Archive annuelle 9 décembre 2023

ParJDA

Observations à propos des référentiels de l’Oniam

Art. 417.

Le présent article rédigé par Mme Louise Viezzi-Parent, doctorante en droit public, Université Toulouse Capitole, IMH, s’inscrit dans le cadre de la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

La présente recherche s’inscrit dans la continuité d’un mémoire de recherche du Master II Droit de la santé intitulé « Entre incapacité permanente partielle et déficit fonctionnel permanent : passé, présent et perspectives d’évolutions », et fait l’objet d’un approfondissement dans le cadre de travaux de Doctorat.

Si l’on pensait que la question de la juridicité des normes dites « de droit souple » avait trouvé un épilogue grâce à l’arrêt GISTI du 16 juin 2020, il semblerait que le caractère de certaines d’entre eux continue d’interroger.

Tel est le cas en l’espèce, concernant les référentiels indicatifs de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ci-après « ONIAM ») qui concernaient respectivement les accidents médicaux et les dommages imputables à la contamination par le virus de l’hépatite C.

Si dès la première page de ce référentiel, ce dernier est cristallisé comme n’ayant qu’une simple portée indicative du fait « qu’aucune situation ne ressemble vraiment à une autre (…) une offre ne peut se fonder sur la seule application mécanique d’un référentiel », tout en rappelant qu’ « une fourchette est proposée », laquelle « ne reste pour autant qu’une indication », il n’en reste pas moins que la portée juridique de cet outil est aujourd’hui source de débats.

C’est ainsi que deux Professeurs d’Université ont tenté de faire annuler de manière partielle et pour excès de pouvoir, les deux référentiels suscités arguant d’une part, que l’indemnisation proposée par l’ONIAM pour ce poste de préjudice de « l’aide tierce personne »[1] était inférieur aux minima salariaux, d’autre part, que l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent créait une violation de l’égalité entre homme et femme pourtant gravée dans notre ordre juridique interne au sommet de la hiérarchie des normes, trouvant son essence dans le préambule de la Constitution de 1946[2].

Néanmoins et avec ces arguments, le Conseil d’État ne leur laissera pas la possibilité d’aller plus loin, réfutant un intérêt à agir[3], tant en leur qualité de membres du collège d’experts des victimes du valproate de sodium placé auprès de l’ONIAM, qu’en qualité d’usagers du système de santé. Le Conseil d’Etat choisissait ainsi de rejoindre la conception restrictive prise par les défenseurs de l’ONIAM, s’éloignant de la position choisie par les requérants aux mots du Doyen Hauriou : « De même que chaque citoyen a le bulletin de vote, de même il convient qu’il ait la réclamation contentieuse »[4].

Dès lors, il ne s’agira pas ici de s’attarder sur la qualification, ou non, d’un intérêt à agir puisque cette thématique a d’ores et déjà été traitée par le brillant Professeur Touzeil-Divina[5], mais bien de se pencher sur la question de la normativité d’un tel référentiel (I), s’interrogeant sur la sémantique même de ce mot (II).

Si la juridicité des normes de Droit souple a longtemps été l’objet d’une négation (A), la question des référentiels de l’ONIAM en tant que tels se pose (B).

A. De la négation de la juridicité des normes de Droit souple à son acceptation

La question de la justiciabilité et de la normativité des instruments de droit souple n’est pas nouvelle puisqu’elle s’était d’ores et déjà posée de manière plus générale en droit administratif où s’entremêlent à la fois les sources de droit formelles et matérielles, lui permettant d’exister « hors des canaux officiels de production du droit »[6]. Si cette question suscite encore les passions à l’heure actuelle, elle est largement aidée tant par le Conseil d’Etat ayant consacré son étude annuelle sur cette thématique, que par les avocats aux différents conseils de l’Ordre, consacrant sa revue « Justice et Cassation » de 2023 sur « Le contentieux du Droit souple ».

Il est dès lors opportun de revenir à la genèse d’une telle préoccupation. Aussi, le « droit mou », « droit gazeux »[7] ou encore de manière plus anglo-saxonne « soft law » a « pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible, leur adhésion ; ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires ; ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit »[8],mais peut également être amorcé comme « Un ensemble disparate de dispositifs d’origines diverses (directives, circulaires, recommandations, déclarations, résolutions, guides de déontologie, codes de conduite…) qui ont en commun de ne pas avoir de valeur normative impérative, n’étant créateur ni de droits ni d’obligations, mais qui n’en exercent pas moins une influence régulatrice sur les comportements en cause »[9].

Si tant le rapport de 2013, que le lexique des termes juridiques s’attachent à relever que le Droit souple, n’est créateur ni de droit, ni d’obligation, cette affirmation semble aujourd’hui erronée du fait de la jurisprudence particulièrement prolifique sur ces questions[10].

Cette tendance n’est pas nouvelle, puisque portée par les préoccupations juridiques de la seconde moitié du XXe siècle qui rendaient possible un recours en annulation face à des actes au demeurant considérés comme insusceptibles de recours. La tendance était ainsi lancée en 1954 dans l’arrêt Notre Dame du Kreisker[11]qui différenciait les circulaires interprétatives des circulaires recouvrant un caractère règlementaire. Si ces premières se bornent « à interpréter les textes en vigueur »[12], les secondes fixent « des règles nouvelles »[13], et c’est bien en cela qu’elles présentent le caractère d’actes règlementaires susceptibles de recours.

Cette interprétation prétorienne ne se pérennisera pas pour autant[14], mais présentera l’avantage d’ouvrir le contentieux de l’excès de pouvoir à des normes pourtant considérées comme ne faisant pas grief. Il en sera de même pour les lignes directrices[15], les mesures d’ordre intérieur[16] qui régissent selon les mots du Doyen Hauriou « la vie intérieure des services » ou bien de manière plus spécifiques, les recommandations de bonne pratique édictées par la Haute Autorité de Santé en matière médicale[17].

Cette révolution sera finalement parachevée par l’arrêt GISTI[18], qui viendra poser le principe selon lequel « les documents de portée générale émanant dautorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de lexcès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre »[19].

Cet arrêt présentera l’avantage de viser in extenso les documents de portée générale, permettant une approche élargie, mais également l’inconvénient de ne comprendre que ceux émanant d’autorités publiques, limitant dès lors la portée de cette jurisprudence aux seuls actes de ces dernières.

B. Les référentiels ONIAM, une norme de Droit souple ?

Comme nous avons pu le voir, l’arrêt GISTI présente l’avantage de définir clairement les actes de droit souple susceptibles de faire grief mais circonscrit néanmoins cette possibilité aux seuls actes pris par les autorités publiques dont il convient de spécifier la portée. La doctrine assimile bien souvent la définition « d’autorités publiques » à celle de « pouvoirs publics », cette dernière recouvrant néanmoins une dimension moins restrictives que celle précitée. Dès lors, peuvent être considérés comme « pouvoirs publics », les « organes de l’État et même parfois ceux des collectivités territoriales »[20].

Aussi, puisque l’ONIAM est un établissement public administratif national, il ne fait aucun doute qu’il entre dans la conception qui est faite des pouvoirs publics. C’est puisque la gestion a été déléguée de l’État à un établissement public que ce dernier met en oeuvre la volonté de la puissance publique, et c’est ainsi qu’il dispose d’instruments[21] et qu’il participe en tant que pouvoir public à un intérêt général donné conformément à son principe de spécialité.

Dès lors et conformément à l’essence de la jurisprudence GISTI, il pourrait apparaître que les référentiels en cause recouvrent en eux-mêmes, les caractères énoncés par le prétoire entraînant ainsi la possibilité d’une annulation pour excès de pouvoir.

Il s’en trouverait ainsi que si l’on oppose la conception de « norme » à celle de « droit souple » ces derniers ne pourraient de prime abord, qu’être antonymes. En effet, tandis que la norme repose sur les critères d’obligation, de généralité mais également d’impersonnalité, il n’est pas dans l’essence même du droit souple que de recouvrir ces caractères.

C’est puisque la possibilité est donnée que le droit est souple, c’est puisqu’il est recommandé et non pas imposé que la portée est toute autre, c’est puisque l’on conseille que l’on s’éloigne de toute portée contraignante ; c’est néanmoins puisque l’on impose au lieu de préconiser que la loi « douce » ne l’est plus tant et qu’elle recouvre ainsi une partie de l’acception de la norme. De la confusion de deux antonymes pourrait ainsi naître des synonymes.

Si le Conseil d’Etat n’a dès lors, pas offert la possibilité aux requérants d’exposer leur(s) argument(s) que rejoint la présente démonstration sur le caractère contestable de l’acte, nul doute qu’un revirement de jurisprudence aurait eu fait grand mal dans la sphère du dommage corporel, à l’heure où cette matière est gouvernée par des soi-disant « référentiels » et « nomenclatures »[22] qui, en réalité, « se révèlent fortement normatifs »[23].

Le Droit du dommage corporel est une matière, de facto, gouvernée par le droit souple du fait de l’application de « référentiels » et de « nomenclatures » (A), néanmoins nuancé par la sémantique même de ces outils (B).

A. Le Droit du dommage corporel : une matière gouvernée par le « droit souple »

La question de la sémantique adoptée pour les référentiels de l’ONIAM n’est pas la seule qui gouverne le Droit du dommage corporel.

La principale problématique de cette matière tend à la justesse de l’appréciation du coût de la vie. Si selon Malraux « la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie » – que l’on pourrait aisément appréhender dans un autre contexte – cette vérité n’est pas si absolue là où il est aisément admis que les larmes se monnaient[24] et que bien « qu’irréparable par nature, le dommage corporel doit néanmoins être indemnisé »[25].

Dès lors que le dommage est déterminé, encore faut-il décider à quel prix ces larmes se monnaient. La difficulté réside en l’appréciation in concreto qui est faite auprès de chaque juridiction. Dès lors, une personne présentant des dommages similaires à une autre pourrait obtenir une indemnisation tout à fait différente de cette dernière du fait de postes de préjudice subjectifs pour la plupart[26], ne permettant pas d’uniformiser les sommes octroyées.

Nous avons ainsi pu amorcer les référentiels ONIAM qui ne peuvent être considérés autrement que comme du droit souple susceptible de recours du fait de leur caractère particulièrement influent sur les comportements en cause, le Droit commun se réfère pour sa part le plus souvent au référentiel Mornet et peine par ailleurs parfois à s’en détacher, soulevant la peur de voir un jour « forfait sur l’indemnité »[27] alors même que le principe de réparation intégrale gouverne ce contentieux[28].

Mais les « barèmes » utilisés en dommage corporel ne sont pas les seuls à souffrir de cette rigidification du « droit souple ». Le même constat peut être fait pour la nomenclature Dintilhac[29], notamment du fait que les juridictions peinent à s’en détacher alors même que certains postes de préjudice appellent à amélioration, voire à totale refonte. Tel est le cas du déficit fonctionnel permanent dont il est censé être la seule prolongation post-consolidation du déficit fonctionnel temporaire, mais qui ne contient pour autant pas les mêmes sous catégories.

Si de prime abord et lors d’une lecture simple nous pourrions croire en la possibilité d’une contestation de ces référentiels et nomenclatures en tant qu’ils influencent grandement l’indemnisation des intéressés, cette hypothèse est totalement exclue dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives, n’entrant pas dans les « pré-requis GISTI » – du fait qu’ils ne sont pas pris par les autorités publiques – s’éloignant ainsi d’un possible contentieux.

Le contentieux du dommage corporel dans son indemnisation et dans la détermination des postes de préjudice qui faisait auparavant sa force du fait de la facile modulation qui pouvait être entreprise par les acteurs, en fait aujourd’hui son point faible à laquelle sont opposés, entre autres, les avocats de victime, craignant d’une rigidification des procédures – ce qui est d’ores et déjà le cas aujourd’hui – qui entraînerait une baisse des indemnisations des victimes qui s’en trouveraient doublement lésées ; une première fois lors de la survenance du dommage, une seconde, lors de l’indemnisation de ce dernier.

B. Les référentiels ONIAM, vraiment ?

En l’espèce, il s’agissait de contester, d’une part, le taux de l’aide tierce personne, d’autre part, la différenciation de situation qui était faite dans le référentiel entre les hommes et les femmes – comme dans le référentiel Mornet ou bien le barème de capitalisation de la Gazette du Palais qui en font la distinction –, qui mène pour la dernière tranche d’âge, alors même que le déficit fonctionnel permanent est le même, à une baisse de l’indemnisation proposée pour le sexe féminin – qui est nonobstant largement défavorable aux hommes comme nous pouvons l’observer, pour les quatre vingt dix premières années -.

Nous ne nous attarderons pas dessus ici en ce que le Conseil d’Etat n’a pas laissé aux requérants, l’opportunité de défendre ce point de vue, très audacieux et qui interroge encore à l’heure actuelle l’égalité entre hommes et femmes, pourtant consacrée par nos plus hautes normes.

Évidemment, les plus grands défenseurs de cet outil – dont nous admettrons volontiers qu’il permet a minima d’offrir une vue d’ensemble aux acteurs de l’indemnisation – se baseront sur le fait qu’il n’est « qu’indicatif »[30] et que ses dispositions ne sont qu’une simple « indication »[31].

Pour autant, dans la réalité, les juridictions font application quasi-systématique des dispositions de ce « référentiel ».

Ainsi par exemple, très récemment, le tribunal administratif de Rennes[32] s’est-il basé sur « le barème de l’ONIAM » – vraisemblablement un barème alors… – pour déterminer l’indemnisation d’une femme suite à un accident médical. Lui ont ainsi été octroyées la somme de 9,86 € par jour de déficit fonctionnel temporaire – en référence au « barème ONIAM »  qui fixe l’indemnisation ne pouvant vraisemblablement être inférieure à 300 € par mois, soit sur 30,5 jours,… 9,83 € –, de 3.100 € pour des souffrances endurées à 3 / 7 – toujours en référence au « barème », lequel propose un minima de 3.076 € –, de 2.300 € pour un déficit fonctionnel permanent de 2 % chez une femme de 39 ans au moment de la consolidation – c’est 82 € de moins que ce que le « barème » propose, dont nous remarquerons la table d’équivalence comme profondément injuste, comme si des personnes de 20 à 29 ans pouvaient être classées dans une même catégorie, là où le référentiel Mornet innove[33], en proposant un delta de cinq ans entre les périodes –, et de 1.000 € pour un préjudice esthétique (PEP) de 1,5 / 7 – là où le référentiel propose une moyenne de 955 € pour un PEP de 1 / 7 et de 1.849 de 2 / 7 -.

Nous pourrions croire que la référence à un « barème » qui plus est « indicatif » – les deux mots semblant entendus ici comme étant difficilement conciliables –, par la juridiction de Rennes n’était qu’un hasard. Néanmoins, bis repetita, le tribunal administratif de Nancy[34] octroiera une indemnisation de… 1.849 € à une femme ayant subi des souffrances évaluées à 2 / 7, cette fois-ci en n’explicitant pas s’être basé sur le « barème de l’ONIAM », mais reprenant pour autant la très exacte somme à laquelle il fait référence.

Nous ne blâmerons évidemment pas le juge qui ne peut statuer ultra petita, mais dont le rôle serait ainsi de ramener à de plus juste proportions les sommes demandées, pour se conformer au « barème » et évincer toute demande qu’il jugerait ainsi disproportionnée en référence à ce dernier.

Si le référentiel de l’ONIAM dès son prologue, nous annonce permettre « l’égalité de traitement des demandeurs sur l’ensemble du territoire », aidé par les juges qui se positionnent en tant que gardien de ce premier, une telle égalité d’un point de vue de l’indemnisation ne serait-elle pas davantage utopiste qu’objectivement réalisable ? La contradiction de cette disposition tient en ce que dernier n’est « qu’indicatif » parce-qu’« aucune situation ne ressemble vraiment à une autre », mais dont l’application par les juges lui donne de facto, le caractère de « barème ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Viezzi-Parent Louise, « Observations à propos des référentiels de l’Oniam »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 417.


[1] Ce poste de préjudice s’entendant, au sens de la nomenclature Dintilhac, comme étant un préjudice patrimonial permanent, soit entrant en jeu après la consolidation de l’intéressé. Il est défini à l’article 34 de cette première comme visant « à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d’une tierce personne à ses côtés pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie ».

[2] L’égalité entre homme et femme est consacrée symboliquement dans les trois premiers alinéas du préambule de la Constitution de 1946, constitutionnalisé en 1971 par la décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971.

[3] Pour une définition de l’intérêt à agir, voir Guinchard S. (dir.) et alii, Lexique des termes juridiques 2020-2021, Paris, 2020, p. 582 : « Condition de recevabilité de l’action en justice consistant dans l’avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa prétention. L’intérêt doit être personnel, direct, né et actuel ».

[4] Citation provenant des conclusions de l’affaire.

[5] Touzeil-Divina M., « Irrecevabilité d’un recours contre le référentiel ONIAM », JDA, 2023.

[6] Deumier P., « Saisir le droit souple par sa définition ou par ses effets » in Le Droit souple, étude annuelle 2013, 2013, p. 250.

[7] Magnon X., « L’ontologie du droit : droit souple c. droit dur », RFDC, 2019, p. 946.

[8] Conseil d’Etat, Le Droit souple, Étude annuelle, 2013.

[9] Guinchard S. (dir.) et alii, Lexique des termes juridiques 2020-2021, op. cit.

[10] Deumier P., Puig P., « Quand le droit souple rencontre le juge dur ; Note sous Conseil d’État, assemblée, 21 mars 2016, requête numéro 368082 », RTD Civ, 2016, p. 571.

[11] CÉ, 29 janvier 1954, Notre Dame du Kreisker, req. 07134.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Sur ce point voir CE, Ass., 28 juin 2002, Villemain, req. 220361 qui offre la possibilité de saisir le juge administratif lorsque l’interprétation faite par les circulaire « méconnaît le sens et la portée des prescriptions législatives ou réglementaires qu’elle se propose d’expliciter ou contrevient aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes juridiques », mais également CE, 18 décembre 2002, Duvignères, req. 233618 qui abandonne la dichotomie auparavant opérée dans l’arrêt Notre Dame du Kriesker pour se consacrer davantage, non pas sur l’objet, mais sur les effets de l’acte. C’est puisqu’une circulaire recouvre des dispositions impératives qu’elle est susceptible de faire grief.

[15] CE, Ass., 21 mars 2016, Fairvestra, n°368082, CE, Ass., 21 mars 2016, Société NC Numéricable, n°390023.

[16] Sur les mesures d’ordre intérieur qui ont fait l’objet d’un lourd contentieux, voir T. Confl., 22 février 1960, Dame Fargeaud D’Epied, req. 01647, CE, Ass., 27 janvier 1984, Caillol, req. 31986, CE, 12 mars 1980, Centre Hospitalier spécialisé de Sarreguemines, req. 12572, CE, 10 octobre 1990, Garde des Sceaux, req. 107266, CE, Ass., 17 février 1995, Marie, req. 97754, CE, 14 décembre 2007, Garde des Sceaux c/ Miloud, req. 290730, CE, 14 décembre 2007, Pascal, req. 306432, CE, 14 décembre 2007, M. A, req. 290420 .

[17] Sur ce point voir CE, 26 septembre 2005, Conseil National de lOrdre des Médecins, req. 270234 et CE, 27 avril 2011, Formindep, req. 334396.

[18] CE, 12 juin 2020, GISTI, req. 418142.

[19] Sur ce point voir Touzeil-Divina M., « Un nouveau « recours Gisti » contre les lignes directrices ? À propos de CE, sect., 12 juin 2020, n° 418142, Gisti, Lebon », JCP A, 2020, p. 4.  

[20] Guinchard S. (dir.) et alii, op. cit.

[21] Pour ne citer que les prérogatives de puissance publique.

[22] Sur ce point voir la nomenclature Lambert-Faivre suivie de la nomenclature Dintilhac qui, bien qu’indicatives recouvrent de manière bien trop régulière, celle de norme impérative.

[23] Quézel-Ambrunaz C., « Les postes extra-patrimoniaux dans les référentiels d’indemnisation face à l’inflation », Gaz. Pal., p. 9, 2023, n°33.

[24] Pour une illustration voir Tapinos D., « L’appréhension du dommage corporel par la doctrine juridique », Gaz. Pal., 2013, n°47,

[25] Lambert-Faivre Y., « Dommage corporel. Mieux réparer l’irréparable », in Études offertes à Geneviève Viney, LGDJ, 2008, p. 567.

[26] À titre d’exemple, si le déficit fonctionnel permanent est constitué en lui-même d’un élément objectif qu’est l’atteinte physiologique, il est également composé de deux éléments objectifs – les douleurs ressenties post-consolidation ainsi que les troubles dans les conditions d’existence –, qui rendent difficile un chiffrage uniforme sur un même dommage et qui entraîne de manière quasi-systématique à la seule indemnisation du dommage physiologique.

[27] EWALD F., L’État providence, Grasset, 1986, p. 283, prononcé à l’occasion d’un discours du Sénateur Thévenet sur l’indemnisation des accidents de travail.

[28] Référentiel ONIAM, p. 3.

[29] Nomenclature sur laquelle l’ONIAM se base pour fixer les postes de préjudice pouvant être indemnisés, la nomenclature Dintilhac étant considérée comme la plus aboutie à l’heure actuelle bien qu’elle recouvre une dimension de plus en plus vétuste et qui devrait être sujette à actualisation et amélioration.

[30] Référentiel indicatif d’indemnisation par l’ONIAM, p. 4.

[31] Ibid.

[32] TA Rennes, 16 octobre 2023, req. 2302299.

[33] Nous ne prendrons pas le parti de dire que ce dernier est exempt de tout reproche.

[34] TA Nancy, 18 août 2023, req. 2101427.

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ParJDA

Jules Liégeois (1833-1908), « professeur hypnotisant » du Droit (II/II)

Art. 417.

Le présent article rédigé par le pr. Mathieu Touzeil-Divina, Co-directeur du Master Droit de la Santé, Université Toulouse Capitole, s’inscrit dans le cadre de la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la Santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif. Il est composé de deux parties :

Jules Liégeois (1833-1908)
« professeur hypnotisant » du Droit – II

La présente contribution est respectueusement dédiée à la plus nancéienne des avocates (Sophie H.) et au plus liégeois des Méditerranéens (Idir C.) ainsi, naturellement, qu’au chevalier Estéban T.
Elle est, enfin, offerte à la plus hypnotisante et chérie des sœurs.


Jules Liégeois,
entre les médecines & les droits

1884-1889. En matière de suggestion, l’ouvrage le plus important de Liégeois se construira en deux temps : en 1884, d’abord, il fait publier son Mémoire préc. de 1884 qu’il a défendu, non sans courage, à l’Institut de France. En 1889, il a considérablement augmenté le volume de sa démonstration et de sa production et en offre un opus intitulé : De la suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale[1]. Il s’agit de son œuvre la plus importante hors des Répétitions écrites sur le droit administratif.

De 1884 à 1888, il a affiné ses théories, démontré à nouveau et avec plus de rigueur ce qu’il avait commencé à indiquer et – surtout – il a tenu compte de tous les arguments contraires notamment portés par Charcot et ses disciples pour prévoir quelques contre-attaques et/ou réponses. En effet, comme le rappelle Liégeois en introduction de la publication de 1889, son mémoire du printemps 1884 avait occupé cinq séances complètes à l’Institut : deux (les 05 et 19 avril) pour qu’il expose ses propositions et découvertes et trois (les 26 avril, 03 et 10 mai 1884) pour qu’elles soient discutées et parfois contredites violemment. Il comptait donc beaucoup – pour être davantage entendu et compris – sur l’aide de celui qui l’avait invité au printemps 1884 à présenter son point de vue devant l’Académie des sciences morales et politiques : Émile Boutmy (1835-1906). Fondateur (en 1871) de la future Sciences Po Paris, l’homme est ouvert à toutes les idées susceptibles d’entraîner progrès, discussions mais aussi controverses. Avec Liégeois, il trouve un orateur réunissant toutes ces qualités et l’invitera même à rejoindre l’Académie comme correspondant en 1899.

L’exemplaire sur lequel nous avons eu la chance et le plaisir de travailler cette contribution était précisément dédié à Boutmy, en 1889, avec un hommage des plus sincères. Nul doute qu’il s’est agi d’un précieux soutien permettant à Liégeois, au-delà de Nancy, de présenter et de confronter ses doctrines (A) mais aussi de s’insérer dans le milieu de la médecine légale alors exclusivement dirigé par des docteurs en médecine, surtout parisiens (B).

A.   Jules Liégeois & les doctrines de la suggestion
aux prismes du Droit

Doctrines liégeoises de la suggestion. En 1889, les premiers mots de la démonstration de Liégeois sont pour l’École de Paris et – plus spécialement – non pour Charcot mais pour son élève Gilles de la Tourette. Liégeois et lui forment un duo exceptionnel de savants aux caractères trempés et aux convictions profondes n’hésitant pas à s’invectiver parfois et à s’interpeller souvent à l’instar d’un Duguit (1859-1928) et d’un Hauriou (1856-1929) à la même époque dans les Facultés de Droit. Ainsi écrit Liégeois[2] : « L’auteur, qui est médecin » ce qui est déjà un premier tacle lorsqu’on se rappelle que Gilles de la Tourette lui faisait remarquer qu’il n’avait aucune légitimité à parler de santé en tant que profane… ce qui permettait ici au professeur de Droit de faire remarquer que dans l’expression « médico-légale » il y avait aussi du Droit. « L’auteur, qui est médecin » donc « proclame que « s’il y a quelque chose que l’on puisse redouter dans l’hypnotisme, ce n’est pas la suggestion » ». Or, contredit de façon diamétralement opposée le Lorrain : « s’il y a, au point de vue médico-légal, quelque chose à redouter dans l’hypnotisme, c’est la suggestion ».

L’ouvrage est alors s’abord construit sur l’étude des racines et des progressions de la suggestion au regard du mesmérisme, du magnétisme animal ou encore de l’hypnotisme de Braid. Et ce n’est qu’après avoir rappelé[3] cette évolution qu’il va pouvoir distinguer la suggestion telle qu’elle est envisagée à Nancy de toutes les autres méthodes. L’œuvre pédagogique en est remarquable comme l’est[4] sa façon d’oser affronter toutes les autres théories et thèses existantes de front. Partant[5] va insister Liégeois : il existe différentes formes, degrés et modes d’hypnotismes, de sommeils et de suggestion. Toutefois, au regard du Droit, la première question essentielle est, selon lui, celle du consentement.

En travaillant d’abord et avant tout sur les questions de volonté et de consentement à un acte ou à un fait, la démarche du juriste Liégeois n’étonne pas. Il s’agit de la base même de l’ensemble du droit romain et du droit privé encore positif. Il s’agit aussi de ce que l’on attend d’une étude juridique ou par un juriste sur un sujet donné.

À nos yeux, à cet égard, le premier apport de Liégeois à la réflexion sur l’hypnose réside bien dans ce questionnement : quelle est la liberté des hypnotisés ? ; jusqu’où peut aller la suggestion malgré la volonté ou le consentement ? Et c’est d’ailleurs précisément sur ce sujet qu’on le consultait et qu’on attendait ses propositions et ses expertises juridiques comme en témoigne la visite préc. du professeur belge Delbœuf à Nancy en 1887[6]. De tous les promoteurs de l’École de Nancy, Liégeois était manifestement le « préféré » de Delbœuf qui n’a à son égard, même lorsqu’il est en désaccord, que des termes mélioratifs et positifs (ce qui n’est clairement pas le cas avec Bernheim (où l’on sentirait même des relents d’antisémitisme[7]). On pourrait même dire, avec gourmandise, que de Liégeois, Delbœuf avait fait son chocolat liégeois.

Concrètement, affirmait Liégeois, sous certaines conditions – d’où un danger évident – quiconque pouvait être hypnotisé et – certains – (et non tout un chacun) en fonction de ses appétences, de ses croyances et de son sens moral (soulignera Bernheim) pouvait se voir suggérer, comme malgré sa volonté, de commettre les pires infractions. Juridiquement, cependant, puisque la volonté n’avait pas été exprimée et le consentement matérialisé, la victime hypnotisée ne pouvait[8] « dès lors être considérée comme libre, ni, par suite, comme responsable ».

De même, sur ces rapports entre Droit, hypnotisme, suggestion et médecine, Liégeois proposait même que la Justice n’ait[9] « pas le droit de faire hypnotiser un prévenu pour obtenir de lui, par ce moyen des aveux ou les dénonciations auxquels » il se serait refusé « dans son état normal, c’est-à-dire quand il jouit de son libre arbitre ».

Suggérer une infraction malgré le consentement de l’hypnotisé est-il possible ? « Oui », assurément, répond presque avec gourmandise Liégeois qui en effraye le public craignant que n’importe qui ne se voit suggéré de tuer quiconque ou de voler n’importe quoi. Même s’il va, au fur et à mesure des années, et dès 1889, atténuer cet enthousiasme en montrant l’importance de réunir plusieurs conditions pour qu’un crime soit suggéré malgré la volonté de son commettant, Liégeois, alors tout de même soutenu par Beaunis, va trop inquiéter ses collègues nancéens et réjouir ses détracteurs qui ne retiendront que cette hypothèse (et non les conditions de sa matérialisation). En 1884, ainsi, devant l’Académie des sciences morales et politiques, Liégeois avait conclu que[10] « les personnes qui rêvent à haute voix et qui semblent a priori plus hypnotisables que les autres, agiront prudemment en ne regardant pas trop longtemps et avec trop grande fixité des étrangers, des inconnus, avec lesquelles elles se trouveraient seules, par exemple, dans un compartiment de chemin de fer ». Georges Gilles de la Tourette[11] s’en était ouvertement moqué en résumant le propos comme suit : « la suggestion est l’épée de Damoclès constamment suspendue sur nos têtes » !

Suggérer une infraction malgré le consentement de l’hypnotisé est-il possible ? « Non » va alors rétorquer très rapidement Bernheim rassurant ledit public et ses autorités mais se séparant une fois de plus de son « ami Liégeois » : pour qu’une telle suggestion soit possible, il faut nécessairement que le « sens moral » de l’hypnotisé accepte (sinon encourage) l’infraction suggérée. Il faut, expliquait Bernheim dans son dernier ouvrage[12], une « conscience morale absente » ainsi qu’une « suggestibilité » très forte.

Ainsi, écrit explicitement Bernheim[13] : « Quand M. le professeur Brouardel[14] nous fait dire que toujours le somnambule appartient au magnétiseur (sic) comme le bâton du voyageur appartient au voyageur, il exprime là une idée qui n’appartient pas à l’École de Nancy » (nunc). En effet, pour Bernheim, une idée même amorale n’est que « suggérée » à un hypnotisé qui demeure « capable de volonté ». N’est-ce pas, peu ou prou, le même « diagnostic » ou énoncé que celui préc. mais un siècle et demi plus tard des juges administratifs nancéens dans leur décision du 29 mars 2022[15] : « le procédé de l’hypnose ne peut, pour pouvoir être pratiqué, être réalisé contre le gré du patient ». Les magistrats ont donc suivi Bernheim bien plus que Liégeois.

Insistant sur la force des mots et de la parole suggérés pour démontrer avoir coupé les liens avec le mesmérisme, les fluides et les « passes » magnétiques, Liégeois va même être l’un des pionniers en matière de suggestion à distance. Dès 1885, il s’en fait l’écho à l’Académie de Stanislas[16] (et le reprendra dans l’ouvrage préc. de 1889) par l’usage du téléphone ce que Braid dans sa neurypnologie avait déjà imaginé en proposant des pratiques d’hypnose à distance.

Liégeois est par ailleurs l’initiateur des « crimes de laboratoire » ce pour quoi il sera autant admiré et applaudi (par Delbœuf par exemple) qu’hué et dénigré (par Gilles de la Tourette en particulier). De quoi s’agissait-il ? Pour démontrer son hypothèse selon laquelle on pouvait non seulement suggérer des infractions à certaines personnalités particulièrement sensibles ou prêtes à ces actes, Liégeois – respectueux du Droit et du Code pénal – entendait recréer des infractions virtuelles aux fins d’études. Il suggérait ainsi par exemple à une femme de commettre un parricide mais ce, avec des balles à blanc afin simplement de constater s’il était possible de suggérer de tels actes. Et c’est précisément parce que ces « crimes de laboratoires » étaient concluants qu’il les estimait réalistes et non imaginaires ou impossibles comme le prétendait l’École de Paris.

C’est à ce titre qu’il consacre le plus de pages de son plus important ouvrage (celui préc. sur la Suggestion et le somnambulisme de 1889) : à décrire des expériences qu’il a réalisées ou dont il a été l’observateur. Il analyse alors les conséquences juridiques de suggestions faites à des hypnotisés et imagine leurs implications judiciaires et juridictionnelles. En particulier, on l’a dit, il insiste sur les hypothèses les plus violentes ou les plus dramatiques : le viol, le crime, le parricide, etc. Plus précisément[17] encore, il imagine comment – en Justice – essayer de démontrer qu’une personne a été hypnotisée et comment l’en débarrasser[18] : « puisque le principe de l’automatisme somnambulique aurait pour effet de préserver d’une punition méritée l’auteur delà suggestion ; puisque le prévenu, en vertu de l’ordre reçu, ne le dénoncera jamais directement, il faut le lui faire dénoncer indirectement, par des actes dont il ne comprendra pas la signification, ou même par des démarches auxquelles on donnera une apparence de protection ou de défense pour le criminel lui-même ».

Au titre des « crimes de laboratoire », il traite aussi aux côtés de Bernheim les « hallucinations négatives » (dont l’expression sera jugée inepte par l’École de Paris) et qui consiste en la suggestion faite de faire disparaître du réel une chose ou une personne pourtant matériellement présente[19]. Alors explique-t-il avec des termes d’une très intéressante modernité[20] :

« Examinons maintenant quelles sont les conclusions qui peuvent être tirées des faits qui précèdent. Ils établissent, cerne semble, que, durant l’hallucination négative, les hypnotisés voient ce qu’ils paraissent ne pas voir et entendent ce qu’ils paraissent ne pas entendre. Seulement, ils voient et ils entendent d’une façon inconsciente. Il y a, en eux, deux moi : un moi inconscient, qui voit et entend, et un moi conscient, qui ne voit ni n’entend, mais auquel on peut faire des suggestions, en passant, si je puis m’exprimer ainsi, par l’intermédiaire du premier moi ».

On ressent plus loin, dans sa conclusion, une véritable excitation quand aux perspectives qu’il ouvre ou croit ouvrir et cet enthousiasme est communicatif. On l’entendrait presque s’écrier[21] :

« Jusqu’ici, on a cru que la personne rendue invisible pour le sujet hypnotique n’était pas vue par lui ; qu’elle n’était pas entendue de lui, quand on lui avait suggéré de ne pas l’entendre.
Or, j’ai montré le contraire ; je crois avoir prouvé que celui qui paraît ne pas voir, voit ; que celui qui paraît ne pas entendre, entend ; que celui qui semblait devoir être, pour un temps, insensible aux suggestions de la personne objet de l’hallucination négative, les subit avec une docilité parfaite et les réalise avec une exactitude absolue.
Si donc, — mais, c’est là une si grande espérance que j’ose à peine la formuler ! — s’il en était de même pour le malade, agité par le délire de la fièvre ? pour l’aliéné, jeté hors de la vie réelle par les fantômes que crée son cerveau halluciné ? S’il y avait là des faits de vie inconsciente, analogues, sinon identiques à ceux que nous venons de produire ? Et si l’on pouvait, dès lors, trouver dans ces désordres mêmes de la pensée, un moyen de la rétablir dans son intégrité, de faire des suggestions thérapeutiques produisant tout l’effet qu’on en obtient dans les autres états hypnotiques ? Si le délire lui-même donnait au médecin, à l’homme de l’art, le moyen de faire cesser le délire et de guérir le malade ?
Mais je m’arrête. Sans doute, l’ambition est trop grande » !

Liégeois perçoit, valorise et se réjouit de ces perspectives thérapeutiques qu’un non-médecin comme lui approche pourtant.

Il a souvent été reproché à Liégeois de n’être qu’un juriste théoricien. Or, rappelait-il fréquemment, au fil de ses pages. Comme hypnotiseur, il était un praticien. Certes, il ne détenait pas un doctorat en médecine mais voyait bien « en pratique » toutes les applications possibles et thérapeutiques de la suggestion. Et, quand on lui reprochait de n’être qu’un praticien de salon ou de « laboratoire » à l’instar de ses « suggestions criminelles » préc., il n’hésitait pas à rappeler qu’aux côtés des médecins Liébeault, Beaunis et Bernheim, il avait été conduit aussi à pratiquer des arts curatifs.

On avoue d’ailleurs être très étonné de ce qu’à aucun moment il n’ai été poursuivi en exercice illégal de la médecine alors qu’il décrivait des pratiques suggestives susceptibles de soigner. En particulier, insistait-il déjà et de façon très moderne, la suggestion hypnotique a des effets physiologiques et notamment antalgiques fondamentaux. Il est alors l’un des premiers non-médecins à décrire[22] « l’anesthésie chirurgicale » au moyen de la suggestion. De même affronta-t-il la question de l’amnésie potentielle des hypnotisés.

Dès 1866, Liébeault avait constaté et commencé à théoriser cette l’amnésie des hypnotisés à leur réveil sur ce qu’ils venaient d’accomplir pendant leur « sommeil ». C’est alors que le pionnier nancéen eut l’intelligence de comparer l’état d’hypnose à[23] « certains sommeils profonds » qui donnent l’impression aux réveils des intéressés qu’ils n’ont pas rêvé car ils ne se souviennent de rien. Toutes les études postérieures ont alors montré la véracité de l’intuition : nous rêvons toutes et tous dans notre sommeil « classique » et pourtant nous ne nous souvenons pas toujours desdits songes. Il en serait logiquement de même de l’état de sommeil hypnotique selon Liébeault mais rassureront ses successeurs dont Bernheim, un souvenir réel ou imaginé ressentit par un individu peut toujours être réactivé.

Partant, avait imaginé Liégeois, il existerait un « état second » provoqué par plusieurs types de sommeils qu’il avait cherché à systématiser. Partant de la théorie développée par le Dr bordelais Eugène Azam (1822-1899) sur la « condition seconde », Liégeois[24] développe l’idée selon laquelle non seulement la théorie d’Azam est la sienne mal interprétée et sans le citer mais encore qu’elle doit être améliorée pour montrer la part de « conscience » des hypnotisés. Même son pire détracteur[25] le reconnaîtra : « nous pouvons (…) concéder à [Liégeois] que personne ne lui contestera la priorité de l’idée qu’il se fait de l’état second ». Gilles de la Tourette en fera même un usage dans son ouvrage[26] sur « les états analogues » à l’hypnotisme, montrant bien, de ce fait qu’il partageait – sur ce point au moins – la conception lorraine.

B.   Jules Liégeois & la médecine légale
en théories comme en pratiques

Un triple « non » au pouvoir central. Le professeur Liégeois était courageux et parfois même téméraire pour ne pas dire imprudent. A plusieurs reprises, ainsi, il a osé dire « non » dans des situations où la plupart de ses contemporains auraient surtout contacté la fuite plus encore que le courage.

  • Ainsi, avait-il su dire « non » au pouvoir central parisien en refusant de rester au ministère de l’Intérieur pour y préférer le professorat en province. « Non » avait-il également dit à l’extension de ce même pouvoir exécutif de plus en plus centralisé. Raison pour laquelle dans ses Répétitions écrites de droit administratif, la place des territoires et notamment des départements et des communes était-elle valorisée. Il faut lire à cet égard son important commentaire[27] (de plus de cent cinquante pages) décentralisateur de la Loi du 10 août 1870 sur les conseils généraux.
  • « Non », on l’a déjà compris, avait-il également osé proclamer, en pleine séance de l’Institut de France, à l’académisme et à la Faculté de médecine de Paris. « Non » à l’École de la Salpêtrière et à Charcot, Babinski et Gilles de la Tourette qui ne pensaient pas voir venir la contestation de province et d’un juriste !
  • « Non » avait-il encore osé crier plus jeune lorsque Liégeois avait pris des risques et s’affirmer puisque l’Histoire raconte (et notamment son biographe à la notice préc. des Mémoires de la Société de Bar-Le-Duc) qu’après le coup d’état du futur Napoléon III, le chef de cabinet Liégeois apprenant que les têtes du parti républicain local (les frères Isidore (1812-1860) et Nicolas (1823-1902) Buvignier) allaient être arrêtés puis déportés, les en avertit en cachette par une missive anonyme qui leur permit de s’exiler à temps en Belgique.

Liégeois savait dire non et marquer son refus comme il savait prendre des risques et non se réfugier dans un confort commode.

L’affaire Gouffé-Bompard & le coupable liégeois idéal. Cette affaire[28] sordide est l’une des grands contentieux médiatiques et pénaux de la fin de siècle. En résumé, c’est le jour de la Sainte Radégonde, le 13 août 1889, que l’on a découvert, en deux endroits de la campagne lyonnaise (à Millery et à Saint-Genis-Laval), les restes humains mutilés d’un huissier de Justice parisien disparu depuis quelques jours, Toussaint Auguste Gouffé (1841-1889) (ainsi, en un autre lieu, que la malle les ayant contenus). L’homme n’est d’abord pas identifié formellement au point qu’il faille, trois plus tard, faire intervenir le ponte lyonnais (aux célèbres moustaches) de la médecine légale, Alexandre Lacassagne (1843-1924). Les soupçons vont alors se tourner vers un couple de suspects dont la femme, Gabrielle Bompard (1868-1920), qui va se rendre spontanément[29], va prétendre avoir agi sous hypnose au nom et sous l’influence de son amant manipulateur, Michel Eyraud (1843-1891).

Si sa théorie va être qualifiée d’impossible par les médecins de l’École de Paris, Jules Liégeois, quant à lui, non seulement va y croire mais va se déplacer à la Barre des Assises de la Seine pour expliquer son point de vue sur la possible suggestion criminelle. Il avait, cela dit, été précédé de Bernheim (qui refusera pourtant d’aller témoigner comme expert) qui avait déclaré[30] – ce qui contrariera sinon agacera l’expert médical l’ayant examiné (le pr. Paul Brouardel (1837-1906)) ainsi que l’École de Paris – que « cette jeune fille, qu’il n’avait du reste jamais vue, avait certainement agi sous l’influence de l’hypnotisme. Nous avons su, de plus, que certaines personnes l’avaient hypnotisée ». Reprenant ces propos pour les disqualifier, Brouardel (cité[31] par Gilles de la Tourette) dénia la présence d’un hypnotisme.

Pour Liégeois il ne faisait alors aucun doute (ce qu’il tentera de démontrer en une plaidoirie fleuve de quatre heures !) : Bompard était irresponsable puisque sous l’emprise suggestive de son amant. Selon Cuvelier (qui ne cite que trop rarement ses sources) : « le procureur général » (il s’agissait de Jules Quesnay de Beaurepaire (1834-1923)) « réagit violemment » à la « plaidoirie » de Liégeois à laquelle il niera toute prétention scientifique ce qui permet à Brouardel, tel un matador, d’achever le taureau liégeois et de[32] « faire rire le public aux dépends de ce professeur de droit qui voulait faire de la médecine ».

Cela dit, il n’écrit pas que Bompard a été forcée d’agir de façon criminelle. Bien au contraire, il prétendit presque « à la Bernheim » qu’elle aurait agi en fonction de la « suggestion qui lui était la plus agréable ».

La presse va saisir ce moment pour opposer les deux Écoles et notamment deux de leurs porte-parole : Liégeois et Gilles de la Tourette. Dans son « épilogue d’un procès célèbre », le médecin[33] assassina le professeur de droit et toute l’École de Nancy alors qu’en 1887, il avait soutenu et publié qu’une suggestion criminelle était tout à fait envisageable et avait même pu exister[34]. Il raconte le procès en ces termes manifestement fort justes[35] : « les journaux politiques, enchantés de l’aubaine, exploitent cette nouvelle mine et se préparent à servir à leurs lecteurs un vrai régal, un nouveau spectacle à la Molière : deux Écoles rivales s’apprêtant à s’entre-déchirer, et cela dans le prétoire » !

Le jury, cela dit, ne fut pas convaincu par Liégeois et condamna les deux amants : l’une aux travaux forcés et l’autre à la guillotine. Alors, résume le docteur en médecine Cuvelier[36], « c’est bien Liégeois qui allait par ses imprudences (sic) amorcer le déclin de l’École de Nancy ». Et, plus loin[37], « ce fut Liégeois qui, par sa fougue habituelle, commença à porter le discrédit sur Bernheim et entama la confiance de l’opinion publique vis-à-vis de Nancy ». Avec encore moins de tact mais beaucoup plus d’humour, Gilles de la Tourette[38], avait résumé[39] : « Conclusion : vingt ans de travaux forcés de la part du jury réfractaire aux suggestions de M. Liégeois » ! Edgar Bérillon, pourtant favorable aux doctrines nancéennes, dressera – dans sa Revue – un constat partiellement identique (mais plus diplomatique) en 1891[40] :

« L’intervention de M. Liégeois a-t-elle été utile à l’accusée ?
Sur ce point les avis sont partagés. Mais l’impression générale est que les doctrines de l’École de Nancy ont essuyé, sur le terrain juridique, une défaite, d’autant plus regrettable que rien ne justifiait en cette occurrence la nécessité de livrer la bataille. Elle n’a plus qu’à attendre qu’une occasion favorable, qu’un crime qui soit manifestement le résultat d’une suggestion criminelle, lui permette de prendre une revanche éclatante. Jusqu’à ce moment elle doit se recueillir, compléter ses recherches par de nouvelles expériences, affirmer son existence et sa vitalité par des travaux qui défient toute critique ».

Selon Cuvelier (sans encore citer de sources[41]), Bernheim en aurait été meurtri et aurait écrit à Beaunis : « il nous a compromis ». Manifestement, après le procès Gouffé-Bompard, Liégeois était pour son « École » comme un boulet liégeois. Pourtant, dans la Revue de l’hypnotisme, Bernheim salue le courage avec lequel Liégeois a essayé d’exposer ses doctrines pour conclure sur deux éléments fondamentaux que l’on peut résumer ainsi : sur le fond, l’École de Nancy ne prétend pas (pas même Liégeois) que chacun peut se voir suggérer de commettre un crime qu’il ne voudrait pas commettre mais seulement que sous certaines conditions, tenant en grande partie à la faiblesse et au sens peu moral de l’hypnotisé ainsi qu’à la force de suggestion de l’hypnotiseur, des suggestions d’infractions sont possibles. Sur la forme[42], il renvoie Gilles de la Tourette à l’un de ses sports favoris (après que ce dernier ait ridiculisé Liégeois en en rendant Bernheim responsable) : « il ne convient pas de suivre M. Gilles de la Tourette sur le terrain des insinuations personnelles peu dignes d’une plume scientifique » !

Et voilà le débat rendu totalement stérile, chacun accusant l’autre de ne pas être assez scientifique selon ses propres échelles et méthodes.

« Paroles, Paroles » (sur un air connu). Autour de 1900, Liégeois – malgré l’affaire Gouffé-Bompard – est reconnu pour ses travaux et ses appréhensions juridiques de la suggestion hypnotique. On lui confia en 1892 la vice-présidence du second Congrès international de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique (Londres) puis (à Bruxelles) la présidence d’honneur du congrès international de neurologie et d’hypnologie. Sa consécration s’imposait.

On le fit même venir à l’Université… de Liège[43] où Liégeois – invité par le Liégeois Delbœuf en 1888-1889 – entama une tournée internationale auprès des partisans de l’École de Nancy. Il fut décoré de la Légion d’honneur par décret du 26 juillet 1904 et membre correspondant de l’Institut de France (Académie des Sciences morales et politiques) depuis le 28 décembre 1899 attestant bien de ce que son célèbre Mémoire de 1884 avait aussi fait plus d’émules et comptait beaucoup plus de défenseurs qu’on ne l’avait suggéré.

À nos yeux, son apport principal – en ce que l’on nomme aujourd’hui le droit de la santé – consiste à avoir su affirmer, aux côtés de docteurs en médecine comme Liébeault et Bernheim surtout, que le procédé de suggestion hypnotique pouvait être thérapeutique[44] et ce, pourtant, sans être exercé par un médecin et sans que l’on touchât même au monopole médical puisqu’aucun diagnostic n’aura été posé et que l’hypnotiseur n’aura rien « prescrit » au sens d’ordonné mais aura seulement proposé : suggéré au patient une ou plusieurs solutions qu’il est le seul à pouvoir mettre en œuvre.

La force extraordinaire de ce mouvement consiste à reconnaître qu’une question de santé n’est pas qu’un objet d’études et de médecine réifié mais que le plus important est toujours le sujet : la personne humaine juridique actrice de sa propre santé. Sans aller jusqu’à dire qu’on peut lire dans l’École de Nancy une prédisposition des droits du patient acteur tels que la Loi du 04 mars 2002 les à consacrés, il nous semble évident que les réflexions nancéennes sur l’hypnose ont œuvré en ce sens – entre Droit et Médecine – en faisant du « sujet » et non de « l’objet » une priorité assumée. C’est aussi sur ce rapport au sujet[45] que se construiront les psychothérapies basées sur la parole même du patient.

Parallèlement à Liégeois, c’est en partie ce qu’affirmera Bernheim quand il explique que[46] « faire intervenir l’esprit pour guérir le corps, tel est le rôle de la suggestion appliquée à la thérapeutique, tel est le but de la psychothérapie ». « Ce n’est pas la parole de l’opérateur qui fait la guérison, c’est l’influence produite sur le cerveau de l’opéré ».

Pour mettre en avant l’École de Nancy, ses promoteurs citent souvent la visite, en 1889 à Nancy, du traducteur vers l’allemand de Bernheim, Sigmund Freud (1856-1939). Et s’il évidemment un[47] « titre de gloire pour Bernheim » et son mouvement « d’avoir profondément impressionné l’esprit de Freud » comme il en a explicitement témoigné dans plusieurs écrits, « il faut bien dire que l’œuvre de ces deux penseurs » notamment n’a « en réalité » que peu « de points communs » ! Si le dénominateur commun de la parole (suggérée ou non) est assurément un moteur identique, le terme d’inconscient, en particulier, ne revêt pas les mêmes significations.

Discrédit doctrinal & mandarinal. Cela dit, mais toujours à propos de « paroles », la dernière question que nous voudrions poser au lecteur est la suivante (a priori, ledit lecteur doit avoir une idée de la réponse que nous lui donnerions) : si l’on peut tout à fait entendre et comprendre qu’un médecin est – par formation académique et pratique clinique notamment mais aussi par protection étatique eu égard au monopole médical en France – ; si un médecin – donc – est vraisemblablement plus autorisé que quiconque non-médecin à parler de médecine, en est-il nécessairement de même lorsque l’on parle de soin et de santé ? Autrement dit, pourrait-il enfin être entendu (et plus discuté) que la santé dépasse la seule médecine et que chacun, au regard de son expérience de soin, et plus particulièrement les autres personnels et travailleurs en santé aient des mots à dire et à entendre hors du seul monopole médical ?

Dans l’histoire – y compris la plus récente – de l’hypnose, cette façon de confondre sciemment médecine et soin se répète et évacue parfois d’un revers autoritaire de main toute personne qui oserait en parler alors qu’il n’est pas médecin[48]. Cela dit, si les médecins savent user de ce stratagème rhétorique idiot consistant à discréditer un adversaire en le qualifiant de disqualifier pour ne pas lui répondre au fond, les juristes (et les professeurs de Droit y compris) en abusent également en déniant parfois aux citoyens non diplômés la capacité d’appréhender ledit Droit.

A l’instar de Delbœuf qui l’admirait peut-être aussi pour cette raison (pour en avoir également souffert[49]), Liégeois en souffrit. On raconte même qu’il en fit du boudin Liégeois.Partant, beaucoup d’hypnothérapeutes et de thérapeutes non conventionnels en souffrent encore également aujourd’hui. Or, si l’on peut s’accorder sur le fait que des soins non conventionnels peuvent être thérapeutiques ou, a minima, intégrer la définition internationale de la santé comme état de « complet bien-être », force est de constater qu’il faut inclure de nombreux exclus à la table des échanges.

À titre très personnel, on avouera avoir été très impacté et impressionné par la force de travail et de proposition de Liégeois. Ce que l’on peut entrevoir en ces quelques lignes de son travail en droit administratif comme à propos de l’hypnose et du rapport à la santé ne peut – et ne doit – qu’impressionner.

Plus fondamentalement, assure-t-on, Liégeois nous incite à apercevoir entre hypnose et Droit une relation que nous n’aurions jamais… imaginée auparavant. En effet, si – comme nous le croyons – le Droit est une représentation du réel (qui peut en différer), force est de constater que la suggestion hypnotique l’est (et peut l’être) également.

Voilà que nos deux thématiques qui pouvaient paraître si éloignées dans le même cerveau d’un ancien professeur de droit public pratiquant l’hypnose nous paraissent désormais évidentes et convergentes : c’est aux représentations du réel que Liégeois a consacré sa vie.

Après tout, cela dit, n’est-ce pas là l’essence de tous les chercheurs ayant lu Arthur Schopenhauer (1788-1860) que de considérer, après lui[50], que[51] « la représentation est le seul mode d’être à la conscience du monde » et qu’après tout le réel n’est que ce que nous voulons (et parfois pouvons) représenter : « le monde est ma représentation » ; « malgré toute l’objectivité dont la science est capable, nous ne connaissons finalement du monde que la manière dont il est pour nous, c’est-à-dire dans sa dépendance de la conscience humaine ».

Plus dramatiquement cependant, concluons en rappelant que Liégeois décéda dans un tragique accident de la circulation[52] « écrasé sous les yeux de sa femme » par un camion de transport le 14 août 1908 alors qu’il était venu prendre « les eaux » dans la station thermale vosgienne de Bains-les-Bains. Liébault avait alors déjà conclu à son égard avec un jeu de mots liégeois qu’on aurait aimé faire avant lui[53] :

« les exubérances de Liégeois dans l’affaire Gouffé nous ont valu un recul, mais c’est un recul pour mieux sauter. Les vérités surnagent comme le liège. Elles n’immergent pas ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Touzeil-Divina Mathieu, « Jules Liégeois (1833-1908), « professeur hypnotisant » du Droit (II/II) »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 417.


[1] Liégeois Jules, De la suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale ; Paris, Doin ; 1889.

[2] Liégeois Jules, De la suggestion et du somnambulisme (…) ; op. cit. ; p. III.

[3] Ibidem ; aux pages 01 à 86.

[4] Ibidem ; chap. V ; p. 143 et s.

[5] Ibidem ; chap. III ; p. 87 et s.

[6] Delbœuf Joseph, Le magnétisme animal ; à propos d’une visite à l’École de Nancy ; Paris, Félix Alcan ; 1889 ; p. 77 et s. Les chapitres XIV et s. de son opus sont totalement consacrés à l’étude de Liégeois et de ses doctrines.

[7] Op. cit. ; p. 50.

[8] Liégeois Jules, De la suggestion et du somnambulisme (…) ; op. cit. ; p. 714 et spécialement aux § 159 et s. ; 259 et s. ; 324 et s. ainsi que 402 et s.

[9] Liégeois Jules, De la suggestion et du somnambulisme (…) ; op. cit. ; p. 717 et cf. §. 560.

[10] Liégeois Jules, Mémoire sur la suggestion hypnotique (…); Paris, Picard ; 1884 ; p. 69.

[11] Gilles de la Tourette Georges, L’épilogue d’un procès célèbre : affaire Eyraud-Bompard ; Paris, Le Progrès médical ; 1891 ; p. 10.

[12] On cite ici la version de 1916 de De la suggestion ; op. cit. ; chapitre X, § 3.

[13] Cité par Cuvelier ; op. cit. ; p. 61.

[14] Il s’agit de l’un des « pontes » parisiens contemporains de la médecine légale. À son sujet, on se permettra de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, « De la « chirurgie/médecine légale » au(x) « droit (s) de la santé » (1522-2022) » in Rdss 2022, hors-série ; p. 159 et s.

[15] Décision préc. ; req. 19NC01704.

[16] Liégeois Jules, « Hypnotisme téléphonique ; suggestions à grande distance » in Mémoires de l’Académie de Stanislas ; 1885, t. III, p. 133 et s. 

[17] Voyez en ce sens : « Des expertises médico-légales en matière d’hypnotisme ; recherche de l’auteur d’une suggestion criminelle » in Revue de l’hypnotisme ; juillet 1888, p. 03 et s.

[18] Op. cit. ; p. 07.

[19] Liégeois y consacre de nombreux développements dans son ouvrage de 1889 ainsi que dans « Un nouvel état psychologique » in Revue de l’hypnotisme ; août 1888, p. 33 et s.

[20] Op. cit. ; p. 39 et s.

[21] Ibidem.

[22] Liégeois Jules, De la suggestion et du somnambulisme (…) ; op. cit. ; p. 253 et s.

[23] Liébeault Auguste, Du sommeil et des états analogues (…) ; op. cit. ; chap. XIII.

[24] Liégeois Jules, De la suggestion et du somnambulisme (…) ; op. cit. ; p. 355 et s.

[25] Gilles de la Tourette Georges, L’épilogue d’un procès célèbre ; op. cit. ; in fine ; note 22.

[26] Gilles de la Tourette Georges, L’hypnose et les états analogues au point de vue médico-légal (…) ; Paris, Plon ; 1897 (avec une préface dithyrambique du pr. Brouardel).

[27] Liégeois Jules, De l’organisation départementale, commentaire de la loi du 10 août 1870 sur l’organisation et les attributions des conseils généraux et des commissions départementales ; Paris, Marescq Aîné ; 1873.

[28] Il existe de très nombreux comptes-rendus et articles sur l’affaire (dont : Nicolas Serge, L’hypnose : Charcot face à Bernheim, l’école de la Salpêtrière face à l’école de Nancy, Paris, L’Harmattan, 2004). Tous étant très partisans, on a décidé – pour soutenir Liégeois ! – de proposer au lecteur la lecture (sûrement un peu romancée !) d’une des versions de la vérité (non judiciaire) par l’accusée Bompard et ce, dans des mémoires feuilletonnées qu’à l’époque on pouvait aisément faire paraître et qui se vendirent particulièrement bien à très grands renforts de publicité : Bompard Gabrielle, Drames vécus ; « ma confession » ; 28 numéros parus du 5 décembre 1903 au 02 juillet 1904.

[29] Alors que son complice sera extradé de l’île de Cuba où il s’était enfui après avoir d’abord rejoint Londres.

[30] Revue de l’hypnotisme ; 1889-1890 ; p. 266 et s.

[31] Gilles de la Tourette Georges, L’épilogue d’un procès célèbre ; op. cit. ; p. 05.

[32] Cuvelier ; op. cit. ; p. 70.

[33] Gilles de la Tourette Georges, L’épilogue d’un procès célèbre ; op. cit.

[34] Gilles de la Tourette Georges, L’hypnotisme et les états analogues du point de vue médico-légal ; Paris, Plon-Nourrit ; 1887.

[35] Gilles de la Tourette Georges, L’épilogue d’un procès célèbre ; op. cit. ; p. 06.

[36] Op. cit. ; p. 63.

[37] Ibidem (p. 69).

[38] Rappelons, pour l’anecdote historique, que le malheureux médecin fut victime de sa négation des suggestions criminelles. En effet, en 1893 une ancienne patiente lui tira dessus au revolver en prétendant avoir été hypnotisée ! Sans le tuer pour autant, cela le rend singulièrement dépressif et – dit-on – hypomaniaque au point que sa santé mentale en sera de plus en plus perturbée jusqu’à son décès en 1904.

[39] Gilles de la Tourette Georges, L’épilogue d’un procès célèbre ; op. cit. ; p. 16.

[40] Bérillon Edgar, « L’Hypnotisme à la Cour d’assises » in Revue de l’Hypnotisme ; 1891 ; p. 407.

[41] Op. cit. ; p. 71.

[42] Cité par Cuvelier ; op. cit. ; p. 71.

[43] Ce que rapporte Delbœuf dans son ouvrage préc. ; p. 81 et s.

[44] Avec une autre clairvoyance, Braid avait déjà envisagé la « puissance curative » de l’hypnotisme (mais non de la suggestion) ainsi qu’on peut le lire dans la traduction originelle suivante : Braid James, Neurypnologie ; Traité du sommeil nerveux ou hypnotisme par James Braid traduit de l’anglais par le Dr Jules Simon (…) ; Paris, Delahaye ; 1883 ; p. 63 et s.

[45] Sur ce rapport, on lira : Carroy Jacqueline, Hypnose, suggestion et psychologie ; Paris, Puf ; 1991 ; p. 07 et s.

[46] Cité par Cuvelier ; op. cit. ; p. 71 et s.

[47] Kissel Pierre, « L’œuvre de Bernheim : sommeil hypnotique et suggestion » in Hippolyte Bernheim (1840-1919), (…); Nancy, Pun ; 2023, p. 71.

[48] Est topique à cette égard l’édition – passionnante cela dit – du récent ouvrage sur Bernheim et qui ne met en avant « que » des professeurs de médecine comme s’ils étaient les seuls autorisés à s’exprimer : Legras Bernard (dir.), Hippolyte Bernheim (1840-1919) (…); Nancy, Pun ; 2023.

[49] L’auteur (originellement mathématicien puis philologue avant d’enseigner la psychologie) raconte ainsi qu’après sa première étude publiée sur l’Origine des effets curatifs de l’hypnotisme en 1887, la presse médicale belge « l’accueillit avec sourires et se moqua agréablement » de lui « qui n’était pas médecin cela se voyait » : Delbœuf Joseph, Le magnétisme animal (…) op. cit. ; p. 25.

[50] On fait évidemment référence à : Schopenhauer Arthur, Die Welt als Wille und Vorstellung ; Leipzig, Brockhaus ; 1819. On travaille quant à nous sur l’édition et la traduction suivante : Le Monde comme volonté et comme représentation ; Paris, Puf ; 2014 (traduction originelle de Burdeau revue par Roos).

[51] Ainsi que le rappelle : Ucciani Louis, « La représentation. Entre vérité et mensonge » in Sens-Dessous ; 2014 ; n°14 ; p. 83 et s.

[52] Notice nécrologique préc. au Bulletin de la Société d’économie politique ; op. cit. ; p. 147.

[53] Ibidem.

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ParJDA

Jules Liégeois (1833-1908), « professeur hypnotisant » du Droit (I/II)

Art. 416.

Le présent article rédigé par le pr. Mathieu Touzeil-Divina, Co-directeur du Master Droit de la Santé, Université Toulouse Capitole, s’inscrit dans le cadre de la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la Santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif. Il est composé de deux parties :

Jules Liégeois (1833-1908)
« professeur hypnotisant » du Droit

La présente contribution est respectueusement dédiée à la plus nancéienne des avocates (Sophie H.) et au plus liégeois des Méditerranéens (Idir C.) ainsi, naturellement, qu’au chevalier Estéban T.
Elle est, enfin, offerte à la plus hypnotisante et chérie des sœurs.


Selon la Cour administrative d’appel de Nancy[2] (qui s’y connaît donc en matière d’hypnotisme puisque ses magistrats semblent avoir lu les travaux de Jules Liégeois (1833-1908) et de l’École de ce même ressort géographique), « le procédé de l’hypnose ne peut, pour pouvoir être pratiqué, être réalisé contre le gré du patient ». Le juge administratif serait donc devenu un sachant médical et/ ou de santé pour affirmer cela ? Tâchons d’en savoir davantage en interrogeant Jules Liégeois.

Une, deux, trois, quatre ou « cinq » (vies de) Jules Liégeois ? Avant de nous consacrer au Jules Liégeois juriste et hypnotiseur, il faut mettre de côté d’« autres » Jules Liégeois que sont ses homonymes et qui n’auront, malgré leurs noms, aucun intérêt ici. On en recense de nombreux en France comme dans le Bénélux et ce, sûrement du fait d’un patronyme à consonnance wallonne faisant référence à la ville de Liège. On connaît ainsi un Jules Liégeois encore en activité à Nancy et dont la société s’appelle « Monsieur Jules Liégeois » ; on en recense plusieurs sur les réseaux sociaux dont ce Jules Liégeois étudiant à l’Icn Business School nancéenne ou encore ce « développeur Web Full Stack Php » installé dans la « Liégeois Inc » à Carnoux-en-Provence. Mentionnons encore un Jules Liégeois (1861-1914) serrurier et mécanicien à Andenne[3] (en Belgique) et, toujours de manière contemporaine à notre auteur, un Jules Liégeois de Wasquehal, ferblantier.

Il n’a en revanche existé qu’un seul Jules Liégeois, professeur de droit[4] et hypnotiseur (celui de notre étude) mais au point qu’on est amené à penser qu’il a eu autant de vies et de facettes prétendument qu’un chat ou qu’un personnage romanesque. À l’image des cinq autres Jules Liégeois, on peut aisément identifier cinq vies ou visages de celui ici honoré :

  • Liégeois, haut administrateur engagé dans le corps préfectoral (ce qu’il accomplira de la fin de la Monarchie de Juillet jusqu’au Second Empire) ;
  • Liégeois, professeur de droit et – en l’occurrence – premier professeur de droit administratif après la recréation de la Faculté de Nancy en 1864 (et ce, jusqu’à son départ en retraite en 1904) ;
  • Liégeois, professeur libéral d’économie politique (de 1868 à 1877 puis de 1895 à 1904 spécialement s’agissant des doctrines économiques[5]) ;
  • Liégeois, hypnotiseur et membre – d’aucuns écriront même « fondateur » – de l’École « dite » de Nancy en matière de suggestion hypnotique ; dès 1884, ainsi, avant même que le docteur Bernheim (1840-1919) ne soit davantage connu (on y reviendra), Le Monde illustré le qualifiait[6] (d’où notre titre) de « professeur hypnotisant » ;
  • et – peut-être – pour résumer les quatre aspects précédents un Liégeois autodidacte passionné par l’étude et curieux ; membre en ce sens de plusieurs sociétés savantes[7] qui déploreront son décès en 1908 même si ledit caractère passionné l’avait parfois entraîné à quelques fâcheries diplomatiquement qualifiées de[8] « malentendus » lors de son décès.

C’est en effet « seul » (on dirait aujourd’hui « à distance ») – en se préparant par des lectures et des recherches personnelles au cœur de son activité première professionnelle au sein de l’administration française – que, de la fin des années 1850 à 1863, il gravit un à un les échelons académiques pour conquérir un baccalauréat ès lettres, une licence puis un doctorat en droit. Il s’était alors inscrit à l’Université de Strasbourg (celle de Nancy n’ayant pas encore été recréée) et les archives académiques relèvent son nom comme lauréat de différents concours même s’il fut dispensé d’assiduité au regard de sa carrière. Étudiant à part et sur le « tard », il ne faut donc pas lui chercher de « maître » en droit public car il fut, comme en hypnose, son propre maître.

Une, deux, trois ou « quatre » buste(s) liégeois ? À quoi ressemblait Jules Liégeois ? Nous le savons et disposons pour ce faire d’au moins quatre éléments iconographiques principaux dont un en quatre exemplaires. Il y a d’abord une photographie dont l’un des tirages originaux (phototypie) est aux archives départementales préc. Il s’agit d’un portrait couleur sépia de l’homme, au tout début de l’année 1891 (alors âgé de 57 ans) à l’instar de ceux que l’on prenait à l’époque l’habitude de faire pour les cartes de visite. À partir de cette prise d’un dénomma « HP », Charles Morel en fixa une gravure identique et notamment reproduite dans Le Monde illustré du 27 décembre 1890 (à l’occasion du procès médiatique de l’affaire dite Gouffé). Il y a également celui que l’on nomme[9] « l’album Liébeault » qui représente, au fil de ses pages et au titre des figures de l’École de la suggestion, le professeur Liégeois. On connaît également au moins trois photographies relativement similaires (circa 1905-1908) du professeur qui servirent dans Le petit parisien, notamment, à sa nécrologie[10] ainsi qu’à l’annonce de l’érection de ses monuments et bustes[11]. Enfin, et surtout, on dispose d’un (et en fait de quatre) bustes au moins du héros lorrain. Cette production est l’œuvre du céramiste et sculpteur, Ernest Bussière (1863-1913), à qui l’on en commanda plusieurs (du bronze au plâtre) : le premier à Damvillers, au cœur de la place de la mairie de sa ville natale ; le deuxième à Bains-les-Bains près du parc des thermes où il décéda et le troisième pour la Faculté de droit de Nancy où il est également encore présent dans les salons d’honneur. En outre, on peut affirmer qu’un quatrième exemplaire au moins dudit buste existe puisqu’on l’a repéré dans la chapelle funéraire familiale où il repose au cimetière nancéen.

Une, deux, trois ou « zéro » Écoles nancéenne(s) ? Bussière, que nous venons de citer a d’ailleurs illustré une autre des célèbres écoles nancéennes : celle de « l’Alliance provinciale des industries d’art » d’Émile Gallé (1846-1904) qui a fait rayonner l’Art nouveau. Une deuxième École (outre les Mines) a marqué Nancy : la première à s’être consacré de façon scientifique et technique à la sylviculture : l’École forestière ou des forêts. Toutefois, c’est encore à une troisième de ces « Écoles de Nancy » que nous allons nous intéresser : celle dite de la naissance de la psychologie que l’on nomme également « École de la suggestion » ou même de « l’hypnotisme ».

Cela dit, comme nous avons eu l’occasion de le développer dans d’autres écrits[12], on doute – très fortement – de ce que l’École nancéenne de la suggestion ait été une véritable « École » au sens classique du terme. S’il est en effet possible d’y identifier des personnalités s’y rattachant géographiquement, thématiquement et chronologiquement (on songe singulièrement à Ambroise-Auguste Liébeault (1823-1904), à Hippolyte Bernheim, à Henri Beaunis (1830-1921) et – tardivement – à son renouveau par Émile Coué (1857-1926)), il n’y eut aucun véritable « maître » incontesté (même si la personnalité de Liébeault est originelle) et surtout à part la thématique de l’hypnose et de la suggestion, il y avait presque autant de différences et de divergences d’approches entre eux que de points d’accord. Toutefois, si l’expression devenue mythique[13] a « pris » dans le ciment académique c’est, croyons-nous et affirmons-nous, parce que, comme souvent en matière de mythologie fédératrice, elle a permis à ses promoteurs de s’affirmer face à un autre mouvement institutionnalisé à Paris, dans « l’École de la Salpêtrière » derrière Jean-Martin Charcot[14] (1825-1893) et son chef de clinique, Joseph Babinski (1857-1932) dont chacun connaît le célèbre « test » ou « signe » réflexologique.

Une, deux, trois, quatre, cinq ou « six » spécialités liégeoises ? Par ailleurs, parce que l’on a été fort déçu de ne pas trouver d’ascendance belge directe chez Liégeois et parce que l’on adore ce Royaume singulièrement dans sa partie wallonne, on a décidé de faussement dissimuler six des nombreuses spécialités liégeoises dans cette contribution afin d’en tenir le lecteur éveillé. Il y sera donc, malgré tout, bien question de café, de chocolat, de boulets (et non de boulettes comme à Bruxelles), de boudin (à la marjolaine), de sirop (évidemment !) ou encore de Lacquemant liégeois afin de leur rendre également hommage. Et l’on aurait même pu y ajouter des bières (dont la Bestiale ou la Curtius), des boukètes, de la salade, des gaufres, des rognons et même du pékèt – tous liégeois – mais il nous a semblé qu’avec six clins d’yeux, le clou serait suffisamment enfoncé. Par ailleurs, si l’on apprécie le pékèt de Liège, cette eau-de-vie de genévrier (du gin donc !), on demeure conquis par la plus lorraine mirabelle ce qui nous ramène immédiatement à Nancy où nous allons pouvoir présenter Jules Liégeois et ses travaux non seulement au cœur des « Écoles » (I) mais encore des disciplines : entre droit, hypnose et médecine (II).

I.Jules Liégeois, parmi les Écoles… ?

Avait-il un « Jules », Liégeois ? Assurément non ! Il s’est marié avec Hélène (Marie Henriette) Pfeifer (1842-1935) le 25 septembre 1867 à Nancy[15]. De cette union, naquirent au moins deux enfants :

  • Anne (Marie Marguerite) (1868-1897[16]) qui épousera[17] le premier professeur titulaire (en Sorbonne) d’une chaire d’histoire de la langue française et qui professera à Lyon puis à Paris, Ferdinand (Eugène Jean-Baptiste) Brunot[18] (1860-1938).
  • Gaston[19] (Jules Albert) (1875-1930) qui embrassera la magistrature judiciaire en étant affecté aux tribunaux de première instance d’Évreux puis d’Épinal, de Reims et enfin de Nancy.

Le couple habita notamment au 4, rue de la source puis au 8, rue de la monnaie à Nancy ainsi qu’en attestent plusieurs des archives d’État civil précédemment citées et utilisées. A Nancy, la sépulture attitrée est celle des familles Liégeois-Brunot et Gybal. Reposent ainsi aux côtés de Jules Liégeois qui avait dénoncé ce qui lui semblaient être des « menaces socialistes », un journaliste et activiste militant du parti communiste, André Gybal (1885-1960) ainsi que des compagnons de Jaurès (1859-1914), au sein de la famille de son gendre, le doyen Brunot.

« Qui trop embrasse mal étreint » ? C’est certainement ce que certains ont pu dire et penser de Jules Liégeois tant il paraît insaisissable et versé dans de nombreux champs disciplinaires et d’intérêts. Le docteur en médecine (et partisan affirmé de Charcot et de l’École de la Salpêtrière) Georges Gilles de la Tourette (1857-1904) écrira d’ailleurs à propos de Liégeois pour ridiculiser son Mémoire présenté à l’Institut de France[20] :

« Nous l’engageons (…) à méditer la vieille formule « qui veut trop prouver, ne prouve rien » et étant donné les bizarres théories médicales qui émaillent à chaque page de l’ouvrage (…), nous avons bien peur que l’École de Nancy ait trouvé en lui le malencontreux ami de la fable ».

On croit, au contraire, que c’est avec une rigueur et une volonté scientifiques identiques sinon communes qu’il a abordé puis conquis tant le droit administratif (A) que la question hypnotique (B).

A.   Jules Liégeois & l’École de Droit (le droit administratif)

Triple rencontre liégeoise. C’est en 2003, lors de nos travaux de doctorat, que nous avons rencontré pour la première fois le patronyme de Jules Liégeois associé au droit administratif ainsi qu’au nom de Louis-Pierre-François Cabantous (1812-1872), professeur titulaire (et renommé) de droit administratif à Aix-en-Provence de 1843 à sa mort. Cabantous était l’un des pères (avec les Foucart (Émile-Victor-Masséna) et les Laferrière (Firmin)) du droit administratif français dont Liégeois et Laferrière (fils) notamment s’avéraient déjà former une deuxième génération. Liégeois fut en effet le « continuateur » de l’ouvrage magistral de Cabantous (qui n’était pas son maître) : les Répétitions écrites de droit administratif au point que les deux dernières éditions de l’ouvrage furent surnommées le Cabantous-Liégeois. Cela dit, le second ayant uniquement écrit en droit administratif après la mort de celui à propos duquel on effectuait nos recherches, nous n’avons que peu contacté sa doctrine.

En 2013, en revanche, nous avons tenu à ce qu’il figurât dans la liste des plus importants juristes français dont on cherchait à établir l’état des sépultures dans le cadre d’un travail sur la mémoire des juristes au sein du Traité des nouveaux droits de la Mort. Dans ce cadre, la tombe de Jules Liégeois nous avait donné du fil à retordre puisque personne, dans ses villes de naissances et de décès et alors qu’il y était encore célébré par des monuments, ne savait où il avait été inhumé. C’est alors presque par hasard que l’on a retrouvé sa trace dans l’un des cimetières de Nancy. Par ailleurs, on avait été frappé des épitaphes ou iconographies entourant l’homme : si elles le représentaient (comme pour son buste) en tenue académique de juriste professeur, les écrits qui le qualifiaient surtout (sur les monuments et la sépulture) retenaient son implication comme « fondateur » (et non simple participant !) de l’École de Nancy et/ou de la « suggestion ». Voilà que notre juriste publiciste devenait comme relégué au second plan d’un autre Liégeois bien plus célèbre : l’hypnotiseur. En 2023, ainsi, c’est pour tenter de percer ce mystérieux personnage, après avoir travaillé sur les racines magnétiques de l’hypnotisme[21], que l’on a décidé d’en savoir davantage.

Le droit administratif par la pratique. Jules (Joseph) Liégeois est né le 30 novembre 1833 à Damvillers[22] dans la Meuse près de Verdun. Sa famille est étrangère au monde juridique. Son père (Joseph Martin Liégeois (1797-1854)), comme l’avait été son propre père, était arpenteur forestier/conducteur des Ponts-et-Chaussées à Étain[23] puis à Damvillers non loin de l’autre École (forestière) de Nancy. Contrairement à ce qu’on lit encore parfois, son père n’était donc pas notaire[24]. Sa mère quant à elle se nommait Anne Rosalie Tabutiaux (1810-1890).

Par ailleurs, à la différence de la quasi-totalité de ses collègues, Jules Liégeois n’a pas « fait » son Droit pour ensuite tenter les concours, l’avocature et/ou le professorat. Il a effectivement directement intégré l’administration après des études générales (primaires) entamées à Damvillers puis à Verdun ainsi qu’à Avesnes (dans le Nord auprès des boulettes et non des boulets liégeois). Son père venait en effet d’y être muté et lui proposa, à l’âge de treize ans, de le suivre afin de[25] « travailler chez l’ingénieur d’Avesnes, comme élève-conducteur des Ponts-et-Chaussées » à l’image paternelle. Remarqué par son employeur, il est placé sous la protection du sous-préfet de la même ville, Albert (Mathieu Fidèle Joseph) Lenglé[26] (1798-1867) qui en fait son secrétaire particulier et lui propose de l’accompagner dans ses différentes fonctions préfectorales lors de ses nominations dans la Meuse (Bar-le-Duc) de 1851 à 1854 puis dans la Meurthe (Nancy) de 1854 à 1861. C’est lors de ces deux dernières affectations que non seulement Liégeois se « notabilise » en fréquentant les sociétés savantes préc. de Bar-le-Duc puis de Nancy mais également qu’il décide de s’inscrire auprès de la Faculté de Droit la plus proche de Nancy à l’époque : Strasbourg. En 1851, il décroche la nomination de « sous-chef de bureau » de la préfecture puis gravit les échelons et devient « chef de bureau » du préfet Lenglé. Fort de ses connaissances administratives pratiques, il fait publier au moins deux premières : une contribution statistique à la connaissance du département qu’il aidait à administrer ainsi, déjà, qu’une première monographie en économie politique et finances[27] en sa qualité de lecteur assidu des travaux de Frédéric Bastiat (1801-1850), présenté comme son auteur favori par la notice que lui consacra l’Académie de Stanislas à son décès. Précisément, Liégeois fut-il membre de plusieurs sociétés savantes qui s’emparaient des nouvelles questions économiques et notamment des doctrines dites libre-échangistes. Manifestement, l’économie politique[28] était son loisir gourmand : son Lacquemant liégeois.

Académiquement, il soutient à la Faculté de Droit de Strasbourg sa première thèse (de licence) le 14 février 1861[29] (à propos des prêts et des intérêts ainsi qu’il a déjà commencé à s’y spécialiser mais aussi – en droit administratif – s’agissant des « attributions des conseils généraux et des conseils d’arrondissement ») et celle de doctorat en 1863. Cette dernière, continuité de la précédente et de ses premiers écrits d’administrateur, s’intitule[30] Du prêt à intérêt. Toutefois, quand il est félicité pour ses qualités doctorales et juridiques et qu’il se propose de rejoindre une Faculté comme enseignant, la matière des sciences économiques ou de l’économie politique n’est pas encore diffusée hors des cénacles parisiens. Il propose donc ses services dans une matière que jusqu’à récemment peu de collègues (à l’époque généralistes du Droit et non publicistes ou privatistes) voulaient enseigner : le droit administratif.

En 1864, un cours étant précisément vacant à Lille qu’il avait connue dans sa jeunesse avec son père, Jules Liégeois accepte d’y être chargé de cours à compter de la rentrée suivante. Toutefois, son inscription n’y sera que virtuelle puisque la même année, un décret impérial du 09 janvier 1864 rétablit la Faculté de Droit de Nancy et que le ministre de l’Instruction publique, ami personnel du préfet Lenglé, Victor Duruy (1811-1894), est tout à fait disposé à y nommer Liégeois. Ce dernier hésite, semble-t-il par modestie, puis accepte et est installé comme titulaire dès le 19 octobre 1865. Entre temps, il a tutoyé les ministres en étant nommé haut fonctionnaire, sous-chef du cabinet du ministre de l’intérieur, le marquis Charles de la Valette (1806-1881), du 10 avril au 18 octobre 1865.

Dès 1868, par ailleurs, il réussit à obtenir la création, originale et spéciale pour la Faculté de Lorraine, d’un cours complémentaire d’économie politique dans lequel il s’investit totalement en livrant plusieurs publications (des articles) reconnues.

Osant lier et relier les matières et les questions sans être aveuglé par des œillères académiques (ce qui est propre à une conception de l’Unité et non de la diversité du Droit), il publie une étude intéressante sur les rapports entre l’économie et le droit public ainsi qu’une contribution (à destination des administrateurs) sur le Code civil et les successions[31]. Outre plusieurs autres articles juridiques et d’économie politique[32], mentionnons un important Essai sur l’histoire et la législation de l’usure daté de 1863.

Surtout, on lui doit la reprise, en 1873 de la 5e édition posthume de l’ouvrage préc. de Cabantous. Comment, pour autant relier deux hommes qui a priori n’avaient jamais travaillé ensemble ni même ne s’étaient rencontrés ?

On avouera avoir longtemps « séché » sur cette question dont nous ne présumions qu’une chose : il n’était pas au café – Liégeois – lorsqu’il rencontra le Provençal Cabantous dont la belle-famille avait des origines en Côte d’Or alors qu’il était, quant à lui, désireux de retrouver les siens à Toulouse. Ni au café ni autour d’un procès ou d’un moment académique, le doyen Cabantous n’a jamais été le « maître » du nancéen et cela se ressent explicitement dans les préfaces des deux éditions (1873 et 1882) que continuera le Lorrain.

Il y avait une évidente admiration intellectuelle du plus jeune pour le plus ancien et celle-ci suffisait à ce que Liégeois acceptât la mission qu’on lui proposa. En effet, Cabantous mourut le 19 octobre 1872 à Noyers-sur-Serein[33] alors qu’il était en vacances familiales près du Dijonnais alors qu’il aurait dû rendre à son éditeur une nouvelle édition enrichie. Ledit éditeur, avant de s’associer à son gendre pour former la librairie éditoriale Chevalier-Marescq (l’ancêtre de l’actuelle Lgdj), n’était autre que Hyacinthe-Auguste Marescq (aîné) (1817-1873). Ce dernier se vit alors suggérer par un autre éditeur nancéen (Berger-Levrault) le nom du titulaire de la chaire de droit administratif à Nancy depuis près de dix années et ancien haut administrateur : Liégeois. Ce dernier accepta la mission de succéder à Cabantous et proposa d’abord, en 1873[34], une édition formellement similaire aux précédentes et très respectueuse du plan originel. Elle contenait toutefois des éléments fondamentaux du nouveau droit public et administratif qui allait devenir pleinement républicain à travers les nouvelles normes d’organisation territoriale et – surtout – le passage acté d’une Justice administrative retenue à une Justice déléguée (ainsi que la recréation du Tribunal des conflits) et ce, par la Loi du 24 mai 1872.

En 1882, en revanche, même si la préface symboliquement datée du jour anniversaire du décès de Cabantous, honorait encore le prédécesseur, le plan, et le volume surtout de l’ouvrage avaient singulièrement été mis aux jours liégeois. Le contentieux trouvait une place bien plus grande et l’économie politique – évidemment – ainsi que la recherche des « principes juridiques » étaient bien plus affirmés. En particulier, sensible notamment aux bases constitutionnelles[35] du droit administratif telles que les avaient enseignées avant lui le doyen Foucart[36], Liégeois se distingua de Cabantous en imposant d’importants développements sur ces questions. Dès l’édition de 1873, par ailleurs, le républicain Liégeois revendiquait son libéralisme économique et sa haine des socialistes ayant[37] « précipité les 150 000 fédérés de la Commune de Paris dans leur entreprise insensée et criminelle contre la patrie, encore foulée par la botte du vainqueur ». Sa préface parle finalement bien plus de l’utilité de l’économie politique et de sa haine des Communards et autres « socialistes[38] » que de droit administratif à proprement parler ! Plutôt que de marquer par exemple les changements fondamentaux entraînés par la Loi préc. du 24 mai 1872, il dénonce les gabegies de financements publics[39]…. « pour bâtir un opéra » !

La dernière édition des Répétitions écrites[40] s’en fait l’écho au fil des pages renouvelées du livre mais non dans la nouvelle préface « adoucie ». Désormais le Cabantous-Liégeois est devenu le Liégeois-Cabantous puisqu’après avoir refusé d’offrir une nouvelle édition, le Lorrain s’est laissé convaincre[41] « en réclamant une liberté d’allures [qu’il n’avait] pas eue en 1873 » de son propre aveu. Ayant doublé le nombre de pages de ce véritable traité pratique, Liégeois concluait qu’il s’agissait moins désormais d’une « révision » que d’une « sorte de collaboration posthume ».

Du droit administratif, il fit son sirop Liégeois. Quels sont les expertises ou apports principaux de Liégeois au droit administratif ? On croit pouvoir, à la lecture de la 6e édition des Répétitions écrites au moins en identifier trois d’essentielles.

  • D’abord, il faut revenir sur la façon dont Liégeois a tenu à intégrer de manière non anecdotique mais – au contraire – très développée les bases constitutionnelles préc. du droit administratif (c’est-à-dire ce que l’on nommait à l’époque le droit public). Il ne s’y est pas contenté de donner quelques éléments mais il a véritablement offert un double traité de droit public et administratif (à la « Foucart » pourrait-on dire) en insistant particulièrement sur la description des pouvoirs d’un acteur qui, jusqu’à alors, ne faisait qu’entériner les demandes de l’exécutif : le Parlement. Sentant bien arriver l’enracinement républicain, Liégeois est un des premiers auteurs postérieurs à 1870 (mais avant que l’enseignement du droit constitutionnel ne soit obligatoire) à offrir plus d’une centaine de pages à cette étude[42].
  • Ensuite, fort de son expérience en administration, Liégeois est un de ceux qui comprennent le mieux (et de l’intérieur) certains comportements et fonctionnements administratifs qu’il a lui-même ordonnés et pratiqués. En particulier, on lira avec intérêts ses passages sur les préfets[43] mais surtout sur les attributions, organisations et compétences des conseils généraux[44].
  • Enfin, en matière de contentieux administratif, écrivant – on l’a dit – après la Loi du 24 mai 1872, il faut lire aussi ses remarques sur ceux qui ne sont pas encore qualifiés de tels mais qu’il ose décrire comme des « tribunaux administratifs[45] » à part entière : les conseils de préfecture qu’ici encore dont il avait appris le fonctionnement en interne.

Enfin, on pourra émettre – à propos du titre de l’ouvrage – une dernière remarque. Si, en 1854, Cabantous[46] avait bien offert un manuel directement issu de ses propres notes de cours (d’où répétitions écrites) sans développements supplémentaires et pouvant ainsi être directement utilisé par et pour les étudiants, les éditions successives de l’opus et – particulièrement – la dernière édition (1882) matérialisait un véritable traité théorique et pratique du droit public et administratif français. Par ailleurs, comme on l’a développé dans nos Éléments de patristique administrative[47], les versions premières de Cabantous étaient très descriptives. Et ce n’est qu’à Liégeois que l’on doit d’avoir augmenté « considérablement le Titre Ier du premier Livre consacré aux « principes placés sous la garantie des pouvoirs publics ». C’est donc plus à lui que l’on doit une véritable recherche de « principes généraux » qu’à Cabantous qui s’était contenté d’une dizaine de pages que son successeur quintupla. Toutefois, ces mêmes pages sont davantage un précis de droit constitutionnel que la recherche des principes généraux du droit administratif. En outre, cédant à la pratique majoritaire, Liégeois introduisit en 1882 (pour la 6e édition) un Livre V intitulé « matières administratives » ce qui dénatura complètement l’œuvre originelle de Cabantous qui s’y était refusé, intégrant, comme Serrigny[48], lesdites matières dans l’étude des compétences juridictionnelles des tribunaux administratifs ».

Une position triplement singulière à la Faculté. Si le professeur Liégeois a, très tôt, été introduit dans toutes les sociétés savantes importantes des lieux où il a séjourna (de Bar-Le-Duc sous le Second Empire à la prestigieuse Académie de Stanislas à compter du 23 janvier 1863[49] où il est considéré comme associé avant sa consécration académique puis comme Président en 1882[50]), s’il a assurément compté parmi les notables lorrains, sa position dans la Faculté de Droit était autre. Arrivé dans le corps en 1865 comme professeur titulaire, il est promu à la deuxième classe à compter du 1er janvier 1885 à l’ancienneté et non – comme presque toujours à l’époque comme aujourd’hui en le sollicitant. Il en sera de même pour son passage en « première classe » au 1er janvier 1890[51]. Il faut alors rappeler que le « personnage » dérangeait plusieurs de ses collègues pour au moins trois raisons :

  • d’abord, on lui reprochait d’être parvenu au professorat certes en ayant gravi ses grades et diplômes comme tous mais non seulement en venant directement de l’administration mais encore en y étant parvenu plus tardivement que d’autres et sans jouer le jeu classique de la relation mandarinale du maître à ses disciples. En outre, du fait d’un carnet d’adresses politiques qu’il avait construit dans sa première carrière, Liégeois n’hésitait pas à interpeller directement des hommes politiques et des élus ce qui, à l’époque, surprenait. Le nombre de ses pétitions signalées à la Chambre des députés ou encore de ses lettres à des ministres impressionne[52]. Républicain et libéral, il est engagé et ne le dissimule jamais.
  • Ensuite, Liégeois se distinguait en ce qu’il n’avait pas été coopté par ses pairs par le biais d’un ou de plusieurs concours de chaires mais qu’il avait été directement nommé par les gouvernants lors de la création d’une chaire de la nouvelle Faculté de Lorraine. Or, dans les Écoles de Droit, la nomination n’a jamais été bien considérée par les pairs.
  • Enfin, la spécialité de Liégeois, avant d’être l’économie politique et l’hypnose, était le droit public et administratif et l’on sait qu’il faudra des années (pour ne pas dire des siècles) avant qu’elle ne devienne aussi respectable que les prétendues véritables matières juridiques du droit privé.

Cela n’empêcha pas Liégeois de s’affirmer (au contraire même semble-t-il, cela le galvanisait) et de revendiquer l’importance du droit public par exemple en faisant soutenir d’intéressants travaux comme cette thèse[53] (certes, de licence) d’un dénommé Fernand Loppinet (1844-1922) qui deviendra, comme le père du professeur, un important acteur[54] de l’administration des eaux et forêts.

B.   Jules Liégeois & l’École de Nancy (la suggestion)

Même si, régulièrement, les travaux sur l’École dite de Nancy[55] en matière de suggestion sont – heureusement – renouvelés, ils commencent à être bien connus et l’on se permettra donc d’être rapides en ce qui concerne leurs exposés ou résumés. On s’accordera effectivement a priori pour y reconnaître les éléments fondateurs, chronologiques et saillants suivants :

  • Auguste (Amboise) Liébeault – on l’oublie parfois – était également docteur en médecine[56] mais comme, au milieu des années 1860, il se revendiqua également « guérisseur » en se basant d’abord sur les théories mélangées et/ou confuses de Mesmer (1734-1815) et de Braid (1795-1860) en matière de magnétisme et d’hypnotisme, son crédit scientifique en a beaucoup été affecté. Qu’on le veuille ou qu’on le déplore, il est pourtant l’initiateur incontestable du mouvement nancéen et sa « clinique » ouverte aux plus pauvres et aux plus déçus de la médecine conventionnelle a été un véritable succès international. Fasciné par les travaux de Mesmer et leur validation partielle par le célèbre (mais non revendiqué par l’Académie de médecine) rapport Husson[57] qui encourage les recherches médicales sur le magnétisme incompris, Liébeault va quitter son cabinet de campagne pour s’installer à Nancy, convaincu par les traductions diffusées (notamment par Alfred Velpeau (1795-1867)) de James Braid sur la neurypnologie et l’hypnotisme. Le premier ouvrage de Liébeault sur le sommeil paraît en 1866[58] mais ne trouve pas son public. Il faudra attendre qu’un universitaire (et non uniquement un autre médecin) les révèle et les diffuse.
  • Ce sera Hippolyte Bernheim, arrivé en 1872 de Strasbourg à Nancy lors de l’installation, toute patriote, de la nouvelle École de médecine rattachée, comme il se doit, à son hôpital. C’est lui qui, autour de 1883, fera naître et connaître « l’École » à laquelle il se joint en accompagnant Liébeault (qu’il reconnaît comme créateur) tout en lui apportant ou revendiquant un crédit scientifique médical ainsi qu’une clinique désormais hospitalière et académique[59]. Toutefois, très tôt les différences entre les deux hommes vont se multiplier : Liébeault croit au fluide et Bernheim non ; le premier se concentre sur le sommeil et le second sur la seule suggestion. Dès 1883 (et c’est ce qui fera connaître le mouvement nancéen), Bernheim[60] affirme « comme Braid, comme le docteur Liébeault (…), j’ai constaté que la grande majorité des sujets peut être influencée par l’hypnose à un degré variable ».
  • Rejoints par HenriBeaunis et par JulesLiégeois, les quatre hommes vont se réunir autour de quatre idées communes :
    • l’affirmation de ce que l’hypnose et le somnambulisme ne sont pas des techniques réservées aux hystériques (doctrine parisienne de Charcot et du mouvement de la Salpêtrière) ;
    • qu’il est a priori possible, mais à plusieurs degrés d’intensité, d’hypnotiser toute personne ;
    • que l’hypnose entraîne une réflexion et des recherches sur les termes de sommeil (provoqué ou non), de conscient et d’inconscient ainsi que de suggestion(s) ;
    • enfin, que la technique hypnotique peut être à visée thérapeutique.
  • Tous, collaborent à plusieurs revues dont celle (1886) du docteur (parisien) en médecine Edgar Bérillon (1859-1948) (Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique).
  • Enfin, ce ne sera qu’avec Émile Coué[61], le pharmacien promoteur de la pensée et de l’autosuggestion positives[62] que l’École de Nancy reprendra du « service » et de l’aura en 1913 par la fondation de son École lorraine de psychologie appliquée.

Rendre « scientifiques » les rapports à l’hypnose. L’un des points communs entre Bernheim et Liégeois est assurément leur rapport à la science et à l’envie de démonstrations inscrites dans une méthodologie positive sinon positiviste déliée de considérations de foi, de morale ou encore de paranormal. Alors que Liébeault assume les liens entre hypnose et magnétisme et emploiera toujours le terme de « fluide » issu du magnétisme, les deux universitaires lorrains, Bernheim et Liégeois, ont l’ambition ferme (et a priori réussie) de ne plus considérer (sinon de renier) l’origine mesmérienne de l’hypnose en l’objectivant au regard de seuls critères dits scientifiques : médicaux pour l’un et juridiques pour l’autre. Le décorum inutilen’a alors plus sa place selon eux dans l’hypnose et outre les paroles suggestives, il faudrait ôter tout ce qui ne serait que parasite à l’instar de l’apposition quasi magnétique des mains sur les tempes ou les globes oculaires. C’est la suggestion seule qui doit primer et apparaître ce qui leur permet, par exemple, de dénigrer les expériences parisiennes de Charcot lorsqu’il s’entoure encore de[63] « tam-tam et de gong chinois » à la manière, précisément, de Mesmer et de son harmonica.

Ce qu’ambitionnent les universitaires Liégeois et Bernheim consiste ainsi à « laïciser » l’hypnose en la débarrassant de toute référence occulte ou magique[64].

En 1916, dans son dernier ouvrage de vulgarisation sur la suggestion, Bernheim revendique en un avertissement les propos suivants[65] : « c’est pour combattre cette conception erronée » qualifiée une ligne auparavant d’« extrascientifique », « pour dégager la question de son apparence mystique et thaumaturgique » que le médecin déclare avoir fondé toute son œuvre au sein de l’École de Nancy. Cela affirmé, Bernheim comme Liégeois ne vont jamais nier les racines mesmériennes de l’hypnose et de la suggestion ce qui implique d’assumer (pour le dépasser ensuite) le fait que[66] « l’hypnotisme est né du magnétisme comme la chimie est née de l’alchimie ». Cependant, les deux auteurs vont se détacher y compris de Braid en revendiquant que la suggestion ne procède en rien d’une « manipulation » ou d’une « passe » magnétique. Et si les deux auteurs reprochent à Liébeault de considérer toujours l’idée d’un « fluide », ils lui reconnaissent la paternité d’une théorie au cœur de l’École de Nancy : l’affirmation de ce que la suggestion hypnotique peut être thérapeutique.

Se séparant même du terme d’hypnose trop associé à Braid, Bernheim lui préférera celui de « suggestibilité » voire de[67] « déterminisme cérébral ». Il explique ainsi que la suggestion ne va pas donner des dons à des hypnotisés ne les possédant pas déjà ou encore les rendre à l’instar d’automates. La suggestion, selon lui, n’est en cela pas dangereuse ou magique : elle n’est que la réalisation cérébrale d’un acquis dissimulé. C’est ce que complétera Joseph Delbœuf[68] (1831-1896) lorsqu’il résumera comme suit les travaux de Liégeois et de Bernheim : « il n’y a pas d’hypnotisme, il n’y a que des degrés – et des modes – divers de suggestibilité ».

Liégeois, « Le » fondateur de l’École de Nancy ? De quand date la naissance de l’École de Nancy si tant est qu’elle ait existé ? Il est impossible de retenir 1866 et les premiers travaux publiés de Liébeault sur le sommeil puisqu’à l’époque personne ne l’accompagnait. C’est vraisemblablement davantage autour de 1882-1883 que l’on peut considérer que le quarteron des « 2B-2L » (Liébault-Liégeois-Bernheim-Beaunis) s’est volontairement associé aux fins d’incarner un mouvement militant en faveur de la « suggestion hypnotique ».

Toutefois, si le nom de Bernheim est généralement le plus retenu et le plus cité (parce qu’il fut médecin), on croit pouvoir affirmer que la revendication scientifique et académique première du mouvement revient à Jules Liégeois. C’est ce qu’affirme son « monument » à Bains-les-Bains comme à Damvillers mais l’argument hagiographique ne suffit évidemment pas. C’est à travers les publications scientifiques que l’on croit pouvoir affirmer cette paternité. Il ne s’agit pas pour autant d’affirmer que Liégeois aurait écrit avant Bernheim sur l’hypnose : les deux, globalement, ont travaillé auprès de Liébeault de 1882 à 1884 pour rendre compte, dès 1883, dans différents supports, médias et académies ou sociétés savantes de leurs travaux et de leur importance[69].

En revanche, c’est – croyons-nous – dès avril 1884 (avec une rédaction connue en 1883) et pour la première fois publiée dans son[70] Mémoire sur la suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel que Liégeois revendique l’existence d’une « École de Nancy » (mouvement constitué originellement des 2B-2L préc.) en ce que ses principes communs s’opposeraient tous à « l’École de Paris » ou « École de la Salpêtrière » de Charcot : non, l’hypnose ne serait pas connexe à l’hystérie ; non, elle ne serait pas une maladie comparable au somnambulisme et – surtout – du sommeil, c’est la suggestion hypnotique qui importerait et pourrait même être curative. Voilà comment, croyons-nous, est née l’expression formelle d’« École de Nancy » proposée par Liégeois ce qui lui permettait – alors qu’il n’était pas médecin mais pratiquait l’hypnose – de s’y inclure.

Avoir par ailleurs osé affirmer cela à l’Institut de France, haut lieu de l’Académisme, lors de la défense de son Mémoire préc. au printemps 1884 était une prouesse ainsi qu’un mécanisme ingénieux de communication. Par suite, Liégeois confirmera son appartenance scholastique non seulement par une pratique fréquente de l’hypnose (dont témoignent ses travaux et ceux de ses visiteurs[71]) mais encore par une théorisation et une défense doctrinale de l’École de la suggestion[72].

En outre, au sein des 2L-2B, Liégeois était le liant. Non pas le meneur mais celui capable de trouver avec chacun des autres des points communs et des amitiés sincères. Alors que les trois autres se drapaient parfois dans des certitudes toutes médicales et s’opposaient entre collègues avec vivacité, Liégeois jouait la carte du dénominateur commun : l’union par la promotion de la suggestion. Une preuve de ce rôle se retrouve dans un document familial et administratif. En 1890[73], en effet, Liégeois se rend à l’hôtel de ville de Nancy pour y déclarer le décès de sa mère. Qui choisit-il pour l’accompagner ? Liébault ; présent dans la souffrance comme ami plus encore que comme médecin.

Une position triplement singulière au cœur de l’École de Nancy. Ce faisant, comme on l’a fait au sein de la Faculté de Droit, on peut aisément conclure qu’au sein de l’École de Nancy, aussi, Liégeois occupait une position singulière.

  • D’abord, il en était même conspué car il n’était pas (à la différence des trois autres) un docteur en médecine, un véritable « scientifique ». Un ouvrage contemporain comme celui préc. du docteur (en médecine évidemment !) Cuvelier en atteste et se plaît à citer les médecins critiquant Liégeois du seul fait de sa tare originelle : n’être qu’un juriste. Bernheim, ainsi, méritait (puisque médecin) les honneurs mais Liégeois… apparaissait presque comme le « coupable idéal » du déclin de l’École. Citons en ce sens Paul Janet (1823-1899) (pourtant non-médecin mais philosophe) qui, à la suite de l’intervention de Liégeois à l’Académie des Sciences morales et politiques, rétorqua, pour défendre Charcot[74], « si un médecin, tel que le docteur Bernheim est si vague et si peu lumineux sur les rapports de l’hystérie et de l’hypnose, ce n’est pas à un professeur de droit comme Liégeois qu’il faut demander des détails précis sur l’état physiologique et pathologique de ses sujets » !
  • Ensuite, Liégeois était aussi mis à l’écart du fait de son caractère parfois trop vif ou trempé, entier comme l’affaire Gouffé le démontrera ci-après.
  • Enfin, Liégeois nous semble aussi avoir été vilipendé en ce qu’il tenait une position socialement très dangereuse : celle selon laquelle l’hypnose pouvait entraîner des infractions et des crimes, malgré la volonté des hypnotisés.

Or, ainsi que l’a particulièrement bien démontré[75] le psychanalyste Léon Chertok (1911-1991), depuis Bossuet on a associé l’idée de suggestion à celle du démon. Ainsi, admettre le fait qu’un individu puisse en influencer un autre (jusqu’à lui faire commettre des infractions pénales) est particulièrement perturbant sinon séditieux.

On préfère souvent le nier pour affirmer sa volonté et son existence, son consentement libre et ses actions propres mais en vivant en société, il ne peut en être autrement.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Touzeil-Divina Mathieu, « Jules Liégeois (1833-1908), « professeur hypnotisant » du Droit (I/II) »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 416.


[2] Caa de Nancy, 29 mars 2022, Patients X. c. Hôpitaux universitaires de Strasbourg ; req. 19NC01704.

[3] Son état civil a même été numérisé : https://www.bibliotheca-andana.be/?p=156081.

[4] Il n’existe pas, sauf omission de travaux scientifiques importants sur l’homme et son œuvre. Il existe plusieurs notices nécrologiques (qui seront citées infra) ainsi que plusieurs dossiers aux archives nationales (dont F/17/21954/A son dossier personnel académique), départementales de la Meurthe-et-Moselle (Personnel enseignant, W114775 ; travaux personnels des professeurs, W114778) ainsi qu’à la Faculté de droit nancéenne (comme les registres du personnel ou ceux des délibérations). On dispose en outre des copies de son état civil et de celui de sa famille (cité ci-après) qui permettent aisément d’en établir la généalogie ainsi que son dossier dans la base de la Légion d’Honneur (LH/1639/26).

[5] Cf. sa « notice » in Bulletin de la Société d’économie politique ; 1908 ; p.145 et s.

[6] Le Monde illustré ; 16 août 1884 ; p. 2.

[7] En ce sens : « Le professeur Liégeois » in Mémoires de la Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc ; 1912 ; séance du 27 mai 1909 ; p. CIII et s. ; ou encore « Nécrologie » in Mémoires de l’Académie de Stanislas ; 1908-1909 ; p. LXXVIII et s.

[8] C’est ce que retient par exemple la notice préc. publiée par l’Académie de Stanislas dont il avait été membre (et même Président) et avec laquelle il avait pris, après 1892, quelques distances.

[9] Il s’agit de l’album photographique offert le 25 mai 1891 au docteur Liébeault. Conservé aux archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, il a fait l’objet d’une édition : Andrieu Bernard, Album Liébeault ; Nancy, Pun ; 2008.

[10] Ainsi in Le Petit parisien daté du 19 août 1908 (p. 1) ou encore dans Le Matin du 16 août 1908 (p. 5).

[11] Dont celui érigé dans sa ville de décès et annoncé dans l’édition du 24 juillet 1909 (p. 2) du Petit parisien.

[12] Notamment résumés in : Touzeil-Divina Mathieu, « École (de droit) » in Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017, p. 156 et s.

[13] A pari mais avec d’autres arguments : Nicolas Serge, « De l’hypnose à la suggestion : Bernheim et le « mythe » de l’École de Nancy » in Hippolyte Bernheim (1840-1919), Professeur de la Faculté de médecine (…); Nancy, Pun ; 2023 ; p. 141 et s. De même : Klein Alexandre, « Nouveau regard sur l’École hypnologique de Nancy à partir d’archives inédites » in Le Pays Lorrain ; 2010, vol. 91 ; p. 337 et s. On relèvera, cela dit, que dès le début du siècle précédent, le docteur Beaunis, pourtant membre prétendu de l’École, affirmait dans ses Mémoires qu’elle n’avait jamais existé « à proprement parler, car le mot École implique un corps de doctrine cohérent et coordonné ». Et de conclure que rien de tel n’avait existé dans le mouvement nancéen : Beaunis Henri, Mémoires dactylographiées ; 1914, p. 418 (cité par Jacqueline Carroy dans son étude citée infra).

[14] Un célèbre tableau d’André Brouillet (1857-1914) les représente notamment tous deux lors d’une « leçon clinique à la Salpêtrière » où figure également Blanche Wittmann (1859-1913), patiente hystérique (sic). On y préfère la caricature de Charcot sortant d’un crâne humain sous le mot hypnotique de suggestion (in Les Hommes d’aujourd’hui ; « une » du n°343 de 1878 par Manuel Luque de Soria (1854-1924)).

[15] Ainsi qu’en atteste le registre municipal (p. 499 sous le numéro d’acte 302) versé aux archives départementales préc. de la Meurthe-et-Moselle.

[16] Comme en atteste le registre municipal (n°815, p. 115) versé aux Archives de Paris.

[17] Le 12 mai 1891 à Nancy (acte n°271 du registre municipal, p. 168 et s.).

[18] Qui deviendra doyen de la Faculté des lettres de 1919 à 1928.

[19] Aux archives nationales, son dossier personnel figure sous la cote BB/6(II)/1025.

[20] Gilles de la Tourette Georges, « Bibliographie (…) De la suggestion et du somnambulisme (…) par M. Liégeois (…) » in Archives de neurologie ; 1889, Tome XVII ; p. 156 et s.

[21] Touzeil-Divina Mathieu, « Magnétisme & Médecine : charlatanisme(s) & pratique(s) entre les Lois » in Rdss ; juin 2023 ; p. 476 et s.

[22] Il est inscrit en ce sens comme l’enfant n°21 de l’année 1833 (registre municipal (p. 124) aux archives départementales préc. de la Meuse).

[23] Il s’agit, selon la notice préc. des Mémoires de la Société de Bar-le-Duc, du village-source de la famille Liégeois dont les ancêtres auraient été meuniers dans la même région (op. cit. ; p. CIII).

[24] Alors que son future beau-père (ce qui explique peut-être la confusion) l’était.

[25] Ibidem.

[26] Et non « Lenglet » comme on le lit dans de nombreuses notices qui laissent évoquer la présence d’Eugène-Émile Lenglet (1811-1878) avocat et homme politique républicain d’Arras, qui occupa aussi des fonctions préfectorales.

[27] Il s’agit respectivement de : Liégeois Jules, Annuaire statistique du département de la Meuse (…) ; Bar-le-Duc ; Robin ; 1852-1854 en trois épais vol. puis de De la liberté de l’intérêt ; Nancy, Grimblot ; 1858.

[28] Il l’avait même enseignée, à titre bénévole, tous les dimanches pendant des dizaines d’années auprès de l’école normale de Commercy nous apprend l’une de ses notices nécrologiques préc. au Bulletin de la Société d’économie politique ; op. cit. ; p. 146.

[29] Liégeois Jules, De mutuo et foencre ; du prêt de consommation ; Nancy, Raybcis ; 1861.

[30] Liégeois Jules, Du prêt à intérêt (en droit romain et en droit français) ; Nancy, Lepage ; 1863.

[31] Respectivement : Liégeois Jules, « Des Rapports de l’économie politique avec le droit public et administratif » in Revue pratique de droit français ; juillet 1865 et « Le Code civil et les droits des époux en matière de succession » in Revue générale d’administration ; juin 1878.

[32] Dont : Liégeois Jules, « La question monétaire, ses origines et son état actuel » in Revue générale d’administration ; 1881, p. 5 et s. ou encore : Le tarif des douanes et le prix du blé ; Nancy, Berger-Levrault ; 1881.

[33] Son acte (p. 156 du registre d’État civil de la commune disponible aux archives départementales de l’Yonne) fut également retranscrit à l’État civil d’Aix-en-Provence (p. 82 du registre communal versé aux archives départementales des Bouches-du-Rhône) même si son corps a bien été inhumé à Noyers-sur-Serein où sa sépulture, à la suite d’un défaut d’entretien, s’est tant dégradée qu’elle en a fait l’objet d’une reprise.

[34] Cabantous Louis & Liégeois Jules, Répétitions écrites sur le droit administratif (…) ; Paris, Marescq ; 1873, 5e éd.

[35] On se permettra à cet égard de renvoyer à nos développements in Touzeil-Divina Mathieu, Un père du droit administratif moderne, le doyen Foucart (1799-1860) ; Paris, Lgdj ; 2020, aux § 66 et s. et 143 et s.

[36] Foucart Émile-Victor-Masséna, Éléments de droit public et administratif ; Paris, Marescq ; 1855, 4ème éd.

[37] Op. cit. ; p. 13.

[38] Il faut lire à cet égard son pamphlet contre les théories socialistes des « travailleurs » (sic) : Liégeois Jules, Origines et théories économiques de l’Association internationale des travailleurs ; Nancy, Ac. de Stanislas ; 1872.

[39] Ibidem.

[40] Cabantous Louis & Liégeois Jules, Répétitions écrites sur le droit administratif (…) ; Paris, Marescq ; 1882, 6e éd.

[41] Op. cit. ; p. IX.

[42] Op. cit. ; p. 21 et s.

[43] Op. cit. ; p. 144 et s.

[44] Op. cit. ; p. 218 et s.

[45] Op. cit. ; p. 422 et s.

[46] Cabantous Louis, Répétitions écrites sur le droit administratif (…) ; Paris, Marescq ; 1854, 1ère éd.

[47] Touzeil-Divina Mathieu, La doctrine publiciste (1800-1880) ; Éléments de patristique administrative ; Paris, La Mémoire du Droit ; 2009 ; p. 128 et s.

[48] Serrigny Denis, Traité de l’organisation de la compétence et de la procédure en matière contentieuse administrative dans leurs rapports avec le droit civil ; Paris, Durand ; 1865.

[49] « Tableau des membres (… » in Mémoires de l’Académie de Stanislas ; 1879 ; p. 412.

[50] Comme se plaît à l’affirmer la 6e éd. préc. des Répétitions écrites (…).

[51] Cf. aux archives départementales préc. W114775 les arrêtés des 22 décembre 1884 et 29 décembre 1890.

[52] Parmi d’autres, signalons : Liégeois Jules, « Projet de création d’une caisse de prévoyance des fonctionnaires civils » in Revue générale d’administration ; 1881, p. 5 et s. ; « Lettre adressée à M. le Président du Conseil, Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, à propos du projet de modification de la loi militaire » in Revue internationale de l’enseignement supérieur ; 1883, T. V ; p. 666 et s. ; ou encore sa pétition portée par le député Albert Desjardins (1838-1897) de l’Oise et déposée à l’Assemblée en janvier 1873 (in Jorf du 11 janvier 1873 ; p. 189). Ledit Desjardins, avant d’être représentant de la Nation, avait également été enseignant à la Faculté de Nancy (comme historien du Droit) avant de rejoindre celle de Paris.

[53] À propos, notamment, de la compétence juridictionnelle résiduelle des ministres : Loppinet Joseph Auguste Fernand, Thèse pour la licence présentée à la Faculté de Droit de Nancy ; Nancy, Collin ; 1868.

[54] Et dont l’immeuble « Art nouveau » au 45 de l’avenue Foch est un des plus remarquables de Nancy.

[55] On lira à son égard : Cuvelier André, Hypnose et suggestion ; de Liébeault à Coué ; Nancy, Pun ; 1987.

[56] Cf. Liébeault Auguste Ambroise, Étude sur la désarticulation fémoro-tibiale ; Strasbourg, Liébeault ; 1850.

[57] Dupotet (de Sennevoy) Jules, Expériences publiques sur le magnétisme animal (…) [incluant le rapport Husson] ; Paris, Dentu ; 2nde éd. ; 1826.

[58] Liébeault Auguste, Du sommeil et des états analogues (…) ; Paris, Masson ; 1866.

[59] Dans le discours qu’il prononce à son jubilé en 1911 (in Revue médicale de l’Est ; 1911, p. 386 et s.) Bernheim raconte qu’en 1882-1883 il est allé trouver Liébault parce qu’on lui avait indiqué un médecin qui « traitait gratuitement les malades par le sommeil provoqué » et qu’il se décida à y aller « avec le plus grand scepticisme ».

[60] Bernheim Hippolyte, « Discours au congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences » (Rouen, 20 août 1883) cité par Cuvelier ; op. cit. ; p. 53.

[61] On ne résiste pas à rappeler ici que le grand-oncle maternel du susdit n’était autre que le grand père de Michel et le père de Victorien (1831-1908) : Antoine Léandre Sardou (1803-1894).

[62] On lui doit outre la méthode éponyme : Coué Émile, La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente ; Nancy, Coué & Oliven ; 1920.

[63] Cf. Pesic Peter, « Composing the Crisis : From Mesmer’s Harmonica to Charcot’s Tam-tam » in Nineteenth-Century Music Review ; 2022 ; n°19 ; p. 07 et s.

[64] Il faut lire à ce sujet : Stengers Isabelle, L’hypnose entre magie et science ; Paris, Les empêcheurs de penser en rond ; 2002.

[65] Bernheim Hippolyte, De la suggestion ; Paris, Albin Michel ; 1916 (avertissement).

[66] Ibidem ; aux premières lignes du chapitre suivant.

[67] Comme dans la version de 1916 de De la suggestion ; op. cit. ; chapitre X, § 1.

[68] Cité in Duyckaerts François, Joseph Delbœuf, philosophe et hypnotiseur ; Paris, Les empêcheurs de penser en rond ; 1992, p. 128.

[69] Ainsi Bernheim publie-t-il en septembre 1883 au numéro 17 de la Revue médicale de l’Est une contribution intitulée « De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille » ce qui sera la première pierre de son ouvrage majeur au titre identique : De la suggestion dans l’état hypnotique (…) ; Paris, Doin ; 1884.

[70] Liégeois Jules, Mémoire sur la suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel [lu devant l’Académie des Sciences morales et politiques les 05 et 19 avril 1884]; Paris, Picard ; 1884.

[71] A l’instar du professeur Delbbœuf dont il sera question ci-après.

[72] Outre le Mémoire préc. dont la seconde édition (1889) attendra les 800 pages, on peut citer parmi de nombreuses contributions et sans exhaustivité : Liégeois Jules, « Vésication par suggestion hypnotique » in Mémoires de l’Académie de Stanislas ; 1885, t. III ; p. 126 et s. ; « Hypnotisme téléphonique ; suggestions à grande distance » in Mémoires de l’Académie de Stanislas ; 1885, t. III, p. 133 et s. ; « De l’hypnotisme au point de vue médico-légal » in Journal des débats ; 24 août 1886 ; « Une suggestion à 365 jours » in Journal des débats ; 1er novembre 1886 ; « Des expertises médico-légales en matière d’hypnotisme ; recherche de l’auteur d’une suggestion criminelle » in Revue de l’hypnotisme ; juillet 1888, p. 03 et s. ; « Un nouvel état psychologique » in Revue de l’hypnotisme ; août 1888, p. 33 et s. ; « La question des suggestions criminelles ; ses origines, son état actuel » , octobre 1897, p.

[73] Acte de décès de la ville de Nancy n°452 ; 21 février 1890 (registre déposé aux Archives départementales préc.).

[74] Cité par Cuvelier ; op. cit. ; p. 54.

[75] Par exemple dans cet ouvrage collectif qu’il a dirigé : Résurgence de l’hypnose ; une bataille de deux cents ans ; Bruges et Paris, Desclée de Brouwer ; 1984 ; p. 15 et s.

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ParJDA

La zombification : une forme anthropo-juridique de traite des personnes

Art. 415.

Jean Renel SENATUS,
Avocat au barreau de Port-au-Prince, Senior au Cabinet SÉNATUS, 29 angle des rues Metellus et Chavannes, Petion-Ville, Haïti,
& Président de l’Université Soleil d’Haiti (USH), Rue O#13, Port au Prince, Haïti
& Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB), UFR des Sciences de la Santé, UVSQ / Paris-Saclay, 2 avenue de la Source de la Bièvre, 78180 Montigny-Le-Bretonneux, France /
senatusjnrenel@yahoo.fr

Philippe CHARLIER,
Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB), UFR des Sciences de la Santé, UVSQ / Paris-Saclay, 2 avenue de la Source de la Bièvre, 78180 Montigny-Le-Bretonneux, France /
& Fondation Anthropologie, Archéologie, Biologie (FAAB) – Institut de France, 23 quai de Conti, 75006 Paris, France / philippe.charlier@uvsq.fr

Résumé

La zombification est une forme de traite des personnes ignorée tant à l’échelle nationale d’Haïti qu’à l’internationale. Les deux faits se ressemblent dans leurs éléments constitutifs ou dans leurs mécanismes de constitution. Elles poursuivent une même finalité, celle de réduire en esclavage une personne humaine au mépris de la dignité qui lui est inhérente, ce, en vue de poursuivre des objectifs généralement économiques, sous couvert d’une justification de justice magico-religieuse’. Dans cet article, notre analyse anthropo-juridique porte sur la manière de procéder des organisations criminelles liées à la traite des personnes ou la zombification et un plaidoyer y est fait pour que la zombification soit prise comme une forme ignorée de traite des personnes, qui devrait être incriminée, sanctionnée et prévenue avec l’adoption de mesure de réinsertion ou de réhabilitation des victimes de la zombification.

Mots-clés

Zombification, zombi, traite des personnes, exploitation, droits humains, esclavage

Summary/abstract

Zombification is a form of human trafficking that is ignored both nationally in Haiti and internationally. Zombification and human trafficking are practices that affect the well-being and dignity of the human person. The two facts are similar in their constituent elements or in their mechanisms of constitution.  They have the same purpose, that of enslaving human beings in disregard of their inherent dignity, in order to pursue generally economic objectives, under the guise of a justification of « magico-religious justice ». In this article, an anthropo-legal analysis spotlight is shone on the way criminal organizations deal with human trafficking or zombification.  A plea is made that zombification be taken as an ignored form of human trafficking, which should consequently be criminalized, sanctioned and prevented, with the adoption of measures for the reintegration or rehabilitation of zombification victims.

Keywords

Zombification, zombi, human trafficking, exploitation, slavery

Photo d’illustration ; P. Charlier (c)

Introduction

La traite des personnes, en raison de la domination de l’homme par l’homme qu’elle préconise, est une forme de violation majeure des droits fondamentaux de la personne humaine.  Elle désigne en clair le processus par lequel des personnes sont recrutées, transportées, transférées, hébergées, reçues etplacées sous contrôle ou influence d’autrui, avec des contrôles spécifiques sur leur liberté de mouvement ou déplacements en vue de les maintenir en situation d’exploitation multiforme et continue, à des fins économiques ou autres[1].

Le phénomène de zombification a commencé à attirer l’attention des scientifiques   internationaux à la fin du XXe siècle. Cette chronologie écarte, semble-t-il la tradition de pensée sociale haïtienne nationaliste revendiquant l’érection du fait révolutionnaire de 1804, comme la première forme de contestation géopolitique et historique de la traite humaine à grande échelle, explicable par le colonialisme et l’esclavagisme des temps modernes. Cette institutionnalisation de pratiques d’injustice masque les fondements criminels de la zombification par l’invocation des principes et valeurs du système de droit informel haïtien, à forts relents religieux. Pourtant, le processus de la zombification comporte des traits juridiques analogues aux pratiques de traite humaine. En effet, le processus de zombification s’authentifie avec le processus qui part du choix, de l’identification ou du recrutement de la victime, de la demande de la « mise à mort », de l’administration du poison/ou de l’envoûtement, du renforcement de l’apparence de la mort, des rites d’exhumation et de réveil, l’orientation en état vers un lieu de dépendance, le convoiement ou transport / déportation ou effacement et poursuit les mêmes finalités que la traite des personnes.

En effet, les zombis sont contraints de travailler dans les champs de canne à sucre, les bananeraies, les mines, dans les installations de pêche, la construction, d’exécuteur des tâches domestiques ou de s’atteler à sans espérer la contrepartie salariale définie par les conventions internationales, notamment, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en ses articles[2] 23, 24, sur les  droits  des  travailleurs  et encore moins  les  avantages et privilèges tels que l’assurance  de travail, les  congés, la prime de fin d’année, alors qu’ils sont contraints de réaliser des travaux non contrôlés et régulés par l’Etat et par la loi.

Des femmes-zombies à l’instar de Nadia[3], Medula[4] et Ermithe rapportent avoir enfanté et été exploitées sexuellement pendant la durée de leur zombification. Sans droit de visite médicale, elles ont été faites esclaves sexuelles et détenues dans des conditions inhumaines et de terreur constante.

Si des sources internationales avancent que plus de 80 % des personnes touchées par la traite des personnes sont victimes d’exploitation sexuelle, dans le cas de la zombification peu de chiffres sont disponibles et l’on comprendra les obstacles auxquels s’exposera un chercheur dans ce domaine. D’où la nécessité de mettre les projecteurs sur cette forme de traite complètement ignorée sur le plan anthropologique  et juridique[5]

Comme dit ci-haut, la traite des personnes est diversement interprétée à travers le monde et magnétise l’attention de nombre d’organisations nationales et internationales qui ne cessent de conjuguer des efforts, les uns plus visibles que des autres en vue de l’éradiquer.

S’il est un fait que des progrès considérables ont été observés dans la lutte contre la traite des personnes à travers le monde, comme en témoignent les différents rapports de l’Organisation des Nations Unies, aucune littérature n’a été établie sur les liens entre la zombification et la traite des personnes, vu que celle-là est considérée comme une fiction dans l’imaginaire collectif occidental pendant qu’elle est une réalité incontestable dans le mental collectif haïtien. En dépit des visibles similitudes qu’elle partage avec la traite des personnes, la zombification n’a jamais préoccupé les chercheurs juristes. Aussi, sommes-nous amené à formuler la question suivante : qu’est ce qui empêche les scientifiques du droit, de la sociologie, de l’anthropologie à considérer la zombification, selon les procédés de sa mise en œuvre, comme une forme de traite des personnes ?


Quid de la dignité de la personne du zombie ?

L’humanité ne devrait-elle pas être interpellée et sensibilisée à combattre cette forme de traite ?

Pour répondre à ces préoccupations, nous proposons ici d’essayer de mettre en lumière les similarités complexes qui unissent ces deux réalités. Nous exposerons les différents mécanismes d’exécution de la traite des personnes et nous nous pencherons sur les différentes formes de lutte engagées contre la traite sur les plans local, régional et mondial afin de dégager l’identité du zombi à partir des caractéristiques de la personne humaine et de montrer, au regard du processus de la zombification, que le zombi est une victime de traite des personnes.

Pour répondre à ces questions, notre article sera organisé en trois parties : la première sera consacrée aux généralités, statistiques et luttes visant l’éradication de la traite dans le monde ; la deuxième exposera la zombification et le processus de zombification. Quant à la dernière partie, il sera question des points de ressemblance et des finalités de la traite des personnes et la zombification. 

A la fin de ce parcours, qui se veut un plaidoyer pour que les pratiques de la zombification soient prises en compte tant sur les plans juridique et anthropologique, nous serons amenés à reconnaitre que la zombification est une forme de traite des personnes, complétement ignorée par les scientifiques, ce qui mérite d’être redressé pour le plus grand bien de l’humanité.

Partie A

Traite des personnes dans le monde :
généralités, statistiques et luttes :

Nombre d’instruments adoptés par des institutions de renommée mondiale ont tenté de définir la traite des personnes. Ainsi, la Convention Europol de 1995 définit la traite des êtres humains comme suit : 

« Soumettre une personne en abusant d‘un rapport d‘autorité ou de manœuvres en vue notamment de se livrer à l‘exploitation de la prostitution d‘autrui, à des formes d‘exploitation et de violences sexuelles à l‘égard des mineurs ou au commerce lié à l‘abandon d‘enfant[1] ». 

En effet, la traite des personnes est considérée comme l’esclavage des Temps modernes, en ce sens que des êtres humains sont contraints à se prostituer, travailler en dehors des normes du code de travail et de la dignité, subir des extractions d’organes ou contraints de mendier au profit d’autrui. Toutes ces actions supposent des relations ou rapports de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.

De son côté, l‘Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), dans « Trafficking in Human Beings: implications for OSCE [2] », propose une définition plus ample dudit phénomène :

«Tous les actes inclus dans le recrutement, l‘enlèvement, le transport, la vente, le transfert, l‘hébergement ou la réception des personnes;- par la menace ou l‘utilisation de la force, la tromperie, la coercition, ou la servitude pour dettes;- à des fins de placement ou de détention des personnes, payées ou non, dans un état de servitude involontaire, pour un travail forcé ou pour un créancier, dans une communauté autre que celle dans laquelle la personne vivait avant d‘être trompée, prise de force ou soumise à des créanciers[3] ».

La lecture des faits constitutifs de la traite tel que vus par l’OSCE offre un large éventail d’actions ou de faits faisant partie de ce crime. 

En dehors des instruments légaux internes d’abolition de l’esclavage, adoptés par certains pays, c’est en 2000 qu’un cadre juridique solide voit le jour avec le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier commise contre les femmes et les enfants. Cet instrument juridique se révélait d’une importance capitale pour la lutte et des engagements allaient être pris par des acteurs internationaux en vue de la naissance de la coopération internationale ou le partenariat multilatéral indispensable à la lutte. Ce protocole semble proposer la meilleure définition de la traite des personnes :

« Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes[4]»

Cette définition semble englober la traite des personnes dans toutes ses dimensions. On y décèle aussi toute une kyrielle d’infractions ou de comportements réprimés par certaines législations locales, tels que l’enlèvement, la fraude, la duperie, l’abus de pouvoir ou exploitation de l’état d’ignorance ou de la situation de vulnérabilité de l’autre avec le miroitage de conditions et situation de vie meilleure projetée à la victime. L’entreprise mafieuse de traite des personnes est à date, une entreprise extrêmement prospère, un marché noir prometteur pour les trafiquants et touche une bonne faction de la population mondiale. Pour combattre la traite de personnes, des actions se sont multipliées partout à travers le monde.

Ainsi, l’histoire de l’activisme contre la traite des personnes aura retenu l’année 1990 comme celle des grandes mobilisations qui visaient l’éradication de ce fléau. Yasmeen Hassan[5], Directrice exécutive d’Equality Now, rappelle qu’avant les années 1990, il n’y avait pas d’organisation de militance et d’activisme contre la traite des personnes. A partir de cette date, des voix se sont élevées pour dénoncer ces pratiques, sensibiliser le monde aux menaces qu’elles représentent pour l’humanité et poser les bases de partenariat multilatéral entre états pour les combattre. Le plaidoyer de la société civile internationale (ONG et institution internationale) met en évidence les statiques alarmantes des pratiques de traite dans le monde contemporain.


  1. Rapports sur l’état de la situation

Selon un rapport de 2006 de l’UNICEF, des enfants (7-18 ans) recrutés illégalement, par force, fraude ou coercition sont exploités dans le cadre des travaux forcés ou d’esclavage sexuel partout à travers le monde[1]. Le taux le plus élevé de victimes est enregistré en Afrique où 41 % des enfants âgés de 5 à 14 ans sont soumis aux travaux forcés contre 21% en Asie et 17% dans les Caraïbes.

La clandestinité et la fraude figurent parmi les grands moyens de contrainte qui caractérisent les opérations de traite des personnes. En dépit de ces faits, en 2016, La fondation Walk Free et l’OIT ont dénombré les victimes du phénomène à 25 millions de personnes soumises aux horreurs du travail forcé, d’exploitation sexuelle, du trafic d’organe, et ce, à l’échelle mondiale[2].  Le rapport mondial 2016 de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) sur l’identification par rapport au genre des victimes de la traite rapporte « que 51 % des victimes sont des femmes, 21 % des hommes, 20 % des filles et 8 % des garçons. Parmi ces personnes, 45 % ont été victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et 38 % de travail forcé [3]». Le rapport[4] de 2020 sur la catégorisation des victimes note que « les femmes victimes continuent d’être particulièrement touchées par la traite des personnes. En 2018, pour 10 victimes détectées dans le monde, environ cinq étaient des femmes adultes et deux des filles. Environ un tiers de l’ensemble des victimes détectées étaient des enfants, filles (19 %) et garçons (15 %), tandis que 20 % étaient des hommes adultes. » Suivant le rapport, ces victimes sont destinées à travailler dans des chantiers divers et sont ainsi réparties : 50% de travail sexuel, 38% de travail forcé, 6% d’activité criminelle, 1.5% de mendicité, 1% de mariage forcés[5], 1% de trafic d’enfant et/ou d’organes.

La traite des personnes est considérée comme la nouvelle forme que prend l’esclavage à travers le monde. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme OHCHR[6] :

« Plus de 40 millions d’hommes, de femmes et d’enfants suivant les estimations datées de 2020, sont réduits à l’esclavage. Parmi eux, 25 millions de personnes sont victimes de travail forcé et 15 millions, de mariage forcé. Une victime sur quatre est un enfant[7]. »

Devant des statistiques aussi alarmantes, l’Assemblée générale des Nations Unies, sous la présidence de M. Abdulla Shahid, s’est autosaisie de ces faits et les a considérés comme « une puissante tragédie humaine qui affaiblit la sécurité nationale, provoque la distorsion des marchés, enrichit les criminels et les terroristes et constitue un affront aux valeurs universelles ». Devant l’ampleur de la lutte visant l’éradication du fléau, les Nations Unies ont consacré et proclamé le 30 juillet « Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains » en vue de sensibiliser les acteurs, prévenir ces faits horribles, protéger les victimes et restituer la dignité aux personnes victimes. Pour le président Shahid, la problématique de traite de la personne humaine est plus qu’une question politique : «Elle est à cet égard une puissante tragédie humaine qui affaiblit la sécurité nationale, provoque la distorsion des marchés, enrichit les criminels et les terroristes et constitue un affront aux valeurs universelles ».

Le rapport « Traficking in persons report » du département d’Etat, rendu public en 2018, traitant de la position vulnérable d’Haïti en matière de traite, rapporte que :

« Le Gouvernement a identifié pas moins que 31 victimes potentielles de la traite, contre 43 victimes en 2016. En 2017, les fonctionnaires du Gouvernement ont fermé des orphelinats qui abritaient 116 enfants et potentiellement impliqués dans le trafic. »

Par ailleurs, les statistiques en Haïti révèlent que plus de 300 000 enfants sont soumis à la domesticité ou travaux forcés et à l’exploitation sexuelle.

Dans un rapport de 2022, le gouvernement français estime que sur 40 000 à 50 000 personnes qui sont dans la prostitution en France, environ quatre-vingt-dix pour cent (90 %) sont étrangères, probablement des victimes de la traite des êtres humains.

Tout en reconnaissant le droit de résister à sa réduction en esclavage ou son asservissement, comme un droit de l’homme à part entière, Michele Bachelet a reconnu que « l’esclavage est l’une des violations les plus graves et les plus totales de la dignité humaine », lors de la réunion-débat. L’esclavage est une attaque choquante contre toutes les sociétés[8]

La traite des personnes, productrice de l’esclavage, est donc la négation totale des droits de la personne humaine, en ce sens qu’elle met à mal les avancées en matière des droits de l’homme.  Les victimes de la traite sont dépouillées du droit fondamental l’être humain, c’est-à-dire la dignité. L’esclave sexuel, le travailleur forcé est un « zombi » dont le corps prime sur la conscience, la volonté et la dignité. 

En raison de son expansion considérable, la traite des personnes est devenue une préoccupation mondiale. Sa clandestinité ne permet pas aux organisations et activistes d’établir le nombre de ses victimes. Cependant, des organisations internationales soutiennent que ce chiffre varie de 700 000 à 4 millions de victimes par an. Le réalisme de l’ethnobotaniste Wade Davis et d’Emerson Douyon sur la zombification permet, à cet égard, de parvenir à la conclusion suivante :

« L’arme par laquelle des juges d’un système parallèle de justice imposent le respect de certains principes réglant souterrainement la vie sociale haïtienne. Le phénomène est ainsi analysé sous l’angle de sa fonction sociale dans le cadre d’une problématique ethno-criminologique.Mais Emerson Douyon semble aller plus loin dans le fragment précité : ces crimes censément rituels masqueraient d’autres crimes de bien moindre prestige. ».

Emerson Douyon, Crimes rituels et mort apparente en Haïti : vers une synthèse critique. Anthropologie et sociétés (Caraïbes), volume 8, numéro 2, 1984.

2. Les instruments légaux de combat contre la traite des personnes

Dans le souci croissant et justifié de protéger les victimes de la traite des êtres humains, des instruments légaux pouvant servir de base référentielle juridique, sur le plan étatique, conventionnel régional ou international ont été élaborés. Déjà en 1948, quelque trois années après la Seconde Guerre Mondiale, la Déclaration universelle des droits de l’homme, avait déjà prévu :

« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude : l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.

Cette disposition est aussi adoptée, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales l’art.4 :

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».

Des conventions sont adoptées des entités spécialisées de l’ONU. De son côté, l’OIT a également adopté un corpus normatif prévoyant la suppression du travail forcé par le biais de la Convention no 29 sur le travail forcé ou obligatoire en 1930 ; la Convention n105 concernant l’abolition du travail forcé en 1957 ; la Convention no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination de 1999 qui interdit l’esclavage sous quelque forme qu’il se pratique vente d’humain majeur ou mineur, servage, exploitation de prostitutions etc.

Avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le droit international s’est officiellement engagé en faveur de cette lutte en interdisant la traite des êtres humains. Puisque les catégories les plus convoitées par les malfaiteurs de la traite sont les femmes et les enfants, dans une approche progressive et ciblée.

L’adoption de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des enfants, d’une part, et la Convention relative aux droits de l’enfant par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants allait renforcer l’engagement des acteurs internationaux à endiguer cet état de fait.

Quant aux travaux forcés, la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, l’Organisation des Nations Unies engage les Etats membres et les exhorte à supprimer tout travail ou service exigé d’un individu sous toute forme de violence ou de contrainte.

Le Protocole de Palerme[1] de 2000 aura aussi enjoint auxétats d’adopter des mesures visant à prévenir la traite, à former les agents des forces de l’ordre et des frontières en vue sceller du sérieux le combat pour l’éradication de la traite, jugée incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine, mettant en danger le bien-être individuel et collectif. 

  • De la personne du zombi

Considérant les dispositions de loi et des conventions internationales régissant la traite des personnes, une question s’impose : le zombi est-il une personne humaine ? En quoi peut-il être considéré comme un sujet de droit ?

D’emblée, rappelons qu’en droit une personne[2] comme « tout être humain ou organisme susceptible d’acquérir des droits et de contracter des obligations et distingue plusieurs types de personnes, à savoir : les personnes physiques (les êtres humains) et les personnes morales ou juridiques (les sociétés, les corporations, l’État, les organisations sociales, etc.)»

Partant de l’étymologie traditionnelle[3], le terme « personne » vient du latin persona, terme lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire « résonner », « retentir », et désigne le masque de théâtre, le masque équipé d’un dispositif spécial pour servir de porte-voix.

Pour sa part, le Dictionnaire juridique de Serge Braudo définit ce même concept de la manière suivante : «Tout individu, homme ou femme, est une « personne » c’est-à-dire, un sujet de droit, doué de capacité et responsable. »

La personne, suivant cette définition, est un être humain vivant auquel s’attachent rationalité, conscience de soi-même, intelligence, volonté, sensibilité et identité ou disposant ou jouissant in globo, de l’état des personnes. Partant de cette définition et eu égard au cas de la zombie Ermithe Rubin ci-haut exposé, un être aux apparence d’un humain connu dont l’identité a été légalement anéantie par un acte de décès, frappée d’hébétude, enceinte et qui n’est pas en mesure de décliner le nom du géniteur de son enfant, dépourvue même de la capacité de déclarer légalement et  officiellement la naissance de son nouveau-né, Ermithe est-elle une personne à laquelle pourraient s’attacher des  droits inhérents, inaliénables, imprescriptibles et intangibles ? Si oui, comment les sciences humaines et sociales peuvent elles s’auto-saisir de ce cas-limite ?

La notion de personne, issue de la psychologie et de la philosophie suivant une tradition occidentale, été vue comme la jonction indissociable de l’âme et le corps formant un tout doué de raison et de perfectibilité[4]. Ce tout constitué du physique et du psychique présente un caractère unique ou singulier.

Pour le psychologue, une personne « est un être social pourvu de sensibilité, avec une intelligence et une volonté proprement humaine ». La personne est donc un être humain sans distinction de race, de sexe, ou de religion.

Répondant à la question de savoir si le zombi est une personne, le feu Max Beauvoir, ex-atti (chef spirituel)[5] national du vaudou, lui, a défini celui-ci comme « une personne[5] comme toutes les personnes, qui a son corps, mais possède une panoplie d’esprits qu’on appelle ‘‘nanm’’ dans laquelle on trouve le ‘‘gros bon ange’’, le ‘‘petit bon ange’’ ».

En fait, le nouveau code pénal publié dans le Journal officiel de la République d’Haïti, Le Moniteur, en date du 24 juin 2020, en son article 281, traitant de la zombification par empoisonnement, sans le terme, qualifie le zombi comme une personne. Il dispose :   

« Est passible de quinze (15) ans à vingt (20) ans de réclusion criminelle le fait d’administrer à une personne des substances de nature à provoquer un état léthargique momentané ou prolongé, ou de provoquer une altération durable des facultés mentales ou psychiques, annihilation de toute volonté ».

L’infraction est passible de vingt ans à trente ans de réclusion criminelle lorsque le décès de la personne a été déclaré à un officier de l’état civil et que cette personne, après son inhumation, a été identifié et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure officielle ou le lieu de travail ou la voiture ou accompagnant d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Le législateur a préféré ici parler de « personne » au lieu de « cadavre » de la personne inhumée. On peut donc conclure que le législateur haïtien reconnait que le zombi est une personne dont la déclaration de sa « réapparition » confirme le nouveau statut qu’il incrimine, sanctionne et en prévoit sans nul doute la réparation, sans piper mot sur la réhabilitation ou la réinsertion[6] de ce dernier dans le corps social. Dès lors, si nous admettons que le seul fait d’exister et d’appartenir à l’espèce humaine montre que le zombi est une personne à part entière, et qu’en est-il de la dignité de sa personne ?  

  • Le zombi et la dignité humaine

La dignité est la valeur intrinsèque qui élève et fait vivre la personne humaine. Elle s’oppose d’ailleurs au vocable mérite, lié à sa famille de naissance, la réputation de sa famille de naissance qui peuvent se perdre comme c’est le cas d’ailleurs du zombi. Des circonstances de la vie peuvent conduire à la perte de toutes les considérations sociales mais elles ne peuvent en aucun cas, annihiler la notion de la dignité. Cette valeur intrinsèque aurait tiré sa source dans la Bible puisque l’homme est fait à l’image de Dieu. La dignité humaine est d’abord celle du physique ou du psychique de l’humain, qu’il soit vivant ou mort.

Quand l’humain est traité comme un objet ou un instrument, sa valeur intrinsèque couverte par la notion dignité est violée, son essence est humiliée. Il faut reconnaitre que, suivant une conception moderne de la dignité développée par Descartes dans le Discours de la Méthode, la notion de dignité implique le triptyque autonomie-indépendance et maitrise. La maladie, à elle seule, peut saper les deux autres. Ce triptyque réunit les conditions dignes de la dignité. Pour Descartes, « la santé est la première des conditions de tous les biens ».

L’artiste Nicola Ciccone[7] souligne, de son côté, que la dignité est un simple mot qui résume les concepts de respect et d’humanité. Celle-ci est l’aune qui mesure l’égard qu’on a pour chaque être dans une société. « Je veux qu’on m’enterre droit debout, je veux garder ma dignité. Les plus faibles seront protégés au nom de la dignité… ». En ce sens, elle est ontologique.

Pour Maya Hertig Randall, professeure à la Faculté de droit de l’université de Genève, la dignité humaine est la première des quatre valeurs universelles à côté de la liberté, l’égalité et la solidarité, elles-mêmes fondatrices des droits de l’homme.

Ce concept englobe en quelque sorte le respect physique, psychologique ou moral des êtres humains. En ce qui concerne la personne du zombi, nul ne peut lui réclamer un quelconque droit à la dignité, en application de ce que son statut d’humain lui doit. Comme toute victime de traite des personnes, le zombi vit sa vie dans l’indignité la plus criante et cruelle. Comment un individu peut-il devenir zombi ? Quels en sont les mécanismes ?


Partie B

Le processus de la zombification

Le processus[1] de la zombification repose sur tout un rituel dans lequel plusieurs acteurs sont impliqués depuis le jour de la déclaration de décès de la victime[2] de la zombification. Evidemment, la première étape consiste à simuler « la mort apparente » de la victime. Ce rituel est très discret puisqu’on n’utilise jamais d’arme à feu, ni d’arme blanche pour tuer ou persuader ce décès apparent sauf dans le cas des accidents provoqués. Toutefois, est-il de bon ton ou n’est-il pas impropre de parler de tuer quand on sait que la personne n’est pas vraiment décédée ?

Cette première étape est souvent l’œuvre d’un redoutable « connaisseur » qui a recours aux ressources disponibles de la biocénose tropicale et de la toxicologie traditionnelle en Haïti. Cet empoisonneur maitre peut être très proche d’un prêtre religieux ou d’une société secrète (Champwèl, Bizango, Vlenglendeng, etc.)

Étape 1 : Le choix ou le recrutement[3] de la victime / la demande de la « mise à mort » formulée par un client, un parent ou une personne qui se plaint d’avoir été victime d’un comportement reprochable de la personne ciblée. Un contrat verbal est passé entre les parties, en vertu duquel la condamnation ou culpabilité sera arbitrairement suite à la tenue d’une audience mystique publique tenue par des régiments d’une secte secrète ou d’un connaisseur indépendant du procédé d’empoisonnement. Le jugement une fois prononcé, le condamné devra être écarté de la communauté. De ce fait, son décès devra être simulé.

Le docteur Yves Saint-Gérard, dans son ouvrage intitulé « Le phénomène zombi » (1992, p. 25), a abordé cette idée de justice-vengeance. Pour le chercheur, le processus de la zombification reflète ainsi une idée de vengeance souvent disproportionnée d’un sujet très susceptible, humilié (injures, injustices, déceptions amoureuses…) ou abusé par sa victime ou un proche de celle-ci. La zombification est le bénéfice secondaire d’une riposte qui n’est heureusement pas toujours maximale. Cette punition va de l’infirmité mineure à la mort réelle, en passant par des sanctions économiques comme les pertes d’objets précieux, d’emploi ou d’instruments de travail[4] ».

Étape 2 – Administration du poison/ou l’envoûtement

La première étape une fois franchie, il faut trouver dans l’entourage immédiat de la cible quelqu’un qui soit capable de lui administrer le poison ou la substance provoquera un état de mort apparente chez son sujet qui sera cliniquement mort. Il faut noter que, dans nombre de cas de zombification, il ne se révèle pas nécessaire de procéder ainsi dans la mesure ou les objectifs peuvent être atteints sans qu’il soit nécessaire de créer cet état de mort apparente. Au dire de feue Mme Euvonie Georges Auguste, on ne procède ainsi rien que pour porter les parents et amis à accepter que la personne cible n’est plus de ce monde. Ce peuvent donc être des funérailles factices, symboliques, non seulement sans cadavre, mais aussi sans corps.

Il faut noter aussi que dans l’imaginaire haïtien, certains peuvent parfois prendre la qualité de zombificateur en vue de créer une certaine peur dans leur environnement immédiat.

Plusieurs facteurs doivent authentifier le décès à savoir :

a) l’établissement sommaire d’un certificat de décès ;

b) une justification issue d’une procédure médico-légale, non disponible dans les milieux reculés ;

c) l’organisation de rites funéraires faits de façon expéditive, parfois dans les 24 heures suivantes ;

d) l’embaumement spécial qui interdit une longue exposition.

Autant de facteurs vont faciliter les effets du poison selon un chronométrage approximatif réglé à l’avance. On peut comprendre que la personne victime n’a pas besoin d’être enterrée pour devenir zombi. C’est justement une astuce utilisée par les « malfrats des ténèbres », ces « architectes de cauchemars funéraires », pour feindre que leurs victimes ne sont plus de ce monde.

Il se révèle important de souligner que ce n’est pas dans tous les cas de zombification que la poudre est indispensable, bien au contraire.

Étape 3Les funérailles du sujet

Après avoir atteint la proie, l’apparence de la mort créée, un contact sera vite établi avec la morgue d’accueil pour étiqueter le cadavre afin qu’il soit protégé jusqu’au jour de ses « funérailles ».

Des « funérailles » publiques sont alors organisées en sa mémoire. 

Étape 4 – Rites d’exhumation et de réveil

Suivant les données ethnographiques disponibles[5], l’exhumation de sujet fait l’objet de tout un rituel magique. La personne enterrée, peut être captivée soit à la faveur d’expertises magiques réalisées sur place au cimetière ou au carrefour quatre chemins le plus proche (procédé Bluetooth). Le rituel d’exhumation est brutal, atroce et horrifiant, à en croire à certains initiés et/ou témoignages de victimes.

Étape 5 – L’orientation vers un état de dépendance/ transport / déportation et effacement) :

Le cadavre transformé en « mort-vivant », une fois « réanimé », le corps se met en marche, sous la conduite d’une escorte, appelée « Kondè » du français « conducteur » (à moins qu’il ne s’agisse de l’argot français pour le mot « policier » ?) vers un lieu de réclusion où il accède à un nouveau statut, celui de zombi, à une nouvelle personnalité et même une nouvelle identité. Privé de son nom, uniquement affublé d’un prénom, il est nourri à même le sol sur une feuille de bananier, sans sel, comme les anciens esclaves, et souvent drogué pour le priver définitivement e tout libre arbitre.


Partie C

Zombification et traite des personnes : 
Similarités des processus

Le législateur ou le juge, dans le questionnement des éléments de la traite des personnes, est autorisé à questionner ou à rechercher les éléments caractéristiques de base de la traite des personnes, à savoir : recruter, transporter, transférer, héberger, recevoir,placer sous contrôle ou une influence sur leurs mouvements ou déplacements et maintenir en situation d’exploitation multiforme, à des fins économiques.

La traite des personnes, vue comme une forme moderne d’esclavage et une des plus sévères violations des droits de la personne s’affiche dévastatrice des valeurs, engagements et enseignements du droit international de la personne humaine. Elle est considérée comme une agression constante, dévalorisante et envahissante à l’égard des droits fondamentaux des victimes et la suppression totale de la notion de la dignité humaine. Les modes opératoires des trafiquants et des zombificateurs se ressemblent. Ils ont un dénominateur commun à savoir, la privation imposée aux victimes de leurs droits, de leur liberté, de leur dignité et de leur potentiel humain. Les deux opèrent en pleine clandestinité. Ils utilisent des moyens diversifiés de contrôle sur leurs victimes, lesquels sont soumis à un même traitement sur le plan anthropologique.

La zombification et la traite des personnes se partagent des objectifs internationalement reconnus et réprimés. Elles poursuivent, entre autres, et pour le moins, des fins de travail forcé non ou peu rémunéré pour la victime, des activités criminelles forcées, des fins d’exploitation sexuelle et des fins du prélèvement d’organes.

Déduisons que pour parler de traite de personnes, tout en considérant qu’elle crée une situation de vulnérabilité et implique l’abus de ladite situation par laquelle la victime n’a pas d’autre choix que de se soumettre (par force ou tromperie). Au moins trois critères doivent se réunir pour la constitution de ce crime : l’acte, les moyens et les fins d’exploitation, pour le moins, manifestés dans des actions concrètes tendant à : faire le recrutement, transporter, transférer, héberger, détenir, offrir / recevoir des avantages ; faire usage de violence, coercition, enlèvement, fraude, tromperie, excès ou abus de pouvoir pour contraindre la victime ; poursuivre la psychologie d’exploitation de la victime soit sous la forme d’exploitation sexuelle (prostitution, proxénétisme, porno), de travaux forcés (non rémunéré ou peu rémunéré, esclavage), de prélèvements d’organes à des fins économiques, etc. 

Il y a une nécessité de réparer les effets psychosociaux de ces faits, de travailler la réinsertion des victimes dans leur famille et dans la société, en raison de la rupture des liens familiaux et les protéger contre les stigmatisations d’une part ; de leur accorder une assistance financière en vue de leur réinsertion économique et assistance juridique de l’Etat pour poursuivre les trafiquants et zombificateurs et faire en sorte que les représailles changent de camp. 

Voilà pourquoi les Haïtiens et les autres états doivent se préparer et engager (les 4 P) :

  1. La prévention qui devrait se matérialiser dans la dotation du pays d’instruments légaux, à l’instar du projet du nouveau code pénal, conçus dans les lignes du combat dans l’adoption et la ratification de conventions internationales visant à réprimer cette pratique ; dans la lutte pour l’adoption d’une véritable politique publique en matière de famille en Haïti ; durcir la législation haïtienne dans la fixation des peines y afférentes et opter pour la politique tolérance zéro en matière de traite de la personne.
  2. La protection : par une vaste campagne visant à sensibiliser sur c’est qu’est la traite et réduire en conséquence le nombre des acteurs et victimes. À réprimer sévèrement et surtout les auteurs, les co-auteurs et les complices de cette activité inhumaine, par une véritable synergie entre les officiers des unités spécialisées des forces de l’ordre, les organes de poursuites répressives, d’instruction et de jugement de manière afin de disposer de plus de dossiers qui aboutissent à des condamnations. Aujourd’hui, l’infraction « traite de la personne » et « zombification » devrait faire l’objet d’une spécialisation dans la police/justice. Il faut que ces secteurs soient mieux armés professionnellement pour traiter de pareilles infractions.
  3. Notons que la prise en charge est aujourd’hui quasi impossible en Haïti, en raison de l’état actuel de son économie et de ses pouvoirs politiques. Cependant, en tant qu’Etat, elle devrait constituer un objectif à atteindre.
  4. Le partenariat : la traite, ayant mis en exergue l’indisponibilité de l’intégrité morale et physique de la personne humaine est un acte violateur de la dignité. L’anéantissement de cet acte sous-tend des luttes collectives bien organisées en ce sens que la traite implique assez souvent des déplacements et ceux-ci ne sont pas toujours exécutés à l’interne.

Conclusion

Si la zombification est ce processus qui tend à empoisonner ou envoûter une personne cible, simuler son décès, renforcer la perception du décès, l’exhumer de son caveau, la maltraiter et la conduire au lieu de dépendance à des fins d’explorations économiques entre autres, le means rea de la traite des personnes exige ce même mécanisme à savoir : « recruter », « transporter », « transférer », « héberger ». Recevoir, placer et maintenir en situation d’exploitation, il y a lieu de comprendre que même différentes dans leurs appellations, la traite des personnes et la zombification méritent d’être réprimées partout à travers le monde. Cette dernière mérite d’être prise en compte et même intégrée dans les conventions internationales relatives à la protection de la personne humaine.

Comme nous l’avons soutenu tout au long de cet article, le processus de la traite des personnes, à travers le recrutement, le déplacement, l’accueil et l’asservissement non ou sous-rémunéré du sujet est un acte qui doit être sanctionné par la société. Il faut un engagement ferme dans la poursuite des objectifs fixés dans la règle des 4 P indispensables à l’éradication de ce mal.

Dans des cas de traites à des buts de trafic d’organes ou d’exploitation de proxénétisme, on signale assez souvent des déplacements internationaux.

Pour le zombi, le droit international des droits de l’homme cherche à assurer une spéciale et particulière protection aux groupes, aux minorités et catégories comme les femmes et les enfants, les personnes vivant avec des handicaps, pour ne citer que celles-là : et pourquoi pas les zombis ? Il faut prêter l’oreille aux zombis du point de vue juridique et anthropologique, les écouter et réfléchir sur leur sort en tant que personne, même par simple existence physique.  

Lutter contre la traite des personnes, plus particulièrement contre la zombification, est plus qu’une exigence légale. C’est une obligation morale, citoyenne et responsable, dans la perspective de bannir la méfiance et de ressouder le lien social entre des membres d’une société, de prévenir la décapitalisation[1] de la société, finir avec la haine de groupe, clan ou de famille qui pourrait entretenir l’incohésion sociale et mettre fin à toutes les formes d’esclavage moderne. Elle doit s’appuyer sur les derniers éléments de la recherche anthropologique, dans une complète collaboration entre disciplines scientifiques et leur application directe en terme juridique, éthique et législatif.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Senatus Jean-Renel & Charlier Philippe, « La zombification : une forme anthropo-juridique de traite des personnes » in Journal du Droit Administratif (JDA), 2023 ; Art. 415.

Bibliographie 

ALLARD, Jérôme-Olivier. (2015), Les morts se lèvent : Zombies, Pouvoir et Résistance, [thèse de maitrise, Université de Montréal].

BARTHELEMY, Gérard, (1990). Le pays en dehors. Essai sur l’univers rural haïtien, Paris, L’Harmattan.

CASIMIR, Jean. (1981,2001), La culture opprimée, Delmas, Imprimerie Lakay.

CHARLIER, Philippe (2015). Zombi. Enquête sur les morts-vivants en Haïti. Paris, Tallandier.

CHARREDIB, Karim. (2013),Les zombies et le visible : ce qu’il en reste. Une pratique artistique de la hantise cinématographique [Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne].

DEGOUL, Franck. (2005), Dos à la vie, dos à la mort : Une exploration ethnographique des figures de la servitude dans l’imaginaire haïtien de la zombification, [Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille/ Laval].

DESCARDES, Jean Rosier, (1998-1999). Dynamique vodou et droits de l’homme en Haïti, [Mémoire de DEA, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne].

HURBON, Laennec (1988), Le barbare imaginaire, Paris, Editions du Cerf.

Karim Charredib, Les zombies et le visible : ce qu’il en reste, thèse de doctorat, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, 2013

MONTALVO-DESPEIGNES, Jacquelin. (1976). Le droit informel haitien, Paris, Presses universitaires de France.

PIERRE-LOUIS, Patrick, (2009), Le système coutumier haïtien. Dans L. Hurbon & M. Hector (dirs.). La genèse de l’Etat haïtien (1804-1859) (pp 207-224). Editions de la Maison des sciences de l’Homme.

TOSUN, Leman (2011), La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble].

SENATUS, Jean Renel, Le Commissaire du Gouvernement et ses attributions de poursuite au regard du phénomène de la zombification, Mémoire de maitrise, FDSE.

Frantz Alix LUBIN, Le Processus de zombification en Haïti.

Joseph, Maxo, Pasteur, Le réveil, un antidote à une société zombifiée, First printing, 2016.

Article : Zombification: Condamnation secrète b, Journal le nouvelliste  du  12  septembre  2008

Webographie:

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https://www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains/Types-de-traite-d-etres-humains

https://haiti.loopnews.com/content/haiti-la-rencontre-des-filles-vendues

https://haiti.loopnews.com/content/verrettes-des-fillettes-sont-vendues-des-hommes-comme-concubines

https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201512/12/01-4930573-haiti-plus-de-200-000-enfants-exploites-comme-domestiques.php

https://www.ohchr.org/fr/node/100325, plan  des  Nations  Unies  contre la  traite

https://www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains/Types-de-traite-d-etres-humains

L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés | OHCHR

Rapport 2018 de la lutte contre la traite, Haïti en position vulnérable | Haïtitweets

UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006 : exclus et invisibles, 2005. http://www.unicef.org/french/sowc06/pdfs/sowc06_fullreport_fr.pdf


[1] ONU/HCDH, Le HCDH, les droits de l’homme et la traite des êtres humains, 16 juin 2023, www.ohchr.org/fr/trafficking-in-persons

[2] Article 23
 Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. 
2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. 
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. 
4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Article 24
Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodique.

[3]  SENATUS, Jean Renel, Le Commissaire du Gouvernement et ses attributions de poursuite au regard du phénomène de la zombification, Mémoire de licence, UEH /FDSE, p 100, 2018.

[4]  WIENGFIELD, Roland : Sur la piste du zombi, éditions 24 heures, p.162.

[5]  Interpol, Traite d’êtres humains, trafic de migrants, www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains-et-trafic-de-migrants


[1] La Convention Europol, Bruxelles, 26 juillet 1995.

[2] Organization for Security and Co-operation in Europe, Trafficking in Human Beings: Implications for the OSCE, 16 September 1999, www.osce.org/odihr.

[3]   TOSUN Leman, La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble]. p.33.

[4] Article 3 du Protocole de Palerme.

[5]  KELLY L., “‘You can find anything you want’: A Critical Reflection on Research on Trafficking in Persons within and into Europe”, International Migration, vol. 43, n°1/2, 2005, pp. 235-265.


[6] La Convention Europol, Bruxelles, 26 juillet 1995.

[7] Organization for Security and Co-operation in Europe, Trafficking in Human Beings: Implications for the OSCE, 16 September 1999, www.osce.org/odihr.

[8]   TOSUN Leman, La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble]. p.33.

[10]  KELLY L., “‘You can find anything you want’: A Critical Reflection on Research on Trafficking in Persons within and into Europe”, International Migration, vol. 43, n°1/2, 2005, pp. 235-265.


[1] UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006: exclus et invisibles, 2005. http://www.unicef.org/french/sowc06/pdfs/sowc06_fullreport_fr.

[2] ONU, Plan des nations unies contre la traite, www.ohchr.org/fr/node/100325

[3]OHCHR,  Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants |

[5] Les victimes des mariages forcés sont considérées comme des esclaves modernes. Voir : Global Estimates of Modern Slavery. There were 5.4 victims of modern slavery for every thousand people in the world in 2016. There were 5.9 adult victims of modern slavery for every 1,000 adults in the world and 4.4 child victims for every 1,000 children in the world. global_estimates_of_modern_slavery-forced_labour_and_forced_marriage.pdf (alliance87.org).

[6] The Office of the High Commissioner for Human Rights (UN Human Rights) is the leading UN entity on human rights. 

[7] L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés | OHCHR.

[8] ONU, L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés, 02 décembre 2019, consulté le 4  septembre 2023, en ligne.


[1]Dont l’objectif est de prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention particulière aux femmes et aux enfants, de protéger et d’aider les victimes d’une telle traite en respectant pleinement leurs droits fondamentaux ; de promouvoir la coopération entre les États Parties en vue d’atteindre ces objectifs.

[2] www.dictionnaire-juridique.com/index

[3] Cette définition est tirée du blog – Encyclopædia Universalis

[4] Ce terme renvoie au représentant national du secteur vodou en Haïti.

[5] CINCIR Amos et coll., Zombification : condamnation secrète b, Journal Le Nouvelliste du 12 septembre 2008,  

[6] ALLARD, Jérôme-Olivier, Les morts se lèvent : Zombies, Pouvoir et Résistance, thèse de maitrise, Université de Montréal], 2015.

[7] Ethnomusicologue


[1] Voir LUBIN Frantz Alix : Le Processus de zombification en Haïti, p 76.

[2] Normalement pour zombifier quelqu’un, deux procédés peuvent être utilisés : l’empoisonnement et l’envoutement.  

[3] JOSEPH, Maxo, Pasteur : Le réveil, un antidote à une société zombifiée, p36.

[4]  DEGOUL, Franck. (2005), Dos à la vie, dos à la mort : Une exploration ethnographique des figures de la servitude dans l’imaginaire haïtien de la zombification, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille/ Laval, p.163.

[5] CHARLIER, Philippe (2015). Zombi. Enquête sur les morts-vivants en Haïti. Paris, Tallandier.


[1] Aujourd’hui en Haïti, l’organisation des funérailles constitue l’une des causes d’appauvrissement des membres de la société. Très attachés aux proches disparus, ils acceptent des débours faramineux pour célébrer les derniers jours des dits proches. Si Dr Lalime Parle de 1000 zombis par année, avec mille dollars américains pour chaque funérailles, un million de dollars auraient été déjà partis en fumée d’une part ; de l’autre, sauf quelques exceptions, la zombification ne vise que des gens préparés faisant partie de la force active du pays. Assez souvent c’est le leader économique et financier de la famille qui est victime de cette conjuration. Dès lors, la famille est plongée dans la misère et le désespoir.

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ParJDA

Droit de l’environnement devant le juge administratif : un contentieux en ébullition

Art. 414.

Florence Y Caurand
Avocat au barreau de Saintes
Attorney at law, Massachusetts, USA (inactive)

Depuis quelques années, le Conseil d’État accueille des rencontres et des colloques sur le thème du droit de l’environnement, manifestant ainsi l’importance croissante des préoccupations environnementales qui transcendent les frontières et les évolutions récentes de cette branche du droit.

En effet, depuis peu, l’État doit faire face au dérèglement climatique de plus en plus perceptible et ses conséquences multiples. De nombreuses mesures ont donc été prises aux fins d’y remédier. Des dispositions concernant l’environnement figurent désormais dans de le corps de traités ou conventions internationales (CCNUCC[i]) et en droit européen (Directives environnement[ii]). Sur le plan national, L’une Charte de l’environnement est désormais adossée à la Constitution, outre  la publication d’un Code de l’environnement  suivie d’un Code de l’énergie.

Avec la multiplication de textes, s’est développé un contentieux environnemental, principalement devant les juridictions administratives, juges de l’action, voire de l’inaction de l’administration.

Récemment, 2 séries de décisions ont été rendues qui profilent d’une part la force contraignante des objectifs chiffrées de réduction des gaz à effet de serre suite aux accords de Paris (Cop 21) et la nécessité de réparer un préjudice écologique (I), et d’autre part ouvrent plus largement la voie des procédures de référé par la consécration du droit de vivre dans un environnement équilibré, comme constituant une liberté fondamentale (II).

I – Le droit de l’environnement dont le Conseil constitutionnel est le garant de la valeur constitutionnelle (A), a désormais valeur contraignante dans ses objectifs chiffrés, dont le juge administratif est le garant (B)

La Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle et l’interprétation de sa portée   normative revient au Conseil constitutionnel

La révision constitutionnelle de 2005 a adossé la Charte de l’environnement à la Constitution de la Vième République. Cette charte reconnaît des droits nouveaux, distincts de ceux contenus dans la Déclaration de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Ces droits sont énoncés en termes généraux mais novateurs. Par exemple, l’article 1 consacre le droit de vivre dans un environnement équilibré (Voir II ci dessous),  et les articles suivants prônent le devoir de prévenir ou limiter les atteintes à l’environnement. L’article 6 consacre le principe du développement durable.

Il revient donc au Conseil constitutionnel d’en définir les contours et la portée lorsqu’il est saisi de l’inconstitutionnalité d’une loi, soit par les parlementaires avant sa publication, soit par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, à la demande d’un justiciable au cours d’une procédure à laquelle il/elle est partie. Dans cette hypothèse, le justiciable soulève une question prioritaire de constitutionnalité (‘QPC’)[iii].

Dans une première décision du 29 décembre 2019, le Conseil annule des régimes d’exemption fiscales contenus dans la loi de finances relative à la contribution carbone[iv]. Dans une seconde décision du 31 janvier 2020 (Décision 2019-823), le Conseil constitutionnel a jugé que la protection de l’environnement justifiait des atteintes à la liberté d’entreprendre[v].

Désormais, un choix de politique environnementale qui relevait auparavant de politique publique, revient désormais en partie au juge constitutionnel, mais aussi au juge administratif.

Le juge administratif sanctionne désormais le non respect par l’Etat des objectifs chiffrés de protection de l’environnement et la réparation d’un préjudice écologique

 Dans les décisions  «Grande-Synthe», puis «Affaire du siècle» et «Les Amis de la Terre France», le Conseil d’État et le Tribunal administratif de Paris ont jugé que l’État était tenu de respecter les objectifs chiffrés de réduction d’émission de gaz à effet de serre à 40% d’ici 2030 (devenu désormais 55% au niveau européen), ce qu’il ne l’avait  pas fait, et a ordonné à l’État de réparer le préjudice écologique lié à ses manquements à ses obligations[vi]. Ces décisions constituent une réelle avancée  dans la protection de notre environnement.

Le juge administratif s’inspire d’autres décisions rendues par des juridictions étrangères au sein de l’Union européenne (cours suprêmes d’Irlande et des Pays Bas[vii]), mais aussi au delà (Cour suprême des États-Unis et Cour fédérale américaine du 9ième circuit[viii]). Ceci semble en effet souhaitable car des actions coordonnées auront  plus d’impact pour la protection de l’environnement et l’avenir de l’humanité.

Dans la décision «Commune de Grande Synthe» du 1er juillet 2021[ix], le Conseil d’État annule le refus du Gouvernement de prendre des mesures complémentaires à la réduction des  émissions de gaz à effet de serre. Le Conseil observe notamment qu’en 2020, la réduction des gaz à effet de serre était avant tout liée à la baisse d’activité économique en période de crise sanitaire. Le Conseil souligne l’effet contraignant des accords de Paris ainsi que l’application du Règlement européen du 30 mai 2018 dit ESR (2018/842). Après avoir examiné les données scientifiques récentes, Le Conseil enjoint au Gouvernement de prendre les mesures complémentaires nécessaires avant le 31 mars 2022. Suite à cette décision,  le Gouvernement a publié le 4 mai 2022 un communiqué contenant une synthèse de sa réponse au Conseil d’État, en exécution de l’injonction prononcée à son encontre.

Dans sa décision «Association  les amis de la terre» concernant la pollution de l’air, le Conseil d’État va plus loin et prononce une astreinte fixée à 10 millions d’euros par semestre, faute pour l’État d’avoir exécuté sa précédente décision du 12 juillet 2017[x].

Dans les décisions «Affaire du siècle» en 2021, par 3 jugements distincts, le Tribunal de Paris, saisi par plusieurs ONG, enjoint à l’État  de réparer à bref délai sa carence en matière de lutte contre le changement climatique et le condamne à réparer le préjudice écologique lié à l’impact direct sur le réchauffement climatique. Le Tribunal cite les engagements chiffrés pris par la France lors de la CCNUCC en 1997 puis lors des accords de Paris en 2015 et évalue  le préjudice écologique par la part attribuée à la carence de l’État sur la mesure atmosphérique des émissions de gaz à effet de serre[xi].

Ces décisions récentes donnent toutes force de loi aux objectifs chiffrés de protection de l’environnement et confirment la réalité d’un préjudice écologique indemnisable devant le juge administratif. Parce qu’il est conscient de la nécessité de prendre une décision réaliste dans son exécution , en plus d’être politiquement acceptable, le juge administratif prend soin de préciser que s’il enjoint l’État de prendre les mesures nécessaires, il appartient au seul Gouvernement d’en déterminer la mise en oeuvre.

Dans une décision du 20 septembre 2022, le juge administratif ouvre également la voie à la protection de l’environnement dans le cadre de procédures rapides de référé (II).

II- Saisi dans le cadre de procédures rapide de référé, le juge administratif peut désormais ordonner à l’État de prendre des mesures nécessaires (A), et consacre en référé-liberté, une nouvelle liberté fondamentale (B)

Les procédures de référé devant le juge administratif: outil d’action du juge administratif depuis l’an 2000

Depuis 22 ans, le Code de justice administrative (‘CJA’) permet au justiciable de saisir le juge administratif dans le cadre de procédures accélérées, qui ne jugent pas définitivement l’affaire, car la décision prise par le juge, d’exécution immédiate, reste néanmoins provisoire. Certaines de ces procédures de référé permettent donc de saisir rapidement le juge administratif en matière d’atteinte à l’environnement.Il y a plusieurs types de référés, les référés liés à l’urgence (suspension, liberté, conservatoire) et les référés qui en sont exemptés (constat, instruction, provision)

Ainsi dans le cadre d’un référé-suspension, le requérant peut solliciter la suspension de l’exécution de la décision administrative qui porterait atteinte à l’environnement, décision dont il doit avoir parallèlement saisi le juge d’une demande d’annulation (L 521-1 CJA). Le requérant peut également saisir le juge d’une procédure de référé-constat ou de référé-instruction, afin d’obtenir la constatation de faits par un expert, ou d’obtenir une expertise concernant les faits du litige et les potentiels dommages pour l’environnement (L 521-3 du CJA) Dans le cadre du référé conservatoire (dit mesures utiles), le juge administratif peut prendre toute mesure utile, à la condition de ne pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Il peut par exemple s’agir de mettre un terme au danger immédiat pour l’environnement constitué par un ouvrage public (voir CE 5 juin 2020, Syndicat intercommunal des eaux de la Vienne n° 435126 B) Le référé-injonction ou «liberté» n’est possible, qu’en cas d’atteinte manifeste à une liberté fondamentale.

En 2021, un rapport rédigé par Mesdames Montebou et Untermaier, de la Commission des lois constitutionnelles à l’Assemblée Nationale, met en lumière la spécificité des atteintes à l’environnement et la nécessité d’agir en urgence compte tenu du risque de dommages irréversibles[xii]. Après avoir dressé l’inventaire des procédures de référé existant devant les juridictions administratives et judiciaires, les auteurs soulignent que la notion de risque environnemental peut être mal saisie par le juge, outre la difficulté pour ce-dernier à relever la condition d’urgence ou d’illégalité manifeste.

Malgré ces difficultés, dans sa décision du 20 septembre 2022, le Conseil d’État, saisi d’une procédure de référé-liberté ouvrait une nouvelle voie d’action en matière de protection de l’environnement.

Le droit de vivre dans un environnement équilibré: une liberté fondamentale consacrée par le juge administratif des référés

   Le Conseil d’État était saisi d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L 521-2 du Code de justice administrative. Cette procédure permet au requérant de saisir le juge administratif lorsqu’il estime que l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il doit justifier de la condition d’urgence.

 Des particuliers avaient saisi le Conseil d’État d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Toulon, qui avait rejeté leur demande de suspension de travaux routiers.Le Conseil rejette leur demande au motif que la condition d’urgence n’est pas réunie. Cependant, le Conseil d’État juge que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, pour rejeter la demande initiale, en jugeant que la protection de l’environnement ne constituait pas une liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 du Code de justice administrative. Sur le fond, le Conseil s’appuie sur un diagnostic environnemental réalisé un an auparavant par le département du var, pour juger que les travaux entrepris ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé[xiii]. Il convient de noter l’importance croissante de l’instruction du dossier, de plus en plus orale, afin que les parties produisent les informations et explications nécessaires et que le juge ait la possibilité d’inviter des experts à formuler leurs observations[xiv].

Il n’en reste pas moins que le droit de vivre dans un environnement équilibré vient désormais s’ajouter aux nombreuses libertés fondamentales reconnues par le juge administratif saisi d’un référé-liberté, telles que la liberté d’aller et de venir, la liberté du commerce et de l’industrie, la présomption d’innocence ou le droit d’exercer un recours effectif devant un juge.

Ainsi par des décisions récentes et innovantes, le juge administratif construit jour après jour un droit plus protecteur de l’environnement, qui invite chacun à prendre conscience des enjeux climatiques qui touchent notre planète. Ce nouveau droit qui s’élabore correspond avant tout à un modèle de société dans laquelle nous souhaitons vivre demain.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Caurand Florence Y. « Droit de l’environnement devant le juge administratif : un contentieux en ébullition » in Journal du Droit Administratif (JDA), 2023 ; Art. 414.


[i] CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques);  CDB (Convention sur la diversité biologique); CLD (Convention sur la lutte contre la désertification) adoptées lors du sommet de la Terre à Rio en 1992.

[ii] Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 du Parlement européen et du Conseil; Règlement (UE)sur la qualité de l’air; 2018/842 du 30 mai 2018 du Parlement européen et du Conseil relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre; Décision 406/2009/CE du 23 avril 2009 du Parlement européen et du Conseil relative à l’effort fourni par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2020.

[iii] Prévue par l’article 61-1 de la Constitution de 1958, lors d’une instance en cours, le justiciable peut contester la constitutionnalité d’une loi directement applicable à son dossier. La QPC sera d’abord examinée par la juridiction saisie du dossier, puis la QPC pourra être transmise au Conseil constitutionnel.

[iv] Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009: le Conseil constitutionnel juge que l’importance des exemptions fiscales totales était contraire à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique.

[v] Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020: le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur les termes du préambule de la Charte de l’environnement et sur l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé résultant du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

[vi] CE 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe, n°427301; CE Ass, 10 juillet 2020, Les Amis de la Terre et autres, n° 428409; TA Paris février 2021, Oxyfam France et autres, n°1904967.

[vii] Friends of the Irish v. Ireland, record N° 2018/ 391 JR; Cour suprême des Pays Bas, 20 décembre 2020, Pays Bas c Fondation Urganda, 19/00135.

[viii] Massachusetts v. EPA, 549 US. 497 (2007); Juliana et al. US. District Court, 2016 WL 6661146 (D. Or. Nov. 10, 2016)

[ix] Idem note vi.

[x] Idem note vi.

[xi] Idem note vi.

[xii] Assemblée Nationale, Mission «flash» sur le référé spécial environnemental, Communication de Mesdames Naïma Moutabou et Cécile Untermaier, 10 mars 2021, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

[xiii] CE 20 septembre 2022, M et Mme C. Département du Var, n° 451129

[xiv] Décret 2023-10 du 9 janvier 2023 relatif aux procédures orales d’instruction devant le juge administratif.

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