par M. le pr. Jacques CHEVALLIER,
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), CERSA-CNRS
Art. 72. Traitant de « L’association du public aux décisions prises par l’administration », le titre 3 du Code témoigne du mouvement qui, depuis plusieurs décennies, pousse à l’inflexion de la relation administrative : la conception traditionnelle d’une administration tenant les administrés à distance et leur imposant ses vues par voie d’autorité, fait place à un souci nouveau de proximité, de dialogue et d’implication des intéressés dans l’action administrative. Toute une série de réformes, sous-tendues par le thème de la participation, ont ainsi été entreprises à partir des années 1970, semblant alors préfigurer l’avènement d’un modèle administratif nouveau, dégagé des lourdeurs bureaucratiques.
Si cette dynamique a tendu par la suite à s’essouffler, le mouvement a été relancé à travers le développement de formules visant à impliquer les administrés eux-mêmes, et non plus seulement leurs représentants, dans les processus administratifs : tandis que l’enquête publique s’étend, dans tous les cas où l’action publique a des effets individualisables et des destinataires localisables, et que le référendum s’enracine au niveau local, des procédures de débat public, relevant d’une logique délibérative, sont aménagées, afin de permettre aux publics intéressés de débattre de la réalisation des grands équipements ou des orientations des politiques publiques ; enfin, les possibilités nouvelles de consultation en ligne offertes par l’essor d’Internet sont toujours davantage utilisées. Le Code ne pouvait manquer dès lors de faire référence à ce qui constitue désormais un aspect essentiel des relations entre l’administration et les administrés.
La codification se heurtait cependant en l’espèce à plusieurs types de difficultés.
D’abord, elle ne pouvait prétendre englober l’ensemble des techniques de participation, notamment celles par lesquelles les administrés sont directement impliqués dans l’exercice des responsabilités administratives et dans la marche des services : seule la question de leur intervention dans les processus décisionnels est ici traitée, celle-ci étant conçue comme une forme d’ « association » à la prise des décisions ; la participation n’est évoquée que comme la traduction de cette association en matière de décisions locales (chapitre 5), l’enquête publique étant par ailleurs présentée comme un « instrument d’information et de participation » (art. R 134-2).
L’emploi du vocable « association » de préférence à celui de « participation », généralement utilisé, n’est pas dépourvu de signification. Alors que la participation implique la présence des administrés au cœur même des processus décisionnels, l’association présuppose l’existence d’un élément fondamental d’extériorité : les intéressés ne sont pas réellement partie prenante mais seulement « associés » à la prise de décision, qui reste l’apanage de l’administration. La formule apparaît comme étant en retrait par rapport aux propositions qu’avait formulées le Conseil d’État dans son rapport de 2011 (Consulter autrement, participer effectivement) et encore par rapport à la volonté exprimée dans la loi d’habilitation du 12 novembre 2013 de « renforcer la participation du public à l’élaboration des actes administratifs ». On peut y déceler le souci de mieux délimiter le rôle de chacun, en évitant toute confusion des responsabilités, ainsi que de dissiper certaines équivoques générées par l’idée de participation, qui donne l’illusion d’un partage du pouvoir : le rapprochement avec l’administré ne saurait remettre en cause ce qui constitue le substrat et l’essence de la relation administrative.
Par ailleurs, le Code ne saurait prétendre recouvrir l’ensemble des situations dans lesquelles les administrés sont appelés à intervenir dans les processus décisionnels : de nombreux dispositifs spécifiques, se réclamant au demeurant davantage de l’idée de participation que de celle d’ « association », sont insérés dans d’autres codes, tels celui des collectivités territoriales, ou de l’environnement ; le CRPA établit ainsi un cadre par défaut, applicable en l’absence de dispositions particulières, ce qui limite d’autant sa portée.
La codification des dispositions relatives à l’association du public se traduit par un double apport : rationalisation du dispositif traditionnel de l’administration consultative ; institutionnalisation des dispositifs nouveaux, allant au-delà des mécanismes classiques de représentation des intérêts et donnant aux « personnes concernées » la possibilité de faire valoir leur point de vue.
Concernant la consultation de représentants du milieu social au sein de structures permanentes, les dispositions exclusivement réglementaires du Code (chapitre 3) reprennent pour l’essentiel les dispositions figurant dans le décret du 8 juin 2006 (modifié le 4 juin 2009) : celui-ci avait entendu encadrer le recours à la formule, en subordonnant la création d’une commission à la réalisation d’une étude montrant qu’elle répondait à une nécessité et en fixant une durée maximale d’existence (cinq ans) ; il s’était par ailleurs attaché à simplifier et à homogénéiser leurs règles de fonctionnement. Le dispositif est désormais codifié. Si ce modèle classique de consultation subsiste, les sévères critiques dont il fait l’objet, en raison de son coût, de son formalisme et de son inefficacité, explique qu’il soit désormais relayé par d’autres dispositifs s’adressant directement au public.
Sur ce plan, deux dispositifs spécifiques sont visés par le Code : celui de la consultation ouverte sur Internet ; celui de l’enquête publique, le Code évoquant par ailleurs pour mémoire (chapitre 5) les dispositifs de participation existant au niveau local.
Internet est d’abord conçu comme l’instrument privilégié de l’élargissement du processus de consultation (chapitre 2). D’une part, le Code reprend le dispositif institué par la loi du 17 mai 2011 donnant la possibilité de remplacer les consultations obligatoires prescrites par les textes par des « consultations ouvertes », destinées à recueillir sur un site internet dédié les observations des « personnes concernées », préalablement à l’édiction d’actes : le caractère facultatif de cette possibilité, à la différence de ce qui existe en matière d’environnement, ainsi que le faible encadrement du processus en limitent cependant la portée. D’autre part, des consultations du même type peuvent être prévues, soit en application de dispositions prévoyant la consultation du public préalablement à l’adoption d’un acte réglementaire, soit concernant des projets de loi. Les effets de ce décloisonnement des procédures de consultation sont ambigus : la consultation ouverte entraîne la juxtaposition de points de vue, qu’il est nécessaire de décanter et de traiter ; d’où la nécessité d’un « tiers organisateur », garant de la sincérité du processus et chargé d’effectuer la synthèse des observations. Or, l’existence de ce tiers reste subordonné au bon vouloir de l’administration.
Le Code définit par ailleurs (chapitre 4) un régime-cadre applicable aux enquêtes publiques « innommées » qui ont proliféré en dehors du contexte de l’expropriation pour cause d’utilité publique et de la protection de l’environnement. Les dispositions réglementaires concernant les conditions d’ouverture de l’enquête, la désignation et l’indemnisation du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, la composition du dossier, la clôture de l’enquête et la communication des conclusion ne présentent pas de réelle originalité par rapport à celles régissant les enquêtes précédentes.
Par-delà ces deux dispositifs, le chapitre 1er du Code fixe un certain nombre de principes généraux, applicables à l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’administration décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives et réglementaires, d’associer le public « à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte » (art. L 131-1) : le champ d’application est donc vaste et s’étend aux procédures de débat public, organisées hors de l’existence d’un texte. Ce cadre se caractérise par une grande souplesse : l’administration est seulement tenue de « rendre publiques » les modalités de la procédure, de mettre à la disposition des personnes concernées des « informations utiles », de fixer un « délai raisonnable » pour la participation, de publier les résultats et des suites envisagées ; elle dispose ainsi d’une marge importante d’appréciation, tant pour la définition des « personnes concernées » que dans le déroulement du processus et la prise en compte des avis exprimés. On est loin des « principes directeurs » que le Conseil d’État avait souhaité voir inscrits dans une « loi-code ».
Le travail de codification ainsi opéré este donc partiel et ne saurait dans tous les cas épuiser les formes très diverses que revêtent les processus participatifs.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 72.
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