, à la limitation au territoire d’un État membre d’une obligation d’assurance de la responsabilité civile pour l’utilisation de dispositifs médicaux ».

[82] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 120.

[83] Voir notamment : Bister.(S.), « L’encadrement par le droit de l’Union européenne de la qualité et de la sécurité des médicaments et dispositifs médicaux : implications en droit français », Publications UT-Capitole, 2017, disponible à : http://publications.ut-capitole.fr/id/eprint/24183.

[84] Garnier. (E.) ; Perroy. (A.-C.), « Le règlement européen n°2017/745 sur les dispositifs médicaux : une clarification des responsabilités des opérateurs économiques », RDSS, 2018, p.19. L’auteur évoque que : « les fabricants (…) doivent s’attendre à des contrôles plus stricts et minutieux de la part de leurs mandataires, importateurs et distributeurs lesquels devront s’assurer que le fabricant dispose des garanties techniques, financières et scientifiques pour fabriquer un dispositif médical conforme au règlement ».

[85] Cit., Borowczyk et Dharréville, « Rapport d’information n°1734 … », p.18.

[86] Cit., Borowczyk et Dharréville, « Rapport d’information n°1734 … », p. 14 : « En pointe dans les années 50 et 60 sur le contrôle des médicaments, la France s’est donc contentée, s’agissant du dispositif médical, de mettre en œuvre trente ans plus tard un dispositif plus limité qui avait essentiellement pour but d’anticiper et de peser dans les travaux communautaires sur la question ».

[87] Directive 90/385/CEE du Conseil, du 20 juin 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs.

[88] Commission européenne,  Règlement d’exécution (UE) n° 920/2013, 24 sept. 2013 : JOUE n° L 253, 25 sept. 2013, p. 8.

[89] Commission européenne,  communiqué IP/13/854, 24 sept. 2013 cité dans La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 40, 3 Octobre 2013, act. 720.

[90] Article 1.1 annexe 1 du règlement d’exécution (UE) n° 920/2013.

[91] Article 1.2 annexe 1 du règlement d’exécution (UE) n° 920/2013.

[92] Cit., Garnier.(E.) ; Perroy.(A.-C.), « Le règlement européen n°2017/745 sur les… ».  

Avis du Comité économique et social européen, 14 févr. 2013, JOUE C 133/52 (9.5.2013), p.53.Le CESE dans un avis de 2013 ajoute que : « les patients et les professionnels des soins de santé n’ont pas accès aux informations essentielles relatives aux investigations et aux preuves cliniques ; l’absence de coordination entre les autorités nationales et la commission (…) », p.55.

[93] Cit., Parlement européen, « Résolution du Parlement européen du 14 juin 2012… ».

[94] OECD, New Health Technologies : Managing Access, Value and Sustainability, OECD, Publishing, Paris, 2017, http://dx.doi.org/10.1787/9789264266438-en. Il est souligné que les « investigations have shown that some of them were ready to grant CE marking to products presented as raising safety problems for patients internationally » p.122.

[95] Cit., Adèle (P.-A.) ; Desmoulin-Canselier. (S.), « Droit des dispositifs médicaux… ».

[96] Pour plus de precisions se référer à :  Freemantle.(N.), « Commentary : Evaluating and regulating device therapy”, BMJ 2011;342:d2839 doi: 10.1136/bmj.d2839 ; Campillo-Artero.(C.), « A full-fledged overhaul is needed for a risk and value-based regulation of medical devices in Europe », Health Policy, Volume 113, Issues 1–2, November 2013, pp.38-44.

[97] COM(2012) 540 final.

[98] COM(2012) 542 final.

[99] COM(2012) 540 final, p.3.

[100] Cit., OECD, « New Health Technologies : Managing Access…».  L’efficacité d’une réglementation relative aux dispositifs médicaux doit se fonder sur trois objectifs mis en lumière par l’OCDE: « ensuring that devices are clinically safe, performant, and effective where relevant; facilitating timely and equitable patient access to beneficial health technology ; and ensuring that expenditures on devices produces value to patients and health care systems », p.118.

[101] Cit., CESE, « Avis du Comité économique et social européen, 14 févr. 2013… », p. 53.

[102] Règlement (UE) n°2017/745, du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) no 178/2002 et le règlement (CE) no 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE.

[103] Règlement (UE) n°2017/745, considérant 1.

[104] Cit., Borowczyk et Dharréville, « Rapport d’information n°1734 … », p.20. Les auteurs affirment que « Ces règles européennes dessinent une procédure qui a longtemps été sous-dimensionnée par rapport aux risques inhérents à certains dispositifs médicaux ».

Règlement (UE) n°2017/745, considérant.4 : « Il convient, pour améliorer la santé et la sécurité, de renforcer considérablement certains aspects essentiels de l’approche réglementaire en vigueur, tels que la supervision des organismes notifiés, les procédures d’évaluation de la conformité, les investigations cliniques et l’évaluation clinique, la vigilance et la surveillance du marché, et d’introduire des dispositions garantissant la transparence et la traçabilité des dispositifs médicaux ».

[105] Dumartin. (C.), « Traçabilité et vigilance : deux outils complémentaires au service de la sécurité du dispositif médical », RDSS, 2018, p.60.

[106] Cit., Garnier. (E.) ; Perroy. (A.-C.), « Le règlement européen n°2017/745 sur les… ».

[107] Cit., Garnier. (E.) ; Perroy.(A.-C.), « Le règlement européen n°2017/745 sur les… ».  

[108] Règlement (UE) n°2017/745, article.13.

[109] Règlement (UE) n°2017/745, article.14.

[110] Pour plus de détails, voir l’article de MM. Garnier et Perroy.

[111] Cit., Garnier. (E.) ; Perroy. (A.-C.), « Le règlement européen n°2017/745 sur les… ». L’auteur souligne que « [c]es notions méritent une attention particulière car elles sont clés lorsque l’on doit envisager la responsabilité du distributeur ».

[112] Règlement (UE) n°2017/745, article.35 et ss.

[113] Cit., Le Gal Fontes. (C.), Chanet. (M.), « Le rôle et les conditions de surveillance des organismes … ». Les auteurs soulignent que « Ainsi, la Commission européenne dénonçait, depuis plus de dix ans avant la promulgation du présent règlement, la manière dont les ON étaient désignés par chaque État membre. Elle soulignait le manque de transparence dans les certifications des DM, dénonçait le manque d’intégrité de certains ON voire leur manque de compétence ou de rigueur ».

[114] Cit., Le Gal Fontes. (C.), Chanet. (M.), « Le rôle et les conditions de surveillance des organismes … ». 

[115] Conclusions de l’Avocat général Bobek, aff. C-581/18, point 56.

[116] Cit., Dumartin. (C.), « Traçabilité et vigilance … ». L’auteur indique qu’« elle doit être assurée par l’ensemble des opérateurs économiques intervenant dans le circuit du dispositif médical, qui sont bien plus nombreux que dans le domaine du médicament ».

[117] Règlement (UE) n°2017/745, article.27.

[118]  Règlement (UE) n°2017/745, considérant 41 : ce système « devrait accroître considérablement l’effectivité des activités de sécurité des dispositifs après commercialisation, grâce à une meilleure notification des incidents, à des mesures correctives de sécurité ciblées et à un meilleur contrôle par les autorités compétentes. Elle devrait aussi contribuer à réduire le nombre d’erreurs médicales et à lutter contre la falsification de dispositifs. L’utilisation du système IUD devrait également améliorer les politiques d’achat et d’élimination des déchets ainsi que la gestion des stocks par les établissements de santé et d’autres opérateurs économiques et, si possible, être compatible avec d’autres systèmes d’authentification déjà présents dans ces lieux » Voir également l’article 27.

[119] Règlement (UE) n°2017/745, considérant.82. 

[120] Règlement (UE) n°2017/745, annexe XIV.

[121] Règlement (UE) n°2017/745, annexe XIV partie B.

[122] Règlement (UE) n°2017/745, article.96 et ss.

[123] Règlement (UE) n°2017/745, article.83 et ss.

[124] Cit., Dumartin.(C.),  « Traçabilité et vigilance … ».

[125] Règlement (UE) n°2017/745, article.87.

[126] Cit., Adèle. (P.-A.) ; Desmoulin-Canselier. (S.), « Droit des dispositifs médicaux… ».

[127] Cit., Adèle. (P.-A.) ; Desmoulin-Canselier. (S.), « Droit des dispositifs médicaux… ». L’auteur affirme que « (…) les textes antérieurs prévoyaient déjà des contrôles inopinés, lesquels n’ont pas été réalisés faute de volonté des co-contractants (fabricant et certificateur) et faute de moyens de contrôle des autorités de tutelle ».

[128] Cit., Borowczyk et Dharréville, « Rapport d’information n°1734 … », p.34 : « Cette proposition, si elle n’a pas été adoptée lors des dernières discussions doit demeurer un objectif à poursuivre ». Voir également, Monin. (J.), « Implant files » : comment la réglementation européenne permet de certifier des implants inefficaces, voire dangereux, France info, 2018, https://www.francetvinfo.fr/.

[129] Cit., Adèle (P.-A.) ; Desmoulin-Canselier. (S.), « Droit des dispositifs médicaux… ».

[130] Cit., Garnier. (E.) ; Perroy. (A.-C.), « Le règlement européen n°2017/745 sur les… ».

3. Vade Mecum sur la répartition et l’exercice de la compétence sanitaire nationale.

par Adrien Pech
Doctorant en droit de l’Union Européenne IRDEIC
Université Toulouse I Capitole
Membre du comité de rédaction du Journal du Droit Administratif

Voilà une affaire aussi « délicate » qu’« épineuse » à propos de la distinction à opérer entre un accord relevant du pouvoir d’organisation administrative interne de chaque Etat membre et un contrat de marché public[1].

L’affaire en cause au principal porte sur deux accords distincts conclus entre des villes finlandaises, sur le modèle de la « commune responsable » en vertu desquels la ville de Pori doit fournir des services de transport et de santé. Selon ce modèle, une mission devant en principe être réalisée individuellement par chacune des communes, est assumée par l’une d’elles seulement. Cette dernière est alors désignée « commune responsable », pour le compte des autres communes, les « communes contractantes ».  En l’espèce, la commune responsable s’appuie sur une entité liée, c’est-à-dire un opérateur interne, Porin Linjat[2], qu’elle détient intégralement et qu’elle contrôle.

Dans un premier temps, par un accord de coopération[3], cinq villes finlandaises[4] confient certaines missions de transport à la ville de Pori. La commission des transports en commun de la ville de Pori est désignée en tant qu’autorité compétente afin de mettre en œuvre ledit accord[5].

Dans un second temps, par un autre accord de coopération[6], les villes de Pori, d’Ulvila et la commune de Merikarvia ont convenu de transférer à la ville de Pori la responsabilité de l’organisation des services sanitaires pour l’ensemble de leur territoire. En l’espèce, la ville de Pori est désignée « commune responsable ». Il est prévu que le dispositif des services sanitaires est développé conjointement par la commune responsable et par les communes contractantes. La commune responsable est dotée d’un ensemble de missions étendues[7], qu’elle exerce à travers sa commission de garantie des droits sociaux fondamentaux[8].

En 2015[9], ladite commission décide d’attribuer un marché de transport de personnes handicapées sans soumettre d’appel à la concurrence, à Porin Linjat, société par action détenue entièrement par la ville de Pori, selon le régime du contrat  in house, qualifié en droit finlandais d’« attribution à une entité liée »[10]. La société Lyttylän LiikenneOy a contesté la décision d’attribution du marché devant les juridictions finlandaises. La plus haute juridiction administrative nationale soulève plusieurs questions préjudicielles ayant trait au champ d’application du droit des marchés publics de l’Union européenne.

Deux étapes se dégagent du raisonnement suivi par la juridiction. D’une part, celui de la détermination de la  nature de l’accord de transfert de compétences sanitaires. D’autre part celui de la détermination du régime juridique applicable à la décision d’attribution du contrat de service sanitaire à une entité liée dans le cadre de la mise en œuvre dudit accord de transfert de compétences.

Mathias Amilhat relève que deux types de contrats sont exclus de l’application du droit de l’Union européenne des contrats publics. Les premiers en sont exclus parce qu’ils ne peuvent pas être qualifiés de contrats publics[11]. Les seconds parce que, bien que devant, en principe, relever de ce droit, certains d’entre eux « échappent à l’application des règles de publicité et de mise en concurrence »[12]. En l’espèce, il nous semble plus pertinent de rapprocher les deux contrats en cause au principal de la seconde catégorie que de la première. Au sein de cette seconde catégorie de contrat, nous identifions deux types exclusions. Le premier est issu du droit ordinaire[13], le second, du droit constitutionnel de l’Union européenne[14]. Ces deux types d’exclusions diffèrent l’un de l’autre. En effet, l’exclusion issue du droit ordinaire concerne les contrats instituant une coopération entre entités publiques et la gestion in house. Elle a pour conséquence de ne pas appliquer les règles de mise en concurrence et de publicité à des contrats publics. Au contraire, l’exclusion prévue par le droit constitutionnel au visa de l’article 4 § 2 TUE, concerne les contrats instituant un transfert de compétences entre deux entités publiques. La soumission à l’article 4 § 2 TUE[15] prive ces contrats de la qualification de marchés publics. Autrement dit, si les exclusions posées par le droit ordinaire[16] excluent un contrat public du régime juridique normalement applicable à ce type de contrat (II), l’exception prévue par le droit constitutionnel de l’Union prive, en amont, le contrat public de transfert de compétence, de la qualification de contrat de marché public (I).

I. L’exception constitutionnelle empêchant la qualification d’un contrat de  marché public

Le premier problème concerne l’accord intervenu entre les communes finlandaises de transférer à la ville de Pori, désignée comme « commune responsable », des compétences en matière de santé, afin qu’elles soient exercées en commun et non plus individuellement par chacune des parties à l’accord. Il est demandé à la Cour de répondre à la question de savoir si un accord selon lequel des communes confient à une autre commune la responsabilité et l’organisation de services à leur profit, est un transfert de compétence au sens de l’article 4 § 2 TUE[17] ou une coopération entre pouvoirs adjudicateurs. D’emblée, le débat est placé autour de la question de la répartition des compétences au sein de l’ordre juridique national, protégée par l’article 4 § 2 TUE, qui est exclusive de la possibilité de voir qualifier un contrat de marché public (A). La Cour précise les conditions dans lesquelles l’exception fondée sur le droit constitutionnel de l’Union peut s’appliquer (B). 

A. Le refus opposé de qualifier un accord de transfert de compétences sanitaires en contrat de marché public  

D’abord, la Cour rappelle le champ d’application de l’article 4 § 2 TUE. De façon générale, cet article implique, au nom du respect de l’identité nationale, que la répartition des compétences au sein d’un Etat membre soit protégée d’une action de l’Union européenne[18]. De façon spécifique, il implique le respect d’une réorganisation de compétences au sein d’Etat membre pouvant notamment prendre « la forme de transferts volontaires de compétences entre autorités publiques », ayant  « pour conséquence qu’une autorité précédemment compétente se décharge de l’obligation et du droit d’exécuter une mission publique donnée tandis qu’une autre autorité est désormais investie de cette obligation et de ce droit »[19]. Ce faisant, la Cour s’insère dans une jurisprudence[20] constante ainsi que dans une pratique administrative de la Commission[21], reconnaissant la liberté étatique de répartir les compétences sur le plan interne

Ensuite, la Cour rappelle que la règle du respect de l’identité nationale quant aux transferts de compétence consentis, constitue une situation exclusive de la qualification de marché public. En effet, elle distingue la situation correspondant à un transfert de compétences couvert par l’article 4 § 2 TUE et la situation correspondant à la conclusion d’un contrat de marché public. En l’espèce, le transfert de compétences qui conduit à ce que l’autorité qui transfère la compétence se décharge de son obligation et du droit d’exécuter une mission publique au bénéfice d’une autre autorité, ne répond pas à la définition d’un marché public.

Enfin, c’est en tout logique que, « dans ces conditions », la Cour estime qu’il n’est pas « nécessaire d’examiner si l’accord de coopération sur les services de santé est également susceptible de constituer une coopération entre pouvoirs adjudicateurs soustraite à l’obligation de mise en concurrence »[22]. Si l’exception de coopération entre pouvoirs adjudicateurs relève, à l’image de l’exception constitutionnelle découlant de l’article 4 § 2 TUE, de la volonté de l’ordre juridique de l’Union européenne, de respecter l’identité nationale des Etats membres[23], s’exprimant en son versant « ipséité constitutionnelle »[24], il n’en reste pas moins que leurs conséquences sont différentes. En effet, l’exception constitutionnelle empêche la qualification de marché public alors que la qualification de coopération entre pouvoirs adjudicateurs ne fait qu’anesthésier, envers un contrat public, l’application du régime juridique normalement applicable[25]. En l’espèce, le contrat analysé ne satisfaisant pas aux conditions d’un contrat de marché public, l’exception de coopération entre pouvoirs adjudicateurs ne peut lui être appliquée. La Cour encadre l’application de l’article 4 § 2 TUE en posant les deux conditions que doit respecter l’accord en cause au principal afin d’entrer dans son champ d’application et ainsi se voir refuser la qualification de marché public.

B. Les conditions requises pour qualifier un accord de transfert de compétences sanitaires

La Cour pose deux conditions cumulatives. L’une négative, relative à l’impossibilité d’identifier un contrat de marché public (1), l’autre positive, relative à l’identification d’une autonomie organisationnelle et financière accordée à l’autorité qui reçoit la compétence transférée (2).

1.  La condition négative de l’application de l’article 4 § 2 TUE 

La définition d’un marché public suppose la réunion de plusieurs critères. L’existence d’un contrat[26] synallagmatique[27] ainsi que son caractère onéreux[28] sont les deux éléments constitutifs d’un tel acte juridique[29]. Si l’existence d’un contrat n’a pas posé d’immense problème aux juges[30], il en a été autrement de son caractère onéreux. Il s’agit en effet de déterminer ce qu’est une « contrepartie ». Elle peut être constituée par l’exonération d’une dette[31], d’une contribution[32] ou par une rémunération, même si celle-ci est limitée au remboursement des frais déboursés pour fournir de service ou que le cocontractant ne poursuit pas normalement une finalité lucrative[33].  En l’espèce, c’est aussi le critère du caractère onéreux du contrat qui interroge la Cour. In fine, il s’avère défaillant. En effet, un transfert de compétence tel qu’en cause au principal, « ne remplit pas l’ensemble des conditions qu’impose la définition de la notion de « marché public ». En effet, seul un contrat conclu à titre onéreux peut constituer un marché public relevant de la directive 2004/18 »[34]. La Cour rappelle l’exigence d’une contrepartie pour exécuter une prestation devant comporter un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur. Or, « le fait même qu’une autorité publique soit déchargée d’une compétence dont elle était précédemment investie fait disparaître, dans son chef, tout intérêt économique à la réalisation des missions qui correspondent à cette compétence. »[35]. Dès lors, en l’absence de caractère onéreux, l’accord conclu ne saurait être qualifié de marché public.

2. La condition positive de l’application de l’article 4 § 2 TUE 

La Cour pose une distinction subtile entre d’une part l’exigence d’autonomie de l’autorité qui reçoit la compétence par rapport à celle qui la transfère et d’autre part la tolérance d’une influence de la seconde sur la première. Elle rappelle, conformément à sa jurisprudence antérieure[36], que, pour être qualifié d’acte d’organisation interne couvert par l’article 4 § 2 TUE, il convient que l’autorité qui reçoit la compétence dispose d’une autonomie organisationnelle et financière, excluant toute intervention de l’autorité qui la transfère[37]. L’autonomie organisationnelle suppose « le pouvoir d’organiser l’exécution des missions qui relèvent de cette compétence ainsi que d’établir le cadre réglementaire relatif à ces missions »[38]. L’autonomie financière suppose « qu’elle dispose d’une autonomie financière permettant d’en assurer le financement »[39].

En revanche, l’autorité qui transfère la compétence peut conserver « un certain droit de regard sur les missions liées au service public » transféré, par l’intermédiaire « d’un organe,  telle une assemblée générale, composée de représentants des collectivités territoriales précédemment compétentes»[40]. Le droit de regard consenti ne doit pas être compris comme un blanc-seing donné à l’autorité qui transfère la compétence dans son rapport avec l’autorité qui la reçoit. La Cour l’encadre en excluant, « en principe, toute immixtion dans les modalités concrètes d’exécution des missions qui relèvent de la compétence transférée »[41].

En l’espèce, l’accord de coopération sur les services de santé confère à la commune responsable plusieurs missions telles que : la responsabilité d’évaluer et de définir les besoins des résidents des communes concernées en matière de services sociaux et de santé, celle de décider de l’ampleur et du niveau de qualité de ces services offerts à ces résidents, celle de veiller à ce que ceux-ci disposent des services nécessaires, ainsi que celle de décider de la manière dont ces services sont fournis, de la disponibilité, de l’accessibilité et de la qualité desdits services, ainsi que du contrôle et du suivi de ceux-ci[42]. L’accord prévoit qu’en pratique, la responsabilité de l’organisation des services sociaux et de santé est confiée à la commission de garantie des droits sociaux de la ville de Pori. Organiquement, la commission est composée de dix-huit membres dont la majorité est nommée par la commune responsable de Pori[43]. Fonctionnellement, il est prévu que l’assemblée communale de la ville de Pori approuve le statut de la commission et détermine le champ d’action, ainsi que les missions de cette dernière. La commission assume la responsabilité des services sociaux et de santé, du dispositif desdits services ainsi que du budget nécessaire. Elle approuve notamment les accords devant être conclus et décide des redevances dues pour les services et les autres prestations concernés, conformément aux critères généraux établis par le l’assemblée communale de la ville de Pori.  Elle établit chaque année un plan des services définissant le contenu spécifique des services, le projet de plan étant préalablement soumis, pour avis, aux communes contractantes de l’accord de coopération sur les services de santé. La gestion économique des services sociaux et de santé repose sur une préparation conjointe. Les coûts sont répartis en fonction de l’utilisation des services sociaux et de santé. Chaque commune paie le coût réel des services utilisés par sa population et les résidents dont elle est responsable.

Suite à l’analyse du fonctionnement de la commission[44], la Cour conclut que « les conditions d’un transfert de compétences, au sens de l’article 4, paragraphe 2, TUE, semblent réunies de sorte que l’accord de coopération sur les services de santé ne paraît pas constituer un « marché public », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 »[45]. Dès lors, l’accord en cause au principal « devrait être exclu du champ d’application de la directive 2004/18 »[46].

Une fois posé le principe selon lequel l’accord visant au transfert de compétences sanitaires n’est pas un marché public, mais relève du respect de l’identité nationale des Etats membres, sur le fondement de l’article 4 § 2 TUE, la Cour s’intéresse à la décision, de la commune responsable de Pori d’attribuer, sans mise en concurrence, le contrat de service visant à mettre en œuvre l’accord de transfert de compétences sanitaires consenti (II).

II. L’exception jurisprudentielle empêchant l’application du régime juridique du droit des marchés publics

Le second problème concerne la décision de la commission de la ville de Pori, d’attribuer directement à une société qu’elle détient intégralement, la mission consistant à fournir des services[47] couvrant non seulement ses propres besoins mais également ceux des autres communes parties à l’accord de transfert de compétences, alors que, sans ce transfert de compétences, lesdites communes auraient pourvu seules à ces besoins. La Cour se pose deux questions. D’une part, si la ville de Pori peut être considérée comme un pouvoir adjudicateur au sens de la directive 2004/18 (A) et d’autre part, si elle pouvait valablement se fonder sur l’exception in house pour exciper de l’absence d’obligation de mise en concurrence préalable (B).

A. La nécessaire mise en œuvre de l’accord de transfert de compétences sanitaires par un pouvoir adjudicateur

La question que se pose la Cour concerne la qualification de la ville de Pori de « pouvoir adjudicateur » afin d’attribuer un contrat de services à l’entité liée, dans le cadre de l’exercice de sa compétence sanitaire déterminée par l’accord de transfert de compétences.

La Cour rappelle que, dans le cadre du transfert de compétences de transport et sanitaires, les communes ayant décidé de déléguer leurs compétences à la commune responsable de Pori, se sont dessaisies de leurs propres compétences. Dès lors, la ville de Pori assume, « pour le compte de ces autres communes une mission que chaque commune assurait jusqu’alors elle-même »[48]. La Cour indique que par un effet de subrogation dans les droits et obligations des communes qui transfèrent la compétence « en ce qui concerne la fourniture des services faisant l’objet »[49], la commune responsable est chargée de fournir les services de santé en cause sur le territoire couvert par l’accord de transfert de compétences. En revanche, chaque commune demeure redevable du coût réel des services utilisés par sa propre population et les résidents dont elle est responsable[50].

Nous comprenons que la Cour fait de la correcte mise en œuvre de l’accord de transfert de compétences sanitaires, un critère déterminant. C’est pourquoi, dans une logique fonctionnaliste, elle convoque, à notre sens pour la première fois, la notion d’ « effet utile »[51] de l’accord de transfert de compétences afin de qualifier la commune responsable de pouvoir adjudicateur.  La Cour indique en effet que l’autorité chargée de la mise en œuvre de l’accord de transfert de compétences « doit nécessairement être considérée, dans le cadre de l’attribution d’un service, comme le pouvoir adjudicateur pour cette mission, et ce pour l’ensemble des territoires des communes parties à l’accord qui opère le transfert de compétences »[52]. L’emploi du terme « nécessairement » démontre à quel point il ne pourrait en être autrement sans risquer de mettre en péril la mise en œuvre de l’accord de transfert de compétences sanitaires. Cette affaire nous enseigne que les modalités de la mise en œuvre des compétences étatiques sont nécessairement déterminées par l’objectif poursuivi par leur répartition administrative préalable.

Nous l’observons, la Cour donne le plus grand rôle à la notion de pouvoir adjudicateur[53], seule qualification permettant de garantir la mise en œuvre de l’accord de transfert de compétences sanitaires. Ce faisant, elle adopte une conception large de la notion de pouvoir adjudicateur, conformément à sa jurisprudence, confirmant que « les collectivités territoriales sont, par définition, des pouvoirs adjudicateurs »[54].

B. Le bénéfice de l’exception in house au profit de l’entité liée à la commune recevant la compétence sanitaire 

La question qui se pose est celle de savoir si le pouvoir adjudicateur peut recourir à une entité in house pour répondre non seulement à ses propres besoins mais également à ceux des communes qui lui ont transféré une compétence. Pour que l’exception in house soit constituée, il convient d’une part que le pouvoir adjudicateur exerce sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services (1) et d’autre part que cette entité réalise l’essentiel de son activité au profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent (2)[55].

1. La satisfaction du critère du contrôle analogue

 Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour rappelle que le premier critère est rempli lorsque le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire[56]. Que ce soit seule ou avec les communes contractantes, la ville de Pori est envisagée, dans les deux situations comme possédant sur, l’entité liée, un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.

D’une part, la Cour démontre que la ville de Pori peut être considérée comme étant le seul pouvoir adjudicateur et qu’elle exerce effectivement le contrôle requis. En l’espèce, en attribuant le contrat à Porin Linjat, le pouvoir adjudicateur recherche la satisfaction des besoins de l’ensemble des communes parties à l’accord de transfert de compétences sanitaires, qui ne détiennent pourtant aucune participation dans le capital de la société. Ce seul fait, qui présente un caractère inédit pour la Cour, ne saurait permettre d’en déduire que la gestion in house ne pouvait pas être utilisée[57]. En effet, le mécanisme mis en place dans le cadre du modèle de la « commune responsable » finlandais prévoit un transfert de responsabilité entre les communes qui transfèrent la compétence et celle qui la reçoit, de sorte que cette dernière « assume pour le compte des communes contractantes les missions que celles-ci lui ont confiées »[58]. La commune de Pori devient le seul pouvoir adjudicataire pour ces missions.

D’autre part, la Cour démontre que, même dans l’hypothèse où la ville ne serait pas considérée comme le seul pouvoir adjudicateur, le critère du contrôle analogue serait rempli. En effet, le modèle de la « commune responsable » donne la possibilité aux communes parties à l’accord de transfert de coopération, en dépit du fait qu’elles ne possèdent pas de participation au capital de l’entité in house, « d’exercer, à l’instar de la commune responsable, une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de l’entité attributaire et, partant, un contrôle effectif, structurel et fonctionnel sur cette entité »[59].

2. La satisfaction du critère de l’activité réalisée

L’entité attributaire doit réaliser l’essentiel de ses activitésau profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent, étant entendu que « dans l’hypothèse où une entreprise est détenue par plusieurs collectivités, cette condition peut être satisfaite si cette entreprise réalise l’essentiel de son activité avec ces collectivités prises dans leur ensemble et pas seulement avec l’une de ces collectivités en particulier »[60]. Cette exigence a pour objet de garantir que la directive demeure applicable « dans le cas où une entreprise contrôlée par une ou plusieurs collectivités est active sur le marché, et donc susceptible d’entrer en concurrence avec d’autres entreprises »[61]. Par conséquent, la Cour examine si des services attribués à une entité in house sur le fondement des deux accords de coopération peuvent être assimilés à des activités réalisées au profit du pouvoir adjudicateur. Elle indique que la mise en œuvre des deux accords de coopération semblent comporter « un certain nombre de garanties de nature à empêcher que l’entité in house n’acquière une vocation de marché et une marge de manœuvre qui rendraient précaire le contrôle exercé tant par la ville de Pori que par ses partenaires contractuels »[62]. Afin de déterminer si l’entité in house réalise l’essentiel de ses activités au profit du ou des pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent, il convient de tenir compte de l’ensemble des activités qu’elle réalise dans le cadre des deux accords de coopération en cause au principal. Dès lors, « il convient d’additionner le chiffre d’affaires réalisé par cette société à la demande de cette ville au titre de l’accord de coopération sur les services de santé » et celui réalisé au titre « de l’accord de coopération sur les transports publics, d’autre part, en vue de satisfaire à ses propres besoins, à celui réalisé par cette société à la demande des communes parties auxdits accords »[63]. La Cour conclut en la possibilité, pour la commune de Pori de bénéficier de l’exception in house pour « les services couvrant non seulement ses propres besoins mais également ceux des autres communes parties audit accord »[64].

L’affaire Porin kaupunki fait observer la ventilation suivante. Si la décision de transférer des compétences sanitaires nationales entre collectivités territoriales échappe en principe au droit de l’Union européenne, les modalités de la mise en œuvre des compétences transférées entrent dans son champ d’application par le truchement de la notion de pouvoir adjudicateur, quand bien même in fine et en l’espèce, le régime juridique normalement applicable se trouve paralysé.


[1] DURVIAUX A L. « Un transfert de compétences entre deux personnes publiques n’est pas u marché public », RTD Eur., 2017, p. 199. La question n’est cependant pas nouvelle, comme le démontre la jurisprudence de la Cour. V. not. CJUE 13 juin 2013, Piepenbrock, affaire C-386/11, EU:C:2013:385, AJDA 2013. 1751, note J.-D. Dreyfus ; AJCT 2013. 575, obs. Y. Simonnet ; RFDA 2013. 1231, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RTD eur. 2014. 496, obs. A. L. Durviaux ; Rev. UE 2014. 641, chron. C. Bernard-Glanz, L. Levi et S. Rodrigues ; CJCE, 20 octobre 2005, Commission c/ France, affaire C-264/03, EU:C:2005:620, AJDA 2006 247,  AJDA 2005. 2037 ; RDI 2005. 447, obs. J.-D. Dreyfus. 

[2] CJUE, 18 juin 2020,Porin kaupunki, affaire C-328/19, EU:C:2020:483, point 44.

[3] Entré en vigueur le 1er juillet 2012. V. CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 21.

[4] Il s’agit des villes de Pori, d’Harjavalta, de Kokemäki, d’Ulvila et de la commune de Nakkila (Finlande). V. Ibid.

[5] Organiquement, elle est constituée de membres désignés à égale mesure par leurs deux parties à l’accord. Cinq membres sont désignés par la ville de Pori tandis que cinq autres sont désignés par chacune des cinq communes finlandaises parties à l’accord. Fonctionnellement, elle est régie d’une part par un statut approuvé par l’assemblée communale de la ville de Pori et d’autre part par des règles de gestions approuvées par elle-même. Elle agit en tant qu’autorité régionale compétente commune en matière de transports pour la zone couvrant le territoire des parties à cet accord, sous l’autorité de l’assemblée communale et du conseil exécutif communal de la ville de Pori. Sur ce territoire, elle décide notamment des modalités d’organisation et de l’attribution des transports en commun exploités dans sa zone de compétence et approuve les contrats devant être conclus et décide des tarifs et des redevances.

[6] Conclu le 18 décembre 2012. V. CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 25. 

[7] « Elle évalue et définit les besoins des résidents en matière de services sociaux et de santé, décide de l’ampleur et du niveau de qualité de ces services offerts aux résidents, veille à ce que ceux-ci disposent des services nécessaires et décide également de la manière dont lesdits services sont fournis. Elle est par ailleurs responsable de la disponibilité, de l’accessibilité et de la qualité des services sociaux et de santé, ainsi que du contrôle et du suivi de ceux-ci ». V. Ibid., point 28.

[8] Organiquement, la commission est composée de dix-huit membres dont la majorité sont nommés par la commune responsable de Pori (Treize pour la ville de Pori, contre trois pour la ville d’Ulvila et deux pour la commune de Merikarvia. V. Ibid., point 29). Fonctionnellement, il est prévu que l’assemblée communale de la ville de Pori approuve le statut de la commission et détermine le champ d’action, ainsi que les missions de cette dernière. La commission assume la responsabilité des services sociaux et de santé, du dispositif desdits services ainsi que du budget nécessaire. Elle approuve notamment les accords devant être conclus et décide des redevances dues pour les services et les autres prestations concernés, conformément aux critères généraux établis par le l’assemblée communale de la ville de Pori. Elle établit chaque année un plan des services définissant le contenu spécifique des services, le projet de plan étant préalablement soumis, pour avis, aux communes contractantes de l’accord de coopération sur les services de santé. La gestion économique des services sociaux et de santé repose sur une préparation conjointe. Les coûts sont répartis en fonction de l’utilisation des services sociaux et de santé. Chaque commune paie le coût réel des services utilisés par sa population et les résidents dont elle est responsable.

[9] Par décision en date du 4 mai 2015. V. Ibid., point 30. 

[10] Ibid.

[11] A l’image des contrats dits « d’administration » conclus dans le domaine de la santé telles que, les conventions passées entre la Caisse primaire d’assurance maladie et les professions médicales qui permettent « principalement de régler les relations financières entre les professions médicales et la sécurité sociale, elles n’ont donc pas pour objet d’obtenir une prestation qu’un autre opérateur pourrait également fournir sur le marché. » (AMILHATM.,  La notion de contrat administratif. L’influence du droit de l’Union européenne, Toulouse, thèse dactylographiée, 2014, p. 487. Thèse consultée en version dactylographiée ayant cependant fait l’objet d’une publication. V. AMILHATM., La notion de contrat administratif. L’influence du droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2014). Selon l’auteur, il est possible de justifier leur absence de prise en compte par le droit de l’Union européenne des contrats publics par le fait qu’ils ne peuvent être placés dans une logique concurrentielle (Ibid). Ils n’ont dès lors aucun lien avec le marché intérieur (AMILHATM., op. cit., p. 485).

[12] AMILHATM., op. cit., p. 484.

[13] Souvent jurisprudentiel dans un premier temps, puis codifié par la Cour aux termes d’une directive V. par exemple pour la gestion in house l’affaire Teckal (CJCE 18 novembre 1999, Teckal, affaire C-107/98, EU:C:1999:562). Pour la coopération public-public, V. CJCE, 29 octobre 2009, Commission c/ Allemagne, affaire C-536/07, EU:C:2009:664. Sur la codification de ces exceptions, V. not. CLAMOUR G., « Les marchés exclus », Contrats et Marchés publics, dossier 3, n° 10, octobre 2015 ; ZIMMER W., « Remarques concernant les exclusions applicables aux relations internes au secteur public », Contrats et Marchés publics, dossier 4, n° 10, octobre 2015 ; CLAMOUR G., « Marchés et concessions « entre entités dans le secteur public » », Contrats et Marchés publics, dossier 6, n° 6, juin 2014 (ce dernier article constitue la contribution du Professeur Clamour au colloque organisé par l’Institut Maurice Hauriou de l’Université Toulouse 1 Capitole en 2014 : Les directives « marchés publics » et « concessions »).   

[14] Article 4 § 2 TUE.

[15] « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».

[16] De nature jurisprudentielle à l’époque des faits du litige en cause au principal. 

[17] A ce jour, l’exception constitutionnelle a été intégrée dans le droit dérivé. V. L’exception constitutionnelle est à présent intégrée dans le droit dérivé qui dispose que « les accords, décisions ou autres instruments juridiques, qui organisent le transfert de compétences et de responsabilités en vue de l’exécution de missions publiques entre pouvoirs adjudicateurs ou groupements de pouvoirs adjudicateurs et qui ne prévoient pas la rémunération de prestations contractuelles, sont considérés comme relevant de l’organisation interne de l’État membre concerné et, à ce titre, ne sont en aucune manière affectés par la présente directive » (article 1er, paragraphe 6, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO L 94 du 28.3.2014, p. 65–242).

[18] CJUE, 21 décembre 2016, Remondis, affaire C‑51/15, EU:C:2016:985, points 40 et 41.

[19] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 46.

[20] CJUE, 12 juin 2014, Digibet et Albers, affaire C‑156/13, EU:C:2014:1756, point 33; CJUE, 3 avril 2014, Cascina Tre Pini, affaire C‑301/12, EU:C:2014:214, point 42 ; CJUE, 4 octobre 2012, Commission c/ Belgique, affaire C‑391/11, EU:C:2012:611, point 31; CJCE, 16 juillet 2009, Horvath, affaire C‑428/07, EU:C:2009:458, points 49 et 50.

[21] La Commission a déjà clôturé des procédures d’infraction engagée contre l’Allemagne en considérant que le transfert complet d’un service public d’une entité publique à une autre, relève de l’organisation interne de l’administration publique de l’État membre concerné, échappant à toute soumission au droit de l’Union européenne. V. Voir communiqué de presse du 21 mars 2007 (IP/07/357).

[22] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 57.

[23] CJCE, 4 juin 2008, conclusions Trstenjak V., point 85, dans l’affaire Coditel Brabant (CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant, affaire C‑324/07, EU:C:2008:621) : « Enfin, le traité de Lisbonne souligne le rôle de l’autonomie régionale et locale pour les identités nationales respectives, qu’il convient de respecter ».

[24] BLANQUET M., « Mêmeté et ipséité constitutionnelles dans l’Union européenne » in BLANQUET M., GROVE-VALDEYRON N. (dir.), Mélanges en l’honneur du Professeur Joël Molinier, Paris, L.G.D.J., 2012, p. 54-91. C’est-à-dire, concernant les « éléments appréhendés différemment dans chaque État selon une « dimension individuelle » », en fonction de « leurs particularités, leur singularité », V. LEHMANN P-E., Réflexions sur la nature de l’Union Européenne à partir du respect de l’identité nationale des Etats membres, Nancy, thèse dactylographiée, 2013, p. 277).

[25] En 2012, dans un arrêt Lecce (CJUE, 19 décembre 2012, Lecce e.a., affaire C-159/11, EU:C:2012:817. Cet arrêt a notamment été confirmé par CJUE, 13 juin 2013, Piepenbrock, affaire C-386/11, EU:C:2013:385. ; CJUE, 8 mai 2014, arrêt, Technische Universität Hamburg-Harburg, affaire C-15/13, EU:C:2014:303), la Cour  confirme et affine l’arrêt Commission c/ Allemagne (CJCE, 9 juin 2009, Commission c/Allemagne, affaire C‑480/06, EU:C:2009:357) en consacrant la coopération horizontale comme une exception générale à mettre à côté de la gestion in house. La Cour pose très clairement les conditions (cumulatives) dans lesquelles la coopération horizontale sera caractérisée : une coopération entre entités publiques ; qu’elle ait pour objet d’assurer la mise en œuvre de taches d’intérêt public communes ; ces contrats doivent être conclus exclusivement par des entités publiques ; aucun prestataire privé ne doit être placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents et, la coopération est exclusivement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêts publics. Cette exception résulte de la volonté de permettre le développement des coopérations intercommunales pures soustraites aux règles de passation posées par le droit de l’Union.

[26] Le nouvel article 1101 du Code civil tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».

[27] Ann Lauwrence Durviaux (« Un transfert de compétences entre deux personnes publiques n’est pas un marché public », RTD Eur., 2017, p. 199) considère que la jurisprudence de la Cour fait pour la première fois, en 2016 (CJUE, 21 décembre 2016, Remondis, C-51/15, EU:C:2016:985, point 43), du caractère synallagmatique de l’acte, un critère d’identification du contrat de marché public. En effet, elle indique que jusqu’alors seuls les avocats généraux avaient mentionnés cette caractéristique du contrat de marché public. V. conclusions Trstenjak V. point 47, dans l’affaire Commission c/ Allemagne (CJCE 29 octobre 2009, Commission c/ Allemagne, affaire C-536/07, EU:C:2009:340, AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDI 2010. 149, obs. S. Braconnier) ; conclusions  Jääskinen N., points 84 et 87, dans l’affaire Commission c/ Espagne (CJUE, 26 mai 2011, Commission c/ Espagne, affaire C-306/08, EU:C:2010:528, AJDA 2011. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RTD eur. 2012. 640, obs. A. L. Durviaux). Il nous semble que la référence explicite au caractère synallagmatique contrat n’est pas tant une modification des critères d’identification d’un contrat de marché public que la conséquence du critère de l’onérosité du contrat. En effet, la Cour, autant dans l’affaire Remondis (point 43), que dans l’affaire Porin kaupunki (point 47),fait directement découler (« ainsi ») l’emploi du critère du caractère synallagmatique du contrat de son caractère onéreux. Le caractère synallagmatique du contrat est bien une conséquence de son caractère onéreux. Dès lors, cette nouvelle référence explicite apparaît plutôt comme une autre manière de formuler et de présenter les critères d’identification du contrat de marché public qu’un nouveau critère de définition.   

[28] Le nouvel article 1107 du Code civil tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que : « Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure ». Selon Pierre DELVOLVE, (« Les contrats de la « commande publique » », RFDA, 2016, p. 200), il est possible de reprendre cette définition civiliste en ce que tant le droit public interne que le droit de l’Union utilisent la même définition.  Voir la jurisprudence de la Cour sur le caractère onéreux du contrat : CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller, affaire C-451/08, EU:C:2010:168, point 48 : « Le caractère onéreux du contrat implique que le pouvoir adjudicateur ayant conclu un marché public de travaux reçoive en vertu de celui-ci une prestation moyennant une contrepartie » ; CJCE, 18 janvier 2007, Jean Auroux e.a., affaire C-220/05, EU:C:2007:31 ; CJCE, 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., affaire C- 399/98, EU:C:2001:401.  

[29] Article 5.1 de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession (JO L 94 du 28.3.2014, p. 1–64); article 2.5 de la directive 2014/24/UE, op. cit.

[30] Voir en ce sens : DELVOLVE P. « Les contrats de la « commande publique », RFDA, 2016, p. 200. L’auteur pose néanmoins la réserve de l’hypothèse où se « combinent des prescriptions réglementaires et des conventions réalisant leur mise en œuvre. Tantôt doit être reconnue l’existence d’un lien contractuel, tantôt non ». Mais, l’objet de l’étude du présent mémoire ne nécessite pas de discuter ce point.

[31] CJCE, 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., op. cit.

[32] CE, ass., 4 nov. 2005, Société Jean-Claude Decaux, n° 247298.

[33] CJUE, 19 décembre 2012, Lecce, op. cit.

[34] CJUE, 21 décembre 2016, Remondis, op. cit., points 42 à 44 ; CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 47. 

[35] Ibid.

[36] CJCE, 20 octobre 2005, Commission c/ France, op. cit.

[37] « L’autorité initialement compétente ne saurait donc conserver la responsabilité principale concernant ces mêmes missions, ni se réserver le contrôle financier de celles-ci ou approuver au préalable les décisions qui sont envisagées par l’entité qu’elle s’adjoint. Un transfert de compétences postule donc que l’autorité publique nouvellement compétente exerce cette compétence de manière autonome et sous sa propre responsabilité », CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 48 se fondant sur  CJUE, 21 décembre 2016, Remondis, op. cit., points 49 et 51.

[38] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 48.

[39] Ibid.

[40] Ibid., point 49.

[41] Ibid., point 49, citant CJUE, 21 décembre 2016, Remondis, op. cit., point 52.

[42] Ibid., point 51. 

[43]Treize pour la ville de Pori, contre trois pour la ville d’Ulvila et deux pour la commune de Merikarvia. V. point 29.

[44] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., points 50 à 55.

[45] Ibid., point 56.

[46] Ibid.

[47] Il s’agit de services de transport de personnes handicapées.

[48] Ibid., point 61.

[49] Ibid., point 62 (souligné par nous). 

[50] Ibid., point 63.

[51] Ibid., point 64.

[52] Ibid.

[53] Pour une codification des différentes catégories de pouvoirs adjudicateurs, V. article 2 de la directive 2014/24/UE, op. cit.

[54] CJCE, 18 novembre 2004, Commission c/ Allemagne, affaire C-126/03, EU:C:2004:728.

[55] CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, affaire C‑340/04, EU:C:2006:308, point 33 ; CJCE, 18 novembre 1999, Teckal, op. cit., point 50.

[56] CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant, op. cit., point 30 ; CJCE, 19 avril 2007, Asemfo, affaire C‑295/05, EU:C:2007:227, point 57.

[57] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 68.

[58] Ibid., point 69.

[59]  Ibid., point 70. V. par analogie la jurisprudence citée CJUE, 8 mai 2014, Datenlotsen Informationssysteme, affaire C‑15/13, EU:C:2014:303, point 26 ; CJUE, 29 novembre 2012, Econord, affaires jointes C‑182/11 et C‑183/11, EU:C:2012:758, point 27 ; CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, op. cit., point 36 ; CJCE, 13 octobre 2005, Parking Brixen, affaire C‑458/03, EU:C:2005:605, point 65.

[60]CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 71.V. en ce sens CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, op. cit, points 70 et 71.

[61] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 71.

[62] Ibid., point 73. V. par analogie la jurisprudence citée CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant, op. cit, point 36. 

[63] CJUE, 18 juin 2020, Porin kaupunki, op. cit., point 76.

[64] Ibid., point 79.

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ParJDA

Toulouse par le Droit administratif

Art. 316.

Histoire(s) toulousaine(s) & administrativiste(s). En 1853, c’est à l’Université de Toulouse (et non à Paris !) qu’à l’initiative des professeurs Chauveau et Batbie, on fonda le premier média juridique français spécialisé en matière de pratique et de droit administratifs : le Journal du Droit Administratif (Jda) dont le présent ouvrageest une forme de « continuité » sinon de résurgence.

Le Droit administratif à Toulouse ou Toulouse « par » le Droit administratif est donc sérieusement ancré dans notre histoire académique qu’incarne, bien après 1853 cela dit, le « Commandeur » de tous les publicistes de droits internes : le doyen de la Faculté de Droit de Toulouse, Maurice Hauriou.

Un lieu & du Droit. L’idée d’analyser un lieu ou un territoire (ici occitan) à travers les yeux et le prisme de juristes (en l’occurrence publicistes) se fera dans cet ouvrage en clins d’yeux successifs (et ce, pour garder toujours au moins un œil ouvert !) : d’abord, elle se fera – on l’a dit – dans la continuité des travaux (de 1853 puis de 2015) du Journal du Droit Administratif (désormais en ligne) dont les quatre membres du comité de rédaction ont lancé la présente initiative pour la première fois sur support également imprimé et ce, avec le concours de l’Université Toulouse 1 Capitole. Par ailleurs, l’ouvrage sort parallèlement à un second opus relatif à Orléans dans la jurisprudence des Cours suprêmes (dir. Charité & Duclos) au Tome XXVIII de la même collection « L’Unité du Droit » des Editions l’Epitoge (du Collectif L’Unité du Droit).

Trois parties entre Enseignement, Notions & Prétoires. Concrètement, le présent dossier est construit à partir de vingt-huit contributions réparties en trois temps : celui de l’enseignement du droit administratif à Toulouse (avant et après la figure solaire et charismatique du doyen Hauriou) (I) puis celui de plusieurs notions administrativistes appliquées et confrontées au territoire toulousain (intercommunalité, propriété, urbanisme, fonction publique, etc.) sans oublier l’importance tant quantitative que qualitative des droits européens intégrés et revendiqués (II). Enfin, ce sont les décisions et la jurisprudence que nos auteurs ont (ré)investies en mettant en avant de célèbres arrêts et jugements (allant de la dame veuve Barbaza à la société Giraudy en passant par la proclamation du Principe général du Droit à un salaire minimum) mais ce, sans oublier non seulement des affaires récentes (comme celles relatives à la privatisation de l’aéroport de Blagnac, à la tragédie d’Azf ainsi qu’au contentieux du boulevard périphérique nord) mais encore des décisions moins connues (III).

Toulouse est ainsi… aussi dans la… place contentieuse ! #Toulouserepresents

par le comité de rédaction 2019-2020
du Journal du Droit Administratif

Particularismes toulousains : entre Puissance & Service publics. Cette place, cela dit, c’est aussi évidemment à Toulouse celle du Capitole dont l’ouvrage rappelle quelques particularités urbanistiques et même lyriques. Il faut dire que la « ville rose » ne se réduit pas – particulièrement en droit administratif – à un cassoulet ou à des saucisses accompagnées de violettes sur fond de briques avec pour commensaux des rugbymen qui disputeraient au Tfc une première place pour chanter du Nougaro et/ou du Big Flo & Oli ! En droit public, en effet, Toulouse c’est encore Météo-France, Airbus ou encore Toulouse Métropole mais c’est aussi, comme le souligne le professeur Delvolvé dans sa préface, un résumé du Droit administratif et de son histoire (là encore marquée du sceau d’Hauriou) entre puissance et service publics.

Actualités 2020 : entre Cour & Virus. Par ailleurs, à l’heure où nous publions ce livre, deux actualités ont également marqué les esprits à propos de Toulouse « par » le droit administratif. D’abord, c’est l’annonce par le Conseil d’Etat à l’automne 2019 de l’implantation, à Toulouse, de la future et neuvième Cour Administrative d’Appel ce qui va soulager la Cour bordelaise (mais faire grincer les dents des Montpelliérains) et compléter la présence, en premier ressort, du Tribunal Administratif. Par ailleurs, à la fin de l’hiver 2020, ce n’est pas Toulouse mais la planète entière qui a été terriblement impactée par la pandémie du Coronavirus ou Covid-19 qui a, elle-même, symptomatiquement sur-sollicité nos services hospitaliers. Nous n’oublions alors pas que c’est à Toulouse, en 1968, que la Commission Administrative des Hôpitaux de Toulouse créa le premier Service d’Aide Médicale Urgente (ou Samu) qui allait devenir national.

En vous souhaitant, malgré les confinements et avec l’accent (et en grignotant une véritable chocolatine), une bonne lecture toulousaine de notre Droit administratif.

Table des matières :

Lorsqu’une contribution apparaît en rouge / en lien c’est qu’il est possible (en cliquant dessus) d’en découvrir le texte ou des extraits !

Présentation

Par Mathieu Touzeil-Divina (dir.), Mathias Amilhat,
Maxime Boul & Adrien Pech

Toulouse, entre la puissance publique & le service public

Par Pierre Delvolvé

Toulouse & le Journal du Droit Administratif (Jda)

Par Mathieu Touzeil-Divina

Première Partie :
Toulouse par l’enseignement du droit administratif

Toulouse & le droit administratif enseigné I / III :
« le XV » avant Hauriou (1788-1888)

Par Mathieu Touzeil-Divina

Toulouse & le droit administratif enseigné II / III : Hauriou (1888-1929). De l’ambition contrariée au projet théorique

Par Julia Schmitz

Toulouse & le droit administratif enseigné III / III :
après Hauriou (après 1929)

Par Jean-Gabriel Sorbara

Deuxième Partie :
Toulouse par les notions du droit administratif

Toulouse & la fonction publique

Par Delphine Espagno-Abadie

Toulouse & l’Epci

Par Florence Crouzatier-Durand

Toulouse & la propriété publique

Par Maxime Boul

Toulouse & l’urbanisme

Par Céline Gueydan

Toulouse & les enseignes du Capitole

Par Hugo Ricci

Toulouse & l’Union européenne

Par Adrien Pech

Toulouse fait-elle la pluie et le beau temps ?

Par Adrien Pech

Troisième Partie :
Toulouse par le contentieux administratif

CE, 27 juin 1913, Etat c. ville de Toulouse

Par Clothilde Blanchon

CE, Sect., 25 avril 1958, Dame veuve Barbaza & alii

Par Mathieu Touzeil-Divina

CE, Sect., 13 juillet 1961, Ville de Toulouse c/ Tfc

Par Mathieu Touzeil-Divina

CE, 02 mai 1969, Société Affichage Giraudy

Par Maxime Boul

CE, Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse

Par Pierre Esplugas-Labatut

CE, Sect. 29 juillet 1983, Ville de Toulouse c. Tomps

Par Clemmy Friedrich

CE, Sect., 08 février 1991, Région Midi-Pyrénées

Par Quentin Alliez

CE, 10 avril 2002, Ministre des transports

Par Nadège Carme

TA de Toulouse, 02 juin 2008, M. R. c. Garde des Sceaux

Par Noémie Etchenagucia

CE, 11 mai 2009, Ville de Toulouse

Par Jean-Charles Jobart

TA de Toulouse, 09 mars 2011, Société Mc2i

Par Camille Cubaynes

CE, 17 décembre 2014, Ministre de l’écologie

Par Marine Fassi de Magalhaes

TA de Toulouse, 18 février 2016, Mme Nanette Glushak c. ville de Toulouse

Par Mathieu Touzeil-Divina

CE, 09 oct. 2019, Ministre de l’économie et des finances c. M. G. & alii

Par Mathias Amilhat

CE, 31 décembre 2019, Ministre de la cohésion des territoires

Par Clothilde Combes

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Dossier VII, Toulouse par le Droit administratif ; Art. 316.

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ParJDA

L’état d’urgence sanitaire aux temps du déconfinement

Art. 315

commentaire de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire
et complétant ses dispositions
et du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020
prescrivant les mesures générales nécessaires
pour faire face à l’épidémie de covid-19

par Jean-Charles Jobart
Premier conseiller au Tribunal administratif de Toulouse
Chargé d’enseignement à l’Université Toulouse 1 Capitole (Idetcom EA 785)

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a créé un nouveau régime d’exception en France fortement inspiré dans son mécanisme de l’état d’urgence de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 : l’état d’urgence sanitaire. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 85-187 du 25 janvier 1985 sur l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, avait considéré que l’existence de régimes de crise dans la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur en crée de nouveaux. Il a donc conformé sa jurisprudence à propos de l’état d’urgence sanitaire (CC n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 § 17).

Ce nouveau régime a démontré son utilité : dans un contexte de pandémie et de pénurie de masques de protection et de tests de dépistage du Covid-19, il a permis au Premier ministre d’imposer un confinement du 17 mars au 11 mai 2020 (art. 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020). Celui-ci s’est révélé efficace : le nombre de cas de Covid-19 diagnostiqués était en augmentation d’à peu près 20 % par jour pour tomber à moins de 1% au jour du déconfinement, le nombre de personnes diagnostiquées étant toutefois passé 3 000 à 140 000 dont plus de 26 000 sont décédées (statistiques www.santepubliquefrance.fr). Dans son avis du 20 avril 2020, le conseil de scientifiques indique que « grâce au confinement, le taux de transmission de SARS-CoV-2 dans la population française a été réduit d’au moins 70 % ». Mais le confinement ne pouvait être prolongé indéfiniment au risque de provoquer un effondrement de l’économie française et des finances publiques. Le 28 avril, le Premier ministre a présenté devant l’Assemblée nationale sa stratégie de déconfinement fondée sur le triptyque « Protéger, tester, isoler », concrétisé dans le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020. Toutefois, la loi du 23 mars ne permettait pas d’organiser et de gérer de manière optimale cette seconde phase de lutte contre la pandémie.

Une seconde loi d’adaptation s’avérait donc nécessaire : la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020. Il s’agit encore d’un texte voté dans l’urgence, sinon la précipitation, pour pouvoir être publiée le 11 mai, date du déconfinement. Le Conseil d’Etat a rendu son avis sur le projet de loi le 1er avril 2020 (n° 400104). Le lendemain, il était présenté en Conseil des ministre, déposé au Sénat et examiné par sa commission des lois. Le texte a été discuté en séance les 4 et 5 mai puis a été transmis à l’Assemblée nationale le jour suivant. L’examen du projet a été réalisé le 7 en commission des lois puis le 8 dans l’hémicycle. Le lendemain, la commission mixte paritaire trouvait un compromis voté dans la foulée par les deux chambres et le Conseil constitutionnel était saisi par le président de la République et le président du Sénat. Le 10 mai, deux nouvelles saisines étaient déposées par 60 députés et 60 sénateurs. La décision était rendue le 11 mai au soir pour permettre la promulgation immédiate de la loi puis sa publication au Journal officiel du 12 mai. Douze jours pour travailler et contrôler une loi aussi importante : c’était amplement suffisant.

Très classiquement, cette loi prolonge l’état d’urgence sanitaire et élargit les pouvoirs d’exception du Premier ministre. En outre, il crée un nouveau fichier informatique de collecte de données personnelles médicales afin de surveiller l’évolution de la pandémie et lutter contre celle-ci. Lors de son contrôle, le Conseil constitutionnel a classiquement mis en balance la nécessité d’assurer la protection de la santé, qui constitue un objectif à valeur constitutionnelle (CC n° 90-283 DC du 1er janvier 1991 ; n° 93-325 DC du 13 août 1993 ; n° 2019-823 QPC du 3l janvier 2020) avec « l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis » et, en particulier, la liberté individuelle, la liberté d’aller et venir et le droit au respect de la vie privée.

I. La Prolongation de l’état d’urgence sanitaire

Selon les nouveaux articles L. 3131‑12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national par décret motivé en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre de la santé « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». L’article L. 3131-19 précise que l’état d’urgence sanitaire s’accompagne de la mise en place d’un comité de scientifiques qui rend régulièrement des avis qui sont rendus publics. Lors de la discussion de la loi du 23 mars, les députés avaient longuement bataillé, demandant que celui-ci soit réuni avant le déclaration d’état d’urgence sanitaire afin de rendre un avis public sur la nécessité de cette déclaration. Cela semblait peu compatible avec l’urgence de la déclaration, puisque ce comité comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat, ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret, le président du comité étant désigné par décret du Président de la République (voir notamment les décrets du 3 avril 2020 portant nomination de douze membres du comité de scientifiques et de son président). En compromis, les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la déclaration de l’état d’urgence sanitaire doivent être rendues publiques.

La durée de l’état d’urgence sanitaire

Sur le modèle de l’état d’urgence, le projet initial du Gouvernement prévoyait une déclaration pour douze jours. Le Conseil d’Etat avait cependant observé qu’il était peu probable qu’une crise sanitaire se résolve en un délai aussi court et avait proposé de l’étendre à un mois (CE, avis du 18 mars 2020, n° 399873). Cette durée initiale avait été fortement discutée mais confirmée par les majorités des deux chambres. La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques. Toutefois, au vu de la gravité de la pandémie actuelle, sur amendement du Sénat, l’article 4 de la loi du 23 mars a disposé que l’état d’urgence sanitaire était déclaré pour une durée de deux mois.

Il est évident que, deux mois après, la crise sanitaire n’est toujours pas éteinte et que l’état d’urgence sanitaire doit être prolongé. Le projet du Gouvernement prévoyait une prolongation de deux mois, jusqu’au 23 juillet. Toutefois, un amendement du rapporteur de la commission des lois au Sénat a ramené cette date au 10 juillet 2020, terme définitivement retenu au 1° de l’article 1er de la loi du 11 mai. Il peut toutefois être mis fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi (art. L. 3131‑14). L’article 2 de la loi du 11 mai précise que ce décret intervient après avis du comité scientifique. Avec la fin de l’état d’urgence, les mesures prises en application de celui-ci cessent et le comité est dissous.

Le régime de l’état d’urgence sanitaire a été rendu applicable à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna par l’ordonnance n° 2020-463 du 22 avril 2020. L’article 12 de la loi du 11 mai prévoit de même l’application de ses nouvelles mesures à ces mêmes territoires.

Notons enfin que les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire de la loi du 23 mars sont provisoires, pour une période d’une année jusqu’au 1er avril 2021. À l’issue de ce délai, il appartiendra au Parlement de dresser un bilan de l’application du dispositif et, si son utilité est établie, de le pérenniser, le cas échéant en le modifiant.

Le droit pénal provisoire d’adaptation à la crise sanitaire

La loi du 23 mars prévoit de très nombreuses mesures d’adaptation du droit à la situation de crise sanitaire. Cela passe notamment par des habilitations du Gouvernement à prendre pas moins de quarante-trois ordonnances ! Notons que sur amendement du Gouvernement, les projets d’ordonnance sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire.

En matière pénale, le d) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars habilite le Gouvernement à prolonger la durée de la détention provisoire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique afin d’éviter que ces mesures de sureté n’arrivent à leur terme avant que l’audience de jugement n’ait pu être organisée. Ces prolongations jusqu’à deux ou trois mois pour les délits et jusqu’à six mois pour les procédures criminelles (art. 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020) ont été jugées justifiées (CE, ord. du 3 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439894). L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-303 précise que ces dispositions sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire. La prolongation de ce dernier conduisait donc à prolonger certaines détentions jusqu’au 10 août sans décision de justice.

La commission des lois du Sénat a proposé de modifier le champ de l’habilitation afin d’interdire que, par ordonnance, le Gouvernement puisse à nouveau allonger les détentions provisoires et mesures d’assignation en cours. La justice a toutefois été très ralentie pendant la période de confinement et le retour à une activité normale sera progressive. L’Assemblée nationale a donc préféré une solution intermédiaire : elle a abrogé la possibilité de prolonger la détention sans passer par un juge et sans débat contradictoire. Si la détention doit s’achever avant le 11 juin, la juridiction compétente dispose d’un mois à compter de cette échéance pour se prononcer sur sa prolongation, sans qu’il en résulte une remise en liberté. Les délais d’audiencement, peuvent être prolongés jusqu’à deux, trois ou six mois comme auparavant, ce qui aura pour effet d’allonger la durée maximale totale de la détention jusqu’à la date d’audience. Lorsque la détention provisoire au cours de l’instruction a été prolongée de plein droit pour une durée de six mois, cette prolongation ne peut maintenir ses effets jusqu’à son terme que par une décision prise par le juge des libertés et de la détention au moins trois mois avant son terme. Si une décision de prolongation n’intervient pas avant cette date, la personne est remise en liberté. Enfin, la chambre de l’instruction pourra être directement saisie d’une demande de mise en liberté lorsque la personne n’aura pas comparu dans les deux mois suivant la prolongation de plein droit de sa détention provisoire. De plus, l’avocat pourra demander par courrier électronique au juge d’instruction la mise en liberté si celle-ci est motivée par l’existence de nouvelles garanties de représentation de la personne.

II. Les atteintes aux libertés d’aller et venir et de réunion

Le projet initial de la loi du 23 mars était particulièrement imprécis quant aux mesures pouvant être prises dans le cadre de l’état d’urgence. Le Premier ministre pouvait limiter la liberté d’aller et venir, d’entreprendre, de réunion, réquisitionner biens et services. Le ministre de la santé pouvait prendre toute autre mesure générale ou individuelle. La commission des lois du Sénat avait estimé que les compétences attribuées au ministre de la santé apparaissent mouvantes et susceptibles d’empiéter sur celles du Premier ministre, elles-mêmes trop imprécises. Elle avait donc fait un important travail en dressant, à l’article L. 3131‑15 du code de la santé publique, la liste des mesures que le Gouvernement peut édicter. Si la loi du 11 mai vient compléter certains pouvoirs, elle vise surtout à encadrer les mesures de mise en quarantaine ou à l’isolement. En outre, l’article 1er du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, étonnement pris avant l’entrée en vigueur de la loi, impose des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, son article 2 classant les départements en zone verte ou rouge au regard de leur situation sanitaire.

La limitation des transports et des réunions

Le Premier ministre dispose de vastes pouvoirs, mais aux seules fins de garantir la santé publique. Il peut restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules. L’article 3 1° de la loi du 11 mai ajoute, dans la perspective du déconfinement, la possibilité de réglementer la circulation des personnes et des véhicules afin notamment de permettre la mise en place de restrictions d’accès aux transports publics ou d’y imposer des mesures d’hygiène. Ainsi, l’article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 interdit aux personnes de sortir de leur département et limite leurs déplacements à 100 Km autour du domicile, sauf motif professionnel, scolaire, sanitaire, familial impérieux ou judiciaire (voir l’arrêté du ministre de l’intérieur du 20 mai 2020 fixant le modèle de déclaration de déplacement). L’article 4 à tout navire de croisière de mouiller en France, impose le port du masque aux passagers des navires, voire, à la demande du transporteur, une déclaration sur l’honneur attestant ne pas présenter de symptôme d’infection au covid-19. Selon l’article 5, cette déclaration sera obligatoire pour les transports aériens, tout comme le port du masque. Surtout, le recours au transport public aérien entre la métropole et les outre-mer et la Corse est interdit, sauf motif impérieux d’ordre personnel, familial, sanitaire ou professionnel. Enfin, l’article 6 impose le port du masque dans les transports terrestres. Les transports interrégionaux ne seront accessibles que sur réservation et seront limités à 60 % de leur capacité maximale. La crise sanitaire ne saurait cependant justifier l’interdiction de la circulation à bicyclette et la fermeture des pistes cyclables (CE, ord. du 30 avril 2020, Fédération française des usagers de la bicyclette, n° 440179) qui, au contraire, sont promus en période de déconfinement.

Le Premier ministre peut ensuite interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé, ce qui est bien connu sous le nom de « confinement ». Cette réglementation de la circulation doit être adaptée « aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale » des personnes, ce qui explique les exceptions relatives aux impératifs professionnels, familiaux, sanitaires ou tout simplement pour les achats de première nécessité ou la pratique individuelle du sport (sur cette exigence, voir notamment CC n° 2017-684 QPC du 11 janvier 2018 ; n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 § 35 ; n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 § 31), justifiant que le confinement ne soit pas « total » (CE, ord. du 22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439674). En particulier, la dérogation pour la pratique individuelle du sport pendant une heure par jour et jusqu’à un kilomètre du domicile n’a pas été jugée trop restrictive au vu de la crise sanitaire (CE, ord. du 31 mars 2020, M. Dujardin, n° 439839). En revanche, le Conseil d’Etat, s’il reconnaît la nécessité de mettre à l’abri les personnes sans abri ou en habitat de fortune, a estimé que les efforts de l’Etat en matière d’hébergement sont déjà importants et n’appellent pas de mesures supplémentaires (CE, ord. du 2 avril 2020, Fédération nationale Droit au logement, n° 439763).

Le Premier ministre peut également ordonner la fermeture provisoire de catégories d’établissements recevant du public et des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité. Ainsi, l’article 9 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 interdit en zone rouge l’accès du public aux parcs, jardins et espaces verts ainsi qu’aux plages, lacs et plans d’eau. L’article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 imposait la fermeture des établissements scolaires et universitaires, des musées, salles de spectacle, bars, restaurants et équipements ou salles de sport, et des marchés, sauf autorisation préfectorale accordée pour certains marchés alimentaires après avis du maire (fermeture imposée par CE, ord. du 22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, préc. et confirmée comme nécessaire par CE, ord. du 1er avril 2020, Fédération française des marchés de France, n° 439762). Cette prérogative a cependant posé la même difficulté que pour les transports : plus que la fermeture, le déconfinement implique une règlementation des conditions d’ouverture, ce que permet donc l’article 3 2° de la loi du 11 mai. L’article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ordonne ainsi la fermeture au public des salles de spectacles, des bars et restaurants, des musées ou des établissements sportifs couverts. De plus, il maintient les lieux de culte ouverts mais y interdit toute réunion à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 20 personnes, ce qui empêche la pratique des cultes religieux. Mais au vu de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’Etat a estimé que cette interdiction ne crée pas une situation d’urgence en période de confinement (CE, ord. du 30 mars 2020, M. Pellet, n° 439809). Avec le déconfinement, cette interdiction est jugée disproportionnée, la pratique des cultes pouvant être réglementée (CE, ord. du 18 mai 2020, Association Civitas, Parti chrétien-démocrate et autres, n° 440366), ce qui a été effectué par le décret n° 2020-618 du 22 mai 2020. Enfin, selon l’article 11 du décret, l’accueil des enfants en crèche doit être assuré en groupes autonomes de dix enfants maximum. L’articles 12 rouvre les écoles, collèges et lycées avec des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, mais laisse les universités closes.

Le Premier ministre peut de même limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique et les réunions de toute nature. Ainsi, l’article 7 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 interdit tout rassemblement ou réunion de plus de dix personnes sur la voie publique, dans un lieu public ou un établissement recevant du public, l’article 8 interdisant tout évènement réunissant plus de 5 000 personnes jusqu’au 31 août 2020.

Les mesures de fermeture de lieux ouverts au public et de restriction de la liberté de réunion avaient déjà été admises par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’état d’urgence classique (CC n° 2016-535 QPC du 19 février 2016) et l’ont donc été dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (CC n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 § 23), mais à la réserve d’interprétation près que la règlementation des « lieux de réunion » ne saurait comprendre celle des locaux à usage d’habitation afin de protéger le droit à une vie privée et familiale (§ 22).

Le régime spécifique des mesure d’isolement et de mise en quarantaine

La loi du 23 mars permet au Premier ministre d’ordonner des mesures de quarantaine et des mesures d’isolement. Il a été fait usage de ces dispositions à l’arrivée dans les collectivités ultramarines en vertu de l’article 5-1 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020. Le placement à l’isolement des personnes porteuses du virus, dans le but de casser les chaînes de transmission, est l’une des principales préconisations formulées par le conseil de scientifiques dans son avis du 20 avril 2020 portant sur la sortie du confinement. Or, la loi du 23 mars n’encadrait pas ces mesures. Ce vide législatif face à une atteinte importante à la liberté individuelle était à l’évidence inconstitutionnel. Les articles 3 5° et 5 de la loi du 11 mai ainsi que les décret n° 2020-610 et n° 2020-617 du 22 mai 2020 y remédient.

La commission des lois du Sénat a limité le placement en quarantaine ou à l’isolement aux personnes ayant séjourné dans une zone d’infection dans le mois précédant leur arrivée en France. Pour cela, elle a imposé que la liste des zones de circulation de l’infection soit définie par un arrêté du ministre de la santé. Ainsi, l’arrêté du 22 mai 2020 définit ces zones à l’ensemble des pays du monde ! De même, elle a introduit une obligation de transmission, par les entreprises de transport ferroviaire, aérienne et maritime, des données de réservation correspondant aux passagers susceptibles de faire l’objet d’une mesure de quarantaine ou d’isolement. Un amendement gouvernemental en séance à l’Assemblée nationale y a toutefois substitué la communication des données « relatives aux passagers », prévue par exemple à l’article 232-4 du code de la sécurité intérieure, bien plus fiables.

La quarantaine ou mise à l’isolement se déroule, au choix des personnes, au domicile ou dans un lieu d’hébergement adapté. Il peut alors être interdit à la personne de sortir, sous réserve des déplacements qui lui sont spécifiquement autorisés par le préfet, ou de fréquenter certains lieux. En cas d’isolement complet, il lui est garanti un accès aux biens et services de première nécessité ainsi qu’à des moyens de communication téléphonique et internet (art. R. 3131-19 du code de la santé publique).

La mesure est prise par décision individuelle motivée du préfet de département au vu d’un certificat médical constatant l’infection de la personne et sur proposition du directeur de l’agence régionale de santé. La durée initiale de l’isolement ou de la quarantaine ne peut excéder quatorze jours et ne peut être renouvelée qu’après avis médical en établissant la nécessité. Au total la mesure ne peut excéder un mois. Il y est mis fin avant terme lorsque l’état de santé de l’intéressé le permet. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces mesures poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé (CC n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 § 34) et sont, au vu de leur conditions restrictives d’application, nécessaires et proportionnées (§ 40).

Le projet de Gouvernement prévoyait que les mesures autorisant des sorties relèveraient du juge administratif tandis que les mesures interdisant toute sortie relèveraient du juge judiciaire. La commission des lois du Sénat a heureusement unifié le contentieux : les mesures initiales peuvent à tout moment faire l’objet d’un recours devant le juge des libertés et de la détention qui statue dans un délai de soixante-douze heures par une ordonnance motivée immédiatement exécutoire, l’appel devant le premier président de la cour d’appel n’étant pas suspensif (art. R. 3131-20 et 21 CSP). Lorsque la mesure interdit toute sortie de l’intéressé, son renouvellement nécessite une autorisation du juge des libertés et de la détention préalablement saisi par le préfet. L’interdiction totale de sortie constitue évidemment une atteinte à la liberté individuelle qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, exige l’intervention de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a ainsi validé cette intervention pour l’isolement total, comme il l’avait fait pour la prolongation au-delà de quinze jours des hospitalisations sans consentement (CC n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S.). Mais il a relevé qu’une obligation de demeurer en isolement plus de douze heures par jour constitue également une atteinte à la liberté individuelle (§ 43), ce qui est cohérent avec la qualification d’atteinte à la liberté individuelle donnée aux assignations à résidence de plus de douze heures par jour en période d’état d’urgence (CC n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D.). Le Conseil a donc imposé par une réserve d’interprétation qu’une mesure imposant un isolement plus de douze heures par jour ne puisse être renouvelée qu’après autorisation du juge judiciaire (§ 43), ce que reprend l’article R. 3131-23 du code de la santé publique.

Ces régimes nouveaux réclament des décrets d’application prévus par la loi. En attendant leur publication et au plus tard jusqu’au 1er juin 2020, l’article 13 de la loi du 11 mai prévoyait que les dispositions de la loi du 23 mars relatives aux mesures de quarantaine et d’isolement s’appliquaient. Or, cette loi n’encadre ces mesures d’aucune garantie. Le Conseil constitutionnel estime donc que l’article 13 méconnaît la liberté individuelle (§ 83-87) qui, notamment, exige que le juge judiciaire intervienne dans les plus brefs délais (§ 41 ; n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011, M. Abdellatif B.). Par suite, il faudra attendre les décrets ou le 1er juin pour prononcer des mises en quarantaine ou à l’isolement.

Il a également été relevé par la commission des lois du Sénat que, hors état d’urgence sanitaire, des mesures de quarantaine et de placement à l’isolement peuvent être mises en œuvre par le préfet, en application de l’article L. 3115-10 du code de la santé publique dans le cadre du franchissement des frontières et par le ministre de la santé, en vertu de l’article L. 3131-1 du même code. C’est sur ce fondement que la ministre de la santé a, par un arrêté du 30 janvier 2020, prescrit la mise en quarantaine des personnes ayant séjourné dans la région de Wuhan, en Chine. Les sénateurs ont alors relevé un paradoxe : ces régimes de droit commun sont moins protecteurs des libertés que celui de l’état d’urgence sanitaire. Aussi, l’article 8 de la loi du 11 mai aligne les garanties entourant le prononcé des mesures de quarantaine et d’isolement de droit commun sur celles de l’état d’urgence sanitaire.

Notons enfin que le confinement a été le malheureux prétexte à une recrudescence des violences familiales. Par amendement de gauche au Sénat et à l’Assemblée, les personnes victimes de violences ne peuvent être mises en quarantaine ou isolées avec l’auteur de ces violences ou être amenées à cohabiter avec celui-ci lorsqu’il est mis en quarantaine ou en isolement, y compris si les violences sont alléguées. Un relogement leur est donc garanti.

III. Les mesures matérielles de gestion de l’épidémie

Il s’agira d’examiner ici les autres mesures pouvant être prises par le Premier ministre ainsi que l’instauration d’un système informatique de collecte de données personnelles afin de surveiller l’épidémie du Covid-19.

Les atteintes au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre

Le Premier ministre peut également ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens, ce qui a été fait par exemple l’article 13 du décret n° 2020-293 du 23 mars qui a réquisitionné les stocks de masques de protection et le décret n° 2020-344 du 27 mars 2020 qui a réquisitionné les matières premières nécessaires à la fabrication de masques ainsi que les aéronefs civils et leurs personnels pour l’acheminement de produits de santé et d’équipements de protection. Ces réquisitions ont été jugées suffisantes, ne nécessitant pas d’en enjoindre de nouvelles (CE, ord. du 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région, n° 439726 et Mme A.A., n° 439693), ni de faire augmenter la production nationale d’appareils de ventilation artificielle (CE, ord. du 31 mars 2020, M. Michel, n° 439870) ou de nationaliser des sociétés produisant de la chloroquine ou des bouteilles de gaz médicaux (CE, ord. du 29 mars 2020, Debout le France, n° 430798). L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense. La loi du 23 mars subordonnait la réquisition de personnes à celles de biens ou de services. L’article 3 3° de la loi du 11 mai permet pour plus de souplesse la réquisition directe des personnes. On peut s’interroger sur l’utilité de cette disposition, puisque le pouvoir de réquisition relève des « pouvoirs de police administrative » en cas d’urgence, notamment de circonstances exceptionnelles (CC n° 2005-513 DC du 14 avril 2005) et peut s’exercer même sans texte (CC n° 2003-467 DC du 13 mars 2003).

Lors de la discussion de la loi du 23 mars, cette liste de prérogatives est apparue insuffisante au Gouvernement qui souhaitait y ajouter une catégorie « toutes mesures utiles », ce qui aurait ruiner les efforts d’énumération et d’encadrement des sénateurs. Selon le Gouvernement, « le propre des grandes crises sanitaires contemporaines est d’être inédites et imprévisibles, et d’appeler en conséquence des réponses inédites et souvent imprévisibles. » Deux nouvelles catégories de mesures ont donc été ajoutées en séance. D’une part, la possibilité de prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits, ce qui a par exemple été fait dès le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 dont l’article 11 règlemente le prix des gels hydro-alcooliques. Il est en effet possibilité de limiter le principe de la liberté des prix de certains produits, dès lors que ces limitations sont « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (CC n° 2013-670 DC du 23 mai 2013). Ainsi, l’article 16 du décret du 11 mai règlemente les prix des gels ou solutions hydro-alcooliques et l’article 17 ceux des masques de protection.

D’autre part, le Sénat a ajouté la possibilité de prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments. A ce titre, le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 permet que l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir / ritonavir soient prescrits et administrés aux patients atteints par le covid-19, ce que reprend l’article 19 du décret du 11 mai 2020. De même, le décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 dispose que les spécialités pharmaceutiques à base de paracétamol sous forme injectable peuvent être dispensées par les pharmacies à usage intérieur et que la spécialité pharmaceutique Rivotril® sous forme injectable peut être dispensée par les pharmacies d’officine, ce que reprend l’article 20 du décret du 11 mai 2020. Ces mesures ont été jugées suffisantes (CE, ord. du 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région, n° 439726 et Mme A.A., n° 439765). Dans la même logique, le décret n° 2020-393 du 2 avril 2020 permet, en cas de pénurie d’un médicament en hôpital, de prescrire un médicament à usage vétérinaire à même visée thérapeutique, de même substance active, même dosage et même voie d’administration, ce que reprend l’article 21 du décret du 11 mai 2020. Le décret n° 2020-466 du 23 avril 2020 substitue l’Etat aux établissements de santé pour les contrats d’achats de certains médicaments pour en assurer la répartition entre établissements selon leurs besoins, ce que reprend l’article 22 du décret du 11 mai 2020. Enfin, le décret n° 2020-447 du 18 avril 2020 facilite l’importation de médicaments et autorise l’agence nationale de santé publique à approvisionner les services publics de soins et de secours, ce que reprend l’article 24 du décret du 11 mai.

Mais cette liste était encore apparue insuffisante au Gouvernement. Devant l’assemblée nationale, le Premier ministre avait plaidé pour une « clause de compétence générale » et le ministre de la santé pour une « clause de sauvegarde ». Mais le Gouvernement n’a obtenu qu’un dernier pouvoir : limiter la liberté d’entreprendre. Ainsi, les décrets n° 2020-384 du 1er avril 2020 et n° 2020-497 du 30 avril 2020 ainsi que l’article 25 du décret du 11 mai limitent l’activité et les prestations des entreprises de pompes funèbres.

On ne peut que constater la multiplication des recours en référé-liberté, généraux ou catégoriels, afin d’exiger des autorités publiques de délivrer plus de masques, de médicaments ou de tests de dépistage. Dans un contexte de pénurie, donc de rationnement et de commandes d’approvisionnement d’urgence, le juge ne peut se substituer au pouvoir politique ou lui demander l’impossible. Ainsi, ces demandes contentieuses sont-elles rejetées au vu des difficultés de fourniture et des actions déjà menées par les autorités (par exemple : CE, ord. du 20 avril 2020, Ordre des avocats au barreau de Marseille et Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 439983 ; CE, ord. du 18 avril 2000, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, n° 440012 ; CE, ord. du 15 avril 2020, Union nationale des syndicats FO Santé privée, n° 440002 ; CE, ord. du 4 avril 2020, CHU de la Guadeloupe, n° 439904 ; CE, ord. du 28 mars 2020, Le syndicat des médecins d’Aix et région, n° 439726). A l’inverse, avec le déconfinement, il devient nécessaire de fournir des masques aux détenus de la prison de Ducos en Martinique qui doivent rencontrer une personne extérieure (CE, ord. du 7 mai 2020, Garde des Sceaux, n° 440151).

Un futur système informatique de surveillance de la pandémie

Lors de la présentation de sa stratégie de déconfinement, le Premier ministre a indiqué qu’il entendait mobiliser sur le terrain des « brigades sanitaires », afin d’identifier et tester. Le Gouvernement a souhaité les faire bénéficier d’outils informatiques permettant d’automatiser le traitement des informations recueillies. L’article 11 de la loi du 11 mai 2020 crée donc de nouveaux traitements de données dans le seul but de lutter contre la pandémie de Covid-19 pour une durée au maximum de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Ces traitements visent à identifier les personnes infectées, par la prescription et la réalisation d’examens de biologie ou d’imagerie médicale ainsi que par la collecte de leurs résultats, y compris négatifs, à identifier les personnes présentant un risque d’infection, par la collecte des informations relatives aux contacts des personnes infectées, à orienter ces personnes vers des prescriptions médicales d’isolement, à surveiller l’épidémie aux niveaux national et local, et à contribuer à la recherche sur le virus. Le futur système constitue donc une dérogation au secret médical protégé par l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.

Les professionnels de santé participeront obligatoirement à la collecte des données (sur la liste de ces données, voir le décret n° 2020-551 du 12 mai 2020). Un amendement de M. Houlié en commission des lois de l’Assemblée nationale avait prévu que cette collecte ne pouvait faire l’objet d’aucune rémunération liée au nombre et à la complétude des données recensées pour chaque personne enregistrée. En séance, le ministre a précisé qu’il y aurait une rémunération forfaitaire de 55 euros, soit 30 euros de plus que le tarif de la consultation d’un médecin généraliste. Mais il a ajouté par amendement la possibilité d’un complément par cas contact recensé. Toutefois, la loi adoptée en commission mixte paritaire est revenue à l’amendement Houlié pour prohiber la rémunération au résultat qui pouvait poser des questions de déontologie. La commission des lois du Sénat a limité la collecte aux données médicales sur le statut virologique ou sérologique à l’égard du covid-19. Ces données ne peuvent être conservées que pendant trois mois. Les personnes concernées bénéficieront des droits d’accès, d’information, d’opposition et de rectification. Par contre, à la suite d’un amendement de M. Mesnier en commission de l’Assemblée, les données d’identification des personnes infectées ne peuvent être communiquées, sauf accord exprès, aux personnes ayant été en contact avec elles. Ces dernières, une fois inscrites, se voient prescrire et rembourser des tests de biologie médicale et la délivrance de masques en officine. Les données peuvent être traitées et partagées sans le consentement des personnes intéressées.

La commission des lois du Sénat a établi la liste très large des personnes autorisées à consulter ces données, notamment, le service de santé des armées, les communautés professionnelles territoriales de santé, les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, les maisons ou centres de santé, les services de santé au travail, les médecins, les pharmaciens, les laboratoires d’analyse et les services d’imagerie médicale. Ce champ a été estimé particulièrement étendu mais nécessaire par le Conseil constitutionnel (CC n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 § 69), à l’exception des organismes qui assurent l’accompagnement social des intéressés et qui n’ont donc pas à avoir accès à des données médicales (§ 70).

Enfin, un Comité de contrôle et de liaison covid-19 a été créé par la commission des lois du Sénat, qui comprend notamment deux députés et deux sénateurs désignés par leurs présidents de chambre (sur sa composition complète, voir décret n° 2020-572 du 15 mai 2020), afin d’évaluer l’utilité de ces outils et de vérifier le respect du secret médical et la protection des données personnelles. De plus, à la suite d’un amendement en commission de M. Houlié, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport détaillé de l’application de ces mesures tous les trois mois

Le Conseil constitutionnel, lors du contrôle de la loi, a rappelé qu’au nom du droit au respect de la vie privée, la collecte, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. (§ 61 s’inscrivant dans la continuité de CC n°2012-652 DC du 22 mars 2012 ou n°2019-797 QPC du 26 juillet 2019). Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée (CC n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 ; n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 ; n° 2004-504 DC du 12 août 2004). Le juge de la rue Montpensier relève que cette collecte poursuit l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, qu’elle est restreinte aux seules données strictement nécessaires, celles-ci étant conservées pour un temps limité (§ 76) et anonymisées pour la surveillance épidémiologique et la recherche contre le virus (§ 66-67). Le Conseil précise toutefois que le pouvoir réglementaire devra définir des modalités de collecte, de traitement et de partage des informations permettant d’assurer leur confidentialité, notamment par une habilitation spécifique des agents chargés d’y participer et par la traçabilité des accès (§ 73). Le juge constitutionnel valide donc globalement le système. La loi prévoyait toutefois un décret d’application pris après avis public conforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Or, l’article 21 de la Constitution attribue au Premier ministre le pouvoir réglementaire à l’échelon national. La loi ne peut donc subordonner ce pouvoir à l’avis conforme d’une autorité administrative indépendante (CC n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006 ; n° 2015-751 du 5 août 2015). Le Conseil constitutionnel a donc censuré le caractère conforme de l’avis de la CNIL (§ 77).

IV. Les mesures d’application

Les décisions du Premier ministre font l’objet de mesures d’application. Au niveau national, le ministre de la santé peut prendre, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé. Il a par exemple autorisé, par arrêté du 23 mars 2020, la fabrication de gel hydro-alcoolique par les pharmacies et la distribution de masques de protection aux professionnels de santé. Ce même arrêté organise la prise en charge par télésanté des patients suspectés d’infection ou reconnus covid-19 et prévoit la possibilité d’utiliser les structures médicales et moyens de transport militaires. De même, un arrêté du 31 mars 2020 prolonge la durée de validité des ordonnances médicales ; un arrêté du 1er avril facilite l’admission en hospitalisation à domicile. Plus récemment, un arrêté du 20 mai adapte le dispositif d’évaluation des tests de dépistage du Covid-19. Le ministre peut également prendre toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre (art. L. 3131-16 CSP).

Les mesures de l’état d’urgence sanitaire vont également être déclinées au niveau local par les préfets et parfois les maires, leur inobservance pouvant entraîner des sanctions.

Mesures locales

Le Premier ministre et le ministre de la santé peuvent habiliter les préfets de département à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de leurs dispositions. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République (art. L. 3131-17). De telles habilitations sont données par le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 afin d’interdire ou restreindre les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence (art. 3 II et 27 I), de limiter le nombre maximal de passagers transportés sur les bateaux (art. 4 II), de limiter l’accès aux transports publics aux heures d’affluence (art. 6 III), d’interdire ou restreindre les rassemblements, réunions ou activités (art. 7), d’interdire, après avis du maire, l’ouverture des marchés ou des commerces et centres commerciaux de 40 000 m² (art. 9 et 10 II), de fermer des établissements recevant du publics (art. 27 II et III), d’autoriser, après avis du maire, l’ouverture des musées, monuments, parcs zoologiques, plages, (art. 9 et 10 I 3°), de restreindre ou interdire toute activité et d’ordonner, après mise en demeure restée sans suite, la fermeture des établissements recevant du public qui ne respectent pas les mesures d’hygiène (art. 10 VII), d’adapter l’ouverture des écoles (art. 12 V), de réquisitionner les établissements et professionnels de santé, les matières premières pour la fabrication de masques, les lieux d’hébergement ou d’entreposage, les opérateurs de pompes funèbres, les laboratoires d’analyses, leurs équipements et personnels (art. 18).

Les préfets ont déjà fait usage des prérogatives qui leur ont été attribuées sur ce fondement par le décret du n° 2020-293 du 23 mars 2020. Au 20 avril 2020, la commission des lois du Sénat a recensé 5 086 mesures préfectorales (rapport de la mission de suivi de l’état d’urgence sanitaire : www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/lois/MI_Covid19). Plus de 80 % d’entre elles, soit 4 080 mesures, sont des mesures d’autorisation de marchés. Mais on compte également 389 mesures restreignant la liberté d’aller et venir, dont 60 arrêtés de couvre-feu et 329 mesures portant interdiction d’accès à certains lieux, notamment les parcs, plages et forêts (pour les plages des Pyrénées-Orientales : TA Montpellier, ord. du 7 avril 2020, Mme G., n° 2001660). Par exemple, le préfet de police de Paris, par arrêté n° 2020-00280 du 7 avril 2020, a interdit les sorties de domicile pour la pratique du sport entre 10h et 19h. 229 mesures restreignent ou interdisent l’ouverture des établissements recevant du public. Le préfet de l’Hérault a ainsi interdit l’ouverture des commerces entre 20h et 7h (TA Montpellier, ord. du 3 avril 2020, Sas G., n° 2001599). Les mesures de réquisition ont majoritairement concerné le personnel de santé (265 mesures sur 363).

Les arrêtés préfectoraux attaqués ont presque tous été confirmés par la justice administrative. Par exemple, en décidant de placer en quatorzaine les personnes entrant par voie aérienne sur en Guadeloupe, le préfet n’a pas pris une mesure excessive (CE, 5 mai 2020, Ordre des avocats au barreau de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, n° 440288). A l’inverse, l’arrêté du préfet des Vosges du 8 avril, interdisant les rassemblements statiques sur la voie publique « quelle que soit leur importance ou leur durée, qu’ils soient fortuits ou organisés » a été jugé manifestement excessif (TA Nancy, ord. du 21 avril 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 2001055).

Les maires, en vertu de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, doivent « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, (…) les maladies épidémiques ou contagieuses ». Ils ont donc pris des mesures, parfois redondantes (arrêtés municipaux fermant des équipements culturels ou sportifs), parfois plus contraignantes. Le Conseil d’Etat a jugé que la loi d’urgence du 23 mars 2020 a institué, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, une police spéciale attribuée au Premier ministre, au ministre de la santé et, par délégation, aux préfets (CE, ord. 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057). Or, la police générale locale ne peut aggraver la police spéciale de l’Etat qu’en cas de péril grave et imminent (CE, 22 janvier 1965, Consorts Alix, n° 56871 ; CE, 29 septembre 2003, Houillères du bassin de Lorraine, n° 218217 ; CE, 2 décembre 2009, Commune de Rachecourt-sur-Marne, n° 309684), de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales ». Ces arrêtés municipaux ont donc une très faible espérance de vie, qu’il s’agisse d’obliger les personnes de plus de dix ans à porter un masque lors de leurs déplacements dans l’espace public (CE, ord. du 17 avril 2020, Commune de Sceaux, préc.) ou d’interdire la circulation des personnels sur l’ensemble de la commune entre 22 heures et 5 heures (TA Caen, ord. du 31 mars 2020, Préfet du Calvados, n° 2000711 ; TA Amiens, ord. du 30 avril 2020, M. Léger, n° 2001346) ou entre 21 heures et 5 heures (TA Nantes, ord. du 28 avril 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 2004501).

Le déconfinement a également pour effet la réouverture de services publics et notamment des écoles, faisant craindre aux élus locaux l’engagement de leur responsabilité pénale en cas de mesures de sécurité insuffisantes conduisant à des contaminations au covid-19. L’article L. 121-3 du code pénal dispose qu’« il n’y a pas de crime et délit sans intention de le commettre. Toutefois, il peut y avoir délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou si l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. » A l’initiative de la commission des lois du Sénat, l’article 1er II de la loi du 11 mai 2020 ajoute un article L. 3136-2 au code de la santé publique précisant qu’il doit être tenu « compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions. » On ne peut qu’être sceptique devant l’utilité de cette disposition, puisque l’article L. 121-3 du code pénal prenait déjà en considération les compétences, pouvoirs et moyens de la personne. Le scepticisme s’amplifie quand l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales prévoit déjà que le maire ne peut être pénalement condamné pour « des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions que s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie ». Le Conseil constitutionnel l’a au fond confirmé : ces nouvelles dispositions « ne diffèrent donc pas de celles de droit commun » et ne sauraient donc méconnaître le principe d’égalité (CC n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 § 13).

Contrôle et sanctions

Selon la loi du 23 mars 2020, le fait de ne pas respecter les mesures de réquisition est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende. La violation des autres interdictions ou obligations est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 135 euros. Un amendement surprise de la garde des sceaux pendant la discussion de la loi du 23 mars en séance à l’Assemblée nationale visait à créer un délit en cas de première récidive, puni de de 3 750 euros d’amende et de six mois de prison. Les députés se sont émus face à cette sanction manifestement disproportionnée (sur ce principe, voir notamment : CC n° 93-325 DC du 13 août 1993 § 39 ; n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 § 10 ; n° 2010-604 DC du 25 février 2010 § 14-15 ; n° 2010-66 QPC du 26 novembre 2010 § 4-6 ; n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011 § 4-6). Un accord a heureusement été trouvé en suspension de séance : si la violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. Si les violations sont verbalisées plus de trois fois en trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement, de 3 750 euros d’amende et de la peine complémentaire de travail d’intérêt général (art. L. 3136‑1 du code de la santé publique).

Lors de la discussion de la loi du 23 mars, le Sénat avait adopté un amendement conférant, en plus des officiers de police judiciaire, aux agents de police municipale, gardes-champêtres, agents de la ville de Paris chargés d’un service de police, contrôleurs de la préfecture de police et agents de surveillance de Paris, la compétence pour constater ces contraventions. Le Gouvernement a encore souhaité étendre le nombre de ces agents en y adjoignant les agents de la police nationale qui n’ont pas la qualification d’agent de police judiciaire, les adjoints de sécurité, les membres de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, les contrôleurs de la SCNCF, de la RATP et de SNCF Gares et connexions, pour les seules violations des obligations édictées en matière de transports et enfin les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour les violations des mesures prises en matière de contrôle des prix ou de limitation à la liberté d’entreprendre. Le Sénat n’estimait pas souhaitable d’étendre les pouvoirs de constat d’infractions à des catégories d’agents disposant d’une qualification judiciaire moindre ou à des agents de la filiale Gare et connexions de la SNCF qui ne bénéficient pas du pouvoir de relever l’identité des personnes. A l’inverse, des députés souhaitaient ajouter les gardes particuliers assermentés, c’est-à-dire les garde-chasse et les garde-pêche. Au final, l’article 9 de la loi du 11 mai a retenu le vœu du Gouvernement.

Enfin, pour être complet sur la loi du 11 mai 2020, un amendement de M. Pupponi à l’Assemblée nationale avait proposé de reporter la fin de la trêve hivernale, déjà reportée au 31 mai 2020, jusqu’à la fin du mois d’octobre 2020. Le Gouvernement s’y est opposé, la majorité parlementaire préférant inscrire dans l’article 10 de la loi une prolongation de la trêve jusqu’au 10 juillet en Métropole et jusqu’au 10 septembre en outre-mer.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Jobart Jean-Charles, « L’état d’urgence sanitaire
aux temps du déconfinement »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Actions & réactions au Covid-19 ; Art. 315.

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