Procédures de passation (marchés publics) : le renouvellement des textes n’empêche pas l’activisme jurisprudentiel !

ParJDA

Procédures de passation (marchés publics) : le renouvellement des textes n’empêche pas l’activisme jurisprudentiel !

par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille

Art. 238.

Au-delà des évolutions textuelles concernant l’ensemble du droit de la commande publique, c’est la jurisprudence qui fait l’actualité du droit des marchés publics stricto sensu de ces derniers mois. Preuve que les textes nécessitent d’être précisés ou sont sujets à interprétation, l’activité jurisprudentielle de ces derniers mois est extrêmement riche. Faute de pouvoir revenir sur toutes les décisions rendues, certaines des plus marquantes ont été retenues soit de manière individuelle, soit au travers de développements plus concis dans le cadre de la chronique de jurisprudence.

Portée et réalité du contrôle sur les délais de réception des candidatures et des offres au-delà des délais minimaux fixés par les textes

La question des délais de réception des candidatures et des offres fait l’objet d’un encadrement variable suivant la procédure de passation utilisée. Ainsi, l’article 43 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics prévoit que les acheteurs fixent « les délais de réception des candidatures et des offres en tenant compte de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur candidature et leur offre » (articles R 2143-1 et R 2151-1 du code de la commande publique). Or, lorsque le marché public est passé selon une procédure formalisée, ce même texte introduit une contrainte supplémentaire pour les acheteurs en indiquant qu’ « en procédure formalisée, ces délais ne peuvent être inférieurs aux délais minimaux propres à chaque procédure décrite aux articles 66 à 76 ». Les textes semblent donc distinguer les obligations imposées pour les marchés passés selon une procédure formalisée et ceux passés selon une procédure adaptée : pour les premiers des délais minimaux doivent être respectés, tandis que pour les seconds les acheteurs doivent veiller au caractère « adapté » des délais de réception des candidatures et des offres. Pourtant, cette dichotomie d’apparence simple est en réalité plus complexe et le Conseil d’Etat est venu apporter d’utiles précisions à ce sujet dans son arrêt du 11 juillet 2018 (CE, 11 juillet 2018, n° 418021, Communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 218, note S. Hul ; AJContrat 2018, p. 434, note J.-D. Dreyfus ; AJDA 2018, p. 1476). En l’espèce, la communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre avait publié le 13 octobre 2017 un avis d’appel public à concurrence en vue de la conclusion d’un marché public de transport scolaire. Le règlement de la consultation du marché prévoyait que 20 points étaient attribués en fonction de l’âge des véhicules proposés. Or, en application de ce critère, les propositions comportant des véhicules neufs ou de moins de deux ans devaient recevoir des notes substantiellement supérieures que celles comportant des véhicules de plus de deux ans. Les candidats avaient donc tout intérêt à présenter des offres comportant des véhicules neufs ou quasiment neufs. C’est la raison pour laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la procédure de passation en estimant que le délai de consultation du marché en litige n’était pas suffisant « pour permettre aux candidats de passer une commande de véhicules avec une date de livraison ferme en Guadeloupe après avoir obtenu le financement de ces véhicules, et que cette insuffisance était de nature à empêcher certains candidats d’obtenir la note maximale sur le critère de l’âge des véhicules dont ils disposaient ». Pourtant, la communauté d’agglomération avait respecté les délais minimaux de réception des candidatures fixés par les textes : un délai de trente jours était prévu dans la mesure où les offres pouvaient être transmises par voie électronique. La question posée au Conseil d’Etat était alors de savoir si le respect des délais minimaux fixés par les textes pour la réception des candidatures et des offres dans le cadre des procédures formalisées est suffisant ou si les acheteurs doivent, en toutes hypothèses, vérifier si les délais de réception des candidatures et des offres sont suffisants pour permettre aux opérateurs économiques de préparer leurs candidatures ou leurs offres au regard de la complexité du marché public. Comme le juge des référés du tribunal administratif, le Conseil d’Etat considère que le respect des délais minimaux fixés par les textes pour les marchés n’est pas suffisant et qu’il revient aux acheteurs de vérifier au cas par cas que les délais qu’ils imposent permettent aux opérateurs économiques de présenter leurs candidatures ou leurs offres. Pour autant, le Conseil d’Etat considère que le contrôle exercé par le juge sur les délais de réception des candidatures et des offres ne doit pas le conduire à vérifier, comme l’avait fait le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe, que les délais impartis ont bien permis aux candidats de présenter la meilleure candidature possible. Le Conseil d’Etat censure ainsi pour erreur de droit le raisonnement retenu et précise que le juge du référé précontractuel doit seulement vérifier que le délai fixé par l’acheteur n’est « pas manifestement inadapté à la présentation d’une offre compte tenu de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leurs candidatures et leurs offres ». En réalité, le Conseil d’Etat reconnaît la nécessité d’un contrôle du juge sur les délais de réception des candidatures et des offres mais il préserve également – en partie – la marge d’appréciation des acheteurs en limitant le contrôle effectué à ce qui semble être un simple contrôle de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

Des précisions sur la notion d’offre anormalement basse

Les textes imposent aux acheteurs de détecter les offres qui paraissent anormalement basses et de demander des justifications aux opérateurs économiques qui les ont présentées (art. 53 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, repris par l’art. L. 2152-6 du CCP ; et art. 60 du décret du 25 mars 2016, repris aux art. R. 2152-3 à R. 2152-5 du CCP). Les acheteurs n’ont pas le choix : ils ne peuvent pas accepter les offres anormalement basses mais ils ne peuvent pas non plus rejeter les offres des opérateurs économiques comme étant anormalement basses sans leur avoir au préalable donné la possibilité de donner des justifications permettant de considérer que leurs offres ne sont pas anormalement basses. En revanche, lorsque les acheteurs considèrent que les justifications fournies ne sont pas suffisantes et qu’une offre apparaît effectivement comme étant anormalement basse, ils doivent obligatoirement la rejeter. Ce rejet automatique repose sur la nécessité de respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Le Conseil d’Etat considère en effet que « le fait pour un pouvoir adjudicateur de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public » (CE, 30 mars 2017, n°406224, Région Réunion ; Contrats Marchés publ. 2017, comm. 158, note Ubaud-Bergeron). Pour autant, le contrôle juridictionnel opéré sur l’appréciation qui est portée par les acheteurs sur le caractère anormalement bas des offres et sur les justifications fournies par les opérateurs économiques n’est pas un contrôle normal. Il s’agit seulement d’un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat dans son arrêt du 22 janvier 2018, lequel permet de circonscrire davantage la notion d’offre anormalement basse (CE, 22 janvier 2018, n° 414860, Société Comptoir de négoce d’équipements ; Contrats-Marchés publics 2018, comm. 62, obs. H. Hoepffner ; JCP A 2018, 2155, note J.-R. Mauzy). Il était question, dans cette affaire, d’un marché public de fourniture de matériel d’éclairage public à leds pour la place d’Armes de la commune de Vitry-le-François. La commune avait décidé de passer le marché selon une procédure adaptée. A l’issue de la consultation, elle a adressé deux courriers le 23 août 2017 : l’un à la société Comptoir de négoce d’équipements pour l’informer du rejet de son offre et l’autre à la société CVELUM pour l’informer qu’elle avait été désignée comme attributaire du marché. La société Comptoir de négoce a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pour contester la procédure de passation du marché public. Ce dernier avait alors annulé la procédure par une ordonnance du 20 septembre 2017 en considérant que la commune aurait dû considérer l’offre de la société attributaire comme irrecevable car elle n’avait produit un certificat attestant de la régularité de sa situation au regard de l’emploi des travailleurs handicapés.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat considère que le tribunal administratif a commis une erreur de droit car la production de ce certificat ne s’impose pas aux sociétés qui ne sont pas concernées par l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés parce qu’elles emploient moins de vingt salariés. Il annule donc l’ordonnance rendue et se prononce sur l’affaire. Le Conseil d’Etat commence par rejeter plusieurs arguments avancés par la société Comptoir de négoce d’équipements en considérant que la commune a effectué un examen correct des candidatures, en rappelant que la société attributaire n’était pas soumise à l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés et n’était donc pas tenue de produire un certificat attestant du respect de cette obligation, et en considérant que les critères et sous-critères de sélection des offres étaient convenablement définis et ne conféraient pas « une liberté de choix discrétionnaire » à l’acheteur. Il rejette également l’argument selon lequel la notification du rejet de l’offre de la société ne contenait pas d’informations suffisantes.

Surtout, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la question de savoir si la commune n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’offre présentée par la société CVELUM n’était pas anormalement basse. Cette société avait présenté une offre d’un montant de 79 090 euros HT alors que la société Comptoir de négoce d’équipement avait présenté une offre de 80 331,90 euros HT. En soi, la différence de prix pouvait paraître assez minime mais, on le sait, le caractère anormalement bas d’une offre ne s’apprécie pas par comparaison (CE, 30 mars 2017, n° 406224, GIP Formation continue insertion professionnelle ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 158, note M. Ubaud-Bergeron ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2018 ; chronique contrats publics 03 ; Art. 230 ; http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2287 ). En réalité, l’argument soulevé par la société Comptoir de négoce était différent. Selon elle, l’offre de la société CVELUM devait être considérée comme anormalement basse car le montant de son offre correspond au prix d’achat des matériels et ne lui permet pas de réaliser un bénéfice. Pour le Conseil d’Etat, le problème était alors de savoir si une offre qui ne permet pas de réaliser de bénéfices doit en tant que telle être considérée comme anormalement basse. Ce n’est pas la solution retenue : le juge considère que « cette seule circonstance n’est pas suffisante pour que le prix proposé soit regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché ». Le fait qu’elle permette ou non la réalisation de bénéfices est donc sans incidence sur l’appréciation du caractère anormalement bas d’une offre.

En réalité, la solution rendue permet d’affiner la définition de l’offre anormalement basse, telle qu’elle est codifiée par le code de la commande publique. En effet, l’article L. 2152-5 du CCP propose une définition de l’offre anormalement basse et indique qu’il s’agit d’ « une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché public ». Le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 22 janvier 2018, confirme que les deux conditions posées par cette définition sont cumulatives : pour qu’une offre soit considérée comme anormalement basse son prix doit être manifestement sous-évalué – ce qui était probablement le cas en l’espèce – et ce prix sous-évalué doit compromettre la bonne exécution du marché – ce qui n’est pas démontré en l’espèce. La solution est toutefois surprenante : elle permet de retenir des offres qui ne sont pas économiquement viables pour les opérateurs économiques. Ces derniers ont probablement des raisons de présenter de telles offres mais, dans l’absolu, ne doit-on pas considérer qu’il s’agit là de pratiques anticoncurrentielles de la part des opérateurs économiques ? Le Conseil d’Etat confirme donc que le respect de la concurrence, si cher au droit de la commande publique, s’impose surtout aux acheteurs et ne doit pas empêcher la meilleure gestion possible des deniers publics !

Respect des principes fondamentaux de la commande publique pour la passation des marchés exclus du champ d’application de l’Ordonnance relative aux marchés publics

Le Conseil d’Etat a rappelé le caractère transversal des principes fondamentaux de la commande publique et leur application au-delà des textes régissant les marchés publics et les contrats de concession à l’occasion de l’affaire concernant les marchés passés par le Centre national d’études spatiales (CNES) pour la maintenance des installations et les moyens de fonctionnement du Centre spatial guyanais (CE, 5 févr. 2018, n° 414846, Centre national d’études spatiales ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 78, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, 2317, note F. Linditch). Après s’être prononcé sur la nature administrative du contrat et sur la compétence du juge du référé précontractuel (cf. dans cette même chronique), le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la procédure de passation mise en œuvre par le CNES pour ces deux marchés. En effet, ces contrats font partie des marchés expressément exclus de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et n’ont donc pas à respecter les règles de passation qu’elle impose, notamment les règles de publicité et de mise en concurrence. Dès lors, une fois le contrat qualifié d’administratif et sa compétence reconnue, le Conseil d’Etat devait déterminer quelles étaient les règles que le CNES devait respecter pour passer lesdits marchés afin de pouvoir vérifier si ces règles avaient été correctement respectées. Or, en l’absence de dispositions textuelles expressément applicables à de tels contrats, leur exclusion du champ d’application de l’ordonnance relative aux marchés publics aurait pu signifier que la passation de tels marchés ne nécessite pas le respect de règles particulières.

Ce n’est pas la solution retenue par le Conseil d’Etat qui considère que le fait que ces marchés « ne relèvent pas de l’ordonnance relative aux marchés publics est sans incidence, ces contrats étant […] régis par la loi française et donc soumis aux principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats et à la règle de transparence des procédures qui en découle ». Le juge affirme donc clairement que les marchés exclus du champ d’application de l’ordonnance relative aux marchés publics – qui étaient envisagés comme des marchés publics soumis à un régime particulier dans le cadre du projet de code de la commande publique et qui deviennent les « autres marchés publics » dans le nouveau code – doivent respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Le Conseil d’Etat confirme ainsi la solution récemment retenue à propos d’un contrat de concession de services de transport aérien exclu du champ d’application de l’Ordonnance relative aux contrats de concession (CE, 15 déc. 2017, n° 413193, Synd. Mixte de l’aéroport de Lannion-Côte de Granit ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 46, note P. Devillers ; JCP A 2018, act. 29, obs. C. Friedrich).

Cette solution « renoue avec la jurisprudence « Telaustria » » (H. Hoepffner et F. Llorens, « Dans quoi les contrats exclus des ordonnances marchés publics et concessions sont-ils inclus ? », Contrats-Marchés publ. 2018, repère 4) et s’explique assez facilement : les principes fondamentaux de la commande publique sont des principes généraux – à valeur constitutionnel – qui s’appliquent à tous les contrats de la commande publique, peu importe que ces contrats relèvent ou non des règles législatives spéciales applicables à telle ou telle catégorie de contrats de la commande publique. De plus, ces principes « ont vocation à s’étendre de plus en plus aux contrats de l’offre publique, bien au-delà du Code de la commande publique » (G. Eckert, « Quelle place pour les principes de la commande publique », Contrats-Marchés publ. 2018, repère 10).  On pourrait même pousser le vice et considérer que ces principes s’appliquent à l’ensemble des contrats publics… (v. notre thèse, La notion de contrat administratif. L’influence du droit de l’Union européenne, Bruylant 2014).

Pourtant, une fois cette solution retenue, la question sous-jacente est celle des implications concrètes des principes fondamentaux de la commande publique pour les acheteurs et les autorités concédantes lorsque ces derniers décident de passer des contrats qui ne relèvent pas des textes applicables aux marchés publics et aux contrats de concession mais soumis aux principes fondamentaux. En l’espèce, même si cela n’épuise pas le champ des règles applicables à de tels contrats, le Conseil d’Etat affirme que ces principes impliquent une « information appropriée des candidats sur les critères d’attribution » du contrat « dès l’engagement de la procédure d’attribution ». Ainsi, l’acheteur est tenu d’indiquer les critères d’attribution du contrat « et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l’objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné ». De plus, si l’acheteur choisit d’utiliser également des sous-critères afin de mettre en œuvre les critères de sélection des offres, il doit également informer les candidats sur les conditions de mise en œuvre de ces sous-critères si ceux-ci « sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ». En l’espèce, le CNES n’avait pas mis en place de sous-critères assimilables à des critères distincts et il avait énoncé et pondéré les critères de sélection des offres. Le principe de transparence des procédures était donc respecté, ce qui explique que le Conseil d’Etat rejette les arguments de la société requérante. Les précisions proposées par le Conseil d’Etat sont d’autant plus intéressantes : en l’absence de sous-critères assimilables à des critères, il n’était pas nécessaire de préciser que de tels sous-critères nécessitent d’être portés à la connaissance des candidats. Le juge trahit ici sa volonté d’ériger – progressivement – un régime minimum applicable à l’ensemble des contrats soumis aux principes fondamentaux de la commande publique. Cette volonté est louable mais le problème reste toujours le même : il ne faudrait pas que cela conduise à une extension continue des règles contraignantes applicables aux marchés publics passés selon une procédure formalisée.

Dérogation au droit des marchés publics pour motifs de sécurité : interprétation stricte de la Cour de justice

Les principes fondamentaux de la commande publique bénéficient d’une protection importante mais ils admettent un certain nombre de dérogations, au nombre desquelles figure la possibilité de déroger à l’obligation de publicité et de mise en concurrence pour des motifs de sécurité. La question est alors de déterminer quelle est l’étendue des dérogations admises car il ne faudrait pas que celles-ci conduisent à une remise en cause pure et simple des objectifs poursuivis par les traités. C’est justement en tenant compte de cette articulation entre principe et exception que la Cour de justice de l’Union européenne a dû régler l’affaire qui opposait l’Autriche à la Commission européenne à la suite de l’attribution de marchés de services sans procédure de publicité et de mise en concurrence (CJUE, 20 mars 2018, aff. C-187/16, Comm . c/ Autriche ; AJDA 2018, p. 1650, note P. Bourdon ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 128, note M. Ubaud-Bergeron ; Europe 2018, comm. 190, note E. Daniel). En effet, ces marchés de services portaient sur la production de documents tels que les passeports à puce, les passeports de secours, les titres de séjour, les cartes d’identité, les permis de pyrotechnie, les permis de conduire au format carte de crédit et les certificats d’immatriculation au format carte de crédit et avaient été directement attribués par l’Etat autrichien à Österreichische Staatsdruckerei GmbH. Or, eu égard à leur objet – ce sont des marchés de services – et à leur montant – qui dépasse les seuils communautaires – ces contrats auraient dû être attribués après la mise en œuvre des règles de publicité et de mise en concurrence prévues par les directives européennes. Afin de justifier cette dérogation aux principes fondamentaux de la commande publique, l’Autriche avance la mise en œuvre des dérogations prévues tant par les directives que par le Traité lui-même. En effet, ce dernier prévoit, à l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE qu’ « aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité ». Dans le même sens, l’article 14 de la directive 2004/18 – applicable en l’espèce mais dont le contenu se retrouve à l’article 15 de la directive 2014/24 tout en étant formulé plus strictement – précise que les dispositions de la directive ne s’appliquent pas «aux marchés publics lorsqu’ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État membre l’exige ». Les contrats attribués par l’Autriche semblaient pouvoir relever de ces dérogations mais, on le comprend tout de suite, ce n’était pas l’avis de la Commission européenne. La Cour de justice a donc dû préciser quelles sont les conditions de mise en œuvre de ces dérogations en déterminant, notamment, si ces dérogations sont d’application large ou d’interprétation stricte. Or, de manière tout à fait classique, c’est la seconde solution qui est retenue en l’espèce. La Cour commence par expliquer que les marchés d’impression tels que ceux sont en cause en l’espèce font bien partie de ceux susceptibles de relever de l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE (cons. 72) et admet également que les dérogations prévues par les directives peuvent elles aussi s’appliquer (cons. 73). Elle indique ensuite que, conformément à sa jurisprudence antérieure, les Etats sont seuls compétents pour définir leurs intérêts essentiels de sécurité (cons. 75, la Cour cite CJCE, 8 avr. 2008, aff. C-337/05, Commission c/ Italie : Rec. CJCE 2008, I, p. 2173 ; Europe 2008, comm. 188, note D. Simon). Toutefois, elle rappelle également – et toujours en application de sa jurisprudence antérieure – que les dérogations précitées « doivent faire l’objet d’une interprétation stricte » (cons. 77 ; la Cour cite ici CJCE, 7 juin 2012, aff. C-615/10, Insinööritoimisto InsTiimi Oy; Contrats-Marchés publ. 2012, comm. 273, note W. Zimmer) et qu’un Etat ne peut pas se contenter d’invoquer la protection des intérêts essentiels de sa sécurité pour mettre en œuvre de telles dérogations : il « doit démontrer la nécessité de recourir à celles-ci dans le but de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité » (cons 78 ; la Cour cite CJUE, 5e ch., 4 sept. 2014, aff. C-474/12, Schiebel Aircraft ; Europe 2014, comm. 448, note E. Daniel). Or, pour démontrer la nécessité de mettre en œuvre de telles dérogations, l’Etat doit prouver « que le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par les directives » (cons 79 ; la Cour cite à nouveau CJCE, 8 avr. 2008, aff. C-337/05, Commission c/ Italie). Pour ce faire, l’Autriche avance plusieurs arguments qui sont tous rejetés par la Cour de justice : les procédures de mise en concurrence n’empêchent pas que l’exécution des marchés soit confiée à un opérateur unique (cons. 82) ; la nécessité de confier l’impression des passeports et des documents de voyage à un organisme unique ne fait pas obstacle à ce que celui-ci soit choisi après mise en concurrence (cons. 83) ; les contrôles administratifs pourraient tout aussi bien concerner d’autres opérateurs que celui choisi (cons. 84 à 86) ; l’Autriche ne démontre pas que la mise en concurrence mettrait en péril l’approvisionnement (cons. 87) ; les procédures de mise en concurrence n’empêchent pas de choisir des opérateurs économiques fiables et permettent au contraire d’imposer un haut-niveau de confidentialité (cons. 88 à 93). Par conséquent, la Cour de justice considère que l’Autriche aurait dû respecter les procédures de publicité et de mise en concurrence prévues par les directives. En réalité, elle ne fait qu’appliquer à la dérogation prévue par l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE les règles qu’elle a déjà dégagées s’agissant de la dérogation prévue par l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE (pour rappel cette dérogation, qui est parfois qualifiée de réserve générale de souveraineté pour les questions de défense, permet à tout État membre de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre). La Cour confirme surtout qu’il ne faut pas surestimer les dérogations admises par les directives et par le Traité et que celles-ci restent d’interprétation stricte.

Critères de sélection des offres : possibilité de prendre en compte les frais de déplacement de l’acheteur pour se rendre chez l’opérateur économique mais pas la distance les séparant

A l’heure où nombre d’acheteurs se demandent comment mettre en place des circuits courts dans le cadre de leurs marchés publics afin, notamment, de favoriser les entreprises locales, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt tout en nuances qui semble offrir certaines perspectives à ces acheteurs (CE, 12 sept. 2018, n° 420585, Société la Préface ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 243, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, act. 733, veille M. Touzeil-Divina ; AJDA 2018, p. 2375). En l’espèce, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur un pourvoi formé contre une ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse. Par cette ordonnance, le juge des référés avait annulé la procédure de passation du lot n° 1 d’un accord-cadre passé par le département de la Haute-Garonne ayant pour objet l’acquisition de documents pour la médiathèque de la Haute-Garonne. Plus précisément, ce lot concernait l’acquisition de « romans adultes en langue française, imprimés (y compris gros caractères) ou enregistrés sauf science-fiction, fantastique, fantasy, romans policier ». La société La Préface a présenté une offre pour ce lot mais celle-ci a été rejetée par le département. Elle a alors saisi le juge du référé précontractuel sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative pour qu’il annule la procédure de passation, en relevant notamment le caractère discriminatoire d’un des critères de sélection des offres. Au-delà du critère en cause – qui constitue le principal point d’intérêt – cet arrêt permet de mettre en lumière les difficultés que peuvent rencontrer les acheteurs lorsqu’ils doivent établir des critères de sélection des offres pour acquérir des fournitures dont les prix ne permettent pas de départager les opérateurs économiques. En effet, et pour revenir à l’espèce, on sait bien que le prix du livre est réglementé. C’est sans doute l’une des raisons qui ont conduit le département de la Haute-Garonne à retenir parmi les critères de sélection des offres un critère relatif aux frais de déplacement engendrés par l’exécution du marché. En effet, parmi ses conditions d’exécution, l’accord-cadre imposait au titulaire du marché de permettre aux bibliothécaires de la médiathèque de venir consulter ses fonds d’ouvrages dans ses locaux au moins une fois par mois. Or, pour évaluer ce critère de sélection des offres, le règlement de la consultation prévoyait de prendre en compte la distance séparant la médiathèque et les candidats à l’attribution du lot. La société La Préface estimait que ce critère, fondé sur la localisation géographique des candidats, était discriminatoire. Le juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse l’ayant suivie sur ce point, le Conseil d’Etat devait à son tour s’interroger sur la légalité d’un tel critère. Plus précisément, il devait répondre à la question de savoir si un opérateur économique peut intégrer parmi les critères de sélection des offres un critère relatif aux frais de déplacement supportés par l’acheteur pour se rendre dans les locaux de l’attributaire du marché public ou si un tel critère doit être considéré comme discriminatoire. Or, si le Conseil d’Etat valide le raisonnement et la solution retenus par le juge toulousain, l’arrêt rendu est assez surprenant dans la mesure où il ne condamne pas en tant que telle l’utilisation d’un critère de ce type. En effet, le Conseil d’Etat précise qu’ « il était loisible au département de la Haute-Garonne de prévoir une consultation mensuelle, par les agents de la médiathèque, des fonds dans les locaux du titulaire du marché et, par suite, de retenir un critère de sélection des offres prenant en compte le coût de ces déplacements ». En revanche, en retenant la distance comme moyen d’évaluation, le critère retenu en l’espèce « ne permettait pas de valoriser effectivement l’offre représentant le moindre coût de déplacements ». Dès lors, le juge administratif semble faire appel à l’ingéniosité des acheteurs s’ils souhaitent favoriser les entreprises locales : ils ne peuvent pas départager les offres en retenant la distance comme critère de sélection mais ils peuvent – à condition que l’objet du marché public le justifie – imposer des visites des locaux de l’opérateur économique parmi les conditions d’exécution du marché et faire du coût de ces visites un critère de sélection. Il suffit alors de préciser que ce coût ne reposera pas exclusivement sur la distance : on peut notamment imaginer qu’un candidat propose dans son offre de prendre en charge ses frais de déplacements. Dans une telle hypothèse, le juge administratif considèrera que le critère n’est pas discriminatoire même si, en pratique, il est plus que probable que les entreprises proches de l’acheteur d’un point de vue géographique seront favorisées… Reste toutefois à savoir si un tel critère serait validé par le juge européen : rien n’est moins sûr quand on connaît l’importance que la Cour accorde au principe d’égalité et à son pendant négatif, le principe de non-discrimination !

Chronique (choisie) de jurisprudence

Une fois de plus, les décisions rendues ont été regroupées par thèmes afin d’en faciliter la lecture.

Documents exigés pour apprécier la valeur des offres

Le Conseil d’Etat est venu rappeler dans quelles hypothèses les acheteurs peuvent demander des justificatifs pour apprécier la valeur des offres. Saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation à l’encontre d’une ordonnance rendue dans le cadre d’un référé précontractuel, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la procédure de passation d’un accord-cadre ayant pour objet l’exécution de services de transport public de voyageurs à vocation scolaire lancé par la Métropole Nice Côte d’Azur (CE, 5 févr. 2018, n° 414508 , Métropole Nice Côte d’Azur ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 81, obs. H. Hoepffner ; AJDA 2018, p. 474). La société Compagnie d’autocars des Alpes-Maritimes, concurrent évincé lors de l’attribution du lot 8 de cet accord-cadre, a saisi le juge du référé précontractuel de conclusions tendant à l’annulation de la décision par laquelle la commission d’appel d’offres de la métropole Nice Côte d’Azur a retenu comme régulière l’offre de la société Flash Azur Voyages. Le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à sa demande et annulé la procédure de passation du lot en retenant notamment l’argument selon lequel la métropole avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne demandant pas aux candidats de justificatifs concernant l’âge des véhicules alors que le règlement de consultation faisait de l’âge des véhicules une exigence particulière sanctionnée par le système d’évaluation des offres. C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que « lorsque, pour fixer un critère ou un sous-critère d’attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d’exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats » (CE, 7e et 2e sous-sect., 9 nov. 2015, n° 392785, Sté des autocars de l’Île de Beauté ;  rec. , tables p. 746 ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 2, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2016, act. 965, veille M. Touzeil-Divina ; JCP A 2017, 2006, note F. Linditch). Il considère toutefois qu’une telle exigence ne s’imposait pas en l’espèce. En effet, le Conseil d’Etat censure la décision rendue car, contrairement à ce qui était avancé par le juge des référés, le règlement de la consultation ne faisait pas de l’âge des véhicules une exigence particulière sanctionnée par le système d’évaluation des offres. Il censure donc la décision en considérant que le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier. Réglant l’affaire au titre de l’article L. 821-2 du CJA, le Conseil d’Etat écarte également les autres arguments avancés par la société : absence de vérification de l’objet social de l’entreprise attributaire, erreur manifeste d’appréciation concernant les capacités de l’attributaire, offre anormalement basse par comparaison à sa propre offre, manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence en corrigeant une erreur de plume dans le calcul du prix final proposé par l’attributaire, informations insuffisantes lors de la communication des caractéristiques de l’offre retenue.

Marchés portant sur des activités réglementées : appréciation des capacités d’un groupement

Le Conseil d’Etat est venu préciser comment s’articule l’appréciation des capacités des candidats participant à un groupement et l’objet particulier de certains marchés publics qui nécessitent que les cocontractants relèvent d’une profession réglementée (CE, 4 avr. 2018, n° 415946, Sté Altraconsulting ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 130, note M. Ubaud-Bergeron ; JCP A 2018, act. 358, veille L. Erstein). En l’espèce, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur une procédure de passation lancée par un office public de l’habitat pour conclure un marché public de services. Or, parmi les missions confiées dans le cadre de ce marché public, certaines relèvent de la loi du 31 décembre 1971 qui réserve l’exercice de certaines activités aux professionnels du droit. Le marché ayant été attribué à un groupement d’opérateurs économiques dont un seul membre est un professionnel du droit, le Conseil d’Etat devait déterminer si un tel montage est possible. Il commence par préciser que les pouvoirs adjudicateurs, lorsqu’ils passent un marché public portant sur des activités dont l’exercice est réglementé, doivent s’assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Il s’agit d’une précision importante car, en-dehors d’une telle hypothèse, le juge du référé précontractuel ne contrôle pas si l’objet social des opérateurs économiques leur permet de candidater à tel ou tel marché public. Pour autant, le Conseil d’Etat ne retient pas une solution trop rigide et admet ce que l’on pourrait qualifier de semi-exception « lorsque les prestations qui font l’objet du marché n’entrent qu’en partie seulement dans le champ d’activités réglementées », ce qui lui permet de valider la procédure de passation telle qu’elle a été menée en l’espèce. Il considère en effet que, dans une telle hypothèse, « l’article 45 du décret du 25 mars 2016 autorise les opérateurs économiques à présenter leur candidature et leur offre sous la forme d’un groupement conjoint, dans le cadre duquel l’un des cotraitants possède les qualifications requises ». Une seule condition est alors posée : l’acheteur doit s’assurer que ce cotraitant sera le seul à exercer les missions relevant d’activités réglementées et il doit donc vérifier « que la répartition des tâches entre les membres du groupement n’implique pas que celui ou ceux d’entre eux qui n’a pas cette qualité soit nécessairement conduit à effectuer des prestations ».

Information des candidats : oui pour les sous-critères, non pour les éléments d’appréciation des sous-critères

La question du niveau d’information des candidats à l’attribution d’un marché public est une question sensible. Les obligations imposées aux acheteurs en termes d’information des candidats reposent en effet directement sur les principes fondamentaux de la commande publique et, notamment, sur les principes d’égalité d’accès et de transparence des procédures. Ainsi ce sont ces principes qui justifient que les acheteurs soient tenus d’indiquer dans les documents de la consultation quels seront les critères d’attribution utilisés ainsi que leurs modalités de mise en œuvre (art. 62, IV du décret du 25 mars 2016 ; art. R. 2152-11 du code de la commande publique). Pour autant, les principes fondamentaux ne sauraient entraîner des contraintes trop importantes. Ainsi, par principe, les acheteurs ne sont pas tenus d’indiquer quels sont les sous-critères. Ce n’est que si les sous-critères peuvent être assimilés à de véritables critères qu’ils devront informer les candidats sur ce point (CE, 18 juin 2010, n° 337377, Commune de Saint-Pal-de-Mons  ; Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 271, note Ph. Rees ; CE, 2 août 2011, n° 348711, Syndicat mixte de la Vallée Orge Aval ; Lebon, p. 1006 ; BJCP 2011, p.435, concl. B. Dacosta ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 286, note W. Zimmer ; RJEP 2012, comm. 8, note F. Brenet). Le Conseil d’Etat est venu confirmer les limites des contraintes imposées par les principes de la commande publique. Ainsi, interrogé sur la question de savoir si les acheteurs doivent informer les candidats sur les éléments qui permettent la notation des sous-critères, le juge administratif confirme que les éléments d’appréciation des sous-critères n’ont pas à être communiqués aux candidats (CE, 4 avril 2018, n° 416577, Société Archimed ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 133, obs. H. Hoepffner ; JCP A 2018, act. 359, veille M. Touzeil-Divina ; dans le même sens CE, 6 avril 2016, n° 388123, Commune de Bohalle ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 147, note M. Ubaud-Bergeron). En réalité, le Conseil d’Etat semble indiquer que de tels éléments d’appréciation ne peuvent, en toutes hypothèses et à la différence des sous-critères eux-mêmes, être envisagés comme susceptibles de constituer des critères de sélection « déguisés ».

Candidatures d’entreprises liées à un même marché public

Les entreprises liées ne peuvent pas être envisagées comme n’importe quels opérateurs économiques lorsqu’elles candidatent à l’attribution d’un même marché public. C’est ce que vient de rappeler la Cour de justice de l’Union européenne en réponse à une question préjudicielle introduite par la Cour suprême de Lituanie à propos de l’attribution d’un marché public de collecte des déchets et de transport vers leur lieu de traitement (CJUE, 17 mai 2018, aff. C-531/16, Specializuotas transportas ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 154, note M. Ubaud-Bergeron ; AJ Contrat 2018, p. 290, note P. Grimaud et O. Villemagne). Dans cette affaire, la société attributaire est une filiale appartenant au même groupe qu’un autre soumissionnaire. Or, l’un des concurrents évincés en déduit que leurs candidatures ne peuvent pas être envisagées séparément mais doivent être prises en compte comme des variantes, sachant que les variantes sont interdites par l’avis de marché. La Cour de justice devait donc préciser comment les acheteurs doivent apprécier les candidatures présentées pour un même marché public par des entreprises liées. Elle apporte des précisions utiles sur ce point. Tout d’abord et par principe, les entreprises liées ont le droit de candidater à l’attribution d’un même marché public. Ainsi, la Cour rappelle qu’ « il ressort de la jurisprudence que, eu égard à l’intérêt de l’Union que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres, il serait contraire à une application efficace du droit de l’Union d’exclure systématiquement les entreprises liées entre elles du droit de participer à une même procédure de passation de marchés publics » (cons. 21). Ensuite, la Cour précise que « des soumissionnaires liés, soumettant des offres séparées dans une même procédure, ne sont pas tenus de déclarer, de leur propre initiative, leurs liens au pouvoir adjudicateur » (cons. 26). En revanche, elle rappelle que « qu’un rôle actif est attribué aux pouvoirs adjudicateurs dans l’application des principes de passation des marchés publics » et notamment du principe d’égalité de traitement (cons. 31). Elle en déduit donc, en établissant un parallèle avec sa jurisprudence sur les conflits d’intérêt (cons. 32) qu’ « un pouvoir adjudicateur qui prend connaissance d’éléments objectifs mettant en doute le caractère autonome et indépendant d’une offre, est tenu d’examiner toutes les circonstances pertinentes ayant conduit à la présentation de l’offre concernée afin de prévenir, de détecter les éléments susceptibles d’entacher la procédure d’adjudication et d’y remédier, y compris, le cas échéant, en demandant aux parties de fournir certaines informations et éléments de preuve » (cons. 33). Les entreprises liées n’ont donc pas à démontrer qu’elles sont autonomes et indépendantes, tandis que les acheteurs sont tenus de vérifier cette autonomie. Enfin, la Cour distingue l’existence de liens entre les entreprises et le contrôle exercée sur ces dernières par une même entité (cons. 38). Ainsi, lorsque le pouvoir adjudicateur constate des liens entre les entreprises qui ont une influence sur le contenu de leurs offres il doit les écarter de la procédure de passation en ce qu’elles ne sont pas autonomes et indépendantes. Pour autant, la seule existence d’un rapport de contrôle entre deux entreprises ne suffit pas pour considérer que les liens qui les unissent ont une influence sur le contenu de leurs offres. Le principe reste donc la liberté de candidater pour les entreprises liées mais, par exception, elles peuvent être exclues de la procédure lorsque leurs liens influencent le contenu de leurs offres et risquent de porter atteinte au principe d’égalité de traitement !

Portée du contrôle juridictionnel en matière d’allotissement

Le Conseil d’Etat est venu rappeler sa jurisprudence traditionnelle en matière d’allotissement en l’appliquant à propos d’un marché public passé conformément à l’Ordonnance du 23 juillet 2015 (CE, 25 mai 2018, n° 417428, OPH du département des Hauts-de-Seine ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 156, note M. Ubaud-Bergeron). En l’espèce, l’office public de l’habitat du département des Hauts-de-Seine avait lancé un appel d’offres ouvert en vue de la passation d’un marché public portant sur l’entretien courant « tous corps d’état » et la remise en état des logements de son patrimoine. L’OPH avait décidé de diviser ce marché public en neuf lots correspondant à neuf zones géographiques distinctes. Le groupement de sociétés MPPEA, concurrent évincé, a saisi le juge du référé précontractuel pour faire annuler la procédure de passation. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit a sa demande en considérant que l’OPH avait méconnu les obligations imposées par l’article 32 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 en matière d’allotissement (articles L. 2113-10 et L. 2113-11 du code de la commande publique). Le juge du référé précontractuel a en effet estimé que l’OPH a « manqué […] à ses obligations de publicité et de mise en concurrence » en retenant un découpage géographique des lots sans justifier par des « motifs techniques ou économiques […] l’absence d’allotissement par corps d’état ». Le Conseil d’Etat censure l’ordonnance rendue par le tribunal administratif en rappelant sa jurisprudence traditionnelle. Il considère en effet que « saisi d’un moyen tiré de l’irrégularité de la décision de ne pas allotir un marché, il appartient au juge du référé précontractuel de déterminer si l’analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu’il fournit sont, eu égard à la marge d’appréciation dont il dispose pour décider de ne pas allotir lorsque la dévolution en lots séparés présente l’un des inconvénients que les dispositions précitées mentionnent, entachées d’appréciations erronées ; que, par ailleurs, lorsqu’un marché public a été alloti, le juge ne peut relever un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence du fait de la définition du nombre et de la consistance des lots que si celle-ci est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, compte tenu de la liberté de choix dont le pouvoir adjudicateur dispose en ce domaine » (cons. 5). Il faut donc distinguer deux contrôles en fonction du choix réaliser par l’acheteur. En premier lieu, lorsque l’acheteur décide de ne pas procéder à l’allotissement et de recourir à un marché global au sens large du terme, le juge exerce un contrôle normal sur cette décision (CE, 29 décembre 2009, Département de l’Eure, rec. p. 832 ; RDI 2010, p. 155, obs. R. Noguellou ; CE, 27 octobre 2011, n° 350935, Département des Bouches-du-Rhône, rec. p. 1009 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 343, note G. Eckert ; BJCP 2012, p. 9, concl. N. Boulouis ; CE, 26 juin 2015, n° 389682, Ville de Paris ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 232, note J.-P. Pietri). Dans une telle hypothèse, le contrôle du juge porte sur les éléments précis qui ont servi à fonder la décision de ne pas allotir pour déterminer si ces éléments justifiaient bien la décision prise. Ce contrôle normal est justifié par les principes fondamentaux de la commande publique : l’obligation d’allotir doit susciter la concurrence la plus large possible. En revanche, et en second lieu, lorsque l’acheteur décide de recourir à l’allotissement, la portée du contrôle juridictionnel sur les modalités de l’allotissement est sensiblement réduite. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que le contrôle du juge sur « la définition du nombre et de la consistance des lots » n’est qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Il confirme ici aussi sa jurisprudence antérieure (CE, 21 mai 2010, n° 333737, Commune d’Ajaccio ; Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 239, note P. Devillers ; DA 2010, comm. 110, note F. Brenet ; JCP A 2010, 2215, note F.Linditch) pour l’appliquer dans le cadre de la nouvelle réglementation. La liberté reconnue aux acheteurs en matière d’allotissement l’emporte donc sur les risques d’atteintes portées à l’obligation de mise en concurrence.

Contrôle de l’indépendance des opérateurs économiques en cas de limitation du nombre maximal de lots attribuables à un même opérateur

Dans l’affaire relative au marché public de transport scolaire passé par la communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre (CE, 11 juillet 2018, n° 418021, Communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre ; préc), le Conseil d’Etat est également venu préciser de quelle manière devaient être appréciées les candidatures d’opérateurs économiques faisant appel aux mêmes moyens lorsque l’acheteur a décidé de limiter le nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même opérateur économique. En effet, l’article 12 du décret du 25 mars 2016 prévoit que « l’acheteur indique dans les documents de la consultation si les opérateurs économiques peuvent soumissionner pour un seul lot, plusieurs lots ou tous les lots ainsi que, le cas échéant, le nombre maximal de lots qui peuvent être attribués à un même soumissionnaire. Dans ce cas, les documents de la consultation précisent les règles applicables lorsque la mise en œuvre des critères d’attribution conduirait à attribuer à un même soumissionnaire un nombre de lots supérieur au nombre maximal » (repris par l’article R 2113-1 du code de la commande publique). Ce dispositif a pour objectif de permettre aux acheteurs de faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique tout en suscitant une concurrence la plus large possible. Or, en l’espèce, le règlement de la consultation prévoyait que les opérateurs économiques ne pouvaient présenter de candidatures que pour cinq lots au maximum et qu’ils ne pourraient se voir attribuer que trois lots au maximum. Le hasard faisant bien les choses, le fils de la gérante de la société Transports les 6F, candidate à l’attribution du marché, avait créé une société de transport en juillet 2017 : la société Transka. Or, ces deux sociétés se sont portées candidates à l’attribution du marché public. Jusqu’ici, cette situtation ne pose pas, en apparence, de difficultés : en dépit des liens entre leurs dirigeants et en l’absence d’entente démontrée entre ces derniers, rien ne semble pouvoir interdire que ces deux sociétés candidatent à l’attribution du marché. Le problème posé était cependant de savoir si ces candidatures distinctes ne contreviennent pas à la limitation du nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même opérateur économique. En effet, la société Transka n’avait pas de moyens propres et se prévalait uniquement des moyens de la société les 6F : celle-ci s’était « engagée à mettre à sa disposition les véhicules nécessaires à l’exécution des marchés en question » et « la quasi-totalité des moyens matériels de la société Transka étaient ceux de la société Transports les 6F ». Le Conseil d’Etat valide le raisonnement retenu par le juge des référés sur ce point et considère que ces deux sociétés « devaient être regardées comme un seul et même candidat pour l’application des dispositions » relatives à la limitation du nombre de lots susceptibles d’être attribués à un même candidat. En effet, si le hasard fait bien les choses, il ne faudrait pas que les opérateurs économiques se servent de la possibilité de faire appel aux capacités de tiers pour contourner artificiellement les dispositions permettant de favoriser les PME par l’allotissement.

Possibilité d’accepter la régularisation des offres irrégulières : liberté de choix de l’acheteur

La régularisation des offres irrégulières n’a, pendant longtemps, été autorisée que pour les marchés publics passés selon une procédure négociée ou pour rectifier certaines erreurs purement matérielles. Le nouveau droit de la commande publique est plus souple sur ce point. Les textes conservent les possibilités de régularisation antérieures et permettent également aux acheteurs d’« autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses » dans le cadre des procédures d’appel d’offres et des procédures adaptées sans négociation (article 59, II du décret du 25 mars 2016 ; article R. 2152-2 du code de la commande publique). Saisi dans le cadre d’un pourvoi contre une ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Marseille, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions de mise en œuvre de ces dispositions (CE, 26 avril 2018, n° 417072, Dpt Bouches-du-Rhône ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 157, note P. Devillers). La procédure de passation contestée concernait des marchés ayant pour objet l’exécution de travaux d’entretien, de rénovation, de réparation et d’amélioration des bâtiments du patrimoine immobilier du département des Bouches-du-Rhône. Lors de cette procédure, une société a vu son offre pour le lot n°10 rejetée comme irrégulière car elle ne comportait pas certaines justifications demandées par l’article 6.2 du règlement de la consultation à propos du personnel nécessaire à l’exécution du marché. Cette société a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Marseille, lequel a considéré que le Département aurait dû inviter la société à régulariser son offre en application de l’article 59, II du décret. Le Conseil d’Etat censure cette solution pour erreur de droit. C’est l’occasion pour lui de préciser « que si, dans les procédures d’appel d’offre, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l’offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu’elle n’est pas anormalement basse et que la régularisation n’a pas pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles, il ne s’agit toutefois que d’une simple faculté qui lui est offerte, non d’une obligation ». Le Conseil d’Etat confirme ici la logique des nouvelles règles introduites par le droit de la commande publique : les dispositions en matière de régularisation doivent offrir davantage de « souplesse » aux acheteurs et ne doivent pas devenir de nouvelles sources de contraintes. Elles accroissent donc la liberté des acheteurs sans renforcer les droits reconnus aux opérateurs économiques.

Preuve de l’équivalence des spécifications techniques

La Cour de justice de l’Union européenne a dû se prononcer sur le moment auquel les soumissionnaires à un marché public doivent apporter la preuve de l’équivalence des spécifications techniques proposées dans leur offre par rapport à celles exigées par le marché public (CJUE, 12 juillet 2018, aff. C-14/17, VAR et ATM ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 223, obs. H. Hoepffner ; Europe 2018, comm. 372, note F. Peraldi-Leneuf). En l’espèce, la Cour était saisie par le Conseil d’Etat italien à propos d’un litige naît à la suite d’une procédure d’appel d’offres ouvert lancée par ATM pour la passation d’un marché portant sur la « fourniture de pièces de rechange d’origine et/ou de première monte et/ou équivalentes pour autobus et trolleybus IVECO ». Deux sociétés ont candidaté à l’attribution de ce marché : la société Iveco Orecchia, concessionnaire exclusif du groupe producteur des pièces de rechange d’origine pour le nord-ouest de l’Italie, et la société VAR – cette dernière ne pouvant évidemment pas proposer des pièces d’origine. Pourtant, au terme de la procédure d’appel d’offres, c’est la société VAR qui a été classée première. La société Iveco Orecchia a alors formé un recours devant le tribunal administratif régional de Lombardie qui a annulé la décision d’attribution en considérant que la société VAR n’avait pas apporté la preuve de l’équivalence des pièces de rechange qu’elle proposait par rapport aux pièces d’origine lors de la soumission de son offre, pas plus que lors de la procédure de passation du marché. VAR et ATM ont alors interjeté appel devant le Conseil d’Etat italien. Ce dernier a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle afin de savoir à quel moment les candidats à l’attribution d’un marché public doivent fournir la preuve de l’équivalence entre les produits qu’ils s’engagent à fournir et le produit d’origine auquel le marché fait référence. Plus précisément, il demandait à la Cour si les soumissionnaires doivent apporter cette preuve dans le cadre de leurs offres. La Cour apporte une réponse claire à cette question et considère que « lorsque les spécifications techniques qui figurent dans les documents du marché font référence à une marque, à une origine ou à une production déterminée, l’entité adjudicatrice doit exiger que le soumissionnaire apporte, déjà dans son offre, la preuve de l’équivalence des produits qu’il propose par rapport à ceux définis dans lesdites spécifications techniques ». La vérification du respect des spécifications techniques l’emporte donc – de manière relativement surprenante – sur la nécessité d’ouvrir les marchés publics à la concurrence.

Possibilité d’éliminer des offres en appel d’offres ouvert

La Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser la part de liberté dont disposent les acheteurs lorsqu’ils passent des marchés publics en utilisant la procédure classique de l’appel d’offres ouvert (CJUE, 20 sept. 2018, aff. C-546/16, Montte SL c/ Musikene ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 264, note W. Zimmer ; Europe 2018, comm. 422, note S. Cazet). En l’espèce, Musikene, une fondation du secteur public de la Communauté autonome du Pays basque, avait lancé la procédure de passation d’un marché public de fournitures ayant pour objet l’acquisition « de mobilier et de matériel signalétique, de mobilier musical spécifique, d’instruments de musique, d’un équipement électroacoustique, d’un équipement d’enregistrement et d’un équipement audiovisuel, d’un équipement informatique et de reprographie ». La valeur estimée étant supérieure à un million d’euros, le marché a été passé selon une procédure formalisée et Musikene a décidé d’utiliser la procédure de l’appel d’offres ouvert. Rien de particulier jusque-là mais, en réalité, le cahier des charges du marché public prévoyait une évaluation des offres en deux temps. En effet, ce cahier des charges prévoyait deux critères : un critère technique et un critère prix, bénéficiant tous deux d’une pondération à 50%. Toutefois, le critère technique prévu imposait une évaluation des offres en deux temps car il prévoyait des exigences minimales conduisant à éliminer les offres soumises n’atteignant pas un seul de points minimum prédéterminé. Ce n’est que dans un second temps que les offres non éliminées devaient être évaluées au travers des critères techniques et grâce au critère du prix pour déterminer quelle est l’offre économiquement la plus avantageuse. La société Monte a saisi l’organe administratif de la Communauté autonome du Pays basque compétent en matière de recours dans le domaine des marchés publics pour contester ce cahier des charges en estimant que Musikene ne pouvait pas introduire des critères techniques éliminatoires dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ouvert. Elle considérait en effet, de manière assez logique, que la procédure d’appel d’offres ouvert se distingue en cela des procédures restreintes et qu’elle doit normalement permettre à tous les soumissionnaires qui disposent des capacités suffisantes de voir leurs offres évaluées. N’étant pas certain que cette faculté de prévoir des critères éliminatoires lors de la phase de sélection des offres – autorisée par la législation espagnole – soit conforme au droit de l’Union, l’organe administratif de la Communauté autonome du Pays basque a adressé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Cette dernière, conformément aux conclusions de son avocat général et aux observations de la Commission européenne, va considérer que la réglementation européenne « ne s’oppose pas à la possibilité, au stade de l’attribution du marché, d’exclure dans un premier temps des offres soumises qui n’atteignent pas un seuil de points minimum prédéterminé quant à l’évaluation technique ». Pour la Cour, « une offre qui n’atteint pas un tel seuil ne correspond, en principe, pas aux besoins du pouvoir adjudicateur et ne doit pas être prise en compte lors de la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse. Le pouvoir adjudicateur n’est donc, dans un tel cas, pas tenu de déterminer si le prix d’une telle offre est inférieur à ceux des offres non éliminées qui atteignent ledit seuil et correspondent donc aux besoins du pouvoir adjudicateur ». Les acheteurs peuvent donc prévoir de tels critères et la législation espagnole prévoyant cette possibilité est conforme au droit de l’Union. Pour autant, et comme l’a souligné Willy Zimmer (note sous l’arrêt, préc.), par cet arrêt la Cour de justice a inventé « la procédure ouverte « restreinte » »

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; chronique contrats publics 04 ; Art. 238.

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