Archive mensuelle 10 novembre 2021

ParJDA

Corruption et sociétés à participation publique : modalités de l’application de la législation anticorruption dans le droit italien aux organismes privés

Art. 380.

par Me Fausto Gaspari
Avvocato presso Quorum – Studio Legale e Tributario Associato
Cultore della materia di Diritto Amministrativo

presso l’Università Telematica « Mercatorum »

La corruption constitue sans aucun doute une véritable anomalie dans le système juridique italien, une mentalité, favorisée par une attitude culturelle répandue, qui a un impact sur la bonne performance de l’administration publique, en termes d’augmentation des dépenses publiques et de détérioration de la prestation de services. Cette question réapparaît dans le débat public en phases alternées et dans ces phases il y a un besoin croissant de doter le système juridique des moyens appropriés pour lutter contre la corruption.    

Il est possible de définir le phénomène de la corruption, outre la notion typique de droit pénal, avec une notion différente de droit administratif (M. CLARICH, B.G. MATTARELLA, La prevenzione della corruzione, in B.G. MATTARELLA, M. PELISSERO, La legge anticorruzione: Prevenzione e repressione della corruzione), qui est certainement plus large, car elle comprend non seulement des comportements criminels, mais aussi des comportements qui peuvent générer des situations d’illégalité et qui sont en tout cas indésirables pour le système juridique.

Cet article vous montre comment le législateur italien est intervenu sur le phénomène problématique de la corruption dans l’administration publique italienne, avec une attention particulière aux sociétés publiques, souvent considérées comme synonymes de mauvaise administration, de gaspillage et de corruption.

Ces sujets qui, au cours du siècle dernier, ont trouvé une diffusion tant en Italie qu’en France (E. ALLORIO, Società a partecipazione pubblica in Italia e in Francia, in JUS, 1965), malgré le fait qu’ils soient formellement organisés selon les règles du droit privé, présentent des éléments de droit public, puisqu’ils sont en tout état de cause totalement ou partiellement pris en charge par des organismes publics et, dans certains cas, ce sont des sujets auxquels sont attribuées des tâches d’administration publique, exerçant de véritables fonctions administratives.

Cet article – sans prétendre analyser la législation anticorruption (qui sera citée ci-dessous, en se référant aux études les plus complètes) – vise à examiner ces mêmes sujets, car l’affaiblissement progressif de la distinction claire entre public et privé et la tendance du modèle privé à être fongible, adapté à la réalisation d’objectifs d’intérêt public, posent des problèmes délicats à l’interprète, comme la possibilité de leur appliquer la législation anticorruption, non seulement l’efficacité de l’Administration – qui justifie le recours à des formes plus souples et plus flexibles de droit privé, à l’exception du fait que la création d’entités privées par des organismes publics est souvent utilisée pour contourner les contraintes des finances publiques – mais aussi le principe essentiel de légalité de l’activité administrative et les garanties qui s’y rattachent, ce qui exigerait en principe le maintien de la prééminence du droit public.

Les outils mis en place par le législateur italien pour la prévention de la corruption

Huit ans se sont écoulés depuis l’approbation de la principale législation sur la prévention de la corruption, constituée par la loi n° 190 du 6 novembre 2012, publiée en application directe de l’article 117, deuxième alinéa, lettre m), de la Constitution et afin d’assurer une prévention et une lutte plus efficaces contre la corruption et l’illégalité dans l’administration publique.

La loi prévoit des règles hétérogènes (cf. l’approfondissement fait par P. CLARIZIA, L’ambito soggettivo di applicazione della normativa anticorruzione, in M. NUNZIATA, Riflessioni in tema di lotta alla corruzione, 2017), ainsi que l’attribution de certains pouvoirs législatifs au gouvernement, mais en général, l’introduction de cette législation a marqué un tournant dans la lutte contre la corruption pour la législation italienne. C’est précisément avec la loi n° 190/2012 que l’Autorité nationale anticorruption (ANAC) a été introduite en Italie. En outre, le législateur italien a cherché à créer un système complet de prévention de la corruption, avec des instruments de droit administratif.

Cette intervention législative, en plus de l’approche traditionnelle basée exclusivement sur la poursuite pénale des personnes reconnues coupables de corruption, a cherché à poursuivre l’objectif de prévention de la corruption par le biais d’instruments administratifs d’une manière innovante dans le passé (R. CANTONE, La prevenzione della corruzione nelle società a partecipazione pubblica: le novità introdotte dalla “Riforma Madia della pubblica amministrazione, in Rivista delle società, 2018), en affectant les comportements précédemment autorisés. En outre, la législation a introduit l’impossibilité d’occuper certains postes, y compris dans des sociétés publiques.

Dans cette nouvelle logique, un rôle central est joué par le plan de prévention de la corruption (“Piano di prevenzione della corruzione”), adopté au niveau national par le ANAC et au niveau local par les différentes administrations, qui fournit des lignes directrices pour la planification de la prévention et de la lutte contre la corruption dans l’administration publique et jette les bases permettant aux administrations d’élaborer des plans triennaux de lutte contre la corruption.

Tout aussi importante est la personne responsable de la prévention de la corruption, présente dans chaque administration, généralement un gestionnaire qui, étant responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan, en cas d’incidents de corruption, doit démontrer qu’il a mis en place toutes les mesures nécessaires pour prévenir et contenir le risqué (cf. M. CLARICH, B.G. MATTARELLA, La prevenzione della corruzione, in B.G. MATTARELLA, M. PELISSERO, La legge anticorruzione: Prevenzione e repressione della corruzione).

Parmi les mesures générales, la loi a introduit des mesures visant à limiter les conflits d’intérêts, en accordant une attention particulière à la position de l’agent public, qui est tenu de s’abstenir dans tous les cas où ses intérêts sont directement impliqués dans la procédure. Dans chaque administration sont donc prévus des codes de conduite pour les employés, dont le non-respect par le fonctionnaire est sanctionné par des mesures disciplinaires.

Afin d’inciter les membres de l’administration à contribuer à rendre l’administration plus transparente, le législateur a donc, avec l’art. 1, alinéa 51, de la loi n° 190 de 2012, eu le souci de protéger l’employé public qui signale les infractions, c’est-à-dire le dénommé whistleblower, figure sur laquelle le législateur européen est également intervenu avec la directive n° 1937 du 26 novembre 2019, par laquelle le Parlement européen et le Conseil réglementent la protection des whistleblower au sein de l’Union en introduisant des normes minimales communes de protection, afin de donner une uniformité aux règles nationales qui sont actuellement extrêmement fragmentées et hétérogènes.

Les mandats législatifs mentionnés ci-dessus ont conduit, entre autres, au décret législatif n° 33 du 14 mars 2013 (sur la publicité et la transparence dans les administrations publiques) et au décret législatif n° 39 du 8 avril 2013 (sur l’incompatibilité des charges dans les administrations publiques), qui ont complété le système règlementaire de prévention.

Le décret législatif n° 39 de 2013, en particulier, bien qu’avec des exceptions concernant les postes importants au niveau national, interdit l’occupation de postes de direction dans des organismes publics, y compris formellement privés, par ceux qui ont récemment occupé des fonctions politiques, afin de poursuivre l’objectif d’impartialité de l’administration.

Le décret législatif n° 33 de 2013, quant à lui, poursuit l’objectif de lutte contre la corruption et la mauvaise administration par la publication obligatoire d’une série de documents, permettant à toute personne non identifiée de les consulter en accédant aux sites institutionnels des administrations. Cet objectif a été renforcé par l’instrument d’accès civique généralisé, introduit par le décret législatif n° 97 de 2016.

Le domaine d’application des règlements

La structure originale de l’ensemble de règles en question n’indiquait pas son champ d’application exact et suscitait parfois des doutes quant à la possibilité d’inclure les sociétés à participation publique parmi les destinataires des règles.

Le problème a de bonnes raisons de se poser, car la législation italienne ne reconnaît pas expressément la nature publique des entreprises publiques. Au contraire, ces entités sont simplement définies comme des sociétés anonymes et sont inscrites au registre du commerce de la même manière que toutes les autres sociétés, avec pour conséquence que la confusion entre la pleine application du droit privé et la soumission des sociétés publiques aux règles du droit public reste vivante (cf. C. IBBA, Forma societaria e diritto pubblico, in Rivista di diritto civile, 2010).

En ce qui concerne l’application à ces entités des instruments visant à prévenir la corruption, le droit d’accès aux documents administratifs, qui est directement lié à la participation des personnes privées à la procédure administrative et qui prévoit aussi expressément des entités formellement privées parmi les destinataires des dispositions administratives relatives à l’accès aux documents, est certainement appliqué depuis un certain temps aux entreprises à participation publique.

L’acceptation de cette méthode extensive a conduit les juges administratifs, en certaines occasions, à reconnaître explicitement la compatibilité entre la légitimité d’être le destinataire des demandes d’accès et l’exercice d’activités à but lucratif (Cons. Stato, A.P., 5 septembre 2005, n. 5).

L’institution de l’accès aux documents administratifs a ainsi étendu son champ d’application, jusqu’à ce qu’elle reconnaisse désormais l’exercice de l’accès aux documents (y compris les documents de droit civil) également en relation avec des organismes privés formellement extérieurs à l’appareil administratif, puisqu’ils sont liés à la poursuite de l’intérêt public et soumis au principe d’impartialité, de sorte que ces actes, au moins aux fins de l’application des règles d’accès, sont classés comme de véritables actes administratifs.

Cette orientation est désormais fermement acceptée dans la jurisprudence et largement partagée par la doctrine.

L’application de la loi anti-corruption aux sociétés publiques

Il y a toutefois des doutes sur le fait que la législation anti-corruption puisse également s’appliquer aux entreprises publiques.

Le problème d’interprétation s’est posé, tout d’abord, en référence à la loi n° 190 de 2012, qui n’a jamais fait expressément référence aux entreprises publiques comme bénéficiaires de mesures anticorruption.

Cependant, dans certains de ses passages, la loi précitée semblait tendre vers leur attraction dans le système de prévention, et le premier plan national de lutte contre la corruption, approuvé par l’ANAC en 2013, prévoyait l’obligation d’appliquer ce même plan également aux entités de droit privé sous contrôle public et auxquelles participent les administrations publiques, également sous forme de sociétés.

Contrairement à la loi 190/2012, le décret législatif n° 39 de 2013, sur le thème de l’incompatibilité, prévoit l’application explicite de certaines de ses dispositions également aux “organismes de droit privé sous contrôle public” (“enti di diritto privato in controllo pubblico”).

Le cadre règlementaire initial a toutefois été modifié par le décret-loi n° 90 du 24 juin 2014, qui a étendu les obligations de transparence des entreprises publiques, en les assimilant – en ce qui concerne les activités d’intérêt public – aux organismes publics au sens strict, bien qu’avec un régime différencié et différemment gradué pour les “société sous contrôle public” (“società controllate”) et les simples sociétés à participation publique; cette distinction a été reprise par l’ANAC dans la détermination n° 8 du 17 juin 2015, contenant les lignes directrices pour l’application de la législation sur la prévention de la corruption et la transparence des entreprises publiques.

La prévention de la corruption après la loi sur les sociétés de participation publique

Le législateur italien a rassemblé la réglementation des entreprises publiques dans le décret législatif n° 175 du 19 août 2016 (“Testo Unico in materia di società a partecipazione pubblica”). Ce décret a pour objet la création de sociétés par les administrations publiques, ainsi que l’acquisition, le maintien et la gestion de participations par ces mêmes administrations, dans des sociétés à participation publique directe ou indirecte, totale ou partielle.

Le décret sur les sociétés publiques fait référence aux sociétés à participation publique (“società a partecipazione pubblica”), une définition qui inclut les sociétés sous contrôle public, ainsi que d’autres sociétés détenues directement par les administrations publiques ou par des sociétés sous contrôle public. Les sociétés cotées sont exclues, sauf pour les articles (à vrai dire, peu d’entre eux) qui y font expressément référence. Les sociétés sous contrôle public sont définies comme les entreprises dans lesquelles une ou plusieurs administrations publiques exercent des pouvoirs de contrôle.

Le décret reconnaît une connotation nettement privée aux sociétés à participation publique, prévoyant que pour toutes les questions non prévues dans le décret, les règles sur les sociétés contenues dans le Code civil et les règles générales de droit privé s’appliquent aux sociétés à participation publique.

En ce qui concerne les effets sur la prévention de la corruption, il est intéressant de noter que le décret ne fait jamais explicitement référence à la “prévention de la corruption”, mais malgré cela, le décret comporte des dispositions visant à réduire les incidents de corruption dans les entreprises publiques.

Il s’agit notamment des règles qui introduisent l’obligation de sélection transparente pour la recherche de personnel, en appliquant les règles d’économie, de rapidité, de décentralisation et d’égalité des chances à la sélection du personnel des entreprises sous contrôle public. Ainsi, bien que les règles de “concurrence publique” ne soient pas prévues, les contraintes pour assurer la bonne exécution des procédures de sélection sont renforcées.

Dans le même but, les dispositions exigeant une rationalisation des participations et une réduction du champ d’activité des entreprises publiques tendent à réduire les effets négatifs des entreprises bénéficiaires d’investissements, y compris, outre les dépenses publiques, la corruption.

Le même décret législatif fait également référence au décret législatif n° 33 de 2013, en ajoutant une obligation supplémentaire de publicité sur les sites web institutionnels des entreprises, en la renforçant par le recours à des sanctions et en reconnaissant expressément l’application des dispositions sur l’incompatibilité des nominations contenues dans le décret législatif n° 39/2013.

Les obligations de transparence des entreprises publiques ont été renforcées par le décret législatif n° 97 du 25 mai 2016, par la reconnaissance d’un droit civique “généralisé” d’accès aux documents publics, selon le modèle de le Freedom of Information Act;modèle expressément applicable également aux sociétés à participation publique, à l’exclusion des sociétés cotées en bourse. Cette réglementation de l’accès aux documents s’applique donc également aux entreprises publiques, mais uniquement aux données et documents relatifs à l’activité d’intérêt public.


Compte tenu des interventions qui ont été brièvement passées en revue, on ne peut nier que le législateur a fait un effort pour limiter le phénomène néfaste de la corruption et que, en ce qui concerne les entités privées, il l’a fait en ramenant dans la sphère publique des contrôles des entités formellement privées, au sein desquelles la forme privée risque de dissimuler la mauvaise administration.  

L’espoir, toutefois, étant donné que les phénomènes de corruption continuent à être répandus, est que le législateur continue à intervenir de manière plus systématique pour règlementer les activités de ces entités, afin de garantir les principes indispensables de transparence, d’égalité de traitement et de proportionnalité, typiques de l’activité administrative, couvrant de manière quasi totalitaire le vaste conglomérat des entités qui exercent actuellement des activités d’intérêt public.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016-2021 ; chronique administrative ; Art. 380

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Précision et imprécisions sur la légalité des redevances pour service rendu

Art. 379.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par M. Henri Bouillon
maître de conférences de droit public
à l’Université de Franche-Comté, CRJFC (EA 3225)

Précision et imprécisions sur la légalité des redevances pour service rendu.
Note sous CE, 28 nov. 2018, SNCF réseau, n° 413839

Dans un contexte budgétaire contraint, que la pandémie du coronavirus n’aura pas contribué à améliorer, les redevances pour service rendu sont devenues une modalité essentielle de financement du service public[1]. Traditionnellement réservées au service public industriel et commercial (SPIC), les redevances prolifèrent également dans les services publics administratifs (SPA) facultatifs, dès lors que le Conseil d’État a refusé de consacrer un principe de gratuité du SPA (CE, ass., 18 juillet 1996, Société Direct Mail Promotion, n° 168702). Logiquement, la présence de plus en plus massive de telles redevances génère des contentieux nombreux quant à la légalité ou au calcul de ces redevances. La jurisprudence tant judiciaire qu’administrative est donc prolixe en la matière.

L’arrêt SNCF Réseau (CE, 28 novembre 2018, n° 413839) énonce, dans un considérant de principe inédit – et critiquable –, les conditions, maintenant classiques, que doivent respecter les redevances pour être légalement instituées.

Sur le fondement du traité conclu entre la France et le Royaume-Uni le 12 février 1986, concernant la construction et l’exploitation par des sociétés privées concessionnaires d’une liaison fixe transmanche, les gouvernements français et britannique ont fixé des règles de sûreté, qui imposent en particulier aux entreprises ferroviaires de procéder à des contrôles visant notamment à prévenir la présence de personnes non autorisées à bord des trains empruntant la liaison transmanche. Les entreprises privées exploitant les lignes de train empruntant le tunnel sous la Manche doivent ainsi se soumettre à ces règles de sécurité. Pour permettre la mise en œuvre de ces exigences, l’ancien établissement public industriel et commercial (EPIC) Réseau ferré de France (RFF) a, à partir de 2012, proposé aux entreprises ferroviaires de marchandises circulant sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun, point de passage obligatoire pour l’ensemble des trains de marchandises empruntant le tunnel sous la Manche, une prestation dite « de sûreté », comprenant la détection de personnes non autorisées à bord des trains, la surveillance par le poste de vidéosurveillance et le gardiennage de la rame après contrôle et jusqu’au départ du train. En contrepartie de cette prestation, RFF a institué une redevance pour prestation complémentaire, dite « redevance de sûreté », introduite dans les documents de référence pour les horaires de service 2012, 2013 et 2014, année à partir de laquelle Eurotunnel a repris en charge ce service.

La Société Euro Cargo Rail a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler les dispositions des documents de références « Horaires de service » pour les années 2012, 2013 et 2014, adoptées par Réseau ferré de France (RFF) devenu SNCF Réseau, relatives à cette redevance de sûreté et le refus d’abroger ces dispositions. La société conteste en deuxième lieu la décision du 26 octobre 2012 par laquelle RFF a rejeté sa demande tendant à ce qu’il renonce à lui appliquer la redevance et les décisions rejetant les recours formés contre seize factures relatives à la redevance. Elle demande en troisième lieu au juge d’enjoindre à RFF de lui adresser les avoirs correspondant aux factures émises à son encontre au titre de la redevance.

Par un jugement n° 1306517/2-1 et 1402804/2-1 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes. La société ayant fait appel, la Cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement par un arrêt n° 15PA00819 du 28 juin 2017. Faisant droit aux demandes de la société, la Cour a censuré les dispositions des documents de référence « Horaires de service » relatives à la redevance de sûreté et le refus de RFF d’abroger ces dispositions. Elle a en conséquence condamné SNCF Réseau à verser à la société Euro Cargo Rail les sommes acquittées par cette dernière au titre de la redevance de sûreté. SNCF Réseau s’est pourvu en cassation afin de voir le Conseil d’État annuler cet arrêt et régler l’affaire au fond.

Saisi de la question de la légalité des redevances instituées et de leur application à la société Euro Cargo Rail, le Conseil d’État casse et annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel. D’une part, il considère que le litige relatif au paiement de la redevance par la société Euro Cargo Rail ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative ; sur ce point, le juge reprend une jurisprudence constante, qui n’appellera ici que quelques brefs rappels (I). D’autre part, le juge administratif se prononce sur la légalité de la redevance pour service rendu et casse l’arrêt d’appel pour avoir jugé que la prestation de sûreté litigieuse ne pouvait faire l’objet d’une redevance pour service rendu ; c’est sur ce second point que l’arrêt commenté présente un véritable intérêt et c’est sur lui que s’attardera davantage ce commentaire (II).

I. Le morcellement de la compétence juridictionnelle relative au contentieux des redevances perçues par un EPIC

En vertu de l’article L. 2111-9 du Code des transports, Réseau ferré de France (RFF), et après lui SNCF Réseau, était un EPIC. Le juge administratif a donc dû se prononcer sur sa compétence, avant même de trancher le litige qui lui était soumis. Dans le point 4, l’arrêt prend soin de rappeler que « lorsqu’un établissement tient de la loi la qualité d’établissement public à caractère industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux qui sont relatifs à celles de ces activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ». Une telle solution est désormais bien assise en jurisprudence (CE, 2 février 2004, Blanckeman, n° 247369 ; TC, 29 décembre 2004, Époux Blanckeman c/ Voies navigables de France, n° C3416 ; CE, 3 octobre 2018, Société Sonorbois, n° 410946). Évoquons ce principe (A), avant de l’appliquer plus spécifiquement à la question des redevances (B).

A. La répartition des compétences juridictionnelles pour les actes d’un EPIC

Le principe est qu’un EPIC est soumis au droit privé et que les litiges qui peuvent s’élever à l’occasion de ses activités relèvent de la compétence du juge judiciaire. En effet, un EPIC est en principe gestionnaire d’un SPIC, placé sous l’empire du droit privé. Soumis au droit privé, il relève aussi de la juridiction judiciaire, notamment pour les litiges qui l’opposent à ses usagers. « En raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître de l’action formée par l’usager contre les personnes participant à l’exploitation du service » (CE, 5 novembre 2014, Syndicat d’agglomération nouvelle de la ville de Fos, n° 365591, point 2 ; TC, 3 juillet 2017, Office national des forêts et Syndicat mixte à la carte du Haut Val de Sèvre et Sud Gatine, n° C4084), y compris dans l’hypothèse où existe une chaîne contractuelle (Cass. 1e civ., 14 novembre 2019, Société Peugeot Citroën automobiles c/ SNCF Réseau, n° 18-21.664). Dès lors, « en présence d’un SPIC, le juge judiciaire sera, en vertu d’une jurisprudence constante, compétent pour entendre des recours engagés par l’usager, qu’ils aient trait à la reconnaissance de la qualité d’usager, à la fourniture de la prestation ou à la réparation d’un préjudice né du fonctionnement du service. Le lien de droit privé unissant l’usager et le gestionnaire du SPIC entraîne ainsi la constitution d’un bloc de compétence au profit du juge judiciaire. »[2]

Par exception à ce bloc de compétence néanmoins, l’EPIC sera soumis au droit public et au juge administratif lorsqu’il met en œuvre une compétence révélant la puissance publique. Pouvoir exorbitant du droit commun, la puissance publique peut selon nous se manifester de deux manières distinctes : soit par des compétences exorbitantes, c’est-à-dire par des activités que ne peuvent exercer les particuliers comme la réglementation, la police ou le contrôle (TC, 29 décembre 2004, Époux Blanckeman c/ Voies navigables de France, n° C3416) ; soit par des moyens exorbitants, des prérogatives de puissance publique, c’est-à-dire des procédés qui facilitent la mise en œuvre d’une compétence – exorbitantes ou non – et que ne possèdent normalement pas les particuliers, comme le monopole de l’activité ou le caractère exécutoire des actes unilatéraux adoptés. La puissance publique peut donc transparaître au niveau des compétences exorbitantes ou des prérogatives de puissance publique[3]. La puissance publique est présente dans les deux occurrences, mais elle n’est pas nécessairement soumise aux mêmes règles juridiques : le droit de la concurrence, par exemple, ne s’applique pas aux compétences exorbitantes, par principe hors marché puisque n’étant pas exercées par les particuliers, mais il peut s’appliquer aux prérogatives de puissance publique si celles-ci accompagnent une compétence non exorbitante et peuvent ainsi troubler l’égale concurrence[4]. L’EPIC sera ainsi soumis au juge administratif pour ses compétences exorbitantes, c’est-à-dire pour ses « activités qui sont, par nature, insusceptibles d’être qualifiées de service public à caractère industriel et commercial, car l’établissement public y fait usage […] de [la] puissance publique »[5].

Une telle grille de répartition des compétences juridictionnelles s’applique bien évidemment à la question des redevances pour service rendu.

B. La répartition des compétences juridictionnelles pour les redevances d’un EPIC

En l’espèce, le litige s’élève entre un EPIC (RFF) et l’un de ses usagers (la société Euro Cargo Rail), à propos des tarifs des redevances pour service rendu instituées et perçues par RFF.

Quant à la question du juge compétent, la situation est délicate, car il faut distinguer deux types de mesures relatives aux redevances, chacune relevant d’un ordre de juridiction distinct : la détermination réglementaire du tarif des redevances et l’application individuelle de ses tarifs aux usagers. La première mesure, par laquelle « l’administration fixe unilatéralement et de manière impersonnelle le montant ou les modalités de recouvrement d’une redevance devant lui permettre d’accomplir une mission de service public »[6], relève du juge administratif ; celui-ci sera donc compétent, notamment par voie de question préjudicielle, pour se prononcer sur la légalité de l’acte réglementaire d’organisation du service par lequel a été fixé le tarif de la redevance (Cass. com., 26 février 2002, Commune Breurey-lès-Faverney, n° 99-12.844 ; CE, 3 octobre 2003, Peyron, n° 242967). La seconde mesure, appliquant individuellement aux usagers les redevances fixées et qui est donc indétachable de la gestion du SPIC, doit être contestée devant le juge judiciaire ; dès lors qu’il y a un SPIC, « il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à l’assiette et au recouvrement des redevances qui sont réclamées aux usagers de ce service » (TC, 12 octobre 2015, Communauté de communes de la vallée du Lot et du vignoble, n° C4024)

Ici, le juge administratif décline donc sa compétence pour le litige relatif au paiement de la redevance par la société Euro Cargo Rail, litige individuel entre un usager et le gestionnaire du SPIC. Pour casser l’arrêt d’appel, le Conseil d’État relève en effet que la prestation de sûreté qui est la contrepartie de la redevance litigieuse « consiste à contrôler et à surveiller les installations et les trains de marchandises, notamment pour prévenir la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains devant emprunter le tunnel sous la Manche ». Or lorsque la présence de telles personnes est détectée, les agents de sécurité font appel aux forces de police compétentes, sans pouvoir exercer de contrainte envers les personnes qui refuseraient d’obtempérer (point 5). « Les agents chargés de cette mission ne disposaient pas de pouvoirs exorbitants d’arrestation, de rétention ou de verbalisation. »[7] Il en résulte que ces opérations matérielles ne manifestent pas l’exercice, par RFF, de la puissance publique et ne se détachent pas de la gestion du SPIC. Le juge administratif est donc incompétent pour se prononcer sur le litige qui s’est élevé entre la société et RFF à propos des factures adressées par l’EPIC à son usager.

Mais l’incompétence du juge administratif est limitée à ce point. Car la juridiction administrative retrouve un chef de compétence avec les actes réglementaires d’organisation du service public, que ce service soit administratif ou bien industriel et commercial (TC, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, n° 01420 ; CE, 22 juillet 2009, Compagnie des bateaux-mouches, n° 298470). Détachables de la gestion (privée) du SPIC, ces actes révèlent toujours la puissance publique, car la compétence de créer, d’organiser et de supprimer un service public, qu’il soit administratif ou industriel et commercial, est une compétence exorbitante. Tel est le cas, comme l’expose l’arrêt Peyron précité, de la décision réglementaire instituant les redevances pour service rendu et fixant leur tarif, mais aussi de la décision de refus de les abroger ou de les modifier.

C’est pourquoi, dans notre arrêt, le Conseil d’État ne se déclare incompétent que pour une partie seulement des demandes et se prononce sur la légalité des redevances instituées. C’est sur ce point que sa décision possède le plus d’attrait.

II. La formalisation des principes d’institution d’une redevance pour service rendu

Contrairement à beaucoup de litiges relatifs aux redevances, ce n’est pas la question de son montant qui est ici soulevée devant le juge, cette question donnant lieu à une abondante jurisprudence (CE, ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n° 293229 ; CE, 26 juillet 2011, Société Air France, n° 329818 ; CE, 14 novembre 2018, Centre de détention de Joux-la-Ville, n° 418788).

La question de droit porte ici, non pas sur le tarif de la redevance, mais sur la possibilité même de l’instituer, c’est-à-dire sur la régularité du versement d’une redevance par l’usager du service public. Ce problème est en quelque sorte antérieur au calcul du montant de la redevance car, avant d’en déterminer le tarif, il faut bien que la redevance soit – légalement – instituée. Si la redevance est déclarée illégale, seule est possible l’institution d’une taxe, qui peut être applicable à l’ensemble des contribuables plutôt qu’aux seuls usagers du service (CE, 12 mars 2021, Société BPCE Lease Immo, n° 442583, point 3) ; la différence tient alors à l’autorité compétente pour l’instituer, puisque c’est alors au législateur, et non plus au pouvoir réglementaire, qu’il revient d’instaurer cette taxe, sur le fondement de l’article 34 de la Constitution et du principe du consentement à l’impôt posé à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Or, sur ce point, le point 6 de l’arrêt commenté énonce, pour la première fois d’une façon aussi claire, un principe général : « une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d’une part, que les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’État et, d’autre part, qu’elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés ». Sans distinguer selon que la redevance est une contrepartie d’un SPA ou d’un SPIC (ce qui doit être relevé) et en éludant (malheureusement) les cas où le législateur a permis l’institution d’une telle redevance, l’arrêt « opère une synthèse des jurisprudences relatives à la légalité des redevances pour service rendu »[8], en posant deux conditions pour qu’une redevance pour service rendu soit instituée : la première condition veut que la redevance assure le financement d’activités ne relevant pas « par nature » de l’État (A), la seconde qu’elle trouve une contrepartie directe dans la prestation dont bénéficie en propre l’usager à qui sont appliquées les redevances (B).

A. La redevance, financement d’activités ne relevant pas « par nature » de l’État

La première condition posée par notre arrêt pour qu’une redevance pour service rendu soit légale est que « les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’État » (point 6). La formulation est a priori peu éclairante. Car il faudrait encore savoir ce que sont et quelles sont les « missions qui incombent par nature à l’État ». L’idée du « par nature » pose à cet égard question.

Elle n’est pas étrangère à la jurisprudence et à la doctrine administratives.

Comment ne pas citer les fameuses conclusions du commissaire du gouvernement Matter sur l’arrêt Bac d’Eloka (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, n° 00706) ? Paul Matter distingue en effet les activités qui relèvent « par nature » de l’État et celles qu’il exerce seulement s’il y a à la fois carence de l’initiative privée et intérêt général : « certains services sont de la nature, de l’essence même de l’État ou de l’administration publique ; il est nécessaire que le principe de la séparation des pouvoirs en garantisse le plein exercice, et leur contentieux sera de la compétence administrative. D’autres services, au contraire, sont de nature privée, et s’ils sont entrepris par l’État, ce n’est qu’accidentellement, parce que nul particulier ne s’en est chargé, et qu’il importe de les assurer dans un intérêt général ; les contestations que soulève leur exploitation ressortissent naturellement de la juridiction de droit commun. »[9] De cette distinction, Matter déduit la distinction des SPA et des SPIC, les premiers, revenant par nature à l’État, étant soumis au droit public et au juge administratif, les seconds, que l’État ne gère que par accident, au droit privé et aux juridictions judiciaires. Il entend ainsi faire reposer la dualité des services publics sur la nature des choses. « Un service de l’État sera toujours un service de « nature publique » s’il correspond à l’exercice de ses « fonctions naturelles » ou « nécessaires ». […] L’essentiel pour P. Matter est d’affirmer qu’un service qui ne se rattache pas à la fonction naturelle de l’État ne saurait changer de nature pour cette raison qu’il est assuré par l’État dans un dessein d’intérêt général : il demeure un service de nature privée. »[10] Une telle conception est intéressante pour notre propos : elle entend en effet associer intimement le service public – celui qui est « par nature » attachée à l’État – à la puissance publique et réconcilier ainsi les deux membres de ce couple célèbre. En effet, « la thèse du service public « par nature » consiste à affirmer que toutes les activités relevant des fonctions « naturelles » de l’État sont des activités de service public assorties de prérogatives de puissance publique et sont soumises à un régime de droit public. »[11] Rapprochées de notre arrêt, les conclusions Matter font voir pourquoi la redevance pour service rendu ne peut être instituée pour les SPA obligatoires.

Tel est d’ailleurs ce qui ressort de la jurisprudence administrative. En jugeant, en l’espèce, qu’une mission revenant par nature à l’État ne peut faire l’objet d’une redevance pour service rendu, le Conseil d’État n’innove pas. Il avait déjà considéré que « l’exercice par la gendarmerie nationale des missions de surveillance et de sécurité des usagers qui par nature incombe à l’État » ne peut faire l’objet d’une redevance pour service rendu (CE, Ass., 30 octobre 1996, Wajs et Monnier, n° 136071 et 142688). De même, l’arrêt Centre de détention de Joux-la-Ville (CE, 14 novembre 2018, n° 418788) a admis que la société délégataire du réseau de téléphonie fixe d’un établissement pénitentiaire ne pouvait inclure dans le montant de la redevance demandée aux détenus les frais engagés pour contrôler les communications téléphoniques, car ce contrôle se rattache « aux missions générales de police qui, par nature, incombent à l’État. Les dépenses auxquelles elles donnent lieu, qui ne sont pas exposées dans l’intérêt direct des détenus, ne sauraient dès lors être financées par le tarif des communications téléphoniques perçu auprès des usagers en contrepartie du service qui leur est rendu ». La redevance ne pouvait donc pas couvrir le montant des dépenses de police (il s’agit ici davantage du calcul de la redevance que de la légalité de son institution, même si l’on voit la parenté étroite des deux questions). L’idée du « par nature » était donc déjà présente dans la jurisprudence administrative, également pour sanctuariser une certaine unité entre service public et puissance publique, en l’espèce pour dénier au service public manifestant la puissance publique la possibilité d’être facturé à l’usager.

Dans un cas comme dans l’autre, il ne faut toutefois pas se dissimuler l’artifice démonstratif de cette invocation de la nature des choses. « Le « par nature » coupe court à tout débat, celui-ci est rendu impossible. Ce qui est « par nature » ne se discute pas puisque nous étant imposé par une sorte de « loi » étrange qui nous est extérieure (et par là étrangère). »[12] De telle sorte que l’idée du « par nature » ne justifie rien et ne motive pas vraiment la décision du juge.

D’un point de vue pratique, il est ainsi particulièrement difficile de savoir concrètement quelle mission relève « par nature » de l’État et, donc, dans quels cas l’instauration d’une redevance pour service rendu sera illégale. Cette première condition semble donc délicate à manier. On peut simplement constater, à la lecture de l’arrêt, que le juge ne tient pas compte du caractère obligatoire ou facultatif du service public. « Cela autorise à penser que cette donnée est indifférente pour déterminer si une prestation relève ou non d’une mission incombant par nature à l’État ; autrement dit, qu’une activité de service public administratif obligatoire ne relève pas de jure d’une telle mission. »[13] Mais cette précision, sans être dénuée d’intérêt, reste tout de même peu éclairante.

Il nous semble que, à cette idée de missions « par nature », aurait pu être préférée celle de compétences exorbitantes, déjà évoquée. Nous avons défini une compétence exorbitante comme celle qui donne à son titulaire « la faculté de faire un acte qu’un particulier ne peut faire. Une compétence est une habilitation juridique à agir, c’est-à-dire à accomplir certains actes : la faculté de faire un acte juridique ou matériel – exorbitant ou non d’ailleurs – résulte d’une telle habilitation juridique. Une compétence peut ainsi permettre à son titulaire d’accomplir des actes (juridiques ou matériels) exorbitants, que ne peuvent réaliser les particuliers. Si tel est le cas, on se trouve en présence d’un pouvoir d’action juridique exorbitant et, donc, de la puissance publique. »[14] Traduction de la puissance publique, la compétence exorbitante est une notion éminemment relative : elle est celle qui, à un moment donné, permet de faire des actes étrangers à ceux qui sont au pouvoir des particuliers. Que ce qui est au pouvoir des particuliers vienne à changer et la compétence perdra son exorbitance et, en conséquence, ne véhiculera plus la puissance publique. Aussi la compétence exorbitante « ne désigne pas une compétence qui appartiendrait par nature à l’État, mais une compétence qui, à un moment donné et en un pays défini, est détenue et exercée par l’État »[15]. On voit ainsi l’opposition qui existe entre cette notion de compétence exorbitante, relative, et l’idée de mission relevant « par nature » de l’État, laquelle relève plutôt d’une motivation péremptoire que d’une démonstration juridique rigoureuse.

Notre cas d’espèce atteste, nous semble-t-il, de la pertinence de la notion de compétence exorbitante. Revenons au raisonnement du Conseil d’État. Celui-ci indique que les entreprises ferroviaires peuvent prendre directement en charge ce contrôle si elles le souhaitent, ce qui les exonère alors du paiement de la redevance pour service rendu. En conséquence, puisque les entreprises peuvent prendre elles-mêmes en charge le contrôle de sécurité en cause ou solliciter des entreprises de sécurité privée pour le réaliser, la redevance litigieuse doit être regardée comme finançant des opérations qui ne relèvent pas de missions qui incombent « par nature » à l’État (point 7). Le juge s’appuie bel et bien sur une comparaison des activités de l’État avec celles des particuliers pour établir que la mission n’est pas de celle qui relève « par nature » de l’État. Mais on voit bien qu’il suffirait d’un changement de réglementation pour que cette mission ne soit plus liée « par nature » à l’État. L’idée de nature des choses est donc inappropriée, philosophiquement pourrait-on dire, puisqu’elle exclut la contingence et induit au contraire une propriété congénitale. C’est pourquoi l’idée de compétence exorbitante, telle que nous l’avons définie, explique mieux l’analyse qu’opère le juge in concreto quant au caractère de l’activité exercée et permet surtout de la lier à la notion de puissance publique qui justifie l’application du droit public. Comme le souligne Guillaume Odinet, qui après avoir été rapporteur public sur l’affaire s’en fait commentateur, « l’expression « par nature » vis[e] moins, selon nous, à cibler le cœur immuable des missions de l’État (défense, justice, répression, ordre public, etc.) qu’à souligner le rattachement direct à l’action de la puissance publique. »[16]

Il nous semble donc que, pour établir la légalité d’une redevance, le Conseil d’État aurait pu se référer à l’idée de « compétence exorbitante » (ou à un autre terme véhiculant la même idée), plutôt qu’à celle de mission relevant « par nature » de l’État, qui ne dit pas grand-chose et répond mal à l’analyse qu’il effectue. Ce changement de terminologie aurait permis d’indiquer que la redevance pour service rendu est inenvisageable pour les activités que les particuliers ne peuvent effectuer eux-mêmes et que seule la puissance publique peut réaliser, mais qu’elle est au contraire possible pour les activités pouvant être mises en œuvre par les entreprises, comme en témoigne l’application de cette règle en l’espèce.

L’arrêt pose une deuxième condition à la création d’une redevance, qui soulève moins de difficultés théoriques.

B. La redevance, contrepartie du service rendu

La deuxième condition d’institution d’une redevance pour service rendu est que celle-ci « trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés » (point 6).

Rappelons qu’une redevance se définit comme une somme « demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d’un service public déterminé ou les frais d’entretien d’un ouvrage public, et qui trouve sa contrepartie directe dans les prestations fournies par le service ou dans l’utilisation de l’ouvrage. » (CE, ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens (SNTA), n° 30693) La redevance comprend ainsi trois critères : 1° elle est versée par l’usager ; 2° elle permet de couvrir les charges inhérentes au service public ou à l’ouvrage public[17] ; 3° elle constitue la contrepartie de l’avantage procuré à l’usager par les prestations du service ou par l’utilisation de l’ouvrage.

Pour nous en tenir à la redevance pour service rendu (en excluant la redevance domaniale), elle apparaît comme la contrepartie d’un service : il faut qu’il y ait un service effectivement rendu à l’usager, et dont la redevance est la contrepartie, sans quoi son institution est illégale (CE, sect., 10 février 1995, Chambre syndicale du transport aérien, n° 148035) ; en l’absence de contrepartie, seule une taxe peut être instituée (CE, 5 octobre 2020, SA Le Nickel, n° 423928).

En l’espèce, la redevance est la contrepartie de prestations de contrôle, de surveillance et de gardiennage des trains de marchandises stationnés sur le site du faisceau du tunnel de Calais-Fréthun. Ce service fourni par RFF jusqu’en 2014 comprend notamment la détection de la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains. Le Conseil d’État prend soin de rappeler que, en vertu des accords internationaux avec le Royaume-Uni, ces contrôles sont obligatoires pour l’accès des trains de marchandises au tunnel sous la Manche, même si les entreprises peuvent les assurer elles-mêmes. Il en déduit que la redevance est légale, car elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue aux entreprises (usagers du service) qui veulent faire circuler des trains de marchandises dans le tunnel sous la Manche. La Cour administrative d’appel de Paris a inexactement qualifié les faits en jugeant que la prestation de sûreté litigieuse ne pouvait faire l’objet d’une redevance.

Puisque les charges supportées par l’usager doivent lui être effectivement retournées sous forme de service rendu, il ne doit pas supporter de charges qui bénéficieraient, en fin de compte, à d’autres, notamment aux contribuables : c’est la notion de contrepartie réelle du service rendu.

Traditionnellement, étaient ainsi distinguées les activités du service public ayant « essentiellement pour objet un intérêt général » (CE, sect., 22 décembre 1978, Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux, n° 97730) et celles visant d’abord l’avantage des usagers. « Si le service vise essentiellement l’intérêt général, son coût devra être supporté par la collectivité publique ; dans le cas contraire, s’il vise essentiellement l’intérêt d’une personne ou d’une entreprise, il pourra être financé par une redevance pour service rendu. »[18] La redevance doit peser sur l’usager qui va bénéficier individuellement du service qui est la contrepartie de la redevance acquittée. Dans l’arrêt Syndicat national des transporteurs aériens (CE, 13 novembre 1987, n° 57652) par exemple, il était question d’une redevance pour atténuation des nuisances phoniques imposée aux compagnies aériennes. Or, cette redevance avait « essentiellement pour objet la protection des populations riveraines ». Dès lors, malgré la nécessité d’atténuer ces nuisances pour les riverains, la redevance était irrégulièrement adoptée par le pouvoir réglementaire, car elle n’était « la contrepartie d’aucune prestation servie par l’exploitant d’aérodrome aux exploitants d’aéronefs », mais remplissant un but d’intérêt général ; elle ne pouvait être qu’une taxe et ne pouvait donc résulter que de la loi.

En disant que la redevance doit trouver sa contrepartie directe dans une prestation rendue à des « usagers déterminés », l’arrêt ne rompt pas avec la jurisprudence antérieure mais n’en épouse pas exactement les contours. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions précitées, si la redevance ne peut toujours être instituée que lorsque le service bénéficie effectivement à un usager précis, il n’est plus nécessaire de s’interroger sur le point de savoir si le service sert prioritairement l’intérêt général ou l’intérêt de l’usager. La redevance peut être légalement instituée dès lors que la « prestation [est] rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés ». Même si la prestation sert l’intérêt général, ce qui est d’ailleurs le but de tout service public, une redevance peut être instituée si l’usager retire un bénéfice individuel de cette prestation. Il n’est plus utile de se demander quel intérêt sert prioritairement le service public, tant cette question pouvait s’avérer indécidable. La formule de notre arrêt a aussi le mérite de « souligner que la contrepartie de l’usager ne peut résider simplement dans le fait qu’il tire un bénéfice diffus, au même titre qu’un nombre indéterminé de personnes, de la satisfaction de l’intérêt général. En d’autres termes, l’usager doit trouver dans le service qui lui est rendu un bénéfice qui soit distinct de cette satisfaction de l’intérêt général et qui lui soit propre, c’est-à-dire dont il soit le consommateur individuel. »[19]

Mais cette formule présente encore l’avantage d’englober aussi bien les usagers du SPIC que ceux du SPA lorsque ceux-ci peuvent être astreints au paiement d’une redevance, notamment lorsque le SPA dont ils bénéficient est facultatif ou offre des prestations supplémentaires individualisables (CE, 19 février 1988, SARL Pore Gestion, n° 49338).

C’est pourquoi les deux critères (activité ne revenant pas par nature à l’État et individualisation du bénéficiaire du service) doivent être lus en parallèle : si le second critère paraît ouvrir de nouvelle possibilité de tarification des services publics, le premier limite cette faculté aux services d’une certaine nature.

De ce principe de liaison entre la redevance et le service rendu, il résulte – mais c’est alors la question du montant de la redevance qui se pose, non plus celle de son institution – que le montant de la redevance doit être proportionnée au service rendu (CE, ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n° 293229), puisque les tarifs des SPIC, « qui servent de base à la détermination des redevances demandées aux usagers en vue de couvrir les charges du service, doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers » (CE, 31 juillet 2009, Ville de Grenoble, n° 296964 ; Cass., 1e civ., 8 novembre 2017, n° 16-18.859). Il reviendra en l’espèce à la société Euro Cargo Rail de contester le montant de la redevance instituée devant le juge administratif si elle s’y croit fondée et de saisir le juge judiciaire pour contester l’application individuelle qui lui est faite de cette grille tarifaire.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 379


[1] « Le financement du service public peut être défini comme l’opération juridique qui, sous le contrôle d’une collectivité publique, lui procure soit immédiatement des ressources en argent, soit lui procure des facilités en en atténuant les charges directes et indirectes des contraintes particulières d’intérêt général qui lui sont assignées. » (Louis Bahougne, Le financement du service public, LGDJ-Lextenso, coll. Bibliothèque de droit public, t. 289, 2015, p. 30-31)

[2] Jean Sirinelli, « Les recours des usagers contre les gestionnaires de services publics », Dr. Adm., 2012, étude 1.

[3] Henri Bouillon, Recherche sur la définition du droit public, IRJS, coll. Bibliothèque des thèses, 2018, pp. 317-324.

[4] Henri Bouillon, thèse préc., p. 322-323.

[5] Guillaume Odinet, « Clarification des conditions d’institution d’une redevance pour service rendu. Conclusions sur CE, 28 novembre 2018 », AJDA, 2019, p. 129.

[6] Sébastien Jeannard, « Redevances pour service rendu et compétences juridictionnelles », RFFP, 2012, p. 81.

[7] Guillaume Odinet, concl. précit..

[8] Romain Bony-Cisternes, « Redevance des établissements publics industriels et commerciaux : quelles conditions pour sa mise en place ? », AJCT, 2019, p. 100.

[9] Paul Matter, « Conclusions sur TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’ouest africain », Les grandes conclusions de la jurisprudence administrative, Hervé de Gaudemar et David Mongoin (dir.), LGDJ-Lextenso, 2015, vol. 1, p. 659.

[10] Sandrine Garceries, L’élaboration d’une notion juridique de service public industriel et commercial. Retour sur un instrument de la mise en œuvre d’une séparation du « politique » et de l’ »économique » en droit administratif français, thèse, Cergy-Pontoise, Patrice Chrétien (dir.), 2010, p. 520 et 521.

[11] Sabine Boussard, « L’éclatement des catégories de service public et la résurgence du « service public par nature » », RFDA, 2008, n° 1, p. 43.

[12] Jean-Marie Pontier, « Présentation générale : le mystère des faits », Les faits en droit administratif, Jean-Marie Pontier et Emmanuel Roux (dir.), PUAM, 2010, p. 48.

[13] Frédéric Alhama, « Les activités de service public insusceptibles d’être tarifiées », AJDA, 2019, p. 595.

[14] Henri Bouillon, thèse préc., p. 318.

[15] Henri Bouillon, thèse préc., p. 493.

[16] Guillaume Odinet, « Ce qui est facturable et ce qui ne l’est pas », Dr. adm., 2019, n° 9, comm. 9, p. 46.

[17] « Il y a redevance, et non pas taxe, que pour autant que la somme exigée n’incorpore pas des éléments qui n’auraient pas pour objet de couvrir les charges d’un service ou les frais d’établissement et d’entretien d’un ouvrage public. » (CE, Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public, DF, 2002, p. 18-19)

[18] Julien Mouchette, « Téléphoner en prison : le coût du contrôle des communications incombe à l’État. Note sous CE, 14 novembre 2018 », AJDA, 2019, p. 475.

[19] Guillaume Odinet, art. préc., p. 46.


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ParJDA

Actualités du service public hospitalier

Art. 378.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par M. Vincent Vioujas,
Directeur d’hôpital,
chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de sciences politiques
d’Aix-en-Provence (AMU), chercheur associé au Centre de droit de la santé
(UMR 7268 ADES, AMU/EFS/CNRS)

Il ne saurait être question, dans le cadre de cette chronique, de revenir en détails sur la « fabuleuse histoire du service public »[1], à laquelle le JDA a déjà consacré un article approfondi[2]. Tout au plus rappellera-t-on que celle-ci est marquée par une éclipse législative – mais non jurisprudentielle, le Conseil d’État ayant continué d’utiliser l’expression pendant cette période – de quelques années. La loi HPST du 21 juillet 2009 avait, en effet, supprimé toute référence à la notion dans le code de la santé publique, avant que celle-ci n’y fasse un retour triomphal suite à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Mais, pour risquer une comparaison avec une pratique très en vogue dans l’univers des séries télévisées, il s’agit davantage d’un reboot, autrement dit d’une nouvelle version, que d’une recréation de l’originale[3]. Alors que la loi Boulin du 31 décembre 1970 privilégiait une approche fonctionnelle du service public hospitalier, celui-ci se définit désormais davantage par un ensemble d’obligations que par une liste de missions spécifiques. En cela, le secteur de la santé n’échappe pas au mouvement fort bien décrit et analysé par Salim Ziani dans sa thèse qui voit progressivement, sous l’influence du droit de l’Union, le service public remplacé par la référence aux obligations de service public[4].

De fait, l’article L.6112-1 du code de la santé publique dispose que le service public hospitalier exerce l’ensemble des missions dévolues aux établissements de santé, auxquelles s’ajoute uniquement l’aide médicale urgente, dans le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, de continuité, d’adaptation et de neutralité et conformément aux obligations définies à l’article L.6112-2. Ce dernier comporte ainsi une longue énumération dont émerge nettement la garantie, au bénéfice des personnes prises en charge par les établissements de santé assurant le service public hospitalier, de l’absence de facturation de dépassements des tarifs conventionnels, qui semble en constituer le principal marqueur[5].

Ce bref rappel de la notion étant fait, il est maintenant temps d’examiner, sans prétention à l’exhaustivité, plusieurs éléments d’actualité récente tenant à son régime juridique.

I. Les accommodements avec les obligations du service public hospitalier

Comme indiqué précédemment, l’approche fonctionnelle privilégiée lors de la refondation du service public hospitalier en 2016 repose sur la définition d’un « bloc d’obligations »[6] considérées comme les sujétions propres à ce dernier. Mais le service public hospitalier ainsi envisagé ne se limite aux établissements publics de santé ou aux hôpitaux des armées, qui l’assurent de manière automatique. Il est, en effet, ouvert à tous les établissements privés qui peuvent être habilités, selon des modalités détaillées à l’article L.6112-3 du code de la santé publique, lorsque ces derniers s’engagent à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions prévues à l’article L.6112-2 du même code. Dès lors que celles-ci imposent notamment le respect des tarifs conventionnels, l’habilitation des établissements privés lucratifs est cependant demeurée théorique. Le service public hospitalier n’englobe donc, pour l’essentiel, que les établissements publics de santé et les hôpitaux militaires (par nature) et une grande partie des établissements privés à but non lucratif (par habilitation)[7]. Néanmoins, au sein même de cet ensemble, le bloc d’obligations apparaît moins compact qu’annoncé et comporte deux fissures, récemment confortées, qui constituent autant d’accommodements avec les garanties en principe opposables aux établissements s’agissant de l’absence de dépassements d’honoraires.

La première brèche, et la plus importante, concerne l’activité libérale des praticiens hospitaliers au sein des établissements publics de santé. Sans s’arrêter longuement sur ce dispositif, rappelons simplement qu’il a accompagné la création, en 1958, du temps plein hospitalier dans l’objectif affiché de garantir l’attractivité des carrières. A ce titre, les praticiens hospitaliers, initialement à temps plein[8], sont autorisés à exercer une activité libérale, à la condition de respecter un certain nombre d’exigences, et notamment que la durée de celle-ci n’excède pas 20% de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints[9]. Après une courte période de suppression suite à l’alternance de 1981, l’activité libérale a été réintroduite en 1987[10], sans avoir été remise en cause jusqu’à présent, même si son régime juridique a été modifié à plusieurs reprises afin d’en encadrer davantage la pratique. Bien que concernant un nombre limité de médecins[11], celle-ci est régulièrement critiquée, en particulier au regard de l’ampleur des dépassements d’honoraires appliqués dans ce cadre. Il faut dire que ces derniers peuvent parfois atteindre des niveaux importants, en moyenne plus élevés que dans le secteur privé[12].

Or la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a validé les dispositions précitées de l’article L.6112-2 du code de la santé publique à l’occasion de l’examen de la loi du 26 janvier 2016 interrogeait sur la compatibilité du maintien de ces dépassements avec le nouveau cadre du service public hospitalier imposant le respect des tarifs conventionnels. Celui-ci a, en effet, jugé que les dispositions qui prévoient l’absence de facturation de dépassements d’honoraires « s’appliquent identiquement à tous les établissements de santé publics ou privés assurant le service public hospitalier et aux professionnels de santé exerçant en leur sein », écartant de la sorte l’atteinte au principe d’égalité invoquée par les parlementaires à l’origine du recours[13]. Ce faisant, il paraissait s’éloigner de l’argumentaire du gouvernement qui, dans ses observations, estimait que le droit d’exercer une activité libérale constitue « un droit personnel (…), sans rapport avec l’obligation qui s’impose aux établissements publics de santé de proposer à tout patient la possibilité de se faire soigner sans dépassement d’honoraires ».

Une partie de la doctrine en a conclu à l’impossibilité de pratiquer une activité libérale en secteur 2 (« honoraires libres »)[14]. Cette conséquence de la décision du Conseil constitutionnel, en tout point contraire aux intentions du gouvernement qui entendait, tout au plus, mieux réguler son exercice, a rapidement conduit ce dernier à réagir. A l’occasion d’une ordonnance de mise en cohérence, l’article L.6154-2 du code de la santé publique a ainsi été modifié afin de préciser que les dispositions réglementaires fixant les modalités d’exercice de cette activité peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l’article L.6112-2 du même code (à savoir le respect des tarifs conventionnels)[15].

Si ces nouvelles dispositions permettent de préserver la situation antérieure de certains praticiens hospitaliers en établissement public de santé, elles aboutissent néanmoins à créer une différence de situation entre ces derniers et les établissements privés qui, pour obtenir une habilitation au service public hospitalier, doivent avoir recours à des médecins conventionnés en secteur 1. Examinées par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’État suite au refus d’habilitation opposé par un directeur général d’agence régionale de santé (ARS) à deux cliniques privées, elles ont néanmoins été déclarées conformes à la Constitution au prix d’un raisonnement qui peine à convaincre[16]. Accueillie fraîchement par la doctrine – le professeur Moquet-Anger observant férocement que « présidé par un ancien Premier ministre de François Mitterrand, le Conseil constitutionnel a renforcé le secteur d’activité libérale des praticiens hospitaliers que feux les abolitionnistes de 1982 avaient tant combattu »[17], – la décision du 21 juin 2019 souffre, en effet, de deux biais majeurs.

En premier lieu, afin d’écarter le grief invoqué d’une différence de traitement entre les patients des établissements publics de santé, le Conseil constitutionnel considère que, « lorsqu’ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens des établissements publics de santé n’interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier » (point 8). Or une telle affirmation s’avère, au mieux, réductrice et, le plus souvent, erronée. Le régime juridique de l’activité libérale à l’hôpital est en réalité bien plus complexe, ce qui n’est d’ailleurs pas sans soulever plusieurs difficultés[18]. Le patient n’est, en effet, placé dans une situation contractuelle de droit privé qu’à l’occasion de ses relations avec le seul médecin, ce qui ne pose pas de problème dans le cas d’une simple consultation externe. En revanche, pour les malades hospitalisés, l’exercice de l’activité libérale suppose une large mobilisation des moyens du service public hospitalier (personnel, prestations logistiques, locaux et matériel…) et son intrication avec ce dernier est donc bien plus étroite que le juge constitutionnel ne semble le penser. De même, dans l’hypothèse, fréquente eu égard à la pratique de l’activité libérale chez les chirurgiens, d’une intervention au bloc opératoire, le médecin anesthésiste, s’il n’exerce pas également dans le cadre d’une activité libérale, agit en tant que personnel hospitalier[19], au même titre que les autres professionnels (infirmiers anesthésistes, infirmiers de bloc opératoire…) qui concourent à la réalisation de l’acte. L’activité libérale ne chasse donc pas systématiquement le service public hospitalier.

En second lieu, le Conseil constitutionnel valide la différence de traitement entre établissements publics de santé et établissements privés habilités au service public hospitalier au prix d’une analyse tout aussi, voire plus, contestable. De manière classique et attendue, il commence, en effet, par rappeler que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différente de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Dans le cas d’espèce, le Conseil constitutionnel identifie bien une différence de situation à l’origine de cette différence de traitement. Sur ce point, il est exact que les praticiens hospitaliers à temps plein ont l’obligation statutaire de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et, le cas échéant, universitaires et que la possibilité d’exercer une activité libérale ne constitue qu’une exception limitée à cette exigence. A l’inverse, comme l’indique la décision, les médecins libéraux employés dans un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier « n’ont pas nécessairement vocation à y consacrer l’intégralité de leur carrière » et peuvent donc cumuler celle-ci avec la pratique d’une activité libérale non soumise à interdiction des dépassements d’honoraires, en ville ou dans un autre type d’établissement.

La validation de la différence de traitement ainsi reconnue au regard de l’objet de la loi prête en revanche davantage le flanc à la critique. Après avoir exposé les conditions encadrant la pratique de l’activité libérale à l’hôpital, le Conseil constitutionnel juge, en effet, que celle-ci vise « à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé » et que ce dernier permet « d’améliorer l’attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé » (point 10). Sans s’arrêter sur l’argument d’une qualité des soins qui ne serait pas garantie à l’hôpital sans l’activité libérale, déjà largement déconstruit par d’autres auteurs[20], force est de constater que les juges transforment subrepticement la question posée. Celle-ci ne portait pas, en effet, sur l’existence de l’activité libérale en elle-même, mais seulement sur la pratique des dépassements d’honoraires dans le cadre de celle-ci. En assimilant les deux, le Conseil constitutionnel travestit d’autant plus la réalité que moins de la moitié des praticiens exerçant une activité libérale appartiennent au secteur 2[21]. L’essentiel des développements est donc consacré à défendre le principe même de l’activité libérale, laquelle semble parfaitement à même d’offrir « un complément de rémunération et de retraite » aux médecins dans le respect des tarifs conventionnels, comme c’est le cas pour plus de la moitié de ceux qui y ont recours !

Certes, il paraissait sans doute politiquement compliqué de remettre en cause la pratique des dépassements d’honoraires. En tout cas, le gouvernement ne le souhaitait pas, pas plus qu’il n’entendait revenir sur le principe, érigé en totem, du respect absolu des tarifs conventionnels conditionnant l’habilitation d’un établissement privé au service public hospitalier. De fait, pour citer une fois encore Marie-Laure Moquet-Anger, « le Conseil constitutionnel a adopté une position qui garantit en même temps les deux objectifs ». Bien qu’acrobatique, elle permet donc la pérennité du secteur 2 à l’hôpital, dans le cadre de l’activité libérale. Jusqu’à présent, comme cela a déjà été indiqué, cette dernière ne concerne qu’un nombre limité de praticiens. La situation est cependant amenée à évoluer suite aux nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021[22] qui assouplit les conditions d’exercice de l’activité libérale. Celle-ci n’est notamment plus réservée aux praticiens hospitaliers à temps plein. Ces perspectives d’extension rendent d’autant plus problématique la persistance d’un ilot de liberté tarifaire au sein du service public hospitalier.

La seconde brèche correspond au particularisme de six établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) mais mérite néanmoins d’être signalée, ne serait-ce qu’en raison de développements législatifs récents sur le sujet. Dans la très grande majorité des ESPIC, les médecins sont salariés mais l’article L.6161-9 du code de la santé public prévoit la possibilité de recourir à des professionnels libéraux, sur autorisation du directeur général de l’ARS. Ces derniers sont alors rémunérés par l’établissement sur la base des tarifs conventionnels, minorés d’une redevance. Les dépassements d’honoraires sont donc en principe interdits, ce qui est conforme aux obligations sur service public hospitalier que les ESPIC assurent également.

Certains d’entre eux étaient toutefois liés par des contrats autorisant de tels dépassements, le plus souvent repris à leur compte à la suite de la fusion avec d’autres établissements. C’est pourquoi le IV de l’article 99 de la loi du 26 janvier 2016 accordait un délai de trois ans aux ESPIC concernés pour réaliser la mise en conformité de ces contrats avec les dispositions précitées, avec retrait de l’autorisation par le directeur général de l’ARS en cas de refus de la part du praticien. Ce délai n’a toutefois pas paru suffisant puisqu’à la date d’échéance, 6 établissements n’avaient toujours pas régularisé la situation d’environ 350 professionnels libéraux. Aussi, le II de l’article 57 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé prévoit un nouveau délai de régularisation de trois ans.

L’une des rares modifications introduites par le Sénat et acceptées par le gouvernement et l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi d’amélioration du système de santé par la confiance et la simplification donne désormais une base pérenne à cette dérogation, à l’origine transitoire[23]. A l’occasion des débats, le secrétaire d’État Adrien Taquet, qui suppléait le ministre de la santé, a ainsi tenté de concilier le souhait réaffirmé de ne pas encourager cette pratique, afin de garantir l’accès aux soins, et le souci de ne pas mettre en difficulté les structures concernées « qui ont déjà du mal à recruter des médecins »[24]. L’argument de l’attractivité reste donc la principale justification apportée aux aménagements opérés par rapport aux obligations du service public hospitalier.

Néanmoins, cette exception, bien que relativement marginale, peut paraître juridiquement fragile. Dans son avis sur le projet de loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, le Conseil d’État appelait, en effet, l’attention du gouvernement sur la nécessité de maintenir un caractère temporaire à la dérogation[25]. On imagine cependant mal le Conseil constitutionnel avoir laissé passer le chameau de l’activité libérale à l’hôpital pour filtrer ensuite le moustique des dépassements d’honoraires de quelques centaines de médecins en ESPIC[26]

II. Exercice du service public hospitalier et contrat administratif

Comme l’écrivaient récemment les responsables du centre de recherche et de diffusion juridiques du Conseil d’État dans leur chronique, « que le granite porphyroïde soit, depuis 1912, plus souvent évoqué dans les amphithéâtres des facultés de droit que dans les laboratoires de géologie atteste de la permanence des critères d’identification d’un contrat administratif »[27]. Sans reprendre ici tous les arrêts de principe bien connus, nous nous limiterons à rappeler qu’ils combinent un critère organique, tenant, en principe, à ce qu’une personne publique soit partie au contrat et un critère matériel portant sur le contenu (présence de clauses exorbitantes du droit commun), l’objet (l’exécution de travaux publics ou l’exécution même du service public) ou, parfois, le régime de ce dernier[28].

S’agissant des établissements publics de santé, qui seuls satisfont au critère organique sans avoir à rechercher si l’une des (rares) hypothèses de dérogation est remplie, la question de la qualification du contrat se pose en réalité peu souvent. La plupart des contrats conclus avec des personnes privées sont, en effet, administratifs par détermination de la loi, à l’image des contrats de commande publique (marchés publics ou concession) ou des contrats d’occupation privative du domaine public. S’agissant des contrats de recrutement, même si la mise à contribution des employeurs publics dans le cadre de la politique de lutte contre le chômage par le recours aux contrats aidés laisse subsister des contrats de droit privé[29], ceux-ci restent très minoritaires. De fait, conformément à la célèbre jurisprudence Berkani mettant un terme au critère subtil, voire byzantin, de la participation directe au service public, les personnels non statutaires des personnes morales de droit public travaillant pour le compte d’un service public administratif sont des agents de droit public quel que soit leur emploi[30]. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les contractuels (hors emplois médicaux) représentaient, en 2019, 20,9% des effectifs de la fonction publique hospitalière, soit 248 000 personnes. Leur nombre a augmenté de +3,8% par rapport à 2018, tandis que celui de fonctionnaires continue de diminuer. Quant aux contrats aidés, ils ne concernent que 5 200 personnes, en forte baisse (-25,8%)[31].

Dans ces conditions, les occasions pour le juge administratif de se prononcer sur la nature des contrats passés par les hôpitaux dans le cadre de l’accomplissement du service public hospitalier ne sont pas si fréquentes. Quelques affaires lui ont néanmoins été soumises ces dernières années s’agissant, par exemple, du contrat par lequel un établissement met en relation, via son centre d’appel, un patient avec une société de transport sanitaire privé[32] ou de celui portant sur la mise à disposition de téléviseurs et de moyens de télécommunication aux personnes hospitalisées[33]. Plus récemment, le Conseil d’État a été amené à examiner la nature du contrat de participation à l’exercice des missions de service public (dénomination alors en vigueur) conclu avec un médecin dans le cadre des dispositions de l’article L.6146-2 du code de la santé publique, ce qui constitue, à notre connaissance, une première.

Depuis la loi HPST du 21 juillet 2009, cet article autorise le directeur d’un établissement public de santé à admettre des médecins, sages-femmes et odontologistes exerçant à titre libéral, autres que les praticiens statutaires, à participer à l’exercice des missions de l’établissement. Leurs honoraires, qui doivent respecter les tarifs conventionnels, sont à la charge de ce dernier, minorés, le cas échéant, d’une redevance. Enfin, un contrat, conclu entre le professionnel et l’établissement de santé et soumis à l’approbation du directeur général de l’ARS, fixe les conditions et modalités de leur participation et assure le respect des garanties mentionnées à l’article L. 6112-3 du code de la santé publique, décrites précédemment[34].

En l’espèce, le centre hospitalier de Digne les Bains a conclu un contrat de participation à l’exercice des missions de service public avec un médecin radiologue, pour une durée de cinq ans à compter du 1er octobre 2012. Par décision du 21 janvier 2014, le directeur de l’établissement a résilié ce contrat, décision que l’intéressé demande, sans succès, au tribunal administratif de Marseille, d’annuler. Par un arrêt du 17 avril 2018, la cour administrative d’appel (CAA) déclare n’y avoir pas lieu à statuer sur les conclusions tendant à une reprise des relations contractuelles[35], arrêt contre lequel le praticien se pourvoit en cassation.

Pour rejeter le recours et valider le raisonnement des juges d’appel, le Conseil d’État est donc conduit à se prononcer sur la nature du contrat mentionné à l’article L.6146-2[36]. Celui-ci rappelle que les dispositions en cause permettent la pratique par un professionnel de santé libéral d’une activité de soin au sein d’un établissement public de santé et la rémunération de cette dernière par des honoraires à la charge de l’hôpital, minorés d’une redevance en contrepartie de l’utilisation des moyens du service public hospitalier. La Haute juridiction examine également les exigences réglementaires opposables aux professionnels de santé, qui se limitent à renseigner un état mensuel déclaratif d’activité[37] et à s’engager à respecter un certain nombre de règles ou de documents généraux (recommandations de bonne pratique professionnelle établies par la Haute autorité de santé et les sociétés savantes, projet d’établissement…)[38]. Il en conclut ainsi qu’eu égard « à la nature des liens qu’établit un tel contrat entre l’établissement hospitalier et le professionnel de santé exerçant à titre libéral, sa passation n’a ni pour objet ni pour effet de conférer au praticien en question la qualité d’agent public ». Sans doute faut-il déduire de cette formulation l’absence d’un lien de subordination qui aurait entraîné la reconnaissance d’une telle qualité.

Le contrat visé à l’article L.6146-2 constitue donc bien un contrat administratif, ce qui n’était ni contesté, ni contestable au regard des critères rappelés plus haut, mais ne s’apparente pas à un contrat de recrutement d’un agent public. Cette conclusion semble parfaitement conforme aux intentions des parlementaires et du gouvernement qui, à l’occasion de la loi HPST, entendaient créer un dispositif unique permettant l’intervention de professionnels libéraux au sein des établissements publics de santé, en substitution du mécanisme antérieurement en vigueur dans les hôpitaux locaux et des anciennes « cliniques ouvertes ». Elle ne rompt pas non plus avec la jurisprudence qui s’appliquait à ces dernières. Le Tribunal des conflits avait, en effet, estimé que les examens ou traitements pratiqués par un radiologue dans le service radiologique de l’hôpital au profit d’un malade admis en clinique ouverte le sont en dehors de l’exercice des fonctions médicales hospitalières de ce spécialiste, même si les honoraires y afférents sont soumis par la réglementation à des règles de calcul et de reversement particulières. A ce titre, la juridiction judiciaire était seule compétente pour connaître d’une action en responsabilité formée par un malade admis en clinique ouverte contre le médecin[39].

Mais la qualification retenue, écartant celle de contrat de recrutement d’un agent public, produit surtout des conséquences contentieuses importantes que l’arrêt commenté vient utilement souligner. On sait, en effet, que ces contrats obéissent à un régime spécifique justifié, selon la célèbre formule du président Genevois, par le fait que « derrière le contrat, il y a souvent un statut qui se dessine »[40]. Ainsi, le Conseil d’État admet, de longue date, que ces agents puissent former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de mesures d’exécution de leur contrat[41]. Il en va de même pour les tiers qui peuvent demander au juge pour l’excès de pouvoir l’annulation du contrat d’engagement d’un agent public depuis l’arrêt Ville de Lisieux[42], solution maintenue après les importantes modifications du contentieux de la légalité des contrats administratifs résultant de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne[43].

Dans la présente affaire, la CAA de Marseille n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que les conclusions du médecin devaient s’analyser non comme un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision du directeur de résilier le contrat d’un agent public, mais comme tendant à la reprise des relations contractuelles. Le lecteur avisé aura immédiatement retenu la formulation issue de la célèbre jurisprudence Béziers II au terme de laquelle, si, en principe, les parties à un contrat administratif ne peuvent pas demander au juge l’annulation d’une mesure d’exécution de ce contrat, mais seulement une indemnisation du préjudice qu’une telle mesure leur a causé, elles peuvent, eu égard à la portée de celle-ci, former un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles[44]. Saisi de conclusions en ce sens, le juge du contrat doit notamment vérifier que cette reprise a encore un objet et prononcer un non-lieu à statuer lorsqu’il résulte de l’instruction que le terme stipulé du contrat est dépassé. Or, en l’espèce, le terme du contrat conclu pour une durée de cinq ans à compter du 1er octobre 2012 avait expiré le 1er octobre 2017. C’est donc à bon droit que la CAA en a conclu qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête dont elle était saisie.

En définitive, même si les contentieux sur le sujet devraient rester rares compte tenu du faible nombre de contrats conclus sur le fondement de l’article L.6146-2 du code de la santé publique[45], l’arrêt du 29 juin 2020 illustre la diversité des contrats existant entre un établissement public de santé et les personnes physiques auxquelles il fait appel pour l’exécution du service public hospitalier : contrat de recrutement d’agent public (le plus souvent), contrat de droit privé (pour certains contrats aidés), et contrat administratif de prestation de services s’agissant des médecins libéraux qui n’ont pas la qualité d’agent public.

III. Le financement compensatoire du service public hospitalier

La référence aux obligations du service public, davantage qu’au service public, en matière de financement traduit le triomphe d’une approche compensatoire telle que promue par les textes européens, dans un environnement économique concurrentiel[46]. Les établissements de santé français, y compris publics, constituent, en effet, des entreprises en droit de l’Union et leur financement doit respecter un certain nombre d’exigences.

Sans entrer dans le détail[47], l’article 106-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[48] prévoit que les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général (SIEG) sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de celles-ci ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Ainsi, la décision 2012/21/CE du 20 décembre 2011[49] énonce les conditions qu’une aide d’État attribuée sous la forme d’une compensation des obligations de service public pesant sur un SIEG doit remplir pour être considérée comme compatible avec l’article 106-2. Le cas des établissements de santé y est spécifiquement traité[50]. De fait, les aides qui leur sont attribuées sous la forme d’une compensation des obligations de service public disposent d’une présomption de compatibilité avec le traité, quel que soit leur montant, et ne sont donc pas soumises au contrôle a priori que constitue la notification préalable à la Commission. Elles doivent toutefois être accompagnées de la mise en place par chaque État d’un mécanisme de contrôle régulier, au minimum tous les 3 ans, pour s’assurer de l’absence de surcompensation, et respecter les exigences posées aux articles 4 et 5 de la décision. En substance, la gestion du SIEG doit avoir été confiée à l’entreprise concernée au moyen d’un mandat spécifiant notamment la nature et la durée des obligations ou encore les paramètres de calcul de la compensation. De plus, le montant de cette dernière ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts nets occasionnés par l’exécution des obligations de service public.

Ce cadre juridique apparaît désormais bien intégré par les pouvoirs publics français, comme l’illustrent les modalités retenues pour la mise en œuvre du nouveau dispositif de « reprise de dette »[51] de certains établissements de santé. La mesure a été initialement annoncée par Édouard Philippe en novembre 2019, avant le début de la crise sanitaire, alors que le gouvernement s’efforçait de canaliser les mouvements sociaux nés, au départ, dans certains services d’urgence et qui menaçaient de prendre de l’ampleur. Elle est reprise dans les conclusions du « Ségur de la santé », en juillet 2020, et incluse dans le plan de relance de 19 milliards d’euros des investissements en santé. Environ les deux-tiers de cette somme (13 milliards) correspond, en effet, à la reprise de dette des établissements participants au service public hospitalier afin, selon le dossier de presse, de « leur redonner les marges financières nécessaires à l’investissement du quotidien et améliorer les conditions de travail (pose de rails d’hôpital, achat de petit matériel…) »[52]. Le montage financier a ensuite été précisé par la loi du 7 août 2020 qui met à la somme en question à la charge de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES)[53]. Sans détailler le circuit, qui ne nous intéresse pas directement ici, ces 13 milliards d’euros ne sont donc pas financés par l’État ou par l’assurance maladie (qui sert uniquement d’intermédiaire), mais immédiatement convertis en dette sociale future. Enfin, l’article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021 fixe les règles permettant la mise en place opérationnelle de cette reprise de dette, tout en manifestant une certaine ambiguïté sur les finalités du dispositif, sur lesquelles il conviendra de revenir[54].

Dès l’examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie, le Conseil d’État avait attiré l’attention du gouvernement sur l’utilité d’informer, au plus tôt, la Commission européenne des dispositions organisant le financement et le versement de cette dotation aux établissements de santé[55]. De fait, les travaux préparatoires démontrent la volonté de respecter le cadre applicable aux aides d’État destinées à compenser les obligations de service public, ce que le mécanisme adopté exprime très nettement.

En premier lieu, contrairement à ce qui avait imaginé à l’automne 2019, le nouveau dispositif n’est pas réservé aux établissements publics de santé. Le I de l’article 50 de la LFSS pour 2021 indique ainsi que ce dernier est destiné à « concourir à la compensation des charges nécessaires à la continuité, la qualité et la sécurité du service public hospitalier et à la transformation de celui-ci ». Bien que le terme d’obligations n’y figure pas, l’idée est bien de mettre en place une forme de compensation des charges pesant spécifiquement sur les établissements assurant le service public hospitalier. Un certain nombre d’établissements privés (notamment ESPIC) y auront donc accès. Il est évident qu’un choix différent, conditionnant le versement de l’aide à la nature juridique des établissements et non aux sujétions particulières qu’ils supportent, aurait été contraire aux règles européennes.

En deuxième lieu, le dispositif se réfère expressément à la notion de mandat, dont la jurisprudence a souligné l’importance[56]. Le versement de la dotation est, en effet, soumis à la conclusion d’un contrat avec l’ARS avant le 31 décembre 2021. Ces contrats, signés pour une durée maximale de dix ans, précisent en particulier « le mandat confié à l’établissement, notamment en matière de désendettement, d’investissement, d’amélioration de la situation financière et de transformation », ainsi que les charges dont le financement est assuré par cette dotation[57]. L’arrêté du 27 juillet 2021 fixe le modèle type de ce contrat « de soutien à l’investissement et à la transformation du service public hospitalier »[58].

En troisième lieu, les paramètres de calcul de cette dernière sont partiellement détaillés par le texte législatif. La rédaction définitive, qui a sensiblement varié au cours de l’examen parlementaire, indique qu’il est tenu compte des ratios d’analyse financière et des marges nécessaires à l’investissement, sans que ces critères soient limitatifs[59]. Le décret n°2021-868 du 30 juin 2021 et l’instruction du 21 juillet 2021[60] ont précisé les paramètres en question ainsi que les modalités de calcul du montant des dotations.

Enfin, les contrats doivent comporter des indicateurs de suivi et préciser les modalités d’évaluation et de contrôle et le mécanisme de reprise des financements en cas de surcompensation des charges ou de non-respect des engagements[61]. De plus, une articulation est prévue avec les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) obligatoirement conclus par chaque établissement de santé. Lors du renouvellement de ces derniers, les ARS doivent, en effet, s’assurer qu’ils sont cohérents avec les engagements et les moyens fixés dans le contrat spécifique prévu à l’article 50 de la LFSS pour 2021.

Sans s’appesantir davantage sur la présentation du dispositif, les règles retenues semblent respectueuses des exigences du droit de l’Union qui encadrent aujourd’hui étroitement les conditions de financement du service public hospitalier. Elles ne lèvent toutefois pas une ambiguïté persistante sur les finalités de ce mécanisme, tiraillé en permanence entre objectif de désendettement et financement de nouveaux investissements, comme l’atteste la modification apportée par la LFSS pour 2021 à la loi du 7 août 2020[62]. Au final, le gouvernement paraît avoir choisi…de ne pas choisir. La moitié de la somme de 13 milliards est, en effet, affectée à la restauration des capacités financières en sécurisant le financement d’investissements courants déjà prévus ou prévisibles par substitution du recours à l’emprunt, tandis que l’autre moitié est destinée au financement d’opérations d’investissements structurants dans le cadre de la nouvelle procédure d’instruction applicable en la matière[63].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 378


[1] Selon la formule de S. Boussard, « La fabuleuse histoire du service public hospitalier », RDSS, 2017, p.607.

[2] I. Poirot-Mazères, « Du service public hospitalier en ses contradictions », Journal du Droit Administratif, 2017, chronique Transformation(s) du Service Public,  art. 198.

[3] En matière de séries, les échecs et les déceptions semblent d’ailleurs bien plus fréquents que les réussites. Il faut dire que Magnum sans moustache, ni chemise hawaïenne et Walker Texas Ranger sans Chuck Norris n’ont pas exactement la même saveur. Malgré cela, les chaînes télévisées et les plates-formes de streaming continuent d’annoncer régulièrement de nouveaux projets.

[4] S. Ziani, Du service public à l’obligation de service public, LGDJ, Bibl. de dr. publ., t.285, 2015 : « La notion d’obligation de service public, en se substituant peu à peu au concept de service public, transforme les modes de satisfaction de l’intérêt général en imposant le respect de procédés d’intervention limités, respectueux de l’équilibre du marché » (n°622).

[5] 4° du I de l’article L.6112-2 CSP. Pour davantage de précisions, nous nous permettons de renvoyer à V. Vioujas, « Les obligations du service public hospitalier : quelles spécificités ? », RDSS, 2017, p.644.

[6] La formule est utilisée dans l’étude d’impact du projet de loi et a été régulièrement reprise lors des débats parlementaires.

[7] Est volontairement laissée de côté ici l’hypothèse de l’association au service public hospitalier, prévue à l’article L.6112-5, qui ne concerne pas l’ensemble des activités d’un établissement de santé mais seulement la prise en charge des patients en situation d’urgence ou dans le cadre de la permanence des soins par un établissement privé non habilité (autorisé à exercer une activité de soins prenant en charge des patients en situation d’urgence).

[8] Comme on le verra plus loin, cette limite est appelée à évoluer.

[9] Art. L.6154-2 CSP.

[10] L. n°87-39 du 27 janv. 1987 portant diverses mesures d’ordre social.

[11] Le dernier rapport publié sur le sujet dénombrait seulement 10% des praticiens éligibles, soit 4 581 médecins (dont près d’un quart d’hospitalo-universitaires), D. Laurent, L’activité libérale dans les établissements publics de santé, 2013, p.7.

[12] Ibid, p.12.

[13] Cons. constit., 21 janv. 2016, n°2015-727 DC, Loi de modernisation de notre système de santé.

[14] J.-M. Lemoyne de Forges, « Où va la médecine libérale à l’hôpital public ? », AJDA, 2016, p.281 ; dans le même sens, D. Cristol, « Les habits neufs du service public hospitalier », RDSS, 2016, p.643.

[15] Modification issue de l’article 1er de l’ordonnance n°2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[16] Cons. constit., 21 juin 2019, n° 2019-792 QPC, Clinique Saint-Cœur et autres.

[17] M.-L. Moquet-Anger, « Sur la conformité à la Constitution du droit à dépassement d’honoraires réservé à l’activité libérale à l’hôpital », RDSS, 2019, p.1043.

[18] J.-M. Auby, « Sur quelques problèmes juridiques posés par l’activité libérale des praticiens hospitaliers à temps plein dans les établissements publics », RGDM, 1999, n°1, p.9.

[19] Trib. confl., 19 févr. 1990, Hervé, n°02594 ; AJDA, 1990, p.556, obs. J. Moreau ; RFDA, 1990, p.457, concl. B. Stirn ; RDSS, 1991, p.242, obs. J.-M. De Forges.

[20] M.-L. Moquet-Anger, op. cit., qui le qualifie de « fallacieux et désobligeant ».

[21] D. Laurent, op. cit., p.12.

[22] Ordonnance n°2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l’attractivité des carrières médicales hospitalières.

[23] Article 21 de la loi n°2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification. Le texte ajoute que « ces professionnels médicaux libéraux fixent et modulent le montant de leurs honoraires à des niveaux permettant l’accès aux soins des assurés sociaux et de leurs ayants droit », ce qui représente une contrainte relativement lâche…

[24] JO AN, Compte-rendu intégral des débats, 2ème séance du 18 mars 2021, p.2753.

[25] « Les trois années supplémentaires accordées doivent permettre de régler de manière définitive les difficultés rencontrées », avis du 7 févr. 2019, p.11.

[26] Selon la formule bien connue de J. Rivero, « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau ? », AJDA, 1981, p.275.

[27] C. Malverti, C. Beaufils, « Contrats administratifs : les petits caractères », AJDA, 2021, p.734.

[28] Pour une présentation détaillée, B. Plessix, Droit administratif général, LexisNexis, 3ème éd., 2020, p.1274 et s.

[29] Ce que le Conseil constitutionnel a admis s’agissant des emplois d’avenir professeur en considérant qu’aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur prévoie que des personnes recrutées au titre de ces emplois participant à l’exécution du service public de l’Éducation nationale soient soumises à un régime juridique de droit privé, Cons. constit., 24 oct. 2012, n°2012-656 DC, Loi portant création des emplois d’avenir ; AJDA, 2013, p.119, note F. Melleray.

[30] Trib. confl., 25 mars 1996, Berkani c/CROUS de Lyon, n°3000 ; AJDA, 1996, p. 355, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; Dr. soc., 1996, p.735, obs. X. Prétot ; RFDA, 1996, p.819, concl. Ph. Martin.

[31] « En 2019, l’emploi augmente dans les trois versants de la fonction publique », INSEE première, 2021, n°1842.

[32] CE, 2 mai 2016, CHRU de Montpellier, n°381370 ; JCP A, 2017, 2063, note S. Harada : le contrat n’a pas pour objet de confier au cocontractant de la personne publique l’exécution même d’une mission de service public et ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun ; il ne s’agit donc pas d’un contrat administratif.

[33] CE, 7 mars 2014, CHU de Rouen, n°372897 ; AJDA, 2014, p.1497, note J. Hardy ; Dr. adm., 2014, comm. 32, obs. A. Sée : le contrat constitue une délégation de service public, et non pas un marché public.

[34] Le contenu du contrat, les modalités de calcul des honoraires ou encore les règles d’indemnisation de la participation à la permanence des soins sont décrits aux articles R.6146-17 à R.6146-24 du même code.

[35] CAA Marseille, 17 avr. 2018, n°16MA03270.

[36] CE, 29 juin 2020, M.B., n°421609 ; AJDA, 2021, p.1324 ; AJFP, 2021, p.319.

[37] Art. R.6146-21 CSP.

[38] Art. R.6146-18 CSP.

[39] Trib. confl., 19 mars 1979, Babsky, n°2111, Rec. CE, p.653. Sur le régime de responsabilité dans le cadre des anciennes cliniques ouvertes, v. ég. CE, sect., 4 juin 1965, Hôpital de Pont-à-Mousson, n°61367, Rec. CE, p.361.

[40] B. Genevois, conclusions sur CE, sect., 25 mai 1979, Rabut, n°06436 et 06437, Rec. CE, p.231. Plus proche de nous, v. E. Glaser, « La situation des agents publics contractuels – Conclusions sur CE, sect., 31 déc. 2008, M. Cavallo, n°283256 », RFDA, 2009, p.89 : « Ce qui est réellement contractuel dans le contrat d’un agent public est essentiellement interstitiel et, au fur et à mesure que les statuts se développent, cet espace se rétrécit ».

[41] CE, 9 juin 1948, Sieur Cousin, Rec. CE, p.254.

[42] CE, sect., 30 oct. 1998, Ville de Lisieux, n°149662 ; AJDA, 1998, p.969, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; RFDA, 1998, p.128, concl. J.-H. Stahl et p.139, note D. Pouyaud.

[43] CE, 2 févr. 2015, Commune d’Aix-en-Provence, n°373520 ; AJDA, 2015, p.990, note F. Melleray, qui confirme que le recours ouvert aux tiers contre un contrat de recrutement d’agent public est un recours pour excès de pouvoir.

[44] CE, sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806 ; AJDA, 2011, p.670, chron. A. Lallet ; JCP A, 2011, 2171, note F. Linditch ; RFDA, 2011, p.507, concl. E. Cortot-Boucher et p.518, note D. Pouyaud.

[45] Moins de 2 000 au 31 décembre 2018, v. « Les établissements de santé », Panorama de la DREES, 2020, p.39.

[46] V. à nouveau la thèse de S. Ziani, op. cit., spéc. n°92 et s. et n°622 et s.

[47] Nous avons analysé plus longuement ce dispositif dans V. Vioujas, « Le financement des hôpitaux face au droit européen de la concurrence » in Mélanges Clément, LEH, 2014, p.445.

[48] Anciennement art. 86 TCE.

[49] Décision 2012/21/UE  du 20 déc. 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (JOEU L 7, 11 janv. 2012, p.3). Ce texte fait partie du « paquet Almunia », qui se substitue au « paquet Monti-Kroes » adopté en 2005. Comme le fait remarquer S. Hennion, « la terminologie exprime de suite la légèreté de cette réglementation » (S. Hennion, « Service public de santé et droit européen », RDSS, 2013, p.45).

[50] « Les hôpitaux et les entreprises assurant des services sociaux, qui sont chargés de tâches d’intérêt économique général, présentent des spécificités qui doivent être prises en considération » (point 11 de la décision).

[51] Comme on va le voir, cette dénomination d’origine a été amenée à évoluer.

[52] Conclusions du Ségur de la santé, juill. 2020, mesure n°9.

[53] Loi n°2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie. La disposition figure au C du II du septies de l’article 4 de l’ordonnance n°96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

[54] Loi n°2020-1576 du 14 déc. 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

[55] Avis n°400188 et 400189 du 26 mai 2020.

[56] TPI, 7 nov. 2012, CBI c. Commission, T-137/10 ; RDSS, 2013, p.431, note D. Guinard.

[57] III de l’article 50 de la LFSS pour 2021 précitée.

[58] JO du 12 août 2021, texte n°35.

[59] II de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[60] Instruction n°DGOS/ PF1/DSS/1A/2021/165 du 21 juill. 2021 relative aux crédits dédiés au soutien à l’investissement et à la transformation du service public hospitalier.

[61] 4° du III de l’article 50 de la LFSS pour 2021.

[62] Dans la loi du 7 août 2020, la dotation de 13 milliards d’euros était destinée à couvrir une partie des « échéances d’emprunts contractés par les établissements de santé relevant du service public hospitalier ». Le VII de l’article 50 de la LFSS pour 2021 corrige le texte sur ce point en affectant désormais celle-ci à « un soutien exceptionnel (…) au titre du désendettement pour favoriser les investissements dans les établissements de santé assurant le service public hospitalier ».

[63] Circulaire n°6250/SG du 10 mars 2021 relative à la relance de l’investissement dans le système de santé dans le cadre du Ségur de la santé et de France relance.


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ParJDA

Quel droit pour l’usager du service public administratif payant ? Pour en finir avec la sujétion légale et réglementaire

Art. 377.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par Vincent Cressin,
attaché principal d’administration,
Chef de bureau d’affaires juridiques d’une collectivité territoriale


& Laurent Quessette,
docteur en droit, attaché principal d’administration
et chargé d’enseignements à Le Mans Université (Thémis UM)

Le service public a retrouvé un nouvel éclat lors de la situation de pandémie liée au Covid-19, en raison de l’importance – souvent oubliée, parfois déniée – de sa nécessité pour la continuité de la vie nationale et le bien-être de la population. Notion recouvrant une réalité multiforme, le service public est caractérisé tant par les activités régaliennes que par les activités relevant de l’État Providence, ce que Pierre Bourdieu nommait respectivement la « main droite » et la « main gauche » de l’État[1], les poignées de main étant d’ailleurs fréquentes s’agissant ainsi de la discipline des usagers à l’œuvre dans les services publics[2]. Certes, à l’heure d’une inquiétude grandissante envers les reculs de l’État de droit libéral[3], s’interroger sur les droits des usagers de certains services publics peut sembler à tout le moins incongru à l’heure des renforcements des pouvoirs de l’administration dans le contexte de la sécurité sanitaire[4]

Et pourtant, le droit régissant les rapports des usagers aux services publics bénéficie régulièrement d’avancées substantielles dans le sens de l’extension de leur protection. De telles garanties résultent souvent du législateur, ainsi du droit d’accès à la cantine scolaire publique[5] ; mais encore du juge constitutionnel qui a, par exemple, déduit du droit d’accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire lors d’une grève des personnels de l’Éducation nationale la création d’un service public[6]. En l’occurrence, la corrélation entre la reconnaissance d’un droit et l’existence d’un service public est affirmée dans la mesure où elle découle d’une disposition législative dont le niveau de précision est suffisant pour créer une obligation à la charge des personnes publiques. Autre source féconde, il convient enfin de mentionner les recommandations de la Défenseure des droits veillant à l’élargissement de la protection des usagers confrontés à des dysfonctionnements de certains services publics[7]. L’état du droit en la matière est éminemment plastique et résulte – par un effet d’alimentation réciproque – tant de décisions politiques, nationales ou locales, que de mobilisations de parents d’élèves en faveur de la non-fermeture de classe scolaire, de comités de défense de dessertes ferroviaires[8], ou du mouvement hétéroclite dit des Gilets jaunes, dans lequel la disparition des services publics de certains territoires est l’un des moteurs de la colère sociale[9]… Autant de surrections arendtiennes, faisant en sorte que « la révolte des faits contre le Code »[10] engendre du droit et bouscule les systématisations juridiques autour de la notion service public. La new public administration tente de faire feu de ce bois en sollicitant la participation de l’usager sommé de rejoindre un panel d’« usager-mystère » ou un atelier de co-construction d’une politique publique dans un dessein toutefois d’efficience budgétaire du service rendu. Les temps modernes du service public suivent désormais les chemins du recours à des start-up et à leurs outils de civic tech ou de social design. L’administration citoyenne cherche à légitimer – et donc à rendre incontestable – les modalités de mise en œuvre de l’intérêt général, nonobstant en dernier ressort la part irréductible d’imperium inhérente à tout pouvoir. Bien que tout à la fois convoqué, invoqué et fabriqué, l’administré reste mal cerné par le droit et demeure une légende du droit administratif, pour suivre la thèse de Camille Morio[11]. Autre légende tout aussi légitimante de l’action publique, l’usager n’en reste pas moins concerné par des catégories juridiques qui induisent son comportement et son anima sur la scène du droit. À la différence de L’homme qui tua Liberty Valence, « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende », il s’agit dans cette contribution à repousser encore un peu plus les frontières de l’Ouest pour tenter de s’approcher des réalités de la Terre promise, de cet horizon où la notion de service public délivre une part de sa vérité…

Quoi qu’il en soit, et plus d’un siècle après Duguit, la notion de service public demeure au fondement du droit administratif, en tant qu’élément matriciel qui permet de définir d’autres notions cardinales comme l’appartenance d’un bien au régime de la domanialité publique, ou le caractère administratif d’un contrat lorsque ce dernier a trait à l’exécution même d’une mission de service public, voire qu’il en constitue une simple modalité d’exécution. Le service public est également au cœur de la transformation de l’action publique, justifiant, sous des atours modernes, la réforme de l’administration au nom de l’efficience de la dépense publique. Même le droit de l’Union européenne, pourfendeur de la gestion historique par des monopoles nationaux de services publics en réseaux, fait montre d’un certain assouplissement à l’application du droit de la concurrence en raison des missions relevant de l’intérêt général que le service public remplit sous diverses dénominations dans la plupart des États membres. Pour en revenir au droit positif interne, cette notion s’est déclinée sous les traits de la classique distinction entre « service public administratif » et « service industriel et commercial », dont l’acronyme SPA/SPIC appelle immanquablement – dans un réflexe quasi-pavlovien des étudiantes et étudiants des facultés de droit – celui d’USIA s’agissant des critères jurisprudentiels de départage en l’absence de base textuelle[12]. Il résulte de cette vénérable distinction un double régime juridique[13] en application duquel les usagers d’un service public industriel et commercial demeurent placés dans une situation contractuelle de droit privé, tandis que leurs homologues restent, à l’égard d’un service public administratif, dans une situation, pour ne pas dire une sujétion, légale et réglementaire, emportant conséquemment dévolution d’un litige à un ordre juridictionnel différent[14].

Le classicisme d’une telle position est de nature à rassurer les faiseurs de système, dans un environnement administratif de plus en plus brouillé. Mais il est des jalons qui, tels des cairns guidant le voyageur dans la brume, empêchent par leur vénération rassurante de s’affranchir de certaines sujétions. Or, la carte n’est pas le territoire et face à la tectonique de la vie sociale, les mutations en cours du droit public imposent de bouleverser nos représentations mentales parfois éculées du service public. En effet, le service public se trouve aujourd’hui contesté, si ce n’est confronté aux exigences, parfois même de manière ambivalente, du droit de la concurrence et voit ses propositions fondamentales réinterrogées, et en particulier la distinction SPA/SPIC considérablement affaiblie par l’émergence de la notion d’« opérateur économique », qui tend à reconfigurer si ce n’est à repenser l’ordonnancement juridique. Inversement, et plus favorablement, c’est aussi sous l’influence du droit de la concurrence que les personnes publiques peuvent désormais prendre en charge une activité économique dont l’intervention n’est plus strictement limitée à la carence de l’initiative privée dès lors qu’elle est justifiée par l’existence d’un intérêt local[15], remettant en cause la conception française de la liberté du commerce et de l’industrie en vertu de laquelle une activité commerciale demeure par principe réservée à l’initiative privée. Ces évolutions rendent malaisée l’appréhension et la compréhension d’une telle dualité de service public dont la justification doctrinale, du reste toujours plus ou moins confusément et liminalement questionnée, apparaît désormais et très perceptiblement remise en cause. D’autant que, en pratique, certains services publics administratifs se marchandisent et, nonobstant la contribution modeste acquittée par leurs usagers, développent une logique de boutique leur permettant de trouver des sources de financement annexes et désormais indispensables. Ce phénomène de spicisation du SPA ne concerne certes pas (encore) les services publics régaliens et gratuits (délivrance des actes de l’état civil par exemple), mais davantage diverses missions relevant de l’intérêt général à caractère facultatif, ces services publics du quotidien qui, mis en œuvre par les collectivités territoriales, demandent une participation financière sans pour autant reconnaître aux usagers une protection corrélative. Les usagers des piscines, des bibliothèques ou des conservatoires municipaux contribuent pour partie financièrement à leur utilisation tout en restant placés dans une situation légale et réglementaire. Ce sont ces services publics administratifs à caractère non gratuit pour lesquels il semble désormais judicieux de s’interroger quant à l’application du droit de la consommation à leurs usagers en vue d’une plus grande garantie de leurs droits, à l’instar de leurs homologues des services publics à caractère industriel et commercial.

En somme, cette évolution, par nature stative, du service public administratif pour lequel un écot est versé rend inachevée les interrogations entourant la justification de son régime juridique. Une telle solution, si elle possède le mérite de veiller au nécessaire maintien des exigences requises par l’existence d’un intérêt général, nous paraît pouvoir évoluer dès lors qu’elle ne prive pas de garantie les impératifs, notamment d’adaptabilité, qui s’attachent à l’exercice d’une mission de service public, tout comme la constitution de droits réels sur le domaine public a pu être entourée des précautions imposant le respect du principe de continuité du service public. C’est une nouvelle épistémologie du droit qui nous semble ainsi pouvoir être convoquée. Par ailleurs, et à bien des égards concernant en particulier le droit de la responsabilité administrative, un tel changement s’avèrerait vecteur d’une amélioration du sort des usagers dont l’indemnisation notamment apparaît souvent comme le parent pauvre du droit administratif.

Aussi est-il permis de se demander si un tel régime demeure encore adapté à la réalité de certaines relations établies entre l’administration et les usagers (I) et, dans la négative, si l’application corrélative du droit de la consommation à une telle situation ne serait pas de nature à offrir de meilleures garanties à ces derniers (II).

I. Pour un aggiornamento de la distinction SPA/SPIC : services non marchands collectifs et services marchands individualisables

Le maintien d’une telle situation réglementaire des usagers de certains services publics administratifs mérite d’être réinterrogé dans ses assises non seulement sociologiques, voire psychologiques, mais encore économiques et bien sûr juridiques.

A. L’attractivité du droit de la consommation

Le droit de la consommation a irrigué le principe de légalité administrative par une décision de Section en date du 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, le Conseil d’État estimant que la législation sur les clauses abusives s’applique à un contrat relatif à la distribution d’eau conclu entre un service public industriel et commercial et ses usagers[16]. Une telle position, constamment réaffirmée[17], donne sa pleine application à l’article L. 212-1 du Code de la consommation : dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Pour rappel, le caractère abusif d’une clause au sens de ces dispositions s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même, mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service. Ainsi, par exemple, une association de défense des consommateurs a soumis au contrôle du juge de l’excès de pouvoir la légalité de la décision du Syndicat des transports parisiens – désormais Île-de-France Mobilités – fixant le tarif des lignes ferroviaires de la RATP et de la SNCF. Le Conseil d’État a jugé que la mesure visant à coordonner les tarifs entre les deux exploitants et les zones desservies par un ticket unique ne saurait être assimilée à une vente liée, prohibée par lesdites dispositions du Code de la consommation[18]. Désormais, « le droit de la consommation intervient en complément du droit administratif et s’adapte aux nécessités du service ; les deux droits s’interpénètrent pour renforcer le statut mixte, à la fois contractuel et réglementaire, de l’usager des services publics industriels et commerciaux »[19]. Un tel statut ne pourrait-il pas s’appliquer à l’usager des services publics administratifs à caractère payant ?

L’argumentation mérite d’être soulevée qui, débordant très largement en fait et surtout en droit le cadre strict dans lequel elle est développée, a vocation à s’étendre à notre sens aux usagers d’un SPA payant. En premier lieu, l’adoption de cette solution suppose vérifiée la relation entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur, établie entre l’administration et les usagers. Mais, et sitôt admise, on peine à comprendre en quoi une telle construction serait ainsi réservée aux seuls usagers des SPIC. En réalité, une telle restriction n’apparaît pas justifiée et semble tout au contraire mise à mal par une certaine réalité sociologique qui plaiderait même pour une assimilation de l’usager quel qu’il soit à un consommateur[20]. Les mots ne sont pas neutres en ce qu’ils sont toujours investis d’une certaine représentation du réel que l’on souhaite à la fois façonner et imposer, la dénégation du consommateur renvoie in fine à une perception verticale et unilatérale des relations entre l’administration et le public qui semble à contre-courant de sa physionomie actuelle et de la dilatation de la société consumériste d’aujourd’hui[21]. Elle ne semble pas avoir d’autre justification que de codifier une relation de sujétion en vertu de laquelle l’administration impose des obligations et des contraintes. Et la notion d’usager ainsi comprise reste subsumée sous la figure plus générale de l’administré[22], sujet docile et inactif en position d’extériorité et d’infériorité vis-à-vis de l’administration. Bras séculier de l’État et plus largement personnification des pouvoirs publics dont elle réfracte la légitimité tirée du suffrage universel, l’administration demeure installée dans une relation de surplomb vis-à-vis de la société. Le droit administratif en porte l’empreinte indélébile[23], alors même que sous l’effet des droits économiques et sociaux de toutes sortes, issus notamment de la troisième génération, et dont l’excroissance tend à reconfigurer les relations anciennes de dépendances ou de sujétions et à transformer les pouvoirs publics en pourvoyeurs ancillaires des besoins et aspirations des individus, l’administration prend désormais en charge de nombreuses prestations de biens et de services. En réalité, c’est bien à un processus inchoatif de privatisation de l’action publique et symétriquement de publicisation de la demande privée auquel nous assistons. Cette évolution n’est par ailleurs guère surprenante en ce qu’elle obéit à un aboutissement logique suffisamment mis en lumière pour qu’on ne s’attarde pas trop longtemps sur son élucidation[24]. La croissance de l’État providence est inscrite dans le déploiement de l’État libéral dont elle actualise les virtualités. Pour le dire autrement, c’est l’épanouissement des droits libertés qui donne corps et chair aux droits créances, lesquels loin d’être antinomiques comme le présentent souvent tout à la fois la vulgate néo-libérale et marxiste apparaissent au contraire complémentaires. Il y a ainsi une solidarité entre l’État libéral, qui consacre la naissance de l’individualisme démocratique, et l’État providence qui en réalise l’effectivité, entre la démocratie politique d’un côté et la démocratie sociale de l’autre. L’expression des libertés publiques est intrinsèquement un facteur de promotion de droits nouveaux qui appellent en retour la création de nouveaux services publics.

En regard de cette évolution, la dualité de service public apparaît désormais assez réductrice et n’épouse plus que très imparfaitement la réalité des situations que tisse l’extrême variété des prestations qu’offre l’administration aux usagers.

B. Le phénomène de spicisation du SPA 

Si les services publics administratifs obligatoires et en principe gratuits ne sont pas concernés par ce mouvement de banalisation du droit applicable au service public, il n’en demeure pas moins que certains actes administratifs, instruments de puissance publique, sont contrôlés dans leurs effets et soumis de facto à une rationalité propre au droit commun, en particulier le respect du droit de la concurrence s’agissant des actes unilatéraux ayant un objet économique[25]. En somme, « l’espace juridique tout entier est en pleine restructuration. Le tracé de la vieille frontière entre le droit public et le droit privé devient méconnaissable »[26], et la mutation du droit administratif s’accélérant sous la pression du marché a rendu désuète la distinction entre certains services publics à caractère administratif et à caractère industriel et commercial. En effet, de manière impressionniste, les libertés économiques ont peu à peu affaibli une telle distinction. La liberté du commerce et de l’industrie, érigée en principe général du droit[27], s’est très vite imposée à tous les actes de l’administration et la plus haute juridiction administrative la place au panthéon des libertés publiques et fondamentales[28]. En conséquence, est illégal un décret qui limite l’accès à une profession qui n’a fait l’objet d’aucune limitation légale[29]. Surtout, le droit de la concurrence a considérablement érodé son principe même[30] en jugeant qu’il appartient indifféremment à l’administration de veiller au respect des articles 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Plus généralement, une personne publique doit respecter le droit de la concurrence, devant veiller à ce que ses décisions, lorsqu’elle réglemente, ou plus généralement ses actions, lorsqu’elle intervient dans le champ concurrentiel par différents biais notamment contractuels, ne perturbent pas le fonctionnement du marché. En clair, elle ne doit pas octroyer certains avantages économiques préférentiellement à d’autres opérateurs. Cette interdiction de principe est assurée notamment par la répression des abus de position dominante. On aperçoit les soubassements économiques qui sous-tendent une telle logique qui, dans le cas contraire, aurait considérablement amenuisé la portée des obligations dans la mesure où le domaine public en constituant le siège d’activités économiques peut potentiellement s’avérer le vecteur de distorsions concurrentielles. Le respect du droit de la concurrence implique désormais de veiller à un principe plus substantiel d’égale concurrence. Surtout, sous l’effet du droit de l’Union européenne est réputée économique toute activité de production de biens et de services sur un marché donné, indépendamment de la forme juridique de la structure en cause qui en assure la délivrance. Quant à la consécration du service d’intérêt économique général, dont le syntagme est assez révélateur et qui s’est construit sur le modèle du service public à la française, il a définitivement lié et scellé les noces du service du service public et de l’activité économique.

En somme, la constitution de blocs de compétence est de plus en plus remise en cause. Tout au contraire, au nom d’un principe d’égale concurrence, on voit mal comment le droit de la consommation ne pourrait pas faire irruption au sein des services publics administratifs qui constituent en réalité parfois, loin s’en faut, une activité économique. L’on songe notamment aux nombreuses prestations offertes dans le domaine sportif ou culturel. Du reste, une même activité gérée pour l’une en régie et pour l’autre de manière déléguée et susceptible de relever relève respectivement du régime du SPA et du SPIC, preuve s’il en fallait une que la nature du service s’avère ténue pour justifier une dualité de régime alors même que les personnes publiques imposeront souvent à ces dernières les mêmes obligations auxquelles elles s’astreignent sous la forme des fameuses obligations de service public qu’elles financent largement. En somme, une même activité aux caractéristiques sinon identiques, du moins similaires, relevant de deux régimes complètement distincts. On pourrait pousser plus loin les contradictions ou les incohérences en rappelant que, si tant est que cela soit encore nécessaire, à la suite de son arrêt inaugural précité, le Conseil d’État est juge de la légalité des clauses réglementaires d’un contrat à la législation sur les clauses abusives lorsqu’elles ressortissent à l’organisation d’un SPIC[31].

L’effacement de la distinction entre le service public administratif et le service public industriel et commercial sous l’effet d’une extension continue de la notion d’activité économique apparaît ainsi plus que jamais inéluctable et nous semble devoir laisser place à une nouvelle dichotomie bien plus pertinente et opératoire entre les services non marchands collectifs d’une part et les services marchands individualisables d’autre part, les premiers concernant des prestations régaliennes ou à forte utilité sociale, les seconds des prestations économiques, nonobstant la part même marginale de la contribution financière de l’usager. Le service public administratif payant est l’autre dénomination de cette dernière catégorie.

En définitive, un régime juridique plus contrasté nous paraît pouvoir être dégagé et à l’application duquel les droits des usagers sortiraient renforcés.

II. Vers une anamorphose du droit de la consommation en faveur de l’usager du service public administratif payant

Loin de constituer un épouvantail, le droit de la consommation appliqué au service marchand individualisable ou service public administratif payant pourrait permettre de mieux protéger l’usager consommateur de service public, enrichissant ainsi l’office du juge administratif. L’image du droit de la consommation n’est plus aussi déformée dans la représentation administrativiste, telle l’anamorphose du tableau Les Ambassadeurs d’Hans Holbein de 1533 dont le regard de côté laisse entrevoir sa véritable signification[32].

A. Le préalable de la reconnaissance de la qualité de « professionnel » du gestionnaire de service public administratif payant

Les personnes publiques peuvent-elle valablement être considérées comme un professionnel[33], en réunissent-elles les attributs, ne serait-ce que matériels ? Ce questionnement est essentiel car la notion de consommateur acquiert aussi, du moins en partie, sa pleine justification en regard, inversement, de celle de professionnel qui finalement la légitime. Cette qualification est déterminante qui entraîne ou non l’application de la législation sur les clauses abusives.

Le Code de la consommation en son article liminaire qualifie le professionnel comme toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité notamment commerciale[34]. Il s’ensuit que si l’on suppose acquise l’assimilation des services publics administratifs payants à des activités économiques, les personnes morales de droit public et les collectivités territoriales en particulier devraient être regardées comme des professionnels suivant l’indifférence du critère organique résidant dans le statut public ou privé de l’opérateur. Comme nous l’avons indiqué précédemment, une telle conclusion apparaît complètement congruente avec la conception tout à la fois fonctionnaliste et finaliste du droit européen[35] qui conduit à déduire la présence du «  professionnel » de l’existence ou non d’une position d’infériorité ou de dépendance du consommateur à son égard.

De la sorte, et par extension, il est aussi coutume de définir le professionnel comme l’homme de l’art, ce qui suppose une activité exercée de manière habituelle de laquelle il découle une position d’expertise et de légitimité dans la confiance de laquelle se noue une relation commerciale avec un consommateur, indépendamment de sa qualité de personne physique ou morale, et de son statut privé ou public. La figure du professionnel se découvre par ailleurs des obligations qui pèsent sur les personnes publiques en termes de responsabilités et dont les exigences s’avèrent à peine moins accrues que celles susceptibles d’engager les obligations de réparer incombant aux personnes privées. Elles lui sont consubstantielles et se conjuguent pour renforcer la qualité d’expert centrale dans la détermination du professionnel.     

Une telle évolution ne peut laisser intacte l’ancienne philosophie du droit à raison de la promotion progressive mais inéluctable de l’usager-consommateur du service public et du champ d’application toujours important des activités économiques. Le principe certes n’est pas encore formulé, mais l’idée y est déjà bel et bien présente et active, finissant à terme par instruire sourdement les représentations mentales susceptibles de façonner et, demain, de rénover les relations entre l’administration et ses usagers. Tout comme la promotion de l’usager et l’abandon ou la destitution corrélative de l’administré s’est accompagnée d’une rénovation des relations entre l’administration et le public, contemporaine de l’ascension du contrat[36], fondée sur davantage de réciprocité, la figure du consommateur et la reconnaissance des pouvoirs publics en tant que professionnel nous semblent ouvrir et consacrer un approfondissement de l’interpénétration du droit public et du droit privé.

Au plan juridique, la fourniture de biens et services via des télé-services doit sur la forme s’accompagner également, et pleinement, de sa reconnaissance en tant que contrats d’adhésion que les dispositions du Code de la consommation trouvent à saisir sous la diversité ou indépendamment de ces supports de manifestation. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies. Cette nouvelle scène où se déploie une nouvelle relation juridique entre l’usager et le consommateur peut s’avérer être le lieu d’une sinon d’une transfiguration du moins d’une transformation du droit administratif incorporant désormais les grands principes qui gouvernent le droit des clauses abusives au bloc de légalité dans un nouveau pan du droit des services publics.

B. Pour en finir avec la situation légale et réglementaire de l’usager du service public administratif payant

Une telle évolution tirerait un trait sur des constructions jurisprudentielles peu satisfaisantes. Ainsi, s’agissant en particulier du service public de l’aide à domicile, le Conseil d’État a réaffirmé que l’usager du service public administratif demeure dans une situation légale et réglementaire, nonobstant la conclusion d’un contrat dit de séjour signé par l’usager et un centre communal d’action social (CCAS), établissement public à caractère administratif : « Considérant que la prise en charge d’une prestation d’aide à domicile par un centre communal d’action sociale, établissement public administratif en vertu des dispositions de l’article L. 123-6 du code de l’action sociale et des familles, a le caractère d’un service public administratif ; que les usagers de ce service public ne sauraient être regardés comme placés dans une situation contractuelle vis-à-vis de l’établissement concerné, alors même qu’ils concluent avec celui-ci un « contrat de séjour  » ou qu’est élaboré à leur bénéfice un « document individuel de prise en charge », dans les conditions fixées par l’article L. 311-4 du même code ; que le moyen tiré de ce qu’un litige opposant un tel service public administratif à un de ses usagers ne peut être réglé sur un fondement contractuel est relatif au champ d’application de la loi et est, par suite, d’ordre public »[37]. Si la conclusion d’une telle convention a pour objet de responsabiliser l’usager, ledit contrat n’en est finalement pas un, écartant ainsi l’application du droit de la consommation et des clauses abusives. En somme, l’usager du service public administratif signe en l’espèce un contrat d’adhésion à caractère réglementaire. L’artifice juridique déployé – et incompréhensible pour le justiciable- plaide pour une simplification.

Dans le même ordre d’idée pour une amélioration des droits de l’usager payant, dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public administratif, la mise en cause de l’administration pourrait ainsi être recherchée sur le terrain de la responsabilité sans faute, et en particulier pour rupture d’égalité devant la loi ou devant les charges publiques. En effet, le recours en responsabilité tendant à l’indemnisation ne peut prospérer que sur le terrain de la responsabilité sans faute qui réclame un préjudice anormal et spécial. Or, la spécialité fait défaut puisqu’un tel règlement vise tous les usagers. Pour rappel, expression de la volonté générale, notre tradition légicentriste a en effet longtemps placé le législateur au-dessus de toute responsabilité. L’administration ne sachant mal faire lorsqu’elle poursuit à bon droit un but légitime d’intérêt général, son action est ainsi exclusive de toute faute, laquelle demeure indispensable pour ouvrir droit à une action en réparation. Néanmoins, la jurisprudence administrative a très vite admis que des intérêts catégoriels puissent néanmoins en souffrir et que des personnes auxquelles la satisfaction de l’intérêt général a imposé des charges plus importantes puissent être indemnisées.[38] La solution était en germe et le commissaire du Gouvernement dans l’arrêt Couitéas d’exposer la justification « nomologique » d’un tel principe qui, comportant que les membres d’une collectivité sont tous solidaires notamment par le biais de l’impôt, la démonstration par un individu d’un préjudice rompant l’équilibre des charges et des profits de la vie commune crée à son profit un droit à un dédommagement imputable aux frais généraux de la société. La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques venait d’entrer dans notre ordonnancement juridique. Le Conseil Constitutionnel l’élèvera plus tard au rang de principe[39].

Son champ d’application a par suite été étendu aux décisions infra-législatives et aux actes réglementaires[40]. Sa mise en œuvre exige cependant un préjudice anormal, c’est-à-dire d’une certaine gravité, et spécial, dit autrement un préjudice d’une certaine ampleur et limité à un nombre restreint de personnes. La responsabilité extracontractuelle sans faute constitue ainsi, et ici, le terrain d’élection privilégié des usagers d’un service public administratif qui souhaiteraient exciper d’un préjudice pour contester notamment la situation réglementaire, ou son évolution, dans laquelle ils sont placés. Or, en pareille circonstance, la démonstration des caractères du préjudice s’avère par définition être une gageure les usagers étant tous placés dans la même situation vis-à-vis du service de sorte à tout le moins que la spécialité du préjudice fait souvent défaut. Dans ses effets, un tel dispositif apparaît en réalité voisin d’un mécanisme sinon élusif du moins limitatif de responsabilité de l’administration puisqu’elle permet d’imposer sans réelle contrepartie des sujétions unilatérales et réglementaires. Elle trouve sa justification dans le principe d’adaptabilité du service public qui implique que l’administration puisse apporter des changements dans la consistance des prestations offerts aux usagers ou dans ses modalités d’exploitation ou d’organisation. Cette dimension héraclitéenne est de l’essence même du service public qui doit pouvoir évoluer face aux mutations technologiques et techniques ainsi qu’aux nouvelles demandes sociétales, l’intérêt général qu’il vise et qu’il est sensé satisfaire étant une notion contingente, évolutive et relative. Dans ces conditions, il est malaisé d’instituer l’usager en position de revendiquer un quelconque droit subjectif opposable à la volonté de l’administration de procéder aux modifications induites par les nécessités de service public. Elle est renforcée par le principe qui, comportant que l’usager ne saurait avoir droit au maintien d’un règlement, permet à l’autorité compétente de modifier toutes les fois qu’elle le juge nécessaire des dispositions réglementaires sous réserve notamment de l’égalité de traitement entre les usagers, du principe de redevance pour service rendu et de la non rétroactivité des nouvelles mesures appelées à entrer en vigueur.

Cela étant, dans la pratique, certaines sujétions entretiennent une relation plus ou moins distante avec une telle exigence et c’est dans cet espace, croyons-nous, qu’un nouveau continent juridique s’offre au droit des clauses abusives qui pourrait avantageusement trouver à s’appliquer toutes les fois que les nécessités du service ne seraient pas avérées. Nous croyons même qu’à court ou à moyen terme, cette solution offre une voie moyenne sinon alternative à la refonte ainsi qu’à la réorganisation de nos catégories juridiques de services publics autour de ce qui semble être les services d’intérêt économique général d’un côté et les services sociaux d’intérêt général, ces derniers recouvrant les activités liées à l’exercice de puissance publique, les activités purement sociales, ou encore les prestations d’enseignement public. En unifiant les droits des usagers sous un même principe résidant tout entier dans la reconnaissance ou non d’une activité économique, ce nouveau régime en gommerait les incohérences actuelles, les aspérités confuses tout en permettant d’en rationaliser la mise en œuvre et les limites par l’application d’un ensemble de règles de droit positif communes qui les fondent.

Aussi, de telles dispositions pourraient désormais être appréciées au visa de l’article L.212-1 du code de la consommation qui prévoit que « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Sans remettre en cause les grandes règles et exigences qui gouvernent l’organisation et le fonctionnement du service public, une telle évolution traduirait une avancée notable pour les droits des usagers. 

En guise de conclusion, à l’heure où le service public est décrié, où les critiques sur son coût et son efficacité remettent en cause jusqu’à son existence même, en regard notamment d’une initiative privée tout aussi légitime dans sa capacité à enregistrer les demandes sociétales, l’incorporation du droit des clauses abusives au bloc de légalité administrative pourrait apparaître comme solution qui, pleinement congruente d’ailleurs avec une nouvelle théorie du service public dont il est possible de dégager et de repérer un nouvel « épistémé », s’avèrerait vectrice de nouveaux droits pour les usagers et interdirait une fois pour toute de regarder parfois le service public comme l’alibi souterrain de la puissance publique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 377


[1] Pierre Bourdieu, Contre-feux I, Paris, Liber-Raisons d’Agir, 1998, p. 9.

[2] Éric Massat, Servir et discipliner, Essai sur les relations des usagers aux services publics, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016.

[3] Mireille Delmas-Marty, « Le rêve de perfection transforme nos États de droit en États policiers », Le Monde, mardi 2 mars 2021, p. 28 ; Paul Cassia, « Le Covid-19 a gagné la guerre que lui a déclarée le président », Le Monde, samedi 20 mars 2021, p. 28.

[4] Pour une critique, Arié Alimi, Le Coup d’état d’urgence, Surveillance, répression et libertés, Paris, Seuil, 2021.

[5] L’art. 186 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a ainsi créé l’art. L. 131-13 du Code de l’éducation aux termes duquel « L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ».

[6] CC, décision n° 2008-569 DC du 7 août 2008, Loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, JO, 21 août 2008.

 « En l’occurrence, la corrélation entre la reconnaissance d’un droit et l’existence d’un service public est affirmée dans la mesure où elle découle d’une disposition législative dont le niveau de précision est suffisant pour créer une obligation à la charge des personnes publiques », Virginie Donier, « Chapitre 1. Le droit au service public, reflet des obligations pesant sur les personnes publiques », La Revue des droits de l’homme, 1, 2012, p. 399 (http://journals.openedition.org/revdh/151 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh. 151).

[7] Par ex., Défenseur des droits, La défaillance du forfait de post-stationnement : rétablir les droits des usagers, rapport, 2020 (https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_rapport-fps_09-01-2020_accessible.pdf).

[8] Voir, par ex., l’appel en faveur de la défense des trains du quotidien par le collectif « #enTrain », Le Monde, 17 juillet 2021.

[9] Voir, par ex., Erwan Le Noan, “Services publics : les Gilets jaune posent la question du rapport qualité-prix”, Trop libre, Fondapol, 8 décembre 2018 (https://www.contrepoints.org/2018/12/08/331955-services-publics-les-gilets-jaunes-posent-la-question-du-rapport-qualite-prix).

[10] Pour reprendre l’intitulé de l’ouvrage de Gaston Morin, La révolte des faits contre le Code, Esquisse d’une structure nouvelle des forces collectives, Paris, Bernard Grasset, 1920 ; sur ce point, Carlos Miguel Herrera, « Anti-formalisme et politique dans la doctrine juridique de la IIIe République », Mil neuf cent, Revue d’histoire intellectuelle, 2011/1 (n°29), pp. 145-165 (disponible en ligne sur Cairn).

[11] Camille Morio, L’administré, Essai sur une légende du droit administratif, préface de Nicolas Kada, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 320, 2021.

[12] Pour rappel, l’objet du service, l’origine de ses ressources et les modalités de ses fonctionnement et organisation, CE, Ass., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, Rec., p. 434 ; concl. Laurent, D., 1956, p. 759. La trilogie des fameux critères n’est pas forcément cumulative (par ex. sur le caractère déterminant du critère de l’objet du service, TC, 21 mars 2005, Mme Alberti Scott c/ commune de Tournefort, Rec., p. 651 ; conc. Duplat, BJCL, 2005, p. 396 ; note Lachaume, RFDA, 2006, p. 119).

[13] Quoique l’apparente simplicité reste sujette à la complexité. Voir Jean-François Lachaume, « La compétence du juge administratif dans le contentieux des relations entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers », Confluences, Mélanges en l’honneur de Jacqueline Morand-Deviller, préface de Roland Drago, contributions réunies par Maryse Deguergue et Laurent Fonbaustier, Montchrestien, 2007, p. 407 et s. 

[14] TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, Rec., p. 91 ; concl. Mater, D., 1921, 3, p. 1 ; GAJA, 21e éd., n°35. Il convient de rappeler que le juge départiteur n’emploie pas l’expression de SPIC mais d’exploitation de « service de transport dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire ». Pour une actualisation d’une lecture critique de cette décision, Mathieu Touzeil-Divina, Dix mythes du droit public, préface de Jacques Caillosse, LGDJ, coll. Forum, 2019, spéc. p. 279 et s.

[15] CE, Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Rec., p. 272 ; concl. Casas, RFDA, 2006, p. 1048 ; chron. Landais et Lenica, AJDA, 2006, p. 1592 ; note Bazex, DA, août-septembre 2006, p. 21 ; chron. Plessix, JCP G, 2006, I, p. 1754.

[16] CE, Sect., 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, Rec., p. 348, concl. C. Bergeal ; concl. C. Bergeal, CJEG, n°582, décembre 2001, p. 496 ; chron. Guyomar et Collin, AJDA, 2001, p. 853 ; note Guglielmi, AJDA, 2001, p. 893 ; note Eckert, RDP, 2001, p. 1495. Sur cette question, l’étude approfondie de François Béroujon, L’application du droit de la consommation aux gestionnaires de services publics, Éléments de réflexion sur l’évolution du droit des services publics, thèse, Grenoble II, 2005.

[17] CE, 30 décembre 2015, Société des eaux de Marseille, n°387666, Rec., Tables (à propos d’une clause abusive déclarée illégale en raison de l’exonération de toute responsabilité du service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l’abonné résulterait d’une faute commise par ce service).

[18] CE, 13 mars 2002, Union fédérale des consommateurs, Rec., p. 94 ; concl. Schwartz, BJCP, mai 2002, p. 230 ; note Guglielmi et Koubi, AJDA, 2002, p. 976 ; note R. S., DA, octobre 2002, p. 30 ; note Deffigier, RFDA, 2003, p. 772.

[19] Clotilde Deffigier, « Protection des consommateurs et égalité des usagers dans le droit des services publics », RFDA, 2003, p. 785.

[20] Jacques Chevallier, « Les droits du consommateur usager de services publics », Droit social, 1975, p. 75 et s.

[21] Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernes, avec la participation de Sébastien Charles, Paris, Grasset, coll. Nouveau collège de philosophie, 2004.

[22] Jacques Chevallier, « Les fondements idéologiques du droit administratif français », Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, t. 2, CURAPP, Paris, PUF, 1979, p. 3 et s. (en ligne).

[23] En ce sens, Jean-Arnaud Mazères, « Réflexions sur la génération du droit administratif », Mélanges offerts à Max Cluseau, Toulouse, Presses de l’IEP de Toulouse, 1985, p. 441 ; André Demichel, Le droit administratif, Essai de réflexion théorique, Paris, LGDJ, 1978. Un récent colloque a tiré de l’oubli toute la pertinence de l’œuvre d’André Demichel, https://www.univ-lehavre.fr/spip.php?article3160 (en cours de publication).

[24] Luc Ferry, Alain Renaut, 68-86 Itinéraires de l’individu, Paris, Gallimard, 1987.

[25] François Béroujon, « L’analyse des effets des actes administratifs : une nouvelle source de flexibilité du droit », RRJ, 2008-2, p. 1023 et s.

[26] Jacques Caillosse, « Droit public – droit privé : sens et portée d’un partage académique », AJDA, 1996, p. 960.

[27] CE, Ass., 22 juin 1951, (1ère esp.), Sieur Daudignac ; (2e esp.), Fédération nationale des photographes-filmeurs, Rec., pp. 362 et 363 ; concl. Gazier, (1ère esp.), D., 1951, II, p. 589 ; GAJA, n° 66.

[28] CE, 28 octobre 1960, Sieur de Laboulaye, n°48293.

[29] CE, 16 décembre 1988, Association des pêcheurs aux filets et engins, Garonne, Isle et Dordogne, n°75544.

[30] CE, Sect., 3 novembre 1997, Société Million et Marais, Rec., p. 406, concl. Stahl, p. 395 ; chron. Girardot et Raynaud, AJDA, 1997, p. 945 ; note Guézou, AJDA, 1998, p. 247 ; note Gaudemet, RDP, 1998, p. 256 ; GAJA, n° 101.

[31] CE, 30 décembre 2015, Compagnie méditerranéenne des cafés, n°387666.

[32] L’apparition de la tête de mort par cette mise de côté laisse entrevoir un crucifix dans le haut gauche du tableau, symbole d’espérance et de résurrection, Harry Bellet, « Miss Harvey sur les traces des “Ambassadeurs” », Le Monde, mercredi 7 août 2019, p. 21.

[33] Art L. 121-1 du Code de commerce.

[34] Cette définition est directement inspirée de l’article 2.2 de la directive n°2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, JOUE, 22 novembre 2011, L 304/64.

[35] CJUE, 17 mai 2018, C-147/16.

[36] Conseil d’État, rapport public 2007, Le contrat, mode d’action public et de production de normes (en ligne).

[37] CE, 5 juillet 2017, Mme A, n° 399977, Rec., Tables, concl. G. Pelissier, BJCP, n°115, p. 355, obs. S. Nicinski, p. 357 ; chron. J. Martin et G. Pelissier, JCP A, 5 février 2018, 2041.

[38] CE, 30 novembre 1923, Couitéas, n°38284, Rec. ; CE, Sect., 14 janv. 1938, Société des produits laitiers La Fleurette, n° 51704, Rec.

[39] CC, n°2015-715 DC, 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

[40] CE, Sect., 22 février 1963, commune de Gavarnie, n°50438, Rec., p. 113 (s’agissant de mesures de police interdisant le passage de piétons sur des voies où des commerçants tiraient l’essentiel de leur chiffre d’affaires de la circulation des piétons) ; CE, 31 mars 1995, Lavaud (indemnisation d’un pharmacien pour perte de clientèle par suite de la fermeture de tours d’habitation), n°137573, Rec. 


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ParJDA

L’accès à la Justice administrative au prisme de ses obstacles

Art. 376.

la présente contribution est intégrée à la chronique
Transformation(s) du service public
de novembre 2021

par Mme Dr. Oriane Sulpice,
chercheuse postdoctorale, Université Jean Moulin Lyon 3,
chercheuse associée au laboratoire CERDAP² (EA 7443)

Les bureaux d’aide juridictionnelle sont « en souffrance » [1], constatait le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel dans un avis du 8 juillet 2020 sur un projet de décret visant à réformer l’aide juridictionnelle[2]. Le Conseil regrettait que ce décret n’ait pas été pensé pour les juridictions administratives, notamment en ce qui concerne le contentieux des étrangers[3]. Il a malgré tout approuvé ce projet, qui est devenu un décret du 28 mars 2020[4]. Ce décret pose la question de l’accès au prétoire pour les requérants, alors même que la rhétorique autour de l’amélioration de l’accès à la justice administrative est au cœur des récentes réformes qu’a connu le contentieux administratif ces dernières années.

Depuis vingt ans, la simplification du droit, la performance, la qualité de la justice administrative innervent le discours de l’Etat. L’accès à la justice administrative est donc un thème sous-jacent à ce discours. En ce sens, la dématérialisation des procédures et une réflexion autour de la rédaction des décisions des juges administratifs ont été engagées. La dématérialisation des procédures a été introduite par Télérecours concernant les liens entre les juridictions et les avocats. Depuis fin novembre 2018, Télérecours citoyens permet à tout requérant de saisir par lui-même le juge administratif pour les matières où il existe une dispense d’avocat. Aussi, la réforme de la rédaction des décisions de justice pour l’ensemble de la justice administrative est mise en œuvre depuis le 1er janvier 2019. Un des objectifs de cette réforme s’inscrivait dans un meilleur accès au droit et par incidence aux juridictions administrative, en rendant les décisions plus aisées à lire.

Dans les lignes qui suivent, l’accès aux juridictions administratives de droit commun sera le thème qui va nous occuper. Nous laisserons de côté les juridictions administratives spécialisées. De plus, le thème de l’accès aux juridictions administratives peut revêtir plusieurs sens. Il peut s’agir de l’accès physique au prétoire, le fait de pouvoir s’y rendre physiquement et d’y être entendu. Il peut s’agir aussi de l’accès par le biais de l’intérêt à agir et des actes contre lesquels les requérants peuvent agir. Enfin, l’accès à la justice administrative peut être entendu comme le fait de détenir un capital procédural suffisant afin de faire entendre sa voix devant le juge administratif[5]. En ce sens, il faut alors savoir manier les nombreuses ressources afin de non seulement saisir le juge administratif, mais aussi de faire aboutir sa requête.

Au regard des différents courants de recherche en sciences juridiques, nous aimerions préciser notre approche. Cette dernière doit à la fois nous amener à une compréhension du droit, mais aussi apporter des éléments d’extériorité afin d’en affiner l’étude. Par exemple, François Ost et Michel Van de Kerchove[6] proposent une position externe modérée. En ce sens, nous tiendrons compte du discours du droit, et nous apporterons des éléments extérieurs afin de ne pas reproduire le discours des institutions, mais bien de chercher à l’expliquer. Ainsi, l’enjeu analytique ici est de ne pas seulement faire référence à la rationalité juridique du point de vue interne. Il faudra analyser qualitativement et quantitativement ce que cela signifie pour les requérants et ce que cela reflète de la relation entre l’Etat et les administrés. C’est aussi un thème peu abordé par la recherche. Il faut tout de même signaler une étude de la Mission de recherche Droit et justice entre 2004 et 2007[7] sur ce thème ou encore un dossier sur le thème dans la Revue Française de Droit Administratif en novembre et décembre 2019 intitulé « Le justiciable face à la justice administrative »[8].

Ces trente dernières années, on constate une forte augmentation du nombre des contentieux administratifs[9]. Le signe que ces contentieux ont fortement augmenté est notamment la création de cours administratives d’appel en 1987 pour y faire face, et la création récente d’une neuvième cour administrative d’appel à Toulouse en 2019[10]. De plus, l’accès aux juridictions administrative fait l’objet d’un certain nombre de principes juridiques. En effet, du point de vue des requérants le principe de légalité implique l’accès à un tribunal et le droit à un recours effectif, notamment issus de l’interprétation de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen[11]. C’est pour cela que l’accès aux juridictions administrative est un sujet dynamique, à analyser en parallèle des transformations de l’Etat et de son action. Le contrôle des actes de droit émis par l’Etat est une des composantes et des garanties de l’Etat de droit. Ils sont émis par des organes qui sont l’émanation même des transformations de l’Etat de droit dans l’édiction de normes juridiques, qui incarnent la régulation, telles les autorités administratives indépendantes. D’ailleurs, certains auteurs qualifient cet Etat « d’Etat post-moderne »[12]

Nous passerons rapidement sur les règles juridiques qui conditionnent l’accès au prétoire, car elles ne constituent pas le cœur de notre sujet, et parce que ce sujet est largement traité par la doctrine juridique[13]. D’une part, concernant les règles juridiques, ces dernières années le juge administratif a ouvert le prétoire à des actes qui auparavant étaient insusceptibles de recours. Depuis 2000 par exemple, les dispositions impératives à caractère général des circulaire[14], le contrôle des mesures d’ordre intérieur, notamment les sanctions disciplinaires prises à l’encontre des prisonniers[15], les tiers aux contrats administratifs justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif peuvent contester sa validité devant le juge administratif[16]. On peut penser aussi aux actes non décisoires mais faisant grief[17], aux actes ne produisant pas d’effet juridique mais faisant grief [18],  ou aux documents de portée générale de l’administration ayant des effets notables[19]. L’ouverture des référés à partir de 2000 va aussi dans ce sens, notamment pour le référé-liberté[20]. D’autre part, la définition de l’intérêt à agir est une condition malléable de l’accès au prétoire. La délimitation de l’intérêt à agir est en tension avec le droit d’exercer un recours effectif. Avoir intérêt à agir c’est avoir qualité à agir, ou encore avoir le « titre juridique qui habilite à saisir le juge » selon René Chapus[21]. La définition de l’intérêt à agir des requérant sert au juge administratif à réguler l’accès au prétoire, tout comme la définition des actes susceptibles de recours.

Cependant, ces règles juridiques ne sont pas les seules conditions d’accès au juge. L’accès aux juridictions administratives est conditionné tant par les règles de droit elles-mêmes que par des facteurs tenant à la maîtrise du capital procédural par les requérants[22]. En ce sens, nous exposerons que l’amélioration de l’accès à la justice administrative imprègne les discours des acteurs étatiques, mais est en tension avec les logiques de performances et d’efficience de la justice ayant conduit aux récentes réformes du contentieux administratif. La détention d’un capital procédural pour les requérants est une condition majeure de l’accès au prétoire, qui reste peu démocratisée en droit administratif (I). De plus, les dernières réformes du droit et de la justice administrative forment un trompe-l’œil qui ne résolvent pas ces problèmes d’accès aux juridictions (II).

I. L’accès au prétoire entre mythe et réalité pour les requérants : une affaire de capital procédural

Le recours pour excès de pouvoir a été érigé en mythe par la littérature juridique (A), ce qui occulte une réalité d’un accès au prétoire conditionné par la détention d’un capital procédural pour les requérants (B).

A. Le mythe du recours pour excès de pouvoir

En droit administratif, dans le cas du recours pour excès de pouvoir, les requérants sont dispensés d’avocat, ce qui faciliterait l’accès au juge. Pourtant, rien n’est moins sûr. Au sein de la littérature juridique, il semble qu’il existe un mythe du recours pour excès de pouvoir. René Chapus le qualifie par exemple de « recours d’utilité publique » dont l’objet est « la sauvegarde de la légalité »[23]. Pour Maurice Hauriou, le requérant « joue le rôle d’un ministère public poursuivant la répression d’une infraction »[24]. Une illustration récente de cette idéalisation du recours pour excès de pouvoir est l’ouverture de la plateforme internet Télérecours citoyens qui permet à tout requérant de saisir le juge administratif d’un recours contentieux dans les matières administratives. Or, selon la synthèse de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice menée de 2004 à 2007 « une majorité de requérants introduit son recours au tribunal avec ministère d’avocat, bien que cela ne soit pas pour eux une obligation. »[25]. Ainsi, le recours pour excès de pouvoir permettrait d’assurer la légalité de l’action administrative par les citoyens eux-mêmes, par le simple biais d’un recours contre un acte. Il revêtirait donc une forte dimension démocratique. Cependant, la saisine d’un juge et la rédaction d’une demande nécessitent des connaissances juridiques et une pratique aguerrie. Le recours à un avocat semble indispensable, mais il peut être inaccessible financièrement pour de nombreux requérants.

L’aide juridictionnelle paraîtrait être une solution. La loi 10 juillet 1991 prévoit le bénéfice de l’aide juridictionnelle en faveur des justiciables dont les ressources sont inférieures à un certain plafond. Au regard du droit, l’aide juridictionnelle contribuerait à garantir le droit à un recours effectif devant une juridiction[26]. En 2018, il y a eu 4101 demandes d’aide juridictionnelle pour 256 000 affaires enregistrées par les juridictions. Cela veut dire qu’à peine 2% des requérant en 2018 ont fait la demande d’aide juridictionnelle. Pour mieux comprendre l’aide juridictionnelle, un détour sur le site d’un tribunal administratif permet de mieux comprendre la démarche à effectuer. Pour le tribunal administratif de Grenoble le formulaire rappelle : « Vos identifiants fiscaux et d’allocataire de la Caisse d’allocation familiale (CAF) peuvent être utilisés pour vérifier la complétude et l’exactitude de vos déclarations. »[27], ce qui peut constituer pour certains requérants une démarche intrusive et qui les met face à une procédure de vérification à laquelle ne sont pas soumis ceux qui n’ont pas besoin de cette aide. En effet, le formulaire implique que la demande d’aide juridictionnelle s’intéressera aux revenus du requérant, à sa situation professionnelle, au nombre de personnes avec qui il vit et qu’il a à charge, à son numéro d’allocataire de la caisse d’assurance familiale ainsi qu’à ses identifiants fiscaux. De plus, la disponibilité du service semble limitée, le site indique que : « Les appels sont pris par le BAJ uniquement l’après-midi de 14h à 16h ; toutefois, à compter du 23 septembre 2019, en raison d’un flux conséquent de demandes d’aide juridictionnelle, l’accueil téléphonique consacré à l’aide juridictionnelle, […] sera temporairement limité au : vendredi de 14 h à 16h »[28]. L’aide juridictionnelle ne facilite donc pas réellement et massivement l’accès à la justice administrative. En réalité, l’introduction d’un recours devant la juridiction administrative et le fait de remporter le contentieux est plutôt l’affaire de maîtrise d’un capital procédural.

B. Le capital procédural comme facteur déterminant de l’accès au prétoire

Alexis Spire et Katia Weidenfeld étudient le domaine du contentieux fiscal devant les tribunaux administratifs et démontrent les inégalités des requérants devant cette justice. Leurs travaux ont eu lieu dans le cadre de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice menée de 2004 à 2007. Ils insistent sur l’importance du rôle des intermédiaires du droit pour accéder aux tribunaux. Ils estiment que « Les chances d’accéder au tribunal et d’y obtenir gain de cause ne se réduisent pas à un ensemble de compétences juridiques, mais dépendent plutôt d’un capital procédural que des justiciables détiennent sans avoir nécessairement de connaissances en droit. »[29]. Ce capital procédural consiste en « la capacité du requérant à traduire, ou à faire traduire, son affaire dans le langage du droit qui conditionne ses chances de réussite. »[30]. Les intermédiaires du droit sont aussi essentiels. Ainsi, la synthèse de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice menée de 2004 à 2007 expose « L’importance des « intermédiaires du droit » dans la formation d’un recours révèle le trompe-l’œil que constitue la justice administrative : le dépôt d’une requête semble à la portée de tous les usagers de l’administration, quels que soient leurs ressources ou leur profil sociologique, mais cette très large ouverture masque de profondes inégalités dans la compréhension de la procédure et les différents usages qui peuvent être faits du tribunal. »[31]. Cette étude suggère que le recours aux tribunaux administratif ne se présente pas spontanément pour les administrés, mais que les intermédiaires juridiques informent et incitent à avoir recours au juge administratif. Il y a donc une double barrière à franchir à l’entrée des tribunaux. En premier lieu, il faut avoir conscience qu’un acte administratif peut être déféré devant une juridiction. En second lieu, il faut pouvoir formuler la requête en termes juridiques. Le recours à des auxiliaires de justice tels, les avocats ou à des intermédiaires, tels des associations, permet de traduire dans le langage contentieux une demande à laquelle l’administré n’aurait peut-être même pas pensé lui-même. Ainsi, des jurisprudences portent des noms récurrents d’associations, par exemple le GISTI[32] qui agit dans le domaine du droit des personnes immigrée en intentant des recours devant les juridictions administratives ou à France Nature Environnement qui agit dans le domaine de la protection de l’environnement. Pour le requérant, le rôle des avocats est prépondérant. Ils traduisent en fait dans le langage juridique les demande des requérants qui les sollicitent. En cela, leur maîtrise du champ juridique et du langage juridique leur confère un rôle central[33]. Pourtant en droit administratif, le recours pour excès de pouvoir est présenté comme un recours idéal car dispensé d’avocat. Or, l’étude de Alexis Spire et Katia Weidenfeld remet en cause cette idée. Elle remet en cause aussi l’idée que le droit n’est qu’une affaire de juristes professionnels formés par des études de droit initiales. En effet les membres de associations qui assurent les permanences juridiques peuvent se saisir de la question contentieuse par le biais d’une formation et de la pratique. Le contentieux administratif contient donc une inégalité de fait entre ceux qui maîtrisent le capital procédural et ceux qui ne le maîtrisent pas.

Aussi, l’augmentation du nombre de recours ne signifie pas forcément que l’accès à la justice améliore les conditions de vie des requérants. Par exemple le fait que le nombre de contentieux en matière de droit des étrangers augmente d’années en années n’indique pas une amélioration de l’accès à la justice pour les étrangers, mais bien une stratégie de judiciarisation de cette problématique par les associations face à la multiplication des actes à leur égard. La synthèse de l’étude de la Mission de recherche Droit et Justice portant sur le recours à la justice administrative explique que : « Nombre d’associations (comme la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme ou la Fédération des associations de travailleurs immigrés) se sont en effet progressivement spécialisées dans une défense juridique des étrangers en situation irrégulière et cette forme de mobilisation par le droit a beaucoup contribué à augmenter le nombre de recours déposés au tribunal administratif. Il est bientôt devenu impératif pour les membres de ces associations souhaitant s’investir dans les permanences de conseil et de soutien aux migrants, de suivre une formation juridique sur le droit des étrangers. »[34].

Ainsi, l’introduction d’un recours n’est pas aussi simple que le laisse promettre le recours pour excès de pouvoir dans les manuels de droit. Et les difficultés d’accès à la justice administrative n’ont pas été levées par les récentes réformes du contentieux administratif. Ces dernières ont été conduites avec des éléments de langage relatifs à la simplification du droit et à l’amélioration de l’accès à la justice. Ces discours révèlent aussi une rhétorique de la performance et de l’efficience. Nous allons voir ce qu’il en est.

II. Des réformes en trompe-l’œil ne résolvant pas la problématique de l’accès à la justice administrative

L’accès à la justice administrative semble être la préoccupation de plusieurs réformes récentes du contentieux administratif. Or, les notions suivantes ont guidé ces réformes : simplification[35], performance[36], qualité[37] et dématérialisation des procédures. Nous verrons que derrière un discours qui semble se préoccuper de l’accès à la justice se trouve en fait une rhétorique managériale qui s’applique désormais aux magistrats administratifs. Elle se retrouve dans des réformes qui visent à la simplification du droit qui est une des composantes de l’accès aux juridictions administratives (A). La rhétorique de la performance et de l’efficience de l’action administrative a entraîné des conséquences sur les réformes des procédures contentieuses (B).

A. La simplification du droit comme mirage

La question de l’accès au juge pose celle de l’accès au droit. Les acteurs du droit font de la simplification du droit un des axes de l’accès au droit et aux tribunaux. En 1991 le Conseil d’Etat, il estimait que « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite »[38]. En 2006, le thème du rapport annuel produit par le Conseil d’Etat était « Sécurité juridique et complexité du droit »[39]. Il adresse deux critiques à l’évolution récente du droit, la prolifération des normes juridiques et la formulation des lois, trop générales, trop descriptives. Le Conseil d’Etat invite à une simplification du droit.

Ce rapport a engagé une réflexion sur la qualité du droit et sur la façon de produire des lois. Il fait écho aux jurisprudences qui dégagent deux principes, celui d’intelligibilité du droit[40] et celui de sécurité juridique[41]. Ainsi, en 2003 et 2004, le Parlement a habilité le gouvernement à prendre des ordonnances de simplification du droit. En 2011 et en 2015, des lois de simplification du droit a été adoptée, et en juillet 2019 une loi de simplification concernant le droit des sociétés a été votée[42]. En somme, la simplification du droit s’est installée au cœur des préoccupations du législateur. Cette notion de simplification du droit semble recouper à la fois une préoccupation pour la qualité textuelle de la rédaction des dispositions juridiques et la suppression de certains textes qui semble obsolètes. En ce sens, en 2011, le député Jean-Luc Warsmann rend un rapport au Président de la République sur « La simplification du droit au service de la croissance et de l’emploi, »[43]. Il explique que la simplification du droit permettrait de réduire l’incertitude liée à l’application des règles de droit, donc d’améliorer la sécurité juridique ; et de permettre un meilleur accès et une meilleure compréhension des jugements et des lois. Ainsi, la simplification du droit a un lien avec l’accès à la justice administrative pour a moins deux raisons. Premièrement dans le discours des acteurs politiques, la simplification des textes juridiques permettrait un meilleur accès au droit et à la justice. Deuxièmement la rédaction des décisions des juridictions administratives a été revue dans cette optique.

Concernant la simplification des textes juridiques, pour Jacques Chevallier, elle est le corollaire de la simplification de l’action publique. Il explique que « la préoccupation récurrente en France de « simplification du droit », illustrée depuis les années 2000 par l’adoption d’une série de lois successives et relancée depuis 2012, sous couvert du « choc de simplification » lancé en mars 2013 montre bien que l’amélioration de la qualité de l’action publique est censée passer de manière privilégiée par le vecteur juridique »[44]. Pour lui, la simplification revêt trois aspects : alléger[45] , clarifier[46] , assouplir[47]. Dans tous les cas, « les volontés de simplification rencontrent un ensemble de limites, qui renvoient à l’essence même du droit. »[48]. En effet, Jacques Chevallier explique que les textes juridiques sont le résultat d’un rapport de force politique et que le droit reflète la complexité de notre monde. En tout cas, cette logique de la simplification a engendré des conséquences concrètes pour le contentieux administratif.

Concernant la simplification des décisions de justice, en avril 2012, le groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative a rendu un rapport proposant une réforme des décisions du juge administratif[49]. Plusieurs expérimentations ont eu lieu, et depuis le 1er janvier 2019, l’ensemble des juridictions administratives se voient soumises à une nouvelle rédaction des décisions de justice. Les juridictions utiliseront notamment le style direct, abandonnant le traditionnel « Considérant que ». Elles citent aussi maintenant les décisions du Conseil d’Etat sur lesquelles elles s’appuient. Cette nouvelle rédaction vient heurter les principes auxquels se rattachent les magistrats administratifs traditionnellement. Par exemple, la concision des décisions est une caractéristique à laquelle les magistrats sont attachés mais qui est remise en cause par cette réforme. En effet, si la concision démontre la rigueur du raisonnement, elle peut se réaliser au détriment de la motivation des décisions qui paraît parfois sommaire, voire lapidaire. Le rapport estime qu’une rédaction plus fournie des décisions de justice est « nécessaire aux différents destinataires des décisions de justice, qu’il s’agisse des parties pour comprendre la solution donnée à leur litige – et leurs conseils ont à plusieurs reprises rappelé au groupe de travail qu’une meilleure compréhension des décisions de justice était de nature à réduire le nombre de recours –, ou des justiciables en général et des praticiens qui les conseillent et informent en particulier, pour lesquels les décisions de justice participent de l’élaboration d’un droit positif qui doit présenter un certain degré de prévisibilité. »[50]. Ce groupe de travail a envisagé la rédaction des décisions de justice sous le thème de l’amélioration de l’accès à la justice administrative, tout en adoptant une méthodologie ambigüe. Le rapport montre que « Le groupe est bien conscient que, compte tenu de la technicité de la matière juridique, une décision de justice sera toujours d’une lecture difficile et qu’il serait illusoire de viser une parfaite et immédiate compréhension par tous les citoyens de l’ensemble des jugements et arrêts. Il convient cependant de se demander si le mode de rédaction actuel ne constitue pas un obstacle supplémentaire et inutile à l’accès au droit qu’il serait possible de réduire. »[51] . Ainsi, la réflexion a été engagée uniquement en lien avec les magistrats, les avocats et les universitaires, c’est-à-dire avec les juristes initiés. Ils sont appelés par le rapport « les lecteurs des décisions de justice »[52], mais ce terme ne doit pas nous tromper sur ceux qui lisent réellement les décisions. La nouvelle rédaction des décisions de la justice administrative n’a donc jamais visé à être mieux compris par les justiciables, mais bien par le cercle des juristes, entendu comme le cercle des professionnels du droit et notamment du contentieux. Les administrations ou les justiciables ne font pas partie de l’enquête menée par la commission de ce rapport. Alors que cette commission ne les a pas consultés, elle en déduit pourtant qu’ « Il est rapidement apparu que l’objectif d’amélioration de l’intelligibilité des décisions de justice, […] répond à une attente des justiciables[…] »[53].  A la suite de ce rapport, un Vade-mecum sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative est applicable depuis le 1er janvier 2019. Comme l’explique Clotilde Deffigier, ces réformes concernent plutôt la qualité formelle des décisions : « Un premier bilan peut être tire de ces évolutions ; ainsi si la qualité formelle permet une lecture facilitée des décisions de justice, la recherche d’une qualité substantielle ne résout sans doute pas toutes les difficultés de compréhension de la décision par le justiciable. »[54]. Par ailleurs, Fabrice Melleray fait remarquer que cette nouvelle rédaction n’empêche pas les juridictions de faire preuve d’un « raisonnement très ramassé illustrant que la réforme de la rédaction des arrêts du Conseil d’État peut parfaitement se marier avec les canons du classicisme et de la brièveté »[55].

En effet, le vernis de la simplification ne résout pas la question qu’il faut disposer de capital juridique et procédural significatif pour pouvoir comprendre les textes juridiques. Elle ne règle pas la question qui pourrait se poser aux cas de non-recours à la justice administrative. Selon Héléna Revil et Philippe Warin, le non-recours s’identifie lorsque : « les ressortissants des politiques publiques n’utilisent pas les prestations ou les services auxquels ils ont droit. »[56]. Le non-recours correspond à une situation ou une personne qui a droit à une prestation fournie par un service public n’y a pas recours. Selon Héléna Revil et Philippe Warin, la question du non-recours pose une question démocratique. Par ailleurs, une étude de psychologie sociale s’intéressant au non-recours à la justice démontre que l’accès au droit est autocensuré pour certains requérants peu dotés en capital juridique. Ces raisons sont multiples. Cette étude démontre qu’il existe une défiance envers les institutions judiciaires, une critique de la justice vue comme trop longue et complexe et une réticence à accéder à la justice perçue comme trop impressionnante[57]. La simplification ne résout donc pas la question de la perte de confiance dans des procédures qui paraissent inaccessible et une justice jugée trop complexe. La loi de programmation de la justice de 2018-2022 explique dans l’exposé des motifs que : « Le Gouvernement souhaite engager une réforme de la justice pour rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance de nos concitoyens dans notre justice. ». Ce sont pourtant d’autres motivations qui paraissent avoir guidées les dernières réformes de la justice administratives, tournées vers une logique budgétaire.

B. Une rhétorique de l’amélioration de l’accès masquant des réformes tournées vers une logique de performance de l’action publique

Afin de revenir sur ces réformes et sur la question des moyens alloués, il faut exposer quelques chiffres importants. En 2018, le Conseil d’Etat a jugé 9583 affaires. Le délai prévisible de jugement était d’entre 6 et 7 mois. Les cours administratives d’appel ont jugé 32 854 affaires avec un délai prévisible moyen de jugement entre 10 et 11 mois. Elles ont enregistré 33 773 affaires. Les tribunaux administratifs ont jugé 209 618 affaires, avec un délai prévisible moyen de jugement est situé entre 9 mois et 10 mois. Ils en ont enregistré 213 029 affaires. Les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel ont jugé en 2018 entre 4 et 5 % d’affaires en plus qu’en 2017. Le délai prévisible moyen de jugement diminue, mais le nombre d’affaires enregistrées continue lui d’augmenter chaque année entre 2 et 5% par an. Ces chiffres permettent de constater que le contentieux administratif est en constante augmentation et que les délais de jugement se sont fortement réduits.

L’augmentation du contentieux a conduit à de nombreuses réformes pour réduire les délais de jugement. La question des réformes et mesures prévues pour la justice administrative et à lire en parallèle de la problématique relative aux moyens financiers et humains dont disposent les tribunaux administratifs. Lucie Cluzel-Métayer et Agnès Sauviat démontrent que la logique de performance de l’action administrative amenée par la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) de 2001 et la révision générale des politiques (RGP) de 2007 a largement débordé sur le domaine du contentieux administratif[58]. Le budget des juridictions administratives est d’environ 400 millions d’euros[59] pour 2019. En pratique, les magistrats administratifs, dans leurs fonctions contentieuses, sont soumis à des objectifs et des indicateurs de performance associés à ce budget[60]. L’objectif n°1 est réduire les délais de jugement. L’indicateur de performance associé est le délai moyen constaté de jugement des affaires et la proportion d’affaires non encore jugée depuis 2 ans, qui est appelé « affaires en stock ». L’objectif n°2 est de maintenir la qualité des décisions juridictionnelles ; l’indicateur de performance est le taux d’annulation des décisions juridictionnelles. L’objectif n°3 est d’améliorer l’efficience des juridictions. L’indicateur de performance retenu est le nombre d’affaires réglées par magistrat. En 2016 le nombre d’affaires réglées par magistrat était de 91 pour les membres du Conseil d’Etat et de 84 en 2018. Il était de 116 dans les cours administratives d’appel et 120 en 2018, 250 en tribunal administratif et 260 en 2018. Le nombre d’affaires réglées par agent de greffe est calculé aussi. En 2018 170 au Conseil d’Etat ; 130 en cour administratives d’appel et 220 en tribunaux administratifs. Ainsi, les magistrats administratifs et les agents de greffe voient leur travail évalué par des outils qui mesurent leur performance. Cette performance se mesure notamment au nombre d’affaires traitées.

On constate que même si le délai se réduit, les affaires en stock augmentent de manière continue. Afin de réduire les stocks d’affaires, plusieurs réformes ont été mises en œuvre. Elles ont conduit à faire traiter des affaires par un juge unique dérogeant au principe de collégialité. Aussi, la justice administrative a connu une dématérialisation et une suppression de l’appel dans certaines procédures. Pour Gustave Peiser ces réformes peuvent avoir un effet pervers. Il explique : « J’ai appris, puis enseigné, qu’il s’agissait dans les deux cas d’une avancée fondamentale pour l’accès à la justice administrative. Prenons garde que les mesures prises aujourd’hui – juge unique, suppression de la possibilité d’appel, obligation d’avocat – n’aient un effet inverse et ne découragent certains requérants dont les requêtes mériteraient d’être mieux étudiées sans accumuler les obstacles. »[61]. Cette rhétorique de la simplification et de l’amélioration de l’accès à la justice crée un certain malaise, car on peut douter d’un meilleur accès à la justice pour les requérants. Les objectifs de performance semblent être une justification au regard d’un impératif de gestion budgétaire venu de la loi de programmation de la justice pour 2018-2022[62] plutôt qu’une réelle avancée pour les requérants.

C’est ainsi que le traitement des recours par un juge unique, pensé pour accélérer le traitement des recours, a été élargi. Le Conseil Constitutionnel a estimé que le recours au juge unique ne porte pas atteinte au principe d’égalité ni au principe des droits de la défense[63]. Par ailleurs, la suppression de l’appel dans certains contentieux en urbanisme marque la volonté que les projets ne soient pas ralentis par le recours au juge pour les contester. Récemment, la suppression de l’appel pour la Tour triangle et la suppression de voies de recours contre les projets d’urbanisme liés aux Jeux Olympiques de 2020 ont suscité le débat. C’est la loi ELAN de 2018 qui prévoit cette suppression[64] la rendant applicable aux « constructions et opérations d’aménagement dont la liste est fixée par décret, situées à proximité immédiate d’un site nécessaire à la préparation, à l’organisation ou au déroulement » des Jeux « lorsque ces constructions et opérations d’aménagement sont de nature à affecter les conditions de desserte, d’accès, de sécurité ou d’exploitation » de ce site pendant les épreuves olympiques ». Un décret de 2019 fixe cette liste [65]. Il dresse la liste des constructions et opérations concernées par ce régime contentieux particulier, mentionne le projet de la Tour Triangle. La loi ELAN et ce décret permettent des procédures d’urbanisme accélérées et simplifiées, qui visent notamment à réduire les éléments de participation du public sur ce projet alors même qu’il n’a pas de lien avec l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. C’est la Cour administrative d’appel de Paris qui s’est vu attribuer ces contentieux[66]. Elle jugera en premier et dernier ressort, des opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. La voie de l’appel est donc supprimée à compter du 1er janvier 2019. De même dans les litiges concernant les recours contre des autorisations d’urbanisme, dans les « zones tendues ». Depuis un décret du 1er octobre 2013, les tribunaux administratifs sont compétents en premier et dernier ressort et dans d’autres cas, ce sont les cours administratives d’appel qui sont compétentes en premier et dernier ressort[67].

La dématérialisation du traitement des dossiers sert aussi parfois à gérer un manque de moyen volontaire, comme c’est le cas des tribunaux administratifs d’outre-mer[68]. La dématérialisation des procédures en outre-mer a été prévue par la loi de 2004 de simplification du droit habilitant le gouvernement à prendre des mesures dans le cadre d’ordonnances[69]. L’article L. 781-1 du code de justice administrative prévoit des dispositions particulières pour ces tribunaux, et notamment des audiences par communication audiovisuelle au cas où aucun magistrat ne soit présent. Des magistrats se trouvent ainsi affectés simultanément dans plusieurs tribunaux[70]. Or, les longues distances entre les sièges de ces juridictions et les difficultés éventuelles de transport rendent les délais de déplacement parfois incompatibles avec les nécessités de la justice. C’est ainsi, en particulier, qu’il peut être difficile, voire impossible, de respecter le délai de quarante-huit heures prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative en matière de référé-liberté. Il n’existe pas de cour administrative d’appel dans ces territoires, la cour administrative d’appel est soit celle de Bordeaux[71], soit celle de Paris. De plus, les moyens audiovisuels qui permettent de mener les audiences, au cas où aucun magistrat ne soit présent, peuvent être défaillant. Ainsi, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’était pas possible que l’audience ait lieu par téléphone portable. Dans le cadre d’un référé, aucun magistrat ne se trouvait à Saint-Pierre-et-Miquelon, l’audience se passait donc à distance avec un magistrat situé au tribunal administratif de la Martinique. La greffière du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a été obligée d’utiliser son propre téléphone portable pour que l’audience ait lieu car le dispositif de visioconférence ne fonctionnait pas. Le Conseil d’Etat a estimé que cette audience ne s’était pas tenue dans des conditions régulières car l’audience doit se faire en visioconférence et non seulement par un seul dispositif audio[72].

Cette situation pose la question des moyens alloués aux juridictions administratives pour les prochaines années. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice[73]comporte des dispositions relatives aux juridictions administratives. Sous le vocable d’« Alléger la charge des juridictions administratives », au Titre III de la loi, plusieurs mesures sont prévues visant à faire revenir dans les tribunaux des magistrats honoraires et à instaurer un statut de juriste assistant. Concernant les magistrats honoraires cette mesure vise à élargir les possibilités de recours aux magistrats honoraires qui existaient déjà. Ils pourront siéger en formation collégiale, en juge unique ou en juge des référés. Concernant les juristes assistants, il est prévu qu’ils soient des contractuels de la fonction publique de catégorie A, titulaires d’un diplôme de doctorat en droit ou sanctionnant une formation juridique au moins égale à cinq années d’études supérieures après le baccalauréat avec deux années d’expérience professionnelle dans le domaine juridique. Ces assistants seraient recrutés pour une durée de trois ans renouvelable une seule fois. Les mesures prévues par cette loi sont mises à mal par un rapport sénatorial[74]. Ce rapport estime que les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs sont les « laissés-pour-compte » de ce budget[75]. Il constate une augmentation continue des contentieux et des moyens insuffisants pour traiter les recours, ce qui entraîne des conséquences sur les conditions de travail des magistrats. Pour lui, la loi de programmation des finances publiques[76] pour les années 2018 à 2022 « a prévu pour cette période une dotation supplémentaire de 35 emplois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, soit une augmentation cumulée sur quatre ans de 1 % seulement des effectifs totaux de ces juridictions (2 693 personnes en 2018). Pour 2019, seuls 10 ETPT seront créés à destination de ces juridictions. ». Selon le sénateur « ces créations d’emplois à destination des autres juridictions administratives sont insuffisantes compte tenu de l’augmentation constante de leur activité, observée ces dernières années, liée à la progression des contentieux de masse (contentieux des étrangers, contentieux sociaux, contentieux de la fonction publique…) et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur. »[77] . Le sénateur indique que ce manque de moyens entraîne des conséquences sur les conditions de travail des magistrats et donc sur le traitement des dossiers. Il s’appuie pour cela sur un baromètre social établi par le Conseil d’Etat en 2017. Le sénateur regrette que « le premier baromètre social établi en 2017 par le Conseil d’État révélait que la charge de travail est ressentie comme excessive par 60 % des magistrats, et comme inconciliable avec la vie privée par 55 % d’entre eux. Par ailleurs, les jours d’arrêts maladie ont augmenté de 11 % chez les magistrats et de 18 % chez les agents de greffe entre 2016 et 2017. »[78]. Lors de son déplacement au tribunal administratif de Dijon, le sénateur qui a rédigé le rapport explique que « les magistrats et personnels administratifs rencontrés par votre rapporteur l’ont alerté sur l’impossibilité pour les juridictions administratives de continuer à faire face à leurs missions sans moyens supplémentaires. ». Par ailleurs, l’Union Syndicale des Magistrats Administratifs démontre que le manque de moyens conduit à une dégradation de la justice rendue. Dans son avis pour le projet de loi de finances pour 2020, elle estime que « seules 34 % des décisions sont désormais rendues dans un cadre collégial. Or, le juge statuant seul assume des décisions humainement difficiles, sur lesquelles le défaut de confrontation des points de vue constitue véritablement une perte de garantie pour le justiciable. Parallèlement, le juge ainsi exposé, et il le sera plus encore avec l’usage des algorithmes de profilage, voit sa légitimité s’effriter. »[79]. Elle explique aussi que paradoxalement toutes les procédures pensées pour simplifier et accélérer la procédure contentieuse entraînent une charge de travail supplémentaire qui ralentit le traitement des dossiers. Elle réclame une augmentation des moyens à hauteur de l’augmentation des contentieux. Ainsi, la rhétorique de l’amélioration de l’accès à la justice administrative masque mal des réformes tournées vers une logique de performance et d’efficience selon des critères budgétaires.


La question de l’accès aux juridictions administratives est indissociable d’un questionnement sur l’Etat de droit et la démocratie. En effet, l’accès aux juridictions administratives est une condition essentielle du principe de légalité qui s’applique à l’Etat de droit. Les réformes de la justice administrative ont vu la rationalité budgétaire apparaître et imposer un discours de performance et d’efficience. Cette rationalité se drape dans un discours centré sur l’amélioration de l’accès à la justice. Mais les réformes et les budgets ne semblent pas adaptés aux besoins des tribunaux pour faire face à l‘augmentation des recours. De plus, la suppression des voies d’appel et le traitement par voie d’ordonnance ne donneront semblent pas insuffler un sentiment de confiance dans une justice administrative, mal connue de la plupart des citoyens. Aussi, l’augmentation de certains contentieux, comme le contentieux des étrangers est la conséquence d’un durcissement des politiques à l’égard de certaines catégories d’administrés et non d’un meilleur accès aux juridictions. Dans ces conditions, la garantie de l’Etat de droit par la juridiction administrative glisse d’une conception substantielle à une conception matérielle, elle paraît renoncer à certains principes démocratiques d’accès au tribunal et de droit à un recours effectif pour se centrer sur la réduction des stocks d’affaires évaluée d’un point de vue comptable.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 376


[1] Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, Compte rendu de la réunion du mercredi 8 juillet 2020, à 10h00, p.3. https://www.usma.fr/wp-content/uploads/2021/02/CR_CSTA_2020-07-08.pdf (consulté le 30 mars 2021)

[2] Projet de décret portant application de la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles

[3] https://www.usma.fr/magistrats/compte-rendu-csta-du-8-juillet-2020 (consulté le 30 mars 2021)

[4] Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles

[5] Alexis Spire, Katia WEIDENFELD, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et société, n° 79, n°3,2011, pp.689‑713.

[6] Michel Van De Kerchove, François Ost, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, 1987.

[7] http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/les-usages-sociaux-de-la-justice-administrative/

[8] RFDA n°4 Juillet-Août 2019 p.581 à 784 et RFDA n°5 Septembre-Octobre 2019 p. 785 à 974

[9] Voir les rapports d’activité du Conseil d’Etat, notamment celui de 2019 https://www.conseil-etat.fr/ressources/etudes-publications/rapports-etudes/rapports-annuels/rapport-public-2019

[10] https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/creation-d-une-neuvieme-cour-administrative-d-appel-a-toulouse

[11] « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

[12] Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, 4e édition, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2017.

[13] RFDA n°4 Juillet-Août 2019 p.581 à 784 et RFDA n°5 Septembre-Octobre 2019 p. 785 à 974

[14] CE, 18 décembre 2002, Duvignères, n° 233618

[15] CE, 30 juillet 2003, Rémi, n° 252712

[16] CE, 4 avril 2014, Département de Tarn et Garonne, n° 358994

[17] CE, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GmbH, n° 368082 et CE, 21 mars 2016, Société NC Numericable, n° 390023

[18] CE, 21 octobre 2019, Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable, n° 419996

[19] CE, 12 juin 2020, GISTI, n°418142

[20] Loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JORF n°151 du 1 juillet 2000 page 9948

[21] René CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 13ème édition, Paris, Montchrestien, 2008, p.467.

[22] Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et société, volume 79, n°3, 2011, pp.689‑713 ; Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Obtenir justice, une affaire de capital ? », Délibérée, volume 7, n°2, 20 juin 2019.

[23] René Chapus, Droit administratif général, Tome 1, 15ème édition, Paris, Montchrestien, 2001 ; René Chapus, Droit du contentieux administratif, 13ème édition, Paris, Montchrestien, 2008.

[24] Note sous CE 8 décembre 1899, Ville d’Avignon

[25] Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions », GIP Mission de recherche Droit & Justice. Novembre 2007, http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2014/07/04-15-NS.pdf, p.6.

[26] CE, avis 6 mai 2009, Khan, n°322713

[27] Formulaire de demande d’aide juridictionnelle, Rubrique « Informations importantes », p.4 :   http://grenoble.tribunal-administratif.fr/content/download/88714/848003/version/1/file/Demande%20d%27aide%20juridictionnelle%20cerfa%20n%C2%B0%201562601.pdf (consulté le 16/11/2020)

[28] http://grenoble.tribunal-administratif.fr/Informations-pratiques/Aide-juridictionnelle (consulté le 16/11/2020)

[29] Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le tribunal administratif : une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural » op. cit. p.692.

[30] Ibid. p.692.

[31] Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions », op. cit. p.6.

[32] Par exemple qualifié de « familier de la juridiction administrative » par Bruno Genevois, « Le GISTI : requérant d’habitude ? La vision du Conseil d’État », in Défendre la cause des étrangers en justice, Dalloz, 2009, p.79.

[33] Pierre Bourdieu, « La force du droit », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, volume 64, n°1, 1986, pp.3‑19.

[34] Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire, Katia Weidenfeld, « Le recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions », op. cit. p.5.

[35] Jacques Chevallier, « La simplification de l’action publique et la question du droit », Revue française d’administration publique, volume 157, n°1, 3 juin 2016, pp.205‑214.

[36] Lucie Cluzel-Métayer, Agnès Sauviat, « Les notions de qualité et de performance de la justice administrative », Revue française d’administration publique, volume 159, n°3, 2016, pp.675‑688.

[37] Ibid.

[38] Rapport public annuel du Conseil d’État, Considérations générales, De la sécurité juridique (1991)

[39] Rapport public annuel du Conseil d’État, Considérations générales, Sécurité juridique et complexité du droit (2006)

[40] Cons. const. n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi relative à la codification par ordonnance

[41] CE, Ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, n° 288460

[42] Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés, JORF n°0167 du 20 juillet 2019

[43] https://www.vie-publique.fr/rapport/31884-la-simplification-du-droit-au-service-de-la-croissance-et-de-lemploi

[44] Jacques Chevallier, « La simplification de l’action publique et la question du droit », Revue française d’administration publique, volume 157, n°1, 3 juin 2016, p.206.

[45] « Les politiques de simplification visent en tout premier lieu à endiguer l’inflation normative », Ibid. p.206

[46] « La simplification de l’action publique suppose l’amélioration de la qualité du dispositif juridique par lequel elle transite et qui assure sa concrétisation : il s’agit de veiller à une meilleure formulation des textes », Ibid. P.209

[47] « Manifestant le passage à une « gouvernementalité coopérative » (Serverin-Berthaud, 2000). Le mouvement est indissociable de l’essor de techniques plus souples, relevant de ce que l’on a pu appeler une « direction juridique non autoritaire des conduites » (Amselek, 1982) : les textes indiquent des « objectifs » qu’il serait souhaitable d’atteindre, fixent des « directives » qu’il serait opportun de suivre, formulent des « recommandations » Ibid. p.210

[48] Ibid. p.206

[49] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012. Voir https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/groupe-de-travail-sur-la-redaction-des-decisions-de-la-juridiction-administrative-rapport-final

[50] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012. P.10

[51] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012.p.11

[52] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012.p.7

[53] Rapport du groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative rapport avril 2012.p.7

[54] Clotilde Deffigier, « Qualité formelle et qualité substantielle des décisions de justice administrative », Revue française d’administration publique, volume 159, n° 3, 2016, p.764.

[55] Fabrice Melleray, « Les documents de portée générale de l’administration », RFDA, 2020, p. 801.

[56]Héléna REVIL, Philippe Warin, Non-recours, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p.398.

[57] Arnaud Beal, Nikos Kalampalikis, Nicolas Fieulaine, Valérie Haas, « Expériences de justice et représentations sociales : l’exemple du non-recours aux droits », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, numéro 103(3), 2014, pp.549-573.

[58]Lucie Cluzel-Métayer, Agnès Sauviat, « Les notions de qualité et de performance de la justice administrative », Revue française d’administration publique, volume 159, n°3, 2016, pp.675‑688.

[59] « Le budget de l’ensemble des juridictions administratives gérées par le Conseil d’État figure, dans le cadre de la loi de finances, au programme 165 de la mission “Conseil et contrôle de l’État”. Dans la loi de finances pour 2018, ce programme bénéficie d’autorisations d’engagement pour un montant de 419 369 485 euros et de crédits de paiement pour un montant de 405 242 970 euros (états législatifs annexés à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, état B). Le plafond d’emplois autorisés pour ce programme en 2018 est de 3 953 : 227 membres en activité au Conseil d’État, 1 238 magistrats administratifs, 896 agents de catégorie A, 409 agents de catégorie B et 1 183 agents de catégorie C.

https://www.vie-publique.fr/fiches/269094-quel-est-le-budget-des-juridictions-administratives

[60] https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/documents-budgetaires/lois-projets-lois-documents-annexes-annee/exercice-2019/projet-loi-finances-2019-mission-conseil-controle-etat#resultat

[61] Gustave Peiser, « Le juge unique, l’appel supprimé, l’avocat obligatoire », AJDA,2006, p.785.

[62] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JORF n°0071 du 24 mars 2019

[63] Cons. const. 14 oct. 2010, n°2010-54 QPC

[64] L’article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) a modifié l’article 12 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 en prévoyant un régime spécifique [visé à l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme]

[65] Décret n° 2019-95 du 12 février 2019

[66] Décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 modifiant le code de justice administrative

[67] C’est-à-dire dans les litiges relatifs aux permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Et dans les litiges relatifs aux permis de construire et aux décisions de non-opposition à déclaration préalable concernant les éoliennes terrestres.

[68] Les dispositions, propres aux tribunaux administratifs d’outre-mer, sont issues de l’ordonnance no 2005-657 du 8 juin 2005 et ont été prises sur le fondement de l’habilitation donnée au Gouvernement par le législateur par les dispositions de l’article 57 de la loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004. Il existe douze territoires d’outre-mer : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, La Nouvelle-Calédonie, La Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises et les îles de Wallis-et-Futuna Environ 3 millions de personnes y habitent. Il y a des tribunaux administratifs à   Basse-Terre : Guadeloupe ; Cayenne : Guyane ; Mamoudzou : Mayotte ; Mata-Utu : îles Wallis et Futuna ; Nouméa : Nouvelle-Calédonie ; Papeete : Polynésie française, Clipperton ; Saint-Denis : Réunion, Terres australes et antarctiques françaises ; Saint-Barthélemy : Saint-Barthélemy ; Saint-Martin : Saint-Martin ; Saint-Pierre : Saint-Pierre-et-Miquelon ; Schœlcher : Martinique.

[69] Extrait du projet de loi : « « Aussi est-il souhaitable de permettre aux membres de ces juridictions, lorsqu’il leur est matériellement impossible de rejoindre le lieu de l’audience dans les délais imposés par la loi ou exigés par la nature de l’affaire, de siéger et, pour le commissaire du Gouvernement, de prononcer ses conclusions, dans un autre tribunal dont ils sont membres, ce dernier se trouvant relié, en direct, à la salle d’audience, par un moyen de communication audiovisuelle. » http://www.assemblee-nationale.fr.iepnomade-1.grenet.fr/12/projets/pl1504.asp

[70] Voir les articles R. 223-1 et R. 223-2 du code de justice administrative

[71]Article R. 221-7 du CJA :  Bordeaux : ressort des tribunaux administratifs de Bordeaux, Limoges, Pau, Poitiers, Toulouse, Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ; […] Paris : ressort des tribunaux administratifs de Melun, Paris, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française.

[72] CE 24 oct. 2018, Sté Hélène et fils, no 419417

[73]JORF n°0071 du 24 mars 2019

[74] Sénat, Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018 : Projet de loi de finances pour 2019 : Juridictions administratives et juridictions financières. http://www.senat.fr/rap/a18-153-4/a18-153-41.html#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20transmises%20%C3%A0,55%20%25%20d’entre%20eux

[75] Ibid.

[76] Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques

[77]Sénat, Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018 : Projet de loi de finances pour 2019 : Juridictions administratives et juridictions financières. http://www.senat.fr/rap/a18-153-4/a18-153-41.html#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20transmises%20%C3%A0,55%20%25%20d’entre%20eux

[78] Sénat, Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018 : Projet de loi de finances pour 2019 : Juridictions administratives et juridictions financières. http://www.senat.fr/rap/a18-153-4/a18-153-41.html#:~:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20transmises%20%C3%A0,55%20%25%20d’entre%20eux

[79] https://www.usma.fr/syndicat/avis-sur-le-projet-de-loi-de-finances-pour-2020

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ParJDA

Chronique actualisée : transformation(s) du service public

Art. 375.

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou – Président du Collectif L’Unité du Droit
Fondateur du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
Refondateur du Journal du Droit Administratif

Mise à jour 2021 : pourquoi une nouvelle chronique…

… lorsque les funérailles d’une notion semblent déjà annoncées ?

Vivent les Transformations du Service Public !

L’indéfinissable service public, suite à de multiples crises, ne serait pas le critère du droit administratif. A l’Université, formellement au moins, la notion de service public – en milieu académique – semble avoir perdu du terrain : de l’influence et de la consistance. On se souvient en ce sens qu’il exista (ce qui n’est plus le cas), en droit public, un sinon plusieurs courants que de nombreux collègues ont qualifié d’Ecole des fins ou d’Ecole du Service Public et auxquels participèrent les grands Léon Duguit, Gaston Jèze, Louis Rolland ou encore André de Laubadere. On se souvient également qu’à Toulouse, le doyen Maurice Hauriou – même si on l’a associé à une Ecole des moyens dite de la Puissance publique – avait aussi su faire du service public la notion cardinale de notre droit administratif.

La chose serait désormais entendue : le service public ne serait pas le critère du droit administratif français même si d’aucuns y crurent mais il y a gardé – c’est indéniable – une place fondamentale ainsi qu’en témoigne le dossier « 50 nuances de droit administratif » au Journal du Droit Administratif ; dossier qui – en 2017 – présentait la notion de service public (devant celle de puissance publique mais souvent associée à elle) comme notion la plus « motrice » du droit administratif.

Autrement dit, malgré les crises répétées (celle des natures multiples du service public : Spic, Spa et d’autres encore ; celle du critère ou plutôt de l’indice organique ; celle de l’établissement public ; celle de l’interventionnisme public ; celles du libéralisme économique ; celles du socialisme municipal et de l’interventionnisme de crise ; celles européennes et / ou de la mondialisation ; celles dites des « doubles visages » et des « visages inversés » ; etc.) le service public et sa notion demeurent au cœur du droit administratif français.

Et, même s’il est toujours délicat (et sûrement risqué) de vouloir définir une notion qui ne peut que s’identifier parce qu’elle repose sur l’intérêt général par définition fluctuant ou l’interdépendance sociale pour reprendre les termes de Duguit, force est de constater que le service public semble bien enraciné dans notre patrimoine juridique national.

Si l’on a repris, ci-dessus, le début de l’éditorial ayant créé en 2017 la présente chronique c’est bien parce qu’à nos yeux le constat n’a toujours pas changé. On renvoie cependant audit éditorial in extenso.

Des transformations du service public. C’est en effet fort des constats énoncés en 2017, que nous avons imaginé puis proposé aux membres du Journal du Droit Administratif la création d’une chronique (à périodicité encore indéterminée) ayant pour double objectif la mise en avant de l’actualité du droit du service public et – à plus long terme – la rédaction collective d’un ouvrage sur les transformations du service public, ouvrage qui se nourrira de la présente chronique[4]. En effet, si le droit du service public n’est pas encore manifestement défunt, il importe de s’en préoccuper et d’analyser ses transformations car il est tout aussi manifeste que celles-ci sont importantes. Le droit du service public contemporain n’est pas ou plus celui des années précédentes. La notion est toujours motrice pour le droit administratif français et pour ses normes et jurisprudences en particulier mais il importe d’en comprendre les mutations.

Pour ce faire, il est donc proposé d’ouvrir et aujourd’hui dd’actualiser, une chronique axée sur les quatre éléments suivants : identification(s) du service public (I), Transformation(s) (II), Régimes juridiques (III) et droits comparés (IV).

La chronique est détaillée ci-dessous et des liens renvoient aux articles pertinents avec leur date de publication (octobre 2017 pour la 1ère chronique ; novembre 2021 pour la deuxième).

  • Identification(s) du service public
  1. Identification(s), nature(s) & théorie(s) doctrinales du service public ; octobre 2017 (présent éditorial) ; novembre 2021 ;
  2. Des services publics identifiés
    • Du service public de la santé / hospitalier ; octobre 2017 ; novembre 2021 ;
    • Du service public transfusionnel ; octobre 2017 ;
    • Du service public de la Justice ; novembre 2021 ; janvier 2022 ;
    • Du service public cinématographique – en cours
    • Du service public de la donnée – en cours
  3. Identification(s) prétorienne(s) du service public ; octobre 2017 ;
  4. Compétence(s) juridictionnelle(s) du service public ; octobre 2017 ;
  • Transformation(s) du service public
  1. Globalisation(s) du service public ; – en cours
  2. Européanisation(s) du service public ; (en cours)
  3. Service public & puissance publique ; octobre 2017 ;
  4. Service public & liberté(s) ; – en cours
  • Régime(s) juridique(s) du service public
  1. Modes de gestion du service public ; octobre 2017 ;
  2. Lois dites de Louis Rolland ; octobre 2017 ; novembre 2021 ;
  3. Nouvelles « Lois » du service public (transparence, efficacité ; etc.) ; octobre 2017 ; novembre 2021 ;
  4. Responsabilité(s) du service public ; octobre 2017 ;
  • Droit(s) comparé(s) du service public
  1. Italie – en cours ;
  2. Liban ; octobre 2017 ;
  3. Grèce – en cours ;
  4. Thaïlande – en cours ;

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017-2021 ;
chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 375.

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ParJDA

Assemblée générale du JDA

Art. 374.

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,
(et chers contributeurs au Journal du Droit Administratif)

La prochaine réunion / assemblée générale du JDA
aura lieu le 10 novembre 2021 à 18h00
en salle des thèses (site de l’Arsenal)
à l’Université Toulouse 1 Capitole.



Nous pourrons – enfin – nous retrouver en « présentiel » et partager ensemble nos idées et points de vue à propos des dossiers en cours ou à venir ainsi que des chroniques et même des ouvrages publiés par le JDA et son association.Vous pouvez également vous y faire représenter et aussi y participer en simple observateur si vous n’êtes encore jamais venu. Chacun y est en effet le bienvenu.

Nous attirons par ailleurs votre attention sur les candidatures ouvertes aux chroniques en cours : « transformation(s) du service(s) public(s) » (prévue pour fin novembre 2021) et droit(s) de la santé (même date).

Avec l’expression de notre sincère et profond respect,

Pour le JDA, son comité de rédaction,
Dr. M. Amilhat,M. A. Pech& Pr. M. Touzeil-Divina


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021, Art. 374.

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