Art. 420.
Le présent article rédigé par Mme Marie-Charlotte Dalle, directrice juridique de l’AP HP, s’inscrit dans le cadre du colloque de l’Association Française de Droit de la Santé (AFDS) : Les juges de la santé qui s’est tenu à Bordeaux les 28 et 29 septembre 2023.
En outre, la contribution rejoint la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la Santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif et – pour cette publication – de la Revue de droit sanitaire et social (RDSS éditions Dalloz).
La loi du 4 mars 2002 a instauré l’obligation d’assurance du risque médical des établissements de santé. Quelques mois après, la loi du 30 décembre a prévu une possible dérogation à cette obligation, dérogation susceptible d’être « accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance ».[1] A ce jour, seule l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’est vue accordée une telle dérogation au terme d’un arrêté ministériel du 3 janvier 2003[2].
Néanmoins, elle avait déjà opté depuis 1977 pour un dispositif « d’auto-assurance », à la suite de la dénonciation par son assureur de l’époque du contrat qui garantissait le risque médical de l’AP HP. En effet, l’évolution de la sinistralité de l’établissement aboutissait à un nouveau contrat prévoyant un doublement de la prime assurantielle. La direction générale écarta cette proposition et décida que l’AP-HP assurerait elle-même directement le risque médical encouru au sein de ses 38 sites.
Cette fonction assurantielle du risque médical s’est donc mise en place au sein de la direction juridique de l’AP-HP, progressivement, au fil du temps, et sans être véritablement anticipée, réfléchie ni organisée comme telle : un établissement de soin n’est pas une société d’assurance, le cœur de métier de l’hôpital n’a rien à voir avec l’objet social d’un assureur. Endosser cette mission d’assurer directement les patients que l’on soigne suppose d’en évaluer les composantes et les enjeux, afin de la structurer au mieux, la suivre et la contrôler.
C’est dans cette perspective que la direction juridique de l’AP-HP fait aujourd’hui évoluer son organisation et son fonctionnement afin de mieux répondre au rôle qui lui est dévolu par l’institution d’assurer le risque médical. Un rôle qui s’inscrit dans la continuité du soin, et peut même constituer une étape du parcours de soin : réparer le soin défaillant c’est encore soigner, indemniser la défaillance, c’est aussi réparer.
Dans cette perspective, il s’agit moins pour l’AP HP d’être son « autoassureur », que d’accomplir une mission de service public de la réparation du soin[3]. Dès lors, s’impose la nécessité de structurer, de professionnaliser et d’encadrer ce service et de veiller à ce qu’il s’exerce avec qualité et célérité, dans le respect des quatre principes fondamentaux du service public hospitalier que sont l’égalité d’accès et de prise en charge, la continuité, l’adaptation et la neutralité[4].
Réparer le soin défaillant – rôle des équipes soignantes – ou indemniser la défaillance du soin – rôles de l’équipe de la direction juridique[5] – participent d’une même mission de service public, exigeante, aux enjeux humains et économiques majeurs.
Assumer en direct, sans l’intermédiaire d’une société d’assurance, le suivi, le traitement et la réponse aux réclamations indemnitaires impose à la direction juridique de l’AP –HP de disposer de ressources humaines compétentes, mobilisées et attentives et d’outils performants et facilitateurs. Cela implique également pour l’équipe juridique, de collaborer au quotidien avec les équipes administratives et soignantes de proximité sur sites, celles qui connaissent les patients, celles qui ont accès à leur dossier médical. Ainsi, échanges d’informations individuelles et contextuelles, éléments d’explications médico-légales, accès aux retours d’expérience, identification rapide des dysfonctionnements ou des malentendus, tout ce travail participe à la qualité et à la célérité du traitement des réclamations et de la réponse que le service public hospitalier doit apporter à chaque usager.
Ce travail permet aussi d’identifier plus finement les situations et les contextes à risque, afin d’en prendre la mesure, d’en établir une cartographie précise, et ainsi de parvenir à échanger avec la communauté médicale de façon constructive et préventive, notamment à l’occasion de la présentation du bilan de sinistralité annuel.
Assumer directement les procédures d’indemnisation des patients, c’est aussi prendre la main sur une stratégie plus volontariste en termes de démarches amiables, voire de médiation, et dépasser la seule approche du règlement pécuniaire des conflits pour proposer aux patients et à leurs proches, rencontres, accompagnement, lieux et moments d’écoute et de reconnaissance de ce qui a été vécu, ressenti, éprouvé. C’est aussi participer avec la direction qualité à une relecture de l’ensemble des affaires constitutives d’évènements indésirables graves, et d’en évaluer les impacts sur les patients et les équipes soignantes, les actions correctives, les projets d’amélioration.
Ainsi, en assumant cette mission de service public de la réparation du soin, la direction juridique de l’AP HP s’inscrit pleinement dans la politique qualité des soins de l’établissement. Avec la conviction de pouvoir faire siens les propos de Louis Pasteur, « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ».
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Dalle Marie-Charlotte, « L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, un établissement de soin qui se doit d’être aussi un service public de la réparation du soin »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 420.
[1] Ces dispositions sont codifiées à l’article L.1142-2 du code de la santé publique.
[2] A. 3 janv. 2003(JO 8 janv), art 1er : « La liste des établissements publics de santé exonérés de l’obligation de souscrire une assurance pour la couverture de leur responsabilité civile ou administrative suite à des dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne survenant dans le cadre de leur activité de prévention, de diagnostic ou de soins est la suivante :
Assistance publique-hôpitaux de Paris. »
[3] En écho d’ailleurs à une récente décision du Conseil d’Etat qui, dans le cadre d’un litige opposant l’AP-HP à l’ONIAM, a considéré que « L’AP-HP, bénéficiant d’une dérogation à l’obligation de souscrire un contrat d’assurance, ne peut être regardée comme un assureur pour l’application des dispositions de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique » CE 20 juin 203, n°460868
[4] Cf. Art. L.6112-1 et suivants du code de la santé publique
[5] Le département de la responsabilité hospitalière au sein de la direction juridique de l’AP HP rassemble l’équipe en charge du traitement des réclamations indemnitaires, composée d’une douzaine de juristes et d’une quarantaine de médecins conseil (vacataires).
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