Archive mensuelle 17 octobre 2023

ParJDA

La zombification : une forme anthropo-juridique de traite des personnes

Art. 415.

Jean Renel SENATUS,
Avocat au barreau de Port-au-Prince, Senior au Cabinet SÉNATUS, 29 angle des rues Metellus et Chavannes, Petion-Ville, Haïti,
& Président de l’Université Soleil d’Haiti (USH), Rue O#13, Port au Prince, Haïti
& Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB), UFR des Sciences de la Santé, UVSQ / Paris-Saclay, 2 avenue de la Source de la Bièvre, 78180 Montigny-Le-Bretonneux, France /
senatusjnrenel@yahoo.fr

Philippe CHARLIER,
Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB), UFR des Sciences de la Santé, UVSQ / Paris-Saclay, 2 avenue de la Source de la Bièvre, 78180 Montigny-Le-Bretonneux, France /
& Fondation Anthropologie, Archéologie, Biologie (FAAB) – Institut de France, 23 quai de Conti, 75006 Paris, France / philippe.charlier@uvsq.fr

Résumé

La zombification est une forme de traite des personnes ignorée tant à l’échelle nationale d’Haïti qu’à l’internationale. Les deux faits se ressemblent dans leurs éléments constitutifs ou dans leurs mécanismes de constitution. Elles poursuivent une même finalité, celle de réduire en esclavage une personne humaine au mépris de la dignité qui lui est inhérente, ce, en vue de poursuivre des objectifs généralement économiques, sous couvert d’une justification de justice magico-religieuse’. Dans cet article, notre analyse anthropo-juridique porte sur la manière de procéder des organisations criminelles liées à la traite des personnes ou la zombification et un plaidoyer y est fait pour que la zombification soit prise comme une forme ignorée de traite des personnes, qui devrait être incriminée, sanctionnée et prévenue avec l’adoption de mesure de réinsertion ou de réhabilitation des victimes de la zombification.

Mots-clés

Zombification, zombi, traite des personnes, exploitation, droits humains, esclavage

Summary/abstract

Zombification is a form of human trafficking that is ignored both nationally in Haiti and internationally. Zombification and human trafficking are practices that affect the well-being and dignity of the human person. The two facts are similar in their constituent elements or in their mechanisms of constitution.  They have the same purpose, that of enslaving human beings in disregard of their inherent dignity, in order to pursue generally economic objectives, under the guise of a justification of « magico-religious justice ». In this article, an anthropo-legal analysis spotlight is shone on the way criminal organizations deal with human trafficking or zombification.  A plea is made that zombification be taken as an ignored form of human trafficking, which should consequently be criminalized, sanctioned and prevented, with the adoption of measures for the reintegration or rehabilitation of zombification victims.

Keywords

Zombification, zombi, human trafficking, exploitation, slavery

Photo d’illustration ; P. Charlier (c)

Introduction

La traite des personnes, en raison de la domination de l’homme par l’homme qu’elle préconise, est une forme de violation majeure des droits fondamentaux de la personne humaine.  Elle désigne en clair le processus par lequel des personnes sont recrutées, transportées, transférées, hébergées, reçues etplacées sous contrôle ou influence d’autrui, avec des contrôles spécifiques sur leur liberté de mouvement ou déplacements en vue de les maintenir en situation d’exploitation multiforme et continue, à des fins économiques ou autres[1].

Le phénomène de zombification a commencé à attirer l’attention des scientifiques   internationaux à la fin du XXe siècle. Cette chronologie écarte, semble-t-il la tradition de pensée sociale haïtienne nationaliste revendiquant l’érection du fait révolutionnaire de 1804, comme la première forme de contestation géopolitique et historique de la traite humaine à grande échelle, explicable par le colonialisme et l’esclavagisme des temps modernes. Cette institutionnalisation de pratiques d’injustice masque les fondements criminels de la zombification par l’invocation des principes et valeurs du système de droit informel haïtien, à forts relents religieux. Pourtant, le processus de la zombification comporte des traits juridiques analogues aux pratiques de traite humaine. En effet, le processus de zombification s’authentifie avec le processus qui part du choix, de l’identification ou du recrutement de la victime, de la demande de la « mise à mort », de l’administration du poison/ou de l’envoûtement, du renforcement de l’apparence de la mort, des rites d’exhumation et de réveil, l’orientation en état vers un lieu de dépendance, le convoiement ou transport / déportation ou effacement et poursuit les mêmes finalités que la traite des personnes.

En effet, les zombis sont contraints de travailler dans les champs de canne à sucre, les bananeraies, les mines, dans les installations de pêche, la construction, d’exécuteur des tâches domestiques ou de s’atteler à sans espérer la contrepartie salariale définie par les conventions internationales, notamment, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en ses articles[2] 23, 24, sur les  droits  des  travailleurs  et encore moins  les  avantages et privilèges tels que l’assurance  de travail, les  congés, la prime de fin d’année, alors qu’ils sont contraints de réaliser des travaux non contrôlés et régulés par l’Etat et par la loi.

Des femmes-zombies à l’instar de Nadia[3], Medula[4] et Ermithe rapportent avoir enfanté et été exploitées sexuellement pendant la durée de leur zombification. Sans droit de visite médicale, elles ont été faites esclaves sexuelles et détenues dans des conditions inhumaines et de terreur constante.

Si des sources internationales avancent que plus de 80 % des personnes touchées par la traite des personnes sont victimes d’exploitation sexuelle, dans le cas de la zombification peu de chiffres sont disponibles et l’on comprendra les obstacles auxquels s’exposera un chercheur dans ce domaine. D’où la nécessité de mettre les projecteurs sur cette forme de traite complètement ignorée sur le plan anthropologique  et juridique[5]

Comme dit ci-haut, la traite des personnes est diversement interprétée à travers le monde et magnétise l’attention de nombre d’organisations nationales et internationales qui ne cessent de conjuguer des efforts, les uns plus visibles que des autres en vue de l’éradiquer.

S’il est un fait que des progrès considérables ont été observés dans la lutte contre la traite des personnes à travers le monde, comme en témoignent les différents rapports de l’Organisation des Nations Unies, aucune littérature n’a été établie sur les liens entre la zombification et la traite des personnes, vu que celle-là est considérée comme une fiction dans l’imaginaire collectif occidental pendant qu’elle est une réalité incontestable dans le mental collectif haïtien. En dépit des visibles similitudes qu’elle partage avec la traite des personnes, la zombification n’a jamais préoccupé les chercheurs juristes. Aussi, sommes-nous amené à formuler la question suivante : qu’est ce qui empêche les scientifiques du droit, de la sociologie, de l’anthropologie à considérer la zombification, selon les procédés de sa mise en œuvre, comme une forme de traite des personnes ?


Quid de la dignité de la personne du zombie ?

L’humanité ne devrait-elle pas être interpellée et sensibilisée à combattre cette forme de traite ?

Pour répondre à ces préoccupations, nous proposons ici d’essayer de mettre en lumière les similarités complexes qui unissent ces deux réalités. Nous exposerons les différents mécanismes d’exécution de la traite des personnes et nous nous pencherons sur les différentes formes de lutte engagées contre la traite sur les plans local, régional et mondial afin de dégager l’identité du zombi à partir des caractéristiques de la personne humaine et de montrer, au regard du processus de la zombification, que le zombi est une victime de traite des personnes.

Pour répondre à ces questions, notre article sera organisé en trois parties : la première sera consacrée aux généralités, statistiques et luttes visant l’éradication de la traite dans le monde ; la deuxième exposera la zombification et le processus de zombification. Quant à la dernière partie, il sera question des points de ressemblance et des finalités de la traite des personnes et la zombification. 

A la fin de ce parcours, qui se veut un plaidoyer pour que les pratiques de la zombification soient prises en compte tant sur les plans juridique et anthropologique, nous serons amenés à reconnaitre que la zombification est une forme de traite des personnes, complétement ignorée par les scientifiques, ce qui mérite d’être redressé pour le plus grand bien de l’humanité.

Partie A

Traite des personnes dans le monde :
généralités, statistiques et luttes :

Nombre d’instruments adoptés par des institutions de renommée mondiale ont tenté de définir la traite des personnes. Ainsi, la Convention Europol de 1995 définit la traite des êtres humains comme suit : 

« Soumettre une personne en abusant d‘un rapport d‘autorité ou de manœuvres en vue notamment de se livrer à l‘exploitation de la prostitution d‘autrui, à des formes d‘exploitation et de violences sexuelles à l‘égard des mineurs ou au commerce lié à l‘abandon d‘enfant[1] ». 

En effet, la traite des personnes est considérée comme l’esclavage des Temps modernes, en ce sens que des êtres humains sont contraints à se prostituer, travailler en dehors des normes du code de travail et de la dignité, subir des extractions d’organes ou contraints de mendier au profit d’autrui. Toutes ces actions supposent des relations ou rapports de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.

De son côté, l‘Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), dans « Trafficking in Human Beings: implications for OSCE [2] », propose une définition plus ample dudit phénomène :

«Tous les actes inclus dans le recrutement, l‘enlèvement, le transport, la vente, le transfert, l‘hébergement ou la réception des personnes;- par la menace ou l‘utilisation de la force, la tromperie, la coercition, ou la servitude pour dettes;- à des fins de placement ou de détention des personnes, payées ou non, dans un état de servitude involontaire, pour un travail forcé ou pour un créancier, dans une communauté autre que celle dans laquelle la personne vivait avant d‘être trompée, prise de force ou soumise à des créanciers[3] ».

La lecture des faits constitutifs de la traite tel que vus par l’OSCE offre un large éventail d’actions ou de faits faisant partie de ce crime. 

En dehors des instruments légaux internes d’abolition de l’esclavage, adoptés par certains pays, c’est en 2000 qu’un cadre juridique solide voit le jour avec le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier commise contre les femmes et les enfants. Cet instrument juridique se révélait d’une importance capitale pour la lutte et des engagements allaient être pris par des acteurs internationaux en vue de la naissance de la coopération internationale ou le partenariat multilatéral indispensable à la lutte. Ce protocole semble proposer la meilleure définition de la traite des personnes :

« Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes[4]»

Cette définition semble englober la traite des personnes dans toutes ses dimensions. On y décèle aussi toute une kyrielle d’infractions ou de comportements réprimés par certaines législations locales, tels que l’enlèvement, la fraude, la duperie, l’abus de pouvoir ou exploitation de l’état d’ignorance ou de la situation de vulnérabilité de l’autre avec le miroitage de conditions et situation de vie meilleure projetée à la victime. L’entreprise mafieuse de traite des personnes est à date, une entreprise extrêmement prospère, un marché noir prometteur pour les trafiquants et touche une bonne faction de la population mondiale. Pour combattre la traite de personnes, des actions se sont multipliées partout à travers le monde.

Ainsi, l’histoire de l’activisme contre la traite des personnes aura retenu l’année 1990 comme celle des grandes mobilisations qui visaient l’éradication de ce fléau. Yasmeen Hassan[5], Directrice exécutive d’Equality Now, rappelle qu’avant les années 1990, il n’y avait pas d’organisation de militance et d’activisme contre la traite des personnes. A partir de cette date, des voix se sont élevées pour dénoncer ces pratiques, sensibiliser le monde aux menaces qu’elles représentent pour l’humanité et poser les bases de partenariat multilatéral entre états pour les combattre. Le plaidoyer de la société civile internationale (ONG et institution internationale) met en évidence les statiques alarmantes des pratiques de traite dans le monde contemporain.


  1. Rapports sur l’état de la situation

Selon un rapport de 2006 de l’UNICEF, des enfants (7-18 ans) recrutés illégalement, par force, fraude ou coercition sont exploités dans le cadre des travaux forcés ou d’esclavage sexuel partout à travers le monde[1]. Le taux le plus élevé de victimes est enregistré en Afrique où 41 % des enfants âgés de 5 à 14 ans sont soumis aux travaux forcés contre 21% en Asie et 17% dans les Caraïbes.

La clandestinité et la fraude figurent parmi les grands moyens de contrainte qui caractérisent les opérations de traite des personnes. En dépit de ces faits, en 2016, La fondation Walk Free et l’OIT ont dénombré les victimes du phénomène à 25 millions de personnes soumises aux horreurs du travail forcé, d’exploitation sexuelle, du trafic d’organe, et ce, à l’échelle mondiale[2].  Le rapport mondial 2016 de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) sur l’identification par rapport au genre des victimes de la traite rapporte « que 51 % des victimes sont des femmes, 21 % des hommes, 20 % des filles et 8 % des garçons. Parmi ces personnes, 45 % ont été victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et 38 % de travail forcé [3]». Le rapport[4] de 2020 sur la catégorisation des victimes note que « les femmes victimes continuent d’être particulièrement touchées par la traite des personnes. En 2018, pour 10 victimes détectées dans le monde, environ cinq étaient des femmes adultes et deux des filles. Environ un tiers de l’ensemble des victimes détectées étaient des enfants, filles (19 %) et garçons (15 %), tandis que 20 % étaient des hommes adultes. » Suivant le rapport, ces victimes sont destinées à travailler dans des chantiers divers et sont ainsi réparties : 50% de travail sexuel, 38% de travail forcé, 6% d’activité criminelle, 1.5% de mendicité, 1% de mariage forcés[5], 1% de trafic d’enfant et/ou d’organes.

La traite des personnes est considérée comme la nouvelle forme que prend l’esclavage à travers le monde. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme OHCHR[6] :

« Plus de 40 millions d’hommes, de femmes et d’enfants suivant les estimations datées de 2020, sont réduits à l’esclavage. Parmi eux, 25 millions de personnes sont victimes de travail forcé et 15 millions, de mariage forcé. Une victime sur quatre est un enfant[7]. »

Devant des statistiques aussi alarmantes, l’Assemblée générale des Nations Unies, sous la présidence de M. Abdulla Shahid, s’est autosaisie de ces faits et les a considérés comme « une puissante tragédie humaine qui affaiblit la sécurité nationale, provoque la distorsion des marchés, enrichit les criminels et les terroristes et constitue un affront aux valeurs universelles ». Devant l’ampleur de la lutte visant l’éradication du fléau, les Nations Unies ont consacré et proclamé le 30 juillet « Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains » en vue de sensibiliser les acteurs, prévenir ces faits horribles, protéger les victimes et restituer la dignité aux personnes victimes. Pour le président Shahid, la problématique de traite de la personne humaine est plus qu’une question politique : «Elle est à cet égard une puissante tragédie humaine qui affaiblit la sécurité nationale, provoque la distorsion des marchés, enrichit les criminels et les terroristes et constitue un affront aux valeurs universelles ».

Le rapport « Traficking in persons report » du département d’Etat, rendu public en 2018, traitant de la position vulnérable d’Haïti en matière de traite, rapporte que :

« Le Gouvernement a identifié pas moins que 31 victimes potentielles de la traite, contre 43 victimes en 2016. En 2017, les fonctionnaires du Gouvernement ont fermé des orphelinats qui abritaient 116 enfants et potentiellement impliqués dans le trafic. »

Par ailleurs, les statistiques en Haïti révèlent que plus de 300 000 enfants sont soumis à la domesticité ou travaux forcés et à l’exploitation sexuelle.

Dans un rapport de 2022, le gouvernement français estime que sur 40 000 à 50 000 personnes qui sont dans la prostitution en France, environ quatre-vingt-dix pour cent (90 %) sont étrangères, probablement des victimes de la traite des êtres humains.

Tout en reconnaissant le droit de résister à sa réduction en esclavage ou son asservissement, comme un droit de l’homme à part entière, Michele Bachelet a reconnu que « l’esclavage est l’une des violations les plus graves et les plus totales de la dignité humaine », lors de la réunion-débat. L’esclavage est une attaque choquante contre toutes les sociétés[8]

La traite des personnes, productrice de l’esclavage, est donc la négation totale des droits de la personne humaine, en ce sens qu’elle met à mal les avancées en matière des droits de l’homme.  Les victimes de la traite sont dépouillées du droit fondamental l’être humain, c’est-à-dire la dignité. L’esclave sexuel, le travailleur forcé est un « zombi » dont le corps prime sur la conscience, la volonté et la dignité. 

En raison de son expansion considérable, la traite des personnes est devenue une préoccupation mondiale. Sa clandestinité ne permet pas aux organisations et activistes d’établir le nombre de ses victimes. Cependant, des organisations internationales soutiennent que ce chiffre varie de 700 000 à 4 millions de victimes par an. Le réalisme de l’ethnobotaniste Wade Davis et d’Emerson Douyon sur la zombification permet, à cet égard, de parvenir à la conclusion suivante :

« L’arme par laquelle des juges d’un système parallèle de justice imposent le respect de certains principes réglant souterrainement la vie sociale haïtienne. Le phénomène est ainsi analysé sous l’angle de sa fonction sociale dans le cadre d’une problématique ethno-criminologique.Mais Emerson Douyon semble aller plus loin dans le fragment précité : ces crimes censément rituels masqueraient d’autres crimes de bien moindre prestige. ».

Emerson Douyon, Crimes rituels et mort apparente en Haïti : vers une synthèse critique. Anthropologie et sociétés (Caraïbes), volume 8, numéro 2, 1984.

2. Les instruments légaux de combat contre la traite des personnes

Dans le souci croissant et justifié de protéger les victimes de la traite des êtres humains, des instruments légaux pouvant servir de base référentielle juridique, sur le plan étatique, conventionnel régional ou international ont été élaborés. Déjà en 1948, quelque trois années après la Seconde Guerre Mondiale, la Déclaration universelle des droits de l’homme, avait déjà prévu :

« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude : l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.

Cette disposition est aussi adoptée, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales l’art.4 :

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».

Des conventions sont adoptées des entités spécialisées de l’ONU. De son côté, l’OIT a également adopté un corpus normatif prévoyant la suppression du travail forcé par le biais de la Convention no 29 sur le travail forcé ou obligatoire en 1930 ; la Convention n105 concernant l’abolition du travail forcé en 1957 ; la Convention no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination de 1999 qui interdit l’esclavage sous quelque forme qu’il se pratique vente d’humain majeur ou mineur, servage, exploitation de prostitutions etc.

Avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le droit international s’est officiellement engagé en faveur de cette lutte en interdisant la traite des êtres humains. Puisque les catégories les plus convoitées par les malfaiteurs de la traite sont les femmes et les enfants, dans une approche progressive et ciblée.

L’adoption de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des enfants, d’une part, et la Convention relative aux droits de l’enfant par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants allait renforcer l’engagement des acteurs internationaux à endiguer cet état de fait.

Quant aux travaux forcés, la convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930, l’Organisation des Nations Unies engage les Etats membres et les exhorte à supprimer tout travail ou service exigé d’un individu sous toute forme de violence ou de contrainte.

Le Protocole de Palerme[1] de 2000 aura aussi enjoint auxétats d’adopter des mesures visant à prévenir la traite, à former les agents des forces de l’ordre et des frontières en vue sceller du sérieux le combat pour l’éradication de la traite, jugée incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine, mettant en danger le bien-être individuel et collectif. 

  • De la personne du zombi

Considérant les dispositions de loi et des conventions internationales régissant la traite des personnes, une question s’impose : le zombi est-il une personne humaine ? En quoi peut-il être considéré comme un sujet de droit ?

D’emblée, rappelons qu’en droit une personne[2] comme « tout être humain ou organisme susceptible d’acquérir des droits et de contracter des obligations et distingue plusieurs types de personnes, à savoir : les personnes physiques (les êtres humains) et les personnes morales ou juridiques (les sociétés, les corporations, l’État, les organisations sociales, etc.)»

Partant de l’étymologie traditionnelle[3], le terme « personne » vient du latin persona, terme lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire « résonner », « retentir », et désigne le masque de théâtre, le masque équipé d’un dispositif spécial pour servir de porte-voix.

Pour sa part, le Dictionnaire juridique de Serge Braudo définit ce même concept de la manière suivante : «Tout individu, homme ou femme, est une « personne » c’est-à-dire, un sujet de droit, doué de capacité et responsable. »

La personne, suivant cette définition, est un être humain vivant auquel s’attachent rationalité, conscience de soi-même, intelligence, volonté, sensibilité et identité ou disposant ou jouissant in globo, de l’état des personnes. Partant de cette définition et eu égard au cas de la zombie Ermithe Rubin ci-haut exposé, un être aux apparence d’un humain connu dont l’identité a été légalement anéantie par un acte de décès, frappée d’hébétude, enceinte et qui n’est pas en mesure de décliner le nom du géniteur de son enfant, dépourvue même de la capacité de déclarer légalement et  officiellement la naissance de son nouveau-né, Ermithe est-elle une personne à laquelle pourraient s’attacher des  droits inhérents, inaliénables, imprescriptibles et intangibles ? Si oui, comment les sciences humaines et sociales peuvent elles s’auto-saisir de ce cas-limite ?

La notion de personne, issue de la psychologie et de la philosophie suivant une tradition occidentale, été vue comme la jonction indissociable de l’âme et le corps formant un tout doué de raison et de perfectibilité[4]. Ce tout constitué du physique et du psychique présente un caractère unique ou singulier.

Pour le psychologue, une personne « est un être social pourvu de sensibilité, avec une intelligence et une volonté proprement humaine ». La personne est donc un être humain sans distinction de race, de sexe, ou de religion.

Répondant à la question de savoir si le zombi est une personne, le feu Max Beauvoir, ex-atti (chef spirituel)[5] national du vaudou, lui, a défini celui-ci comme « une personne[5] comme toutes les personnes, qui a son corps, mais possède une panoplie d’esprits qu’on appelle ‘‘nanm’’ dans laquelle on trouve le ‘‘gros bon ange’’, le ‘‘petit bon ange’’ ».

En fait, le nouveau code pénal publié dans le Journal officiel de la République d’Haïti, Le Moniteur, en date du 24 juin 2020, en son article 281, traitant de la zombification par empoisonnement, sans le terme, qualifie le zombi comme une personne. Il dispose :   

« Est passible de quinze (15) ans à vingt (20) ans de réclusion criminelle le fait d’administrer à une personne des substances de nature à provoquer un état léthargique momentané ou prolongé, ou de provoquer une altération durable des facultés mentales ou psychiques, annihilation de toute volonté ».

L’infraction est passible de vingt ans à trente ans de réclusion criminelle lorsque le décès de la personne a été déclaré à un officier de l’état civil et que cette personne, après son inhumation, a été identifié et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure officielle ou le lieu de travail ou la voiture ou accompagnant d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Le législateur a préféré ici parler de « personne » au lieu de « cadavre » de la personne inhumée. On peut donc conclure que le législateur haïtien reconnait que le zombi est une personne dont la déclaration de sa « réapparition » confirme le nouveau statut qu’il incrimine, sanctionne et en prévoit sans nul doute la réparation, sans piper mot sur la réhabilitation ou la réinsertion[6] de ce dernier dans le corps social. Dès lors, si nous admettons que le seul fait d’exister et d’appartenir à l’espèce humaine montre que le zombi est une personne à part entière, et qu’en est-il de la dignité de sa personne ?  

  • Le zombi et la dignité humaine

La dignité est la valeur intrinsèque qui élève et fait vivre la personne humaine. Elle s’oppose d’ailleurs au vocable mérite, lié à sa famille de naissance, la réputation de sa famille de naissance qui peuvent se perdre comme c’est le cas d’ailleurs du zombi. Des circonstances de la vie peuvent conduire à la perte de toutes les considérations sociales mais elles ne peuvent en aucun cas, annihiler la notion de la dignité. Cette valeur intrinsèque aurait tiré sa source dans la Bible puisque l’homme est fait à l’image de Dieu. La dignité humaine est d’abord celle du physique ou du psychique de l’humain, qu’il soit vivant ou mort.

Quand l’humain est traité comme un objet ou un instrument, sa valeur intrinsèque couverte par la notion dignité est violée, son essence est humiliée. Il faut reconnaitre que, suivant une conception moderne de la dignité développée par Descartes dans le Discours de la Méthode, la notion de dignité implique le triptyque autonomie-indépendance et maitrise. La maladie, à elle seule, peut saper les deux autres. Ce triptyque réunit les conditions dignes de la dignité. Pour Descartes, « la santé est la première des conditions de tous les biens ».

L’artiste Nicola Ciccone[7] souligne, de son côté, que la dignité est un simple mot qui résume les concepts de respect et d’humanité. Celle-ci est l’aune qui mesure l’égard qu’on a pour chaque être dans une société. « Je veux qu’on m’enterre droit debout, je veux garder ma dignité. Les plus faibles seront protégés au nom de la dignité… ». En ce sens, elle est ontologique.

Pour Maya Hertig Randall, professeure à la Faculté de droit de l’université de Genève, la dignité humaine est la première des quatre valeurs universelles à côté de la liberté, l’égalité et la solidarité, elles-mêmes fondatrices des droits de l’homme.

Ce concept englobe en quelque sorte le respect physique, psychologique ou moral des êtres humains. En ce qui concerne la personne du zombi, nul ne peut lui réclamer un quelconque droit à la dignité, en application de ce que son statut d’humain lui doit. Comme toute victime de traite des personnes, le zombi vit sa vie dans l’indignité la plus criante et cruelle. Comment un individu peut-il devenir zombi ? Quels en sont les mécanismes ?


Partie B

Le processus de la zombification

Le processus[1] de la zombification repose sur tout un rituel dans lequel plusieurs acteurs sont impliqués depuis le jour de la déclaration de décès de la victime[2] de la zombification. Evidemment, la première étape consiste à simuler « la mort apparente » de la victime. Ce rituel est très discret puisqu’on n’utilise jamais d’arme à feu, ni d’arme blanche pour tuer ou persuader ce décès apparent sauf dans le cas des accidents provoqués. Toutefois, est-il de bon ton ou n’est-il pas impropre de parler de tuer quand on sait que la personne n’est pas vraiment décédée ?

Cette première étape est souvent l’œuvre d’un redoutable « connaisseur » qui a recours aux ressources disponibles de la biocénose tropicale et de la toxicologie traditionnelle en Haïti. Cet empoisonneur maitre peut être très proche d’un prêtre religieux ou d’une société secrète (Champwèl, Bizango, Vlenglendeng, etc.)

Étape 1 : Le choix ou le recrutement[3] de la victime / la demande de la « mise à mort » formulée par un client, un parent ou une personne qui se plaint d’avoir été victime d’un comportement reprochable de la personne ciblée. Un contrat verbal est passé entre les parties, en vertu duquel la condamnation ou culpabilité sera arbitrairement suite à la tenue d’une audience mystique publique tenue par des régiments d’une secte secrète ou d’un connaisseur indépendant du procédé d’empoisonnement. Le jugement une fois prononcé, le condamné devra être écarté de la communauté. De ce fait, son décès devra être simulé.

Le docteur Yves Saint-Gérard, dans son ouvrage intitulé « Le phénomène zombi » (1992, p. 25), a abordé cette idée de justice-vengeance. Pour le chercheur, le processus de la zombification reflète ainsi une idée de vengeance souvent disproportionnée d’un sujet très susceptible, humilié (injures, injustices, déceptions amoureuses…) ou abusé par sa victime ou un proche de celle-ci. La zombification est le bénéfice secondaire d’une riposte qui n’est heureusement pas toujours maximale. Cette punition va de l’infirmité mineure à la mort réelle, en passant par des sanctions économiques comme les pertes d’objets précieux, d’emploi ou d’instruments de travail[4] ».

Étape 2 – Administration du poison/ou l’envoûtement

La première étape une fois franchie, il faut trouver dans l’entourage immédiat de la cible quelqu’un qui soit capable de lui administrer le poison ou la substance provoquera un état de mort apparente chez son sujet qui sera cliniquement mort. Il faut noter que, dans nombre de cas de zombification, il ne se révèle pas nécessaire de procéder ainsi dans la mesure ou les objectifs peuvent être atteints sans qu’il soit nécessaire de créer cet état de mort apparente. Au dire de feue Mme Euvonie Georges Auguste, on ne procède ainsi rien que pour porter les parents et amis à accepter que la personne cible n’est plus de ce monde. Ce peuvent donc être des funérailles factices, symboliques, non seulement sans cadavre, mais aussi sans corps.

Il faut noter aussi que dans l’imaginaire haïtien, certains peuvent parfois prendre la qualité de zombificateur en vue de créer une certaine peur dans leur environnement immédiat.

Plusieurs facteurs doivent authentifier le décès à savoir :

a) l’établissement sommaire d’un certificat de décès ;

b) une justification issue d’une procédure médico-légale, non disponible dans les milieux reculés ;

c) l’organisation de rites funéraires faits de façon expéditive, parfois dans les 24 heures suivantes ;

d) l’embaumement spécial qui interdit une longue exposition.

Autant de facteurs vont faciliter les effets du poison selon un chronométrage approximatif réglé à l’avance. On peut comprendre que la personne victime n’a pas besoin d’être enterrée pour devenir zombi. C’est justement une astuce utilisée par les « malfrats des ténèbres », ces « architectes de cauchemars funéraires », pour feindre que leurs victimes ne sont plus de ce monde.

Il se révèle important de souligner que ce n’est pas dans tous les cas de zombification que la poudre est indispensable, bien au contraire.

Étape 3Les funérailles du sujet

Après avoir atteint la proie, l’apparence de la mort créée, un contact sera vite établi avec la morgue d’accueil pour étiqueter le cadavre afin qu’il soit protégé jusqu’au jour de ses « funérailles ».

Des « funérailles » publiques sont alors organisées en sa mémoire. 

Étape 4 – Rites d’exhumation et de réveil

Suivant les données ethnographiques disponibles[5], l’exhumation de sujet fait l’objet de tout un rituel magique. La personne enterrée, peut être captivée soit à la faveur d’expertises magiques réalisées sur place au cimetière ou au carrefour quatre chemins le plus proche (procédé Bluetooth). Le rituel d’exhumation est brutal, atroce et horrifiant, à en croire à certains initiés et/ou témoignages de victimes.

Étape 5 – L’orientation vers un état de dépendance/ transport / déportation et effacement) :

Le cadavre transformé en « mort-vivant », une fois « réanimé », le corps se met en marche, sous la conduite d’une escorte, appelée « Kondè » du français « conducteur » (à moins qu’il ne s’agisse de l’argot français pour le mot « policier » ?) vers un lieu de réclusion où il accède à un nouveau statut, celui de zombi, à une nouvelle personnalité et même une nouvelle identité. Privé de son nom, uniquement affublé d’un prénom, il est nourri à même le sol sur une feuille de bananier, sans sel, comme les anciens esclaves, et souvent drogué pour le priver définitivement e tout libre arbitre.


Partie C

Zombification et traite des personnes : 
Similarités des processus

Le législateur ou le juge, dans le questionnement des éléments de la traite des personnes, est autorisé à questionner ou à rechercher les éléments caractéristiques de base de la traite des personnes, à savoir : recruter, transporter, transférer, héberger, recevoir,placer sous contrôle ou une influence sur leurs mouvements ou déplacements et maintenir en situation d’exploitation multiforme, à des fins économiques.

La traite des personnes, vue comme une forme moderne d’esclavage et une des plus sévères violations des droits de la personne s’affiche dévastatrice des valeurs, engagements et enseignements du droit international de la personne humaine. Elle est considérée comme une agression constante, dévalorisante et envahissante à l’égard des droits fondamentaux des victimes et la suppression totale de la notion de la dignité humaine. Les modes opératoires des trafiquants et des zombificateurs se ressemblent. Ils ont un dénominateur commun à savoir, la privation imposée aux victimes de leurs droits, de leur liberté, de leur dignité et de leur potentiel humain. Les deux opèrent en pleine clandestinité. Ils utilisent des moyens diversifiés de contrôle sur leurs victimes, lesquels sont soumis à un même traitement sur le plan anthropologique.

La zombification et la traite des personnes se partagent des objectifs internationalement reconnus et réprimés. Elles poursuivent, entre autres, et pour le moins, des fins de travail forcé non ou peu rémunéré pour la victime, des activités criminelles forcées, des fins d’exploitation sexuelle et des fins du prélèvement d’organes.

Déduisons que pour parler de traite de personnes, tout en considérant qu’elle crée une situation de vulnérabilité et implique l’abus de ladite situation par laquelle la victime n’a pas d’autre choix que de se soumettre (par force ou tromperie). Au moins trois critères doivent se réunir pour la constitution de ce crime : l’acte, les moyens et les fins d’exploitation, pour le moins, manifestés dans des actions concrètes tendant à : faire le recrutement, transporter, transférer, héberger, détenir, offrir / recevoir des avantages ; faire usage de violence, coercition, enlèvement, fraude, tromperie, excès ou abus de pouvoir pour contraindre la victime ; poursuivre la psychologie d’exploitation de la victime soit sous la forme d’exploitation sexuelle (prostitution, proxénétisme, porno), de travaux forcés (non rémunéré ou peu rémunéré, esclavage), de prélèvements d’organes à des fins économiques, etc. 

Il y a une nécessité de réparer les effets psychosociaux de ces faits, de travailler la réinsertion des victimes dans leur famille et dans la société, en raison de la rupture des liens familiaux et les protéger contre les stigmatisations d’une part ; de leur accorder une assistance financière en vue de leur réinsertion économique et assistance juridique de l’Etat pour poursuivre les trafiquants et zombificateurs et faire en sorte que les représailles changent de camp. 

Voilà pourquoi les Haïtiens et les autres états doivent se préparer et engager (les 4 P) :

  1. La prévention qui devrait se matérialiser dans la dotation du pays d’instruments légaux, à l’instar du projet du nouveau code pénal, conçus dans les lignes du combat dans l’adoption et la ratification de conventions internationales visant à réprimer cette pratique ; dans la lutte pour l’adoption d’une véritable politique publique en matière de famille en Haïti ; durcir la législation haïtienne dans la fixation des peines y afférentes et opter pour la politique tolérance zéro en matière de traite de la personne.
  2. La protection : par une vaste campagne visant à sensibiliser sur c’est qu’est la traite et réduire en conséquence le nombre des acteurs et victimes. À réprimer sévèrement et surtout les auteurs, les co-auteurs et les complices de cette activité inhumaine, par une véritable synergie entre les officiers des unités spécialisées des forces de l’ordre, les organes de poursuites répressives, d’instruction et de jugement de manière afin de disposer de plus de dossiers qui aboutissent à des condamnations. Aujourd’hui, l’infraction « traite de la personne » et « zombification » devrait faire l’objet d’une spécialisation dans la police/justice. Il faut que ces secteurs soient mieux armés professionnellement pour traiter de pareilles infractions.
  3. Notons que la prise en charge est aujourd’hui quasi impossible en Haïti, en raison de l’état actuel de son économie et de ses pouvoirs politiques. Cependant, en tant qu’Etat, elle devrait constituer un objectif à atteindre.
  4. Le partenariat : la traite, ayant mis en exergue l’indisponibilité de l’intégrité morale et physique de la personne humaine est un acte violateur de la dignité. L’anéantissement de cet acte sous-tend des luttes collectives bien organisées en ce sens que la traite implique assez souvent des déplacements et ceux-ci ne sont pas toujours exécutés à l’interne.

Conclusion

Si la zombification est ce processus qui tend à empoisonner ou envoûter une personne cible, simuler son décès, renforcer la perception du décès, l’exhumer de son caveau, la maltraiter et la conduire au lieu de dépendance à des fins d’explorations économiques entre autres, le means rea de la traite des personnes exige ce même mécanisme à savoir : « recruter », « transporter », « transférer », « héberger ». Recevoir, placer et maintenir en situation d’exploitation, il y a lieu de comprendre que même différentes dans leurs appellations, la traite des personnes et la zombification méritent d’être réprimées partout à travers le monde. Cette dernière mérite d’être prise en compte et même intégrée dans les conventions internationales relatives à la protection de la personne humaine.

Comme nous l’avons soutenu tout au long de cet article, le processus de la traite des personnes, à travers le recrutement, le déplacement, l’accueil et l’asservissement non ou sous-rémunéré du sujet est un acte qui doit être sanctionné par la société. Il faut un engagement ferme dans la poursuite des objectifs fixés dans la règle des 4 P indispensables à l’éradication de ce mal.

Dans des cas de traites à des buts de trafic d’organes ou d’exploitation de proxénétisme, on signale assez souvent des déplacements internationaux.

Pour le zombi, le droit international des droits de l’homme cherche à assurer une spéciale et particulière protection aux groupes, aux minorités et catégories comme les femmes et les enfants, les personnes vivant avec des handicaps, pour ne citer que celles-là : et pourquoi pas les zombis ? Il faut prêter l’oreille aux zombis du point de vue juridique et anthropologique, les écouter et réfléchir sur leur sort en tant que personne, même par simple existence physique.  

Lutter contre la traite des personnes, plus particulièrement contre la zombification, est plus qu’une exigence légale. C’est une obligation morale, citoyenne et responsable, dans la perspective de bannir la méfiance et de ressouder le lien social entre des membres d’une société, de prévenir la décapitalisation[1] de la société, finir avec la haine de groupe, clan ou de famille qui pourrait entretenir l’incohésion sociale et mettre fin à toutes les formes d’esclavage moderne. Elle doit s’appuyer sur les derniers éléments de la recherche anthropologique, dans une complète collaboration entre disciplines scientifiques et leur application directe en terme juridique, éthique et législatif.


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Senatus Jean-Renel & Charlier Philippe, « La zombification : une forme anthropo-juridique de traite des personnes » in Journal du Droit Administratif (JDA), 2023 ; Art. 415.

Bibliographie 

ALLARD, Jérôme-Olivier. (2015), Les morts se lèvent : Zombies, Pouvoir et Résistance, [thèse de maitrise, Université de Montréal].

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CASIMIR, Jean. (1981,2001), La culture opprimée, Delmas, Imprimerie Lakay.

CHARLIER, Philippe (2015). Zombi. Enquête sur les morts-vivants en Haïti. Paris, Tallandier.

CHARREDIB, Karim. (2013),Les zombies et le visible : ce qu’il en reste. Une pratique artistique de la hantise cinématographique [Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne].

DEGOUL, Franck. (2005), Dos à la vie, dos à la mort : Une exploration ethnographique des figures de la servitude dans l’imaginaire haïtien de la zombification, [Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille/ Laval].

DESCARDES, Jean Rosier, (1998-1999). Dynamique vodou et droits de l’homme en Haïti, [Mémoire de DEA, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne].

HURBON, Laennec (1988), Le barbare imaginaire, Paris, Editions du Cerf.

Karim Charredib, Les zombies et le visible : ce qu’il en reste, thèse de doctorat, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, 2013

MONTALVO-DESPEIGNES, Jacquelin. (1976). Le droit informel haitien, Paris, Presses universitaires de France.

PIERRE-LOUIS, Patrick, (2009), Le système coutumier haïtien. Dans L. Hurbon & M. Hector (dirs.). La genèse de l’Etat haïtien (1804-1859) (pp 207-224). Editions de la Maison des sciences de l’Homme.

TOSUN, Leman (2011), La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble].

SENATUS, Jean Renel, Le Commissaire du Gouvernement et ses attributions de poursuite au regard du phénomène de la zombification, Mémoire de maitrise, FDSE.

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Joseph, Maxo, Pasteur, Le réveil, un antidote à une société zombifiée, First printing, 2016.

Article : Zombification: Condamnation secrète b, Journal le nouvelliste  du  12  septembre  2008

Webographie:

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https://www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains/Types-de-traite-d-etres-humains

https://haiti.loopnews.com/content/haiti-la-rencontre-des-filles-vendues

https://haiti.loopnews.com/content/verrettes-des-fillettes-sont-vendues-des-hommes-comme-concubines

https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/201512/12/01-4930573-haiti-plus-de-200-000-enfants-exploites-comme-domestiques.php

https://www.ohchr.org/fr/node/100325, plan  des  Nations  Unies  contre la  traite

https://www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains/Types-de-traite-d-etres-humains

L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés | OHCHR

Rapport 2018 de la lutte contre la traite, Haïti en position vulnérable | Haïtitweets

UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006 : exclus et invisibles, 2005. http://www.unicef.org/french/sowc06/pdfs/sowc06_fullreport_fr.pdf


[1] ONU/HCDH, Le HCDH, les droits de l’homme et la traite des êtres humains, 16 juin 2023, www.ohchr.org/fr/trafficking-in-persons

[2] Article 23
 Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. 
2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. 
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. 
4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Article 24
Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodique.

[3]  SENATUS, Jean Renel, Le Commissaire du Gouvernement et ses attributions de poursuite au regard du phénomène de la zombification, Mémoire de licence, UEH /FDSE, p 100, 2018.

[4]  WIENGFIELD, Roland : Sur la piste du zombi, éditions 24 heures, p.162.

[5]  Interpol, Traite d’êtres humains, trafic de migrants, www.interpol.int/fr/Infractions/Traite-d-etres-humains-et-trafic-de-migrants


[1] La Convention Europol, Bruxelles, 26 juillet 1995.

[2] Organization for Security and Co-operation in Europe, Trafficking in Human Beings: Implications for the OSCE, 16 September 1999, www.osce.org/odihr.

[3]   TOSUN Leman, La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble]. p.33.

[4] Article 3 du Protocole de Palerme.

[5]  KELLY L., “‘You can find anything you want’: A Critical Reflection on Research on Trafficking in Persons within and into Europe”, International Migration, vol. 43, n°1/2, 2005, pp. 235-265.


[6] La Convention Europol, Bruxelles, 26 juillet 1995.

[7] Organization for Security and Co-operation in Europe, Trafficking in Human Beings: Implications for the OSCE, 16 September 1999, www.osce.org/odihr.

[8]   TOSUN Leman, La traite des humains : étude normative, [Thèse de doctorat, l’Université de Grenoble]. p.33.

[10]  KELLY L., “‘You can find anything you want’: A Critical Reflection on Research on Trafficking in Persons within and into Europe”, International Migration, vol. 43, n°1/2, 2005, pp. 235-265.


[1] UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2006: exclus et invisibles, 2005. http://www.unicef.org/french/sowc06/pdfs/sowc06_fullreport_fr.

[2] ONU, Plan des nations unies contre la traite, www.ohchr.org/fr/node/100325

[3]OHCHR,  Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants |

[5] Les victimes des mariages forcés sont considérées comme des esclaves modernes. Voir : Global Estimates of Modern Slavery. There were 5.4 victims of modern slavery for every thousand people in the world in 2016. There were 5.9 adult victims of modern slavery for every 1,000 adults in the world and 4.4 child victims for every 1,000 children in the world. global_estimates_of_modern_slavery-forced_labour_and_forced_marriage.pdf (alliance87.org).

[6] The Office of the High Commissioner for Human Rights (UN Human Rights) is the leading UN entity on human rights. 

[7] L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés | OHCHR.

[8] ONU, L’esclavage : une « attaque choquante » contre nos sociétés, 02 décembre 2019, consulté le 4  septembre 2023, en ligne.


[1]Dont l’objectif est de prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention particulière aux femmes et aux enfants, de protéger et d’aider les victimes d’une telle traite en respectant pleinement leurs droits fondamentaux ; de promouvoir la coopération entre les États Parties en vue d’atteindre ces objectifs.

[2] www.dictionnaire-juridique.com/index

[3] Cette définition est tirée du blog – Encyclopædia Universalis

[4] Ce terme renvoie au représentant national du secteur vodou en Haïti.

[5] CINCIR Amos et coll., Zombification : condamnation secrète b, Journal Le Nouvelliste du 12 septembre 2008,  

[6] ALLARD, Jérôme-Olivier, Les morts se lèvent : Zombies, Pouvoir et Résistance, thèse de maitrise, Université de Montréal], 2015.

[7] Ethnomusicologue


[1] Voir LUBIN Frantz Alix : Le Processus de zombification en Haïti, p 76.

[2] Normalement pour zombifier quelqu’un, deux procédés peuvent être utilisés : l’empoisonnement et l’envoutement.  

[3] JOSEPH, Maxo, Pasteur : Le réveil, un antidote à une société zombifiée, p36.

[4]  DEGOUL, Franck. (2005), Dos à la vie, dos à la mort : Une exploration ethnographique des figures de la servitude dans l’imaginaire haïtien de la zombification, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille/ Laval, p.163.

[5] CHARLIER, Philippe (2015). Zombi. Enquête sur les morts-vivants en Haïti. Paris, Tallandier.


[1] Aujourd’hui en Haïti, l’organisation des funérailles constitue l’une des causes d’appauvrissement des membres de la société. Très attachés aux proches disparus, ils acceptent des débours faramineux pour célébrer les derniers jours des dits proches. Si Dr Lalime Parle de 1000 zombis par année, avec mille dollars américains pour chaque funérailles, un million de dollars auraient été déjà partis en fumée d’une part ; de l’autre, sauf quelques exceptions, la zombification ne vise que des gens préparés faisant partie de la force active du pays. Assez souvent c’est le leader économique et financier de la famille qui est victime de cette conjuration. Dès lors, la famille est plongée dans la misère et le désespoir.

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