Par Maxime BOUL
Doctorant en droit public – Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou
& Jean-Philippe ORLANDINI
ATER en droit public, Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou
Note relative à
CE, 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole
Art. 126. De Fos- à “fosse”-sur-mer il n’y a qu’un pas que le Conseil d’État a peut être permis d’éviter en conditionnant la légalité du bail à construction conclu sur le domaine public pour l’incinérateur de déchets. Les opposants au projet d’incinérateur de Fos-sur-mer étaient nombreux, qu’il s’agisse de certains élus ou encore d’associations de riverains et des mouvements écologistes. Les faits s’étendent de 2003 à 2009, période pendant laquelle la Communauté urbaine de Marseille-Provence-Métropole a adopté plusieurs délibérations concernant le projet d’incinérateur, et qui a surtout vu apparaître le Code général de la propriété des personnes publiques en 2006.
Tout commence le 20 décembre 2003, lorsque la communauté urbaine adopte une première délibération approuvant le mode de gestion déléguée pour le service public de traitement des déchets par incinération ainsi que les options techniques d’incinération sur le terrain appartenant au Port autonome de Marseille, établissement public étatique, situé sur la commune de Fos-sur-mer. S’en est suivie la délibération du 9 juillet 2004 approuvant la signature du contrat qualifié de « bail à construction » par la communauté urbaine et le Port autonome prévoyant la cession temporaire de la convention au délégataire de service public. Le contrat est alors signé le 21 mars 2005. Une fois le contrat conclu entre les deux personnes publiques, il restait encore à choisir le délégataire de service public et à définir les modalités de cession de la convention. Par délibération du 13 mai 2005, la communauté urbaine a approuvé le choix du délégataire de service public, le contrat ainsi que ses annexes, mais aussi la cession de la convention qualifiée de bail à construction au profit de l’opérateur sélectionné. La délibération autorise alors le président de la communauté urbaine à signer le contrat de délégation de service public et ses annexes et à accepter la cession de créance par le délégataire à un organisme de crédit-bail pour financer les constructions nécessaires à la réalisation du projet. Cette délibération a été contestée devant le tribunal administratif de Marseille qui l’a annulée pour un vice de procédure en ce qu’elle présentait un défaut d’information des conseillers communautaires (TA Marseille, 18 juin 2008, n° 0504408, 0504518). Prenant acte de cette annulation, le conseil communautaire a adopté une nouvelle délibération AGER 001 en date du 19 février 2009 reprenant intégralement les termes de la délibération du 13 mai 2005 annulée. À la même date, le conseil de la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole a pris une seconde délibération AGER 002 portant sur l’approbation par le conseil communautaire des orientations du projet. Ces deux délibérations ont également été contestées par des associations et collectifs pour la protection de l’environnement devant le tribunal administratif de Marseille. Ce dernier les a annulées par un jugement du 4 juillet 2014. La cour administrative d’appel de Marseille a d’abord annulé le jugement pour mieux annuler ensuite la délibération en estimant que la domanialité publique anticipée du terrain s’opposait de jure à la constitution d’un bail à construction. Le Conseil d’État, saisi par la communauté urbaine, devait se prononcer sur la question de la compatibilité « contre-nature » du montage contractuel avec le régime juridique applicable à l’immeuble appartenant au Port autonome.
Le Conseil d’État est face à une question complexe mettant en cause trois partie distinctes ainsi qu’un montage contractuel reposant sur trois contrats différents pour la réalisation du projet d’incinérateur. La communauté urbaine Marseille-Métropole-Provence, compétente en matière de déchets, est à l’initiative du projet alors que la construction de l’usine est prévue sur un terrain situé sur la Commune de Fos-sur-Mer appartenant au Port autonome de Marseille. Le montage prévoit que la construction et la gestion de l’équipement seront déléguées à une personne privée en raison de la difficulté technique du projet. Le bail à construction conclu entre les deux personnes publiques, au profit de la communauté urbaine, doit ensuite être cédé au délégataire de service public, lequel cédera la créance à un organisme de crédit-bail pour financer les opérations.
Le temps joue ici un rôle important au moins sur trois aspects. Tout d’abord, le contrat étant signé avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques seules les dispositions du Code du domaine de l’État sont applicables. À la date de la conclusion du contrat en 2005, seul l’État est compétent pour accorder de tels contrats sur son domaine public et uniquement pour la réalisation d’ouvrages nécessaires « pour les besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales, de la formation des personnels qui concourent aux missions de défense et de sécurité civiles, des armées ou des services du ministère de la Défense » (Loi n° 2002-1094, 29 août 2002 et loi n° 2002-1138, 9 sept. 2002 ; désormais la loi « Duflot » n° 2014-366, 24 mars 2014, permet la conclusion de ces baux pour la construction de logements sociaux). De la même manière, la codification de 2006 n’étant pas une codification à droit constant, les évolutions intégrées par le législateur délégué ne peuvent être retenues en l’espèce.
Le temps exerce ensuite ses effets quant à la date d’entrée du terrain appartenant au Port autonome de Marseille, établissement public étatique, dans le domaine public. Le projet est exposé à l’application des critères antérieurs de détermination du domaine public, notamment par « anticipation », et au régime de la domanialité publique pré-CGPPP (par ex. : impossibilité de constituer des servitudes conventionnelles postérieures à l’affectation). La réalisation future de l’affectation au service public du terrain et le principe d’inaliénabilité corrélatif remettraient en cause la conclusion du bail à construction sans intervention d’une loi autorisant la constitution de nouveaux droits réels sur le domaine public (CE, 1er oct. 2013, Société Espace Habitat).
Enfin, la décision est importante car elle intervient quelques mois après la profonde modification par le législateur délégué du régime des montages contractuels sur le domaine public (Ord. n° 2015-899 du 23 juill. 2015 relative aux marchés publics. Cf. not. G. Clamour, « Le sort des contrats domaniaux », RFDA 2016 p. 270). Le Conseil d’État – qui n’est pas tenu par la qualification du contrat donnée par les parties (T. Confl., 9 juin 1986, Fabre) – doit alors trancher entre le maintien d’une position traditionnelle consistant à refuser la conclusion d’un bail à construction sur le domaine public ou une solution novatrice en adaptant cette technique contractuelle aux exigences de la domanialité publique. Le bail à construction, initialement réservé au domaine privé des personnes publique, peut-il être admis sur le domaine public au risque d’une dénaturation du contrat par les effets de son administrativisation?
Si le Conseil d’État annule la délibération litigieuse, il ne s’oppose pas pour autant à la conclusion du bail sur le domaine public. Alors que l’ordonnance du 23 juillet 2015 a modifié l’état des droits applicables aux contrats constitutifs de droits réels sur le domaine public, le juge administratif admet la réalisation de nouveaux montages contractuels. La détermination de la domanialité publique anticipée aurait dû s’opposer au recours au bail à construction (I), mais le Conseil d’État l’a admis sous condition (II).
L’incompatibilité de principe du bail à construction conditionnée à la domanialité publique « anticipée » de l’usine
Le premier temps de la réflexion porte sur la détermination du régime applicable à l’usine de traitement des déchets, car c’est en fonction de celui-ci que découlera la légalité du montage juridique envisagé.
L’examen des critères de la domanialité publique. En l’absence de qualification législative incorporant le terrain et l’équipement en question, à savoir une usine de traitement des déchets, dans le domaine public, il convient alors de retenir la méthode conceptuelle. Tout d’abord, la question de la propriété, tant de l’usine que du terrain sur lequel elle doit être construite, doit être déterminée. On l’a dit, le terrain d’assiette est la propriété du port autonome de Marseille, établissement public étatique. La condition de la propriété publique est alors remplie, ce qui implique, dans un second temps, de s’attacher au régime domanial applicable, et, le cas échéant, de déterminer plus précisément la date d’entrée du bien dans le domaine public. Le terrain du port autonome de Marseille doit servir à la construction de l’incinérateur de déchets dont la compétence relève de la communauté urbaine. Ce terrain doit donc recevoir une affectation pour la réalisation d’une mission de service public. En l’espèce, le Conseil d’État considère que « la condition d’affectation au service public est regardée comme remplie alors même que le service public en cause est géré par une collectivité publique différente de la collectivité publique qui est propriétaire ». Ici, les juges du Palais royal rappellent – à juste titre – le fait que la personne publique propriétaire du terrain soit différente de la personne publique affectataire et gestionnaire du service est sans incidence sur son affectation et sur son entrée dans le domaine public (cons. n° 12 ; CE, 19 déc. 2007, Commune de Mercy-le-bas, req. n°288017).
L’appartenance publique et l’affectation au service public étant remplies, le juge administratif doit encore vérifier la réalisation d’un aménagement « spécial » pour que l’immeuble incorpore le domaine public (CE, 19 oct. 1956, Société Le Béton, Rec. 375). Ces deux conditions, ont tout d’abord été interprétées strictement, car la réalisation de l’aménagement « spécial » avait pour but de concrétiser la matérialité de l’affectation. En se plaçant au 21 mars 2005, date de conclusion du bail, il était impossible que l’usine de traitement des déchets soit d’une part construite et d’autre part en état de fonctionnement (Cons. 13). En l’absence d’aménagement et donc d’affectation, le terrain concerné devrait en principe toujours faire partie du domaine privé du port de Marseille. Pourtant, le Conseil d’État a estimé que « le terrain sur lequel a été édifié l’unité de traitement des déchets était entré dans le domaine public du port autonome de Marseille dès la conclusion de la convention, soit le 21 mars 2005 ». Dans cette perspective, le bien est donc soumis par anticipation à la domanialité publique et sera effectivement incorporé au domaine public à la date de son affectation (voire même à compter de la date de son acquisition : T. Confl., 15 nov. 2016, Association Mieux vivre à Béziers et son agglomération, tourisme et loisirs, req. n° 4068) alors même que la réalisation de l’aménagement spécial n’est pas encore survenue (CE, avis, section de l’intérieur, du 18 mai 2004, n° 370169). La théorie de la domanialité publique par anticipation (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, req. n° 41589 et n° 41699) est ici utilisée par le juge administratif car l’affectation est certaine.
L’application de la domanialité publique par anticipation. Cette théorie jurisprudentielle étendant le domaine public semblait condamnée par l’entrée en vigueur du CGPPP, et de l’article L. 2111-2, entraînant la condition plus stricte de l’aménagement « indispensable » dont la réalisation doit être certaine et effective c’est-à-dire a minima « en cours » de réalisation (C. Maugüé, G. Bachelier, « Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques », AJDA 2006 p. 1073). Le juge administratif a toutefois consacré une forme de « survivance » des règles pour les biens incorporés dans le domaine public avant le 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur du CGPPP qui n’a pas pour effet de déclasser ces biens (CE, 3 oct. 2012, Commune de Port-Vendres, req. n° 353915). Tel est le cas du projet contesté. La théorie de la domanialité publique « virtuelle » ou « par anticipation » a été maintenue par le juge administratif dans l’arrêt « ATLALR » du 8 avril 2013 (CE, 8 avr. 2013, Association ATLALR, req. n° 363738), dont la décision ici commentée reprend le principe. En effet, le Conseil d’État considère qu’« avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonné à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné; que le fait de prévoir de façon certaine de réaliser un tel aménagement impliquait que le bien concerné était soumis, dès ce moment, aux principes de la domanialité publique ». Le terrain accueillant la construction de l’usine de retraitement des déchets est donc incorporé dans le domaine public dès la signature de la convention le 21 mars 2005. C’est donc en pratique l’exercice effectif du pouvoir de gestion par la métropole à l’initiative du projet, et non le commencement des travaux (sur ce point après l’entrée en vigueur du CGPPP: CE, 13 avr. 2016, Commune de Baillargues, req. n° 391431), qui est déterminant pour l’incorporation dans le domaine public (cf. N. Foulquier, « Précision sur le moment de la domanialité publique par anticipation », AJDA 2015 p. 2039).
La reconnaissance de la domanialité publique du terrain emporte l’application d’un certain nombre de règles destinées à la protéger et à garantir l’affectation et la continuité du service public. On pense alors aux règles classiques de la domanialité publique reprises par les dispositions de l’article L. 3111-1 du CGPPP : l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité. Or l’une des conséquences du principe d’inaliénabilité est d’interdire tout démembrement de propriété (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit Foncier de France, req. n° 41589 et n° 41699), ce qui inclut la constitution de droits réels prévue par le bail à construction. Pourtant, la réalisation de montages contractuels complexes est destinée à favoriser le financement privé d’ouvrage publics, ce qui a conduit le législateur à introduire la possibilité pour les personnes publiques d’assortir les autorisations domaniales de droits réels. Le bail à construction sur le domaine public, et les droits réels qu’il implique pour le preneur, n’a toutefois jamais été autorisé par le législateur.
C’est donc dans un contexte de « reconfiguration en germe de l’occupation contractuelle domaniale » (G. Clamour, « Le sort des contrats domaniaux », art. préc.) qu’il convient d’analyser la possibilité d’accorder sous conditions la conclusion d’un bail à construction sur un bien du domaine public.
Le principe de la compatibilité conditionnée du bail à construction sur le domaine public
La date d’incorporation du terrain dans le domaine public est importante à deux égards. Elle permet, d’abord, de déterminer le point de départ de l’application des règles de la domanialité publique pour, ensuite, empêcher a priori la conclusion du bail à construction. Or l’originalité de la décision ici commentée réside dans ce second point. Alors que le juge administratif s’était systématiquement opposé à la conclusion d’un bail à construction sur les dépendances du domaine public immobilier (par ex: CAA Nantes, 9 mai 2014, n° 12NT03234, A. c. Cne Tréguier), le Conseil d’État admet ici sa compatibilité avec les règles domaniales. Il reconnaît en effet que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit en s’opposant à la conclusion du bail à construction par la seule reconnaissance de la domanialité publique du terrain. Les juges du Palais royal considèrent en effet que l’incorporation du terrain au domaine public ne s’oppose pas à la conclusion d’un bail à construction. L’incompatibilité de principe est alors écartée au profit d’une approche pragmatique du juge administratif à travers l’examen in concreto du contrat pour déterminer sa compatibilité avec les règles domaniales.
La fin de l’incompatibilité de principe du bail à construction. C’est sur le terrain des droits réels que le Conseil d’État met fin à une position jurisprudentielle consistant à empêcher la conclusion d’un bail à construction sur une dépendance du domaine public. L’article L. 251-3 du Code de la construction et de l’habitation dispose en effet que « le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier. Ce droit peut être hypothéqué, de même que les constructions édifiées sur le terrain loué ; il peut être saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière ». Le bail à construction est donc un instrument de droit privé à la disposition du preneur pour trouver des sources de financement dans le but de valoriser le domaine public. La domanialité publique par anticipation et la question des droits réels soulevées dans cet arrêt ne sont pas sans rappeler la problématique de l’arrêt « Eurolat » de 1985 (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat-Crédit foncier de France, Rec. 141, GDDAB comm. 9).
Si en 1985 les droits réels ne pouvaient être constitués sur le domaine public, la situation est différente en 2005 au moment de la conclusion de la convention. Même si le CGPPP n’était pas encore entré en vigueur, l’article L. 34-1 du Code du domaine de l’État (actuel art. L. 2122-6 CGPPP) confère au titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public de l’État, sauf prescription contraire prévue par le titre, « un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu’il réalise pour l’exercice d’une activité autorisée par ce titre » (repris à l’article L. 2122-6 CGPPP). Pour prononcer l’illégalité du bail, le juge administratif d’appel marseillais se fondait sur la différence d’assiette du droit réel. Alors que le droit réel immobilier du bail à construction concerne les constructions et le sol sur lequel elles sont édifiées, le juge administratif optait pour une conception restrictive du droit réel immobilier concédé par l’État dans le cadre des autorisation d’occupation domaniale en le limitant aux ouvrages, constructions et installations. Cette interprétation restrictive des dispositions de l’article L. 34-1 du Code du domaine de l’État a permis à la cour administrative d’appel de rejeter la compatibilité du bail à construction. Or, le Conseil d’État adopte ici une position contraire en considérant que « le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine de l’État, ne porte pas uniquement sur les ouvrages, constructions et installations que réalise le preneur mais inclut le terrain d’assiette de ces constructions » (cons. 5). Le titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine public de l’État dispose d’un droit réel immobilier sur les biens édifiés mais également sur le sol qui en constitue l’assiette. Le Conseil d’État tranche ainsi un point sur lequel des hésitations subsistaient entre une interprétation stricte ou large des dispositions relatives à l’étendue des droits réels (Y. Gaudemet, « Les droits réels sur le domaine public », AJDA 2006 p. 1094 et s.). Le dessus et le sol reviennent à l’occupant, le sous-sol reste au propriétaire public.
Les prérogatives du titulaire du droit réel conféré dans le cadre d’une autorisation d’occupation domaniale par l’État sont déjà largement limitées concernant le recours à l’hypothèque du bien édifié uniquement pour garantir les emprunts contractés pour la construction des ouvrages, et quant à la soumission de sa cession à l’agrément de l’administration. Le régime du bail à construction prévu à l’article L. 251-3 du Code de la construction et de l’habitation s’éloigne de ces exigences domaniales. D’une part, le droit réel immobilier n’est pas limité aux constructions et, d’autre part, la cession peut se faire sans l’agrément du propriétaire du terrain. Le délégataire de service public choisi ne pourra donc pas hypothéquer l’ensemble de la dépendance domaniale mais uniquement les constructions édifiées pour l’incinérateur, de même, la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole ne peut céder le bail à construction sans l’agrément préalable du Port autonome de Marseille, propriétaire du terrain. En admettant le recours à ce contrat sur le domaine public, le Conseil d’État le soumet immédiatement aux règles de la domanialité publique. Le principe d’incompatibilité inconditionnée est renversé pour laisser place à une compatibilité conditionnée.
L’analyse de la compatibilité du principe du bail à construction. S’il ouvre la possibilité pour les personnes publiques de conclure des baux à construction sur le domaine public, le Conseil d’État pose certains garde-fous. Le rejet in abstracto laisse place à un contrôle in concreto des clauses du contrat pour établir leur compatibilité avec les règles de la domanialité publique. Le Conseil d’État précise qu’« aucune disposition ni aucun principe n’interdit que l’État et ses établissements publics puissent autoriser l’occupation d’une dépendance du domaine public en vertu d’une convention par laquelle l’une des parties s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l’autre partie et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d’occupation constitutives de droits réels, confère un droit immobilier, à condition toutefois que les clauses de la convention ainsi conclue respectent (…) les dispositions applicables aux autorisations d’occupation temporaire du domaine public constitutives de droits réels ». Le régime des droits réels administratifs conférés aux occupants du domaine public de l’État, et de ses établissements publics, est ainsi étendu aux autres conventions dès lors que leurs clauses sont compatibles.
Plusieurs clauses sont ici contestées. La durée de la convention conclue pour 70 ans est d’abord examinée, elle répond aux exigences temporelles des autorisations domaniales constitutives de droits réels puisqu’il s’agit de leur durée maximale (art. L. 2122-6 al. 3 CGPPP). La convention permet également au preneur – la Communauté urbaine puis le délégataire – d’instaurer des « servitudes passives indispensables à la réalisation des ouvrages, constructions et installations ». Ces servitudes sont supportées par la dépendance domaniale devenant le fonds servant. Or, les servitudes conventionnelles ne pouvaient être conclues sur le domaine public avant le Code général de la propriété des personnes publiques (cf. F. Hourquebie, « Les servitudes conventionnelles sur le domaine public », RFDA 2007 p. 1165). Seules les servitudes constituées avant l’entrée du bien dans le domaine public et compatibles avec son affectation étaient permises (CE, 14 déc. 2011, Bouyeure, req. n° 337824). Sous l’empire du droit antérieur au Code de 2006, il était impossible de prévoir la possibilité pour le preneur de constituer des servitudes sur la parcelle intégrée au domaine public. La clause du contrat le permettant est donc incompatible avec la domanialité publique. L’incompatibilité se poursuit avec l’examen du mode de cession des droits réels. En effet, le contrat stipule que la cession des droits réels s’effectuera après une simple notification au Port autonome de Marseille alors que l’article 34-2 du Code du domaine de l’État (art. L. 2122-7 CGPPP) impose un agrément. De la même manière, puisque le contrat a été conclu sans prendre en compte les règles applicables sur le domaine public, l’hypothèque n’est pas limitée à la garantie des emprunts pour la réalisation, la modification ou l’extension des ouvrages, ce qui emporte une nouvelle incompatibilité. Enfin, le recours au crédit-bail prévu par le contrat permettant au délégataire de service public, ou concessionnaire, de financer les constructions est contraire aux dispositions de l’article L. 34-7 du Code du domaine de l’État. Ce n’est que depuis la loi du 12 mai 2009 (n° 2009-526 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, JORF 13 mai 2009 p. 7920) que le recours à cette technique contractuelle est autorisée pour les constructions édifiées sur le domaine public affectées soit à un service public faisant l’objet d’un aménagement indispensable, soit à l’usage direct du public. La loi du 25 juillet 1994, reprise par le Code de 2006, n’autorisait la conclusion de ces contrats que lorsque le bien ne recevait aucune affectation. L’incompatibilité retenue par le juge administratif est ici circonstanciée car le contrat de délégation de service public est conclu en 2005 – et les délibérations attaquées datent du 19 février 2009 -, le recours au crédit-bail est toutefois possible pour les délégataires de service public lorsque le contrat est conclu après l’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.
Aux confins du droit de la domanialité publique et du droit privé, le recours à cette technique contractuelle fait apparaître ce que certains membres de la doctrine nomment d’ores-et-déjà le bail à construction « administratif » (Ph. Yolka, « À propos du « bail à construction administratif », AJDA 2016 p. 1145). Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, le bail à construction subirait le même sort que les autres contrats au contact du domaine public en endurant une phase d’administrativisation. Comme le souligne Jean-Bernard Auby : « lorsqu’ils sont utilisés par l’administration, les montages contractuels ou patrimoniaux de droit privé subissent une mutation, qui les rend souvent méconnaissables » (« À propos de la notion d’exorbitance du droit administratif », in F. Melleray (dir.), L’exorbitance du droit administratif en question(s), Poitiers, LGDJ, coll. de la Faculté de droit et des sciences sociales, p. 23).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique administrative 04 ; Art. 126.
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