Nouvelles « Lois » du service public face au numérique :

ParJDA

Nouvelles « Lois » du service public face au numérique :

Abdesslam DJAZOULI-BENSMAIN,
Doctorant contractuel en Droit Public à l’Université Toulouse 1 Capitole (IDETCOM)

Le Service Public et le numérique :
vers une transformation majeure de l’administration

208. « Rien n’est permanent, sauf le changement ». Cette vérité que nous offre Héraclite est facilement transposable au Service Public qui, malgré son image d’ancre immobile au fond de l’océan, a toujours été confronté au vent du changement que celui-ci soit économique, social ou même politique[1]. Bien sûr, la notion elle-même a connu des évolutions, elle en subit encore, de sorte qu’il semblerait que « le service public n’est pas défini, il se constate », pour reprendre une célèbre formulation. Néanmoins, l’objet Service Public nous intéressera ici plus particulièrement dans sa définition organique comme proposée par Rolland, c’est-à-dire « une entreprise ou une institution d’intérêt général destinée à satisfaire des besoins collectifs du public (…) par une organisation publique ».

Alors que dans les années 1994, le Service Public se confronte aux évolutions nécessaires que sous-entend le développement du droit communautaire, c’est un autre basculement qui va aujourd’hui ébranler l’administration. Ce mouvement n’est pas idéologique, social ou économique mais technique. En effet, nous vivons ce que certains appellent la Révolution numérique qui bouleverse notre société, ses règles et ses habitudes.

Dans notre pays, 65%[2] des Français possèdent un smartphone de sorte qu’il leur est possible d’accéder à Internet et d’y trouver ou d’y déposer toute sorte d’information. Le développement du Cloud n’a jamais été aussi fort et de plus en plus d’entreprises et de particuliers y enregistre documents divers, factures, photos sous format numérique. De la même manière, de nombreuses entreprises privées préfèrent une correspondance électronique (plus simple, plus rapide, plus fiable) que le format papier.

Toutes ces évolutions, il y en a d’autres, nous poussent à l’interrogation puisque que l’administration, le Service Public français, à quelques exceptions, semble être à mille lieues de s’approprier cette révolution technologique.

Il suffit de se rendre dans une administration pour observer le problème. Déjà, en 1994 (et bien sûr avant), Marceau Long, Vice-Président du Conseil D’Etat, notait que « les Français sont à la fois fortement attachés à leurs services publics, et très sévères quant au fonctionnement de beaucoup d’entre eux »[3]. Ce qui était déjà à l’époque difficilement acceptable par les usagers apparaît aujourd’hui comme inconcevable. L’administration fait l’objet de nombreuses critiques et l’une d’entre-elles est son incapacité à prendre en compte l’évolution technologique et l’intérêt d’Internet et d’un transmission bien plus rapide de données. Le Service Public donne l’impression d’être resté en 1966[4], englué dans la première entreprise d’informatisation des services de l’administration, avec seulement une mise à jour des composants des ordinateurs.

Pourtant, il apparaît que, lorsque l’on juxtapose ce que propose le numérique et les principes fondamentaux du Service public, cette révolution technologique s’inscrit parfaitement dans les Lois de Rolland. Plus que cela, elle y apporte une nouvelle lecture, de laquelle découlent de nouvelles questions.

Le principe de continuité 

Ce principe, relativement simple, impose à l’administration une absence d’interruption. Ainsi, quoi qu’il se passe, le Service Public doit perdurer. Cette valeur fondamentale de notre conception de la notion est utile notamment, de manière organique, concernant le droit de grève des agents. Ce principe est évidemment respecté de manière théorique, mais en de manière pratique, le Service Public est fermé en dehors des heures d’accueils et il est inexistant le dimanche ou encore les jours fériés.

Le numérique ici, grâce au développement de plateformes telles que Service-public.fr assure pleinement cette charge de continuité de sorte que la présence dématérialisée de l’administration est assurée le dimanche, les jours fériés, de jour comme de nuit. Cette avancée technologique permet même de dépasser les contingences matérielles (maladies, fermetures des locaux) en assurant aux usagers un traitement de leurs demandes par une administration qui ne serait pas forcément celle proche de son domicile.

Ainsi, le numérique est en mesure d’assurer continuité réelle du Service Public puisqu’aucune interruption n’intervient. Cela impose, par conséquent, de mieux gérer et de mieux développer l’infrastructure de maintenance dans les administrations qui, aujourd’hui, est loin d’être suffisante puisqu’il n’existe pas de corps spécialisé et que cette mission est gérée de manière éclatée par les différentes administrations[5].

Le principe de mutabilité

Ce principe enveloppe beaucoup de sujets différents, mais il s’agit, de manière générale, pour le Service Public d’assurer le meilleur service possible aux usagers. Pour cela, l’Administration doit savoir évoluer, apprendre à avancer avec son temps.

Il s’agit de l’un des principaux chantiers de cette rénovation du Service public par le numérique que nous appelons de nos vœux mais qui également nécessaire et attendu par de nombreux acteurs, aussi bien les usagers que les entreprises du privé ou même les institutions comme la Cour des Comptes.

Aujourd’hui, l’objectif est clairement celui du tout-numérique[6] en matière de procédure administrative. En ce sens, il semblerait que le gouvernement Macron 2 et notamment le Secrétaire d’Etat en charge du numérique, Mounir Majhoubi ait une volonté forte sur la question[7]. Sur ces questions, il est en effet nécessaire de se rapprocher des modèles d’Europe de l’Est sur ses questions et notamment de celui proposé par la Lituanie qui a réalisé cet objectif.

Il est nécessaire, pour achever cette ambition, d’insuffler au Service Public l’esprit numérique comme l’évoque le rapport « Des start-up d’Etat à l’Etat plateforme » de la Fonda’pol[8]. Celui-ci doit être celui de l’initiative et le rapport souligne par ailleurs les expériences réussies au sein de l’administration. A ce titre notamment, il évoque la plateforme « mes-aides.gouv.fr » permettant de réaliser une simulation de la situation personnelle du demandeur et de permettre à celui-ci de voir de quelles aides il est éligible. Cette plateforme est née du constat, simple, par un agent que les usagers n’avaient souvent pas connaissance du fait qu’ils étaient éligibles à telle ou telle aide. Et il y a d’autres exemples, notamment « Data.gouv.fr » mais également « labonneboite.gouv.fr ».

Ces exemples, cette volonté du gouvernement et les comparaisons avec les autres pays, notamment du nord de l’Europe, à la pointe sur ces questions, montrent qu’il est possible de faire évoluer notre Service Public vers une élasticité qui est au cœur même de sa définition mais qui peine encore à être une réalité en pratique.

Le principe d’égalité

Inscrit au fronton de toutes nos mairies, le principe d’égalité est évidemment une valeur fondamentale du Service Public français de sorte qu’à situation similaire, la solution doit être similaire.

Le principe d’égalité impose également un grand chantier qui dépasse largement les frontières du Service Public. Il s’agit de la démocratisation et de la généralisation de l’accès aux technologies de l’information et de la communication. Il est nécessaire, puisqu’ils vont permettre au Service Public de s’adapter, d’assurer à tous l’accès à ces nouveaux services publics numériques à tous. Si ce travail n’est pas fait, il sera impossible d’assurer l’égalité de traitement des usagers.

A ce tire, il faut ici relever la bonne volonté du Gouvernement qui a annoncé la couverture totale de la France au Haut-débit et au Très-Haut-débit pour l’horizon 2022[9].

Vers un Etat-plateforme

Cette Révolution numérique est, à nos yeux essentiels. Elle permettra de revivifier la notion et l’organisation du Service Public. Elle devra être accompagnée des principes de neutralité[10] et de transparence sur la question des données personnelles qui – dans le cadre du projet de big data public[11][12] – auront un rôle fondamental dans la création d’un Service Public moderne.

Cette transformation à venir, nous l’appelons de nos vœux, sera aussi à mettre en perspective avec les difficultés économiques de la personne publique et permettra, peut-être, d’assurer à la fois un Service Public de qualité tout en diminuant ou en modifiant la part humaine des administrations.

Enfin, cette mutation devra aussi comprendre la transition écologique. Cette transition d’un Service Public dit « papier » à un Service Public dit « internet » permettra d’une part une évolution écologique notable et d’autre part une diminution – peut être seulement symbolique – de la pollution liée aux multiples déplacements nécessaires pour réaliser ses démarches administratives.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017 ; chronique Transformation(s) du Service Public (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 208.

[1] Dès 1994 le Conseil d’Etat s’interroge sur l’évolution du Service public dans un rapport public : Service public, services publics : déclin ou renouveau ? RFDA 1995 p.497

[2] Etude 2016 du CREDOC « baromètre du numérique »

[3] C.F note 1

[4] C’est le « plan calcul » développé par le Général de Gaulle et Georges Pompidou visant à embrasser le développement de ce qui était à l’époque l’industrie des « calculateurs électroniques »

[5] Sur cette question : Rapport de la Cour des comptes sur les Relations aux usagers et modernisation de l’Etat – Vers une généralisation des services publics numériques de Janvier 2016

[6] « La Cour des comptes prône un recours généralisé aux services publics numériques » Jean-Marc Pastor, Dalloz Actualité 09 février 2016

[7] http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/05/18/numerique-mounir-mahjoubi-esquisse-ses-premiers-chantiers_5129817_3234.html

[8] Pezziardi Pierre, Verdier Henri. Janvier 2017

[9] Interview de M. Mounir Mahjoubi sur FranceInter en date du 28 août

[10] Comme « neutralité de l’internet » et non pas « neutralité » comme on l’entend classiquement en ce qui concerne les services publics.

[11] « Mise en place du service public de la donnée », Jean-Marc Pastor, AJDA 2017 p.605

[12] « Communication des données publiques, Open data, accessibilité aux réseaux : dispositions de la loi pour une République numérique intéressant les collectivités », Samuel Dyens, AJ Collectivités Territoriales 2017, p.180

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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