par Mathias AMILHAT,
Maître de conférences en Droit public – Université de Lille
Art. 239.
Le droit des concessions bénéficie également des évolutions générales concernant le droit de la commande publique et, notamment, de l’arrivée du nouveau code. Pourtant, au-delà de ces évolutions, des changements spécifiques concernent ces contrats. Comme pour les marchés publics il s’agit pour l’essentiel d’évolutions – ou plutôt de précisions – jurisprudentielles mais la loi pour un nouveau pacte ferroviaire permet de considérer que le droit des concessions intègre également des nouveautés textuelles !
Les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs : nouveaux contrats de concession
La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire (L. n° 2018-515, 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire : JO 28 juin 2018, texte n° 1 ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 175, note G. Clamour ; RFDA 2018, n°5, dossier pp. 857 et s.) crée une nouvelle catégorie de contrats de concession : les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Ces contrats doivent permettre la mise en œuvre concrète de l’ouverture à la concurrence des services domestiques de transports ferroviaires de voyageurs. Cette ouverture à la concurrence doit être réalisée en deux temps. Dans un premier temps, jusqu’au 24 décembre 2023, la SA SNCF Mobilités continue de disposer d’un monopole de principe sur les services publics de transport ferroviaire mais les autorités organisatrices de transport ferroviaire (AOT) – c’est-à-dire l’Etat et les régions – peuvent, par dérogation, attribuer des contrats de service public par voie de mise en concurrence. Dans un second temps, à partir du 25 décembre 2023, le principe sera inversé : les AOT devront attribuer les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs à la suite d’une procédure de mise en concurrence, même si des dérogations permettront exceptionnellement de déroger à cette obligation. Ces contrats de service public de voyageurs sont des contrats de concession soumis en principe au respect des dispositions du code de la commande publique. Toutefois, ils constituent une catégorie spécifique parmi les contrats de concession et dérogent à ce titre à un certain nombre de disposition. Ainsi, l’article L. 2121-17 du code des transports prévoit des exceptions à la procédure de mise en concurrence par renvoi aux 2,4,4 ter et 5 de l’article 5 du règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route. Parmi les dérogations, on retrouve notamment l’hypothèse dans laquelle l’autorité décide de fournir le service elle-même, celle du contrat « in house », les contrats inférieurs à un certain montant ou qui porte sur un nombre de kilomètres de services inférieur à un certain seuil, les contrats exclus de la mise en concurrence après avis conforme de l’ARAFER pour des raisons techniques, géographiques ou structurelles afin d’améliorer les services, ainsi que les contrats attribués à l’opérateur qui gère la totalité ou la majeure partie de l’infrastructure ferroviaire sur laquelle les services sont fournis. En-dehors de ces hypothèses d’attribution directe, la passation des contrats de service public de voyageurs devra respecter la quasi-totalité des règles prévues pour l’ensemble des contrats de concession (même si certaines exceptions sont expressément prévues (en ce sens, v. l’analyse de Guylain Clamour, préc.). L’apparition de ces contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs confirme l’extrême diversité des contrats intégrant la catégorie des contrats de concession. Cette diversité a pour avantage de permettre la prise en compte des particularités liées à un certain nombre de contrats de concession mais elle complexifie la lecture d’ensemble à l’heure où l’objectif des réformes semblait pourtant être la simplification.
Des précisions sur les conditions de recours à une concession provisoire
Le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la passation d’une concession de services provisoire par la ville de Paris et qui était relative à l’exploitation de mobiliers urbains d’information (CE, 5 févr. 2018, n° 416581 , Ville de Paris c/ Sté des mobiliers urbains pour la publicité et l’information ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 87 ; AJDA 2018, p. 1338, note M.-C. Vincent-Legoux ; JCP A, 20128, 2124, note J. Martin ; DA 2018, comm. 20, note L. Seurot). Cette affaire lui permet de préciser la jurisprudence Société de manutention portuaire d’Aquitaine (CE, 14 févr. 2017, n° 405157, Sté de manutention portuaire d’Aquitaine ; AJDA 2017, p. 326 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 99 et 100, obs. G. Eckert ; DA 2017, comm. 16, obs. L. Richer ; JCP A 2017, 2126, obs. J.-B. Vila ; Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique contrats publics 02 ; Art. 193 http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=1873 ) s’agissant des conditions qui permettent aux autorités concédantes de passer des contrats de concession provisoires en cas d’urgence.
Cette concession provisoire a été conclue à la suite de l’annulation par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, confirmée par le Conseil d’Etat (CE, 18 sept. 2017, n° 410336, Ville de Paris ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 259, obs. M. Ubaud-Bergeron), de la procédure de passation d’une convention de service relative à l’exploitation des mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité lancée par la ville de Paris en mai 2016. Cette convention devait prendre la suite du marché conclu en 2007 pour l’exploitation de mobiliers urbains d’information et la mise en place des Vélib’. Le Conseil de Paris a en effet décidé d’attribuer sans publicité ni mise en concurrence un contrat à la Somupi, titulaire du précédent marché. Ce contrat est désigné comme un contrat de concession de service provisoire pour une durée courant du 13 décembre 2017 au 13 août 2019.
Les sociétés Clear Channel France et Exterion Media ont saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris qui a annulé la procédure de passation par deux ordonnances rendues le 5 décembre 2017. Il considérait en effet que les conditions permettant de conclure un contrat de concession provisoire sans publicité ni mise en concurrence préalables n’étaient pas remplies en l’espèce. Le Conseil d’Etat se prononce donc en cassation sur saisine de la ville de Paris et de la Somupi.
La première question posée de manière indirecte, et largement commentée par les observateurs (v. notamment les analyses de Marie-Caroline Vincent-Legoux à l’AJDA, préc., et de Laurent Seurot dans la revue Droit administratif, préc.), est celle de la qualification des contrats de mobiliers urbains. Le juge administratif a longtemps hésité mais, en l’espèce, la qualification ne semble pas faire de doute. Il s’agit déjà, par anticipation, d’une application de la solution retenue par le Conseil d’Etat dans son arrêt Philippe Védiaud publicité où il considère que le risque d’exploitation assumé par le cocontractant permet de qualifier le contrat en cause de concession de service (CE, 25 mai 2018, Philippe Védiaud Publicité, AJDA 2018, p. 1725, note M. Haulbert). Ces solutions correspondent à la définition des contrats de concession telle qu’elle est désormais formulée par l’article 5 de l’Ordonnance du 29 janvier 2016 (définition reprise par l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique).
Surtout, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la légalité du recours à une concession de service provisoire sans publicité ni mise en concurrence préalables. Il confirme la possibilité de passer de tels contrats mais vient circonscrire les conditions imposées pour pouvoir le faire.
Dans sa décision Société de manutention portuaire d’Aquitaine, le Conseil d’Etat avait confirmé la solution déjà rendue à propos des délégations de service public, toujours avec des conclusions de Gilles Pellissier (CE, 4 avr. 2016, n° 396191, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique (Cacem) ; AJDA 2016, p. 698 ; BJCP 2016, p. 264, concl. G. Pellissier ; Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 161, obs. Eckert). Le Conseil d’Etat confirme cette solution dans la présente affaire en reprenant le considérant de principe de l’arrêt Société de manutention portuaire et en indiquant « qu’en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de service sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de service ou, au cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ». Ce considérant ne constitue donc pas une nouveauté. En réalité, c’est l’interprétation stricte retenue par le Conseil d’Etat qui mérité l’attention. Plusieurs éléments sont ainsi précisés.
Tout d’abord, le juge examine le motif d’intérêt général avancé pour justifier la passation d’un contrat de concession provisoire. En l’espèce, le motif qui avait été avancé par la ville de Paris était « la nécessité d’éviter une rupture dans la continuité du service public d’information municipale ». Dans l’absolu, la condition selon laquelle la passation du contrat doit être justifiée par un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public pouvait donc sembler remplie. Le Conseil d’Etat apporte toutefois des précisions importantes. D’une part, il confirme la solution retenue par le juge des référés du tribunal administratif en considérant que ce dernier n’a pas commis d’erreur de droit en refusant de prendre en compte les intérêts financiers avancés par la ville de Paris. L’intérêt général tenant à la continuité du service public ne peut donc pas être un intérêt financier. D’autre part, il confirme que cette condition devait uniquement être appréciée au regard des effets que pouvait avoir l’interruption du service d’information sur le mobilier urbain sur la continuité du service public de l’information municipale. Or, comme l’a justement apprécié le juge des référés du tribunal administratif de Paris, ces effets ne sont pas suffisants dans la mesure où la ville dispose d’une « grande diversité des moyens de communication, par voie électronique ou sous la forme d’affichage ou de magazines » pour assurer le service public de l’information municipale. Il n’y avait donc pas de motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public qui justifiait la conclusion d’un tel contrat.
Pourtant, le Conseil d’Etat ne s’arrête pas là et circonscrit davantage les conditions de recours aux concessions provisoires en s’attardant sur la notion d’urgence. Il confirme là aussi la solution retenue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris considérant que l’urgence de la situation n’était pas indépendante de la volonté de la ville de Paris. Il s’agit d’une appréciation très stricte car, selon les juges, la ville de Paris aurait dû lancer une nouvelle procédure de passation dès l’annulation de la procédure de passation initiale en avril 2017. Ayant attendu le mois de novembre, ils considèrent que le caractère d’urgence de la situation ne peut pas être regardé comme étant indépendant de la volonté de la ville. On peut toutefois relever que le Conseil d’Etat ne s’est prononcé sur les ordonnances rendues en avril 2017 qu’au mois de septembre, ce qui explique le délai pris avant que la ville ne décide de passer une concession provisoire. On en déduit donc que lorsque le juge des référés précontractuels annule une procédure de passation, les autorités concédantes doivent réagir immédiatement et ne pas attendre de savoir quel sera, le cas échéant, la solution retenue par le Conseil d’Etat en cassation.
Cette interprétation stricte des conditions tenant au motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public et à la condition d’urgence s’expliquent à n’en pas douter par le fait que la conclusion de tels contrats déroge aux principes fondamentaux de la commande publique sans que cette dérogation ne soit prévue par les textes. D’ailleurs, dans ses conclusions, le rapporteur public Gilles Pellissier considère que la conclusion de ces contrats de concession provisoires ne doit être possible que dans les « cas exceptionnels où un intérêt général supérieur le justifie absolument et dans la seule mesure de cette justification ». Cette même logique se retrouve dans la seconde partie de l’arrêt lorsque le Conseil d’Etat se prononce sur la mise en œuvre de l’article 11 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession. Le 1° de cet article prévoit en effet que les autorités concédantes peuvent passer des contrats sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le contrat « ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ». Le Conseil d’Etat précise ici que c’est à l’autorité concédante d’apporter la preuve de l’impossibilité de confier le contrat à un autre opérateur économique, ce que ne fait pas la ville de Paris. Il rejette donc également l’application de cet article.
En toutes hypothèses, la passation de contrats de concession sans publicité ni mise en concurrence préalables ne saurait être admise trop facilement.
La possibilité de modifier le contrat est conditionnée par ses règles de passation
Les principes fondamentaux de la commande publique trouvent principalement à s’appliquer lors de la passation des marchés publics et des contrats de concession mais ils produisent également des effets importants lors de la « vie » des contrats, notamment lorsque ces derniers doivent être modifiés (v. notamment, « Le régime de la modification des contrats de concession et des marchés publics : La mutabilité des contrats et la logique concurrentielle », Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 220. http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2095 ). C’est ce que le Conseil d’Etat vient de rappeler à propos de la modification d’une délégation de service public (CE, 9 mars 2018, n° 409972, Cie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 120, note G. Eckert ; AJDA 2018, p. 1104, note H. Hoepffner ; RTD Com. 2018, p. 623, note F. Lombard ; JCP A 2018, 2195, note J.-B. Vila). Il précise en effet que « pour assurer le respect de ces principes, les parties […] ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles au contrat en introduisant des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre d’autres candidats ou à retenir une autre offre que celle de l’attributaire ; qu’ils ne peuvent notamment ni modifier l’objet de la délégation ni faire évoluer de façon substantielle l’équilibre économique du contrat, tel qu’il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs ». Or, si cette solution a été rendue sous l’empire du droit antérieur, le rapporteur public Gilles Pellissier a précisé qu’elle s’appliquait de la même manière aux contrats de concession. Le juge administratif confirme ici que les concessions de service, y compris lorsqu’elles portent sur un service public, sont avant tout des contrats de la commande publique. Leur objet particulier ne saurait donc les faire échapper aux principes fondamentaux de la commande publique là où, auparavant, le juge faisait « montre d’une certaine souplesse […] dès lors qu’il (s’agissait) là de contrats de longue durée (devant) pouvoir s’adapter à l’évolution des besoins du service public » (G. Eckert, « Modification substantielle des tarifs d’une délégation de service public », note sous l’arrêt, préc.).
En l’espèce, le recours présenté au Conseil d’Etat portait sur la délégation de service public conclue en 2009 par le Syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel avec la société Véolia Transport, cette dernière ayant depuis été remplacée par la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel. Cette délégation de service public portait sur la construction et la gestion des équipements d’accueil du Mont-Saint-Michel. Or, en 2013, le comité syndical du syndicat mixte a autorisé son président à signer un avenant modifiant cette convention. Parmi ces modifications, l’avenant prévoyait une révision de la grille tarifaire augmentant les tarifs à la charge des usagers. Ce sont alors la commune du Mont-Saint-Michel et un concurrent évincé de la procédure de passation initiale – la société Sodetour – qui ont saisi le tribunal administratif de Caen d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la délibération du conseil syndical autorisant la signature de l’avenant et de la décision de signer l’avenant. Le juge de premier ressort ayant annulé la délibération du conseil syndical et la décision du président, la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel a interjeté appel auprès de la cour administrative d’appel de Nantes. Cette dernière ayant rejeté son appel, la compagnie s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Après avoir précisé quelles sont les règles applicables en cas de modification d’une délégation de service public, le juge administratif suprême s’est donc penché sur le cas d’espèce pour déterminer si les modifications de la grille tarifaire étaient ou non possibles. Sans surprise, il considère que les augmentations prévues « allaient très au-delà de la compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du délégataire convenues par ailleurs ». En effet l’avenant prévoyait une augmentation des tarifs allant de 31 à 48% avec une augmentation de plus d’un tiers des recettes ! Le raisonnement retenu est toutefois intéressant car, au-delà de l’ampleur de ces augmentations, le Conseil d’Etat met l’accent sur le fait que celles-ci sont bien supérieures à ce que peuvent exiger les augmentations de charges prévues par l’avenant. C’est donc l’équilibre économique du contrat qui importe et non une approche « purement arithmétique » comme le soulignait la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel.
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Chronique (choisie) de jurisprudence concernant les contrats de concession
Recours pour excès de pouvoir irrecevable contre l’avis d’appel public à la concurrence
Le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la possibilité d’intenter un recours pour excès de pouvoir contre un avis d’appel public à la concurrence publié par l’Etat à propos d’une délégation de service public (CE, 4 avril 2018, n° 414263 , Ministre d’État, Ministre de la Transition écologique et solidaire ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 139, note G. Eckert). Le juge administratif était saisi d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision de l’État de déléguer l’exploitation et l’entretien de l’aéroport d’Aix-Les-Milles par une association de riverains. La question posée était alors de savoir si un tel recours pouvait être admis. En effet, dans le cadre des procédures lancées par les collectivités territoriales, le juge administratif admet que la délibération par laquelle l’assemblée délibérante se prononce sur le recours à un contrat de concession peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 24 novembre 2010, n° 318342, Association fédérale d’action régionale pour l’environnement (FARE); BJCP 2011, p. 72 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 21, obs. G. Eckert). Or, s’agissant des contrats passés par l’Etat, il n’existe pas d’acte « équivalent » à la délibération. Le Conseil d’Etat devait donc déterminer si l’avis de concession, qui est le premier acte par lequel l’Etat manifeste son intention de conclure un contrat de concession, est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pour le juge administratif la solution est claire : l’avis d’appel public à la concurrence « manifeste l’intention de l’État de passer une convention de délégation de service public pour la gestion de cet aérodrome » mais « il ne saurait en soi constituer une décision sur le principe du recours à une telle délégation ». Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir contre cet acte ne peut pas être admis et les requérants pourront seulement, et ultérieurement, intenter un recours au fond en contestation de la validité du contrat s’ils remplissent les conditions pour ce type de recours.
Le manque de concurrence justifie de renoncer à la conclusion du contrat
Le Conseil d’Etat est venu rappeler l’un des aspects essentiels de la liberté contractuelle des personnes publiques : la liberté de conclure ou de ne pas conclure un contrat (CE, 17 septembre 2018, n° 407099, Société Le Pagus ; Contrats-Marchés publ. 2018, comm. 253, note G. Eckert ; AJContrat 2018, p. 536, F. Lepron ; AJDA 2018, p. 1750 ; JCP A 2018, 2313, note J. Martin). En l’espèce il était question d’une concession pour l’aménagement et l’exploitation de lots de plages pour laquelle la commune de Fréjus a publié un avis d’appel public à la concurrence. Or, s’agissant du lot n°5, seule la société Le Pagus – qui était titulaire de ce lot auparavant – a présenté une offre. Le conseil municipal a alors déclaré la procédure infructueuse en se fondant sur l’insuffisance de concurrence et sur le caractère incomplet de l’offre déposée. A la suite de cette décision, la commune a lancé une nouvelle procédure et le lot en question a été attribué une autre société, la société Madatech. La société Le Pagus a alors demandé la condamnation de la commune de Fréjus : le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande et la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat devait donc déterminer si la société avait droit à une indemnisation en raison de son éviction. Il commence par rappeler dans un considérant pédagogique dans quelles conditions une indemnisation est possible. Il précise ainsi que « lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge de vérifier d’abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat ; que, dans l’affirmative, il n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient, d’autre part, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat ; que, dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ; qu’en revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général » (cons. 2). Or, c’est ce dernier point qui amène notamment le Conseil d’Etat à rejeter le pourvoi présenté par la société et qui constitue l’apport essentiel de l’arrêt rendu. Il considère en effet que « l’insuffisance de la concurrence constitue un motif d’intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat de délégation de service public » (cons. 6). Il s’agit d’une précision importante qui rappelle aux opérateurs économiques qu’ils ne bénéficient pas d’un droit à conclure les contrats publics et que les personnes publiques restent maîtresses de leurs décisions lorsqu’il s’agit de choisir ou non de contracter. Une solution contraire reviendrait à admettre que les personnes publiques sont tenues de contracter, y compris avec de mauvais candidats, lorsqu’ils sont les seuls à candidater !
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019 ; chronique contrats publics 04 ; Art. 239.
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