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Du Jda oublié à l’affaire des affiches lacérées

Art. 353.

Par M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina,
fondateur et directeur du Journal du Droit Administratif,
professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IMH

Le présent article est dédié à M. le professeur B. Pacteau
– en respectueux hommage –
ainsi qu’à la famille de M. Victor Ucay

Des fondateurs aux lecteurs. Le Journal du Droit Administratif (Jda) a été fondé en 1853 et ce, notamment par les professeurs de la Faculté de Droit de Toulouse, Adolphe Chauveau[a] (1802-1868) et Anselme (Polycarpe) Batbie[b] (1827-1887). Il nous a été donné, déjà, non seulement de leur rendre un juste hommage et tribut mais encore de revenir sur l’histoire même[c] du premier (et pérenne) média spécialisé dans la branche dite publiciste du droit administratif. Après nous être ainsi intéressés à ses fondateurs et à ses promoteurs, penchons-nous maintenant sur leurs lecteurs.

Il nous a alors semblé intéressant – dans le cadre de la section « Histoire(s) du Droit Administratif » – de mettre ici en lumières – en cinq articles ainsi répartis – les éléments que nous avions trouvés, entre droit administratif, histoire locale et politique mais aussi généalogie, concernant Victor Ucay (1856-1950) :

V. Du Jda oublié
à l’affaire des affiches lacérées

Assurément, Victor Ucay fut un personnage politique important et un véritable juriste d’envergure. On a ainsi pris beaucoup de plaisirs à relire ses écrits et ses engagements (même si on ne les partagerait pas tous pour autant). L’homme semblait passionné et fondamentalement habité d’une envie d’agir pour la Cité et les plus nécessiteux. Sa passion pour le monde agricole, les chevaux, le droit administratif ou encore les questions fiscales semble évidente.

On est alors peu étonné de constater que sa présence était recherchée et appréciée des notables et la lecture de la presse nous apprend même qu’il fit partie de la liste des jurés tirés au sort pour siéger[1] en Cour d’assises en 1911 même si l’on n’en sait encore pas davantage sur cette participation potentielle.

Pour terminer ce portrait d’un de nos abonnés, on a voulu exprimer ici une quasi uchronie.

Que se serait-il en effet passé si Victor Ucay avait lu le Journal du Droit Administratif qui lui était destiné en juillet 1878 ? L’a-t-il reçu et non ouvert et dans cette hypothèse comment s’est-il retrouvé près d’un siècle et demi après à Bordeaux puis à Toulouse ? De même, s’il n’a jamais reçu ledit numéro, comment a-t-il pu à ce point être égaré ?

On ne le saura vraisemblablement jamais.

On sait en revanche, ainsi qu’on l’a expliqué supra, que le numéro oublié contenait quelques précisions (au n°3252) sur la question de la responsabilité d’un élu qui avait lacéré les affiches électorales d’un candidat. Et Victor Ucay n’avait pas eu – et pour cause – connaissance de cet article. Or, nous apprend-t-on[2] en mai 1902, quelques jours avant le second tour des législatives opposant Cruppi et Ucay, le député sortant s’était ému de ce qu’Ucay aurait – précisément – fait lacérer et contre placarder certaines des affiches du député Cruppi avec une bannière « aux républicains honnêtes » à qui l’on recommandait l’abstention contre Cruppi afin qu’elle profitât à Ucay !

Était-ce un simple argument voire une calomnie de campagne ? De la contre-propagande ? Ucay avait-il vraiment lui-même lacéré ou fait lacérer des affiches ? On ne le sait pas plus mais l’on s’amuse à penser que s’il avait été destinataire du Jda oublié, peut-être y aurait-il réfléchi à deux fois.

Il existe encore, en conclusion, de nombreuses pistes à aller explorer à propos de la vie et des travaux de Victor Ucay, l’un des premiers abonnés de notre Journal du Droit Administratif.

  • Pourquoi avait-il voulu faire une thèse de doctorat ?
  • Qui décida d’attribuer son patronyme à des courses hippiques ?
  • Jean Cruppi appréciait-il – derrière le masque politique – le commensal Ucay ?
  • Avait-il rencontré, en politique ou à Toulouse, un Jean Jaurès (1859-1914) ?
  • Reste-t-il quelques traces oubliées mais écrites des éventuelles plaidoiries au Palais de Justice de l’avocat Ucay ?
  • Quels liens entretint-il avec plusieurs des professeurs de la Faculté dont les professeurs de droit administratif Rozy, Vidal, Wallon et même Hauriou ?
  • Ucay appartint-il à d’autres sociétés savantes ou autres ?
  • Comment le numéro oublié du Jda fut-il retrouvé à Bordeaux ?
  • Et, surtout ( ?), combien de temps y fut-il abonné ?

Il reste encore et heureusement à chercher, à trouver et à écrire mais l’on est heureux de pouvoir ainsi saluer la mémoire de ce glorieux personnage. Enfin, il faut évidemment mentionner ici le décès de Victor Ucay. Il advint le 18 décembre 1950, à Grenade, « en son domicile rue Gambetta ». Victor était alors presque centenaire et son corps a été par suite inhumé au cimetière de Grenade, la Chapelle de Saint Bernard, autrefois appelé l’ancien cimetière.

Ill. 46 © Commune de Grenade-sur-Garonne. Certificat de décès de Victor Ucay.

Le professeur Touzeil-Divina tient à remercier la mairie de Grenade-sur-Garonne, l’Université Toulouse 1 Capitole et, surtout, la famille de Victor Ucay pour leur disponibilité et l’accès privilégié à leurs sources.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 353.


[a] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=128.

[b] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Batbie [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 15 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=131.

[c] Touzeil-Divina Mathieu, « Le premier et le second Journal du Droit Administratif (Jda) : littératures populaires du Droit ? » in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. ; Eléments en partie repris in : Journal du Droit Administratif (Jda), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I à IIII [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253, 254 et 255. En ligne depuis : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2651.

[1] La Dépêche, édition de Toulouse du 06 mai 1911.

[2] La Dépêche, édition de Toulouse du 10 mai 1902 ; p. 04.

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De Chauveau aux chevaux, le triple élu local Victor Ucay & les rêves de députation

Art. 352.

Par M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina,
fondateur et directeur du Journal du Droit Administratif,
professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IMH

Le présent article est dédié à M. le professeur B. Pacteau
– en respectueux hommage –
ainsi qu’à la famille de M. Victor Ucay

Des fondateurs aux lecteurs. Le Journal du Droit Administratif (Jda) a été fondé en 1853 et ce, notamment par les professeurs de la Faculté de Droit de Toulouse, Adolphe Chauveau[a] (1802-1868) et Anselme (Polycarpe) Batbie[b] (1827-1887). Il nous a été donné, déjà, non seulement de leur rendre un juste hommage et tribut mais encore de revenir sur l’histoire même[c] du premier (et pérenne) média spécialisé dans la branche dite publiciste du droit administratif. Après nous être ainsi intéressés à ses fondateurs et à ses promoteurs, penchons-nous maintenant sur leurs lecteurs.

Il nous a alors semblé intéressant – dans le cadre de la section « Histoire(s) du Droit Administratif » – de mettre ici en lumières – en cinq articles ainsi répartis – les éléments que nous avions trouvés, entre droit administratif, histoire locale et politique mais aussi généalogie, concernant Victor Ucay (1856-1950) :

IV. De Chauveau aux chevaux,
le triple élu local Victor Ucay
& les rêves de députation

De Chauveau aux chevaux. On nous pardonnera, on l’espère, ce jeu de mot d’administrativiste toulousain (de « Chauveau aux chevaux ») qui permet, cela dit, d’expliquer manifestement deux constantes fortes chez Victor Ucay : non seulement un goût prononcé pour une matière pourtant à l’époque très (et trop) décriée (le droit administratif initié à la Faculté de Droit de Toulouse de façon pérenne par Adolphe Chauveau) et l’amour des équidés qui va se traduire aussi de multiples façons (depuis la tradition familiale des diligences et autres messageries jusqu’aux courses et aux élevages hippiques). Cela dit, c’est vraisemblablement plus encore (on l’a vu) auprès de Rozy (et même de Vidal) que de Chauveau que Victor Ucay reçut, quant à lui et à la différence des deux premiers, le virus du droit administratif.

Ill. 32 © & coll. perso. Mtd. Daguerréotype
de M. Adolphe Chauveau (circa 1860). 
  Ill. 33 © & coll. perso. Mtd. Daguerréotype
de M. Henri Rozy (circa 1880).

Aussi, après avoir présenté le juriste, l’avocat puis le militaire Victor Ucay, il faut mentionner son autre engagement pour la Cité et ses concitoyens comme élu local aux multiples mandats successifs (mais assurément aux mandats moins nombreux qu’il ne l’aurait espéré).

1899, 1913 & 1944 :
les trois élections locales de Victor Ucay

Les trois mandats d’élu local. On recense, sauf omission, les trois mandats suivants :

  • Victor Ucay est d’abord (ce qui semble être son premier mandat) conseiller départemental (pour le canton de Grenade) de 1899 à 1901 (on y reviendra) ;
  • il est ensuite de 1913 à 1919, pendant la Première Guerre mondiale, maire de la commune de Merville, dans l’ancien canton de Grenade ;
  • il est enfin a priori conseiller municipal de Grenade pendant la Seconde Guerre mondiale et notamment en 1944 d’après les services actuels de la commune. On ne dispose cependant pas d’archives ou de documents concernant ces deux dernières fonctions municipales même si l’on sait qu’il a, à plusieurs reprises (dont en 1900), cherché – en se présentant aux suffrages municipaux – à devenir, mais en vain, maire de Grenade. On dispose en revanche de nombreuses archives s’agissant de son engagement départemental en Haute-Garonne.
Ill. 34 © Famille Ucay. Victor Ucay, candidat (non élu) comme maire
aux élections municipales de 1900 de Grenade-sur-Garonne (1900).

Le conseiller Ucay du canton (et de l’église) de Grenade-sur-Garonne. Un mandat d’élu départemental est de six années. Pourtant, Victor Ucay ne siégea au conseil général occitan que de 1899 à 1901. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans le canton de Grenade pendant le mandat de six ans de 1895 à 1901 avait été élu, le 28 juillet 1895, le très républicain maire de Grenade-sur-Garonne, déjà évoqué supra, Auguste (Jean Antoine Marie) Barcouda (1830-1898) dont l’histoire retient notamment son engagement républicain dès 1870 ainsi que sa bravoure pour ses concitoyens lors des inondations de juin 1875 ayant décimé plusieurs communes occitanes à la suite de violentes crues de la Garonne. Ce fait lui vaudra, l’été suivant, un soutien du Ministre de l’Intérieur qui lui fit obtenir sa légion d’honneur[1].

Toutefois, M. Barcouda décéda à la fin de l’année, le 31 décembre 1898 à Toulouse, ce que Le Figaro annonça dans son édition du premier jour de l’année 1899 (en page 02). En conséquence, on dut procéder à des élections partielles. Celles-ci eurent lieu les 12 et 19 mars 1899 ainsi que l’annonça le Journal officiel dans son édition du 07 avril[2] suivant indiquant l’élection partielle de neuf nouvelles personnalités locales dont « M. Ucay, membre du conseil général du département de la Haute-Garonne pour le canton de Grenade ». Cette élection partielle était loin d’être une sinécure pour le candidat Ucay qui se trouvait face au maire radical-socialiste de Toulouse, prêt à cumuler, Honoré Serres (1845-1905). Ce dernier, très soutenu par la presse locale républicaine (et notamment socialiste) comme La Dépêche avait alors basé sa profession de foi non « pour » le canton de Grenade où il candidatait mais « contre » Victor Ucay présenté comme un conservateur réactionnaire, acquis à l’Eglise, vraisemblablement favorable au retour d’un monarque et contre l’idée même de République. Ainsi écrit Honoré Serres[3], il serait un « républicain de l’avant-veille » alors que Victor Ucay, sans le nommer pour autant, serait issu de la « réaction monarchiste ».

Ill. 35 © & coll. perso. Mtd. Honoré Serres
in Le Monde illustré du 08 décembre 1894.

Victor Ucay, effectivement soutenu dans la presse par L’Express du midi et le Messager[4] de Toulouse connus pour leurs opinions catholiques conservatrices, s’était pourtant présenté aux suffrages (et on le lui reprochera) sous l’étiquette de « républicain rallié » alors qu’on le décrivait, parmi ses opposants, comme non-républicain. On ne s’attendait alors pas à ce que le 12 mars 1899 l’avocat et sous-lieutenant du Train conduisit au ballotage le célèbre et assis maire de Toulouse. Un second tour fut donc organisé et, nous dit Le Temps du 17 mars 1899 (p. 02) alors que restaient en lice Honoré Serres, maire radical-socialiste de Toulouse et Victor Ucay sou l’étiquette « docteur en droit, rallié », c’est bien le second qui fut porté vainqueur et l’emporta. Les chiffres du scrutin[5] furent alors les suivants :

  • au 1er tour :
    • M. Serres, 1429 voix ;
    • M. Ucay, 808 voix ;
    • M. Jouves, « républicain », 720 voix.

Et, alors que le camp républicain socialiste ne s’y attendait pas, Ucay réussit à obtenir le ralliement des voix républicaines de Lucain Jouves (1845-1917[6]) ce qui permit les résultats suivants ; au 2nd tour :

  • M. Ucay, 1519 voix ;
    • M. Serres, 1465 voix.

Au lendemain de son élection, le conseiller Ucay fit publier des mots de remerciements à ses électeurs mais la presse républicaine le prit aussitôt en grippe et conduisit contre lui, singulièrement à la Dépêche, une campagne de dénigrement(s).

Ainsi, dès la parution des remerciements précités[7], le journal titrait « Grenade : le quart d’heure de Rabelais » et expliquait en un article au vitriol que le nouvel élu était bien moins républicain qu’il ne l’avait prétendu :

« il n’est pas plus question de la République que du Grand Turc. Ce mot – c’est de la République que nous voulons parler – eût offusqué les lecteurs de ces feuilles conservatrices[8] parmi lesquels M. Ucay a recruté la grande majorité de ses électeurs ». Et, relate La Dépêche, il n’y a que dans l’édition du Télégramme (proche de Jouves) et sûrement pour lui faire plaisir que la mention « Vive la République » avait été ajoutée !

Quoi qu’il en soit, le trio Serres / Ucay / Jouves va bien régner sur le canton de Grenade à la mort de Barcouda.

En effet, détaille le dictionnaire des conseillers généraux de la Haute-Garonne[9], le canton de Grenade sera représenté comme suit :

  • de 1878 à 1899 par Auguste Barcouda, républicain ;
  • de 1899 à 1901 par Victor Ucay ;
  • de 1901 à 1905 (jusqu’à son décès) par Honoré Serres qui réussit là où il avait échoué en 1899 ;
  • de 1905 (en élection partielle) puis de 1907 à 1910 par Dominique Bosc (1847-1910) ;
  • et enfin de 1910 (en élection partielle) à 1913 par Lucain Jouves !

Ucay, comme Serres et Jouves vont alors avoir deux autres points communs : celui de n’avoir accompli que des mandats inférieurs aux six années pleines et de n’avoir pas réussi à y être réélus. En effet, même si, en 1901, Ucay se présenta à sa propre succession, il ne réussit plus à convaincre. La Dépêche[10] s’en donna alors à cœur joie pour décrire et dénigrer sa campagne électorale avec, par exemple, son passage en juillet 1901 à Launac, commune du canton où personne – ou presque – ne serait venu à sa réunion politique et où, selon le journal républicain, il ouvrait « le robinet de son éloquence agricole et congrégationniste » et où il aurait osé se « présenter comme le père du Crédit agricole dans le canton ; ce qui ne nous étonne pas puisque seuls les gens riches peuvent bénéficier de cette Loi méliniste[11] et antidémocratique ». Concrètement, on lui reprochait surtout, outre son républicanisme jugé « mou » ou peu franc, non seulement de faire semblant (pour plaire au plus grand nombre) d’être républicain alors qu’il se serait dit monarchiste auprès d’autres. C’est par suite surtout son attachement et son rattachement au parti du Clergé et à l’Eglise que les Républicains – surtout socialistes et radicaux – critiquaient et ce, en des termes tels que[12] : il « fulmine contre la Loi sur les associations qui ne laisse pas les Jésuites jouir de leurs rapines » (sic). Ainsi, après le vote de la Loi de Séparation des Églises et de l’État du 09 décembre 1905, contre laquelle il avait combattu comme citoyen engagé[13] (et non plus comme élu), il fut même pris à partie sur ce terrain ecclésiastique lors d’une conférence publique dans laquelle aurait été prononcés les mots suivants[14] :

« M. Cruppi constate qu’au cours de sa campagne (…), il a été interrompu par un curé à robe longue et par un curé à robe courte : M. l’abbé Péchou de Castelnau et M. Ucay de Grenade » pour conclure que « M. Ucay est plus curé que M. l’abbé Péchou ».

Jean (Charles Marie) Cruppi (1855-1933) fut député de la Haute-Garonne de 1898 à 1919 sans discontinuité mais il trouva devant lui, en 1902 et en 1910, notamment un adversaire lors des élections législatives, Victor Ucay, ce que l’on évoquera ci-après. Les deux hommes se connaissaient donc fort bien et s’affrontèrent pendant des décennies.

Ill. 36 © & coll. perso. Mtd. Jean Cruppi caricaturé alors qu’il était ministre du commerce
sous les traits de l’un des « Toulousains de Paris » avec tous les clichés correspondants (le Capitole, les oies, le cassoulet, l’argent du commerce, la toque d’avocat, etc.) (circa 1908).

Quant au renouvellement du conseil général de 1901, Ucay y fut battu comme suit, en réussissant là encore à se hisser au moins au second tour[15] :

  • M. Serres, 1677 voix ;
  • M. Ucay, 1318 voix ; l’ancien élu avait donc perdu deux centaines d’électeurs.

Ses travaux au Conseil général. Pendant ses deux années et demie de conseiller du département, Victor Ucay participa à plusieurs délibérations ainsi qu’à plusieurs commissions et ce, sous la présidence, à cette époque du Conseiller d’État et préfet Paul (Théodore) Viguié[16] (1855-1915), ancien préfet du Finistère. On sait par exemple qu’il appartient avec son « ennemi » Cruppi à la première (et prestigieuse) commission des Finances du département ainsi qu’il en ressort de la première des délibérations auxquelles il participa en avril 1899[17] :

« 1ère Commission : Finances. Répartition des contributions directes. Demandes en réduction formées par les conseils électifs. Budget départemental. Vote des centimes additionnels ordinaires et extraordinaires et des emprunts. Archives. Mobiliers départementaux. Reports. Comptes du Préfet. Dettes départementales. Cadastre » composée au 1er avril 1899 de
MM. Cibiel, Cruppi, Duran, Ebelot, Gaston, Mandement, Talazac & Ucay.

Ill. 37 © & coll. perso. Mtd. Carte postale (non circulée) (près la Cathédrale Saint-Etienne) de l’entrée du conseil général et de la préfecture de la Haute-Garonne (circa 1900).

La lecture des rapports des délibérations montre par ailleurs qu’il fait partie des élus quasiment toujours présents et non des abstentionnistes fréquents. A la séance du 11 avril 1899[18], il donne alors lecture du rapport suivant qu’il a établi à propos des pensions à accorder aux aînés :

« Je suis heureux qu’étant appelé pour la première fois à discuter un sujet important devant vous, le hasard ait mis entre mes mains une de ces multiples questions qui se rattachent à l’assistance publique. Soulager les infortunes, tarir la source des misères humaines, diminuer le, nombre des malheureux, cela a été sans doute un problème de tous les temps, mais qui passionne d’autant plus de nos jours qu’on croit approcher davantage de sa solution. Cette solution nous a-t-elle été apportée par l’article 43 de la loi du 29 mars 1897, qui a pour but la création de pensions agricoles par les concours simultanés de l’Etat, des départements et des communes ? C’est ce que je voudrais rechercher en quelques mots.

Je ne ferai point l’exposé complet de cette loi, qui se trouve tout au long dans le remarquable rapport de mon excellent collègue M. Bepmale, déposé à la session du mois d’août dernier; mais je crois devoir présenter quelques observations qui feront mieux ressortir le mécanisme de la loi. Rappelant simplement pour mémoire les conditions générales desquelles dépend la contribution de l’Etat, savoir : que les pensions ne soient pas inférieures à 90 francs ni supérieures à 200 francs; qu’elles soient attribuées à des personnes âgées de plus de soixante-dix ans ou atteintes d’une infirmité ou maladie incurable; que le nombre de ces pensions ne dépasse pas la proportion de 2 pour 1,000 habitants, et enfin que les dépenses soient couvertes par des ressources extraordinaires, je tiens à préciser les trois cas particuliers qui peuvent se présenter et dans lesquels nous pourrions, je pense, englober tous les autres.

Premier cas. — La commune et le département sont d’accord pour créer une pension.

Ce cas est évidemment le plus simple. Il entraîne pour la commune l’obligation de contribuer au payement de la pension dans les proportions indiquées au barème A de la loi sur l’Assistance médicale, et pour l’Etat l’obligation de se conformer aux prescriptions du barème B de la même loi. Le département paie la différence entre la somme fournie par l’Etat et les communes et la pension totale.

Deuxième cas. — La commune refuse de voter en totalité, ou en partie une pension agricole.

Le département peut accorder cette pension en prenant à sa charge la totalité ou partie du contingent qui concerne la commune et la contribution de l’Etat est calculée d’après le même barème et reste la même que dans le premier cas.

Enfin, troisième cas, c’est le département qui refuse sa contribution.

La commune peut encore accorder cette pension en se substituant au département et en prenant à sa charge la part qui aurait incombé à celui-ci, et la contribution de l’Etat se règle toujours d’après le barème B. Seulement, au lieu d’être attribuée au département, elle est reversée directement à la commune. Bien entendu, le département ne sera jamais engagé au-delà des sommes qu’il aura inscrites à son budget pour le service des pensions de retraites.

Tels sont, Messieurs, si du moins j’ai bien compris les deux textes législatifs ainsi que les trois circulaires ministérielles qui traitent cette question, les trois cas particuliers dans lesquels on peut faire rentrer tous les autres, et je serais satisfait si cette classification avait seulement pour mérite de bien faire connaître aux intéressés les obligations qu’ils ont à remplir ou les droits qu’ils peuvent exercer. Je voudrais cependant, Messieurs, afin que la lumière soit complète, obtenir de vous une précision au sujet des pensions agricoles déjà existantes et qui sont, je crois, au nombre de 412. Lorsque ces pensions s’éteindront par suite du décès des titulaires, les communes qui en auront bénéficié jusqu’à ce jour devront-elles pour les conserver se placer dans le premier des cas que je viens d’énumérer, ou bien consentirez-vous à leur continuer cette pension en vous plaçant dans le deuxième cas, c’est-à-dire en conservant à votre charge la part contributive de la commune ? Peut-être, me direz-vous, qu’il appartiendra à la Commission départementale de trancher cette question. Mais d’ores et déjà on pourrait donner une indication dont les communes feraient leur profit. Le fonctionnement de la loi étant ainsi établi, le moment est venu de nous demander quelles vont être ses conséquences sur l’avenir des pensions agricoles. A vrai dire, je crains que les premières applications de cette loi n’aient point beaucoup excité le zèle des communes à demander des pensions. En effet, jusqu’ici les communes payaient, peut-être même sans s’en douter, 1 centime par habitant et avaient droit presque toutes à une pension agricole. Si nous prenons une commune de 1,000 habitants, elle payait 40 francs et recevait 60 francs. Avec la nouvelle loi, cette commune devra contribuer au payement de la pension d’après la valeur de son centime, et on peut évaluer que pour une commune de 1,000 habitants cette contribution ne sera pas moindre de 40 ou 50 % de la valeur de la pension. Cette même commune qui payait 10 francs pour en obtenir 60, payera 40 ou 45 pour en obtenir 90. Son avantage n’est pas très évident. En outre, elle devra s’imposer extraordinairement ou créer des taxes nouvelles pour pouvoir obtenir la subvention de l’Etat.

Or, vous savez tous, Messieurs, combien les communes hésitent à entrer dans cette voie de création de taxes et d’impôts nouveaux. Il est bien à craindre que les communes, dès le début, ne fassent pas une application suffisante de la loi de 1897. Et ce qui me le prouve, c’est que le contingent facultatif des communes est très minime par rapport à celui du département, puisqu’il n’est que de 3,000 pour 25,500 fournis par ce dernier, à peine le 4/8e et que ce contingent n’a pas été augmenté. II nous appartiendra peut-être, Messieurs, par des moyens que je n’ai pas à vous indiquer aujourd’hui, d’encourager les communes à entrer dans cette voie de création de pensions agricoles et à faire pour les vieillards et les infirmes les sacrifices qu’elles ont déjà consentis pour assister les malades.

Nulle dépense ne peut être plus justifiée, plus morale même que celle-là, et si j’ai un regret à exprimer ici, c’est que l’Etat ait cru devoir fixer une proportion qui ne pourra dépasser deux pensions pour 1,000 habitants, chiffre qui me paraît absolument trop bas. A cet égard, voudrez-vous me permettre, Messieurs, si je ne dois pas abuser de vos moments, de vous citer les résultats autrement étendus qu’on obtient par l’application d’un autre principe, celui de la mutualité. J’ai l’honneur d’appartenir à une Société de secours[19] dont le siège est dans ma commune et qui s’occupe depuis plusieurs années de créer des pensions de retraite. Savez-vous à quels chiffres elle est arrivée aujourd’hui ? A sept pensions de 90 francs chacune pour 170 membres. C’est à peu près le 5 % au lieu de 2/°°°, soit 25 fois plus. C’est donc, à mon avis, dans le développement de la mutualité que se trouve l’avenir des pensions agricoles plutôt que dans les subventions directes des communes et de l’Etat. Si des hommes de cœur et de dévouement, il n’en manque certes pas, soit dans cette assemblée, soit ailleurs, prenaient dans chaque commune l’initiative de la formation de Sociétés en vue de la création de caisses de retraites, dans quelques années d’ici, moyennant de minimes cotisations, tous nos vieillards pourraient être secourus sans qu’il en coûte beaucoup à l’Etat, sans que nous soyons obligés de surcharger nos budgets. Cela serait d’autant plus facile que les Sociétés de secours ayant aujourd’hui perdu de leur importance par suite de l’application de la loi sur l’assistance, c’est vers les Sociétés de retraites qu’il faut diriger ce courant de bonnes volontés qui est si manifeste dans nos campagnes et qui est si conforme à l’esprit français. Je m’excuse, Messieurs, d’avoir été si long, et je vous prie de vouloir bien voter pour 1900 une imposition extraordinaire de un demi centime afin de pouvoir inscrire au budget de l’exercice prochain un crédit égal à celui qui figure au budget de l’exercice en cours pour le service des pensions de retraite, conformément aux dispositions des articles 55 et 124 de l’Instruction générale du 13 juillet 4893 sur la comptabilité départementale ».

Il nous a semblé intéressant de reproduire in extenso ce rapport non seulement car il s’agissait du premier établi par Ucay au sein du conseil général et au nom de la 1ère Commission mais aussi parce qu’il témoigne non seulement de la haute technicité acquise par l’intéressé en matières de finances et d’assistance publiques mais encore parce que, pour un lecteur du Journal du Droit Administratif, il montre bien en quoi, le docteur en droit de l’Université toulousaine était compétent tant en matières privatiste qu’ici publiciste. Par suite, de nombreuses délibérations nous dépeignent un Victor Ucay très sensible aux questions d’assistance et de secours publics ; l’homme n’hésitant pas à rappeler à ces occasions, son action privée et souvent même bénévole comme membre de sociétés de secours et d’assistance.

Comme au canal de Gignac, le syndicat de la Hille. Victor Ucay a même été investi dans des associations syndicales de propriétaires comme il en fleurit beaucoup à la fin du XIXe siècle ce qui donna lieu, on le sait, à un fort contentieux administratif dont la célèbre association syndicale des propriétaires du canal de Gignac permit à Maurice Hauriou de rédiger l’un de ses plus célèbres commentaires[20] lui faisant exulter un « on nous change notre État » (note sous TC, 09 décembre 1899, Association syndicale du canal de Gignac ; Rec. 731) ! En effet, le droit administratif, ici aussi, allait s’appliquer et consacrer en « établissements publics » les associations syndicales pourtant créés comme à Grenade-sur-Garonne avec l’association syndicale « pour la protection de la Hille » par des propriétaires privés mais reconnues et « autorisées » par la puissance publique les transformant alors en véritables personnes publiques. Le parallèle avec le canal de Gignac (au nord-ouest de Montpellier) est alors frappant avec le bras de la Hille, à Grenade-sur-Garonne. Victor Ucay, propriétaire de terrains qui la traversaient avaient en effet convaincu plusieurs autres propriétaires voisins de se constituer en association syndicale et – pourquoi pas – ressort-il de plusieurs délibérations du conseil général, d’en faire par suite un véritable canal parallèle à la Garonne. Cela aurait constitué, disait-on, un canal commercial plus stable et régulier que le fleuve. D’autres projets envisageaient à l’inverse d’assécher le cours d’eau d’où, en tout état de cause, la création, le 31 juillet 1900, de l’association syndicale dont Victor Ucay fut l’initiateur et le premier président élu. Officiellement, l’objet de l’association était la lutte première contre les inondations de la Garonne (et conséquemment de la Hille) par la construction envisagée d’une digue[21]. Comme celle de Gignac (mais bien plus tôt et ayant connaissance de la décision précitée du Tribunal des conflits de 1899), l’association personne privée à la fin du mois de juillet 1899 fut « autorisée » et donc reconnue par la puissance publique incarnée par la préfecture de la Haute-Garonne le 06 août suivant (1899) comme établissement public. Victor Ucay fut donc à la tête, sous contrôle préfectoral, d’un service public local de protection environnementale ainsi que des propriétés privées.

Ill. 38 © & coll. perso. Mtd. La vérité (sic) sur le canal de Gignac ;
ouvrage écrit par son fondateur, Auguste Ducornot (Paris, Chaix ; 1908).

Le conseiller général Ucay, dès son arrivée à l’assemblée départementale en mars 1899, avait ainsi matérialisé une importante action pour ses contemporains cantonaux par la création, quelques semaines après son élection, de ce syndicat demandé et espéré depuis près de dix années[22]. Dans la presse, les avis furent alors divisés : soit on louait son investissement pro-actif et énergique dès 1899 en mettant en avant la défense du canton et de ses infrastructures, soit (à la Dépêche de Toulouse en particulier), on remarquait comme le doyen Hauriou qu’il s’agissait plutôt d’un intérêt collectif que d’un intérêt général et conséquemment que l’on défendait ici davantage les seuls intérêts bourgeois des propriétaires garonnais à commencer par ceux de Victor Ucay ! Gageons, quant à nous, que la vérité fut certainement mue par ces deux ambitions : servir l’intérêt général et la protection de la Hille grenadine et, au passage, les droits plus privés des propriétaires rassemblés. De nos jours, à Grenade, le combat pour la Hille n’existe plus vraiment et elle continue de couler de façon souterraine en passant notamment sous le skate-park ou circuit routier municipal dédié au roller de vitesse et construit, est-ce-un hasard, au format (ou sur les traces) d’un hippodrome ! Si les terrains précédant sa construction appartenaient à Victor Ucay, il ne peut s’agir d’un simple hasard. Cela dit, si à Gignac, la mairie est désormais sise place Ducornot, juste tribut de la commune pour celui qui a tant fait pour son canal, il n’existe pas encore (ce que l’on pourra regretter) de place Victor Ucay à Grenade-sur-Garonne.

Ill. 39 © Famille Ucay. Convocation, par le Président Victor Ucay,
de l’une des premières assemblées générales (après sa constitution en juillet-août 1899)
de l’association syndicale pour la protection de la Hille (31 août 1899).

Des mutuelles au crédit agricole(s). Précisément, Victor Ucay a été très engagé dans le mouvement mutualiste, syndical agricole et de crédit(s). On le connaît ainsi dans plusieurs associations et sociétés telles que la Mutuelle-Bétail de Merville dont il fut président, le groupement des Silos garonnais, le Syndicat professionnel agricole de la Haute-Garonne ou encore même du Crédit agricole dont il fut, en Haute-Garonne, l’un des fervents promoteurs.

Sans détailler (car cela n’en serait pas le lieu) l’histoire du mouvement des crédits agricoles et de la banque devenue « le » crédit agricole, on en rappellera néanmoins ici quelques aspects fondamentaux. C’est à l’initiative – notamment – d’un ancien membre du Conseil d’État, Louis Milcent (1846-1918) qu’est fondé en 1885, dans le Jura, à Salins-les-Bains, la première « caisse locale de crédit agricole » à l’origine directe de toutes les suivantes. A cette époque, comme en 1896-1898, c’est Jules Méline (1838-1925) qui est à la tête du ministère de l’agriculture et qui va considérablement le marquer non seulement par une politique protectionniste[23] mais encore interventionniste. L’homme originaire des Vosges, qui a été avocat avant de devenir député, connaît bien la création de Salins-les-Bains et son rattachement sinon son inspiration à partir des sociétés mutualistes agricoles allemandes de la même époque. C’est alors lui qui permet, par la Loi du 05 novembre 1894 portant son nom[24], l’érection de sociétés locales de crédit(s) agricole(s) qui permirent, concrètement, outre la constitution de syndicats, celle de caisses locales mutualisées afin de mettre en œuvre la production et la protection agricoles.

Ill. 40 © & coll. perso. Mtd. Jules Méline, ministre de l’agriculture (1883-1885),
caricaturé au regard de sa politique agricole protectionniste
& comme fondateur du « mérite agricole » (in Le Don Quichotte ; 13 mars 1885).

Ainsi, c’est entre 1894 et 1919 que se multiplient dans toute la France les créations de caisses locales et de crédits agricoles. En Haute-Garonne, devant le Syndicat professionnel agricole du département (dont il était un membre moteur), le 11 mars 1900, c’est Victor Ucay[25] qui s’en fit le promoteur et réussira, par suite, à convaincre ses contemporains.

Plusieurs hommes politiques, dont Cruppi on l’a vu, ont voulu décrire (et décrier) Ucay comme un bourgeois propriétaire ne défendant, par le crédit agricole et le syndicat précité, que ses intérêts (et ceux de sa classe) et non l’intérêt général. On l’y raille alors, à gauche, comme ouvrant[26] « le robinet de son éloquence agricole et congrégationniste » et comme ayant osé se « présenter comme le père du Crédit agricole dans le canton ; ce qui ne nous étonne pas puisque seuls les gens riches peuvent bénéficier de cette Loi méliniste et antidémocratique ».

Disons-le simplement : cette affirmation était fausse. En effet, si par le syndicat de propriétaires, il est évident que l’intérêt collectif des possédants était prioritaire, par le crédit agricole, la dimension était autre et bien d’intérêt général. Ainsi, dans les caisses créées après la Loi Méline du 05 novembre 1894, quel que soit le montant de la participation des sociétaires, un principe très démocratique avait été acté selon lequel chaque part sociale comptait pour une seule voix. En ce sens, affirmait Ucay dans sa conférence de 1900[27] :

« Je serais trop heureux, Messieurs, si je pouvais vous faire partager les convictions qui m’animent ; mais, ce que je désire avant tout, c’est que ma voix, si faible qu’elle soit, trouve en vous un écho, et que, franchissant les murs de cette enceinte, elle arrive jusqu’à nos cultivateurs, nos ouvriers, nos paysans, et leur donne l’assurance formelle qu’en favorisant la création d’un crédit agricole, le Syndicat de la Haute-Garonne ne poursuit qu’un but : c’est de travailler sans relâche à l’amélioration matérielle et morale de leur sort ». (…) « L’institution du Crédit agricole est surtout faite pour favoriser le petit propriétaire, le fermier, le métayer et, en un mot, tous ceux qui peuvent avoir besoin de petites sommes et pour un temps relativement court ». Et plus loin : « Soyons tous mutualistes, Messieurs, car nulle devise n’est plus belle, plus humaine et plus réalisable que celle qui est inscrite sur le drapeau de la Mutualité : Tous pour un ; un pour tous ». Invoquant le droit comparé, Ucay affirme même[28] : « Quel que soit d’ailleurs le système adopté, la caisse rurale mutuelle est sûre de réussir. Les six cents caisses qui existent en France sont toutes prospères. A l’étranger, le succès est plus accentué que chez nous. L’Allemagne ne compte pas moins de six mille caisses ; l’Italie en a plus de quatre mille. Leur situation est excellente et leur crédit est supérieur à celui de l’Etat. Il y a quelques jours, Messieurs, visitant ce pays, je fus agréablement impressionné en lisant sur la porte d’une maison de très modeste apparence : « Banco populare », et je me pris à espérer que bientôt, peut-être, je pourrais aussi lire pareille enseigne dans ma propre commune ».

Au même discours, cela dit, les propriétaires comme lui pouvaient espérer une défense collectiviste[29] :

« Lorsque le plus petit commerçant ou industriel veut obtenir du crédit, il trouve des banquiers toujours disposés à lui ouvrir leur guichet ; tandis que le petit propriétaire qui a de bonnes terres au soleil, mais qui à un moment donné a besoin d’une somme, même minime, se voit refuser l’accès de toutes les maisons de banque ».

En 1900, concrètement, le conseiller général Ucay pouvait compter sur le vote récent de la Loi du 31 mars 1899 amplifiant le phénomène mutualiste agricole et lui donnant des liquidités et des assurances financières. Voilà pourquoi Ucay achevait sa conférence précitée par ces mots[30] :

« Telle sera, Messieurs, la Caisse régionale agricole du Midi, que l’Union des syndicats du Midi se propose de fonder à Toulouse et dont le succès sera assuré, grâce à votre précieux concours ». Pour conclure de façon très politique :

« Ces jours-ci, une haute personnalité politique disait : « Le capital doit travailler et le travail doit posséder. — » formule bien platonique si elle est prise à la lettre, car personne ne songerait à empêcher le capital de travailler, pas plus que le travail de posséder, — mais formule bien dangereuse aussi par l’opposition qu’elle semble créer entre le capital et le travail. En effet, à mon sens du moins, le résultat le plus clair de ces paroles est de créer des classes de citoyens et de déchaîner la lutte entre ces classes. Et bien cette lutte nous ne la voulons pas. Nous nous efforçons d’unir les Français et non de les diviser.

Que les capitalistes tendent la main aux travailleurs. C’est de cette alliance entre le capital et le travail, c’est de cette mutualité bien comprise que résulteront l’harmonie et le bonheur de tous. Et, nous, Messieurs, qui aurons favorisé cette alliance par la création du crédit agricole, nous aurons réalisé une partie de cet idéal de justice et d’humanité qui est au fond de tous nos cœurs ».

Ne retrouve-t-on pas ici dans les mots orientés d’Ucay ceux de l’un de ses maîtres en droit administratif à la Faculté de droit de Toulouse ? Henri Rozy signa en effet en 1871[31] un opuscule dont les propos d’Ucay en 1900 sont en droit ligne et l’on ne peut imaginer qu’il ne s’agit que d’un hasard. Ici encore le droit administratif venait inspirer la vie et les travaux du héros de la présente contribution. Depuis l’été 1878, par ailleurs, a-t-on rappelé Rozy était devenu le nouveau directeur du Journal du Droit Administratif.

Ill. 41 © & coll. perso. Mtd. Première de couverture de l’ouvrage
Le travail, le capital et leur accord (Henri Rozy ; 1871).

Plusieurs autres délibérations[32] présentent encore notre homme comme soutenant la demande de tel administré réclamant un secours. Les questions agricoles l’intéressant au plus haut point (du fait notamment de la tradition familiale), on sait même que Victor Ucay a été fort investi dans plusieurs comices et assemblées d’agricultures. Ainsi, en 1936, alors qu’il était âgé de quatre-vingts années, il était encore membre (et doyen) de l’Assemblée générale des silos garonnais[33].

Outre l’agriculture, de façon globale, signalons également que la famille Ucay possédait de nombreux chais qui lui firent, également, gagner quelques prix agricoles. En décembre 1902, ainsi, on la cite[34] comme multi gagnant d’un concours de chais du comice agricole où il remporta notamment une médaille d’argent. La même année, toujours à propos d’alcool, mais cette fois ci en sa qualité de notable érudit et de publiciste, on le vit assister[35] à une conférence, dans le grand amphithéâtre de la Faculté de médecine, du député Gabriel Chaigne (1859-1910) sur le monopole revendiqué étatique de l’alcool.

En joue ? Feu ! En 1901[36], en revanche, on découvre une autre des facettes du Conseiller Ucay, fonctionnaire militaire. Il émet en effet lors de la séance du 15 avril 1901 le vœu suivant :

« Je suis heureux d’avoir été chargé de faire un rapport sur un projet d’enseignement théorique et pratique de tir dans les écoles et pour les adultes, parce que les idées que j’ai à exposer ici me sont chères et que je les préconise depuis longtemps auprès des municipalités de mon canton. Je suis convaincu que le tir devrait être pratiqué dès l’enfance, et qu’il est un complément indispensable de l’enseignement moral et physique. Il développe chez l’enfant des facultés dont il fera plus tard le meilleur usage. Habitué dès ses premiers ans à tenir une arme dangereuse entre ses mains, à la manier, à viser une cible, à faire le coup de feu, à supporter le bruit d’une forte détonation, le jeune homme acquerra de la confiance en lui-même, du coup d’œil, du sang-froid et du courage. Toutes ces qualités feront de lui un homme plus complet, mieux approprié aux luttes de l’existence, plus utile à ses concitoyens ; elles le prépareront surtout à faire un meilleur soldat.

Nous qui sommes passés par cette école du régiment et qui avons l’honneur de lui appartenir encore, nous savons tout le temps qui est perdu chaque année à enseigner aux jeunes conscrits le maniement de l’arme, si bien qu’il s’écoule six mois avant qu’on ose lui faire effectuer un tir réel à longue portée. Et non seulement, Messieurs, ce temps est perdu, mais vous seriez effrayés du maigre résultat que l’on obtient après les écoles à feu. Le pourcentage des balles mises dans la cible est si faible qu’on se demande si une balle sur dix mille pourrait atteindre le but. De là l’énorme consommation de cartouches, la charge qui accable le soldat, et la dépense qu’entraînent l’approvisionnement et le transport des munitions.

Tout cela, Messieurs, pourrait être diminué si le conscrit arrivait au corps après avoir reçu un enseignement sérieux et pratique du tir. Non seulement son instruction militaire serait plus rapide, mieux acquise ; non seulement on pourrait diminuer les fatigues, lui imposer le tir de guerre et affecter à l’amélioration de son ordinaire l’économie faite sur ses munitions, mais on pourrait, et c’est surtout le but qui doit nous préoccuper, diminuer la durée du service militaire.

Ce serait là, Messieurs, un grand progrès que de rendre à l’agriculture des bras qui lui manquent, de rendre à leurs foyers ceux qui en sont involontairement absents, et enfin de diminuer dans une large mesure mis dépenses budgétaires. Je ne veux pas empiéter sur un autre rapport en discutant ici le service de deux ans ou même d’un an, comme le demande la Commission de l’armée ; mais je dis qu’avec le développement de l’instruction, cette réduction, quelle qu’elle soit, s’impose, et elle s’impose d’autant plus que, par la pratique du tir, on aura à l’avance accompli la tâche la plus difficile, la plus délicate qui incombe de l’instruction militaire. Il serait presque banal, Messieurs, de vous citer l’exemple de ce pays qui, d’après l’histoire et peut-être encore la légende, n’a dû sa liberté qu’à la merveilleuse habileté de son héros Guillaume Tell. Il n’est pas moins vrai que depuis sa lutte pour l’indépendance il n’a cessé de développer chez ses enfants le goût de la pratique du tir ; que, défiant toutes les agressions, il est resté le peuple libre par excellence, peuple de montagnards indomptés et indomptables. Aussi, lorsqu’on parcourt ce pays, on remarque, dit-on, dans tous les villages, dans le plus petit hameau, un monument composé d’une toiture pour abriter des cibles et deux murs latéraux pour protéger les passants.

C’est le champ de tir, c’est le champ de la liberté.

Mais quel autre exemple moins probant ne nous offrent pas les événements contemporains ? Une poignée de braves tient tête à une armée dix fois supérieure en nombre, bien disciplinée et admirablement outillée. Et depuis deux ans, ce peuple, selon la belle expression de son président, étonne le monde et soulève l’admiration de tous. Et d’où lui vient sa vigueur, sa force de résistance : de sa pratique du tir. Après avoir porté des coups mortels, les Boërs disparaissent pour se reformer plus loin et faire de nouveau face à l’ennemi, toujours sûrs d’eux-mêmes, confiants dans leur habileté invincible et dans leur courage. Eh bien, Messieurs, cette habileté, ce courage ne s’acquièrent que par une longue expérience du tir. Et c’est pourquoi je suis convaincu qu’en enseignant le tir dès l’école, en poursuivant cet enseignement dans l’âge adulte, nous préparerons à la France de meilleurs soldats, de plus ardents défenseurs, et qu’en mettant dans leurs mains l’arme qui doit sauvegarder l’intégrité du sol, nous allumerons aussi dans leur cœur cette flamme patriotique et cet amour de la liberté qui font les héros ».

La proposition de M. Ucay fut adoptée mais on ignore si elle fut mise en application !

Du rêve du champ de tir comme champ de la Liberté, passons maintenant en revue, l’un des échecs les plus douloureux de Victor Ucay.

1902 & 1910 : les deux rêves de députation nationale
de Victor Ucay
(la 3e circonscription de Toulouse)

Contre Cruppi. C’est sans discontinuité, on l’a dit, que Jean Cruppi, avocat[37] comme Ucay et étudiant également issu de Faculté de Droit pendant les mêmes années puis membre commensal du Conseil général de Haute-Garonne de 1899 à 1901, fut député de Haute-Garonne de 1898 à 1919 (dans le cadre de la 3e circonscription de Toulouse) (avant de devenir Sénateur de 1920 à 1924). L’homme fut également ministre du Commerce (1908-1909), des Affaires étrangères (1911) et même Garde des Sceaux (en 1911-1912). Surtout, il s’agissait plus encore qu’Honoré Serres de l’ennemi politique de Victor Ucay et ce, notamment parce que les positions de Cruppi en matière religieuse n’étaient pas celles de ceux invoquant la neutralité mais bien celles des anticléricaux.

Ill. 42 © & coll. perso. Mtd. Carte de visite de l’ennemi politique de Victor Ucay (1899),
Jean Cruppi y est alors conseiller général aux côtés d’Ucay ainsi que député.

A deux reprises, portés par quelques succès locaux, Ucay voulut s’y confronter mais malheureusement pour lui ne parvint pas à ses objectifs rêvés. En 1902, ainsi (scrutins des 27 avril et 11 mai), il réussit l’exploit de mettre en ballotage son adversaire mais ne l’emporta pas :

  • 1902, au 2nd tour :
    • M. Cruppi, 8376 voix ;
    • M. Ucay, 7578 voix.

En 1910[38] (scrutins du seul 24 avril), c’est dès le 1er tour, que l’indéboulonnable Cruppi l’emporta :

  • 1910[39], au 1er tour :
    • M. Cruppi, « radical socialiste » :7811 voix ;
    • M. Ucay, « conservateur (sic) » : 5589 voix ;
    • M. Emile Bardiès, « socialiste unifié » : 1720 voix.

Sans grande surprise, les journaux contemporains présentaient Ucay comme un « républicain rallié » ou très modéré avant 1900 puis surtout comme un « conservateur » (Le Petit Marseillais) ou encore comme dans Gil Blas daté du 26 avril 1910, comme un « libéral ». La Dépêche du midi, quant à elle, sans surprise non plus, le présentait en 1902[40] comme « candidat clérico-nationaliste-réactionnaire » ; « rétrograde et ambitieux » portant le « drapeau de la réaction » contre le député sortant Jean Cruppi. Le 31 suivant La Dépêche mentionnait même qu’Ucay calomnierait Cruppi en le faisant passer pour corrupteur alors qu’il ne ferait qu’aider ses concitoyens et aurait porté, lui, le chemin de fer de Toulouse à Cadours alors que Victor Ucay au Conseil général s’y serait opposé.

On l’a compris, pour les journaux républicains de gauche, Ucay était décrit comme un conservateur réactionnaire, jugé trop proche de l’Église catholique, et des réseaux royalistes. On écrit même ainsi à son propos que « la fleur de lis a élu domicile chez lui » (ce qui est une manière de rappeler son union maritale avec une fille de Baron).

« Laissez Grenade à ses enfants » ! En 1901, un article anonyme (in La Dépêche, 17 juillet 1901) relate qu’il oserait intituler sa profession de foi « Laissez Grenade à ses enfants » pour dénoncer la candidature d’un non natif de cette commune et alors que lui-même avait navigué entre Toulouse (pour ses études et ses affaires comme avocat) mais aussi Merville dont il sera le premier édile. Il y est par suite décrit comme un « maître (sic) dupeur » toujours prêt à la « roublardise » et ce, pour ces deux exemples de la fin et du début de siècle : « en mars 1899, à la veille du scrutin pour le conseil général, il disait « la mairie à M. Bosc, que j’aime beaucoup ; à moi le conseil général ». Il en aurait été élu au conseil du département avec les voix de républicains qui auraient accepté ce « partage » entre le républicain Bosc et lui. Toutefois, dès 1900, Ucay aurait dénoncé cet accord pour chercher à renverser le maire de Grenade « qui a le tort impardonnable d’être l’ami de Serres ».

Victor Ucay, Républicain libéral. Outre en 1944 où, peut-être du fait de l’Union nationale, on connaît un nouvel engagement électif de Victor Ucay (au conseil municipal de Grenade-sur-Garonne), il semblerait qu’après 1919 et son mandat de maire de Merville, l’engagement direct – comme élu – se soit tu. Toutefois, comme un dernier combat dans l’arène politique, cette année 1919 (où le capitaine Ucay, devenu de réserve, avait déjà 63 ans) fut politiquement encore importante à ses yeux. En novembre 1919 en effet (les 16 et 30) était élue la « chambre bleue horizon » des députés formée (d’où la couleur bleue des uniformes) de fort nombreux anciens combattants et – politiquement – d’une alliance centriste et conservatrice ancrée à droite. Au Sénat, analyse Fabien Connord[41] « les élections sénatoriales qui se déroulent [à partir de 1920 (…)] permettent de mesurer le reclassement du radicalisme vers la droite de l’échiquier politique et la résistance de la discipline républicaine dans les esprits de gauche ». Concrètement, voici l’état politique et fractionné des lieux :

  • au niveau national, on l’a rappelé, la chambre des députés est celle du Bloc national, conservateur, républicain et portant à droite ;
  • parallèlement ou plutôt à l’opposé de l’échiquier, viennent en revanche d’être élus des conseils municipaux ancrés à gauche et parfois même au cœur du nouveau parti communiste qui se positionne de façon plus révolutionnaire que la Sfio[42].
Ill. 43 © & coll. perso. Mtd. Extraits de la « une » du Petit Journal du 21 décembre 1919.

A Merville même, la Gauche reprend le pouvoir municipal à la fin du mandat de Victor Ucay qui comprend immédiatement que les élections sénatoriales de 1920, qui éliront non pas une mais deux séries (puisqu’aucun renouvellement n’a été effectué pendant la Première Guerre mondiale), vont être décisives au regard de la composition via les élus locaux et notamment municipaux, « grands électeurs » des sénatoriales. En ce sens, précise toujours Fabien Connord[43] :

« L’essentiel du corps électoral est issu des élections municipales de novembre et décembre 1919. Celles-ci se sont révélées plutôt favorables aux gauches, et « la Haute Assemblée, si souvent représentée comme la « citadelle de la réaction », le Sénat, « obstacle au progrès de la démocratie », prend aujourd’hui, aux yeux de certains partis encore tout meurtris du résultat des élections législatives, l’apparence d’une Assemblée de salut et de redressement[44] ».

Lors des élections municipales de 1919, « on a donc, ici et là, reconstitué le bloc des gauches, sous prétexte de sauver la République, d’affirmer une politique de progrès contre la réaction et le cléricalisme[45] ». Une telle pratique signifie la persistance, au-delà de la Première Guerre mondiale, de la tactique habituelle de rassemblement à gauche et augure d’une telle continuité lors des élections sénatoriales. C’est le vœu de La Dépêche[46] de Toulouse qui lance un appel à l’union des « trois grands fractions du parti républicain ». Dans l’Hérault, les élus socialistes lancent un appel en faveur de leur camarade Camille Reboul, « à côté des deux candidats qui seront désignés par les autres groupements républicains ». Le texte s’inscrit dans « le regroupement de toutes les forces républicaines de gauche qui s’est opéré dans les élections municipales et cantonales ». Dans sa profession de foi, Camille Reboul demande en quelque sorte réparation aux grands électeurs des résultats produits par les élections législatives[47] : « La représentation législative élue le 16 novembre dernier dans le département, ne correspond pas, au point de vue politique, à ce qui s’est dégagé des élections municipales et cantonales. Il faut donc que pour correctif, les Sénateurs que vous élirez le 11 janvier prochain, soient l’expression la plus fidèle des Conseils municipaux, des Conseils d’arrondissement et du Conseil général. En votant pour moi, vous manifesterez donc nettement votre sentiment de réagir contre les résultats du scrutin législatif et aussi contre la Chambre de réaction dont nous sommes dotés ».

On imagine aisément que Victor Ucay, défait aux municipales de 1919 et voyant remonter « les gauches » singulièrement en Haute-Garonne, ait désiré s’impliquer dans ce mouvement de résistance. C’est dans ce contexte qu’il rédigea un « appel » aux grands électeurs auquel on a eu la chance de pouvoir accéder grace aux archives familiales privées. Dans ce document adressé aux « délégués sénatoriaux », c’est-à-dire aux grands électeurs des élections sénatoriales à venir de 1920, Victor Ucay prévient et menace des conséquences graves en cas d’inaction(s). Il commence néanmoins par un constat et une bonne nouvelle au regard du camp républicain libéral auquel il appartient :

« le suffrage universel s’est prononcé dans la Haute-Garonne en faveur du parti libéral » ce qui a permis d’envoyer à la Chambre des députés quatre élus conservateurs sur les sept circonscriptions en jeu. Pourtant, au lieu de revigorer les troupes, ce score n’a pas encore permis la constitution, pour les sénatoriales à venir, de listes libérales ; seules deux « listes radicales » de gauche étant actuellement constituées.

Victor Ucay, ancien capitaine, ne mache alors pas ses mots et ose comparer, au sortir de la Guerre, « l’abandon de la lutte à un moment aussi critique » à « l’abandon du poste devant l’ennemi ». C’est alors l’ancien combattant Ucay qui s’exprime et rappelle à ses concitoyens que lui, depuis 1900 sans discontinuité, a été sous « le drapeau du parti républicain libéral » en combattant notamment son ennemi politique de toujours, le député Jean Cruppi que précisément les élections de 1919 ont renversé.

« Et après une si belle lutte poursuivie pendant vingt années et si bien terminée par la victoire, on viendrait nous dire qu’il faut restaurer ce même Cruppi et le porter sur le pavois ! Quelle aberration ou plutôt quelle abdication » !

« Laissons de côté les mesquines combinaisons politiques » conclut même le capitaine de réserve devenu le « sage » politique de Grenade avant de lancer un franc « Vive la République » qu’on lui reprochait, vingt ans plus tôt, de ne pas assez assumer. C’est bien ici à un dernier sursaut qu’appelait Ucay puisque, même si le document n’est pas formellement daté, il évoque « dimanche prochain » et doit donc avoir été diffusé dans la semaine précédent le dimanche 11 janvier 1920. Malheureusement pour l’animal politique Ucay, c’est encore Jean Cruppi qui allait l’emporter devant lui et son appel n’y suffira pas. En effet, rapporte le Journal officiel des débats du Sénat[48], « MM. Honoré Leygue, Fabien Duchesne, Jean Cruppi et Raymond Blaignan ont été proclamés sénateurs comme ayant réuni un nombre de voix au moins égal à la majorité absolue des suffrages-exprimés et supérieur au quart des électeurs inscrits ».

Ill. 44 © Famille Ucay. Lettre imprimée et appel du docteur Victor Ucay
aux « grands électeurs » des élections sénatoriales (1919).

Mais quittons maintenant l’arène politique pour envisager plus sereinement Victor Ucay comme un amoureux des chevaux et des courses hippiques.

Le rêve réalisé des courses hippiques

En effet, si Victor Ucay n’a pas fini député, il peut s’enorgueillir d’avoir remporté et fait gagner de nombreux prix aux chevaux qu’il accompagnait et élevait. D’où lui vint cette passion ? Vraisemblablement de ce que la famille Ucay était à la tête, on l’a dit avec notamment Barthélémy Ucay, du service local de messageries et de diligences qui avait intégré dans la maisonnée de Grenade des écuries notamment. Dès sa prime enfance, les chevaux accompagnèrent donc Victor.

Ill. 45 © Famille Ucay. Victor Ucay à l’épingle de cravate en fer à cheval (circa 1910).

En 1901, par exemple, la presse locale mentionne[49] à propos d’un concours de Castelsarrasin, que les « primes allouées aux chevaux qui ont pris part au concours » ont gratifié « Utile » un « demi-sang de M. Victor Ucay » ayant reçu trois des primes. Par suite, les prix tombent et s’accumulent. Citons ainsi entre autres, mais parmi tant d’autres :

  • en 1902, une victoire[50] avec un demi sang nommé Alezan au concours de chevaux de Selle ;
  • en 1904 comme en 1926, des succès[51] à des concours de pouliches ;
  • même la presse spécialisée le félicite ainsi que le fait le journal Le Jockey du 18 octobre 1928 à propos  de la vente d’une de ses pouliches Clairette VI, pouliche baie, née en 1925 par Clairon & Finette.

On sait même que la passion des chevaux était telle chez lui, qu’il en créa, à Grenade, le premier champ privé originellement (et désormais public) de courses hippiques : un lieu pour les chevaux et leurs amateurs, un lieu qui – reconnaissance ultime – engendrera après sa mort le fait que plusieurs prix hippiques portent désormais son nom.

Aujourd’hui, du reste, à Grenade-sur-Garonne, l’hippodrome dit de Marianne (devenu propriété publique a priori après la Seconde Guerre mondiale) doit aussi beaucoup aux investissements et efforts de Victor Ucay. Il n’est cependant évidemment pas le lieu dans un article à dominante juridique de s’étendre sur ces questions mais il était impensable de ne pas les mentionner tant les chevaux eurent une place importante dans la vie de l’homme. Deux exemples en témoignent encore : la photo retrouvée par la famille Ucay et reproduite ci-dessus avec leur autorisation ainsi que le port du nom de « prix Ucay » donné, encore en 2021[52] on l’a dit, à plusieurs courses hippiques en considération de l’action qu’il porta pour la cause hippique.


Le professeur Touzeil-Divina tient à remercier la mairie de Grenade-sur-Garonne, l’Université Toulouse 1 Capitole et, surtout, la famille de Victor Ucay pour leur disponibilité et l’accès privilégié à leurs sources.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 352.


[a] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=128.

[b] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Batbie [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 15 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=131.

[c] Touzeil-Divina Mathieu, « Le premier et le second Journal du Droit Administratif (Jda) : littératures populaires du Droit ? » in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. ; Eléments en partie repris in : Journal du Droit Administratif (Jda), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I à IIII [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253, 254 et 255. En ligne depuis : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2651.


[1] Cf. aux archives nationales sous la cote LH/112/3.

[2] Jorf du 07 avril 1899 ; p. 2333.

[3] Profession de foi du candidat Serres publiée dans l’édition du 04 mars 1899 de La Dépêche ; p. 03.

[4] Il est amusant, pour l’anecdote, de se souvenir que la famille Ucay doit l’un de ses élèvements sociaux à l’entreprise, précisément, de « messagerie » et de diligences de Barthélémy Ucay.

[5] Tels que rapportés par La Petite République dans son édition du 22 mars 1899 ; p. 02.

[6] Né le 31 octobre 1845 et décédé le 31 octobre 1917 comme le rapporte l’édition de La Dépêche du 02 novembre 1917 ; p. 03.

[7] La Dépêche, édition de Toulouse du 23 mars 1899 ; p. 03.

[8] La Dépêche évoque ses concurrents de L’Express du midi, du Messager de Toulouse et même du Télégramme qui avait rallié la candidature d’Ucay entre les deux tours.

[9] Rédigé par les archives départementales du ressort ; dans sa version provisoire de 2006 ; p. 41.

[10] La Dépêche, édition de Toulouse du 11 juillet 1901 ; p. 03.

[11] On reviendra infra sur la discussion de ce point.

[12] Ibidem.

[13] Il a même tout fait en ce sens, retiennent quelques témoignages, pour sauver et sauvegarder plusieurs des biens de l’Église (notamment à Grenade-sur-Garonne) lors de la nationalisation et des « partages » de ceux-ci en application des Lois et règlements de séparation des Églises et de l’État.

[14] La Dépêche, édition de Toulouse du 23 avril 1906 ; p. 04.

[15] La Dépêche, édition de Toulouse du 23 juillet 1901 ; p. 02.

[16] L’homme fut Préfet de la Haute-Garonne du 25 juillet 1898 au 20 octobre 1911.

[17] Conseil général de la Haute-Garonne, Rapports et délibérations ; Toulouse, Privat ; 1899.

[18] Ibidem.

[19] On sait que Victor Ucay a effectivement appartenu et même présidé plusieurs sociétés ou mutuelles de ce type (dont la Mutuelle-Bétail de Merville qu’il a présidée) et qu’il a même été un « fer de lance » du mouvement propre au Crédit agricole ; on y reviendra.

[20] In Rec. Sirey ; 1900.III.49.

[21] Ainsi qu’il en ressort par exemple d’une délibération du conseil général de 1892 (aux Rapports et délibérations du Conseil général de la Haute-Garonne préc.).

[22] Ibidem.

[23] Bezbakh Pierre, « Jules Méline (1838-1925), chantre du protectionnisme » in Le Monde ; 29 août 2014.

[24] On qualifiera de « Loi méliniste » toutes les normes issues de cette politique. On doit par ailleurs également à Méline la création du « poireau » avec (ou en) lequel il est souvent caricaturé (c’est-à-dire la médaille du mérite ou parfois dit « Méline » agricole).

[25] Ucay Victor, Conférence sur le crédit agricole ; les caisses régionales et rurales ; Toulouse, 11 mars 1900.

[26] La Dépêche, édition de Toulouse du 11 juillet 1901 ; p. 03.

[27] Ucay Victor, Conférence sur le crédit agricole ; op. cit.

[28] Ibidem.

[29] Ibidem.

[30] Ibidem.

[31] Rozy Henri, Le travail, le capital et leur accord ; Paris, Guillaumin ; 1871.

[32] Y compris la dernière citée.

[33] La Dépêche, édition de Toulouse du 03 août 1936.

[34] La Dépêche, édition de Toulouse du 14 décembre 1902.

[35] Ce que relate La Dépêche, édition de Toulouse du 1er juillet 1902.

[36] Conseil général de la Haute-Garonne, Rapports et délibérations ; Toulouse, Privat ; 1901.

[37] Puis magistrat et notamment avocat général à la Cour de cassation en 1896.

[38] Résultats par exemple annoncés (avec quelques erreurs minimes dues à leur absence d’officialité) dans Le Petit Marseillais du 25 avril 1910.

[39] On apprend même qu’un dénommé Maurice Henri, publiciste (sic) s’était également présenté mais il se serait rapidement désisté.

[40] La Dépêche, édition de Toulouse du 29 mars 1902 ; p. 04.

[41] Connord Fabien, Les élections sénatoriales en France ; 1875-2015 ; Rennes, Pur ; 2020 ; p. 75.

[42] Section française de l’Internationale ouvrière fondée en 1905 et qui deviendra le Parti socialiste.

[43] Ibidem.

[44] Le Petit Courrier, 6 janvier 1920 cité par F. Connord.

[45] Le Temps, 9 décembre 1919 cité par F. Connord.

[46] La Dépêche de Toulouse, 30 décembre 1919 ; id.

[47] Archives Départementales 4 AD Hérault, 3 M 1306, élections sénatoriales 1920 ; citées par F. Connord.

[48] Jorf – débats du Sénat ; 2e séance du 13 janvier 1920 ; p. 07.

[49] La Dépêche, édition de Toulouse du 24 septembre 1901 ; p. 02.

[50] La Dépêche, édition de Toulouse du 27 juin 1902.

[51] La Dépêche, éditions de Toulouse des 17 mai 1904 & 11 juillet 1926.

[52] Retenons par exemple le prix Victor Ucay matérialisé le 04 octobre 2020 à Agen et ayant consacré Marahill Girl ; le même prix (toujours à Agen) le 14 mars 2021 en « galop plat » au profit de True Amitié et même, à Grenade-sur-Garonne, le prix Victor Ucay du 15 août 2020.

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ParJDA

Victor UCAY, l’avocat propriétaire notamment marié à l’Armée

Art. 351.

Par M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina,
fondateur et directeur du Journal du Droit Administratif,
professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IMH

Le présent article est dédié à M. le professeur B. Pacteau
– en respectueux hommage –
ainsi qu’à la famille de M. Victor Ucay

Des fondateurs aux lecteurs. Le Journal du Droit Administratif (Jda) a été fondé en 1853 et ce, notamment par les professeurs de la Faculté de Droit de Toulouse, Adolphe Chauveau[a] (1802-1868) et Anselme (Polycarpe) Batbie[b] (1827-1887). Il nous a été donné, déjà, non seulement de leur rendre un juste hommage et tribut mais encore de revenir sur l’histoire même[c] du premier (et pérenne) média spécialisé dans la branche dite publiciste du droit administratif. Après nous être ainsi intéressés à ses fondateurs et à ses promoteurs, penchons-nous maintenant sur leurs lecteurs.

Il nous a alors semblé intéressant – dans le cadre de la section « Histoire(s) du Droit Administratif » – de mettre ici en lumières – en cinq articles ainsi répartis – les éléments que nous avions trouvés, entre droit administratif, histoire locale et politique mais aussi généalogie, concernant Victor Ucay (1856-1950) :

III. Victor Ucay,
l’avocat propriétaire
notamment marié à l’Armée

Le propriétaire Victor Ucay. Si, comme on le verra, le « métier » ou la fonction principale de Victor Ucay a officiellement été celle de militaire, outre ses compétences juridiques et son titre d’avocat au Barreau de Toulouse, il faut également citer ici sa principale source de revenus (outre sa vocation hippique sur laquelle on reviendra infra) : celle de « propriétaire » agricole et terrien. Là encore, l’étendue et la diversité des facettes du personnage étonne. On le retrouve à la tête d’une coopérative des cornichons, d’un élevage sylvicole de peupliers, de chais pour ses vignes, etc.

Ill. 19 © Famille Ucay. Une des cartes de visite de type commerciale
du « propriétaire » Victor Ucay (circa 1880).

Maître & docteur Ucay. Avant même celui de « docteur en droit » avec lequel il signait parfois, y compris officiellement, le premier titre dont Victor Ucay était fier était celui d’être (ou d’avoir été) avocat. A titre personnel, cependant on ignore presque tout sur cette fonction d’auxiliaire de la Justice. On sait, certes, qu’il fut rattaché d’abord au Barreau de Toulouse à partir de 1879 vraisemblablement ce qui correspond au moment où, après avoir conquis en novembre 1877 le grade de licencié en Droit, il s’est dirigé vers les affaire contentieuses mais ce, a priori, seulement en fin d’année 1878 voire aux débuts de 1879. En témoigne précisément le numéro du Jda reçu en juillet 1878 et sur lequel il n’est encore identifié que comme « étudiant en droit » et non en qualité d’avocat. Cela dit, peut-être que le Jda n’avait pas encore répercuté l’information. En tout état de cause c’est bien entre 1878 & 1879 que cette inscription au Barreau de Toulouse se fit c’est-à-dire au moment où l’ordre était dirigé par Henri Ebelot (1831-1902) de 1877 à 1879 ou même lorsque (de 1879 à 1881) Joseph Timbal (1856-1905), l’un des premiers promoteurs du droit constitutionnel à la Faculté de Droit de Toulouse, y accéda.

Ces premiers éléments actés, il faut avouer que l’on n’a pas encore retrouvé d’archives sur son activité contentieuse. Était-il lié à d’autres avocats ? S’était-il spécialisé ? Avait-il brillé dans l’un des tribunaux du ressort toulousain ?

C’est un quasi-mystère. Les ouvrages référents sur l’histoire des avocats et du Barreau de Toulouse[1] ne le mentionnent à aucun moment et même la lecture de la presse locale ne permet pas d’avoir des renseignements sur la question. Il semble même ne pas participer par exemple aux travaux de l’Académie de législation[2] comme l’on fait plusieurs notables toulousains singulièrement pour les docteurs en Droit s’étant confrontés à l’exercice de la recherche.

En revanche, on sait qu’il participa à une autre société savante juridique et toulousaine : la Société de Jurisprudence de Toulouse. Fondée en 1812 notamment par le magistrat Antoine François Héloin (1779-circa 1860), la société comptait 24 membres à son origine et prit pour devise « crescit eundo » afin de montrer sa croissance évolutive. Comme l’indique, en 1880, l’avocat, collègue de Victor Ucay, docteur en Droit et futur Bâtonnier de l’Ordre, Paul Desarnauts (1856-1922), la Société avait essentiellement trois sortes de travaux[3] : « plaidoiries, discussions, débit oratoire ». Et, à lire, les comptes-rendus de ses activités, il s’agissait surtout de formes de procès fictifs où les uns et les autres s’affrontaient en des joutes oratoires mais aussi écrites. Il arrivait même que la société offrit son concours à l’instar d’une clinique juridique[4] à des parties qui la consultait et l’on ne doute pas que c’est à cet égard, en particulier, que Victor Ucay eut plaisir à y participer. Plusieurs documents issus des archives privées de la famille attestent de la présence de Maître Ucay aux travaux de ladite Société.

Ill. 20 © Famille Ucay. Liste des 35 membres résidents (dont Victor Ucay)
de la Société de Jurisprudence (circa 1879).
Ill. 21 © Famille Ucay. Première page du nouveau règlement
de la Société de Jurisprudence de Toulouse (1879).

On sait ainsi grâce aux « papiers de famille Ucay » qu’en 1879 Victor Ucay (qui reçut copie du nouveau règlement de la société ; cf. supra doc. 21) faisait partie de ses « 35 » membres résidents. Un autre document (cf. supra doc. 20) le mentionne au crayon de bois comme « Président » de ladite institution. (…) .

Au 13 septembre 2021, on a reçu entre temps un nouveau document confirmant le pressentiment émis ci-vant : en 1887 – au moins – Victor Ucay fut bien président de la société de Jurisprudence toulousaine comme en témoigne cette nouvelle archive retrouvée :

Ill. 21 BIS © Famille Ucay.

On signale par ailleurs le caractère « sélectif » de cette société aux 35 membres résidants (pas un de plus !) et devant régulièrement, au décès ou au départ de l’un d’entre eux, renouveler ses membres ce dont atteste le document 20. sur lequel la main de Victor Ucay a biffé ou agrémenté d’une croix les noms des anciens membres de l’année passée (1878 ?) partis de l’association et devenus pour certains membres seulement « affiliés ».

Par ailleurs, si l’on en croit ses descendants (et l’on ne peut que les croire !), Maître Victor Ucay n’aurait même peut-être jamais plaidé. Il était conseiller juridique et, du reste, manifestement fréquemment consulté pour ce faire. Il était un juriste prêt à proposer ses services et ses conseils, mais a priori, même si on le décrit excellent orateur, il n’aurait pas plaidé ses affaires.

Voilà encore une conception très moderne des fonctions d’avocat qui allaient devenir celles d’avocat-conseil. On sait même que l’une de ses qualités était d’être si à l’écoute de ses contemporains qu’il en aurait été un « marieur » hors pair, capable de conseiller là encore les unes et les uns sur leurs possibilités de rencontrer et de former de beaux mariages.

Seule certitude, Maître Ucay même lorsqu’il fut intégré à l’Armée (on y reviendra) portera longtemps (sinon toujours) comme en sautoir son titre d’avocat. En 1892, ainsi, on retrouve cette mention (même s’il ne plaide peut-être déjà plus) sur un faire-part de deuil mentionnant le décès de Jean Dubor (1813-1892), un grand-oncle maternel de Victor, du côté de la branche Garres. On retrouve ici l’une des caractéristiques des juristes (bien loin d’être propre à Victor Ucay) : le besoin d’affirmer ses titres et de les revendiquer. Ainsi, dans le faire-part ci-dessous publié, rares sont les personnes à faire mention de leurs titres : seul un notaire et deux avocats (dont Victor Ucay) le font aux côtés d’un abbé et d’un capitaine.

Ill. 22 © & coll. perso. Mtd. Faire-part de deuil de M. Jean Dubor (1813-1892)
faisant apparaître au convoi funéraire, « Monsieur Victor Ucay, avocat ».

Le premier mariage : à la famille de Guibert. C’est le 28 novembre 1899, à Auterive (arrondissement de Muret, en Haute-Garonne) que Victor Ucay, alors âgé de quarante-trois ans, épouse[5] une Toulousaine noble et issue d’une grande famille militaire : Julie-Marie[6] (Joséphine Adèle Victorine) de Guibert (1872-1917), fille de (Marie Eudore) François de Guibert (1841-1892), propriétaire à Auterive, et de Louise (Paule Marquette (sic) Marie Joséphine) Balby de Monfaucon (1839-1915), descendante du Baron Joseph de Cabalby (1732-1807), son trisaïeul, Seigneur du Château de Monfaucon à Latrape ; son bisaïeul étant Honoré de Balby de Monfaucon (1801-1886), officier des haras royaux (de 1820 à 1832).

Il s’agit là d’une très belle union pour les deux familles et, sans grand étonnement, même si la thèse de doctorat en droit du docteur Ucay avait porté sur le régime dotal[7] de la femme, on imagine que la noble famille de la mariée en particulier y préféra un contrat de mariage qui fut, en l’occurrence, signé à l’étude d’Auterive de Maître Cuzès.

Ill. 23 © Ad 31. Extrait du registre municipal d’état civil d’Auterive (1899)
 – AD 31 ; 2 E IM 1931 – Auterive 1 E 31.
Ill. 24 © Ad 31. Extrait du registre municipal d’état civil d’Auterive (1899)
 – AD 31 ; 2 E IM 1931 – Auterive 1 E 31 avec signature autographe de Victor Ucay.

Victor et Marie-Julie donneront naissance à au moins trois enfants selon nos recherches :

  • Jean (Louis Marie) Ucay (1903-1949) qui épousera Yvonne (Maie Claire) Douzans[8] (1911-1999) et qui reprendra la charge des terres agricoles ainsi que deux filles :
  • Marie (Hippolyte Victoria) Ucay (1904-2002) qui épousera l’officier de marine Jacques (Paul Eugène Henri) Prim (1905-1962)
  • ainsi que Madeleine (Anne Marie Marguerite) Ucay (1905-1945) qui convolera également en noces avec un haut-serviteur de l’armée française, André (Eugène Justin Joseph Adel) Bourret (1900-1974), médecin et officier de Marine.

Ainsi, à l’exception de son fils qui reprendra la tradition agricole et propriétaire des Ucay, les deux filles de Victor seront mariées à des militaires comme leur père. On a même retrouvé traces d’un faire-part de mariage de la troisième des filles Ucay en 1928. Sur ce document, tous les titres les plus prestigieux de Victor Ucay figurent : son doctorat en droit de 1881, sa Légion d’Honneur de 1918 (on y reviendra) mais non plus – comme disparu ou d’importance moindre – sa qualité première d’avocat.

Ill. 25 & 26 © & coll. perso. Mtd. Faire-part de mariage des familles Ucay & Bourret (1928).

Un mot peut-être, désormais, sur les lieux d’habitation connus de Victor Ucay :

  • à partir de sa naissance, on sait qu’il grandit dans la maison familiale de Grenade-sur-Garonne, rue Gambetta (alors nommée rue Notre-Dame (puisque partant de l’église Notre-Dame de Grandselve) ; maison où décéda également le 06 août 1870 son grand-père, Barthélémy Ucay (1805-1870) et les deux ascendants de ce dernier) ;
  • comme étudiant à Toulouse (au moins a priori de 1874 à 1881 jusqu’au doctorat) et peut-être dans ses débuts comme avocat, on sait qu’il logeait au 01, rue du Fourbastard près du Capitole là où le numéro de 1878 du Jda lui fut adressé ;
  • à son décès, on le signale, comme un retour, rue Gambetta (dans la maison familiale où son père même décéda le 02 novembre 1903) à Grenade-sur-Garonne.

Entre temps, outre le domaine et les chais de Grenade, on lui connaît[9] plusieurs lieux de résidence toulousains (peut-être issus de la famille de son épouse) et notamment ceux où naquirent ses enfants :

  • Jean est ainsi identifié le 11 mai 1903 comme né au 21 de la rue des 36 ponts à Toulouse ; rue qui devint en 1920 une partie de l’école Saint-Louis de Gonzague, immeuble qui fut intégré en 1929 au désormais Lycée Montalembert ; cette rue se trouve à proximité immédiate du Palais de Justice mais s’agissait-il d’un lieu d’habitation ou seulement d’un lieu d’accouchement, on ne le sait ;
  • Marie & Madeleine, quant à elles, sont respectivement nées les 28 juin 1904 et 10 novembre 1905, rue Pharaon, à Toulouse toujours non loin du Palais et de la précédente localisation. Ceci nous pousse à croire que même s’il ne plaida peut-être pas, Victor Ucay eut ses habitudes à proximité du Palais de Justice.

Le second mariage : à l’Armée française. Est-ce pendant l’un des cours de procédure civile enseigné par le futur doyen Bonfils que la vocation militaire de Victor Ucay naquit ? On ne le sait !

En revanche, la lecture du Registre de la Faculté de Droit signale[10] une protestation dudit professeur rédigée en ces termes : « M. Bonfils ayant insisté de plus fort (sic) pour que l’autorité militaire veilla à ce que le passage des troupes avec musique et clairons n’eut pas lieu devant les locaux de la Faculté pendant l’heures des cours », le doyen Dufour avait été mandaté pour agir. Anecdote à part, si l’on sait avec précision (le 28 novembre 1899) quand Ucay épousa Mademoiselle Guibert, on ne sait en revanche quand lui vint la vocation militaire ni même son entrée officielle au service de la Grande Muette. Il y a d’ailleurs un certain paradoxe (pour ne pas dire un amusement) à considérer Victor Ucay, dont on a déjà pu apprécier les talents d’orateur et la verve, à être intégré dans une administration militaire dans laquelle le secret et l’absence de parole sont censés être rois. Plusieurs archives témoignent, cela dit, de son ascension dans les différents grades de l’Armée.

Ill. 27 © Famille Ucay. Certificat du 19 juillet 1877
du 17e corps d’armée du Train relatif à l’aptitude du volontaire Victor Ucay (1877).

En 1877, ainsi, on sait (grâce à une archive détenue par la famille) qu’un certificat daté de juillet 1877 atteste que le 17e corps d’armée (celui dans lequel il va gravir tous ses échelons) « certifie que le sieur Ucay Victor, examiné dans la séance du 19 juillet 1877 sur son aptitude hippique comme candidat au volontariat d’un an » et qu’il en a « mérité la note : sait bien monter à cheval (sic)».

On peut alors aisément imaginer qu’à la suite de cet enrôlement volontaire, Victor Ucay serait devenu simple soldat engagé puis officier. On relève, cela dit, que c’est (déjà ou encore) via les chevaux que Victor Ucay intégra l’armée. En 1887, ainsi, on le connaît sous le titre de « sous-lieutenant » du Train des équipages. Un article[11] de la Dépêche, en effet, relate un terrible incendie du 25 précédant, à Grenade, au sein de l’usine Jougla (une fabrique de caisses). Et le journal précise alors qu’on remarqua sur les lieux du sinistre plusieurs notables et autorités dont MM. « Barcouda, maire et conseiller général », les forces de l’ordre, l’instituteur et « Victor Ucay, sous-lieutenant du train des équipages ». On reviendra plus tard sur l’importance d’Auguste (Jean Antoine Marie) Barcouda (1830-1898), maire et conseiller général de Grenade-sur-Garonne. Concentrons-nous d’abord sur le lieu d’affectation militaire du sous-lieutenant (puis lieutenant puis capitaine) Ucay.

Il s’agit du 17e Etem, l’escadron du Train des équipages militaires, cantonné à Montauban et rattaché au 17e corps d’armée. Le « Train », rappelons-le, était une Arme autrefois indépendante et distincte de l’Armée de Terre à laquelle elle a été réintégrée. Le Train organise essentiellement la logistique des Armées en en coordonnant la gestion matérielle (du ravitaillement aux munitions) et ce, pour éviter comme avant l’Empire que l’Armée ne dépende de services et d’entreprises privées. C’est au printemps 1875, après la guerre franco-prussienne, que le Train est singulièrement réorganisé et monte en compétences et en besoins ce qui explique, peut-être, le recrutement d’Ucay à cette même époque (vraisemblablement entre 1878 et 1885).

Gravissant les échelons de son corps d’Arme, on retrouve Ucay devenu Capitaine du 17e du Train des équipages pendant la Première Guerre mondiale. Il est cité en ce sens dans plusieurs documents dont le fascicule retraçant l’histoire de cet escadron[12]. C’est à ce titre, de Capitaine, qu’au cours des hostilités, il est cité et promu Chevalier de l’ordre national de la Légion d’Honneur. Un arrêté du 30 juillet 1916 officialise cette décoration en application d’un décret du 13 août 1914. Dès le 20 juillet suivant, il fut même autorisé non seulement à porter en public sa décoration mais encore à recevoir, à compter de ce moment, un traitement militaire supplémentaire de 125 francs par semestre. Il sera inscrit en ce sens au registre de la Grande Chancellerie sous le numéro 127388. Son dossier[13] archivé dans la base dite « Léonore » des légionnaires français mentionne du reste un incident administratif puisqu’il y est indiqué qu’en 1922 il aurait égaré son « livret de Chevalier », livret lui permettant de réclamer chaque semestre sa pension au Trésor public. Plusieurs documents témoignent de cet accident.

Quatre photos du 17. Il nous a été permis, et l’on en remercie une nouvelle fois la famille des descendants de Victor Ucay, de consulter et de diffuser ici quatre photographies originales

  • du sous-lieutenant
  • puis du capitaine Ucay en uniforme du 17e escadron à plusieurs moments de son existence.
Ill. 28 © Famille Ucay. Victor Ucay,
nouvellement intégré au 17e escadron du Train (circa 1890).
Ill. 29 © Famille Ucay. Victor Ucay,
sous-lieutenant du 17e escadron du Train (circa 1900).
Ill. 30 © Famille Ucay. Victor Ucay,
capitaine du 17e escadron du Train (1915).
Ill. 31 © Famille Ucay. Victor Ucay,
ancien capitaine du 17e escadron du Train, en famille (circa 1920).

Le professeur Touzeil-Divina tient à remercier la mairie de Grenade-sur-Garonne, l’Université Toulouse 1 Capitole et, surtout, la famille de Victor Ucay pour leur disponibilité et l’accès privilégié à leurs sources.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 351.


[a] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=128.

[b] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Batbie [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 15 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=131.

[c] Touzeil-Divina Mathieu, « Le premier et le second Journal du Droit Administratif (Jda) : littératures populaires du Droit ? » in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. ; Eléments en partie repris in : Journal du Droit Administratif (Jda), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I à IIII [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253, 254 et 255. En ligne depuis : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2651.

[1] Gazzaniga Jean-Louis, Histoire des avocats et du Barreau de Toulouse ; Toulouse, Privat ; 1992 et Etudes d’histoire de la profession d’avocat ; Toulouse, Put1 ; 2004 ; y compris au chapitre sur les avocats ayant refusé la République (1814-1873).

[2] Là encore, même « la » thèse référente en la matière ne le mentionne pas : Boyer Pierre-Louis, L’académie de législation de Toulouse (1851-1958) : un cercle intellectuel de province au cœur de l’évolution de la pensée juridique ; Toulouse, 2010 ; thèse multigraphiée de l’Université Toulouse 1 Capitole.

[3] Desarnauts Paul, discours prononcé le 17 novembre 1879 sur La Société de Jurisprudence de Toulouse (1812-1880) ; Toulouse, Privat ; 1880 ; p. 12.

[4] Ibidem ; p. 18.

[5] Son acte figure aux archives départementales de la Haute-Garonne sous la cote 2 E IM 1931 – Auterive ; 1 E 31 registre d’état civil : naissances, mariages, décès (collection communale) (1895-1899) ; p. 235 et s.

[6] Elle est née à Toulouse le 18 septembre 1872 (au 19 de la rue des Coffres) et décèdera le 18 septembre 1917 à La Dupine, à Merville où son mari fut premier édile.

[7] On en rappelle le titre : Pouvoirs du mari sur la personne et les biens de la femme en droit romain ; Du régime dotal avec société d’acquêts en droit français ; Toulouse, Creyssac & Tardieu ; 1881.

[8] Impossible en conséquence de ne pas signaler ici la parenté d’un autre juriste toulousain contemporain : M. Jean-Michel Eymeri-Douzans, professeur de sciences politiques à l’IEP de Toulouse, face à la Faculté de Droit.

[9] En particulier grâce à la lecture des registres d’état civil conservés aux archives municipales de Toulouse.

[10] D’après la séance délibérée le 03 février 1877 ; p. 104 du Registre préc.

[11] La Dépêche, édition de Toulouse du 29 septembre 1887 ; p. 03.

[12] Historique du 17e escadron du train des équipages pendant la guerre 1914-1918 ; Nancy, Berger-Levrault ; 1937 ; p. 38.

[13] Aux archives nationales sous la cote LH/2655/38.

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ParJDA

Trois dates communes au droit administratif & à Victor Ucay

Art. 350.

Par M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina,
fondateur et directeur du Journal du Droit Administratif,
professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IMH

Le présent article est dédié à M. le professeur B. Pacteau
– en respectueux hommage –
ainsi qu’à la famille de M. Victor Ucay.

Des fondateurs aux lecteurs. Le Journal du Droit Administratif (Jda) a été fondé en 1853 et ce, notamment par les professeurs de la Faculté de Droit de Toulouse, Adolphe Chauveau[a] (1802-1868) et Anselme (Polycarpe) Batbie[b] (1827-1887). Il nous a été donné, déjà, non seulement de leur rendre un juste hommage et tribut mais encore de revenir sur l’histoire même[c] du premier (et pérenne) média spécialisé dans la branche dite publiciste du droit administratif. Après nous être ainsi intéressés à ses fondateurs et à ses promoteurs, penchons-nous maintenant sur leurs lecteurs.

Il nous a alors semblé intéressant – dans le cadre de la section « Histoire(s) du Droit Administratif » – de mettre ici en lumières – en cinq articles ainsi répartis – les éléments que nous avions trouvés, entre droit administratif, histoire locale et politique mais aussi généalogie, concernant Victor Ucay (1856-1950) :

II. Trois dates communes
au droit administratif
& à Victor Ucay

1856 : année de naissance
de Victor Ucay
& du droit administratif toulousain ?

Ill. 05 © Ad 31. Extrait du registre municipal d’état civil de Grenade (1856)
 – AD 31 ; 2 E IM 2015 – Grenade 1 E 24.

C’est en mai (le 02) de l’année 1856 qu’est né (Pierre Jean) Victor Ucay, à Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne) à moins de trente kilomètres de Toulouse. Les archives départementales de Haute-Garonne[1] possèdent son acte de naissance avec mention de celui de son décès[2] comme suit :

« Le quatrième jour du mois de mai 1856, à deux heures du soir, acte de naissance de Pierre Jean Victor Ucay, né à Grenade le deux du courant à trois heures du soir, fils de M. Jean Ucay, propriétaire et de Dame Bernarde Victorine Garres, mariée, demeurant à Grenade.
Le sexe de l’enfant a été reconnu être Masculin. Le premier témoin, M. Alexis Caussé, propriétaire, âgé de quarante ans ; second témoin, M. Pouilh (sic) Mesurand, âgé de trente-huit ans, tous deux demeurant à Grenade. Sur la réquisition à nous faite par M. Jean Ucay, père de l’enfant, lecture du présent acte a été par nous faite, aux comparants et témoins qui ont signé avec nous de ce requis, constaté suivant la Loi, par nous adjoint au Maire de Grenade, faisant la fonction d’officier public de l’état civil par délégation spéciale
 ».

Ill. 06© Ad 31. Extrait du registre municipal d’état civil de Grenade (1856)
 – AD 31 ; 2 E IM 2015 – Grenade 1 E 24.

Il est par suite intéressant (et peut-être amusant) de se demander quel était l’état de l’enseignement du droit administratif à la même époque. On sait[3] qu’à Toulouse le droit administratif a été enseigné bien avant qu’Hauriou n’y règne en maître à partir de 1888. Dès l’Ancien Régime, des éléments de droit public sont ainsi diffusés et enseignés tant dans des structures privées (on songe à l’Institut Paganel) que publiques (à la Faculté de Droit) mais ces cours sont rarement pérennes et les écrits peu publiés. Ainsi, ce n’est effectivement pas en 1856 que naît au sens premier le droit administratif à Toulouse. Il faut citer à cet égard ses premiers promoteurs parmi lesquels les deux professeurs de Bastoulh[4] (en 1806-1808 puis en 1829-1830), l’avocat Romiguière(s)[5] (en 1830) mais surtout Adolphe Chauveau qui enseigna le droit administratif à Toulouse de 1838 à 1868, c’est-à-dire de façon enfin pérenne. Toutefois, pendant cette affirmation du droit public, essentiellement sous la Monarchie de Juillet, on relève qu’un regain d’intérêt et – disons-le – de notabilité du droit public ne se fera que sous le Second Empire avec trois événements convergents :

  • l’adjonction d’un suppléant du professeur Chauveau en droit public : Anselme-Polycarpe Batbie qui enseignera aux côtés de son collègue de 1852 à 1857 avant de rejoindre Paris, sa Faculté et ses ministères ;
  • la création, par les deux susnommés en 1853, du Journal du Droit Administratif ;
  • et la prise en compte véritable, après plusieurs années de lutte académique, du caractère scientifique et juridique du droit public.

En effet, alors que dans les premières années de son enseignement (à Toulouse comme ailleurs), le droit administratif fut d’abord rangé parmi les matières accessoires (sinon inutiles selon d’aucuns) aux étudiants en Droit (ses enseignants étant par exemple dispensés de participer aux examens), les années 1850 vont au contraire parachever la reconnaissance académique du droit public et permettre, même, sous la Troisième République, l’arrivée de l’enseignement diffus (et non réservé) du droit constitutionnel.

On peut donc affirmer qu’en 1856, à Toulouse mais en France de manière générale, au moment où naissait Victor Ucay, le droit administratif naissait également en tant que branche juridique et matière d’enseignement du Droit « véritable » et véritablement reconnue.

1877-1878 : les études juridiques
de Victor Ucay
& le « nouveau » Jda

De la famille Ucay. On dispose de plusieurs informations sur les parents de Victor Ucay. Son père, Jean Ucay (1828-1903) et sa mère, (Bernarde) Victorine Garres, (1834-1895) étaient des propriétaires bourgeois, a priori financièrement aisés. Ainsi, Jean est-il souvent, comme Victor, désigné ou identifié publiquement et professionnellement comme « propriétaire » dans les actes d’état civil et son épouse est elle-même la descendante de Pierre Garres (1798-1879) également propriétaire à Cambebrats-Aucamville aux côtés de Jeanne Pétronille Bacalerie (1810-1888), fille d’un négociant dénommé Thomas Jean Bacalerie (1784-1856).

Ill. 07 © Famille Ucay. Extrait d’un papier à en-tête de l’entreprise familiale Ucay
au nom du grand-père de Victor, Barthélémy Ucay ;
il s’agit des services postaux, de diligence et/ou de messageries (circa 1840).

Si l’on remonte du côté des ascendants[6] paternels du patronyme Ucay on trouve alors principalement des propriétaires mais aussi deux traditions professionnelles : celle d’entrepreneur de diligences et messageries assurée par son grand-père (Barthélémy Ucay (1805-1870)) et son arrière-grand-père (Jean Ucay (1765-1837)) et celle de paysan (et plus précisément laboureur ou brassier, c’est-à-dire ouvrier agricole proposant ses bras) même si son arrière-arrière-grand-père (Etienne Séverin Ucay (1741-1814)) semble être celui qui, avec la Révolution française, a le premier réussi à s’élever socialement. Il décède en effet sous l’appellation de « propriétaire cultivateur » alors que la plupart de ses ascendants ne sont « que » brassiers ou laboureurs ; c’est le cas de son quadrisaïeul Jean Pierre Ucay (1703-1761) identifié comme « travailleur, brasseur ». On porte à notre connaissance la mention a priori de deux sœurs, dont Marie Barthélémye (sic) Ucay, malheureusement décédées très peu de temps après leurs naissances. On ne connaît a priori pas d’autres enfants ce qui fait de Victor un « enfant-roi », fils unique de facto alors que la tradition familiale est plutôt celle d’avoir de généreuses fratries à l’instar de celle engendrée par son bisaïeul Jean Ucay, père de huit enfants… dont sept filles[7] il est vrai ! Un élément, dans l’arbre généalogique, nous a par ailleurs – un instant – troublé. On signale en effet la mort d’une Dame Garres en janvier 1895 (par ex. dans La Gironde) sous le nom de Mme Gabriel Coutaut née Garres. On aurait pu imaginer qu’il s’agissait de la mère de Victor non seulement parce que le nom coïncide mais encore parce que la présence de notre homme y est avérée (à Bordeaux) au convoi funéraire[8]. Toutefois, il ne figure pas aux côtés de ses enfants, parmi les premières personnalités citées.

Ill. 08 © & coll. perso. Mtd. Extraits de La Gironde du 09 janvier 1895 ; p. 03.

A priori, confirment la famille et la marie de Grenade, Mme Victorine Ucay née Garres est inhumée au sein du caveau familial à Grenade. Pourtant, dans cette même commune, son acte de décès est – en l’état – introuvable et au moment où elle meurt (janvier 1895) cette autre Mme Garres meurt à Bordeaux et est manifestement liée aux Ucay puisque Victor est présent au convoi comme il est associé aux remerciements parus dans la presse quelques jours après (cf. La A priori, confirment la famille et la marie de Grenade, Mme Victorine Ucay née Garres est inhumée au sein du caveau familial à Grenade. Pourtant, dans cette même commune, son acte de décès est – en l’état – introuvable et au moment où elle meurt (janvier 1895) cette autre Mme Garres meurt à Bordeaux et est manifestement liée aux Ucay puisque Victor est présent au convoi comme il est associé aux remerciements parus dans la presse quelques jours après (cf. La Gironde du 15 janvier 1895). Deux hypothèses en conséquence : soit cette Mme Garres est une proche de la mère de Victor, soit ladite mère se serait remariée à Bordeaux avec un dénommé Gabriel Coutaut. Cette hypothèse est cependant rapidement écartée. Concrètement, deux dames Garres sont bien décédées en janvier 1895 et l’une d’entre elles était la mère de Victor (même si, sans avoir trouvé encore son certificat de décès on ignore si elle est décédée aussi à Bordeaux (comme l’indiquent certaines sources et arbres généalogiques) ou si elle s’est éteinte à Cambebrats-Aucamville (31). Quant à celle du convoi funéraire préc. il s’agit en fait, nous apprend la famille, de la nièce de Victor : Marguerite Garres.

Ill. 09 © & coll. perso. Mtd. Frontispice du Traité de la maladie vénérienne
du docteur en Médecine de Toulouse, Gervais Ucay (1699).

Autre élément historique concernant la famille, elle est a priori liée, en région toulousaine toujours, au docteur en médecine, Gervais Ucay, à qui l’on doit un extraordinaire (et étonnant) Traité[9] de médecine au XVIIe siècle.

A la lecture du Dictionnaire[10] historique de la médecine ancienne et moderne, on apprend à son sujet que le docteur Ucay avait émis une thèse théologiquement simple : la fornication hors mariage serait la mère de tous les vices et de toutes les maladies sur terre. L’auteur s’exprimant en ces termes : « Nous pouvons dire (…) que Dieu ayant toujours eu en horreur le péché de fornication, il l’a aussi en tous les temps du monde fait suivre d’une infinité de malheurs et de maux corporels, parmi lesquels on doit compter la vérole comme une suite de l’impureté, et l’apanage que Dieu promet aux débauchés ».

Victor Ucay étudiant & lecteur du Jda. En 1878, Victor Ucay a vingt-deux ans et c’est l’année où il reçoit donc ce numéro « perdu » du Journal du Droit Administratif. Quel est alors son parcours estudiantin ? On connaît, grâce aux archives universitaires[11], très exactement son parcours et l’obtention de ses diplômes qui se sont organisés comme suit :

  • le 1er décembre 1874, Victor Ucay obtint son baccalauréat ès Lettres ce qui lui permit de prendre sa première inscription pour suivre les cours de première année en Droit près la Faculté de Droit de Toulouse, à compter de cette même époque (automne 1874) ;
  • le 18 décembre 1876, il obtint sa première année en Droit et le 21 suivant on lui remit son diplôme de Bachelier en Droit ;
  • le 06 juillet 1877, il conquit sa deuxième année de Licence en Droit ;
  • le 11 août 1877, il soutint, en suivant sa thèse de Licence ; examen consistant à soutenir devant un jury des aphorismes alors qualifiés de « positions de thèses[12] » et reçu le 16 novembre 1877 son diplôme de licencié en Droit lui permettant d’accéder à l’avocature ;
  • il entama ses examens de doctorat en 1878 (inscription prise le 17 juillet au moment même où il était lecteur du Journal du Droit Administratif) ;
  • et soutint sa thèse de doctorat en droit le 18 juillet 1881 (ses droits étant acquis le 20 suivant).
  • On sait même qu’il participa (et paya pour se faire) en 1876, 1877 & 1878 à des conférences facultatives.

Victor ne fut ainsi pas le meilleur étudiant de sa promotion mais ses résultats sont tout à fait honorables. Il ne fait ainsi pas partie des lauréats ou médaillers, chaque année, des prix de la Faculté mais on connaît, grâce aux archives, ses résultats à tous ses examens.

Ill. 10 © Ut1. Archives de l’Université Toulouse I Capitole,
5Z3, fiche d’étudiant de Victor Ucay, recto.

En effet, la fiche universitaire d’étudiant de Victor Ucay indique, au verso, les « boules obtenues » à chacun de ses examens.

Rappelons à cet égard[13], qu’à cette époque, les étudiants devaient répondre aux questions d’un jury formé de trois (pour le baccalauréat), quatre (pour la licence) ou cinq (pour le doctorat) examinateurs. Ce jury posait des questions sur toutes les matières d’examen qui n’étaient pas forcément les matières suivies dans l’année par l’étudiant. L’interrogation durait au moins une heure au bout de laquelle chaque juré déposait une bille de bois ou verre dans une urne. Selon la couleur de cette boule on connaissait l’appréciation anonyme du jury et on en déduisait, à la majorité, l’échec ou la réussite de l’impétrant. Pour le baccalauréat par exemple, les étudiants devaient subir un examen pour chacune des deux années. Ils étaient donc notés, en tout, par six professeurs (soit six boules différentes de couleur). Pour parvenir à la licence, il fallait encore ajouter deux nouveaux examens oraux (soit huit boules différentes) ainsi qu’une soutenance de thèse en la présence de cinq examinateurs. Autrement dit, une fois toutes ces billes ajoutées, on constate ainsi que l’explique le doyen Foucart[14] (1799-1860) que « le mérite des épreuves à subir pour arriver au grade de licencié [était] apprécié par 19 boules[15] (…) blanches, rouges ou noires ». La couleur noire était celle de l’échec, le blanc celle de la réussite et le rouge traduisait un examen tout juste moyen. Aussi[16], « tout scrutin sur une desdites épreuves dans lequel le candidat [avait] deux boules noires entraîn[ait] de plein droit l’ajournement ». En revanche l’unanimité de boules blanches emportait la proclamation : « reçu avec éloges ».

Ill. 11 © Ut1. Archives UT1, 5Z3, fiche d’étudiant de Victor Ucay, verso.

Qu’en fut-il s’agissant de l’étudiant Ucay ? Sur les 34 boules qu’il obtint de sa première année en Droit au doctorat, on recense :

  • Aucune boule noire ;
  • 16 boules rouges ;
  • et logiquement 18 boules blanches, symbole d’excellence.

Le bilan est donc globalement « très » positif mais il ne s’agit pas de l’étudiant « modèle » ou brillant en toute occasion académique.

Ucay, étudiant à la Faculté de Droit de Toulouse. Si l’on connaît le résultat des examens de Victor Ucay, on sait aussi avec précision qui furent ses enseignants. Pour le savoir, il suffit par exemple d’ouvrir le Registre de la Faculté de Droit[17] pour connaître la répartition des leçons et des conférences.

On sait ainsi que pendant l’été 1876, au moment où il devenait bachelier en Droit, Victor Ucay put assister aux leçons[18] de droit romain d’Henri Massol (1804-1885) et même profiter de celles du doyen Auguste Laurens[19] (1792-1863) peu de temps avant son départ. De même, put-il suivre les cours de Code civil de MM. François Joseph Paget (1837-1908) ainsi que du futur préfet Eugène René Poubelle (1831-1907). Lors de sa 2e année de Licence[20], il suit entre autres, toujours le professeur Poubelle qui lui enseigne encore le Droit civil, mais aussi le professeur Henry Bonfils (1835-1897) en procédure civile ; toujours Massol en droit romain et Victor Molinier (1799-1887) en droit pénal (à l’époque dit criminel).

De la Licence au Doctorat. S’agissant de la 3e année de Licence (1877-1878) puis des examens de 4e de Doctorat (1879 à 1881), on sait[21] également que Victor Ucay put assister aux leçons suivantes :

  • aux dernières leçons (3e année) de droit civil, d’Eugène Poubelle ;
  • au cours de droit commercial du doyen Dufour (présenté infra) ;
  • ainsi qu’au cours de droit administratif d’Henry (Antoine) Rozy (1829-1882).

On s’arrête évidemment un instant sur cette dernière information pour rappeler que Rozy est né à Toulouse, le 12 octobre 1829 et décédé le 20 septembre 1882. Il a successivement été avocat, professeur suppléant provisoire (1855), puis agrégé et rattaché à la Faculté de droit de Toulouse (1862) où il enseigna l’économie politique pour les aspirants au doctorat et remplaça en droit administratif le titulaire Chauveau aux côtés de Batbie lorsque Chauveau, précisément, ne pouvait assurer du fait de son état de santé ses leçons[22]. A la mort de Chauveau, en 1868, Rozy sera durablement chargé du cours (qu’il n’appréciait pourtant manifestement pas !) et ce, jusqu’en 1882 lorsqu’un dénommé (et célèbre) Ernest Wallon[23] (1851-1921) l’y remplacera avant l’arrivée (en 1888) de Maurice Hauriou. Hélas, Rozy n’a pas assez publié et spécialement pas en droit administratif pour que l’on soit renseigné sur son enseignement. En revanche, il participa au Journal du Droit Administratif ce qui incita peut-être Victor Ucay à s’abonner.

On sait par ailleurs, grace à la lecture du précieux Registre préc., que pendant l’année 1878-1879 certains des cours de Rozy (malade et empêché) furent assurés par un remplaçant[24], jeune professeur agrégé, (Pierre Marie) Georges Vidal (1852-1911) qui avait plutôt goût pour le droit pénal mais accepta la charge en droit administratif comme tout dernier arrivé à l’époque. En dernière année[25], il retrouva Massol en droit romain et Laurens en droit des gens (droit international) et connut le professeur Ginoulhiac (1818-1895) qui lui fit découvrir le droit coutumier, présent dans sa thèse de doctorat. Il faut alors rappeler que c’est peu de temps auparavant, dans une séance datée du 1er mars 1878, que la Faculté de Droit Toulouse fut[26] :

« d’avis à l’unanimité qu’une chaire de droit des gens, que l’on pourrait plus opportunément appeler chaire de droit international, soit créée à Toulouse dans les plus brefs délais possibles ».

C’est à la même époque[27] qu’il fut expliqué que « chacun de MM. Les Professeurs » allait être appelé « d’après son rang d’ancienneté à se prononcer sur le point de savoir s’il voulait ou non se charger d’un cours » complémentaire financé par les collectivités locales (essentiellement municipales). C’est à partir de cet instant que Rozy exprima qu’il « prendrait volontiers le cours de législation industrielle » c’est-à-dire le futur cours de droit du travail[28], matière dans laquelle il s’exprima et s’épanouit bien plus qu’en droit administratif.

1877, Victor Ucay & la vocation pour le droit administratif ? Les liens entre Victor Ucay et le droit administratif sont véritables, ainsi qu’on le développera par plusieurs exemples tout au long de sa vie et de ses engagements (électoraux notamment). Non seulement il fut abonné au Jda ce qui marque naturellement déjà un intérêt réel et précoce pour le droit administratif mais encore, il désira manifestement s’y investir scientifiquement même si l’Université ne le suivit pas sur ce chemin.

En effet, apprend-t-on dans une exceptionnelle archive privée détenue par ses descendants, en août 1877 (c’est-à-dire à la fin de sa dernière année de Licence puisqu’à l’époque les cours s’achevaient à la fin de l’été), il écrivit à son père que le sujet qu’il avait d’abord proposé pour son dernier examen, la thèse de Licence en Droit, avait été refusé :

« Je n’ai pas de chance pour mon dernier examen. M. Massol et M. le Doyen ont refusé de signer ma thèse de droit administratif – sous prétexte qu’elle parlait de religion – mais je me demande comment on peut faire pour ne pas parler religion dans un sujet qui traite des cultes ».

On imagine la déception de Victor. Il avait écrit sa thèse de Licence (une dissertation généralement d’une dizaine à une vingtaine de pages) en choisissant le droit administratif et en proposant, comme premier sujet personnel d’étude(s), une question lui tenant à cœur : celle des cultes (on ignore s’il s’agissait de biens, d’agents, de libertés puisque nous n’avons pu trouver le manuscrit refusé). Par suite, précisait le fils à son père : « Enfin, peine perdue, c’est à refaire. J’ai pris un autre sujet « l’attribution des conseils municipaux » » c’est-à-dire un sujet bien plus descriptif et bien moins polémique essentiellement relatif aux évolutions des Lois dites municipales.

Il est alors très intéressant non seulement de voir que Victor Ucay désirait faire du droit administratif (qu’il ne subissait pas à la différence de très nombreux étudiants et même d’enseignants) mais encore qu’il avait choisi de parler d’un sujet lui tenant particulièrement à cœur, celui des cultes et de la religion. Il précise même dans sa lettre qu’il y avait passé trois mois alors que pour refaire son travail il allait y consacrer seulement quelques heures de rédaction, en urgence, pour pouvoir soutenir quelques jours plus tard, le 14 août ce qui lui fera obtenir 4 boules blanches (un travail exceptionnel) et une seule boule rouge.

Ill. 12 & 13 © Famille Ucay. Lettre du 10 août 1877 de Victor Ucay
à son père Jean à propos de sa scolarité et du droit administratif (1877).

Pour l’anecdote, dans sa thèse de doctorat, Victor Ucay réussira (on y reviendra) à tout de même parler des cultes (et donc de religion !) malgré la « peur » sinon la « frilosité » de ses enseignants.

Les doyens en place de 1874 à 1881. Pendant la période où Victor Ucay étudie à la Faculté de Droit de Toulouse, le décanat évolue. A son arrivée, c’est François-Constantin Dufour (1805-1885), l’un des moteurs et rénovateurs de l’enseignement du droit commercial en France qui sera doyen et le restera jusqu’en 1879. A partir de ce moment, c’est Henry Bonfils (1835-1897) qui règnera jusqu’en 1888.

1878, Toulouse, le droit administratif & le nouveau Jda. En 1878, a-t-on dit, Victor Ucay recevait donc des cours de droit administratif et le Droit administratif, quant à lui, subissait quelques secousses et ce, singulièrement à Toulouse. En effet, pour le Jda en particulier, 1878 est une année noire car elle est marquée par le décès d’Ambroise Godoffre le 17 août 1878 à Toulouse. La dépêche[29] du même jour relate ainsi la mort « de M. Ambroise Godoffre, avocat et chef de division à la préfecture de la Haute-Garonne, qui a été emporté, ce matin, à une heure, par une attaque d’albuminerie (sic). Depuis fort longtemps, M. Godoffre occupait son poste à la préfecture, où ses aptitudes spéciales et ses connaissances administratives lui permettaient de rendre des services appréciés ».

Voilà donc que, sans le savoir, Victor Ucay reçu le dernier des numéros du Jda dont Godoffre fut le rédacteur en chef et auquel, on l’a vu (et lu), il participa. Par suite, le Journal allait évoluer et être dirigé à nouveau par un universitaire succédant à Godoffre qui avait lui-même remplacé Chauveau. Qui fut alors le nouveau directeur ? Le titulaire de la chaire de droit administratif de la Faculté toulousaine : Henry Rozy qui allait, à son tour, essayer de donner sa « patte » à notre média, notamment en essayant d’y apporter un regard plus critique envers les collectivités administratives et leurs gestions. Relisons alors le bandeau postal adressé à Victor Ucay en 1878. Deux informations s’y trouvent qui avaient peut-être échappé à l’œil rapide et premier du lecteur.

Ill. 14 © & coll. perso. Mtd. Extrait posté du cahier numéro 05 (juin 1878)
du « premier » Journal du Droit Administratif (26e année)
envoyé en juillet suivant à l’abonné n°1980 – M. Ucay ; oblitéré avec timbre
(modèle Paix & Commerce (dessiné par Jules Auguste Sage (1829-1908)) à 02 centimes.

On y apprend effectivement trois informations :

  • d’abord, le lieu d’édition du Jda qui était en 1878, comme lors de sa fondation en 1853, rue St-Rome à Toulouse au numéro 44 ;
Ill. 15 © & coll. perso. Mtd. Extrait d’un courrier-mandat adressé par la rédaction
du Journal du Droit Administratif (au 44, rue St-Rome à Toulouse)
à M. le maire de Cintegabelle le 25 mars 1873.
  • ensuite, qu’en 1878, au moins, Victor Ucay alors qu’il était étudiant et au moment où il devenait avocat, résidait rue du Fourbastard, près du Capitole, au n°01 de la rue, à l’emplacement actuel d’une chocolaterie, au croisement de la rue dite des puits clos ;
  • enfin qu’il arrivait que le typographe ne se relise pas ou pas assez puisqu’une coquille (l’aviez-vous vue ?) s’est glissée dans le titre même de la revue dénommée Journal du Droit Adminisralif … et non « administratif » !

Ena, encore & toujours ? Enfin, 1878 et le droit administratif, c’est aussi l’évocation d’un projet que toutes les Républiques ont connu : celui d’une école spécialisée en droit administratif (l’Ecole Nationale d’Administration ou Ena) chargée de former l’élite administrative du pays. En 1848, sous la Seconde République, il s’agissait du rêve d’Hippolyte Carnot (1801-1888), le père du futur Président de la République qui y consacrera en 1878 une très belle notice historique. On a d’ailleurs déjà écrit sur cette première[30] « Ena » dans d’autres travaux[31] et ce qu’il est intéressant de constater ici en 1878 c’est la façon dont la Faculté de Droit de Toulouse, comme la plupart des autres établissements des Universités de France va s’arc-bouter par principe contre le projet de peur que l’on touche à son monopole d’enseignement. En effet, en 1848 déjà, lorsque Carnot (avant d’être rapidement remplacé) proposa ce projet d’Ena, les Facultés de Droit en très grande majorité le refusèrent en bloc craignant que l’on touchât à leurs compétences et pré carrés. Il est alors amusant de penser que ces mêmes Facultés jusqu’en 1848 dénigraient globalement, par leurs membres, l’enseignement du droit public mais, au moment où on voulut y porter atteinte en créant un enseignement concurrent, se réunirent pour affirmer non seulement l’importance mais encore la nécessité d’un enseignement du droit administratif dans toutes les Universités de France. Rares furent effectivement les enseignants de Facultés (comme Macarel (1790-1851), Bourbeau (1811-1877) ou encore Foucart) à oser prôner la nécessité d’une Ecole spécialisée et complémentaire des Facultés de Droit ce que des publicistes ou des juristes comme Edouard de Laboulaye (1811-1883), hors les murs des Facultés, étaient bien plus prompts à soutenir.

Or, en 1878, à Toulouse en particulier, on revit la même scène. C’est encore à l’initiative d’Hyppolyte Carnot, alors sénateur, qu’était effectivement envisagée la création d’une nouvelle Ecole républicaine d’administration. Avant d’y procéder, on décida de consulter les Facultés de Droit et, comme en 1848, voici ce que globalement elles répondirent[32] :

« non ».

La Faculté toulousaine refusait ainsi comme beaucoup d’autres l’idée d’une Ecole unique d’administration et y préférait la création, dans chaque Faculté de Droit, de sections « sciences administratives & politiques ». L’Ecole toulousaine émit même un « contre-projet » en ce sens et conclut d’un : « nous ne remonterons pas avec [Carnot] dans le passé » ! 1878 achève donc cette pérennité de reconnaissance de l’utilité et de la scientificité du droit administratif dans les Facultés de Droit après 1856. Il a fallu pour ce faire que les Facultés de Droit se sentent attaquées mais peu importe la raison après tout !

1881 : année du doctorat de Victor Ucay
& grève à la Faculté !

Troisième et dernière année importante dans cet examen comparé de la vie d’Ucay et de celle du droit administratif à Toulouse : 1881. C’est avant tout, pour Victor Ucay, l’achèvement de son cursus académique qu’incarne, le 18 juillet 1881, à quatre heures de l’après-midi, la soutenance de sa thèse de doctorat en droit.

Une thèse « notariale » en droits romain, coutumier & civil positif. Son étude, dont il a été imprimé plusieurs exemplaires[33], s’intitulait Pouvoirs du mari sur la personne et les biens de la femme en droit romain suivis Du régime dotal avec société d’acquêts en droit français mais comprenait, comme on l’a exprimé supra en fait trois parties distinctes : deux en ancien(s) droit(s) et une en droit positif :

  • il y a d’abord une première partie (d’une centaine de pages) sur les pouvoirs du mari sur la personne et les biens de la femme en droit romain ;
  • suivie d’une cinquantaine de pages sur le régime dotal avec Société d’acquêts en droit coutumier, suivant alors les enseignements précités du professeur Ginoulhiac dont le titre était alors celui de[34] « professeur de droit français étudié dans ses origines féodales et coutumières » ;
  • et la dernière partie (d’une cent cinquantaines de pages environ) s’attaque au droit civil positif du régime dotal.
Ill. 16 © & coll. perso. Mtd. Frontispice de la thèse de doctorat en droit de M. Victor Ucay :
Pouvoirs du mari sur la personne et les biens de la femme en droit romain ; Du régime dotal avec société d’acquêts en droit français ; Toulouse, Creyssac & Tardieu ; 1881.

Il s’agit donc, pour l’époque, d’une thèse non pas conséquente mais – très – conséquente.

Près de 335 pages jusqu’à la table des matières ; introduction et « positions » de thèses comprises. C’est énorme à l’époque où une thèse de 120 à 150 pages était la moyenne et constituait, déjà, une œuvre remarquée.

Avec ses 335 pages écrites non en une année (comme souvent à l’époque juste après l’obtention de la licence mais en deux voire trois années (à regarder les inscriptions des examens acquis entre 1878 et 1881), la thèse de Victor Ucay est remarquée et il en obtient presque les éloges puisque sur cinq suffragants quatre lui délivrent les « boules blanches » de la réussite. On connaît d’ailleurs le nom des membres de son jury de thèse (sans savoir qui a refusé les éloges !) ainsi constitué sous la présidence de Gustave Bressolles (1816-1892), qu’a priori, pourtant, Ucay n’eut pas comme enseignant à l’exception de conférences de doctorat[35] : MM. Charles Ginoulhiac (on imagine pour le droit coutumier sus-évoqué), Barthélémy Arnault (1837-1894) qui, en 1878, est le seul à enseigner (par le jeu des conférences et des cours complémentaires notamment) le droit notarial et celui de l’enregistrement, Georges Vidal que l’on a présenté supra comme chargé temporaire du cours de droit administratif lorsqu’Ucay y assista et Ernest Wallon également évoqué ci-avant (pour ses compétences en droits civil et administratif). Il s’agit donc étonnamment peut-être d’un jury très favorable aux idées même du droit public puisque trois des cinq membres au moins (Ginoulhiac, Vidal & Wallon enseignèrent ou écrivirent à propos du droit administratif). D’ailleurs, on pourra relever[36] que parmi les positions[37] de thèse soutenues par l’impétrant, trois concernant le droit administratif, étaient loin d’être inintéressantes et que deux en particulier étaient certainement proches des convictions profondes de Victor Ucay. Si l’on met donc de côté la première position relative aux droits pécuniaires et de remboursement de l’État, on note ces deux aphorismes défendus par le candidat :

« La contrainte exercée sur un électeur, même lorsqu’elle n’a pas déterminé le vote ou l’abstention, est punissable en vertu des Lois du 02 août et 30 novembre 1875 » ;

et « La mairie ne fait pas, comme l’église, partie du domaine public de la commune ».

Quelques brèves remarques à leurs égards : en 1881, Victor Ucay a vingt-cinq ans et il n’est pas encore élu local (ni municipal ni départemental). Il y songe peut-être mais il ne l’est pas. Il donne manifestement tout son temps entre les propriétés familiales et leurs chevaux (cf. infra) mais aussi, il est déjà un avocat délivrant conseils juridiques et contentieux. Il signe et présente d’ailleurs sa thèse de doctorat sous ce titre. En revanche, tout au long de la thèse, en anciens droits comme en droit positif, son attachement à la religion et à l’Eglise catholique est (encore) patent mais ne nous étonne pas. Nous ne sommes ainsi pas surpris de retrouver parmi les positions de thèse la mention du sort d’un bâtiment, selon lui, à protéger plus encore que la mairie : l’église ! Il s’agit même peut-être en résumé de la thèse de licence qu’il avait voulu soutenir (et qu’il avait écrite mais qui fut refusée) en 1877. Il faut dire aussi qu’à l’époque où Ucay écrit, il n’existe pas encore de définition assise du domaine public et la conception très libérale de Jean-Baptiste Victor Proudhon (1758-1838) s’affirme en doctrine majoritaire. Concrètement, à part quelques lecteurs des Eléments de droit public et administratif du doyen Foucart, on considérait en effet, en 1881 et jusqu’à la Seconde guerre mondiale au moins, que le domaine public devait être le plus restreint possible et essentiellement concentré dans les voies de communication, les éléments immobiliers à la garde des personnes publiques et mis à l’accès direct de tous ainsi que les objets insusceptibles de propriété[38]. On pouvait donc tout à fait soutenir comme Ucay qu’une église était ouverte et accessible à tous et donc faisait ainsi partie du domaine public à la différence d’une mairie gérant le bâtiment l’abritant comme une propriété privée classique. Un doyen Foucart qui prônait quant à lui l’affectation au service public[39] en aurait bondi mais il n’était pas là ; pas même son esprit !

De même, est-il amusant de constater l’intérêt de Victor Ucay pour le droit public électoral alors qu’il sera lui-même vingt années après au sein de collectivités territoriales et même de batailles électorales.

Pourtant, la lecture du sujet puis du contenu de la thèse, n’y trompent pas : il s’agit, outre les aspects historiques de droits romain et coutumier, de droit notarial, de droit civil (des familles) et de droit commercial. Dans la première partie, Ucay insiste sur les pouvoirs exceptionnels de l’époux, détenteur de la manus et de la patria potestas sur l’ensemble de la cellule familiale. La manus étant[40] « définie (…) comme un pouvoir sans limites, une autorité sans contrôle sur la femme, tant sur sa personne que sur ses biens » et ce qui est intéressant c’est que tout l’ouvrage essaie de prendre en compte le passé. Il ne s’agit effectivement pas de trois parties totalement hermétiques et l’auteur y jette sans arrêt des ponts pour essayer, grace au passé, d’éclairer le présent et de prévoir l’avenir. En ce sens, conclut-il[41] à l’actualité et au futur vraisemblable des « contrats de mariage » au détriment du régime dotal mais ce, « comme pour rappeler qu’il fut le produit d’une transaction entre « ceux qui furent nourris au pays de Droit écrit et ceux des pays de Coutumes » ». Et l’auteur de citer à cet égard un nouveau venu à la Faculté de droit de Toulouse, Joseph Bressolles[42], fils de son Président de thèse ayant récemment publié sur le sujet.

La thématique étant néanmoins éloignée du droit administratif, on ne la détaillera pas se contentant de questionner peut-être en conclusion l’utilité d’un tel travail ? Au fond, pour le notariat en particulier, il était évident. Pour la science, a priori, également à en croire les « boules blanches » obtenues malgré la présence d’un jury difficile mais qu’en était-il pour l’avocat (et non le notaire) Victor Ucay ? Cette soutenance de thèse était-elle simplement le parachèvement de ses études comme pour prouver aux siens ou à lui-même qu’il en était capable ? Ou s’agissait-il d’une volonté de conquérir ensuite un poste dans l’Université puisque cette dernière n’est ouverte, en enseignements pérennes, qu’aux titulaires du doctorat ?

On ne connaît avec certitude la réponse à cette question mais l’absence de candidatures (sauf erreur de notre part) de Victor Ucay à quelques concours toulousains notamment nous laisse à penser que c’est véritablement pour lui (et pour la science) qu’il conquit ce grade de docteur. Le fait qu’il ait aussi désiré autant s’y investir dès la Licence nous le présentent comme un véritable érudit, un amateur de la science, du verbe et des études, au sens le plus noble et désintéressé de termes.

Partant, Ucay nous offre à découvrir l’une de ses premières facettes (après n’avoir été qu’étudiant) : celui du notable érudit et docteur en Droit comme une honorabilité scientifique acquise. Toutefois, l’homme fut aussi un élu local, un avocat, un propriétaire surtout, un amoureux des chevaux et des chais ainsi qu’un militaire de carrière.

Ill. 17 © Famille Ucay. Victor Ucay – portrait (circa 1885).

Ce sont donc plusieurs visages et peut-être plusieurs vies qu’a connus Victor Ucay.

1881 & les étudiants de la Faculté de Droit de Toulouse. Quelques mois avant la soutenance de la thèse précitée, la Faculté de Droit de Toulouse va connaître une véritable révolution dont le Registre[43] préc. des délibérations de la Faculté mais aussi la presse tant locale que nationale va relater. En effet, pendant les deux dernières semaines de mars 1881, les étudiants en Droit se sont fait entendre et ont manifesté leur mécontentement jusqu’à causer un fort désordre à l’ordre public toulousain ce qui étonnerait toutes les actuelles Facultés de Lettres et de sciences des Universités de Toulouse II et III d’aujourd’hui ! Ainsi, relate d’abord[44] le Journal du Cher à propos de la journée du 1er avril 1881 :

« Quatre cents étudiants ont envahi l’amphithéâtre et sommé le doyen de comparaître. Sur son refus, ils ont crié « À bas Bonfils ! À bas le doyen ! Qu’il donne sa démission… » Puis ils ont brisé les bancs, les fauteuils des professeurs et les becs de gaz. Un professeur ayant voulu intervenir a été repoussé, puis renversé et maltraité assez fortement. Pendant ce temps, le doyen se tenait caché dans le vestiaire ». Les étudiants promettaient alors de continuer leur lutte tant que le doyen n’aurait pas abrogé son « règlement vexatoire ».

Ce même 1er avril (sans blague), la Faculté voulut délibérer pour agir mais – relève le Registre – il fut « constaté au procès-verbal que, par suite de l’état d’insubordination dans lequel se sont mis les étudiants de l’Ecole de droit, la Faculté n’a pu délibérer dans le lieu ordinaire de ses séances ». Pourquoi tant de haine et de troubles ? Il faut rappeler qu’à cette période le doyen Bonfils (qui venait de succéder à Dufour à la rentrée 1879) avait voulu se montrer très zélé dans l’application du règlement sur les assiduités estudiantines en refusant leurs inscriptions aux examens aux étudiants ayant été défaillants à plus de trois reprises… Cette poigne n’était en revanche en rien toulousaine et coïncide parfaitement avec la première présence, très contestée par les catholiques conservateurs et libéraux, de Jules Ferry (1832-1893) au ministère de l’Instruction publique (du 04 février 1879 au 10 novembre 1881) parallèlement à sa présidence du Conseil des ministres tout entier. On en veut pour preuve cet entrefilet dans Le Français du 03 avril 1881 :

« Le régime moral auquel M. Ferry a mis l’Université produit ses fruits. Chaque jour on entend parler dans une école de l’Etat d’une révolte nouvelle. Aujourd’hui (…) c’est à la Faculté de droit de Toulouse que les désordres ont éclaté. Or, en était-il de même avant M. Ferry » ?

À Toulouse et en région, la presse se divisa selon les accointances politiques. La Gazette, par exemple, voulut se payer la tête du doyen en soutenant les étudiants[45] et en affirmant à propos de Bonfils que l’on ne « trouve personne qui consente à le défendre. Tant pis pour lui, il ne nous plaît pas de le plaindre ». La Dépêche également se rangea, mais avec plus de modération, du côté des étudiants en acceptant de publier leurs comptes-rendus ainsi que leurs invitations. Ainsi, lit-on dans l’édition du 04 avril 1881 (en page 03) que « MM. Les étudiants en droit » sont prévenus de ce qu’une « réunion privée aura lieu » le lundi après-midi (04 avril) dans la salle du Pré-Catelan avec pour ordre du jour « mesures à prendre par suite de la fermeture de la Faculté de droit ». C’est qu’effectivement à la suite des événements du 1er avril 1881, l’Ecole dut fermer ses portes. Selon les journaux, on parla alors d’un événement politique et d’une grève estudiantine mettant en cause des dizaines ou des centaines d’étudiants (de 150 à 500 selon les narrateurs !). La petite Gironde[46] retint quant à elle que contrairement à ce que d’autres écrivaient, le doyen Bonfils n’avait jamais de sa propre initiative réactivé une norme obsolète par excès de zèle puisque ledit règlement litigieux avait « été rédigé » et « voté par la Faculté tout entière » (ce dont atteste la délibération du 31 janvier 1881 au Registre) « en conformité d’un décret de la fin de décembre 1880 » publié sur « l’invitation formelle » du ministre Ferry[47]. Il n’y aurait donc ni manœuvre décanale ni règlement « tombé en désuétude ». Concrètement, en effet, en 1881, si trois absences étaient constatées, les étudiants pouvaient être privés de leur droit de s’inscrire aux examens ou aux cours suivants « à moins qu’ils ne fournissent de bonnes raisons pour être relevés » et leur assiduité retrouvée du trimestre suivant pouvant même compenser un manque passé. L’auteur de l’article à La petite Gironde ajoutait même que la plupart des parents en étaient ravis et qu’il en était même qui avaient « appris ainsi que leur fils leur faisaient payer très régulièrement des inscriptions » alors qu’il n’allait pas en cours ou – pire – que pour certains ces inscriptions étaient, avec les nouvelles Lois républicaines, devenues gratuites ! Depuis Paris, Le Figaro[48] relate ainsi les événements :

« Toulouse, 1er avril. Des troubles viennent d’éclater à la Faculté de Droit. Depuis longtemps, déjà, une irritation sourde des étudiants existait contre M. Bonfils, le doyen de la Faculté, en raison de l’application draconienne de règlements tombés en désuétude. Ainsi, par exemple, trois manquements aux cours entraînaient la perte d’une inscription. Hier soir, une réunion de cinq cents étudiants a eu lieu dans la salle du Pré Catelan. La discussion a été vive, mais calme. On a décidé l’abstention en masse au cours et la mise en quarantaine de la Faculté jusqu’à ce que satisfaction soit obtenue. Ce matin, à huit heures, un très grand nombre d’étudiants ont bloqué les professeurs et les cours ont été nuls. A une heure, des troubles sérieux se sont produits. Les banquettes, les chaises, des vitres ont été brisées. Le doyen a voulu s’interposer ainsi que M. Capmas, recteur (…) mais ils n’ont pas réussi. La Faculté délibère. L’irritation est très grande. Toute la police est sur pied ».

Ill. 18 © & coll. perso. Mtd. Extraits du Figaro daté du 02 avril 1881.

A la Faculté justement, on s’était donc enfermé, le 1er avril 1881, portes closes, dans une autre salle que celle du conseil et l’on chercha une solution entre professeurs. Personne n’ignorait alors la délibération du 31 janvier[49] dernier au cours de laquelle le règlement si litigieux avait été adopté et disposait en son article 1er : « la résidence à Toulouse et l’assiduité aux cours sont obligatoires pour tous les étudiants » puis par les articles suivants imposait un appel « au moins deux fois par mois » par cours. Y figurait aussi cette mention de ce que « l’étudiant qui aura manqué à l’appel trois fois dans un trimestre et dans le même cours, sans dispense ou excuse légitimes, ne sera pas admis à prendre l’inscription suivante » pour conclure en un article cinquième que : « les inassidus (sic) ne peuvent être relevés, sur la demande des parents, que par une délibération de la Faculté ».

Le 1er avril 1881, par suite, l’assemblée des professeurs évoqua l’application de l’article 05 du règlement de janvier 1881 et constata que, fin mars (ce qui avait provoqué l’ire estudiantine), les parents des étudiants juristes toulousains avaient reçu des lettres par centaines les informant de ce que leurs enfants n’avaient – précisément – pas été assidus alors qu’auparavant on était effectivement plus laxiste en la matière. Le doyen Bonfils avait conséquemment reçu 115 lettres narrant des excuses et explications et « pour 113 de ces lettres », la Faculté acceptait de lever la suspicion d’inassiduité. Pour deux autres, en revanche, « la Faculté ne [crut] pas devoir admettre les explications fournies ». Et, comme pendant la réunion, on avait continué au-dehors par des « bris de meubles et de carreaux » à commettre de sérieux troubles à l’ordre public, non seulement le renfort de la police avait été demandé mais on avait même sollicité le représentant de l’Etat pour qu’il ordonnât la fermeture temporaire de l’établissement.

Effectivement, du 1er au 25 avril 1881, à la suite des mouvements estudiantins, la Faculté de Droit de Toulouse ferma ses portes (ce qui comprenait les vacances de Pâques lors des derniers jours de la période considérée) mais il fallut bien quelques semaines pour que cessât ce que l’on qualifia de « grève » des étudiants juristes. Ces derniers s’étaient réunis avant le 1er avril au Pré Catelan et à la suite de l’annonce d’une fermeture des locaux, il se réunirent donc une seconde fois le 04 avril comme l’avait annoncé La Dépêche. Lors de cette réunion, on releva[50] que la Faculté de Droit, à la suite des événements du 1er avril, avait demandé (et obtenu du rectorat) une fermeture temporaire de l’établissement ; que les étudiants (manifestement conduits par des Républicains) avaient remercié la presse de son concours et même que le maire de Toulouse (qui avait été maire provisoire de Toulouse pendant l’année 1871 de « Commune » puis en 1881, l’avocat et républicain Léonce (Raymond Jean) Castelbou (1822-1887)) y fut très applaudi pour son soutien même s’il était aussi dit qu’il avait cherché à rester le plus neutre possible. Le Journal La Loi[51] rapporta quant à lui que les étudiants s’étaient réunis « place du Capitole » le lundi 04 avril avant d’aller en rangs à la Faculté où des « escouades d’agents de police gardaient les alentours de l’Ecole ». « Le commissaire central ayant très poliment demandé aux étudiants de vouloir bien se disperser », ils ont été se réunir au Grand-Rond en engageant à continuer les manifestations s’il ne leur était pas donné satisfaction. Très concrètement, c’est alors que la Faculté était encore fermée, que la solution arriva. En présence du recteur, le doyen Bonfils et ses collègues se réunirent à nouveau le 07 avril 1881[52] et décidèrent des actions à matérialiser : continuer la fermeture de l’établissement, ne pas partir à l’affrontement direct avec les étudiants et écrire aux parents pour expliquer la situation et espérer l’apaisement. C’est bien dans une opération de communication et de transparence que le doyen et son équipe se lancèrent. Leur volonté était alors de communiquer non seulement sur le fait que le règlement contesté par les étudiants juristes n’avait en rien été abrogé par coutume ou réactivé par une volonté décanale de nuisance mais qu’il s’agissait au contraire d’une norme toute nouvelle. Ce règlement de janvier 1881 n’avait en effet été acté par la Faculté (et non par son seul doyen) sur invitation de la nouvelle réglementation académique de Jules Ferry. Par ailleurs, on désirait souligner le fait que la Faculté de Droit de Toulouse, dès janvier 1881 comme par application en avril suivant, avait organisé des possibilités de lever ou de rattraper les inassiduités originellement prévues. Alors, avec l’assentiment du ministère et même du Président du Conseil, jules Ferry, il avait été décidé de retrouver les « meneurs » de la révolte pour les poursuivre et les faire condamner mais uniquement eux ; les centaines d’étudiants « suiveurs » recevant l’indulgence de l’Université « pour éviter d’entretenir ou de raviver une émotion regrettable ». Ainsi, sur les près de 200 jeunes hommes suspectés originellement d’avoir manqué à leurs obligations, 75 seulement furent réellement considérés tels[53]. Dès le lendemain, 08 avril 1881, la lettre expliquant ces éléments fut imprimée et envoyée à tous les parents même à ceux des étudiants assidus.

Victorine et Jean Ucay reçurent donc cette lettre quelques semaines avant la soutenance de la thèse de doctorat de leur fils qui, manifestement, ne faisait pas partie des manifestants grévistes précisément parce qu’il avait, quant à lui, bien pris et payé toutes les inscriptions pertinentes à temps. Peut-être même ne fut-il pas invité aux manifestations étant depuis 1879 sorti du sérail estudiantin pour se consacrer à ses affaires d’avocat et à la rédaction pluriannuelle, on l’a dit, de sa thèse. Quoi qu’il en soit la coïncidence chronologique était intéressante à rappeler.


Le professeur Touzeil-Divina tient à remercier la mairie de Grenade-sur-Garonne, l’Université Toulouse 1 Capitole et, surtout, la famille de Victor Ucay pour leur disponibilité et l’accès privilégié à leurs sources.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 350.


[a] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=128.

[b] Journal du Droit Administratif (Jda), 2016, Histoire(s) – Batbie [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 15 : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=131.

[c] Touzeil-Divina Mathieu, « Le premier et le second Journal du Droit Administratif (Jda) : littératures populaires du Droit ? » in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. ; Eléments en partie repris in : Journal du Droit Administratif (Jda), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I à IIII [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253, 254 et 255. En ligne depuis : http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=2651.

[1] L’acte se trouve, sous le numéro d’appel 63, au Recueil versé des anciennes archives communales de Grenade dans un Registre d’état civil pour 1856-1857 (sous la cote AD 31 ; 2 E IM 205 – Grenade 1 E 24). A la page 18 dudit registre. Par ailleurs, le recueil des tables alphabétiques d’Etat civil de la commune (pour les années 1851-1856 ; cote AD 31 ; 2 E 547 Grenade 1 E 19) indique également (p. 82) la mention au 02 mai 1856 de la naissance d’un enfant légitime de sexe masculin et dénommé Pierre Jean Victor Ucay.

[2] Il est en effet mentionné, en date du 18 décembre 1950, en marge du premier recueil cité (1 E 24 ; p. 18) que Victor Ucay est « décédé à Grenade le 18 décembre 1950 ».

[3] Et l’on se permettra de renvoyer à notre article en ce sens au Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ; Dossier VII, Toulouse par le Droit administratif ; Art. 304 : « Toulouse & le droit administratif enseigné I / III : le XV avant Hauriou (1788-1888) ». Il s’agit d’un article partiellement publié en ligne et totalement accessible in Toulouse par le Droit administratif ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020 ; p. 17 et s.

[4] Il s’agit d’abord du père (Jean-Raymond (1751-1838) de Bastoulh et ensuite au nom du fils (Carloman (1797-1871)). Rappelons en effet que le père (qui devint doyen de l’établissement d’août 1821 au 29 septembre 1829) fut l’un des premiers titulaires de la chaire de Code civil III dans laquelle a priori devait être enseigné le droit administratif ou a minima ses linéaments. On ne sait en revanche si – concrètement – le civiliste accepta de s’y adonner plus qu’une année ou deux ! On sait par ailleurs que le futur doyen de Bastoulh avait été avocat au Parlement de Toulouse sous l’ancien régime (vers 1775) et qu’il accéda le 22 mars 1805 comme titulaire de la 3e chaire de Code Napoléon. On devine enfin qu’il fut légitimiste puisque, comme son fils (ou plutôt l’inverse) il démissionna de ses fonctions (y compris décanales) le 29 septembre 1830. Quant au fils : né le 06 janvier 1797, (Antoine-Hyacinthe) Carloman de Bastoulh était donc l’héritier d’une dynastie occitane. C’est dans sa ville natale, à Toulouse, que Carloman avait obtenu ses grades (du baccalauréat au doctorat) en droit puis qu’il s’était inscrit au Barreau dès 1816. Toutefois, ambitionnant à son égard une carrière d’envergure nationale, son père, dès sa nomination comme doyen de la Faculté de droit, le confia, en novembre 1821, à son ami Isidore de Montbel pour qu’il apprenne auprès du Barreau parisien. Carloman n’y resta toutefois qu’une année puisque, le 09 octobre 1822, il réussit à intégrer l’établissement paternel en qualité de professeur suppléant. En octobre 1829, c’est encore de Montbel qui va permettre à Carloman d’obtenir sa titularisation en tant que professeur de droit administratif.

[5] Il s’agit d’un des Ténors du Barreau toulousain mais selon les sources son identité (Louis ? Jean-Baptiste ?) change. Il s’agit a priori bien de Louis (de son nom complet Jean-Dominique-Daniel-Louis) Romiguières (1775-1847). En tout état de cause cet avocat, relève le rédacteur de la Revue de Législation ne resta pas : « fut créée, pour M. Romiguiere, une chaire de droit public français à laquelle M. Romiguiere renonça peu de jours après avoir été installé, et sans qu’il eût encore professé » (Wolowsky Louis-François-Michel-Raymond (dir.), « Tableau actuel des neuf Facultés de droit de France avec les mutations survenues depuis leur création » in Rlj ; Paris, De Cosson ; 1839, Tome IX ; p. 464 et s.).

[6] La plupart des éléments généalogiques ici réunis l’ont été grâce à l’admirable gentillesse et amabilité de l’actuelle famille Ucay et particulièrement de M. Jean Ucay. Mille mercis à eux.

[7] Respectivement dénommées Dominique (1797-1882), Marie-Anne (1799-1866), Guillemette (1800-1880), Françoise (1804-1804), Jeanne (1804-1890), Pétronille (1808-1808) et Guillemette (1812-1896).

[8] In La Gironde datée du 09 janvier 1895 ; édition de Bordeaux.

[9] Ucay Gervais, Nouveau traité de la maladie vénérienne où après avoir démontré que la méthode ordinaire de la guérir est très dangereuse, douteuse et difficile ; on en propose une autre fort facile… ; Toulouse, Dom. Desclassan ; 1688 et Amsterdam, Pain ; 1699 (plusieurs éditions connues).

[10] Dezeimeris Jean Eugène, Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne ; Paris, Béchet ; 1839 ; Tome IV ; p. 296 et s.

[11] Que l’on remercie ici pour leur disponibilité.

[12] On a écrit sur ces positions in Touzeil-Divina Mathieu, Histoire de l’enseignement du droit public (…) ; Poitiers, Lgdj ; 2007, p. 60 et s.

[13] On reprend ici des développements issus d’Histoire de l’enseignement du droit public (…) ; op. cit. ; p. 50 et s.

[14] Foucart Emile-Victor-Masséna, « Rapport annuel du doyen sur les travaux de la Faculté (1845-1846) » in Séance solennelle de rentrée de la Faculté de droit de Poitiers (1846) ; Poitiers, Dupré ; 1847 ; p. 14.

[15] Pour le doctorat le total était de 34 boules : les 19 du grade de licencié plus cinq autres pour chacun des deux examens oraux et la soutenance de thèse (soit 15).

[16] Article 06 in fine du règlement du 06 juillet 1841 relatif aux examens de baccalauréat, de licence et de doctorat en droit in Recueil de Beauchamp ; Tome I ; p. 907.

[17] Accessible notamment aux Archives départementales de la Haute-Garonne sous la cote : 8395 W 6.

[18] D’après la séance délibérée le 03 juin 1876 ; p. 98 du Registre préc.

[19] À son égard : Nélidoff Philippe, « Les doyens de la Faculté de Droit de Toulouse au XIXe siècle » in Les facultés de droit de province aux XIXe et XXe siècles : les conquêtes universitaires ; Toulouse, Put1 ; Tome III ; n°16 ; p. 274.

[20] D’après le Registre préc ; p. 102 et s.

[21] D’après le Registre préc ; respectivement aux p. 111 et s.

[22] Archives départementales 31, 3160W249 & Archives universitaires Ut1, 2Z2-7 et 2Z2-8.

[23] On se permettra à son sujet de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, « A Toulouse, entre Droit & Rugby : Ernest Wallon (1851-1921) » in Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020 ; Tome I ; p. 411 et s.

[24] D’après la séance délibérée le 13 juin 1879 ; p. 153 du Registre préc.

[25] Ibidem.

[26] Ibidem.

[27] D’après la séance délibérée le 12 mars 1878 ; p. 122 du Registre préc.

[28] Ce que nous avons établi dans des travaux précédents.

[29] La Dépêche (n°2695), édition de Toulouse du 17 août 1878 ; p. 03.

[30] A l’égard de laquelle il faut lire : Thuillier Guy, L’Ena avant l’Ena ; Paris, Puf ; 1983, collection « Histoires » et Wright Vincent, « L’Ecole nationale d’administration de 1848-1849 : un échec révélateur » in Revue française d’administration publique ; Paris, 2000, n°93, p. 19 ; Verrier Pierre-Eric, L’enseignement de l’administration publique en France ; Paris, multigraphié ; 1984 (Université de Paris-I Panthéon Sorbonne) ; p. 59 et s. Pour de plus anciens témoignages on ne négligera pas : Tranchant Louis-Charles-Marie, Notice sommaire sur l’école nationale d’administration de 1848 (…) ; Nancy, Berger-Levrault ; 1884 et Carnot Hippolyte, D’une école d’administration ; Versailles, Aubert ; 1878.

[31] On se permet ici de renvoyer à notre Histoire de l’enseignement du droit public (…) ; op. cit. ; p. 556 et s.

[32] Séance délibérée du 25 juin 1878 ; p. 124 et s. du Registre préc.

[33] Ucay Victor, Pouvoirs du mari sur la personne et les biens de la femme en droit romain ; Du régime dotal avec société d’acquêts en droit français ; Toulouse, Creyssac & Tardieu ; 1881.

[34] Ainsi que le rappelle la première page de la thèse de doctorat de Victor Ucay.

[35] On peut néanmoins imaginer que c’est au cours de ces conférences que le sujet fut appréhendé.

[36] Ucay Victor, Pouvoirs du mari (…) ; op. cit. ; p. 325 et s.

[37] L’une d’elles, sachant que nous sommes désormais co-directeur du Master Droit de la Santé de l’Université Toulouse 1 Capitole et que le descendant direct de Victor Ucay, M. Jean Ucay, est aujourd’hui à la direction d’une clinique privée a retenu notre intérêt puisque selon le futur docteur en droit de 1881 : « le médecin peut être déclaré civilement responsable de ses fautes dans les termes des art. 1382, 1383 du Code civil » ce qui, pour l’époque, était assez audacieux et non encore accepté par tous les civilistes.

[38] Ce n’est effectivement, on le sait, en jurisprudence qu’à partir de 1956 avec la célèbre décision CE, Sect., 19 octobre 1956, Société Le Béton (Rec. 375) que l’on considèrera que le domaine public, aussi, peut-être constitué des biens affectés (fut-ce au moyen d’un aménagement particulier) au service public. On renverra sur ce point à : Touzeil-Divina Mathieu, Des objets du droit administratif ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020 ; p. 92 et s.

[39] Cf. à cet égard le chapitre 05 (« JB Proudhon est le « père » du domaine public) de nos Dix mythes du droit public ; Paris, Lextenso ; 2019 ; p. 193 et s.

[40] Vanneau Victoria, La Paix des ménages ; histoire des violences conjugales (…) ; Paris, Anamosa ; 2016 ; chap. 01 ; note 31.

[41] Ucay Victor, Pouvoirs du mari (…) ; op. cit. ; p. 323.

[42] Bressolles Joseph, Des régimes matrimoniaux actuellement pratiqués dans le pays toulousain ().

[43] Et ce, à partir de la séance du 1er avril 1881 ; n°182 ; p. 192 et s. dudit Recueil.

[44] Le Journal du Cher daté du 05 avril 1881 ; p. 02.

[45] En une de la Gazette (édition de Toulouse) du 04 avril 1881.

[46] Dans son édition du 02 avril 1881 ; p. 03.

[47] Il s’agit du décret du 28 décembre 1880 en son art. 1 § 3 (publié au Recueil préc. de Beauchamp).

[48] Le Figaro du 02 avril 1881 ; p. 02.

[49] Séance du 31 janvier 1881 ; n°179 ; p. 190 et s. dudit Recueil.

[50] La Dépêche (de Toulouse) du 06 avril 1881 ; p. 03.

[51] Edition du 06 avril 1881 ; p. 04.

[52] Séance du 07 avril 1881 ; n°183 ; p. 192 et s. dudit Recueil.

[53] La lecture du Registre (op. cit. p. 195) nous apprend même que la Faculté délibéra sur les cinq étudiants considérés comme révoltés et non assidus qu’elle décida de radier même si, formellement, on ne put y procéder dès le mois d’avril parce que quelques collègues étaient en mission en Algérie ce qui empêchait le quorum.

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ParJDA

Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 255.

Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :

I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA


Le nombre d’abonnés à un journal est évidemment un signe de sa diffusion – restreinte aux spécialistes – ou – au contraire – popularisée et élargie à un autre cercle que celui – originel – des « prêtres » de la matière. Pour le premier JDA, on sait (grâce aux recherches précitées de Mme Vanneuville) qu’il fut en 1861 au moins de 600 abonnés (ce qui est considérable pour l’époque) et montre que le pari de ses promoteurs fut réussi : non seulement quelques dizaines de spécialistes s’abonnèrent mais il y eut aussi beaucoup d’administrateurs et d’administrations (et sûrement quelques particuliers) à oser l’abonnement. Pour le second JDA, les chiffres sont difficiles à comparer : il y a quotidiennement des centaines de « clics » mais pas véritablement d’abonnés payant une somme mensuelle pour être informés. L’accès au JDA « nouveau » est beaucoup plus libre et aisé et l’on compte près de 1 500 (au 14 juillet 2017) « abonnés » à sa page « Facebook » mais – redisons-le – cela est peu comparable car la démarche visant à s’abonner à un journal « papier » est bien plus contraignante – surtout en 1853 – que celle visant à cliquer sur un « j’aime » d’un réseau social ou à partager un article en ligne. Par ailleurs, ce qui se ressent nettement à la lecture des deux JDA, le premier fut rédigé pour des administrés sujets (A) alors que le second a la chance de connaître l’ère des administrés citoyens bien plus désireux d’apprendre… et de contester (B).

A. 1853 : un droit administratif
pour des administrés-sujets

Libéralisme citoyen. Selon nous, l’une des explications au succès du premier JDA réside dans l’appartenance de ses deux initiateurs (Batbie & Chauveau) et même de certains de ses continuateurs (comme Rozy) au mouvement que nous avons qualifié (1) de « libéral citoyen ». Ainsi, parce qu’ils croyaient à la nécessité d’une juridiction administrative dont ils assuraient la promotion et parce qu’ils ne désiraient pas que défendre les prérogatives administratives mais aussi – sinon surtout – les droits et obligations des administrés, les promoteurs du premier JDA ont-ils rencontré le succès. En ce sens, déclarait avec verve le professeur Larnaude (JDA 1913 ; p. 117) : « En face du colosse formidable qu’est l’État, il y a l’imperceptible individu qui risque souvent d’être écrasé par ce monstre. Eh bien ! Le droit public doit avoir pour objet de protéger le pygmée (sic) en délimitant les droits de l’État ». Cela dit, le droit administratif de 1853, particulièrement sous le Second Empire et avant que la Troisième République ne s’installe durablement (autour de 1879), ne considérait pas les administrés comme des citoyens mais plutôt comme des sujets. Tous les articles du JDA ne témoignent ainsi pas de ce mouvement « libéral citoyen » et parfois certains écrits sont-ils même explicitement laudatifs envers le pouvoir et l’administration en place avec – en directe contrepartie – l’évocation d’administrés plus sujets que citoyens. En ce sens, la plupart des articles rédigés entre 1853 et 1860 sont-ils très respectueux de l’Empire, de l’Empereur et de son autorité (louée). Un phénomène explique d’ailleurs peut-être cette « modération » du JDA à l’encontre de l’administration : non seulement la peur (au moins aux débuts de l’aventure) d’éventuelles censures et – par suite – une modération due aux abonnés eux-mêmes qui étaient – principalement – des administrateurs ! Il aurait alors été mal venu de les critiquer trop frontalement.

Dialoguer avec les administrés. Les premières années du JDA, Chauveau – et surtout Batbie – osèrent pourtant de façon explicite et parfois très étonnante (sinon crue) critiquer quelques administrations et même quelques administrateurs et administrés ! Il faut lire à cet égard les « lettres à un administré sur quelques matières usuelles de droit administratif », elles sont truculentes, rédigées dans un français courant ce qui les rend accessibles à tout public et surtout – ce qui est étonnant lorsqu’on les découvre – elles sont parfois pleines d’humour (2) sinon de moqueries (mais ce, d’après nos recherches, était dû principalement aux premières de ces consultations régies par Batbie).
La première à paraître l’est dès la première année de publication du JDA (JDA, 1853 ; Tome I ; Art. 10 ; P. 55 et s. ; cinq autres suivirent dans ce même premier Tome puis leurs publications seront régulières et par ce biais Batbie, en particulier, tissera même des liens étroits avec ses lecteurs). À l’époque (qui ne connaît pas encore le CRPA), ce n’est pas l’Administration qui se rapproche de l’administré mais c’est le JDA qui cherche à faire le lien entre les deux. Par suite, le terme moderne de « public » (désirant gommer l’aspect subissant sinon passif de l’administré) n’était évidemment pas employé à la manière de l’actuel CRPA ! Il y était clair que les administrés (notamment sous les Empires et la Monarchie même de Juillet) étaient avant tout des sujets, c’est-à-dire des assujettis. Or, et c’est là où se manifeste le courant « libéral citoyen », on cherchait – au JDA notamment – à faire de ces administrés des citoyens actifs et capables – par exemple – de contester ce que l’on n’aurait auparavant jamais osé faire : l’action administrative. Ainsi, Batbie écrit-il en 1853 à un administré (dont on donnera plus tard le nom car il va devenir un acteur récurrent du JDA en devenant un administrateur local) qui se plaint avec une verve toute toulousaine des malheurs que lui feraient vivre plusieurs administrations (notamment locales). Il est alors particulièrement savoureux de lire la réponse que lui fait publiquement Batbie qui mêle non seulement des arguments juridiques (à l’instar d’une consultation) mais également des éléments très personnels et parfois même caustiques à l’égard de son « lecteur administré » dont il raille abondamment le caractère ; ces premiers mots étant (3) : « Je n’ai pu m’empêcher de rire, mon cher ami, en lisant la lettre que vous m’avez adressée » ! Ces lettres ou consultations pratiques plaisaient énormément au lectorat du JDA. Dès la première année, Chauveau (JDA 1853 ; p. 233) se plaît ainsi à reproduire une lettre qu’il a reçue et qui explique combien les « lettres aux administrés » qui deviendront des « lettres aux administrateurs » la plupart du temps sont utiles aux lecteurs. Plus encore, il va jusqu’à critiquer l’abonné : « Vos articles me paraissent un peu longs et trop scientifiques. Faites-les plus courts et plus nombreux ; moins de motifs et plus de choses, surtout de choses usuelles qui arrêtent si souvent l’administrateur et l’administré ». Le décor est, dès 1853, clairement posé : si une revue – au grand désespoir de certains universitaires – met en avant des observations courtes et pratiques, des résumés, des propositions calibrées et brèves c’est bien dans un but simple et toujours actuel : satisfaire les abonnés praticiens (bien plus nombreux que les universitaires parfois théoriciens). Ces « consultations » importaient donc énormément aux rédacteurs comme aux lecteurs du premier JDA et il s’agissait manifestement là, même lorsque Batbie partit et que le ton des questions comme des réponses devint plus convenu, d’une des forces du Journal. Chaque année d’ailleurs, dans le bilan dressé par les rédacteurs sur l’année écoulée insistait fréquemment sur cette force participative et interactive que le JDA avait réussi à instaurer. Concrètement, ces consultations eurent lieu de 1853 à 1893 puis après 1910 mais de façon bien moins littéraire qu’aux débuts du JDA. Critique sur cette démarche, Mme Vanneuville retient (ce qui semble effectivement judicieux) qu’en agissant de la sorte, les rédacteurs (par ailleurs avocats) considéraient leur lectorat comme une clientèle à laquelle ils démontraient leurs compétences in vivo.

Doctrine(s). Toutefois, il ne faudrait pas croire que la seule dimension pratique était recherchée des promoteurs et porteurs du premier JDA. Il y avait aussi (et il y eut parfois) de véritables propositions théoriques et scientifiques doctrinales. Chauveau – tout particulièrement et dès la création du Journal – se servit de ce média national comme d’une « seconde chaire » relevait Ambroise Godoffre (1826-1878) qui dirigea le JDA à la suite de son fondateur (cité par Rozy au JDA 1870 ; p. 98). Il faut lire en ce sens (au JDA de 1856 notamment) ses cours ou leçons sur l’acte administratif notamment ou ceux de Chauveau (dès 1859) à propos des caractères généraux et de la formule (sic) du contentieux administratif (4) . Les commentaires même des normes et des jurisprudences ont ainsi longtemps fait l’objet de soins nourris et de critiques véritables même si, peu à peu, ils se sont réduits à l’état plus fréquent d’énoncé de grands principes et de mots-clefs.

Droit public et / ou administratif républicain(s). Autour de l’affirmation de la Troisième République (1875-1885), cependant, lorsque les républicains devinrent majoritaires et que les monarchistes s’affaiblirent, le JDA semble avoir connu une parenthèse quasi dogmatique et politique. Changeant de nom en même temps que de bureaux (de Toulouse à Paris) et adoptant le titre de « droit public (5) , Journal du Droit administratif », le JDA devint presque une arme de propagande électorale républicaine tenue par deux hommes politiques Albert Gauthier (de Clagny) et Camille Bazille (6) . On y parla alors – quelquefois de façon fort critique – de futurs projets de Loi – âprement discutés – de droits parlementaire (7) et constitutionnel (et y compris des Lois constitutionnelles de 1875 avec une contribution en quatre articles signée Gauthier de Clagny (JDA 1882 ; p. 303, 337, 385 et 481 et s.)) mais cette « parenthèse » se referma bien vite. À partir de 1890, singulièrement, la partie pourtant intitulée « doctrine » du JDA fut de moins en moins le lieu d’expressions doctrinales. On y décrivit beaucoup plus que l’on y expliqua et que l’on y critiqua et / ou proposa.

En 1912 (8) , alors que le Journal célébrait sa soixantième année de publications (9) , un nouveau pas fut franchi dans cette direction lorsque la revue changea d’éditeur pour intégrer les Éditions dites techniques du JurisClasseur : le JDA avant de s’éteindre dans les années suivantes (10) – et en paraissant de façon épisodique durant la Première Guerre mondiale (11) – va alors se doter d’un très prestigieux comité (de neuf autorités offrant leur patronage [respectivement MM. Berthelemy, Boivin-Champeaux, Chareyre (1861-1927), Deville (1856-1932), Hauriou, Hébrard de Villeneuve (1848-1925), Larnaude, Mayniel (1843-1918) et Michoud] et de dix-huit collaborateurs parmi lesquels Raphaël Alibert, Mazerat, Gidel (1880-1958) ou encore Rolland) mais surtout va fortement réduire les articles et commentaires pour aller à l’essentiel et davantage affirmer une vision pratique en promouvant surtout l’actualité prétorienne et en faisant une place toujours grandissante dans ses colonnes aux commissaires du gouvernement de la Juridiction administrative ainsi qu’aux avocats. Certes, dès sa fondation, le JDA avait ouvert ses colonnes aux avocats (les universitaires fondateurs étant également praticiens) mais de plus en plus ce sont les ténors du Barreau qui vont intervenir et même diriger le JDA à l’instar de Mihura ou, avant lui, de Chaudé & Clappier. Parfois même, le Journal a directement mis en avant les qualités et les écrits de ses collaborateurs en publiant (comme en 1912 avec les conclusions du Conseiller d’État Lucien Riboulet (né en 1872) sous CE, 24 novembre 1911, HAMEL) alors qu’au contentieux le dossier avait été défendu par Maître Mihura… alors directeur du JDA !).

Un droit administratif fondamentalement prétorien. La jurisprudence, effectivement, alors qu’elle n’était originellement pas le cœur du JDA (Chauveau estimant que les recueils prétoriens avaient déjà pour mission de la diffuser (JDA 1856 ; p. 386)) va conquérir une place sans cesse plus grande : on explique alors non seulement quelques arrêts du Conseil d’État (aux commentaires parfois très brefs (12) notamment à partir de 1893) mais encore aux décisions des conseils de préfecture (dont évidemment celui de la Haute-Garonne) mais aussi des tribunaux judiciaires (13) ce qui, pour l’époque, était assez exceptionnel puisque la plupart des autres médias ne s’intéressaient qu’aux Cours de cassation. Partant, le Journal matérialisait bien sa mission de diffusion du Droit. En outre, le JDA laissa rapidement dans ses colonnes une place importante à la doctrine organique (pour reprendre la belle formule du professeur Bienvenu (1948-2017)) des commissaires du gouvernement (singulièrement à partir de 1900) afin qu’ils publient leurs conclusions (comme celles, désormais célèbres, de Romieu (JDA 1903 ; p. 01 et s.) sous TC, 2 décembre 1902, Préfet du Rhône contre société immobilière de Saint-Just ou celles de Corneille (JDA 1913 ; p. 13) sous CE, 12 décembre 1919, Goiffron). Mme Vanneuville dans son étude précitée a ainsi établi une statistique édifiante selon laquelle la jurisprudence, originellement anecdotique, occupait en 1870 près de 50 % de chaque Journal (en nombre de pages) pour atteindre près de 80 à 90 % à l’aube de la Première Guerre mondiale.

Du JDA au JCP (A). Cette même jurisprudence, dès le Second Empire et la fondation du JDA, alors même que la Loi du 24 mai 1872 n’avait pas été votée, Chauveau en avait perçu l’importance pour le droit administratif et il osait (ce qui de jure n’était pas encore vrai) non seulement qualifier le Conseil d’État de « tribunal suprême » (par ex. in JDA 1865 ; art. 46) mais aussi critiquer les positions de ce dernier (par ex. in JDA 1867 ; p. 06 et s.) ; esprit critique qui, à quelques exceptions près, va malheureusement s’atténuer. Au tournant 1912, lorsque le Journal va changer d’éditeur pour rejoindre les prestigieuses éditions du JurisClasseur, on relève alors que les observations sous les arrêts cités ou reproduits sont désormais très calibrées alors qu’elles étaient auparavant de formats divers. De tailles désormais « normalisées », nous voyons dans ce dernier JDA des années 1910 le prédécesseur direct de la chronique prétorienne du désormais JCP A (La Semaine Juridique – Administration et collectivités territoriales) créé en 1927 (pour l’édition générale du JCP), chez le même éditeur. De facto, le JCP A ne serait-il pas le successeur direct du JDA ? En 1913, le média est ainsi structuré : Doctrine, « Jurisprudence annotée » (toujours variée et non restreinte au seul Conseil d’État (14) ) et « revue des revues ». Dans cette dernière partie, par exemple, on trouvait le résumé d’articles (comme celui d’Achille Mestre (1874-1960) sous Cass. civ., 2 février 1909 publié au Recueil SIREY et relatif aux travaux publics). Parfois même, renouant avec le JDA des premières années, le Journal ajoutait (comme en 1913) quelques « questions pratiques » résolues en dernière partie.

B. 2015 : un droit administratif
pour des citoyens avides de démocratie(s)

Avec le JDA de 2015, ici encore, la donne n’est plus – heureusement – la même. Les administrés ne se vivent plus comme sujets administrés mais comme citoyens osant revendiquer droits et informations, prérogatives et même parfois une forme d’égalité de traitement(s).

Un « public » d’administrés ? C’est désormais – à nos yeux – presque comme si les citoyens (et parfois même l’administration et ses juges) avaient oublié qu’il était normal – au nom de l’intérêt général et des services publics – que la puissance publique chère au doyen toulousain Hauriou ne soit pas placée (sauf lorsqu’elle se conduit par exemple et volontairement à l’instar d’un « industriel ordinaire ») sur un pied d’Égalité avec les citoyens qui eux ne revendiquent qu’un intérêt privé et personnel ou parfois seulement collectif. Manifestement, cette inégalité logique à nos yeux est actuellement comme frappée d’indignité ! Au nom de la démocratie et des citoyens, on revendique de plus en plus et l’on instaure davantage de droits et de procédures à leurs profits : on communique, on échange, on donne des informations, on motive. Bref, on fait disparaître si possible tout sentiment d’arbitraire, d’éloignement et de secret : comment ne pas s’en réjouir ?

Le seul « reproche » que l’on pourrait faire à ce mouvement n’est pas sur le fond mais sur la forme. En effet, il ne faudrait pas que les promoteurs – finalement très « libéraux citoyens » – de ces droits des administrés en oublient que l’administration (si elle doit effectivement être moins secrète, plus communicante, plus ouverte, plus transparente, parfois plus efficace, etc.) n’est pas et ne doit pas être traitée en égale des administrés. Parfois, le secret doit s’imposer. Parfois, l’inégalité doit primer au nom de l’intérêt général. Il ne faut pas (ce qui arrive déjà parfois) que les administrés ne se vivent qu’à l’instar de citoyens dotés de droits. Ils sont (et nous sommes également) toujours des administrés notamment dotés d’obligations. En témoignent, au second JDA, le dossier et les articles relatifs au nouveau Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA) (dossier préc. n° 02). Il y apparaît clairement ce désir démocratique et citoyen de transparence et d’obligations nouvelles pour l’administration.

Doctrine(s) ou Pratique(s) ? Pour conclure cette étude, on retiendra que le premier JDA a peut-être perdu son identité et son originalité en ne faisant plus ou quasiment plus de doctrine et d’études doctrinales critiques ainsi que de consultations juridiques. La doctrine permettait pourtant au Journal de se distinguer d’un Moniteur officiel ou du Recueil LEBON en proposant des études critiques et personnelles d’auteurs et d’administrateurs. Évidemment, produire ces études demande beaucoup de contributeurs et de contributions ainsi que du temps et un nombre important de pages dédiées. Quant aux consultations juridiques, elles permettaient aux JDA de remplir son objectif populaire d’expliquer à un public plus large que les spécialistes un certain nombre de données. Pourtant (pour des raisons économiques notamment mais aussi par choix éditoriaux), le JDA s’est peu à peu coupé de ces deux expressions originales pour se concentrer sur l’exposé du droit positif normatif et notamment prétorien (avec un regard critique bien moindre car privilégiant l’exposé de données nouvelles partagées dès leurs sorties et non un recul doctrinal). Quant aux consultations concrètes, on croit qu’elles ont cessé faute non seulement de demandes exprimées par les administrés et surtout parce que, de facto, c’étaient surtout les administrateurs et non les administrés qui en profitaient.


Si l’on était – très – pessimiste, on conclurait alors que c’est peut-être le lot de tous les périodiques qui parce qu’ils veulent durer (et donc trouver sans cesse des contributions et souvent un modèle économique viable (15) ) en viennent à la facilité (moins de commentaires doctrinaux et d’études ou points de vue plus risqués que de simples informations ; plus d’observations courtes que de réels commentaires ; quasiment uniquement des éléments de droit positif ; une place prépondérante à la jurisprudence, etc.). C’est du reste (à propos de la Thémis et des revues de Foelix & de Wolowsky) un constat assez similaire que dressait en 1860 Firmin Laferrière (16) . En effet, regrettait l’auteur, toutes trois avaient « péri sous la même domination de l’esprit positif ; ou, du moins » elles n’ont « pu se dérober à une mort certaine que par une fusion et une transformation ». Alors que le projet rédactionnel initial était généreux et ambitieux, les revues cédèrent aux critères utilitaires : les praticiens positivistes avaient triomphé. Est-ce inévitable ?

Demain ? Le JDA de 2015 semble hélas suivre son prédécesseur sur ce dernier point. Certes, il n’est pas « que » prétorien et tourné vers le droit positif ; certes ses commentaires sont – pour la plupart – de vrais commentaires et propositions doctrinaux et non de simples et courtes observations mais deux points noirs se révèlent au « tableau » : non seulement le désir de consultations juridiques et de rendez-vous pratiques (qui avait été annoncé et espéré lors de la refondation du JDA) n’a pas encore pu être matérialisé et – surtout – même s’il se veut « à la portée de tout le monde » force est de constater – grâce aux rares commentaires laissés sous les articles – que ce sont surtout des administrateurs et des avocats praticiens qui communiquent et interrogent les contributeurs. Le citoyen, lui – s’il lit – tend à nous rappeler que faire de la littérature populaire du droit n’est pas chose aisée. Il faut donc encore y travailler. Heureusement, le second JDA n’en est encore qu’à ses débuts. Il gardera donc en tête ce désir originel. C’est en tout cas le souhait que nous formons.
Notre « qualité » d’actuel directeur de la publication nous permet alors (afin de souhaiter le meilleur aux futurs numéros du JDA) de citer – en les faisant nôtres – ces mots du Conseiller d’État Auguste Chareyre prononcés en un toast à l’avenir (17) :

« Messieurs,
Je vous propose de boire :
Au Journal du Droit administratif,
À son sympathique et distingué directeur (sic),
À ses collaborateurs dévoués,
Aux amis du Journal et à vous tous Messieurs, puisqu’aussi bien tous ceux qui sont groupés à cette table sont les amis du Journal du Droit administratif ».


(1) En ce sens : « Libéralisme citoyen » in Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017. Les libéraux citoyens sont en effet des auteurs convaincus de la nécessité de défendre les droits et libertés afin qu’ils ne soient étouffés par une administration – symbole du pouvoir et de l’exécutif – potentiellement liberticide. Ils sont avant tout des partisans d’un libéralisme économique et social qui se veut, au nom de l’individualisme, héritier des philosophies bourgeoises de la Révolution française. On pourrait en conséquence croire qu’ils étaient opposés à toute intervention étatique et donc à l’existence même d’un droit administratif développé ; il n’en est pourtant pas ainsi.
(2) Lors du soixantenaire du JDA en 1913, le directeur MIHURA qualifiait le talent épistolaire de BATBIE de « vraiment folâtre » (sic) (JDA 1913 ; p. 108) : « n’est-ce pas joyeux et enjoué » ? Et de conclure : « nous ne sommes » désormais « pas aussi aimables, aussi agréables ». Le conseiller DEVILLE (ancien Président du conseil municipal de Paris) ajoutait en ce sens (op. cit. ; p. 117) qu’aujourd’hui le JDA ne contenait plus « les boutades ou les frivolités » de M. BATBIE. Les mœurs avaient changé !
(3) Ils sont reproduits en ligne sur le site du JDA : 2016, Dossier 02 ; Art. 65.
(4) Signalons à cet égard la réimpression de FOUCART Emile-Victor-Masséna, Aux origines des branches du contentieux administratif ; Paris, Dalloz ; 2017 (en cours de publication – collection « Tiré à part » avec un commentaire de l’auteur des présentes lignes sur la formation des recours contentieux administratifs).
(5) Ce titre de « Le droit public » sera mentionné jusqu’en 1920 semble-t-il même si – à part en 1883-1885 – ce changement semble n’avoir été que mineur et formel et emporté aucune ou presque conséquence ; chacun continuant à nommer le JDA comme il avait été baptisé en 1853 et le « titre » nouveau étant même formellement écrit bien plus petit que le titre originel de Journal du Droit administratif.
(6) Un « troisième homme » néanmoins moins engagé les accompagnait et se nommait Georges POIGNANT (1851-1935).
(7) Avec par exemple cet article sur la « confection des Lois » (JDA 1882 ; p. 445).
(8) En 1910, on sent le JDA chanceler : sa direction essaie de nouveaux formats, de nouveaux papiers, de nouvelles couleurs. On cherche manifestement à la sauver.
(9) Ce qui donne lieu à une grande réception parisienne (dont un compte-rendu est dressé au numéro 03 de 1913) avec petits fours et libations au restaurant VOLNEY !
(10) A priori, la dernière année est celle de 1920. C’est la 68e année de publication(s) et sa présentation rejoint vraiment (cf. infra) la maquette du futur JCP A : textes législatifs et réglementaires ; jurisprudence ministérielle (essentiellement des circulaires) et jurisprudence(s). Le format même du Journal évolue pour proposer – comme le JCP A futur et actuel – une pagination en grand format (A4). C’est, précise la direction sur un feuillet volant inséré au premier numéro de 1920, « un format agrandi – qui est celui des autres recueils judiciaires et plus en rapport avec l’abondance sans cesse croissante des matières qui nous intéressent ».
(11) Vraisemblablement, le JDA n’a pas paru entre 1915 et 1919 et il n’a réapparu qu’en 1920 pour s’éteindre immédiatement. Signalons d’ailleurs, en 1914, la perte y compris au Journal de deux de ses collaborateurs, tous deux auditeurs au Conseil d’État, morts au champ d’honneur : Messieurs Marcel ROGER (1881-1914) et Ferdinand COLLAVET (1881-1914). Lors de la nouvelle parution, en 1920, la direction signalait ainsi à ses abonnés : « La guerre nous a obligés à suspendre notre publication. Avec l’année 1920, le Journal du Droit Administratif reparaît et va poursuivre son triple but : aider l’administrateur, éclairer l’administré, vulgariser la législation administrative ».
(12) Voire inexistants comme en 1896 par exemple où le JDA cite simplement des arrêts (comme CE, 27 déc. 1895, Ministère des travaux publics) en donnant uniquement le sens et la portée de la décision et rien d’autre.
(13) Ainsi en 1901 avec la mention (JDA 1901 ; p. 505) de la décision d’un tribunal de simple police (sic) de Paris (29 août 1901) à propos de l’installation d’un tout-à-l’égout.
(14) C’est-à-dire avec l’apport de décisions de la Cour des comptes et de la Cour de cassation ainsi que de conseils de préfectures intéressant le droit administratif.
(15) En ce sens on voit apparaître au JDA des publicités dans les années 1900 (en 1906 pour les chemins de Fer et par suite… pour de la Suze) !
(16) LAFERRIERE Firmin, « Introduction historique à la table collective des revues de droit et de jurisprudence » in VERGE Charles (dir.), Tables collectives des revues de droit et de jurisprudence OU Tables analytiques de la revue de législation et de la revue critique de législation et de jurisprudence précédées des tables de la Thémis et de la revue de droit français et étranger suivies d’une liste des principaux travaux de droit et de législation contenus dans les séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques avec une introduction historique de M. F. LAFERRIERE ; Paris, Cotillon ; 1860.
(17) JDA ; 1913 ; p. 116. L’auteur des lignes de 2017 (relues en 2019) ne propose pas en revanche de boire à sa propre santé !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) III / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 255.

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ParJDA

Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 254.

Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :

I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA


En se déclarant « à la portée de tout le monde », le JDA – en 1853 comme en 2015 – prend un pari très (trop ?) ambitieux sinon osé : s’affirmer comme n’étant pas (ou plutôt pas seulement) un autre média de spécialistes publicistes. Sur ce point, il nous semble que les deux Journaux sont partis avec les mêmes idéaux mais ont rapidement tous deux négligé cet objectif initial si louable (A et B).

Pour l’exposer, nous avons repris les adjectifs de « sacré » et de « profane » que suggéraient – très justement – l’appel à contribution(s) au présent ouvrage. Les organisateurs y relevaient l’existence – comme pour le JDA – de publications « populaires en ce qu’elles sont destinées à d’autres qu’aux seuls juristes et qu’elles visent un public large de non-spécialistes. Aussi sont-elles populaires en ce qu’elles tentent de faire échapper le droit des mains de ses « prêtres » ou de spécialistes ». Précisément, le Journal du Droit administratif en ce qu’il se revendiquait et se revendique encore « mis à la portée de tout le monde » et ce, comme un clin d’œil de Chauveau à l’ouvrage originel de Rondonneau (1759-1834) (1) ou encore à l’instar de l’ouvrage postérieur du professeur Emile Acollas (1826-1891) (Le droit mis à la portée de tout le monde ; les contrats ; Paris, Delagrave ; 1885), matérialise-t-il bien cette volonté populaire.

Notons cela dit, dès maintenant, qu’en 1853 comme en 2015, si la volonté de s’adresser au plus grand nombre et donc de dépasser le cercle sacré des « initiés » pour toucher celui des « profanes » est et fut réelle, elle s’est dans les deux cas accompagnée d’un double langage : certes, le JDA a tenté et tente de s’adresser aux administrés et aux citoyens mais il est aussi directement rédigé à l’attention des administrateurs (qui ne sont pas toujours juristes) et que les coordinateurs de l’ouvrage ont qualifié « d’utilisateurs » du droit. Ainsi, en 1853 comme en 2015, le JDA a effectivement affiché une volonté de « popularisation » du droit administratif mais ce, parallèlement à un public principalement composé d’administrateurs et de publicistes précisément spécialistes.

A. 1853 : un droit administratif
élitiste et réservé au « sacré »

Profane & sacré. L’idée d’un droit administratif « sacré » avec ses prêtres et ses rites n’est pas neuve. Dès sa formation, dès son enseignement académique cette métaphore a été utilisée et chacun se souvient à cet égard du grand et bel article du professeur Boulouis (« Supprimer le droit administratif ? » au n° 46 (1988) de la revue Pouvoirs). L’opposition entre sacré et profane est effectivement particulièrement judicieuse en la matière. C’est en tout cas un ressenti partagé et qui présente souvent les publicistes à l’instar de pratiquants d’une secte parlant un langage ultra prétorien (et donc codifié et hermétique à ceux qui ne l’ont pas appris).
En 1853, tout particulièrement, le droit administratif est loin d’être compris des administrés et parfois même des administrateurs. Il est très peu enseigné (et depuis peu ; cf. supra) ; les actes des administrations et des conseils de préfectures et d’État sont très difficiles à trouver à part en consultant le Recueil dit LEBON mais qui ne paraissait pas – comme avec Internet aujourd’hui – dans les jours sinon les minutes suivant une importante décision. Ses ouvrages étaient manifestement écrits (à quelques rares exceptions) par et pour des spécialistes de la matière et ils étaient généralement très volumineux et concrètement difficilement accessibles (qu’on songe par exemple à la troisième édition (1868 et s.) du Traité en douze volumes de Gabriel Dufour (1811-1868)). Ainsi, si avant la Monarchie de Juillet, le droit administratif n’était compris que des hauts administrateurs et conservé secret par eux-mêmes, autour de 1840 avec l’installation de l’idée d’un État de droit, ce droit administratif quittait enfin la sphère de la réserve élitiste ce qui se réalisera en plusieurs générations. Ainsi, en 1853, un peu plus de dix années avant le décret du 2 novembre 1864 qui allait révolutionner l’accès des administrés au juge administratif, cette matière était effectivement encore dominée par ses élites. Le fait que l’on ait d’ailleurs réservé son enseignement à la seule Faculté parisienne puis à la première ou seconde Faculté des départements (Poitiers) en témoigne également. Il y eut clairement cette volonté de conserver l’étude et la diffusion du droit public aux personnalités les plus importantes du pays sans le diffuser dans toute la province. N’oublions pas que, longtemps, les droits constitutionnel et administratif ont été considérés comme dangereux : séditieux. Leurs études étaient donc réservées : distillées avec parcimonie.

Un droit non codifié. Par ailleurs, en 1853, la communauté des publicistes commençait à se faire à l’idée qu’il n’existerait jamais de codification administrative à l’instar de celles réalisées par Napoléon pour les principaux droits et procédures privatistes. Conséquemment, le besoin de trouver un outil pour aider les administrateurs et les administrés était encore plus manifeste car il n’existait pas d’endroit unique où trouver les principales règles du droit public. Pour pallier l’ensemble de ces inconvénients éloignant le droit administratif de ses usagers, le JDA proposa plusieurs innovations. D’abord, en utilisant un périodique mensuel, le Journal s’adressait plus facilement à ses lecteurs et ce, en étant directement livré chez eux sans avoir besoin d’être consulté ailleurs. Par ailleurs, outre la fréquence, le format utilisé (un journal et non un traité) démontrait bien une volonté de s’adresser au plus grand nombre : on accepte effectivement plus facilement de feuilleter régulièrement (même sans tout lire) un périodique plutôt qu’un ouvrage spécialisé qui semble bien plus difficile d’accès. Cet argument est même employé par Batbie & Chauveau (JDA 1853 ; p. 11 et s.) lorsqu’ils présentèrent leur nouvelle publication : « Un journal sera toujours plus utile que les meilleurs livres. Ceux-ci exigent une étude soutenue, tandis qu’une publication périodique produit son effet peu à peu. Elle ne fatigue pas l’esprit et ressemble à une nourriture lentement absorbée ». Et de conclure : « Un journal se prête mieux aux formes au style familier » (ainsi clairement revendiqué comme matériau d’une accessibilité accrue) « et gagne en efficacité ce qu’il perd en élégance ». En ce sens, relevons également que le JDA originel changea même de format papier : d’abord in-octavo comme la très grande majorité des publications juridiques du XIXe siècle, le Journal – lors de son changement d’éditeur notamment – tenta plusieurs autres dimensions qui le firent effectivement davantage ressembler à une revue voire à un quotidien traditionnel plutôt qu’à un feuillet issu d’un ouvrage spécialisé. Cet accès – même formel – nous semble également être un témoignage de cette volonté de toucher le plus grand public. Dans ce même sens « pratique », signalons que le JDA se dota, dès 1854 et ce, chaque année à la fin des numéros mensuels, de tables alphabétiques, analytiques (souvent) et chronologiques afin de toujours faciliter la consultation des lecteurs administrateurs et administrés. Du reste, presque toutes les années, à la suite de la tradition initiée par Chauveau lui-même, chaque numéro de janvier commençait par dresser un bilan de l’année passée au JDA en en reprenant les temps forts, les études, les annonces majeures, etc. Là encore, l’effort de diffusion des données doit être salué.

Un média « pratique ». Enfin, le fait que Chauveau (ce qu’il avait d’ailleurs déjà entrepris dans ses précédentes publications de quotidiens comme le Journal des avoués (1810-1906 qu’il dirigea de 1826 à 1829) mais aussi le précité Journal du droit criminel (1833-1889 que l’avocat fonda avant de le confier en 1846 à Faustin Hélie et surtout à Achille Morin (1803-1874)), prédécesseur direct du JDA) était aussi un avocat et un directeur de publications reconnu « plaidait » en sa faveur de « vulgarisateur ». Il voulait son média pratique et accessible avec des formulaires (dès 1853, l’article 08 du JDA en proposait ainsi un afin de permettre aux administrés de solliciter, auprès des conseils de préfecture, une réduction en matière de contributions directes) et des exemples concrets afin que même le « profane » se sente concerné. C’est ce que résume Mme Vandeuville quand elle signale que Chauveau « avait une connaissance théorique et pratique du droit administratif, associée à un contact régulier avec des « profanes », qu’ils soient clients ou étudiants » (ibidem).

Des directeurs praticiens. C’est – cela dit – un élément qui s’impose rapidement à l’observateur lorsque l’on établit la liste des onze directeurs ou co-directeurs (2) du premier JDA : ils sont essentiellement des avocats (aux Conseils et / ou en Cours d’appel) et aucun n’est universitaire pendant la période parisienne postérieure à 1882 (jusqu’en 1920). Les seuls universitaires attachés au Journal sont ainsi ses co-fondateurs : Chauveau et Batbie en rappelant, cela dit, que les deux étaient ou avaient été aussi avocats mais encore (pour le premier) avocat aux Conseils et (pour le second) auditeur au Conseil d’État (de 1848 à 1851). Troisième et dernier universitaire (toujours à Toulouse) : le professeur Henri Rozy qui fut également avocat. Parmi cette liste, mentionnons également deux députés (Albert Gauthier de Clagny (1853-1927) & Camille Bazille (1854-1900) ainsi que deux administrateurs : Ambroise Godoffre (décédé en 1878) de la préfecture de la Haute-Garonne et Hennin (dont les dates nous sont inconnues), rédacteur au Bulletin des architectes et des entrepreneurs et deux anciens auditeurs au Conseil d’État : Batbie et Albert Chaudé (né en 1854). Ainsi qu’on le constate aisément, le choix fait par la direction du JDA, y compris dès sa fondation en 1853, fut donc d’assumer un point de vue pratique par et pour des praticiens (et non théorique qui effraie parfois !). À propos de ces co-directeurs, formons trois observations. D’abord, même si Chauveau (qui se faisait appeler et signait Chauveau Adolphe et non Adolphe Chauveau) mourut en 1868, son patronyme de fondateur demeura gravé au frontispice du JDA jusqu’en 1920. Personne ne l’oublia alors que le co-fondateur de 1853 Batbie fut bien moins loti. Dès 1855, il fut qualifié de simple collaborateur (aux côtés de Godoffre) et non plus de co-directeur et en 1856 il avait déjà disparu de la page de titre ! Ensuite, outre la revendication praticienne, il faut relever que la plupart de ces hommes furent essentiellement conservateurs (3) , catholiques et républicains à l’instar d’Albert Chaudé qui démissionna en 1880 du Conseil d’État suite aux premiers décrets dits anti-congréganistes proposés par Jules Ferry (1832-1893). Enfin, un directeur, le dernier (de 1910 à 1920) mérite toute notre attention. Il s’agit du basque Jules Mihura (1883-1961) : d’abord avocat aux Conseils (à l’époque même où il dirigea le sénescent Journal du Droit administratif), l’homme rejoint en 1940 la chambre civile de la Cour de cassation pour en devenir l’un des plus hauts magistrats (il en sera Président puis Président honoraire) et l’un des moteurs des Éditions du JurisClasseur auxquelles il conseilla de reprendre le JDA.

Un droit administratif « promu ». On assista donc bien, au premier JDA, à une véritable « promotion » du droit administratif où en se rapprochant des administrés, il s’agissait aussi de servir le droit administratif tout entier. Car, ne nous y trompons pas, le JDA en informant administrations et administrés se donnait bien pour objectif de servir le droit administratif (et sa reconnaissance comme branche académique véritable) à l’heure où sa contestation était encore fréquente (JDA, 2016, Art. 65).

B. 2015 : un droit administratif
toujours élitiste effrayant le « profane »

Il serait provocateur de dire qu’en 2015 rien n’a changé. Ce serait provocateur et faux. Oui, l’État de droit s’est instauré en France et désormais le droit administratif n’est plus réservé aux seuls spécialistes. Un citoyen désirant à tout prix obtenir une information peut, avec un peu de temps et parfois un peu d’aide, généralement trouver ce qu’il cherche et une ou plusieurs réponses à sa ou à ses questions. La philosophie d’accès au droit n’est donc plus du tout la même.

Un droit toujours élitiste : excluant. Cependant, de facto, le droit administratif demeure intrinsèquement élitiste. Il a effectivement ses spécialistes qui connaissent Agnès Blanco, la société commerciale de l’Ouest africain (et son célèbre bac), le nain de Morsang-sur-Orge ou encore René Benjamin (1885-1948) (sans connaître nécessairement ses écrits littéraires et sa passion pour Maurras (1868-1952)) et le casino de Néris-les-Bains. Et même si le Conseil d’État (on songe notamment aux travaux du groupe présidé par Philippe Martin) a fait quelques efforts de rédaction à destination des administrés, sa jurisprudence demeure souvent obscure sinon impénétrable aux profanes (et parfois même encore à ses « prêtres ») ! La diffusion, les commentaires et les interprétations en ligne (sur des blawgs) par des praticiens et des universitaires n’y suffisent pas encore : le droit administratif demeure – au moins perçu – comme celui d’une caste ou secte « à part » et non comme une science et des données à l’accès facilité (mais peut-être est-ce aussi le cas de nombreuses – sinon de toutes – les branches juridiques). Cet élitisme effraie le profane qui ne se sent pas à sa place et qu’il faut donc rassurer et encadrer car – ne l’oublions pas – le droit administratif n’est pas fait pour les administrateurs, les politiques et les administrativistes : il est fait – au nom de l’intérêt général et donc souvent du service public – pour les administrés citoyens qu’il convient bien d’accompagner.

C’est – notamment – la mission que s’est donnée le nouveau JDA en proposant – par exemple son premier dossier sur la thématique – alors brûlante – de l’état d’urgence (préc. art. 07 et s.). De même, est-ce la raison pour laquelle notre quatrième dossier s’est intéressé à la définition même du droit administratif (préc. art. 132 et s.) et ce, non par une personnalité ou la rédaction du JDA mais par cinquante personnes différentes : des universitaires (parmi lesquels de très grands noms publicistes comme ceux des professeurs Delvolvé, Mazères ou encore Morand-Deviller et Truchet), des praticiens et des administrateurs (ici encore avec quelques très hautes personnalités à l’instar du Président Stirn et du Conseiller Benabdallah) mais aussi des citoyens et des jeunes chercheurs en droit administratif. Il s’agissait alors de bien montrer, par la multiplicité et parfois l’hétérogénéité des réponses, que ledit droit non seulement n’était pas toujours aussi monobloc et uniforme qu’on le dit mais encore – par la plupart des réponses données – qu’il était accessible aux citoyens.

Des comités diversifiés & représentatifs. En 2015, lorsque nous avons cherché à recréer le Journal du Droit administratif, nous avons eu à cœur de mettre également en œuvre des comités scientifiques, de soutien et de rédaction mettant en avant la même synergie que le JDA premier avait voulu instaurer. On rencontre ainsi dans les comités du JDA contemporain des universitaires (principalement il est vrai), des administrateurs, des élus et des praticiens du droit administratif (avocats et magistrats en particulier). Comme son prédécesseur, le JDA « nouveau » a par ailleurs d’abord cherché et revendiqué une implantation et un renouveau toulousain avant de « s’ouvrir » progressivement.
De surcroît, le fait d’avoir – comme en 1853 – repris une présentation formelle en articles rend évidemment la lecture plus aisée et il est fréquemment suggéré aux contributeurs de ne pas dépasser un nombre de signes donné afin que les articles puissent être lus en une fois sans fatiguer le lecteur et sans qu’il ait envie de fermer la page internet consultée !

Depuis septembre 2019, par ailleurs, ces comités ont évolué.


(1) Titre déjà revendiqué par plusieurs ouvrages résolument pratiques à l’instar du Manuel du praticien ou Traité de la science du Droit mise à la portée de tout le monde de Louis RONDONNEAU qui connut trois éditions (1825, 1827 et 1833) et que CHAUVEAU connaissait nécessairement eu égard à l’importance des écrits de RONDONNEAU (notamment en matière de codification) en droit administratif.
(2) Qui sont de façon exhaustive et par ordre chronologique et alphabétique : Adolphe CHAUVEAU (1853-1868), Anselme Polycarpe BATBIE (1853-1854), Ambroise GODOFFRE (1869-1878), Henri ROZY (1879-1881), Camille BAZILLE (1882-1891), Albert GAUTHIER DE CLAGNY (1882-1889), Georges POIGNANT (1882-1889), A. HENNIN (1885-1891), Albert CHAUDE (1892-1907), Victor CLAPPIER (1908-1909) et Jules MIHURA (1910-1920).
(3) Parmi les collaborateurs (sic) fréquents du JDA associés à sa direction, signalons à cet égard l’association de plusieurs hommes qui marqueront tristement la Seconde Guerre mondiale en étant investis dans le cadre de l’État français : Raphaël ALIBERT et Jean BOIVIN-CHAMPEAUX (1887-1954) notamment.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) II / III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 254.

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Éléments d’histoire(s) du Journal du Droit Administratif (1853-2019)

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou, Président du Collectif l’Unité du Droit
(re) fondateur – directeur du Journal du Droit Administratif

Art. 253.

Le présent article est issu d’une recherche parue in Guerlain Laëtitia & Hakim Nader (dir.), Littérature populaires du Droit ; Le droit à la portée de tous ; Paris, Lgdj ; 2019 ; p. 177 et s. On en a repris ici les très grandes lignes dans un souci de diffusion(s). Le tout s’organise en trois temps dont voici le premier :

I. Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA
II. Vulgariser le droit administratif : la volonté populaire du JDA
III. Démocratiser le droit administratif : le regard citoyen populaire du JDA


OXYMORON ? Après la culture et même les jeunesses éponymes, voici que l’on s’intéresse – enfin – aux littératures « populaires » du Droit. Remercions donc les coordinateurs de cet ouvrage qui nous ont conduit à réfléchir à l’une des éventuelles matérialisations de cette écriture populaire et juridique qui pourrait apparaître comme un élégant oxymore : le Journal du Droit Administratif (JDA). Disons-le d’emblée nous ne serons pas le plus objectif pour en discuter (même si l’on fera tout pour l’être le plus possible). En effet, si le premier JDA a été fondé en 1853 par le professeur Adolphe Chauveau (1802-1868) à Toulouse et a donné lieu à près de soixante-dix années ininterrompues de publications jusqu’en 1920, nous avons eu l’honneur et l’idée – en 2015 – de refonder cet antique média publiciste dont nous sommes aujourd’hui le directeur de la publication (en ligne : http:///www.j-d-a.fr). Il s’agira donc d’exposer ici – et, partant, d’interroger – la façon dont le « premier » et le « second » JDA ont cherché à « populariser » le droit administratif. Naturellement, on sera beaucoup plus disert quant au JDA originel, ayant moins de recul et d’objectivité pour parler du plus récent (dont les résultats ne sont – par ailleurs – encore qu’au stade embryonnaire). Peut-on – cela dit – vraiment parler de littérature « populaire » s’agissant d’un média spécialisé en droit administratif, matière réputée très technique et difficile d’accès ? Précisément : oui car le sous-titre du JDA, hier comme aujourd’hui, est « le droit administratif mis à la portée de tout le monde ». N’est-ce pas là l’essence même d’une littérature populaire que de vouloir rendre accessible à chacun.e et non aux seuls spécialistes (universitaires et / ou praticiens) un certain nombre d’éléments et de données ? C’est la raison pour laquelle nous avons accepté l’invitation du professeur Hakim et de Mme Guerlain de présenter au sein du présent ouvrage le(s) JDA car l’objectif officiel et explicite de leurs fondations a été cette volonté de rendre le droit « populaire » au sens d’accessible. Ce sont d’ailleurs précisément les mots employés par les premiers fondateurs du média : les « matières administratives » « d’une application quotidienne, y seront traitées dans un style simple et accessible à tous » (JDA 1853 ; p. 07).

Pour en traiter, nous nous proposons de suivre trois questionnements successifs et relatifs conjointement aux deux JDA : d’abord, comment le JDA, en 1853 comme en 2015, a-t-il cherché à diffuser le droit administratif autrement en le rendant plus populaire (I) ? Ensuite, en quoi chaque JDA a-t-il essayé de vulgariser une science réputée élitiste en la rendant « populaire » (II) ? Enfin, dans les deux cas, ne peut-on pas identifier une forme de démystification sinon de démocratisation entreprise du droit administratif pour le confronter à un regard citoyen et donc populaire (III) ?

Diffuser le droit administratif : l’accès populaire au JDA

C’est a priori pour des raisons diamétralement opposées (A & B) que les fondateurs et refondateurs du Journal du Droit Administratif de 1853 et de 2015 ont d’abord cherché à instaurer leur média.

A. 1853 : un droit administratif secret à divulguer

Du droit administratif secret. En 1853, nous étions sous le Second Empire qui n’avait pas encore connu sa version libérale. Les fondateurs du JDA étaient deux Toulousains universitaires à la Faculté de Droit (Adolphe Chauveau et Anselme (Polycarpe) Batbie (1) (1827-1887) ; le second ayant assez rapidement abandonné l’aventure, éclipsé par l’omniprésence du premier (et appelé à rejoindre l’Université parisienne comme suppléant puis comme titulaire de la seconde chaire de droit administratif en 1857). À l’époque (2) , ce droit était enseigné dans les – seulement – neuf facultés de l’Empire et ce, depuis une grosse dizaine d’années. L’École libre de Boutmy (1835-1906) n’avait pas encore été fondée et l’École d’administration (3) de la Seconde République avait été enterrée avec son régime politique. Bref, le droit administratif – comme matière académique du moins – n’en était encore qu’à ses débuts et ne comptait conséquemment que très peu de spécialistes reconnus (une dizaine d’enseignants seulement, quelques politiques et les membres de hautes administrations au premier rang desquelles, le Conseil d’État). Il n’y a qu’à Paris (avec une tentative en 1818 puis à partir de 1829 (4) ) et à Poitiers (dès 1832) que la matière avait conquis un peu plus d’ancienneté dans l’Université grâce notamment aux promoteurs que furent De Gerando (1772-1842), Macarel (1790-1851) et Foucart (1799-1860). À Toulouse, (où l’on disputait avec Poitiers le titre de « première Faculté de France des départements » (sous-entendu en province et après Paris)), on avait bien tenté en 1829 d’instaurer une chaire de droit administratif mais celle-ci ne fut pas véritablement matérialisée auprès du public estudiantin puisqu’après sa nomination et pendant qu’il en préparait a priori les leçons et le contenu, son titulaire, Carloman de Bastoulh (1797-1871), fils du doyen Jean-Raymond-Marc de Bastoulh (1751-1838), renonça à demeurer dans l’Université puisque – comme son père – sa fidélité légitimiste l’empêcha de jurer fidélité au nouveau Roi de la branche des Orléans et non des Bourbons.

Ce n’est alors, à Toulouse comme dans la plupart des Facultés françaises, qu’en 1838 (5) que fut nommé directement par le ministre Salvandy (1795-1856) (et non par concours et sans avoir dans un premier temps même le grade de docteur ce qui lui sera du reste reproché (et qu’il ira conquérir à Poitiers dont il était originaire en août 1839) l’avocat Chauveau qui s’était illustré déjà dans la direction et la publication de plusieurs recueils (comme le Journal des arrêts de la Cour royale de Poitiers ou le Journal du droit criminel) et ouvrages (à l’instar d’une Théorie du code pénal co-écrite avec Faustin Hélie (1799-1884) et surtout de Principes de compétence administrative) et était déjà reconnu comme spécialiste des contentieux privé mais aussi public. Comme beaucoup de ses contemporains, cela dit, Chauveau n’accepta la chaire toulousaine de droit administratif que parce qu’on lui promettait – par suite – d’en obtenir une autre (de procédure civile) à Paris ! L’histoire en ayant décidé autrement Chauveau s’installa durablement à Toulouse et y enseigna pendant trente années le droit administratif (1838-1868) en étant secondé par Batbie, nommé suppléant en ce sens, à partir de 1853 après un passage par Dijon (en 1852). Aidé de Batbie – donc – c’est en 1853 justement, qu’à Toulouse, Chauveau et Batbie fondèrent le JDA avec pour objectif affiché et assumé les principes suivants : « aider l’administrateur, éclairer l’administrer, vulgariser la législation administrative : tel est le but que nous nous sommes proposé » (JDA ; 1853 ; p. 05).

À bien y regarder, dans les vingt premières années au moins, la revue se revendiquait presque à l’instar d’un lien familial : le ton y était enjoué et les abonnés n’hésitaient pas à écrire au Journal pour contester, proposer, féliciter, etc. ainsi qu’on en prendra, infra, quelques témoignages. Cette « accessibilité » ou ce caractère « populaire » assumé étaient manifestes. On y trouve même (JDA, 1853 ; art. 56) la reproduction d’un échange étonnant (et que l’on n’imaginerait pas aujourd’hui dans une revue juridique) entre Chauveau et Batbie. Ce dernier n’étant évidemment pas Anselme Polycarpe mais son propre père, Marc-Antoine (Batbie) (dont les dates nous sont inconnues), notaire de son état (dans le Gers). Un média… familial donc !

Un premier média spécialisé. Il n’existait alors – sauf omission – aucun journal spécialisé en droit administratif (et même en droit public de façon générale) ; seuls étaient publiés des médias juridiques généralistes ou privatistes (on pense aux Revues de Foelix (1791-1853) et de Wolowsky (1810-1876), à la Revue générale du Droit (6) , à la Thémis, à la Gazette du Palais, etc.) ainsi que des recueils seulement prétoriens à l’instar du célèbre LEBON que fonda… Macarel. Autrement dit, le JDA de Chauveau fut manifestement le premier – et longtemps seul – média dédié au droit administratif et à ses études. Seul en 1866 l’avocat Bize (dont les dates nous sont inconnues) tenta-t-il sur le même modèle un journal nommé Le contentieux administratif et spécialement destiné aux préfectures et aux mairies. Cependant, ce périodique ne dépassa pas la dizaine d’années de publications. Le droit administratif était alors encore « secret » c’est-à-dire avec un accès restreint à ses seuls maîtres et praticiens les plus expérimentés. Ni l’administration ni ses juges (qu’il s’agisse des conseils d’État et de préfecture qui n’étaient alors que des juridictions de facto et non de jure et ce, jusqu’à la Loi du 24 mai 1872 ou encore des administrateurs-juges ou ministres-juges eux-mêmes) ne communiquaient sur l’existence de nouveaux textes ou encore de décisions. Parfois, même les plus fins spécialistes ne trouvaient pas leurs sources dans l’amas normatif qui se formait depuis des décennies sinon des siècles. Étonnamment, il a pourtant très peu été écrit à propos de ce média. À l’exception de sa présentation critique par notre collègue Rachel Vanneuville (7) (« Le JDA ou le droit administratif mis à la portée de tout le monde (1853-1920) » in Les revues juridiques au XIXe siècle (Paris, La Mémoire du Droit (en cours))), la doctrine contemporaine semble l’avoir ignoré. Peut-être est-ce parce qu’il a été créé à une époque à propos de laquelle les universitaires du « tournant 1900 » comme Hauriou (1856-1929) ont longtemps nié une légitimité doctrinale. Il est en tout cas dommage qu’un tel périodique qui a réussi à durer près de soixante-dix années soit aussi peu connu (mais son absence de numérisation contemporaine et sa difficulté d’accès dans de rares bibliothèques l’expliquent peut-être aussi).

Diffuser un droit administratif secret. La première mission du Journal du Droit administratif de 1853 fut donc d’abord – mais essentiellement – de divulguer ce droit à tous et pour tous en un lieu – unique – dédié. Certes, il ne s’agissait pas d’une esquisse privée de codification administrative (qui fut longtemps espérée des praticiens français) parce que le JDA n’a pas repris et exposé toutes les normes existant avant lui et ce, selon un ordonnancement hiérarchique propre, mais il s’agissait – au moins et déjà – de présenter – en droit positif – toutes les actualités animant – au présent – cette branche juridique. C’est ce que rappelait – alors qu’il était encore fréquentable – Raphaël Alibert (1887-1963) lors du soixantenaire du Journal (JDA 1913 ; p. 119) : « Ce petit recueil mensuel est aujourd’hui comme l’organe d’avant-garde du contentieux administratif. Il est aussi le talisman de tous ceux qui, obligés à un titre quelconque d’appliquer des arrêts, veulent chasser de leurs rêves le spectre de la jurisprudence inconnue ». Désormais – proposait le JDA – on trouverait dans un média dédié de l’actualité en matière administrative (8) , de la doctrine, des comptes rendus prétoriens et / ou normatifs, des propositions, des solutions pratiques, etc. Dans un premier temps, d’ailleurs, le JDA (cf. JDA 1856, art. 158) comprit pour se faire trois parties essentielles : celle relative à l’explication / la présentation des « matières administratives » de l’actualité (à laquelle, dès 1859, on ajoutera une partie spécialement consacrée à la « revue des décisions du Conseil d’État ») (I) ; celle reprenant les « lettres des administrés » ou autres questions posées par ces derniers (lecteurs et abonnés) et qui (on y reviendra infra) « en style familier » traitaient de questions pratiques (II) et celle des « revues » ou comptes rendus (III). À l’aube de la Troisième République (JDA 1871) cette présentation va évoluer pour devenir bien plus descriptive et bien moins critique : Lois (normes administratives) (I), Jurisprudence (du Conseil d’État puis des Conseils de préfecture) (II) et « varia » (III). Après 1893, quarante ans après sa fondation, le JDA comptait essentiellement deux parties : la prétorienne et la normative réglementaire avec très peu de propositions doctrinales.

Valoriser le droit administratif calomnié & dont la juridicité était niée. Par ailleurs, expliquait Chauveau (JDA 1854 ; art. 69), le Journal se donnait aussi pour mission non seulement de divulguer ce droit public trop « secret » mais encore de « dissiper certaines erreurs » ou de « détruire quelques préjugés » qui y étaient relatifs et conséquemment de « projeter un peu de clarté sur cette législation administrative ». En 1859, poursuivait Chauveau (JDA 1859 ; art. 245) même si d’aucuns pensaient que « la science du droit administratif était indigeste, informe, immense, inextricable, obscure, enchevêtrée de liens qui se croisent dans tous les sens, mille fois plus impénétrable qu’une forêt vierge de l’Amérique », il fallait lutter contre ces a priori et continuer – pour affaiblir ces idées reçues – à diffuser – toujours plus et mieux – le Journal du Droit administratif. Rappelons alors que jusqu’à l’âge d’or dudit droit (autour du changement de siècle), le droit public (constitutionnel comme administratif) était peu considéré dans les facultés de Droit : on l’enseigna tard et souvent même on lui dénia le caractère de « véritable » science juridique. C’est aussi pour faire évoluer cet état d’esprit et démontrer la « juridicité » des questions et des règles administratives que les fondateurs du JDA le mirent en place. Lors des propos introductifs du premier numéro, Chauveau & Batbie (JDA 1853 ; p. 07) signalaient ainsi : « Il est inutile de dire que notre Recueil ne sera pas goûté par les juristes qui n’ont de culte que pour les dispositions du droit civil. Nous savons qu’ils sont décidés à mourir en niant l’existence du droit administratif » !

Diffuser le droit administratif. Il s’agissait alors clairement d’un complément aux bulletins et journaux officiels (dont la multiplication et le caractère austère et désordonné rendaient la consultation malaisée) ainsi qu’aux recueils prétoriens. Complément, effectivement, car le JDA n’était pas originellement un Recueil LEBON bis ou un Journal officiel spécialisé en droit administratif (9) : il offrait des consultations, des propositions, des points de vue doctrinaux, des revues bibliographiques et se donnait pour mission une tâche extraordinaire : mettre le droit administratif « à la portée de tout le monde ». Il ne s’agissait donc pas « que » d’éléments sélectionnés de droit administratif (normes, jurisprudences, etc.) mais d’une présentation accompagnée et expliquée du droit public positif. Cette mission qu’on concevrait aujourd’hui comme logique et publique (du fait de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme) n’était alors assumée par personne. Confiné dans quelques bibliothèques essentiellement parisiennes et proches des ministères et du Conseil d’État, le droit administratif était un secret bien gardé et ce n’est que la diffusion et l’application progressive de l’État de Droit qui vont y mettre un terme ce à quoi – affirmons-nous – le JDA a bel et bien participé en diffusant, en divulguant ce qui aurait pu rester confiné et secret.

Cette mission première de divulgation, le JDA de 1853 l’a pleinement et merveilleusement assumée. Ainsi, dès ses premières livraisons, le Journal avait-il présenté (dès ses articles 02 & 11 en 1853) et commenté le décret du 25 mars 1852 dit de décentralisation (mais traitant en fait de la déconcentration du Second Empire). De même, en 1868 avec un dossier reprenant et expliquant (grâce au projet de Loi et aux circulaires et autres commentaires) la nouvelle Loi sur les chemins vicinaux (du 11 juillet 1868).

Le « premier » JDA : 1853-1920. Concrètement, le journal a paru mensuellement de 1853 à 1920 et y ont participé (par des écrits ou des recensions parfois) de très grands noms du droit public comme ceux de Chauveau et Batbie, évidemment, mais encore de Rozy (1829-1882), d’Hauriou, de Ducrocq (1829-1913), de Rolland (1877-1956) ainsi que d’Alibert, de Romieu (1858-1953), de Corneille (1871-1943), d’Aucoc (1850-1932), de Larnaude (1853-1942), de Michoud (1855-1916), de Berthelemy (1857-1943) ou encore de Mazerat (1852-1926), etc.

Toulouse & Paris. Le Journal a longtemps été « toulousain » car fondé par deux universitaires de la Faculté de droit occitane (rapidement rejoints par des avocats, des administrateurs et des Conseillers d’État de toute la France) et même imprimé et diffusé depuis Toulouse (le bureau du JDA se situant dans un premier temps (1853-1855) aux Allées Louis-Napoléon (au 29) (actuellement Allée Jean Jaurès) pour rapidement rejoindre (1846-1882) une des rues partant de la place du Capitole (au 46, rue Saint-Rome au siège de l’ancienne Librairie centrale)). Dès 1856, la revue se vendait officiellement dans une librairie parisienne et Chauveau avait plaisir à indiquer que « sa publication », bien que née provinciale et toulousaine, se vendait « À Paris, place Dauphine (27) » ce qu’il fit écrire en tête des numéros mensuels afin de rivaliser avec les autres publications juridiques parisiennes qu’il rejoignait ainsi d’un point de vue qualitatif selon lui. Dès 1863, le JDA fut même associé à la Revue du notariat et de l’enregistrement (créée seulement en 1861 et dont les bureaux parisiens (rue Marsollier et place Dauphine) assuraient la diffusion pour la capitale à proximité de la Cour de cassation et des principaux cabinets d’avocats).

À partir de 1882-1883 (10) en revanche, le Journal va progressivement quitter la Haute-Garonne (Chauveau étant décédé depuis longtemps) pour établir ses bureaux à Paris (11) après quelques mois d’interim toulousain exercé par le professeur Henri Rozy. C’est alors l’exceptionnel éditeur Guillaume (12) Pédone-Lauriel (dont les dates de vie nous sont personnellement inconnues) qui accueille en premier lieu le JDA en 1883 au tout nouveau (13) (et encore actuel) siège de sa prestigieuse maison d’Éditions juridiques : au 13, de la rue Soufflot. Dès 1886, c’est la Librairie administrative Richer qui va abriter le JDA (au 15, rue du Bouloi puis au 14, de la rue Notre-Dame-de-Lorette) avant de rejoindre les prestigieuses Éditions Arthur Rousseau (qui seront rachetées par Dalloz en 1956) puis, à partir de 1912, les Éditions « Techniques » du JurisClasseur tout justes créées en 1907 (et alors domiciliées au 18 de la rue Séguier et non encore rue de Javel).

Titrage(s). Si le JDA a été connu et diffusé sous ce seul titre de Journal du Droit administratif de 1853 à 1920, le titrage exact du périodique a cependant un peu évolué.

À l’origine toulousaine, le média se nommait Journal du Droit administratif avec pour sous-titre premier « ou Le droit administratif mis à la portée de tout le monde » et ce, avec un second long sous-titre indiquant : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, aux patentables, etc., etc., ». Ce dernier sous-titre nous en dit long sur la volonté de littérature populaire du Journal. Il s’adresse aux administrateurs principalement (et non aux spécialistes universitaires) et même aux citoyens et futurs citoyens par le biais des instituteurs, des propriétaires, des contribuables et des patentables. En 1857-1859, lorsque le JDA est conjointement et temporairement hébergé et administré à Toulouse et à Paris, la revue perd (sur les frontispices de ses numéros mensuels) son long second sous-titre. En 1860, en revanche, il revient avec (ici soulignées) de légères modifications : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des administrateurs des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, etc., etc., » ; l’expression finale de « patentables » ayant disparu. En 1862, cette fois, le JDA se revendique comme : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux curés, Maires et membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, aux patentables, etc., etc., » incluant donc désormais explicitement l’administration ecclésiastique et faisant disparaître les établissements publics ! Enfin, de 1863 à 1865 (14) , le Journal se présente comme : « Recueil qui comprend la Législation, la Jurisprudence, la Doctrine et les Faits se rattachant à l’Administration, plus spécialement destiné aux membres des conseils de préfecture, Maires, membres des conseils municipaux, membres des conseils généraux, des fabriques, des administrations des établissements publics, et pouvant servir de guide aux instituteurs primaires, aux propriétaires, aux contribuables, etc., etc., » faisant à nouveau disparaître patentables et curés !

De 1879 à 1882, le JDA – pendant la guerre – joue cette fois la carte de la simplicité et abandonne tous les sous-titres. Il est « le » Journal du Droit administratif. En 1883, en revanche, et jusqu’en 1920, le JDA devenu parisien se nommera « Le droit public » avec pour sous-titre (et non titre premier) : Journal du Droit administratif.

B. 2015 : un droit administratif
hyper diffusé à canaliser

Hypermédiatisation globalisée. En 2015, lorsque nous avons proposé de ressusciter le Journal du Droit administratif, la situation n’était plus du tout la même. Aux antipodes de 1853, le droit administratif contemporain bénéficie d’une forte médiatisation : non seulement parce que l’accès aux normes est bien plus aisé depuis qu’en 2002 le gouvernement français a mis en place un service public de diffusion du droit par l’Internet (http://www.legifrance.gouv.fr) qui permet – à chacun.e – d’avoir un accès aisé à la première source du droit public mais encore parce que les juridictions administratives – au premier rang desquelles le Conseil d’État – communiquent de plus en plus – et de mieux en mieux – sur leurs données et leurs productions juridictionnelles.

Informations brouillées. Par ailleurs, les manuels de droit administratif ne se comptent plus – comme en 1853 – sur les doigts d’une seule main mais sont si nombreux (et de tous niveaux et de toutes qualités) qu’il est parfois difficile de pouvoir et de savoir choisir. En outre, avec la multiplication des revues en ligne (spécialisées ou non en droit public), l’accès au droit administratif (normatif et / ou doctrinal) est aujourd’hui non seulement possible mais encore fait l’objet d’une offre pléthorique.

Précisément, telle a été la première mission du second JDA de 2015 : non plus divulguer un droit administratif méconnu mais canaliser une hyper diffusion de ce droit en proposant une sélection (subjective et jugée pertinente) de dossiers ou d’éléments d’actualité(s) notamment. Autrement dit, le JDA nouveau a désiré offrir à côté de désormais très nombreux médias non pas un média supplémentaire identique mais une présentation complémentaire du droit administratif contemporain et de ses actualités en reprenant le premier sous-titre originel de « droit administratif mis à la portée de tout le monde ». Ainsi, écrivions-nous en 2015 pour la première mise en ligne de janvier 2016 : « Tel est conçu le JDA : comme une rencontre et un dialogue permanent entre tous les acteurs du droit administratif à propos du droit administratif : depuis l’administrateur jusqu’à l’administré citoyen en passant par l’Université et la Magistrature. L’administré, précisément, jouera un rôle important au cœur du JDA puisque c’est pour lui qu’est mis en œuvre notre média et c’est avec lui qu’il s’accomplira ». Le but premier ainsi affiché est clair : renouer avec l’objectif d’une diffusion du droit administratif à destination première (on y reviendra infra) non de ses spécialistes mais des citoyens administrés.

Toulouse un jour, Toulouse toujours ? Par ailleurs, en 2015, le JDA nouveau a également réactivé une naissance toulousaine. En effet, le premier « Journal était porté, puisqu’initié à Toulouse, par plusieurs universitaires, avocats et administrateurs de l’actuelle région Midi-Pyrénées » et le second – en clin d’œil – fit de même en proposant désormais une version non publiée sur papier et par abonnements commerciaux mais en ligne en disposant « d’un site Internet propre » et proposant « comme son ancien média tutélaire, des dossiers, des résumés de jurisprudence, des notes historiques, des chroniques, des informations (etc.) tous relatifs au droit administratif dans toute sa diversité (collectivités, services publics, droit fiscal, droit des biens, fonction publique, actes, jurisprudence, etc.) ». Ce JDA « – nouvelle formule – a été (re)créé à Toulouse, salle Maurice Hauriou (Université Toulouse 1 Capitole) le 15 octobre 2015 » et n’a pas, faute de recul, la même longévité que son prédécesseur de 1853.

2015-2017. Au premier septembre 2017, ainsi, en moins de deux années, le JDA a déjà pu proposer à la lecture gratuite et disponible en tout lieu équipé d’une connexion Internet près de 200 articles [en 2019 nous avons dépassé les 250 items] principalement répartis en différents dossiers ou chroniques. En effet, à la différence du JDA de 1853, le JDA « nouveau » fonctionne moins périodiquement. Même s’il essaie (avec succès pour le moment) de proposer depuis janvier 2017 au moins une chronique (faite d’au moins un ou deux articles) par mois, l’essentiel de sa publication repose sur le choix de dossiers d’actualité « mis à la portée de tout le monde ».

Ont ainsi été publiés au JDA un premier dossier sur « l’État d’urgence mis à la portée de tout le monde » (JDA, 2016, Dossier 01 « État d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 07) ; un deuxième sur « les relations entre le public & l’administration » (JDA, 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 63) ; un troisième en collaboration avec une revue de sociologie et intitulé : « Laï-Cité(s) – Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (JDA, 2017, Dossier 03 & Cahiers de la LCD, numéro 03 : « Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité » (dir. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina) ; Art. 111) ainsi qu’un quatrième portant le presque sulfureux nom de « 50 nuances de « Droit administratif » (JDA, 2017, Dossier 04 : « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 132). Les dossiers 05 et 06 portent respectivement sur « un an après la réforme de la commande publique » (dir. Hoepffner, Sourzat & Friedrich) ainsi que sur La régularisation en droit public : aspects français & étrangers (dir. Sourzat & Friedrich).

Deux autres dossiers sont par ailleurs lancés : l’un nommé Toulouse par le droit administratif et l’autre : « une décade de réformes territoriales » (dir. Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie). Comme on le constate, les dossiers du JDA essaient toujours de « surfer » (ce qui se tient pour un média en ligne) sur l’actualité du droit administratif : inauguré à l’automne 2015 alors qu’était proclamé l’État d’urgence, le JDA a utilisé cette actualité pour son premier dossier puis a régulièrement proposé des thèmes reprenant un bilan ou une présentation (après quelques mois ou années de mises en œuvre) d’une réforme contemporaine (le Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA), les réformes de la commande publique ou encore des collectivités territoriales). Parallèlement aux dossiers, des chroniques plus spécialisées (en droit des contrats publics (JDA, 2016-2017 ; chronique contrats publics ; (dir. Amilhat) Art. 103), en droit des services publics (JDA, 2017 ; chronique services publics ; (dir. Touzeil-Divina)), en droit administratif des biens (en cours), etc.) permettent à des spécialistes de présenter des actualités plus ciblées. La régularité de ces chroniques n’est pas assurée (mais l’est de façon assumée) ; seule la chronique des doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s du Journal du droit administratif paraît de façon mensuelle et offre un regard sur l’actualité la plus directe (JDA, 2016-2017 ; chronique administrative ; (dir. Touzeil-Divina, Aliez, Djazouli, Orlandini & Sourzat) Art. 102 – Depuis 2019 ladite chronique est régie directement par le comité de rédaction).

Quelques articles – hors chroniques et dossiers – ont par ailleurs été publiés pour mettre en avant une actualité donnée, une parution d’ouvrage ou une jurisprudence du Conseil d’État ou même du Tribunal administratif de Toulouse, ce dernier étant partenaire privilégié et impliqué du JDA. Cela dit, le JDA de 2015 ne s’est pas donné pour vocation de n’être qu’une publication en droit positif et ne mettant en avant que l’actualité normative et prétorienne. Non seulement le Journal propose des comptes rendus et des débats doctrinaux mais aussi quelques articles relatifs à l’histoire du droit administratif avec – pour commencer – une mise en avant des deux premiers porteurs du JDA de 1853 : Messieurs Chauveau & Batbie.
Une vision complémentaire. Partant, le JDA « nouvelle formule » offre donc une autre vision – complémentaire – du Droit administratif en essayant – subjectivement – d’offrir à ses lecteurs un choix de thèmes, d’articles, de brèves et d’actualités qu’ils auraient peut-être eu du mal à trouver ailleurs, noyés sous les multiples sites et informations, médias et ouvrages existant en la matière aujourd’hui.


(1) BATBIE est cofondateur du JDA et co-directeur conséquent de ce dernier mais rapidement (dès 1855) il n’est officiellement que « collaborateur » au même titre que l’avocat GODOFFRE et seul règne CHAUVEAU sur « son » Journal, « sa publication » comme il la qualifie à plusieurs reprises. Dès 1853, du reste, à l’art. 10 du JDA rédigé par BATBIE, CHAUVEAU notait en introduction que la contribution suivante portait « la signature de [son] honorable collaborateur (sic) ».(2) De manière générale, à propos de l’enseignement du droit public et administratif au XIXe siècle, on se permettra de renvoyer à : TOUZEIL-DIVINA Mathieu, Éléments d’histoire de l’enseignement du droit public (…) ; Poitiers, LGDJ ; 2007.
(3) À son égard : THUILLIER Guy, L’ENA avant l’ENA ; Paris, PUF ; 1983 et nos développements in Éléments d’histoire….
(4) À propos de cet enseignement, voyez le numéro spécial de la RHFD (n° 33 ; 2013) consacré à DE GERANDO (avec notamment les contributions des pr. SEILLER, SERRAND & TOUZEIL-DIVINA).
(5) Et ce, outre une parenthèse ouverte par l’avocat ROMIGUIERES (1775-1847) qui enseigna autant que DE BASTOULH c’est-à-dire aucunement. À cet égard cf. in TOUZEIL-DIVINA Mathieu, La doctrine publiciste (1800-1880) ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009.
(6) Sur cette dernière il faut lire l’extraordinaire thèse de : CHERFOUH Fatiha, Le juriste entre science et politique. La Revue générale du Droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger (1877-1938) ; Paris, LGDJ ; 2017.
(7) Que nous remercions pour la communication de ses notes non encore publiées au colloque Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » ; France-Allemagne ; XIX-XXe siècles (Berlin, juin 2010) : « Le Journal du droit administratif, ou comment mettre l’administration dans le droit (1853-1868) ».
(8) C’est clairement, dit CHAUVEAU, en 1855 (Art. 124) la raison d’être de « sa publication » et le titre choisi de « Journal » est topique de ce choix de se consacrer de façon récurrente à l’actualité : au quotidien.
(9) À l’article 11 du JDA de 1853, CHAUVEAU explique ainsi qu’il n’a pas « l’intention de donner place (…) aux textes des Lois ou décrets » de manière brute puisque son « projet est de les faire connaître par une exposition et de les expliquer par des rapprochements qui en feront mieux saisir la portée qu’une reproduction textuelle » seule.
(10) Avec (entre 1857 et 1859) une tentative de doubles bureaux à Toulouse et à Paris (11, rue de Monthyon).
(11) Ce qui explique peut-être pourquoi, vexée ( ?), l’Université toulousaine n’a pas conservé l’intégralité des numéros du Journal jusqu’en 1920 c’est-à-dire au-delà de la période toulousaine originelle !
(12) Le frère engagé (qui prôna l’abolition de la peine de mort) des célèbres éditeurs italiens (de Palerme) Giuseppe & Luigi PEDONE-LAURIEL.
(13) Le site Internet de la Maison PEDONE indique que le 13 de la rue Soufflot n’a été habité par les PEDONE-LAURIEL qu’en 1887 lorsque Guillaume déménagea de la place de la Sorbonne pour se spécialiser en Droit international et quitter ainsi les lettres classiques qu’il avait également éditées. Les publications de 1883 à 1887 du Journal du Droit administratif semblent contrarier cette information immobilière.
(14) En 1864, le typographe commet même une coquille dans ce long sous-titre en omettant la première lettre « p » dans l’expression « plus spécialement ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Eléments d’histoire(s) du JDA (1853-2019) I/III [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 253.

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Un siècle avant « l’état » légal « d’urgence » : l’exception permanente ?

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Journal du Droit Administratif

Un siècle avant « l’état » légal « d’urgence » :
l’exception permanente ?
Rappel(s) à partir des articles du
« premier » Journal du droit administratif

Art. 22. Ce court texte n’a pas vocation à présenter de manière exhaustive l’état des libertés publiques confrontées à la puissance publique sous le Second Empire. Une thèse n’y suffirait peut-être même pas. Ce « billet » introductif au premier dossier sur l’état d’urgence du Journal du Droit Administratif n’a effectivement que deux humbles ambitions : d’abord, rappeler au citoyen contemporain que s’il est bon, normal (au sens de rationnel et logique) et peut-être même légitime de s’offusquer d’une crainte que nos libertés soient trop atteintes sinon brimées par la mise en œuvre d’un état d’exception comme l’état d’urgence, cet état exceptionnel qui vient interroger les limites de l’Etat de Droit a été – pendant longtemps – l’état jugé normal du droit administratif français privilégiant ainsi la puissance publique et non les droits et libertés de ses citoyens.

Par suite, cette note essaiera de mettre en avant quelques exemples concrets de cet « état » que l’on qualifierait aujourd’hui aisément « d’exceptionnel permanent » du Second Empire à travers quelques exemples tirés des premières pages du Journal du droit administratif de 1853 et des premières années suivantes.

Le Second Empire : exception permanente
à l’Etat de Droit aujourd’hui promu.
Quand la police était la règle…

L’intitulé précédent est en soi un anachronisme ici bien assumé. Il n’a pour objectif que de tenter de comparer ce qui ne l’est presque pas tellement les périodes et les droits publics correspondants sont différents. En effet, avec un œil contemporain nourri des notions de défense et de garantie des droits et libertés, abreuvé d’ « Etat de Droit » et de protections juridictionnelles, la mise en œuvre d’un état d’urgence tel qu’issu de la Loi (examinée dans le présent dossier) du 03 avril 1955 effraie. Elle laisse à penser et à craindre qu’au cœur du couple « Libertés & Sécurité » bien connu des spécialistes du droit administratif, c’est la sécurité et la puissance publique à sa tête qui vont triompher au détriment des droits des citoyens administrés. Autrement dit, avant la belle et célèbre formule du commissaire du gouvernement Corneille (conclusions sur CE, Sect., 10 août 1917, Baldy, Rec., p. 638) selon lequel la liberté doit toujours être la règle et la restriction de police matérialiser l’exception, notre droit administratif – particulièrement sous les deux Empires (et au moins aux débuts du Second) a davantage enraciné le Droit et les droits de l’administration publique dans une vision au profit de laquelle l’état légal précédant « l’Etat de Droit » était un « droit de police » et ce, dans la grande tradition directement inspirée et héritée de l’Ancien Régime.

En 1850, ainsi, on s’étonnait presque plus encore d’une mise en avant de libertés garanties que des pouvoirs exorbitants de police entre les mains de l’administration publique et des juges qui la servaient plus qu’ils ne l’encadraient.

Malgré la déclaration des droits de 1789, la police était la règle et la liberté l’exception.

Les premiers auteurs que l’on peut qualifier d’administrativistes (c’est-à-dire de spécialistes du droit administratif) du 19ème siècle témoignent d’ailleurs parfaitement de cet état d’esprit, plus d’un siècle avant la Loi de 1955. Lorsqu’ils ne sont pas explicitement (à l’instar de Vivien de Goubert (1799-1854) ou encore de Trolley (1808-1869) que nous avons pu qualifier de « minarchistes pro gouvernants » (Cf. Touzeil-Divina Mathieu, La doctrine publiciste – 1800-1880 ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) des promoteurs directs des pouvoirs de police de la puissance publique, ils sont a minima comme Chauveau (1802-1868) à Toulouse et Macarel (1790-1851) à Paris, des analystes du droit administratif peu offusqués par l’exorbitance – qui paraîtrait aujourd’hui exceptionnelle mais qui ne l’était pas à l’époque – qui se matérialisait.

Un telle époque – heureusement révolue – nous semblerait comparable à un état d’urgence permanent et doit donc – croyons-nous – être conservée à l’esprit précisément car nous ne sommes plus sous le Second Empire et que ce qui paraissait alors justifiable, ne l’est peut-être plus ou en tout cas doit être appréhendé différemment à la lumière de l’Etat de Droit.

Rappelons alors – cependant – que quelques auteurs (dès la Monarchie de Juillet) ont été attentifs aux droits et libertés – en construction et en garantie croissante – des citoyens français. Ce sont les auteurs que nous avons identifiés sous l’appellation de « libéraux citoyens » (Cf. notre étude précitée : La doctrine publiciste – 1800-1880 ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009) et qui revendiquaient les libertés auxquelles on portait selon eux trop atteinte plutôt que les pouvoirs de police.

Parmi ces hommes, on citera les noms d’Aucoc (1828-1910), de Batbie (1828-1887) de Laferrière (1798-1861) (Firmin, le père d’Edouard) ou encore de celui qui a initié, selon nous, un tel mouvement : le doyen Emile-Victor-Masséna Foucart (1799-1860).

Les manifestations de l’exception permanente…
… au fil des premières pages
du Journal du droit administratif

Il est alors intéressant de constater que les premières livraisons du Journal du droit administratif (dès 1853) vont précisément consacrer deux des acceptions possibles du droit administratif du Second Empire : une vision pro police (sic) et plus classique incarnée par Chauveau et l’autre, plus libérale à la recherche des droits et libertés des citoyens, que portait Batbie.

Il nous a par suite semblé intéressant de publier sous ces lignes quelques extraits de quelques-uns des articles publiés en 1853, 1854 et 1855 (soit un siècle avant la Loi du 03 avril 1955) au Journal du droit administratif et tenant à la police et aux libertés. On se rendra peut-être ainsi compte par quelques éléments concrets de ce que l’état d’urgence actuellement en vigueur au 03 avril 2016 n’aurait pas étonné un administrativiste du 19ème siècle qui se réveillerait à notre époque. Ce qui nous semblerait une dangereuse exception permanente (avec ce risque à raison décrié d’une banalisation contemporaine de l’urgence) aurait semblé être une application « normale » de l’Etat de droit alors en formation(s).

Art. 37 du Journal du droit administratif (1853, p. 274 et s.)

Dans l’une des premières livraisons du Journal du droit administratif, le lecteur est témoin d’une petite révolution administrative en termes de police(s) : la « suppression du ministère de la police générale ». Comme le rappelle M. Houte (Cf. « Surveiller tout sans rien administrer ; l’éphémère ministère de la Police générale (janvier 1852-juin 1853) » in Histoire, économie & société ; 2015 / n°02 ; p. 126 et s.), la réintroduction – sous le Second Empire – d’un tel ministère spécial (qui n’a été effectif qu’en 1852-1853) « illustre la tentation policière du Second Empire. En confiant cette institution au préfet de police du coup d’état, Maupas, Louis-Napoléon Bonaparte veut renforcer le contrôle des populations et la surveillance des opinions. Mais les archives privées de Maupas montrent la fragilité d’un ministère au périmètre mal défini et au personnel inadapté, qui se heurte, de plus, à de fortes résistances et à des rivalités administratives ». Le Journal du droit administratif relève alors la suppression de ce ministère en prenant soin de toucher le moins possible au fond mais en effleurant seulement les aspects formels de réorganisations institutionnelles. On y sent alors très sensiblement la « patte » d’un Chauveau qui introduit le changement opéré par ces mots de glorification des pouvoirs de police et du ministère consacré de l’Intérieur :

« La police est liée d’une manière tellement inséparable à la politique d’un pays, que la division des attributions a dû être plus d’une fois la source de tiraillements. Le ministre de l’Intérieur est plus spécialement chargé que tout autre de ses collègues de représenter la pensée politique du gouvernement. Sa marche pouvait plus d’une fois être contrariée par la direction donnée à la police dans un ministère indépendant du sien. C’était là une lutte analogue à celle qui s’était produite dans les départements entre les inspecteurs généraux et les préfets ».

Art. 85 du Journal du droit administratif (1854, p. 179 et s.)

Il nous a également semblé intéressant de reproduire ici in extenso un extrait d’un article du Journal du droit administratif relatif aux dangers des almanachs (sic) et de toutes les publications non contrôlées qui pourraient insidieusement venir troubler l’ordre public.

image1

Il est heureux de constater, en 2016, que la situation n’est heureusement plus la même.

Art. 126 du Journal du droit administratif (1855, p. 30 et s.)

Cet article fait état des conséquences de l’utilisation – programmée massive – de la photographie au profit des droits de police. En l’occurrence, le Journal du droit administratif met en avant les avantages que procurerait l’emploi de daguerréotypes pour signaler et ficher les « libérés en surveillance » qui seraient ainsi bien plus aisément décrits et signalés et donc portés à la connaissance de tous. L’objectif proposé était alors (conformément aux vœux et aux premiers calculs d’un inspecteur général honoraire des prisons, « ami du Journal du droit administratif » (M. Louis-Mathurin Moreau-Christophe (1799-1881)) de photographier les « plus dangereux » des « condamnés (…) annuellement libérés » (sic) afin de faire circuler – pour le bien de leur surveillance et la sécurité publique – leurs portraits.

« Si l’on considère l’importance d’un signalement précis, non seulement en ce qui concerne les condamnés libérés, mais encore tous les criminels que la société est intéressée à surveiller de près, on sera forcé de convenir que la dépense serait bien modique ».

Autant dire que la vidéosurveillance et les caméras si elles avaient existé à l’époque n’auraient pas empêché les promoteurs du droit administratif du 19ème siècle de s’y déclarer a priori très favorables !

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 22.

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Les pères du JDA : Anselme Polycarpe Batbie (II / II)

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou,
Président du Collectif l’Unité du Droit

Art. 15. Il était important que le JDA ouvre ses colonnes en rendant – tout d’abord – hommage à ses deux premiers et originels fondateurs de 1853 :

Pour ce faire, le pr. Touzeil-Divina nous propose, issus de ses recherches doctorales, deux premiers portraits afin de connaître davantage les pères fondateurs du JDA.

Anselme Batbie - MTD(c)

Photographie (par Reutlinger) de M. Batbie (circa 1870)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)

Anselme-Polycarpe BATBIE (1827-1887)

(1er titulaire de la seconde chaire parisienne de droit administratif) (1863-1887)

Eléments de biographie

  • Né le 31 mai 1827 à Seissan (Gers) dans une famille de notaires.
  • Ses études sont effectuées à Auch puis à Toulouse (jusqu’à la licence en droit) …
  • et s’achèvent à Paris où, le 30 août 1850, il reçoit le grade de docteur en droit.
  • Entré dans l’Université en 1852 suite à un concours (à Paris) pour une place de suppléant à la Faculté de Dijon.
  • En janvier 1853 il obtient sa mutation vers Toulouse où sa famille réside encore majoritairement et où il exerce également en qualité de suppléant jusqu’à ce qu’en 1857 (toujours au même grade et dans les mêmes qualités) il réussisse à intégrer la Faculté de droit de Paris qu’il ne quittera pas.
  • BATBIE réalisa en tant que suppléant (1857-1863) quelques cours dans la première chaire de droit administratif parisienne dont le titulaire était VUATRIN (depuis 1851).
  • En 1863, il est nommé le premier titulaire de la 2nde chaire parisienne de droit administratif qu’il occupe jusqu’à sa mort.
  • Parallèlement, il fut également, dès 1864, le premier titulaire d’une chaire d’économie politique en Faculté de droit.
  • A été avocat mais a surtout été connu comme élu, sous la Troisième République : député du Gers d’abord (de 1871 à 1876) puis sénateur de cette même circonscription (de 1876 à 1887).
  • Il fut également président de la société de secours mutuels de Seissan.
  • Sa carrière administrative et politique débute en 1849 lorsqu’il est reçu (le 07 août) premier au concours des auditeurs du nouveau Conseil d’Etat Républicain (qu’il quitte en 1852 lors de sa réorganisation impériale).
  • A partir de 1852 il ne s’éloignera plus des Facultés de droit, de leur enseignement ou … de leur ministère puisqu’en 1873 le général de MAC-MAHON l’appelle, après la chute de THIERS, au portefeuille de l’Instruction Publique, des Cultes et des Beaux-Arts (de mai à novembre 1873).
  • Célèbre en droit administratif tant pour son précis que pour son traité. A collaboré au Journal du droit administratif (de CHAUVEAU), au Journal des économistes, à la Revue des deux mondes. A publié de nombreux opus en économie politique.
  • Décédé le dimanche 12 juin 1887 à Paris (son corps repose à Seissan et son cœur git  à Montmartre dans l’une des chapelles latérales de la Basilique dont il avait favorisé la construction).

Coeur Anselme Batbie - MTD(c)

La sépulture du coeur de M. Batbie (2014)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)

BATBIE, un administrativiste catholique … et républicain
entre deux LAFERRIERE !

« Autant pour plaire à Dieu que pour donner satisfaction à ses parents, le jeune Anselme recherchait avec avidité, le succès à l’Ecole du village et au catéchisme qui faisait ses délices ». Comme FOUCART, LAFERRIERE (père) ou DE GERANDO il a d’ailleurs voulu être prêtre et son premier ouvrage juridique est précisément consacré à un contentieux propre au droit canon : l’appel comme d’abus (1851).

Bien que républicain, jamais ce catholique convaincu n’abandonnera sa foi ainsi qu’en témoigne en 1873 la Loi qu’il fit voter pour la construction contestée du Sacré-cœur de Montmartre dans lequel il se fit d’ailleurs enterrer. Après un court passage au Conseil d’Etat (1849-1852) c’est la vocation de l’enseignement du droit qu’il suit en devenant professeur suppléant à la Faculté de droit de Dijon puis de Toulouse.

Là, il retrouve Adolphe CHAUVEAU dont il a été l’élève, dont il devient le suppléant attitré, et avec qui il s’occupe de la direction du Journal du droit administratif jusqu’en 1855. C’est à cette même période – décidément attiré par le droit public – qu’il rencontre Firmin LAFERRIERE alors inspecteur général et recteur de l’académie de Toulouse et qui le charge d’un cours de droit administratif comparé (1854-1856). A son service quelques années, il en deviendra – formellement au moins – le disciple et sera d’ailleurs à ce titre intégré à la dernière édition (1860) du cours du susdit grâce auquel il publie une introduction générale au droit public et administratif qui formera la première des cinq éditions de son précis.

Nommé à Paris en 1857, BATBIE est alors le suppléant de VUATRIN jusqu’à ce qu’un arrêté du 31 décembre 1862 ouvre (en 1863) une seconde chaire de droit administratif dont il prend la tête comme titulaire alors qu’il fait publier (de 1861 à 1868) la première édition de son imposant traité en sept volumes (2nde édition de 1885 à 1894).

C’est alors à Paris qu’il collabore avec le fils de Firmin LAFERRIERE, avec qui il rédige les Constitutions d’Europe et d’Amérique (1869) faisant ainsi le lien intellectuel entre les deux LAFERRIERE.

Comme Edouard, du reste, BATBIE est un républicain (et se déclare socialiste en 1848) même si son conservatisme et sa foi lui font également apprécier la Monarchie. D’ailleurs, dans les faits, on lui reprochera toujours de n’avoir jamais été républicain et d’avoir menti en 1848. Député puis sénateur du Gers, il sera même membre de l’un des premiers gouvernements de la Troisième République alors dirigée par THIERS qui le prend sous sa protection et lui demande d’assurer plusieurs traités de paix, la Loi du 24 mai 1872 sur la réorganisation du Conseil d’Etat et la création du Tribunal des conflits, l’organisation de Paris, etc. Ministre de l’Instruction Publique en 1873, BATBIE fait partie du gouvernement de BROGLIE qui, plus conservateur que républicain militant, sera jugé (par GAMBETTA notamment) trop proche de l’Eglise et du Comte de Chambord.

Signatue Anselme Batbie - MTD(c)

Signature personnelle de M. Batbie (1869)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)

Anselme BATBIE,
un économiste libéral
à « l’Ecole de Paris »

Malgré son volumineux traité et son précis de droit public et administratif qui fut certainement (entre 1860 et 1885) le plus rigoureux et le plus éclairant de tous les écrits en la matière, BATBIE a certainement davantage marqué la postérité publiciste par sa nomination parallèle, en 1864, à la tête de la première (et unique jusqu’en 1877) chaire française d’économie politique à l’Université. Reconnu en effet dès 1860 par l’Institut pour avoir publié un essai relatif à TURGOT, économiste, philosophe et administrateur, BATBIE va publier de très nombreux ouvrages en ce domaine.

Relevons, parmi d’autres, son cours publié en 1866, ses différents Mélanges ou essais relatifs aux physiocrates (1865), au prêt, à l’impôt ou encore au luxe (1866). En outre, il a participé à plusieurs ouvrages collectifs avec l’association polytechnique sous la direction d’Evariste THEVENIN et y publia notamment des réflexions sur le crédit et la prévoyance (1864), le travail et le salarié (1866) ou grèves et coalitions (1868). A la Faculté de droit, il aura pour suppléant (1881-1887) le futur académicien Paul BEAUREGARD et, comme lui, ne s’inscrira pas (à la différence de ses collègues juristes et universitaires nommés, en province, à partir de 1877) dans le courant des économistes interventionnistes ou protectionnistes conduits par Charles GIDE et Paul CAUWES qui sera d’ailleurs, à la Faculté de droit parisienne, le collègue de BATBIE. Ce dernier, nourri comme FOUCART des pensées du parti constitutionnel et libéral de GUIZOT et de CONSTANT et dans la tradition citoyenne libérale que lui avait inculquée Firmin LAFERRIERE, était en effet un membre de ce que le professeur LETER a récemment nommé L’Ecole de Paris (autour de noms tels ceux de Pellegrino ROSSI, Jean-Baptiste SAY, Frédéric BASTIAT, Edouard LABOULAYE, Adolphe BLANQUI, Hippolyte PASSY, Charles COMTE ou encore Gustave de MOLINARI). BATBIE, bien que catholique et conservateur, sera en effet toujours un économiste libéral militant défenseur acharné du « libre échange » et proche des idées développées autour du fameux groupe de Coppet dont Benjamin CONSTANT avait été l’un des initiateurs.

Eléments de bibliographie

De « grands » travaux mériteraient d’être accomplis au profit de BATBIE. Citons les rares recherches existantes :

  • Dictionnaire Historique des Juristes Français (2nde édition), p. 65 et s. ;
  • VIDAL Roger, « BATBIE et les débuts de l’organisation scientifique du droit administratif » in RDP ; Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence ; 1950 ; p. 804
  • plus récemment, mais avec quelques réserves : SAMBA Mohamed, La systématisation du droit public et du droit administratif chez BATBIE ; Rennes, multigraphié ; Mémoire de D.E.A. en Histoire du droit (Université Rennes I) ; 1992
  • TOUZEIL-DIVINA Mathieu, La doctrine publiciste – 1800 – 1880 (éléments de patristique administrative) ; 2009, La Mémoire du Droit ; p. 254 et s.
  • Notons enfin une amusante notice caricaturale publiée en 1872 par le Trombinoscope de M. TOUCHATOUT (sic).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Histoire(s) – Batbie [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 15.

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Les pères du JDA : Adolphe Chauveau (I / II)

par M. le pr. Mathieu TOUZEIL-DIVINA,
Professeur de droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou,
Président du Collectif l’Unité du Droit

Art. 14. Il était important que le JDA ouvre ses colonnes en rendant – tout d’abord – hommage à ses deux premiers et originels fondateurs de 1853 :

Pour ce faire, le pr. Touzeil-Divina nous propose, issus de ses recherches doctorales, deux premiers portraits afin de connaître davantage les pères fondateurs du JDA.

Adolphe Chauveau - MTD(c)

Daguerréotype de M. Chauveau (circa 1860)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)

Adolphe CHAUVEAU (1802-1868)

(3e enseignant de la chaire toulousaine de droit administratif
après DE BASTOULH (fils) & ROMIGUIERES
mais 1er titulaire de fait) (1838-1868))

Eléments de biographie

  • Né le 29 mai 1802 à Poitiers (Vienne).
  • Fils de Jean CHAUVEAU, inspecteur des contributions et de Marie-Anne-Agnès- Augustine RICHARD.
  • Marié à Adèle-Louise DOUSSET le 24 Septembre 1820 ; ils auront quatre enfants.
  • Etudes de droit à la Faculté de Poitiers (licencié le 18 août 1821 date à laquelle il entre au Barreau de Poitiers puis à celui de Poitiers en 1825).
  • Doctorat obtenu le 31 août 1839 (de la société en matière civile et commerciale).
  • Entré dans l’Université en 1838 par nomination (sans concours).
  • Entré dans la chaire de droit administratif toulousaine en 1838 par nomination ministérielle puis confirmé de façon définitive en 1841.
  • Nommé professeur de droit administratif en 1838 il ne quittera jamais ces fonctions malgré de très nombreuses démarches en ce sens pour enseigner toute autre matière !
  • A été avocat aux Conseils au début de la Monarchie de Juillet ; en 1830, en effet, il a refusé la place d’avocat général près la cour de Poitiers que son ami, Nicias GAILLARD, acceptera, quant à lui, en 1833.
  • A été vice-président du Conseil des prisons.
  • Doyen de la Faculté de droit de Toulouse en 1861, puis de 1865 à 1868 (d’abord par intérim suite au départ de DELPECH puis comme titulaire à partir de 1865).
  • Décédé le 16 décembre 1868 à Toulouse (Haute-Garonne) (de problèmes cardiaques).
  • Il est inhumé à Toulouse mais les services des cimetières n’ont pas encore réussi à identifier l’endroit de sa sépulture. Des recherches approfondies sont en cours.
  • A rédigé de nombreuses codifications spéciales (forêts, instruction administrative, etc.) mais son ouvrage publiciste de référence est : Principes de compétence et de juridiction administratives (qui deviendra Lois de la procédure administrative).
  • A écrit de très nombreux ouvrages juridiques en droit pénal (avec Faustin HELIE) et en procédure (civile, pénale et administrative ; continuant ceux de CARRE) ; a dirigé de très nombreux recueils essentiellement prétoriens tels que le Journal des avoués et le Journal du droit administratif.

CHAUVEAU,
le Poitevin héritier de BONCENNE,
qui faisait du droit administratif
… malgré lui ! ?

Si l’on a pu écrire, que BARILLEAU et CABANTOUS, ou que GOUGEON, ne semblaient pas avoir été des administrativistes convaincus de l’utilité et de l’intérêt de leur enseignement en droit administratif, cela n’est rien comparé à l’apparent dégoût que semble avoir vécu Adolphe CHAUVEAU, à Toulouse, pour cette matière. Comme ses prédécesseurs dans cette chaire, d’ailleurs (DE BASTOULH et ROMIGUIERES), CHAUVEAU n’avait pas choisi d’enseigner le droit administratif : il lui fut proposé en 1838 par son ami le ministre SALVANDY mais il ne manqua pas, alors, de demander à ce que cette mission ne soit que des plus temporaires afin de pouvoir, en premier lieu, bénéficier d’une activité rémunérée (il avait en effet subi plusieurs déconvenues financières en tant qu’avocat) et, dans un second temps, être nommé dans une des deux chaires qu’il rêvait d’occuper : celle de procédure (civile et criminelle) qu’à Poitiers son maître, BONCENNE, avait tenue ou encore celle de droit pénal qu’on lui aurait promise à Paris.

En effet, jusqu’en 1838 CHAUVEAU avait rédigé et participé à la publication de très nombreux ouvrages en droit privé et notamment en matière procédurale ou pénale. Son nom avait même été associé dans cette voie à ceux des plus grands : CARRE et HELIE en particulier. Il passa alors toute sa carrière à demander mutations et promotions pour quitter l’enseignement d’un droit public qu’il n’avait pas choisi refusant néanmoins par deux fois d’embrasser la magistrature, se définissant (avec raison) comme un « véritable universitaire ».

Pourtant, dès 1840, le ministre qui l’avait nommé refusa qu’il se présentât à Poitiers au concours pour la chaire que BONCENNE avait laissé vacante « en se fondant sur ce qu’un professeur qui aurait échoué serait compromis aux yeux des élèves » ! Par suite, c’est très fréquemment que son dossier personnel fait état de demandes de mutations, de nominations, ou même d’autorisations à concourir comme en 1851 où le juriste fait partie des candidats en lice désireux d’occuper la chaire de DE GERANDO. En effet, même si CHAUVEAU demanda avant tout à quitter l’enseignement du droit administratif (en 1861 il demande ainsi une chaire de droit criminel ; en 1863 une autre de droit commercial etc.), il cherchait également une promotion (auprès de l’Ecole du Panthéon) mais aussi – et peut-être surtout – à quitter la ville de Toulouse dans laquelle dès son arrivée il eut quelques démêlés.

Notons d’ailleurs que CHAUVEAU écrivit tant et tant de demandes de mutations que cette action lui fut expressément reprochée dès 1845. Le ministre écrivant ainsi au Toulousain : « j’ai lieu de m’étonner, Monsieur, que pour me témoigner vos vœux à cet égard vous ayez cru devoir recourir à l’intervention d’un de mes collègues [en l’occurrence le Garde des Sceaux ainsi que cela se pratiquait déjà énormément]. Ce recours a quelque chose d’étranger de la part d’un fonctionnaire de l’Université ».

Adolphe Chauveau 1835 - MTD(c)

Signature personnelle de M. Chauveau (1835)
Collection personnelle - Touzeil-Divina (c)

CHAUVEAU (le mal aimé)
et « l’affaire » du doctorat

Dès son arrivée à Toulouse, CHAUVEAU fut particulièrement mal accueilli ce qui explique certainement son amertume et son désir de quitter un établissement dans lequel, lors de son arrivée, doyen, collègues et certains étudiants même, lui avaient clairement signifié que puisqu’il n’était pas docteur en droit (mais simplement licencié), il n’avait aucune légitimité à participer aux examens et à la vie même de la Faculté.

Des échanges – très vifs – eurent alors lieu entre le doyen MALPEL et lui. Le recteur THUILLIER (par lettre datée du 06 septembre 1839) décrit ainsi : « Depuis sa nomination, ce fonctionnaire n’a cessé d’exciter les plaintes les plus vives soit par la faiblesse de son enseignement, faiblesse qui s’est révélée dès la 1re leçon, soit par la turbulence de son caractère qui a donné occasion à plusieurs scènes scandaleuses » et notamment à de nombreuses injures destinées aux autres membres de la Faculté de droit (doyen compris !). Le 06 mai de cette même année il avait ainsi, pendant une séance disciplinaire, « dit tout haut qu’un simple doyen n’avait pas le droit d’agir comme [il agissait] et comme M. le recteur voulut le rappeler aux convenances, il répliqua avec arrogance qu’il avait eu tort de dire un simple doyen et qu’il aurait été peut-être plus juste de dire un doyen simple » !

Il n’en fallut pas davantage pour provoquer l’ire dudit doyen MALPEL qui signifia ouvertement à son ministre que non seulement CHAUVEAU devrait être rappelé à l’ordre mais encore qu’il était impératif qu’il obtienne dans l’année son grade de docteur pour ne pas se trouver comme il l’avait déjà été à examiner des « hommes plus avancés que lui ».

Auprès de BONCENNE et de FOUCART, CHAUVEAU revint donc à Poitiers pour terminer ses études (sic) et retourna ensuite à Toulouse où, peu à peu, les esprits se calmèrent. MALPEL gardera néanmoins un souvenir amer de cet épisode et continuera à dire au ministre : « vous savez de quelles circonstances fut accompagnée la nomination de M. CHAUVEAU à la chaire de droit administratif. Il ne m’appartient pas de critiquer la disposition ministérielle qui investit du professorat un sujet qui n’était pas pourvu des grades exigés par nos règlements universitaires (…) ayant alors eu pour résultat d’enlever à nos docteurs des droits acquis, ou du moins des espérances légitimes (…) [et qui jeta] du discrédit sur les grades universitaires ».

Eléments de bibliographie

A son égard, voyez notamment :

  • aux Archives Nationales : A.N F17 / 20404 (dossier personnel) ;
  • aux Archives Nationales : A.N. F17 / 2059 (affaire du doctorat) ;
  • Dictionnaire Historique des Juristes Français (2nde édition), p. 237 et s. ;
  • BATBIE Anselme-Polycarpe, « Annonce du décès de M. Adolphe CHAUVEAU » in RCLJ ; Paris, Cotillon ; 1869, Tome XXXIV ; p. 96 ;
  • DEVAUX Olivier & ESPAGNO Delphine, « Avant Maurice Hauriou, l’enseignement du droit public à Toulouse (…) » in Histoire de l’enseignement du droit à Toulouse ; 2007 ; p. 353 et s.
  • DAUVILLIER Jean, « Le rôle de la Faculté de droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et historiques aux XIXe et XXe siècles » in Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse ; Toulouse ; 1976 ; Tome XXIV, fascicules 1 et 2 ; p. 368 ;
  • ROZY Henri-Antoine, CHAUVEAU Adolphe, sa vie, ses œuvres ; Paris, Thorin ; 1870;
  • TOUZEIL-DIVINA Mathieu, La doctrine publiciste – 1800 – 1880 (éléments de patristique administrative) ; 2009, La Mémoire du Droit ; p. 258 et s.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Histoire(s) – Chauveau [Touzeil-Divina Mathieu] ; Art. 14.

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