Archive mensuelle 25 février 2017

ParJDA

Dossier n°04 : 50 nuances de Droit Administratif

 Art. 132. Le quatrième dossier du JDA s’intitule :

« 50 nuances de Droit administratif »

il est à jour et en ligne au 19 mai 2017.

Art. 139. Éditorial

Liste des 50 questionnaires en droit administratif

Des « étoiles » du Droit administratif :

Des praticiens du Droit administratif :

Des universitaires (français & étrangers) du Droit Administratif :

Des auteurs du Journal du Droit administratif (JDA) :

Des jeunes chercheurs & citoyens apprentis du Droit administratif :

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 132.

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Le premier comité de lecture(s)

Outre deux comités
un comité de SOUTIEN
& un comité scientifique & de REDACTION ;
le JDA s’est doté au printemps 2017 d’un :

COMITE DE LECTURE(S)
ce comité a été modifié
en septembre 2019

Art. 131. Afin de permettre la publication de nouveaux articles – outre les chroniques et les dossiers du Journal du Droit Administratif (Jda) qui disposent de comités scientifiques et éditoriaux dédiés, il est proposé de constituer – à partir de mars 2017 – un vivier de personnalités juridiques qui accepteraient de relire les articles (commentaires, études, notes, etc.) spontanément envoyés pour publication au Jda.

Ce « comité de lecture(s) » est constitué :

  • de personnalités extérieures non membres du JDA (en majorité) ;
  • de membres actifs du Journal du Droit Administratif.

Composition du comité de lecture
du 02 octobre 2017
au 09 septembre 2019 :

Personnalités « extérieures » au JDA :

– Pr. Aude Rouyère (Bordeaux)
– Pr. Geneviève Koubi (Paris 8)
– Dr Arnaud Lami (Aix-Marseille)
– Dr Clément Benelbaz (Chambéry)

Personnalités « soutien » du JDA et ayant participé à sa re fondation :

– Pr. Jean-Arnaud Mazères
– Pr. Jean-Marie Crouzatier

Personnalités « actrices » du JDA et participant régulièrement à ses activités :

– Pr. Isabelle Poirot-Mazères (Toulouse)
– Pr. Hélène Hoepffner (Toulouse)

Doctorant.e.s « extérieur.e.s » au JDA (pour les propositions émanant de non docteur.e.s qui sont souvent les plus nombreuses)

– M. Jimmy Charruau (Angers)
– M. Florent Gaullier (Bordeaux)
– Maxime Meyer (Le Mans)

Enfin, le secrétariat du comité sera assuré
par MM. Orlandini (doctorant – Toulouse) & Touzeil-Divina.

Le directeur de la rédaction, initiateur du JDA,
est M. le professeur Mathieu Touzeil-Divina.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Comité de lecture(s) ; Art. 131.

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Compte-rendu AG du 22 février 2017

Art. 130

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Cher.e.s élu.e.s, Chers Maîtres, Cher.e.s collègues, Cher.e.s étudiant.e.s,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif a eu lieu le 22 février 2017 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées dix-sept personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus du Tribunal Administratif de Toulouse, de l’Université de Toulouse 1 Capitole & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Etat des lieux du dossier III : « laïcité »

Le Jda est heureux d’annoncer la double publication de son 3ème dossier qui s’est matérialisée doublement :

  • Sur le site Internet du Jda depuis la fin du mois de janvier 2017 (13 contributions)
  • Dans un ouvrage (3ème numéro) des Cahiers de la Lutte contre les Discriminations (impression en cours avec une diffusion l’Harmattan).

Le prof. Touzeil-Divina fait état des réactions (sur les réseaux sociaux en particulier) suite à l’une des contributions.

Il est également fait état – puisque nous avons déjà une année d’existence et quelques succès – au sein et à partir du comité scientifique et de rédaction, de l’activation prochaine (courant 2017) d’un « vivier » ou comité de lecture(s) composé d’universitaires et de praticiens chargé.e.s de donner leur avis sur la publication des articles qui sont spontanément envoyés au Jda.

  • Comité de lecture(s)

Le pr. Touzeil-Divina annonce en ce sens la constitution prochaine d’un tel comité (expliqué en ligne sur un article dédié) et en appelle aux bonnes volontés :

Afin de permettre la publication de nouveaux articles – outre les chroniques et les dossiers du Journal du Droit Administratif (Jda) qui disposent de comités scientifiques et éditoriaux dédiés, il est proposé de constituer – à partir de mars 2017 – un vivier de personnalités juridiques (praticiens & universitaires) qui accepteraient de relire les articles (commentaires, études, notes, etc.) spontanément envoyés pour publication au Jda.

Ce « comité de lecture(s) » sera constitué :

  • de tous les membres du comité de soutien qui le désirent ;
  • de tous les membres du comité scientifique et de rédaction qui le souhaitent ;
  • de personnalités extérieures non membres du

Concrètement, la procédure de sélection sera a priori la suivante :

  • chaque contributeur doit envoyer un court CV de présentation ainsi que son texte en deux versions : une normale et l’autre anonymisée et ce, à l’adresse dédiée :

contribution@j-d-a.fr ,

  • le texte anonymisé est proposé à l’ensemble du vivier des membres du « comité de lecture(s)» ;
  • les deux premiers d’entre eux à vouloir l’examiner s’en saisissent et rendent un avis : favorable (A), défavorable (C) ou réservé suivant quelques pistes de modification(s) (B) ;
  • les avis sont communiqués sous deux mois aux contributeurs ;
  • une publication éventuelle s’en suit.

La liste des membres (qui sera évidemment actualisée au fil des saisons) sera publiée sur le site Internet avec une fiche décrivant les présentes modalités de sélection(s) des articles.

En conséquence :

  1. Si vous êtes intéressé.e par participer à ce comité, il suffit de vous faire connaître au plus vite à l’adresse contribution@j-d-a.fr ,
  2. Si vous désirez (ce qui serait vraiment bien) être secrétaire de ce comité (et gérer la réception et l’envoi des textes anonymisés au comité), il suffit de poser votre candidature.

Merci de vos bonnes volontés.

  • Questionnaire(s) / Interview(s) (dossier IV)

Comme envisagé au fil des dernières réunions, il est confirmé que le dossier n°IV du Journal du Droit Administratif (Jda) sera constitué d’un ensemble de cinquante questionnaires ou interviews sur le droit administratif. Le dossier sera basé sur deux types de questionnaires : celui destiné aux publicistes français et celui destiné aux administrativistes étrangers.

Il est prévu de publier en ligne les questionnaires autour d’avril 2017.

Mesdames Delphine Espagno, Lucie Sourzat et MM. Abdesslam Djazouli & Mathieu Touzeil-Divina sont chargés de la mise en forme et du dépouillement desdits questionnaires (avec rédaction d’une présentation générale).

L’ensemble du dossier devrait s’appeler « Cinquante nuances de Droit administratif ».

  • Chroniques

Une deuxième chronique – en droit des contrats – verra le jour prochainement suite à la proposition de M. Mathias Amilhat (en cours). La chronique doctorante suit également son cours mensuel.

En outre, une nouvelle chronique, dirigée par le pr. Touzeil-Divina dans le cadre de l’axe « Transformation(s) du service public » de l’Institut Maurice Hauriou sera proposée (et alimentée par les membres du Jda le désirant). Cette chronique sera mise en avant au Printemps 2017 et pourrait être constituée comme suit (ce ne sont encore que des propositions qui doivent donc être confirmées) :

  • Chronique « Service(s)public(s) »

La chronique qui nourrira un ouvrage annoncé à long terme sur les transformations du service public sera a priori rédigée sous la structure suivante avec – notamment – les personnes proposées pour aider à la constitution de la première rédaction.

NB : il va sans dire que d’autres personnes peuvent participer à la chronique et que chacun.e y est encore le / la bienvenu.e. Par ailleurs, la proposition ici faite ne vaut que pour la 1ère publication en ligne et la chronique et n’implique pas un engagement pour les deux chroniques annuelles projetées. Enfin, l’objectif de la 1ère chronique est de mettre en avant l’actualité 2016 du droit des services publics (sans toucher à 2017).

  • Identification(s) du service public
  1. Identification(s) & théorie(s) doctrinales du service public
    1. Touzeil-Divina
    2. (avec sollicitation de Mme Schmitz?)
  2. Services publics identifiés
    1. Mme Perlo sur l’actualité du service public cinématographique
    2. Djazouli sur l’actualité du service public numérique
    3. Makki sur l’actualité du service public universitaire
    4. Proposé à Mme Poirot-Mazères sur le service public de la santé
    5. Proposé à Mme Gallou sur le service public transfusionnel
  3. Identification(s) prétorienne(s) du service public
    1. Mme Cubaynes
  4. Compétence(s) juridictionnelle(s) du service public
    1. Mme Cubaynes
  • Transformation(s) du service public
  1. Globalisation(s) du service public
    1. Proposé à Mme Gottot
  2. Européanisation(s) du service public
    1. Mme (…) (une personne s’est proposée en ce sens mais le nom n’a – par erreur – pas été noté !) Prière donc à l’intéressée de se manifester !
  3. Service public & puissance publique
    1. Mme Schmitz
  4. Service public & liberté(s)
    1. Mme Debaets
  • Régime(s) juridique(s) du service public
  1. Modes de gestion du service public
    1. Alliez
    2. Mme Cubaynes
  2. Lois dites de Louis Rolland
    1. Mme Crouzatier-Durand
  3. Nouvelles « Lois » du service public (transparence, efficacité ; etc.)
    1. Proposé à Mme Morot-Monomy
  4. Responsabilité(s) du service public
    1. Proposé à Mme Theron
  • Droit(s) comparé(s) du service public
  1. Italie
    1. Perlo
  2. Liban
    1. Proposé à Mme Mouannès
    2. Proposé à M. Makki
  3. Grèce
    1. Proposé à Mme Marketou
    2. Proposé à M. KAloudas
  4. Thaïlande
    1. Proposé à M. Horsittisomboon
  • Prochains dossiers V & VI

Le Jda se prépare pour 2017 – 2018 à de nouveaux dossiers « mis à la portée de tout le monde ». Suite à plusieurs échanges il est proposé (et acté) de retenir les projets suivants (à compléter au fil de nos assemblées) :

  • Dossier V : « Un an après la réforme de la commande publique» (titre provisoire)

Direction : Pr. Hélène Hoepffner & Mme Lucie Sourzat

Calendrier prévisionnel : appel à contributions diffusé en mars 2017 ; contributions à rendre au 01 juin 2017 ; publication en ligne au 15 juillet 2017.

  • Dossier VI : « Une décade de réformes territoriales» (titre très provisoire)

Direction : Mme Florence Crouzatier-Durand & (…) (en cours)

Calendrier prévisionnel : appel à contributions diffusé en juillet 2017 ; contributions à rendre au 01 octobre 2017 ; publication en ligne au 15 novembre 2017.

  • Dossiers suivants :

L’assemblée n’a pas retenu les dossiers suivants mais a émis des propositions comme suit :

  • Dossier : « De la médiation» (titre provisoire)

Direction : proposée à la Présidence du Tribunal administratif de Toulouse avec un.e. universitaire de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Calendrier prévisionnel : (non encore retenu) ; courant 2018 a priori.

  • Dossier : « Des recours collectifs» (titre provisoire)

Direction : (…)

Calendrier prévisionnel : (non encore retenu) ; courant 2018 a priori.

  • Chronique doctorale

Le Jda se réjouit enfin de ce que, depuis décembre dernier, chaque mois deux articles au moins ont été publiés sur le site du Journal du Droit Administratif grâce aux talents des doctorants du Jda.

La chronique – en droit administratif – des doctorant.e.s permet d’actualiser et de faire vivre tous les mois notre média tout en donnant aux jeunes chercheurs une visibilité qu’ils et elles méritent.

Le pr. Touzeil-Divina remercie tout particulièrement les quatre doctorant.e.s de l’Université Toulouse 1 Capitole qui l’aident dans cette chronique :

  • Quentin Alliez,
  • Abdesslam Djazouli,
  • Jean-Philippe Orlandini
  • & Lucie Sourzat.

(…)

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 25 février 2017.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; Art. 130.

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La médiation obligatoire en matière administrative

par Mme Georgina BENARD-VINCENT

Doctorante, Équipe de recherche en droit public, Centre de recherches
Droits et perspectives du droit, Université de Lille 2

On peut conduire un cheval à l’abreuvoir,
mais non le forcer à boire.

Proverbe anglais

129. C’est un lieu commun d’affirmer que les conflits, tout comme notre façon de réagir, font partie de notre vie. Petite sœur de la diplomatie, la médiation correspond à un besoin élémentaire de communication, et donc de relation à autrui. Sur le plan juridique, elle s’est introduite d’abord dans la sphère privée, à travers les relations familiales, commerciales ou liées au monde du travail. Aujourd’hui, les administrations et la justice administrative s’en emparent. La nouvelle loi, baptisée « J21 », du 18 novembre 20161 en est la consécration, avec un titre II qui lui est dédié. Pourquoi un tel engouement ? La médiation apparaît comme rapide, simple et peu coûteuse. Elle est perçue comme la panacée2. Jean Marc SAUVE, Vice-Président du Conseil d’État, en est le premier promoteur3.

Le procès est vu désormais comme un échec. Le modèle contemporain n’est pas dans le procès, mais dans son évitement. L’Union européenne a œuvré au développement des modes alternatifs et en particulier à celui de la médiation. La directive européenne du 21 mai 20084 réaffirme qu’elle est une voie essentielle de résolution des conflits. Elle indique que la médiation « devrait être un processus volontaire ». L’utilisation du conditionnel est révélateur de la possibilité pour les États membres d’introduire dans leur législation un processus de médiation obligatoire.

De façon opportune, la loi « J21 » maintient la définition de la médiation, issue de la transposition de la directive5. Elle « s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction ». Cette définition n’indique aucunement le caractère obligatoire ou facultatif de la médiation. Mais, pour encourager ce processus, rien ne vaut l’obligation. Par ailleurs, la mention du caractère gratuit de la médiation, quand celle-ci constitue un préalable obligatoire, n’est pas anodine. Le cœur de la réforme « J21 » n’est évidemment pas de retirer au juge ses compétences, mais de diminuer sensiblement les saisines. La médiation obligatoire fait partie des moyens pour aboutir à cet objectif.

Cette chronique a pour but de démontrer en premier lieu que le caractère obligatoire de la médiation est critiquable philosophiquement, car contraire à sa nature profonde (I). D’autre part, juridiquement, la médiation obligatoire est un objet non identifiable, souvent confondu avec le recours administratif préalable obligatoire (II).

La médiation obligatoire : un contresens philosophique

La médiation est à l’évidence une démarche consensuelle. Les parties doivent donner leur assentiment pour régler le différend, qui les oppose, par cette voie. Si la médiation est un « processus structuré », pour reprendre la définition, celui-ci doit comprendre dans ses règles celle du consentement préalable. Le Code national de déontologie du médiateur6 précise que « le médiateur doit obligatoirement recueillir le consentement libre et éclairé des personnes, préalablement à leur entrée en médiation ». Cela est conforme aussi à la vision édictée par la Directive européenne du 21 mai 2008 qui souligne explicitement son caractère volontaire (même si rien n’est imposé aux États membres). Rendre obligatoire le processus de médiation est antinomique. On peut s’inspirer de la démarche de la phénoménologie. Le philosophe et logicien allemand Edmund Husserl7 dirait que l’expression « médiation obligatoire » est un contresens (Widersinn) car elle contient en elle – même une contradiction formelle.

Alors quelles sont les raisons invoquées pour introduire le caractère obligatoire de la médiation en matière administrative ?

La première raison est empirique : faire économiser du temps au juge administratif. L’objectif de productivité (traiter un maximum d’affaires en un minimum de temps) est indéniable au regard du non accroissement des moyens des juridictions administratives. Il s’agit clairement d’une logique de résultats. Rendre la médiation obligatoire est un filtre efficace pour désengorger les tribunaux administratifs. Michèle GUILLAUME-HOFNUNG dénonce cette vision en parlant de médiation « Destop »8. Si la médiation ne doit pas, en effet, être une voie de secours, on peut néanmoins comprendre que le juge administratif ne souhaite plus être la bouée de sauvetage d’une administration défaillante. L’heure est à la dé – judiciarisation : on ne fait pas intervenir le juge sauf si cela est impératif9. Comme en médecine, on considère qu’une thérapie légère pour résoudre le conflit devrait rendre au juge une disponibilité qui lui manque, trop souvent, pour résoudre les difficultés les plus graves.

La deuxième est plus sociologique : responsabiliser les citoyens. La médiation est finalement au moyen de faire participer les citoyens au fonctionnement de la justice. Celui-ci doit comprendre que le recours au juge administratif n’est plus systématique. Il s’agit donc d’un changement profond de paradigme dans le règlement des litiges. Ce n’est pas sans rappeler la « médiation citoyenne », évoquée dans les travaux de Jean François SIX10. Mais il ne faut pas oublier que la tentative de médiation ne doit pas être un moyen de retarder le droit de chaque citoyen d’obtenir que la justice lui soit rendue. Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».

Pourtant, au lieu d’enjoindre de recourir à une médiation, d’autres solutions sont possibles, qui sont plus respectueuses de l’esprit de la médiation. La plus pertinente semble être l’obligation d’information, à l’image de celle du médecin vis à vis de son patient. Tout justiciable doit savoir que la médiation est une voie possible pour régler son différend, même en matière administrative, depuis la loi « J21 ». Les commissions départementales d’accès au droit devraient être en première ligne sur cette mission. Ainsi, en connaissance de cause, les protagonistes choisissent ou non d’engager ce processus. Il s’agit ici d’une contrainte légère qui maintient la liberté de décision. De plus, par ce choix actif et éclairé, cela responsabilise le justiciable.

Si le caractère obligatoire et systématique de la médiation est contestable philosophiquement,  qu’en est-il d’un point de vue juridique ?

La médiation obligatoire : un ovni juridique

La médiation avant toute action en justice a connu récemment un essor en droit privé. Par exemple, un professionnel doit proposer obligatoirement une médiation au consommateur, qui s’estime lésé11. Qu’en est-il en matière administrative ?

Les administrations utilisent pleinement un autre mode alternatif proprement publiciste : les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO). Plus de 140 procédures sont concernées12. C’est une forme de solution pacifique des différends car ces recours sont fondés sur le dialogue usagers / administrations afin d’éviter la saisine du juge. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une médiation, au sens juridique du terme, en raison de l’absence évidente d’une tierce-personne impartiale.

Plus récemment, des commissions collégiales ont été créées. L’exemple initial vient de la commission de recours des militaires, créée en 200113, auprès du Ministre de la Défense pour régler amiablement les conflits liés aux situations personnelles (hors recrutement et discipline) de ces fonctionnaires. Comme le RAPO « classique », la commission14 joue un rôle de filtre avant une action en justice en rapprochant les points de vue du militaire avec ceux de sa hiérarchie. Rappelons que le militaire ne pourra saisir le juge administratif qu’après l’avis de la commission, sous peine d’irrecevabilité de sa requête (sans régularisation possible).

Force est de constater que les RAPO, peu importe leurs formes, ont la vertu d’être efficaces15 et permettent de freiner l’inflation contentieuse. Néanmoins, il convient d’éviter deux écueils. Tout d’abord, la généralisation des RAPO serait désastreuse et improductive en raison principalement du retour inquiétant de l’administrateur-juge16. D’autre part, il ne faut pas confondre la démarche des RAPO avec celle de la médiation. Le RAPO permet à l’administration de corriger ses erreurs et/ou de répondre au public de manière plus précise. Il s’agit d’une démarche de prévention et à visée pédagogique dans le cadre d’une bonne administration. La médiation, quant à elle, est une démarche de résolution des conflits, donc à visée curative.

On retrouve cette confusion dans les commissions départementales de médiation pour le droit opposable à un logement décent et indépendant (DALO), consacré par la loi du 5 mars 200717. En réalité, il s’agit d’un recours administratif préalable, puisque cette instance détermine le caractère prioritaire ou non de la demande de logement18 selon des critères préétablis. De la même façon, mais dans le sens inverse, on peut évoquer le décret du 10 mai 201219 portant expérimentation d’un RAPO dans les contentieux liés à la situation personnelle des agents de l’État. La spécificité de ce RAPO est de faire appel à un « tiers de référence », qui est en réalité un médiateur, puisqu’il ne doit avoir aucun lien hiérarchique avec l’agent20.

En résumé, la médiation obligatoire en matière administrative est un « ovni » juridique que l’on a peine à identifier.

La situation va peut-être évoluer. En effet, la volonté récente du législateur, dans la loi « J21 », est justement d’aller plus loin. Il instaure, pour un délai de quatre ans, l’expérimentation d’un dispositif de médiation préalable obligatoire dans tous les litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics, toute fonction publique confondue. Cette expérimentation sera aussi menée dans un autre contentieux de masse : celui des droits sociaux. Un prochain décret devrait définir le cadre juridique de cette médiation obligatoire. Le premier réflexe sera de déterminer s’il s’agit d’une véritable médiation. Dans tous les cas, cela permettra de relancer ce débat, qui est loin d’être clos.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 04 ; Art. 129.

(1)  Loi 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016, JORF du  19 novembre 2016, Texte n°1 (NOR: JUSX1515639L) ; JCP A 2016, act. 902

(2)  v. notamment Florence Creux-Thomas, « La médiation : opportunité ou gadget », JCP G 2009, 558

(3) v. son intervention, Maison du Barreau, 24 novembre 2016, Rentrée solennelle du barreau de Paris, Paris, place internationale des modes alternatifs des règlement des litiges, http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-Interventions (consulté le 7 février 2017)

(4) § 13 et 14 de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, du Parlement européen et du Conseil, JOCE n° L136, 24 mai 2008, p.3

(5) Cette définition est désormais reprise dans l’article 213-1 du CJA. Elle est issue de l’ordonnance du du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, JORF du 18 novembre 2011 (NOR: JUSC1117339R)

(6) Code national de déontologie du médiateur rédigé par le rassemblement des organisations de la médiation, présenté au Palais Bourbon le 5 février 2009, http://www.anm-mediation.com/images/anm/documents/code-de-deontologie.pdf (consulté le 7 février 2017)

(7) v. Françoise Dastur, La phénoménologie en questions, Librairie philosophie J. Vrin, Problème et contreverses, p.32 et 36

(8) Michèle Guillaume-Hofnung, « La médiation : des textes à la pratique – Propos conclusifs », Gaz.Pal 2013, n°358

(9) v. Simone Gaboriau, « Déjudiciarisation et administration de la justice, promouvoir la juridiversité », Petites affiches, 2012, n°199, p.3

(10) Jean François Six, Dynamique de la médiation, Desclée de Brouwer, novembre 1995, 288 p.

(11) Décret n° 2015-1382 du 30 octobre 2015 relatif à la médiation des litiges de la consommation, JO du 31 octobre 2015, p.20408, texte n°42 (NOR : EINC1517228D)

(12) Selon une étude du Conseil d’État, Les recours administratifs préalables obligatoires, Doc.Fr. 2008

(13) Décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires, JORF du 11 mai 2001, p. 7786 (NOR : DEFP0101359D)

(14) Arrêté du 23 août 2010 relatif au fonctionnement des commissions de recours des militaires, JORF du 2 septembre 2010, p.16006, texte n°20 ; v. Jean Luc Pissaloux, « Une expérience réussie : le recours administratif préalable des militaires », AJDA 2005, p. 1042

(15) v. Jean Claude Bonichot, « Le recours administratif préalable obligatoire : dinosaure juridique ou panacée administrative ?, Mélanges Labetoulle, Dalloz 2007, pp.81-95

(16) v. Didier Truchet, Répertoire de contentieux administratif, Titre I, Chap. 3, Avantages et inconvénients du recours administratif (actualisation janvier 2015)

(17) Loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, JORF du 6 mars 2007, p.4190, texte n°4 (NOR : SOCXO600231L)

(18) v. Jean Michel Belorgey, « Deux RAPO pour le prix d’un », AJDA 2016, p.2185

(19) Décret n°2012-765 du 10 mai 2012 portant expérimentation de la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des agents civils de l’État, expérimentation jusqu’au 16 mai 2014, JORF du 11 mai 2012, texte n°6 (NOR : MFPF 1210008D) ; v. les propos de Lucienne Erstein, JCP A 2012, act. 736

(20) Pour plus de précisions, v. la circulaire du directeur général de l’administration et de la fonction publique du 5 octobre 2012 (NOR : RDFF1234399C).

 

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L’habilitation donnée au gouvernement d’intervenir par ordonnance en matière d’occupations et de sous occupations du domaine public : l’épilogue du feuilleton Jean Bouin

par Sophie COMELLAS,
Docteur en Droit Public, Chargée d’enseignements à Sciences Po
et Quentin ALLIEZ,
Doctorant en droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

Art. 128.

C’est par un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 14 juillet 2016 que prend fin l’une des controverses les plus vives du droit administratif des biens de ces dernières années[1]. Avec cet arrêt, la juridiction européenne précise que la délivrance d’un « titre d’occupation domaniale à un opérateur économique suppose la mise en œuvre d’une procédure transparente »[2] et met par la même un coup d’arrêt à la jurisprudence Jean Bouin du Conseil d’Etat[3]. Prenant acte de cette, désormais, obligation, la loi Sapin II prévoit un article 34 autorisant le gouvernement « à prendre par ordonnance (…) toute mesure relevant du domaine de la loi tendant à moderniser et simplifier, pour l’Etat et ses établissements publics : 1° Les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à certaines autorisations d’occupation et de préciser l’étendue des droits et obligations des bénéficiaires de ces autorisations »[4].

C’est en réalité par deux affaires jointes, l’une se déroulant en Lombardie (Promoimpresa Srl) l’autre en Sardaigne (Mario Melis e.a.), que sonne le glas de la position du Conseil d’Etat. Etaient en cause des concessions domaniales sur le domaine public maritime et lacustre accordées à des exploitants d’activités « touristico-récréatives »[5]. Les concessions prévoyaient le renouvellement automatique du droit d’occupation. Ce sont ces stipulations qui ont fait l’objet du litige devant le juge italien. Le juge national a interrogé par le biais d’une question préjudicielle le juge européen de la conformité au droit de l’Union de ce renouvellement revenant à la création d’un nouveau titre sans procédure particulière[6]. C’est ainsi qu’était demandé à la CJUE s’il est possible de délivrer des autorisations d’occupation du domaine sans procédure particulière, la Cour statuant in fine sur la jurisprudence Jean Bouin. Remettant en cause la solution du Conseil d’Etat (I) non pas sur le fondement de la transparence, comme d’aucuns auraient pu s’y attendre[7], mais sur la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, la Cour de justice apporte une utile précision sur les exigences procédurales en cette matière (II).

I – Le volontaire silence du droit interne, la solution Jean Bouin

Il est de ces décisions qui marquent le pouvoir créateur du juge administratif. On peut citer, entre autres si l’on se limite au seul droit des contrats administratifs, l’arrêt Tropic Travaux Signalisation[8] et son acte 2 l’arrêt Tarn-et-Garonne, la « trilogie » Commune de Béziers[9] ou encore Grencke location[10]. La jurisprudence Jean Bouin n’est pas de celles-là[11] et d’aucuns ont pu y voir « un sentiment d’insatisfaction » [12]. En effet, c’est dans un contexte marqué par des exigences de valorisation et tant contre l’avis du Conseil de la concurrence que contre des jurisprudences du fond que la solution Jean Bouin a été rendue.

Un contexte de valorisation[13] : c’est la prise de conscience que le patrimoine public est une richesse que la personne publique doit exploiter, le domaine étant le siège d’activités économiques des personnes privées[14]. L’avantage « convoité »[15] par les opérateurs économiques que représente son occupation se fait « outil de valorisation »[16] pour les propriétaires publics, « le choix de l’occupant (…) doit satisfaire l’impératif de valorisation économique du domaine public »[17]. Ainsi, lorsque le domaine public est affecté à l’exercice d’une activité commerciale ou permet le développement d’une activité économique, l’autorité domaniale est contrainte « de prendre en considération les diverses règles, telles que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ou l’ordonnance du 1er décembre 1986, dans le cadre desquelles s’exercent ces activités » [18] ou encore le principe d’égalité entre les candidats à l’occupation[19]. Poursuivant cette prise de conscience du « potentiel économique » du domaine public, le Conseil d’Etat, dans son rapport Collectivités publiques et concurrence de 2002[20], considère que les personnes publiques doivent assurer une certaine transparence dans la gestion de leur domaine. Il préconise de fait la soumission des titres domaniaux à une procédure de publicité et de mise en concurrence.

Illustration de cette occupation profitable à un opérateur économique, la distribution de journaux gratuits sur le domaine public constitue un avantage économique exclusif dès lors que l’autorisation l’est aussi. C’est en tout cas ce que révèle l’avis du Conseil de la concurrence de 2004 relatif à l’occupation du domaine public pour la distribution de journaux gratuits. Celui-ci note que la distribution de journaux est une activité économique et dès lors sont applicables les dispositions de droit de la concurrence du code de commerce[21]. Par ailleurs, l’avis se réfère à l’arrêt Telekom Austria[22] du 7 décembre 2000 qui suppose des obligations minimales de transparence[23]. Et le Conseil de conclure qu’« en l’absence de texte, la collectivité doit organiser sa propre procédure pour la délivrance d’autorisations domaniales à des opérateurs économiques ».

Cette position du Conseil de la concurrence a été retenue par des juridictions du fond. Les tribunaux administratifs de Nîmes[24], de Marseille[25] comme de Paris[26] ont imposé des obligations de transparence en se fondant sur les règles fondamentales du Traité de l’Union Européenne. On notera que ce sont de ces mêmes règles fondamentales que découle le principe de transparence de l’arrêt Telaustria[27]. Au final le Conseil d’Etat a privilégié la solution retenue par les Cours administratives d’appel de Bordeaux[28] et de Paris[29], considérant qu’il n’y a pas d’obligation car ces conventions ne sont ni des contrats de concessions ni des marchés publics[30].

Reprenant le même raisonnement c’est d’abord de la nature du contrat, liant la ville de Paris à l’association « Paris Jean Bouin » dirigée par le groupe Lagardère, que la haute juridiction a eu à connaître. La ville de Paris a conclu le 11 août 2004 une convention autorisant l’association à occuper deux parcelles du domaine public communal correspondant au stade Jean Bouin et à vingt-et-un courts de tennis. La décision de signer cette convention a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, au motif que le contrat devait être requalifié en délégation de service public et avait été passé sans respecter la procédure de publicité et de mise en concurrence prévue par Code général des collectivités territoriales[31]. Le tribunal administratif de Paris[32] a donné raison aux requérants, considérant que le contrat devait être requalifié en délégation de service public. Pour cela le jugement de première instance s’est fondé non pas sur les seuls termes de la convention mais sur la réalité des intentions des parties. La ville de Paris et l’association Jean Bouin ont, d’une part, fait appel du jugement de première instance et, d’autre part, formé une demande de sursis à exécution de ce jugement sur le fondement de l’article R. 811-15 du Code de justice administrative[33]. La Cour administrative d’appel de Paris, statuant sur la demande de sursis à exécution, a rejetté la demande[34]. Le Conseil d’Etat, quant à lui, a donné raison à la ville de Paris et à l’association en prononçant la suspension du jugement du tribunal administratif[35]. Poursuivant dans sa position initiale la CAA de Paris[36], statuant au fond, considère que la concession du stade Jean Bouin constitue une délégation de service public. Estimant en ce sens qu’il existe un risque d’exploitation, caractéristique d’une délégation de service public, alors que le contrat stipulait « que le présent contrat d’occupation du domaine public ne confère (pas) à l’occupant (…) la qualité de concessionnaire de service public ». C’est, au final, à cette « intention commune des parties » que le Conseil d’Etat se rallie en cassant l’arrêt de la CAA de Paris. Pour se faire le CE reprend les arguments développés par la Cour administrative d’appel en sens inverse, considérant qu’il n’y a pas de « volonté de la ville d’ériger ces activités en mission de service public ». Autrement dit, la recherche de l’intention des parties ne révèle pas celle de créer un service public et d’en confier la gestion à un cocontractant[37].

C’est une fois bien établi la nature du contrat comme une convention d’occupation domaniale que le Conseil d’Etat a eu à trancher de l’existence de procédure de publicité et de mise en concurrence. La solution, rappelons-la, est désormais bien connu : « aucune disposition législative ou règlementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation du domaine public, ayant dans l’un et l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ». La réception par la doctrine de cette solution avait, dès à l’époque, donné lieu à des interrogations relevant également que toute incertitude était loin d’être levée[38]. C’est la cohérence de cette solution avec celle de la Cour de justice de l’Union Européenne qui a pu être mise en avant. Il eut été, dès lors, possible de procéder à une question préjudicielle d’interprétation sur la portée du principe de transparence des procédures développées par la CJUE.

Finalement c’est le juge italien qui a permis au juge européen de se prononcer, sur la soumission à une procédure transparente pour la délivrance d’un titre d’occupation du domaine à un opérateur économique, par son arrêt du 14 juillet 2016.

II – L’attendue clarification Européenne, du Sapin pour Jean Bouin

Saisie par un juge national en application de l’article 267 TFUE, la Cour de justice sonne le glas de la jurisprudence Jean Bouin en affirmant clairement qu’« il existe bien des principes imposant aux personnes publiques d’organiser une publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public »[39]. On notera que la CJUE s’était déjà prononcée dans un arrêt Ville de Biarritz[40] faisant expressément application du principe de non-discrimination en fonction de la nationalité aux autorisations d’occupation du domaine public. Principe de non-discrimination dont découle, pour partie la jurisprudence Telaustria[41]. Pour autant, comme le notent certains commentateurs, la mention de cet arrêt relève plus du « rite » que de la réelle postérité[42]. La solution de la CJUE était donc la bienvenue pour trancher l’état du droit en ce domaine. Elle se fonde tout à la fois sur la directive Services du 12 décembre 2006[43], la directive Concessions du 26 février 2014[44] et les règles générales du Traité sur la libre prestation de services et la liberté d’établissement.

Comme a pu le faire le Conseil d’Etat, la Cour de Justice considère que quand l’objet du contrat peut s’analyser comme une concession de service sa conclusion répond aux exigences de la directive 2014/23. Or, en l’espèce « les concessions portent non pas sur une prestation de services (…) mais sur l’autorisation d’exercer une activité économique dans une zone domaniale ». Raisonnement analogue à celui du CE qui cherchait dans l’affaire Jean Bouin la nature du contrat. Rappelons que, depuis les ordonnances du 23 juillet 2015[45] et 29 janvier 2016[46], une convention domaniale ne peut plus servir de support à la gestion d’un service[47] et que quand le contrat « emporte occupation du domaine public, il vaut autorisation d’occupation de ce domaine pour sa durée »[48]. L’occupation du domaine ne fera dès lors pas l’objet d’une procédure spécifique.

La directive Services et la directive Concessions, étant selon la CJUE, exclusives l’une de l’autre, la première trouvera à s’appliquer si le contrat en cause n’est pas assimilable à une concession de service. C’est alors le paragraphe 1er de l’article 12 dont la Cour fait application, celui-ci « vise l’hypothèse spécifique dans laquelle le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables ». Pour apprécier si les zones qui peuvent faire l’objet d’une exploitation sont en nombres limitées la Cour considère qu’il faut se référer au champ géographique de l’autorité qui accorde l’autorisation. De l’article 12 découle alors l’application de procédures de sélection des candidats afin que l’octroi de l’autorisation respecte les règles générales du traité de liberté d’établissement, de libre prestation de service et de non-discrimination. Dans le même sens la paragraphe 2 de l’article 12 condamne la reconduction des autorisations sans remise en concurrence, mettant ainsi en cause les dispositions italiennes.

Pour parer à toutes les situations, la Cour de justice envisage les cas dans lesquels ni la directive Services ni la directive Concessions ne seraient applicables (notamment pour les concessions ne dépassant pas les seuils de passation). Ce sont dès lors « les règles fondamentales du traité FUE en général et le principe de non-discrimination en particulier » qui s’applique « dans la mesure où une telle concession présente un intérêt transfrontalier certain ».

Il résulte de cette solution que les dispositions de la directive Services imposent donc bien une procédure d’attribution aux autorisations d’occupation domaniale support d’une activité économique. On notera d’ailleurs que même si la date de transposition de la directive était postérieure à la date de signature du contrat à l’origine du contentieux Jean Bouin, les règles générales du traité imposaient quand même une procédure transparente[49]. Dès lors, nous l’avons dit, la solution Jean Bouin est condamnée. Prenant acte de cette situation la loi Sapin II habilite le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant la mise en place de procédures de publicité et de mise en concurrence pour les occupations et les sous-occupations du domaine. Devraient être concernés, outre l’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics. Devraient être exclues les autorisations « pour lesquelles une telle formalité est impossible, manifestement inutile, absurde ou inopportune »[50]. Ainsi, peut-être évitera-t-on d’ouvrir la boite de « Pandore » [51] en soumettant, par exemple, l’installation d’une terrasse de café sur un trottoir à une procédure dont la lourdeur serait inadéquate avec la valeur économique de l’exploitation[52].

On le voit, la diversité des occupations du domaine public rend impossible une application uniforme des formalités à mettre en place. En effet, « elle impose alors de retenir une application “graduée” des formalités en fonction de l’importance économique de l’occupation envisagée ». Par ailleurs, l’objectif de protection de la concurrence doit nécessairement être concilié avec la nécessité pour l’administration de conserver, lorsqu’elle choisit les occupants de son bien, une certaine marge d’appréciation. En ce sens, il est donc indispensable d’allier au formalisme que les exigences concurrentielles imposent, la souplesse que commande l’impératif de bonne gestion du domaine public[53]. Enfin on notera que l’habilitation donnée au gouvernement ne vaut que pour le domaine public. Elle n’a donc pas vocation à régir le domaine privé, alors que le droit européen est quant à lui indifférent aux qualifications nationales[54]. A cela on peut objecter que l’occupation du domaine privé ne relève pas d’un régime d’autorisation mais de contrats de location, dont on peut se demander s’ils entrent dans le champ d’application de l’article 12 de la directive service. A l’inverse si l’occupation du domaine privé présentait un véritable intérêt économique il pourrait se voir soumis au principe de transparence[55], puisque désormais la mise en concurrence semble de mise dans l’attribution des titres d’occupation du domaine[56].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 03 ; Art. 128.

[1] F. Llorens et P. Solet-Couteaux, « Les occupations privatives du domaine public rattrapées par la concurrence », Contrats et marchés pub. décembre 2016, repère 11.

[2] R. Noguellou, « L’attribution des autorisations domaniales : feu l’arrêt Jean Bouin… », AJDA 2016, p. 2176.

[3] CE, 3 déc. 2010, Ville de Paris et Assoc.Jean Bouin ; Contrats et Marchés pub. 2011, comm. 25 obs. G. Eckert ; JCP A 2011, 2043, note Cl. Devès ; AJDA 2011, p. 18, étude S. Nicinski et E. Glaser ; BJCP 74/2011, p. 36, concl. N. Escaut ; Dr. adm. 2011, comm. 17, obs. F. Brenet et F. Meleray ; CP-ACCP 2011, n° 106, p. 56.

[4] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

[5] CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-458/14 et C-67/15 ; AJDA 2016, p. 2176, note R. Noguellou ; Contrats et marchés pub. 2016, repère 11 F. Llorens et P. Soler-Couteaux et comm. n°291 F. Llorens.

[6] H. Hoepffner, La modification du contrat administratif, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », tome 260, 2009.

[7] F. Llorens et P. Solet-Couteaux, « Les occupations privatives du domaine public rattrapées par la concurrence », Contrats et marchés pub. décembre 2016, repère 11.

[8] CE 16 juill. 2007, Sté Tropic travaux signalisation ; Contrats et marchés pub. 2007, pratique 7, F. Brenet ; RJEP 2007, dossier 1.

[9] CE, 28 déc. 2009, Cne Béziers ; Contrats et marchés pub. 2010, comm. 123, note Ph. Rees.

CE, 21 mars 2011 Cne Béziers ; Contrats et marchés pub. 2011, comm. 150, note J-P Pietri.

CE, 27 février 2015, Cne de Béziers ; Contrats et marchés pub. 2015, comm. 101, note G. Eckert.

[10] CE, 8 octobre 2014, Société Grenke Location ; AJDA 2015, p. 396 note Melleray.

[11] C’est ce qu’a pu relever G. Eckert lors du colloque du 6 juillet 2011 in La valorisation économique des propriétés des personnes publiques, La Documentation Française, 2011, p. 60.

[12] Ch. Vautrot-Schwarz, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans les délivrances des titres d’occupations domaniale », Contrats et marchés pub. décembre 2012, étude 8, n°23.

[13] A cet égard : J. Morand-Deviller, « La valorisation économique du patrimoine public », in Mélanges en l’honneur de Roland Drago. L’unité du droit, Economica, 1996, p. 273 et s.

[14] Ch. Vautrot-Schwarz, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans les délivrances des titres d’occupations domaniale », Contrats et marchés pub. décembre 2012, étude 8, n°13.

[15] S. Nicinski, « Faut-il soumettre la délivrance des titres d’occupation du domaine public à une procédure de mise en concurrence ? », in Mélanges E. Fatôme, Bien public, bien commun, Dalloz, 2011, p. 377.

[16] Y. Gaudemet, D. Mandelkern et L. Deruy, « Valorisation des propriétés publiques », LPA, 23 juillet 2004, n° 147.

[17] S. Comellas, Les titres d’occupation du domaine public à des fins commerciales. Réflexion sur la mise en place de formalités préalables à la délivrance, L’Harmattan, coll. Logiques Juridiques, 2014, p. 30.

[18] CE, Sect., 26 mars 1999, Société Hertz et Société EDA, Rec. Lebon, p. 96, concl. J.-H. Stahl ; AJDA, 1999, p. 427, concl. J.-H. Stahl et note M. Bazex ; CJEG, 1999, p. 264 ; D., 2000, p. 204, note J.-P. Markus ; RDP, 1999, p. 1545, note S. Manson ; RFDA, 1999, p. 977, note D. Pouyaud ; RDP, 2000, p. 353, obs. Ch. Guettier ; Revue Lamy Droit économique, 1999, n° 117, p. 1, note P. Storrer ; Revue Lamy Droit des affaires, 1999, n° 16, p. 31, note G. Simon ; BJCP, 1999, n° 5, p. 462, note de Ch. Maugüé et Ph. Terneyre.

[19] CE, 30 juin 2004, Département de la Vendée, Rec. Lebon, p. 278 ; AJDA, 2004, p. 2210, note S. Nicinski et p. 2309, note N. Charbit ; RJEP, 2004, p. 487, concl. P. Collin ; RLC, 2004/1, chron. S. Destours ; JCP A, 2004, n° 1712, note M.-Ch. Rouault.

[20] Conseil d’État, Collectivités publiques et concurrence, EDCE 2002, n° 53.

[21] Avis Conseil de la concurrence, 21 oct. 2004, no 04-A-19, Relatif à l’occupation du domaine public pour la distribution de journaux gratuits, n°5 : « L’activité de distribution de journaux gratuits sur la voie publique, ainsi que les actes administratifs la rendant possible, sont soumis au respect des règles de concurrence figurant au Livre IV du code de commerce »,

[22] CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria Verglas GmbH, Teefonadress GmbH ; Contrats et marchés pub. 2001, comm. 50, obs. F. Llorens ; AJDA 2001, 106, note L. Richer.

[23] F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « L’attribution des conventions domaniales », Contrats et marchés pub., octobre 2005, repère n°8.

[24] TA Nîmes, 24 janv. 2008, Sté trains touristiques G. Eisenreich : AJDA 2008, p. 2172, note J.-D. Dreyfus ; Rev. Lamy Concurrence 2008, n° 7, comm. 16, obs. G. Clamour.

[25] TA Marseille, Sté Nigel Burgess LTD ; DMF 2008, p. 674.

[26] TA Paris, 30 mai 2007, Préfet Paris c/ Ville Paris, BJCP 2007, p. 492, concl. Ph. Delbèque, note Ph. Terneyre ; jugement infirmé en appel.

[27] J.-Ph. Colson et P. Idoux, Droit public économique, 8ème éd., Manuel, LGDJ, 2016, n°260.

[28] CAA Bordeaux, 29 nov. 2007, Lamy Concurrence 2008, n° 15, n° 1092, note G. Clamour.

[29] CAA Paris, 14 oct. 2010, Contrats et marchés publ. 2010, comm. 426, obs. F. Llorens.

[30] Ch. Vautrot-Schwarz, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans les délivrances des titres d’occupations domaniale », Contrats et marchés pub. décembre 2012, étude 8, n°20.

[31] G. Eckert, « Retour à la lettre du contrat », Contrats et marchés publ. mars 2010, comm. 116.

[32] TA de Paris 31 mars 2009, Société Paris Tennis, AJDA 2009, p. 1149, note J.-D. Dreyfus ; Contrats et marchés pub. 2009, comm. 203, note G. Eckert ; BJCP 2009, n°65, p. 312, concl. C. Villalba.

[33] Article R. 811-15 du Code de justice administrative « Lorsqu’il est fait appel d’un jugement de tribunal administratif prononçant l’annulation d’une décision administrative, la juridiction d’appel peut, à la demande de l’appelant, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement ».

[34] CAA de Paris, 24 juin 2009, Association Paris Jean Bouin.

[35] CE, 13 janvier 2010, Association Paris Jean Bouin et Ville de Paris, Contrats et marchés pub. 2010, comm. 116 G. Eckert ; AJDA 2010, p. 731, G. Mollion ; BJCP 2010, n°69, p. 115, concl. L. Olléon et obs. Ch. Maugüé.

[36] CAA de Paris, 25 mars 2010, Association Paris Jean Bouin, Ville de Paris, Droit Adm. 2010, comm. 93, F. Brenet ; JCP A 2010, act 258, C. Devès ; AJDA 2010, p. 774, F. Lelièvre.

[37] G. Eckert, « Fin du feuilleton « Jean Bouin » : les conventions d’occupations du domaine public peuvent être conclues sans publicité », Contrats et marchés pub., janvier 2011, comm. 25.

[38] G. Eckert, « Fin du feuilleton « Jean Bouin » : les conventions d’occupations du domaine public peuvent être conclues sans publicité », Contrats et marchés pub., janvier 2011, comm. 25.

[39] R. Noguellou, « L’attribution des autorisations domaniales : feu l’arrêt Jean Bouin… », AJDA 2016, p. 2176.

[40] CJCE, 18 juin 1985, aff. C-197/84, Steinhauser c/ Ville de Biarritz.

[41] G. Eckert, « Fin du feuilleton « Jean Bouin » : les conventions d’occupations du domaine public peuvent être conclues sans publicité », Contrats et marchés pub., janvier 2011, comm. 25.

[42] F. Llorens et P. Solet-Couteaux, « Les occupations privatives du domaine public rattrapées par la concurrence », Contrats et marchés pub. décembre 2016, repère 11.

[43] Directive 2006/123/CEE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, JOCE n° L. 376, 27 décembre 2006, p. 52.

[44] Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession, JOUE L. 94, 28 mars 2014, pp. 1–64.

[45] Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

[46] Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

[47] Voir sur ce point G. Clamour, « Le sort des contrats domaniaux », RFDA 2016, p. 270.

[48] Article 50 de l’ordonnance n°2016-65.

[49] R. Noguellou, « L’attribution des autorisations domaniales : feu l’arrêt Jean Bouin… », AJDA 2016, p. 2176.

[50] F. Llorens et P. Solet-Couteaux, « Les occupations privatives du domaine public rattrapées par la concurrence », Contrats et marchés pub. décembre 2016, repère 11 : c’est en tout ce que révèle l’étude d’impact du projet de loi.

[51] G. Eckert, « Fin du feuilleton « Jean Bouin » : les conventions d’occupations du domaine public peuvent être conclues sans publicité », Contrats et marchés pub., janvier 2011, comm. 25.

[52] Ch. Mauguë et G. Bachelier, « Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques », AJDA 2006, p. 1804.

[53] Pour une proposition d’encadrement adapté, v. S. Comellas, Les titres d’occupation du domaine public à des fins commerciales. Réflexion sur la mise en place de formalités préalables à la délivrance, L’Harmattan, coll. Logiques Juridiques, 2014, pp. 194 et suivantes.

[54] N. Foulquier, Droit administratif des biens, 3ème éd., Manuel, LexisNexis, 2015, n°446.

[55] R. Noguellou, « L’attribution des autorisations domaniales : feu l’arrêt Jean Bouin… », AJDA 2016, p. 2176.

[56] M. Boul, « L’arrêt RATP et les infrastructures essentielles : pas de droit à la presse dans les stations parisiennes », les Petites Affiches 2013, n°144, p. 11 et s.

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Présentation de l’ouvrage : la Beauté (aspects juridiques & politiques)

par Jimmy Charruau
Doctorant en droit public, A.T.E.R. à l’Université d’Angers

La Beauté :
aspects juridiques et politiques
[1]

Art. 127.

De l’application de rencontre Tinder par laquelle le « match » opère entre deux personnes sur simple découverte de leurs photos, en passant par Photoshop, Instagram, et même Instabeauty pour parfaire son image, jusqu’aux réseaux sociaux Twitter et Facebook où l’encart « photo de profil » permet d’apparaître sous son meilleur jour, sans oublier Snapchat qui approvisionne ses utilisateurs en clichés éphémères ; nombreux sont les outils – ici connectés – qui alimentent en flux continu notre « société du paraître »[2].

Pleinement intégrée dans notre quotidien, l’idée de Beauté s’illustre pourtant difficilement dans le discours juridique et politique. Trois explications liminaires – sans prétendre à l’exhaustivité – peuvent être formulées. Peut-être cette réticence vient-elle d’une supposée sacralité de la notion : ne parle-t-on pas de « la » Beauté ? De cette unicité, marquée tant par l’emploi du singulier que par l’usage de la majuscule, pourraient en effet naître quelques appréhensions, concentrées en la peur de briser un Tout. Peut-être cette réserve trouve-t-elle autrement son origine dans un certain malaise, une conscience mal assumée d’avoir tous les jours, et envers tous, recours au jugement esthétique ; surtout dans notre société qui érige l’égalité en valeur cardinale. A contrario, c’est peut-être l’apparente futilité de la Beauté qui l’éloigne des études juridiques et politiques. Certains se sont certes prêtés au jeu de l’analyse, mais toujours au prix d’un glissement sémantique : la Beauté, manifestation aérienne, s’est condensée pour devenir Esthétique, science rationnelle. Quelques études ont ainsi porté sur l’esthétisme en droit de l’urbanisme[3], en droit de l’environnement[4], ou sur les relations entre droit et art[5]. Mais, comme pour teinter la notion d’une objectivité qu’a priori elle ignore, tous ces travaux ne l’ont abordée qu’au travers de réalités matérielles, apparemment plus rassurantes : objets, œuvres, architecture, espaces, etc. Associée à l’Homme – beauté comme « beauté humaine » –, elle appartiendrait en revanche au champ – vaste – de l’impensé juridique. Puisant sa substance dans les diverses dimensions sensorielles, la notion serait beaucoup trop instable pour prétendre fonder des analyses cohérentes, systémiques, dégagées de l’immédiateté des perceptions. Cette volatilité échapperait à la rigueur du Droit et à l’analyse de la Science politique.

Parions pourtant que la question de la Beauté ne manquera pas de se poser plus intensément, et les réponses continueront de manquer si le terrain n’est pas davantage exploré : dans le domaine de la bioéthique par exemple, la sélection des donneurs de sperme – qui a d’ailleurs commencé, la plus importante banque de sperme au monde refusant désormais les roux[6] – mais aussi celle des donneuses d’ovocytes et des mères porteuses, apportera de plus en plus son lot d’incertitudes. Cette (potentielle) dérive eugéniste ne prouve-t-elle pas que l’étude de la Beauté doit être prise au sérieux ? Car si son lyrisme, contribuant très largement à son imprégnation dans la société, et le flou congénital qu’elle charrie, l’empêchent de s’élever au rang de norme de droit positif, ils ne lui interdisent pas d’exercer sur l’ordonnancement juridique et politique – tant au niveau de son élaboration que de son fonctionnement – une influence certaine, diffuse. Bien que n’ayant pas la force immédiate des règles de droit, la Beauté inspire donc leur contenu ; jusqu’à leur dépérissement ?

Assurément, interroger ainsi certains aspects de « cette étrange idée du beau »[7], en gratter son vernis, et nous prenons le risque – assumé – qu’elle perde en éclat. Aujourd’hui, en effet, à la question platonicienne « qu’est-ce que la Beauté ? », les réponses divergent ; et ces incertitudes la nourrissent. Cet ouvrage, issu d’un colloque des doctorants organisé en 2015 à l’Université d’Angers, n’a donc eu qu’une ambition, s’il pouvait y prétendre : celle d’entraîner encore des questions, par l’évocation particulière de certains « aspects juridiques et politiques » contemporains, que nous proposons d’aborder en deux temps : l’instrumentalisation de la Beauté (I), potentiellement excessive, laisse place à sa rationalisation par le droit (II).

I – L’instrumentalisation de la Beauté

« Googlisez » la Beauté et vous constaterez qu’elle est aujourd’hui essentiellement associée au corps : maquillage, coiffure, soins du visage, relooking, etc. C’est chose vraie au sein de la sphère du pouvoir qui agite ce nouveau totem : volontairement, par les acteurs politiques qui en jouent au cours de leur carrière ; ou plus diffusément, par l’établissement d’une norme sociale qui en exigerait sa promotion (B). De façon plus originale, les organisations internationales (l’ONU en tête), comme les collectivités territoriales, n’hésitent pas non plus à mobiliser cette donnée. En libérant sa puissance attractive, la Beauté apporte en effet à ce paysage institutionnel, dont la magie n’opère parfois plus, des bienfaits parfois longtemps désirés (A).

A – Beauté institutionnalisée

Insaisissable, la Beauté est paradoxalement l’objet de phénomènes structurants. Quel meilleur exemple que le concours de beauté qui, par la sélection opérée, vient institutionnaliser les « canons esthétiques » du moment ? Au fond, le sujet semblait attendu : interroger les concours de Miss à l’occasion d’une étude portant sur la Beauté, paraît naturel. Il fallait pourtant, cherchant à s’aventurer hors des sentiers battus, aborder la problématique sous un angle différent. Originale car inhumaine, la beauté animale et son instrumentalisation pouvaient ainsi être interrogées. Un rapide tour du monde en mesure l’intérêt : du très convoité Crufts, plus grand concours de chiens au monde, aux plus insolites concours chinois pour poissons rouges et poules, en passant par l’inattendu concours de beauté pour chèvres en Lituanie, les exemples de compétition – d’un genre inhabituel, il faut le reconnaître – ne manquent pas ! La laideur se célèbre d’ailleurs tout autant : né avec une colonne vertébrale très courte, Quasi Modo a été élu chien le plus laid du monde en 2015 en Californie ; de quoi s’interroger, dans une perspective internationaliste, sur la dignité animale (Joseph Reeves, « Les concours de beauté pour animaux »).

Si la Beauté est ainsi l’objet d’une institutionnalisation particulière, il arrive parfois qu’elle s’intègre au fonctionnement d’institutions déjà établies, comme pour les enrichir d’une teneur singulière, régénérée. La beauté, qu’elle soit matérielle ou « humaine », pénètre les lieux de pouvoir. Le système onusien l’illustre parfaitement, tant par ses œuvres d’art (Le Phénix renaissant de ses cendres, trônant au Siège des Nations Unies) que par les célébrités, à la plastique de rêve, qu’elle mobilise (Angelina Jolie, ambassadrice des Nations Unies puis Envoyée spéciale, ou encore Leonardo DiCaprio). Pour quel statut juridique (Maëva Szlovik, « L’utilisation de la beauté par les organisations onusiennes ») ?

Ce processus d’instrumentalisation de la Beauté par le vecteur institutionnel trouve son écho sur le plan interne : en la fondant dans la matérialité de leurs politiques, les pouvoirs publics impulsent une dynamique esthétique nouvelle. Cherchant à développer leur attractivité, les collectivités locales mettent en place un véritable marketing territorial participant au dessin renouvelé de leur paysage urbain. De 1971 à 1977, une émission de télévision ne faisait-elle pas état d’une France défigurée ? Plus radical, l’hebdomadaire Télérama publiait en 2010 un dossier intitulé « Halte à la France moche ! ». Depuis, des efforts ont été entrepris ; en témoigne le programme de végétalisation de la mairie de Paris sur la mandature 2014-2020 en vue, notamment, de faire évoluer l’esthétique de l’architecture parisienne. Par cette métamorphose urbaine, les pouvoirs publics adressent un message politique à visée sociale, celui de rapprocher les citoyens du processus décisionnel : ou quand le beau convoque l’utile (Agathe Vitour, « Du design territorial au design des politiques publiques : du « dessin » au « dessein » de la ville »).

B – Beauté politisée

Politisée ? La Beauté l’est, assurément. Elle l’est d’ailleurs depuis longtemps, sous un angle – ici envisagé – assez particulier. Car la Beauté, en effet, ne se confine pas au visuel. La fonction politique, en mobilisant l’art oratoire et ses belles formules, active cette beauté invisible. Souvenons-nous du « Je vous ai compris » du général de Gaulle en 1958, du « Ich bin ein Berliner » de John Fitzgerald Kennedy en 1963, du « I have a dream » de Martin Luther King la même année, ou encore, plus récemment, du « Yes we can » de Barack Obama en 2008. Nul ne l’ignore : la beauté du verbe soulage l’effort de persuasion, arme indispensable en politique. Seulement, qu’est-ce qu’un beau discours ? N’est-il fait que de « beaux mots », savamment choisis ? Doit-il s’appuyer sur un texte écrit, travaillé, ciselé, pensé à dessein ou, au contraire, laisser place à l’instantané, en faisant la part belle à l’improvisation ? L’histoire parlementaire française offre quelques éléments de réponse (Matthieu Le Verge, « Beauté oratoire et discours écrits sous la Restauration : une coexistence impossible ? ») ?

Retour « à la normale » : la beauté politique passe surtout par le visuel. Parce qu’elle est historiquement envisagée en tant que qualité féminine[8], la beauté des femmes politiques devait d’abord être interrogée. S’agit-il de dire qu’elles se caractérisent essentiellement par leur genre ? Ceci, formulé autrement : est-ce un privilège qui leur permettrait d’accéder plus facilement au panthéon politique ou, au contraire, un inconvénient qui les isolerait davantage de cet espace androcentré, par marginalisation et procès en incompétence ? Évitons toute fausse naïveté car jusqu’à présent, les qualités politiques ne se pensent souvent que par occultation du féminin. Si bien que lorsqu’en 2008, Carla Bruni déclara qu’elle trouvait « Ségolène Royal très belle »[9], peut-être se rendait-elle compte du génie politique de cette phrase en ce qu’elle phagocytait les ambitions de l’ex-rivale de son mari… L’appel à la beauté est ici, manifestement, expression d’une stratégie politicienne (Nicolas Mary, « « Sexy Ségo ». Le traitement de Ségolène Royal dans Voici »).

Mais, si elle a longtemps été confondue avec les femmes, comme pour assurer une position masculine confortablement dominatrice, cette qualité – forcément minorée ! – s’est, par la reconnaissance contemporaine de l’égalité des sexes et de leurs conditions, détachée de ce statut subalterne pour endosser la même respectabilité que les qualités traditionnellement associées aux hommes. Généralement moins questionnée, la beauté masculine ne se cache plus : les revues de mode spécialisées se multiplient (GQ Magazine, Lui Magazine, Dandy Magazine, etc.), les instituts de beauté aussi, et le concours de Mister France émerge, certes timidement. Interroger l’apparence de celui qui assure la fonction suprême, jusqu’ici toujours masculine, présente donc un intérêt certain (François Hourmant, « La beauté du Prince. Esthétique du pouvoir et masculinité politique en régime de visibilité »). L’actualité conforte l’entreprise : alors que François Hollande subit les critiques les plus acerbes pour ses costumes trop grands et ses cravates portées de travers, Jacques Chirac devient « icône de la mode » par la commercialisation d’une ligne de tee-shirts à son effigie. Retour abracadabrantesque !

S’il existe ainsi des domaines dans lesquels la ressource esthétique emporte la mobilisation, le droit, dans une démarche éthique, intervient de plus en plus pour en limiter son intensité, potentiellement dévastatrice.

II – La rationalisation de la Beauté

Cette entreprise de modération interroge les limites de « l’expérience de la beauté »[10], tenaillée qu’elle est par l’instabilité du terrain sur lequel elle repose, fait d’immédiateté émotionnelle et de finalité parfois douloureuse pour les personnes victimes de ses critiques. C’est ici saisir l’utilité du processus de rationalisation qui, en rendant la prise en compte de la Beauté conforme à la raison, fait surgir le réflexif dans l’affectif : s’il n’empêche pas d’éprouver certaines émotions, il pose quelques interdictions. Ainsi, tant le législateur, par la loi, que les magistrats, par leurs décisions, et les acteurs privés, par le contrat, peuvent encadrer – ou non ! – le recours à la Beauté. La question de l’existence d’un seuil dans la prise en compte de ce critère irrigue donc les raisonnements de cette partie : souvent encadrée (A), la prise en compte de la Beauté est parfois, plus fermement, censurée (B).

A – Beauté encadrée

C’est par un biais politiste – le constat d’une surmédiatisation contemporaine des First Ladies –, qu’il s’est agi d’examiner, en mobilisant le droit des finances publiques, le coût pour la République de l’apparence des Premières dames (Marie-Pierre Mpiga Voua Ofounda, « L’apparence des Premières dames : un coût pour la République »). Le sujet ne manque pas d’alimenter les débats : M. Guillaume Larrivé interrogea ainsi en 2013 M. le Premier ministre sur le coût, pour les finances de l’État, des collaborateurs affectés au service de Valérie Trierweiler[11]. Ailleurs, aux États-Unis, les tribulations esthétiques des ex-Premières dames alimentent encore les tabloïdes, surtout lorsque celles-ci prétendent à la magistrature suprême : Hillary Clinton aurait ainsi dépensé, un jour de campagne, 600 dollars dans un salon de coiffure. La problématique de l’encadrement se pose donc ici avec acuité : jusqu’où ces dépenses esthétiques peuvent-elles aller ? Existe-t-il un arsenal juridique capable de les contrôler ?

Peut-être par un excès d’évidence, tant la notion de Beauté y invite naturellement, il est un domaine d’analyse que cette étude n’avait pas encore exploré : l’art, réserve intarissable du beau. Insérer cette problématique dans un titre qui évoque la contrainte peut surprendre : l’art et l’idée de Beauté qu’il charrie peuvent-ils être encadrés ? L’entreprise étonne d’autant plus qu’à chaque époque, correspond son idéal de Beauté. De La Bella de Titien vers 1536, idéal personnifié de Beauté, à la Venus d’Alexandrie d’Yves Klein en 1962, d’un bleu unique, en passant par l’Urinoir de Marcel Duchamp en 1917, raillant habilement les conventions esthétiques, les artistes n’ont cessé de redéfinir le sens de cette notion, sans totalement en consommer la rupture. Intuitive, la Beauté raconte, au fond, l’œuvre et son dépassement, à la fois signifiant (composante matérielle) et signifié (composante conceptuelle). Seulement, pour recevoir la protection que le droit permet, la Beauté doit emprunter des chemins davantage balisés. Car le régime juridique du droit d’auteur ne protège pas n’importe quelle beauté ; le champ serait insaisissable. Dans cette quête d’esthétique, le juge a son rôle à jouer, avec le risque bien perçu qu’il n’exprime par trop sa propre conception du beau (Alexandre Portron, « Le beau dans la protection du droit d’auteur »).

Le volet privatiste ne saurait se refermer sans avoir exploré l’une de ses composantes fondamentales : le droit du travail. La notion de Beauté y est en effet appréhendée, sous une forme particulière, rationalisée – ou presque – : la problématique de l’apparence et la liberté individuelle qui s’y attache. Où s’arrête en ce sens la liberté vestimentaire des salariés ? Les pics de chaleur enregistrés tous les étés relancent chaque année la question de la liberté de se vêtir : un salarié peut-il venir travailler en short ? La SNCF n’est pas en reste, qui a cru bon d’élaborer un « guide beauté » à destination de ses agents, allant jusqu’à préconiser de recourir à des crèmes hydratantes pour les mains ! L’employeur, gourou de la mode ? Constatons à tout le moins qu’il façonne parfois une certaine beauté. Malgré tout, cette prise en compte se trouve encadrée par le droit : les exigences de l’employeur devront obligatoirement être justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. Tout est donc affaire d’équilibre, en fonction de la spécificité du métier exercé – pensons aux contrats de mannequinat (Eroan Rubagotti, « La prise en compte de l’apparence en droit du travail »).

B – Beauté censurée

Un pas supplémentaire est ici franchi : alors qu’ont été précédemment analysées les limites apportées à la liberté de se vêtir en droit du travail, la question des discriminations liées à l’apparence physique fait ici surface. L’actualité en ce domaine ne manque pas. Il n’est qu’à rappeler le cas Abercrombie & Fitch, célèbre enseigne américaine de prêt-à-porter, épinglée dans de nombreuses affaires : refus de commercialiser les grandes tailles de vêtement pour les femmes et invention de la taille XXXS, recommandations formulées par le Défenseur des droits en novembre 2014 pour des faits de discriminations à raison de l’apparence physique lors du processus de recrutement[12] alors qu’elle avait été condamnée en 2005 aux États-Unis à payer 50 millions de dollars pour des cas similaires[13], etc. Ces abus discriminatoires interrogent : jusqu’où l’exigence de « belle apparence » peut-elle aller ? Quel(s) lien(s) le critère juridique de l’apparence physique tisse-t-il d’ailleurs avec la notion de Beauté ? Comment ce motif discriminatoire, introduit dans l’ordonnancement juridique français par la loi du 16 novembre 2001, s’inscrit-il dans le paysage – déjà fourni – du droit des discriminations ? Qu’apporte-t-il à cette lutte ? La question n’est pas anodine car le législateur français a – encore ! – fait preuve de zèle : aucun autre État, sauf la Belgique, ne prévoit ce critère (Jimmy Charruau, « L’apparence physique, critère perturbateur du droit des discriminations »).

Toujours d’actualité, la question des concours de mini-miss achève ce tour d’horizon. Encore une fois, la prise en compte de la beauté – considérée ici comme abusive car juvénile – est censurée par le législateur depuis la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prohibant les concours de beauté pour les enfants de moins de 13 ans. Au fond, au cœur de cet article, s’entrevoit la problématique – récurrente – de la dignité de la personne humaine : cette célébration de la beauté féminine dès le plus jeune âge, parce qu’elle participe au matraquage de normes de beauté pour la plupart inatteignables, conduit à l’autodévalorisation de l’individu. Que la loi s’intitule « égalité réelle entre les femmes et les hommes » ne surprend donc pas : elle tend en effet à lutter contre une logique sexiste avilissante. Au-delà de ce combat – pas toujours unanime, convenons-en –, l’interdiction de ces concours puise peut-être sa justification dans une peur – légitime mais controversée – de faire naître ou d’attiser, par cette mise en scène des corps ou, plus généralement, au regard du phénomène contemporain d’hypersexualisation, une attirance condamnable chez certains adultes envers ces jeunes enfants. En mars 2015, la marque American Apparel s’est ainsi trouvée au cœur d’une polémique après avoir publié sur son site une photographie d’une mannequin, au visage jugé trop infantile pour porter des vêtements aussi dénudés (Julie Jaunatre, « L’interdiction législative des concours de mini-miss »).

Ah ! la beauté… Une nébuleuse dans le ciel du Droit. Mais un champ d’études réel. Toujours superficielle, cette notion ? Trompeuses apparences.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Art. 127.

[1] Jimmy Charruau (dir.), La Beauté : aspects juridiques et politiques, Poitiers, LGDJ – Presses Universitaires Juridiques de l’Université de Poitiers, coll. « Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers », 2016, 208 pages.

[2] V. Jean-François Amadieu, La société du paraître. Les beaux, les jeunes… et les autres, Paris, Odile Jacob, 2016, 256 pages. Le professeur Amadieu a aimablement accepté de faire la préface de notre ouvrage, ici présenté. Les professeurs Félicien Lemaire et Hervé Rihal ont quant à eux respectivement rédigé l’introduction et la conclusion.

[3] Jacqueline Morand-Deviller, « Esthétique et droit de l’urbanisme », in Mélanges René Chapus : droit administratif, Paris, Montchrestien, 1992, p. 429.

[4] Jessica Makowiak, Esthétique et droit, Paris, L.G.D.J., coll. « Thèses », 2004, 416 pages.

[5] V. le numéro « Droit et esthétique », Archives de philosophie du droit, tome 40, 1996, 533 pages.

[6] Richard Orange, « Sperm bank turns down redheads », telegraph.co.uk, 16 septembre 2011, [En ligne]. URL : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/denmark/8768598/Sperm-bank-turns-down-redheads.html?t.

[7] François Jullien, Cette étrange idée du beau, Paris, Grasset, 2010, 266 pages.

[8] Alain Rey indique en effet que « Bellus, en langue classique, a surtout qualifié des femmes et des enfants avec la valeur de « mignon, joli, charmant, adorable », ne s’appliquant aux adultes que par ironie » (Dictionnaire historique de la langue française, volume 1, Paris, Le Robert, 1992, p. 199).

[9] Reportage « Carla Bruni en toute liberté » sur M6 le 19 décembre 2008.

[10] Fabienne Brugère, L’expérience de la beauté. Essai sur la banalisation du beau au XVIIIème siècle, Paris, Vrin, 2006, 206 pages.

[11] Assemblée nationale, 14ème législature, question n°20735 de M. Guillaume Larrivé, JO, 12 mars 2013, p. 2694 ; réponse publiée au JO, 30 avril 2013, p. 4710.

[12] Défenseur des droits, décision MLD-2014-147, 3 novembre 2014.

[13] United States District Court Northern District of California, Gonzalez v. Abercrombie & Fitch Stores, Inc., Consent Decree du 11 avril 2005, aff. n°03-2817 SI, 044730 et 0447.

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ParJDA

Nouveauté du bail à construction sur le domaine public ou construction d’un bail nouveau ?

Maxime Boul
Jean-Philippe Orlandini

Par Maxime BOUL
Doctorant en droit public – Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

& Jean-Philippe ORLANDINI
ATER en droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Note relative à
CE, 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole

Art. 126. De Fos- à “fosse”-sur-mer il n’y a qu’un pas que le Conseil d’État a peut être permis d’éviter en conditionnant la légalité du bail à construction conclu sur le domaine public pour l’incinérateur de déchets. Les opposants au projet d’incinérateur de Fos-sur-mer étaient nombreux, qu’il s’agisse de certains élus ou encore d’associations de riverains et des mouvements écologistes. Les faits s’étendent de 2003 à 2009, période pendant laquelle la Communauté urbaine de Marseille-Provence-Métropole a adopté plusieurs délibérations concernant le projet d’incinérateur, et qui a surtout vu apparaître le Code général de la propriété des personnes publiques en 2006.

Tout commence le 20 décembre 2003, lorsque la communauté urbaine adopte une première délibération approuvant le mode de gestion déléguée pour le service public de traitement des déchets par incinération ainsi que les options techniques d’incinération sur le terrain appartenant au Port autonome de Marseille, établissement public étatique, situé sur la commune de Fos-sur-mer. S’en est suivie la délibération du 9 juillet 2004 approuvant la signature du contrat qualifié de « bail à construction » par la communauté urbaine et le Port autonome prévoyant la cession temporaire de la convention au délégataire de service public. Le contrat est alors signé le 21 mars 2005. Une fois le contrat conclu entre les deux personnes publiques, il restait encore à choisir le délégataire de service public et à définir les modalités de cession de la convention. Par délibération du 13 mai 2005, la communauté urbaine a approuvé le choix du délégataire de service public, le contrat ainsi que ses annexes, mais aussi la cession de la convention qualifiée de bail à construction au profit de l’opérateur sélectionné. La délibération autorise alors le président de la communauté urbaine à signer le contrat de délégation de service public et ses annexes et à accepter la cession de créance par le délégataire à un organisme de crédit-bail pour financer les constructions nécessaires à la réalisation du projet. Cette délibération a été contestée devant le tribunal administratif de Marseille qui l’a annulée pour un vice de procédure en ce qu’elle présentait un défaut d’information des conseillers communautaires (TA Marseille, 18 juin 2008, n° 0504408, 0504518). Prenant acte de cette annulation, le conseil communautaire a adopté une nouvelle délibération AGER 001 en date du 19 février 2009 reprenant intégralement les termes de la délibération du 13 mai 2005 annulée. À la même date, le conseil de la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole a pris une seconde délibération AGER 002 portant sur l’approbation par le conseil communautaire des orientations du projet. Ces deux délibérations ont également été contestées par des associations et collectifs pour la protection de l’environnement devant le tribunal administratif de Marseille. Ce dernier les a annulées par un jugement du 4 juillet 2014. La cour administrative d’appel de Marseille a d’abord annulé le jugement pour mieux annuler ensuite la délibération en estimant que la domanialité publique anticipée du terrain s’opposait de jure à la constitution d’un bail à construction. Le Conseil d’État, saisi par la communauté urbaine, devait se prononcer sur la question de la compatibilité « contre-nature » du montage contractuel avec le régime juridique applicable à l’immeuble appartenant au Port autonome.

Le Conseil d’État est face à une question complexe mettant en cause trois partie distinctes ainsi qu’un montage contractuel reposant sur trois contrats différents pour la réalisation du projet d’incinérateur. La communauté urbaine Marseille-Métropole-Provence, compétente en matière de déchets, est à l’initiative du projet alors que la construction de l’usine est prévue sur un terrain situé sur la Commune de Fos-sur-Mer appartenant au Port autonome de Marseille. Le montage prévoit que la construction et la gestion de l’équipement seront déléguées à une personne privée en raison de la difficulté technique du projet. Le bail à construction conclu entre les deux personnes publiques, au profit de la communauté urbaine, doit ensuite être cédé au délégataire de service public, lequel cédera la créance à un organisme de crédit-bail pour financer les opérations.

Le temps joue ici un rôle important au moins sur trois aspects. Tout d’abord, le contrat étant signé avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques seules les dispositions du Code du domaine de l’État sont applicables. À la date de la conclusion du contrat en 2005, seul l’État est compétent pour accorder de tels contrats sur son domaine public et uniquement pour la réalisation d’ouvrages nécessaires « pour les besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales, de la formation des personnels qui concourent aux missions de défense et de sécurité civiles, des armées ou des services du ministère de la Défense » (Loi n° 2002-1094, 29 août 2002 et loi n° 2002-1138, 9 sept. 2002 ; désormais la loi « Duflot » n° 2014-366, 24 mars 2014, permet la conclusion de ces baux pour la construction de logements sociaux). De la même manière, la codification de 2006 n’étant pas une codification à droit constant, les évolutions intégrées par le législateur délégué ne peuvent être retenues en l’espèce.

Le temps exerce ensuite ses effets quant à la date d’entrée du terrain appartenant au Port autonome de Marseille, établissement public étatique, dans le domaine public. Le projet est exposé à l’application des critères antérieurs de détermination du domaine public, notamment par « anticipation », et au régime de la domanialité publique pré-CGPPP (par ex. : impossibilité de constituer des servitudes conventionnelles postérieures à l’affectation). La réalisation future de l’affectation au service public du terrain et le principe d’inaliénabilité corrélatif remettraient en cause la conclusion du bail à construction sans intervention d’une loi autorisant la constitution de nouveaux droits réels sur le domaine public (CE, 1er oct. 2013, Société Espace Habitat).

Enfin, la décision est importante car elle intervient quelques mois après la profonde modification par le législateur délégué du régime des montages contractuels sur le domaine public (Ord. n° 2015-899 du 23 juill. 2015 relative aux marchés publics. Cf. not. G. Clamour, « Le sort des contrats domaniaux », RFDA 2016 p. 270). Le Conseil d’État – qui n’est pas tenu par la qualification du contrat donnée par les parties (T. Confl., 9 juin 1986, Fabre) – doit alors trancher entre le maintien d’une position traditionnelle consistant à refuser la conclusion d’un bail à construction sur le domaine public ou une solution novatrice en adaptant cette technique contractuelle aux exigences de la domanialité publique. Le bail à construction, initialement réservé au domaine privé des personnes publique, peut-il être admis sur le domaine public au risque d’une dénaturation du contrat par les effets de son administrativisation?

Si le Conseil d’État annule la délibération litigieuse, il ne s’oppose pas pour autant à la conclusion du bail sur le domaine public. Alors que l’ordonnance du 23 juillet 2015 a modifié l’état des droits applicables aux contrats constitutifs de droits réels sur le domaine public, le juge administratif admet la réalisation de nouveaux montages contractuels. La détermination de la domanialité publique anticipée aurait dû s’opposer au recours au bail à construction (I), mais le Conseil d’État l’a admis sous condition (II).

L’incompatibilité de principe du bail à construction conditionnée à la domanialité publique « anticipée » de l’usine

Le premier temps de la réflexion porte sur la détermination du régime applicable à l’usine de traitement des déchets, car c’est en fonction de celui-ci que découlera la légalité du montage juridique envisagé.

L’examen des critères de la domanialité publique. En l’absence de qualification législative incorporant le terrain et l’équipement en question, à savoir une usine de traitement des déchets, dans le domaine public, il convient alors de retenir la méthode conceptuelle. Tout d’abord, la question de la propriété, tant de l’usine que du terrain sur lequel elle doit être construite, doit être déterminée. On l’a dit, le terrain d’assiette est la propriété du port autonome de Marseille, établissement public étatique. La condition de la propriété publique est alors remplie, ce qui implique, dans un second temps, de s’attacher au régime domanial applicable, et, le cas échéant, de déterminer plus précisément la date d’entrée du bien dans le domaine public. Le terrain du port autonome de Marseille doit servir à la construction de l’incinérateur de déchets dont la compétence relève de la communauté urbaine. Ce terrain doit donc recevoir une affectation pour la réalisation d’une mission de service public. En l’espèce, le Conseil d’État considère que « la condition d’affectation au service public est regardée comme remplie alors même que le service public en cause est géré par une collectivité publique différente de la collectivité publique qui est propriétaire ». Ici, les juges du Palais royal rappellent – à juste titre – le fait que la personne publique propriétaire du terrain soit différente de la personne publique affectataire et gestionnaire du service est sans incidence sur son affectation et sur son entrée dans le domaine public (cons. n° 12 ; CE, 19 déc. 2007, Commune de Mercy-le-bas, req. n°288017).

L’appartenance publique et l’affectation au service public étant remplies, le juge administratif doit encore vérifier la réalisation d’un aménagement « spécial » pour que l’immeuble incorpore le domaine public (CE, 19 oct. 1956, Société Le Béton, Rec. 375). Ces deux conditions, ont tout d’abord été interprétées strictement, car la réalisation de l’aménagement « spécial » avait pour but de concrétiser la matérialité de l’affectation. En se plaçant au 21 mars 2005, date de conclusion du bail, il était impossible que l’usine de traitement des déchets soit d’une part construite et d’autre part en état de fonctionnement (Cons. 13). En l’absence d’aménagement et donc d’affectation, le terrain concerné devrait en principe toujours faire partie du domaine privé du port de Marseille. Pourtant, le Conseil d’État a estimé que « le terrain sur lequel a été édifié l’unité de traitement des déchets était entré dans le domaine public du port autonome de Marseille dès la conclusion de la convention, soit le 21 mars 2005 ». Dans cette perspective, le bien est donc soumis par anticipation à la domanialité publique et sera effectivement incorporé au domaine public à la date de son affectation (voire même à compter de la date de son acquisition : T. Confl., 15 nov. 2016, Association Mieux vivre à Béziers et son agglomération, tourisme et loisirs, req. n° 4068) alors même que la réalisation de l’aménagement spécial n’est pas encore survenue (CE, avis, section de l’intérieur, du 18 mai 2004, n° 370169). La théorie de la domanialité publique par anticipation (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, req. n° 41589 et n° 41699) est ici utilisée par le juge administratif car l’affectation est certaine.

L’application de la domanialité publique par anticipation. Cette théorie jurisprudentielle étendant le domaine public semblait condamnée par l’entrée en vigueur du CGPPP, et de l’article L. 2111-2, entraînant la condition plus stricte de l’aménagement « indispensable » dont la réalisation doit être certaine et effective c’est-à-dire a minima « en cours » de réalisation (C. Maugüé, G. Bachelier, « Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques », AJDA 2006 p. 1073). Le juge administratif a toutefois consacré une forme de « survivance » des règles pour les biens incorporés dans le domaine public avant le 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur du CGPPP qui n’a pas pour effet de déclasser ces biens (CE, 3 oct. 2012, Commune de Port-Vendres, req. n° 353915). Tel est le cas du projet contesté. La théorie de la domanialité publique « virtuelle » ou « par anticipation » a été maintenue par le juge administratif dans l’arrêt « ATLALR » du 8 avril 2013 (CE, 8 avr. 2013, Association ATLALR, req. n° 363738), dont la décision ici commentée reprend le principe. En effet, le Conseil d’État considère qu’« avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonné à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné; que le fait de prévoir de façon certaine de réaliser un tel aménagement impliquait que le bien concerné était soumis, dès ce moment, aux principes de la domanialité publique ». Le terrain accueillant la construction de l’usine de retraitement des déchets est donc incorporé dans le domaine public dès la signature de la convention le 21 mars 2005. C’est donc en pratique l’exercice effectif du pouvoir de gestion par la métropole à l’initiative du projet, et non le commencement des travaux (sur ce point après l’entrée en vigueur du CGPPP: CE, 13 avr. 2016, Commune de Baillargues, req. n° 391431), qui est déterminant pour l’incorporation dans le domaine public (cf. N. Foulquier, « Précision sur le moment de la domanialité publique par anticipation », AJDA 2015 p. 2039).

La reconnaissance de la domanialité publique du terrain emporte l’application d’un certain nombre de règles destinées à la protéger et à garantir l’affectation et la continuité du service public. On pense alors aux règles classiques de la domanialité publique reprises par les dispositions de l’article L. 3111-1 du CGPPP : l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité. Or l’une des conséquences du principe d’inaliénabilité est d’interdire tout démembrement de propriété (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, req. n° 41589 et n° 41699), ce qui inclut la constitution de droits réels prévue par le bail à construction. Pourtant, la réalisation de montages contractuels complexes est destinée à favoriser le financement privé d’ouvrage publics, ce qui a conduit le législateur à introduire la possibilité pour les personnes publiques d’assortir les autorisations domaniales de droits réels. Le bail à construction sur le domaine public, et les droits réels qu’il implique pour le preneur, n’a toutefois jamais été autorisé par le législateur.

C’est donc dans un contexte de « reconfiguration en germe de l’occupation contractuelle domaniale » (G. Clamour, « Le sort des contrats domaniaux », art. préc.) qu’il convient d’analyser la possibilité d’accorder sous conditions la conclusion d’un bail à construction sur un bien du domaine public.

Le principe de la compatibilité conditionnée du bail à construction sur le domaine public

La date d’incorporation du terrain dans le domaine public est importante à deux égards. Elle permet, d’abord, de déterminer le point de départ de l’application des règles de la domanialité publique pour, ensuite, empêcher a priori la conclusion du bail à construction. Or l’originalité de la décision ici commentée réside dans ce second point. Alors que le juge administratif s’était systématiquement opposé à la conclusion d’un bail à construction sur les dépendances du domaine public immobilier (par ex: CAA Nantes, 9 mai 2014, n° 12NT03234, A. c. Cne Tréguier), le Conseil d’État admet ici sa compatibilité avec les règles domaniales. Il reconnaît en effet que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit en s’opposant à la conclusion du bail à construction par la seule reconnaissance de la domanialité publique du terrain. Les juges du Palais royal considèrent en effet que l’incorporation du terrain au domaine public ne s’oppose pas à la conclusion d’un bail à construction. L’incompatibilité de principe est alors écartée au profit d’une approche pragmatique du juge administratif à travers l’examen in concreto du contrat pour déterminer sa compatibilité avec les règles domaniales.

La fin de l’incompatibilité de principe du bail à construction. C’est sur le terrain des droits réels que le Conseil d’État met fin à une position jurisprudentielle consistant à empêcher la conclusion d’un bail à construction sur une dépendance du domaine public. L’article L. 251-3 du Code de la construction et de l’habitation dispose en effet que « le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier. Ce droit peut être hypothéqué, de même que les constructions édifiées sur le terrain loué ; il peut être saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière ». Le bail à construction est donc un instrument de droit privé à la disposition du preneur pour trouver des sources de financement dans le but de valoriser le domaine public. La domanialité publique par anticipation et la question des droits réels soulevées dans cet arrêt ne sont pas sans rappeler la problématique de l’arrêt « Eurolat » de 1985 (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit foncier de France, Rec. 141, GDDAB comm. 9).

Si en 1985 les droits réels ne pouvaient être constitués sur le domaine public, la situation est différente en 2005 au moment de la conclusion de la convention. Même si le CGPPP n’était pas encore entré en vigueur, l’article L. 34-1 du Code du domaine de l’État (actuel art. L. 2122-6 CGPPP) confère au titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public de l’État, sauf prescription contraire prévue par le titre, « un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu’il réalise pour l’exercice d’une activité autorisée par ce titre » (repris à l’article L. 2122-6 CGPPP). Pour prononcer l’illégalité du bail, le juge administratif d’appel marseillais se fondait sur la différence d’assiette du droit réel. Alors que le droit réel immobilier du bail à construction concerne les constructions et le sol sur lequel elles sont édifiées, le juge administratif optait pour une conception restrictive du droit réel immobilier concédé par l’État dans le cadre des autorisation d’occupation domaniale en le limitant aux ouvrages, constructions et installations. Cette interprétation restrictive des dispositions de l’article L. 34-1 du Code du domaine de l’État a permis à la cour administrative d’appel de rejeter la compatibilité du bail à construction. Or, le Conseil d’État adopte ici une position contraire en considérant que « le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine de l’État, ne porte pas uniquement sur les ouvrages, constructions et installations que réalise le preneur mais inclut le terrain d’assiette de ces constructions » (cons. 5). Le titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine public de l’État dispose d’un droit réel immobilier sur les biens édifiés mais également sur le sol qui en constitue l’assiette. Le Conseil d’État tranche ainsi un point sur lequel des hésitations subsistaient entre une interprétation stricte ou large des dispositions relatives à l’étendue des droits réels (Y. Gaudemet, « Les droits réels sur le domaine public », AJDA 2006 p. 1094 et s.). Le dessus et le sol reviennent à l’occupant, le sous-sol reste au propriétaire public.

Les prérogatives du titulaire du droit réel conféré dans le cadre d’une autorisation d’occupation domaniale par l’État sont déjà largement limitées concernant le recours à l’hypothèque du bien édifié uniquement pour garantir les emprunts contractés pour la construction des ouvrages, et quant à la soumission de sa cession à l’agrément de l’administration. Le régime du bail à construction prévu à l’article L. 251-3 du Code de la construction et de l’habitation s’éloigne de ces exigences domaniales. D’une part, le droit réel immobilier n’est pas limité aux constructions et, d’autre part, la cession peut se faire sans l’agrément du propriétaire du terrain. Le délégataire de service public choisi ne pourra donc pas hypothéquer l’ensemble de la dépendance domaniale mais uniquement les constructions édifiées pour l’incinérateur, de même, la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole ne peut céder le bail à construction sans l’agrément préalable du Port autonome de Marseille, propriétaire du terrain. En admettant le recours à ce contrat sur le domaine public, le Conseil d’État le soumet immédiatement aux règles de la domanialité publique. Le principe d’incompatibilité inconditionnée est renversé pour laisser place à une compatibilité conditionnée.

L’analyse de la compatibilité du principe du bail à construction. S’il ouvre la possibilité pour les personnes publiques de conclure des baux à construction sur le domaine public, le Conseil d’État pose certains garde-fous. Le rejet in abstracto laisse place à un contrôle in concreto des clauses du contrat pour établir leur compatibilité avec les règles de la domanialité publique. Le Conseil d’État précise qu’« aucune disposition ni aucun principe n’interdit que l’État et ses établissements publics puissent autoriser l’occupation d’une dépendance du domaine public en vertu d’une convention par laquelle l’une des parties s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l’autre partie et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d’occupation constitutives de droits réels, confère un droit immobilier, à condition toutefois que les clauses de la convention ainsi conclue respectent (…) les dispositions applicables aux autorisations d’occupation temporaire du domaine public constitutives de droits réels ». Le régime des droits réels administratifs conférés aux occupants du domaine public de l’État, et de ses établissements publics, est ainsi étendu aux autres conventions dès lors que leurs clauses sont compatibles.

Plusieurs clauses sont ici contestées. La durée de la convention conclue pour 70 ans est d’abord examinée, elle répond aux exigences temporelles des autorisations domaniales constitutives de droits réels puisqu’il s’agit de leur durée maximale (art. L. 2122-6 al. 3 CGPPP). La convention permet également au preneur – la Communauté urbaine puis le délégataire – d’instaurer des « servitudes passives indispensables à la réalisation des ouvrages, constructions et installations ». Ces servitudes sont supportées par la dépendance domaniale devenant le fonds servant. Or, les servitudes conventionnelles ne pouvaient être conclues sur le domaine public avant le Code général de la propriété des personnes publiques (cf. F. Hourquebie, « Les servitudes conventionnelles sur le domaine public », RFDA 2007 p. 1165). Seules les servitudes constituées avant l’entrée du bien dans le domaine public et compatibles avec son affectation étaient permises (CE, 14 déc. 2011, Bouyeure, req. n° 337824). Sous l’empire du droit antérieur au Code de 2006, il était impossible de prévoir la possibilité pour le preneur de constituer des servitudes sur la parcelle intégrée au domaine public. La clause du contrat le permettant est donc incompatible avec la domanialité publique. L’incompatibilité se poursuit avec l’examen du mode de cession des droits réels. En effet, le contrat stipule que la cession des droits réels s’effectuera après une simple notification au Port autonome de Marseille alors que l’article 34-2 du Code du domaine de l’État (art. L. 2122-7 CGPPP) impose un agrément. De la même manière, puisque le contrat a été conclu sans prendre en compte les règles applicables sur le domaine public, l’hypothèque n’est pas limitée à la garantie des emprunts pour la réalisation, la modification ou l’extension des ouvrages, ce qui emporte une nouvelle incompatibilité. Enfin, le recours au crédit-bail prévu par le contrat permettant au délégataire de service public, ou concessionnaire, de financer les constructions est contraire aux dispositions de l’article L. 34-7 du Code du domaine de l’État. Ce n’est que depuis la loi du 12 mai 2009 (n° 2009-526 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, JORF 13 mai 2009 p. 7920) que le recours à cette technique contractuelle est autorisée pour les constructions édifiées sur le domaine public affectées soit à un service public faisant l’objet d’un aménagement indispensable, soit à l’usage direct du public. La loi du 25 juillet 1994, reprise par le Code de 2006, n’autorisait la conclusion de ces contrats que lorsque le bien ne recevait aucune affectation. L’incompatibilité retenue par le juge administratif est ici circonstanciée car le contrat de délégation de service public est conclu en 2005 – et les délibérations attaquées datent du 19 février 2009 -, le recours au crédit-bail est toutefois possible pour les délégataires de service public lorsque le contrat est conclu après l’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.

Aux confins du droit de la domanialité publique et du droit privé, le recours à cette technique contractuelle fait apparaître ce que certains membres de la doctrine nomment d’ores-et-déjà le bail à construction « administratif » (Ph. Yolka, « À propos du « bail à construction administratif », AJDA 2016 p. 1145). Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, le bail à construction subirait le même sort que les autres contrats au contact du domaine public en endurant une phase d’administrativisation. Comme le souligne Jean-Bernard Auby : « lorsqu’ils sont utilisés par l’administration, les montages contractuels ou patrimoniaux de droit privé subissent une mutation, qui les rend souvent méconnaissables » (« À propos de la notion d’exorbitance du droit administratif », in F. Melleray (dir.), L’exorbitance du droit administratif en question(s), Poitiers, LGDJ, coll. de la Faculté de droit et des sciences sociales, p. 23).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 04 ; Art. 126.

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