Archive mensuelle 23 mars 2016

ParJDA

Un état d’urgence qui s’installe dans la durée est une épée de Damoclès sur nos libertés (interview)

par Serge SLAMA,
maitre de conférences HDR en droit public, Université Paris Ouest-Nanterre, CREDOF-CTAD UMR 7074
initiateur d’une intervention volontaire de 450 universitaires au soutien du référé-liberté
de la LDH ayant demandé la levée de l’état d’urgence

Un état d’urgence qui s’installe dans la durée
est une épée de Damoclès sur nos libertés (interview)

Art. 45. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

A mes yeux le régime d’état d’urgence est d’abord et avant tout le régime d’exception adopté en avril 1955 pour lutter contre l’insurrection algérienne sans déclarer l’état de siège. Il avait alors été fortement critiqué par la doctrine (on pense en particulier au célèbre article de Roland Drago, « L’état d’urgence (lois des 3 avril et 7 août 1955) et les libertés publiques », RDP, 1955, p. 671) – comme c’est encore le cas aujourd’hui (v. en particulier la monumentale étude d’Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, L’état d’urgence de novembre 2015 : une mise en perspective historique et critique, Juspoliticum, n°15, janvier 2016).

On sait en effet que la loi du 3 avril 1955 a été adoptée au début de la guerre d’Algérie. Alors que les attentats et actes de sabotages se multiplient le gouvernement Faure souhaite se doter d’instruments juridiques pour lutter contre cette insurrection mais sans reconnaître à ces opérations la qualification d’une guerre et aux fellagas le statut de combattants. Il s’agit de les considérer comme de simples fauteurs de trouble qu’on peut canaliser et réprimer grâce à un instrument de police administrative. C’est pourquoi on ressort alors des cartons ministériels un projet préparé en 1954 par François Mitterrand, ministre de l’intérieur du gouvernement Mendès-France qui visait à ne pas proclamer l’état de siège en Algérie (par méfiance à l’égard des militaires). Pour laisser accroire qu’il ne s’agit pas d’une loi d’exception pour l’Algérie, on présente cette loi non comme une loi de circonstance mais comme une loi plus générale applicable sur tout ou partie du « territoire métropolitain, de l’Algérie ou des départements d’outre-mer ». L’exposé des motifs n’évoque d’ailleurs pas une insurrection mais un « désordre » provoqué par « quelques bandes organisées de hors-la-loi, numériquement peu importantes » et rappelle que « l’Algérie, partie intégrante du territoire national, ne peut se voir dotée d’un régime d’exception »… (cité par Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social 2007/1 (no 218), p. 63-78).

Pour parachever le tout, comme les tremblements de terre dans la région d’Orléansville en septembre 1954 ont été suivi de pillages, on ajoute au « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » un second motif de proclamation de l’état d’urgence : les événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Si l’état d’urgence proclamé par la loi du 3 avril 1955 sur le territoire de l’Algérie pour une durée de six mois s’applique initialement au seul Constantinois, il est fin août 1955 étendu à l’ensemble des départements algériens. Il s’interrompt le 30 novembre 1955 avec la dissolution de l’Assemblée nationale.

Mais même pour quelques mois son application a été particulièrement liberticide (A. Heymann-Doat, Les libertés publiques et la guerre d’Algérie, Paris, LGDJ, 1972). Outre les mesures encore applicables aujourd’hui permettant de restreindre les libertés individuelles (assignations à résidence, interdiction de séjour, confiscation d’arme) ou collectives (couvre-feu, saisies de journaux, interdictions des réunions) s’ajoutent des dispositions bien plus répressives. Cette période est en effet marquée non seulement par des internements administratifs « à grande échelle » dans des camps (Emmanuel Blanchard, « État d’urgence et spectres de la guerre d’Algérie », La Vie des idées, 16 février 2016) mais aussi un empiétement sur les compétences de l’autorité judiciaire au profit de l’autorité administrative (perquisitions administratives, de jour comme de nuit) mais aussi, il ne faut pas l’oublier, de la justice militaire (Vanessa Codaccioni, Justice d’exception : l’État face aux crimes politiques et terroristes, Paris, CNRS éditions, 2015.).

JDA : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à titre personnel à l’état d’urgence ?

Comme beaucoup de juristes j’ai été fasciné dès ma deuxième année de droit par les arrêts au GAJA sur les circonstances exceptionnelles comme Heyriès (1918), Dme Dol et Laurent (1919) ou encore Canal et Rubin de Servens (1962). Mais j’ai surtout été happé par l’état d’urgence lors de sa proclamation le 8 novembre 2005 à la suite des émeutes urbaines dans les banlieues consécutives au décès de Zyed et Bouna. Maître de conférences fraichement nommé à l’Université Evry Val d’Essonne j’ai alors participé à la réflexion collective – et souvent arrosée – qui a amené notre collègue Frédéric Rolin à saisir le Conseil d’Etat de requêtes en référé-suspension et en annulation et à relayer ces actions sur son blog contre l’état d’urgence proclamé. Alors que nous nous rendions presque quotidiennement à Evry en banlieue parisienne il nous semblait que l’état d’urgence était inadapté et disproportionné au regard de la situation compte tenu du fait qu’à la date de la promulgation de cet état d’urgence les moyens ordinaires de police administrative avaient permis de juguler ces émeutes. Comme le disait André Cheneboit dans le Monde du 24 mars 1955 pour décrire les instruments de la loi de 1955 « l’on ne braque pas un canon pour écraser une mouche ».

Or, en l’occurrence toutes les mesures adoptées par les préfets dans le cadre de l’état d’urgence (couvre-feux, interdiction de manifestation, etc.) auraient pu être adoptée dans le cadre de la légalité ordinaire. Il nous semblait donc que la proclamation de l’état d’urgence par le président Chirac obéissait en réalité à deux finalités étrangères à l’état d’urgence : d’une part un affichage politico-médiatique (montrer que le Premier ministre Dominique de Villepin était aussi crédible que son ministre de l’intérieur et rival pour l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy) et de nécessités opérationnelles (mobiliser de manière extraordinaire les forces de l’ordre pour maintenir le calme dans les banlieues sans accorder de congés jusqu’à la St Sylvestre). Aux audiences devant le Conseil d’Etat, auxquelles j’ai assistée aux côtés de Frédéric Rolin, les représentants du gouvernement défendaient d’ailleurs uniquement le fait que les mesures de l’état d’urgence n’étaient nécessaires que pour prévenir la recrudescence des émeutes urbaines – ce qu’a validé le juge des référés compte tenu de la finalité préventive de l’état d’urgence (CE, réf., 14 novembre 2005, n° 286835). En déclarant recevable la requête de notre collègue, il a écarté l’idée que la proclamation de l’état d’urgence puisse être qualifiée d’acte de gouvernement contrairement à la proclamation de l’article 16 – en l’état actuel de la jurisprudence (CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens, n° 55049, Lebon). Le chef de l’Etat détient néanmoins un large pouvoir d’appréciation sur l’appréciation des motifs de déclenchement et le juge ne pratiquait alors qu’un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation sur cette décision.

Assez naturellement j’ai été signataire du référé-liberté initié par Frédéric Rolin, Yann Kerbrat et Véronique Champeil Desplats, signé par 74 collègues, pour tenter d’obtenir la fin anticipée de cet état d’urgence dès lors que l’article 3 de la loi de prolongation du 18 novembre 2005 avait expressément prévu qu’ « il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai ».

Si la requête a été rejetée, l’ordonnance rendue par Bruno Genevois comporte deux évolutions positives : d’une part elle reconnaît que toute personne résidant habituellement, à la date de la saisine du juge, à l’intérieur de la zone géographique d’application de l’état d’urgence a intérêt à en demander la cessation (seul François Julien Laferrière avait alors été déclaré irrecevable car il était en séjour de recherche à l’étranger). D’autre part, et surtout, même si le juge des référés admet le maintien de l’état d’urgence compte tenu « de l’éventualité de leur recrudescence à l’occasion des rassemblements sur la voie publique lors des fêtes de fin d’année » (CE, réf., 9 décembre 2005, Allouache et a., n° 287777, au Lebon), il était clair, qu’en l’absence de nouvelles émeutes, l’état d’urgence devait s’interrompre passer la St Sylvestre – ce qui fut fait à compter du 4 janvier 2006 par décret du 3 janvier 2006. C’était un exploit car, comme le notent Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues au regard de l’expérience historique, il existe une « tendance presque naturelle du pouvoir exécutif à pérenniser un état d’exception » (L’état d’urgence de novembre 2015 : une mise en perspective historique et critique, préc., p.65). Or Bruno Genevois a clairement indiqué dans son ordonnance qu’un tel régime de pouvoirs exceptionnels a « des effets qui dans un Etat de droit sont par nature limités dans le temps et dans l’espace ».

L’ordonnance rendue par son successeur en janvier 2016 est bien moins satisfaisante.  En qualité de membre de la LDH (président de la section Nanterre Université), j’ai participé, en liaison avec Nicolas Hervieu, doctorant du CREDOF travaillant au cabinet Spinosi-Sureau, à la définition de la stratégie juridique visant à contester l’état d’urgence. Après le dépôt d’une vague de QPC contre le fondement légal des assignations à résidence (qui, paraît-il et de manière absurde, porte atteinte à la liberté individuelle uniquement si vous êtes enfermés plus de 12  heures par jour à domicile – Décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence], cons. 6)), des perquisitions administratives et des restrictions à la liberté de réunion, il est apparu que la seule fenêtre de tir contentieuse appropriée était avant la seconde prolongation fin février et peu après la publication du rapport Urvoas (contrôle parlementaire de l’état d’urgence). J’ai donc organisé, en complément du référé-liberté déposé par la LDH, Françoise Dumont et Me Henri Leclerc une intervention volontaire qui a réuni en quelques jours 450 signatures de collègues universitaires et chercheurs, et non des moindres (Olivier et Stéphane Beaud, Frédéric Sudre, Patrick Wachsmann, Danièle Lochak, Jacques Chevallier, Joël Andriantsimbazovina, Bastien François, Pascal Beauvais, Florence Bellivier, Laurence Burgorgue-Larsen, Marie-Anne Cohendet, Delphine Costa, Olivier de Frouville, Arlette Heymann-Doat, Stéphanie Hennette-Vauchez, Véronique Champeil-Desplats, Denis Mazeaud, Thomas Perroud, Mathieu Touzeil-Divina, etc.) (v. « Fin de l’état d’urgence : 450 universitaires intervenants volontaires sur le référé-liberté de la LDH »).

Malheureusement le juge des référés n’a pas été au rendez-vous de l’histoire et a rendu une décision non seulement décevante mais surtout potentiellement dangereuse pour les libertés. Il admet en effet le maintien durable de l’état d’urgence en jugeant que le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public « qui a conduit, à la suite d’attentats d’une nature et d’une gravité exceptionnelles », à déclarer l’état d’urgence « n’a pas disparu » en janvier 2016 dès lors que « des attentats [de moins grande ampleur que ceux du 13 novembre] se sont répétés depuis cette date à l’étranger comme sur le territoire national et que plusieurs tentatives d’attentat visant la France ont été déjouées » et que « la France est engagée, aux côtés d’autres pays, dans des opérations militaires extérieures de grande envergure qui visent à frapper les bases à partir desquelles les opérations terroristes sont préparées, organisées et financées ». Seule ouverture, il n’exclut pas dans l’avenir une modulation des mesures prévues par la loi de 1955 qui pourront être désactivées selon les besoins (CE, réf., 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 396220).

Sans nier l’existence d’une menace – diffuse et permanente – d’attentats terroristes en France, si les mots ont un sens, il n’existait plus le 27 janvier 2016 de « péril imminent » résultant des atteintes graves à l’ordre public qui ont été provoqués par les attentats du 13 novembre. Or, non seulement les mesures pouvant être prises dans le cadre de l’état d’urgence ont perdu leur efficacité contre les réseaux terroristes mais en outre son maintien constitue pour tout à chacun une épée de Damoclès sur ses libertés. En effet à tout moment n’importe qui peut être assigné en raison d’un simple comportement, même assez vague, représentant une menace supposée pour l’ordre et la sécurité publics et même si cette menace est sans rapport avec le péril ayant justifié la proclamation de l’état d’urgence mais avec un autre événement – comme la COP 21 ou l’Euro de foot. Pire le Conseil d’Etat a admis que « la forte mobilisation des forces de l’ordre pour lutter contre la menace terroriste ne saurait être détournée, dans cette période, pour répondre aux risques d’ordre public liés à de telles actions » (CE, Sect., 11 décembre 2015, M. J. Domenjoud et a., n° 394989). Le rapporteur public expliquait en effet « qu’en réalité, avec les motifs ayant justifié la déclaration de l’état d’urgence, il doit bien […] exister un lien, mais un lien non pas idéologique ou politique qui tiendrait à l’origine des troubles auxquels il convient de parer, mais plutôt un lien opérationnel ou fonctionnel, qui tient à l’ampleur de la mobilisation des forces de l’ordre qu’ils pourraient entraîner et à la nécessité de ne pas avoir à mobiliser par trop ces forces dans un contexte déjà difficile, où, rappelons-le, le péril est imminent » (concl. X. Domino, RFDA 2016 p.105). Avec un tel raisonnement, en invoquant le manque de forces de police pour assurer la sécurité d’une gay pride les autorités russes pourraient assigner à résidence tous les militants homosexuels ou de défense des droits de l’homme susceptibles d’engendrer de graves troubles à l’ordre publics (v. contra : Cour EDH, 1e Sect. 21 octobre 2010, Alekseyev c. Russie, n° 4916/07, 25924/08 et 14599/09).

De même tout à chacun peut être perquisitionné sur ordre du préfet et sur la base d’une simple fréquentation d’un lieu par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics et ce sans pouvoir bénéficier de la protection offerte par la juridiction judiciaire ou de tout contrôle juridictionnel effectif. On ne peut en effet sérieusement souscrire à l’analyse du Conseil constitutionnel, pour le moins aberrante au regard des exigences de la CEDH, que la possibilité d’engager postérieurement à la perquisition la responsabilité de l’État  constitue une voie de recours suffisante pour respecter les exigences de l’article 16 de la DDHC « au regard des circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence » (Décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence], cons. 11).

JDA : Concrètement, quel est impact sur votre pratique professionnelle ?

L’état d’urgence a eu un impact indirect sur ma pratique professionnelle. D’une part, nous avons été particulièrement sollicités par les médias sur la question de l’état d’urgence, de sa constitutionnalisation mais aussi de la constitutionnalisation concomitante de la déchéance de nationalité de Français de naissance. Nous avons d’ailleurs organisé avec Frédéric Rolin et le sénateur Jean-Yves Leconte une conférence le 4 janvier 2016 au Palais du Luxembourg sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence avec François St Bonnet, Olivier Beaud et Laurent Borredon (la vidéo doit être mise en ligne. V. aussi leur libre propos : « État d’urgence : un statut constitutionnel donné à l’arbitraire », JCP G  n° 4, 25 Janvier 2016,  71), suivie d’une autre conférence sur la constitutionnalisation de la déchéance le 15 février 2016. Nous avons aussi participé comme intervenant à plusieurs conférences sur ce thème, notamment une conférence organisée par le CREDOF le 21 janvier 2016 à Nanterre ou encore les journées « prison / justice » du GENEPI en présence des frères Domenjoud d’ailleurs et du contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

D’autre part, et surtout, alors qu’ils participaient à une manifestation le 29 novembre 2015 place de la République contre l’état d’urgence, plusieurs de mes étudiants en M2 droits de l’homme ont été parmi les 341 personnes interpellées sur la place et les 316 gardés à vue. Leur participation à la manifestation était pourtant purement pacifique, au sein d’un cortège politico-syndical. En outre selon toutes les témoignages recueillis par la presse ils sont été sciemment pris dans un « kelting » policier et ils n’ont ni entendu les sommations d’usage ni pu quitter le cortège, entouré par les policiers, au moment de la dispersion. Après avoir attendus plusieurs heures après l’interpellation avant d’être transportés, ils ont subi de la part des policiers des brimades et humiliations de nature sexiste ou en raison de leurs convictions politiques (v. leur témoignage : « La privation de droits : une leçon d’Etat ? », 4 décembre 2015). Le Défenseur des droits a été peu après saisi de leurs réclamations. Le comble est qu’alors que l’arrêté préfectoral qui interdisaient l’ensemble des manifestations sur la voie publique à Paris était expressément fondé sur la loi de 1955, le Conseil constitutionnel a jugé depuis que les dispositions de l’article 8 de cette loi « n’ont ni pour objet ni pour effet de régir les conditions dans lesquelles sont interdites les manifestations sur la voie publique » (Cons. constit., Décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence]). Les manifestations ne pouvaient donc être interdites dans le cadre d’un état d’urgence que sur le fondement de la légalité ordinaire et pas de manière générale et absolue comme elles l’ont été.

Cette expérience n’a fait que renforcer les convictions militantes de mes étudiants et la solidarité de la promotion 2015/2016 – merci Monsieur le Préfet. En effet un groupe d’étudiants du M2 droits de l’homme a ensuite participé à une analyse juridique avec des associations et des universitaires intitulées « L’urgence d’en sortir ».

Ces étudiants m’ont aussi accompagné à l’audience de Section au Conseil d’Etat et à l’audience devant le Conseil constitutionnel, dans laquelle la LDH avait été admise en qualité de tiers intervenante. Mieux, les étudiants qui avaient été placés en garde à vue ont été à titre personnel admis en qualité d’intervenants volontaires devant le Conseil constitutionnel dans la décision qui a fait reconnaître au Conseil constitutionnel que la loi de 1955 ne permettait pas d’interdire des manifestations… (Décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence]). Ils étaient représentés par Me Raphaël Kempf, un ancien étudiant du M2 droits de l’homme. Le seul avantage de l’état d’urgence est donc de susciter des vocations militantes dans sa contestation…

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps normal ?

En effet, à la fin de l’année 2015 plusieurs compétitions de courses à pied ou de cross auxquels je m’étais inscrit avec mon club – l’Azur Charenton – ont été annulées sur décision de la préfecture.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 45.

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Etat d’urgence et lutte contre le terrorisme. La mécanique de l’entropie

par Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE,
Professeur des Universités en Droit Public, Université Jean Moulin Lyon III
Membre de l’Institut Universitaire de France

 Etat d’urgence et lutte contre le terrorisme.
La mécanique de l’entropie

« Ce sont nos frayeurs qui font de nous des traîtres »
Shakespeare, Macbeth, Acte 4, Scène 2.

Art. 53. Liberté ou sécurité, faut-il choisir ? La question impose une réponse négative. En effet, le choix est impossible car il existe une dialectique constructive entre liberté et sécurité. D’une part, la sécurité est nécessaire à la liberté : la sécurité physique des individus est non pas la première des libertés mais bien le préalable à toutes les libertés, le préalable au contrat social lui-même (tel que pensé notamment pas Thomas Hobbes dans son Léviathan) ; la sécurité juridique de l’environnement est indispensable quant à elle à l’intelligibilité et à la prévisibilité des normes, en particulier des normes qui touchent à la garantie des libertés fondamentales. D’autre part, la liberté est nécessaire à la sécurité : la protection des libertés fondamentales consiste en rien de moins que l’essence même des caractères républicain et démocratique de notre communauté politique, de notre corps social. Le choix est donc impensable, en ce que c’est bien l’objet et la finalité de l’art de gouverner que de créer un équilibre dynamique entre liberté et sécurité, de gérer leurs interactions mutuelles sans que l’un des deux ne se trouve affecté voire ignoré. Il n’en demeure pas moins que le couple liberté / sécurité pose question dans le contexte de l’état d’urgence qui vient bouleverser un équilibre déjà sensible et délicat en période normale.

Or, tel est bien la situation actuelle d’un état d’urgence déclaré pour 12 jours par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, prorogé une première fois pour trois mois par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, et prorogé une nouvelle fois pour trois mois par la loi n° 2016-162 du 19 février 2016. En effet, l’état d’urgence est un régime d’exception, dont les spécificités résonnent au seul rappel des sentences latines qui en nourrissent la lettre et l’esprit : « Salus populi suprema lex est » ; « Necessitas legem non habet ». Au nom du salut du peuple, à raison de la nécessité de l’assurer, il est permis, dans des circonstances de péril exceptionnelles, de suspendre les règles normales de limitation des pouvoirs et d’instaurer des mécanismes exceptionnels d’extension des pouvoirs des gouvernants, au prix d’une limitation des droits des gouvernés et de leurs garanties dont on ne peut négliger le fait que les gouvernants en usent de manière excessive et délétère. Plusieurs régimes juridiques existent, permettant de déroger à la légalité administrative normale : article 16 de la Constitution de 1958, théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles, état de siège prévu par l’article 36 de la Constitution de 1958, régime législatif de l’état d’urgence prévu par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée par la loi du 20 novembre 2015 précédemment citée.

Or, dès le 16 novembre 2015, trois jours après les attentats, le Président de la République a déclaré devant le Parlement, réuni en Congrès en application de l’article 18 de la Constitution, qu’il convenait de « faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir, conformément à l’État de droit, contre le terrorisme de guerre ». C’est ainsi que le gouvernement a élaboré un projet de loi constitutionnelle dit de protection de la Nation (n° 3381), qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015, sur lequel le Conseil d’Etat a rendu un avis le 11 décembre 2015, et qui a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 février 2016, et qui est à l’examen au Sénat pour être discuté en séance publique les 16, 17 et 22 mars 2016. Outre un article 2 qui a pour objet la déchéance de nationalité via une modification de l’article 34 de la Constitution, le projet de loi constitutionnelle comporte un premier article qui vise à insérer dans notre texte fondamental un article 36-1 consacrant l’état d’urgence dans les termes suivants :

« L’état d’urgence est déclaré en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements.

« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée. »

Or, une telle disposition ne permet pas en tant que telle de moderniser l’état d’urgence, quoi que le gouvernement puisse dire dans son exposé des motifs. En effet, une telle modernisation ne demanderait pas de réviser notre charte fondamentale. Il s’agit, comme l’ont brillamment relevé Isabelle Boucobza et Charlotte Girard d’organiser « une immunité constitutionnelle préventive » en faveur d’un dispositif qui soulève de nombreuses inquiétudes et comporte de nombreuses difficultés (« Constitutionnaliser » l’état d’urgence ou comment soigner l’obsession d’inconstitutionnalité ? », La Revue des Droits de l’Homme, Lettre Actualités Droits Libertés, 05 02 2016, URL : http://revdh.revues.org/1784). Et de remarquer ici une nouvelle illustration de la dangereuse propension à instrumentaliser et manipuler la charte fondamentale qui traduit un mépris pour le respect de la hiérarchie des normes, des principes de l’Etat de droit, des exigences de la garantie des droits. Afin de bien saisir les enjeux posés par le fait que le gouvernement ait eu recours à l’état d’urgence et ait la volonté de constitutionnaliser le dispositif, il convient d’examiner cette méthode de concentration des pouvoirs (I), et d’interroger l’adéquation de ce mécanisme exceptionnel au but de la lutte contre le terrorisme (II).

Car là réside bien la question majeure posée par le coupe liberté / sécurité que met en lumière l’emploi de l’état d’urgence en cet hiver 2015-2016 : les dispositifs d’exception en général et l’état d’urgence en particulier sont-ils appropriés aux particularités du péril qu’ils prétendent juguler ? Or, le recours à la notion d’entropie peut-être ici utile à saisir les problématiques en cause. En effet, l’entropie est une notion issue de la thermodynamique naissante du 19e siècle, qui a été pressentie par Nicolas Sadi Carnot dans les années 1820 et qui a été définie par Rudolf Clausius en 1865, avant que Ludwig Eduard Boltzmann n’en donne une formulation théorique en 1877. Construit à partir de la racine grecque tropi (transformation), le mot ‘entropie’ permet de nommer une grandeur caractérisant de manière mathématique l’irréversibilité des processus physiques, à l’instar de celui bien connu en mécanique de la transformation du travail en chaleur. Ce qui nous intéresse pour notre propos réside dans le problème que la notion d’entropie permet de mettre à jour : celui de la dégradation de l’énergie qui se généralise en détérioration de l’ordre, celui de la désorganisation du système par propagation du désordre. En effet, en répondant aux attaques terroristes par le recours à un état d’exception, l’Etat nous paraît ajouter du désordre au désordre, en dispersant inutilement son énergie vitale, et en dégradant malheureusement ses principes fondamentaux.

Appréhension de l’état d’urgence
comme moyen de gérer le péril

Une méthode de concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif

L’état d’urgence est un dispositif de concentration des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif. Il se distingue en cela de l’état de siège qui est prévu par la loi du 9 août 1849 reprise à l’article 36 de la constitution, et qui permet de transférer dans les zones concernées l’essentiel des pouvoirs des autorités civiles aux militaires en cas de « péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée » d’une partie de la population (application a été faite d’un tel dispositif pendant la guerre de 1870 dans une vingtaine de départements, pendant les 4 années première guerre mondiale sur la totalité du territoire, et à partir de septembre 1939 jusqu’au du 10 juillet 1940 date de suppression des limites constitutionnelles du pouvoir). C’est d’ailleurs la dimension militaire de l’état de siège qui explique qu’il n’ait pas été employé pendant la guerre d’Algérie. Les membres du FLN ne devaient apparaître ni comme des combattants ni comme des insurgés ; ils devaient être perçus comme de simples délinquants dont le comportement ne pouvait être justifié par aucune cause politique dans un contexte de décolonisation. C’est pourquoi a été élaborée puis adoptée la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence qui met un soin tout particulier, contre l’évidence même , à éviter tout rapprochement avec une guerre d’indépendance : est évoquée de manière singulièrement évasive un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Edgar Faure, président du Conseil de l’époque, l’admettra des années plus tard dans ses mémoires : « La simple vérité étant que le terme état de siège évoque irrésistiblement la guerre et que toute allusion à la guerre devait être soigneusement évitée à propos des affaires d’Algérie » (Mémoires, tome II : Si tel droit être mon destin ce soir, Paris, Plon, 1987, p. 197).

Employé dans le contexte considéré désormais comme celui de la guerre d’Algérie, l’état d’urgence est ensuite utilisé à diverses reprises en outre-mer (en 1984 en Nouvelle Calédonie, en 1986 à Wallis & Futuna, en 1987 en Polynésie française) et en 2005 métropole en réponse aux émeutes dans les banlieues (Dominique Rousseau, « L’état d’urgence, un état vide de droit(s) », Revue Projet, 2006, vol. 2, n°291, p. 19-26). A cela s’ajoute le dernier recours à ce dispositif d’exception qui date du 14 novembre 2015. Il est à noter que cet état d’exception, qui permet à l’exécutif par la voie des Préfets notamment, de restreindre la liberté de circulation, l’inviolabilité du domicile ou la liberté d’expression, compose un mécanisme de concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif aux contours fluides et flous (Olivier Beaud & Cécile Guérin-Bargues, « L’état d’urgence de novembre 2015 : une mise en perspective historique et critique », Jus Politicum, 2016, n°15). Saisi en référé-suspension contre les deux décrets ayant déclaré et défini les modalités de mise en œuvre de l’état d’urgence en 2005 (décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 relatif l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955), le Conseil d’Etat a à dessein interprété les termes de l’article 2 de la loi de 1955 de manière extensive et imprécise. La loi prévoit le recours à l’état d’urgence « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Et le Conseil d’Etat d’affirmer que le texte « a eu pour objet de permettre aux pouvoirs publics de faire face à des situations de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui constituent une menace pour la vie organisée de la communauté nationale » » (CE, Ord., 14 novembre 2005, Rolin, requête 286835). Bénéficiant ainsi d’une grande marge de manœuvre pour déclarer l’état d’urgence et en définir le champ d’application, les autorités exécutives disposent d’un outil d’exception, dont il convient de questionner la déclaration, le régime et l’emploi. Or il semble ressortir de l’examen que la décision de déclarer l’état d’urgence est moins rationelle qu’émotionnelle, que la limitation des droits fondamentaux de tous est en soi problématique, et que l’utilisation faite de l’instrument fait fi des exigences des principes de nécessité et de proportionnalité.

Une décision politique moins rationelle qu’émotionnelle

On a observé et on observe encore une forme de consensus émotif en faveur de la protection de la sécurité au détriment de la liberté au nom de la nécessité de lutter contre le terrorisme. Une telle justification de l’acceptation démocratique de recul des libertés démocratiques comporte des faiblesses, ainsi que le relève très justement François Saint-Bonnet (« Contre le terrorisme, la législation d’exception ? », La Vie des idées, 23 11 2015). D’abord, le recours à l’état d’urgence résulte d’une approbation émotive plus que raisonnée. La sidération provoquée par les attaques terroristes de janvier puis de novembre 2015 est bien compréhensible. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un état propre à altérer le discernement. Or, en période de crise, il est du devoir tant des gouvernants que des gouvernés de développer une analyse raisonnée et raisonnable de la situation, afin de concevoir une réponse adaptée et efficiente. Toutefois, comme la science politique et l’histoire constitutionnelle le montrent bien, le pouvoir cède souvent à la tentation d’entretenir l’émotion pour faire adopter des mesures qui eussent été considérées inacceptables en temps normal, pour obtenir des marges de manœuvre qui eussent soulevées l’indignation en période de calme.

Ensuite, est à relever une confusion entre la sauvegarde de l’État ou de la société face à un péril d’une part, et la préservation ou la restauration de l’ordre public d’autre part. Or seule celle-là peut justifier le recours à un dispositif d’exception quand urgence il y a, quand s’impose l’absolue nécessité d’agir avec célérité pour juguler des circonstances exceptionnelles par leur gravité, leur intensité, et leur portée. Il s’agit alors ni plus ni moins que de sauver ce qu’il doit l’être : l’entité étatique, la communauté politique. Par conséquent, l’état d’urgence ne saurait être employé pour préserver ou restaurer l’ordre public, mission que les autorités doivent assurer en tout temps au moyen du mode normal de fonctionnement des institutions. En outre, du fait même de leur caractère exceptionnel, les états d’exception ne peuvent être utilisés que de façon très circonscrite dans le respect de strictes limitations temporelles, territoriales et matérielles : ils doivent être mis en œuvre pour la durée la plus courte possible, dans une espace le plus restreint possible, par une limitation la plus réduite possible des droits et libertés. Une fois la circonstance exceptionnelle endiguée, une fois le péril extrême jugulé, la légalité d’exception doit cesser pour que la légalité normale reprenne sa place, pour que la normalité soir rétablie. Autrement dit, envisager l’emploi durable de l’état d’urgence pour lutter contre un péril durable, tel celui que présente le terrorisme, est un contre sens juridique, constitutif d’un détournement de pouvoirs.

Un dispositif de limitation des droits fondamentaux de tous

Nombeux semblent ceux qui acceptent avec indolence la réduction de la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile, le respect de la vie privée, droit de se réunir, la liberté de manifester, droit à être entendu avant toute mesure faisant grief. Peut-être pensent-ils que les droits et libertés affectées sont davantage celles des autres que les leurs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Les libertés limitées ou suspendues concernent tous les individus, espaces, groupes, et flux. Ce sont deux régimes de limitation des droits et libertés que la loi du 3 avril 1955 établit concernant la mise en œuvre de l’état d’urgence. Le premier est un régime de base qui autorise les autorités administratives à restreindre la circulation, instituer des zones de protection ou de sécurité, à interdire une personne de séjour dans tout ou partie du département (article 5), à assigner des individus à résidence (articles 6 & 7), à décider de la fermeture de salles de spectacle, de débits de boissons, de lieux de réunion et de l’interdiction des réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre (article 8), à organiser la remise des armes et munitions correspondantes (article 9). Aux limitations de droits et libertés ainsi prévues par le régime de base, les autorités peuvent décider d’ajouter des limitations d’autres droits et libertés en activant le régime renforcé : des mesures supplémentaires peuvent être prises qui doivent faire l’objet d’une disposition expresse dans le texte instituant ou prorogeant l’état d’urgence afin que des perquisitions à domicile puissent être réalisées de jour comme de nuit sans intervention préalable du juge judiciaire (article 11, et afin que compétence soit transférée aux juridictions administratives aux fins de contrôle des mesures adoptées et appliquées au titre de l’état d’urgence (article 12).

Or, le fait de positionner le juge administratif comme juge des libertés pose problème, en ce que ce juge, encore marqué par l’habitus de la loi-écran – pour ne pas parler de sa déférence à l’égard la constitution-écran -, se contente d’exercer le contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation, au grand dam de la liberté des individus et de la sécurité du droit. Pourtant, plus les autorités ont de larges marges d’appréciation dans leurs interprétations des textes et dans l’exploitation de ces dernières, plus les contrôles exercés sur leurs actes et leurs actions doivent être serrés, détaillés, intenses, pointilleux, étendus. Plus le pouvoir s’offre des marges de manœuvre et s’organise des réductions des libertés, plus les citoyens doivent être vigilants. En temps de crise, sous l’empire d’un régime d’exception, le contrôle devrait être le plus approfondi et étendu possible, qui passerait au crible des exigences de la nécessité et de la proportionnalité toutes les mesures considérées.

Une utilisation faisant fi de la nécessité et de la proportionnalité

Des interrogations et des inquiétudes surgissent à l’examen des mesures qui ont été adoptées par les autorités administratives depuis la déclaration de l’état d’urgence le 14 novembre 2015, et qui ont été publiées par différents organes citoyens (Observatoire de l’état d’urgence du quotidien Le Monde, Observatoire des conséquences de l’état d’urgence sur les personnes étrangères du GISTI, Recensement des joies (ou pas) de l’état d’urgence en France de la Quadrature du net). Rappelons que les états d’exception ne doivent en principe être employés que lorsque le péril ne peut être jugulé au moyen des méthodes normales de fonctionnement des pouvoirs publics, et que les mesures prises au titre des états d’exception ne concernent que les motifs qui ont suscité l’instauration de ces derniers. N’en déplaise au Conseil d’Etat ! Celui-ci a montré une certaine indépendance à l’égard des principes essentiels du droit tout en manifestant une dépendance certaine à l’égard des contingences circonstancielles du politique, quand il a affirmé que les dispositions de l’article 6 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence « de par leur lettre même » (Lauréline Fontaine, « La disparition. 5 petits mots et puis s’en vont… », Le Droit de la Fontaine, 10 01 2015), n’imposent pas qu’il y ait un rapport entre l’objet de la déclaration de l’état d’urgence et les motifs des décisions qui sont prises sur le fondement de cet état d’urgence (CE, Sect. 11 décembre 2015, n° 394989, 394990, 394991, 394992, 394993, 395002, 395009 ; Philippe Cossalter, « Le contrôle par le juge des référés de la légalité des assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence », Revue Générale du Droit, 14 12 2016).

Peut-on estimer que les autorités administratives ont pleinement et réellement respecté les exigences afférentes au principe de nécessité quand elles ont assignés à résidence des militants écologistes en marge de la COP21, pénalisé le fait d’être piéton sur une portion de la RN 216 composant la rocade de Calais, ordonner perquisitions pour appréhender des personnes impliquées dans le trafic de drogue, faire évacuer des squats, interpeller des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, vérifier des informations ? Les exemples sont foison. Quand bien même le principe de nécessité pourrait être dans certains cas considéré comme respecté, la question de proportionnalité des atteintes aux droits et libertés mises en œuvre à l’objectif poursuivi. Il convient de se demander d’abord si l’objectif, à l’aune duquel la proportionnalité est à évaluer, est celui de la lutte contre le terrorisme affiché par le visa des mesures renvoyant à l’état d’urgence, ou celui poursuivi par les autorités profitant des marges de manœuvre ouvertes par le régime de l’état d’urgence pour mener des actions normales de maintien de l’ordre. Il convient de s’interroger ensuite sur les perquisitions menées, qui ont été accompagnées de dommages physiques, matériels, moraux que certaines autorités se sont refusé à indemniser ; qui ont emporté des pratiques clairement illégales telles que le menottage préventif (le ministre de l’intérieur dans sa circulaire du 25 novembre 2015 a dû rappeler que celui-ci est strictement prohibé par l’article 803 du code de procédure pénale) ; qui ont parfois été opérées sans que soit établi un procès-verbal.

Les questions se posent, les questionnements s’imposent. Si l’état d’urgence provoque bien des atteintes aux droits et libertés, on est légitimement en droit de se demander si cela est justifié par le but poursuivi. Certes lutter contre le terrorisme est sans aucun doute légitime et nécessaire. Mais l’affirmation cède à l’interrogation voire à la négation sur le point de savoir si l’état d’urgence est l’outil le plus approprié pour lutter contre le terrorisme.

Adéquation de l’état d’urgence
au péril qu’il prétend gérer ?

Une méthode de lutte contre le terrorisme sujette à caution

L’examen de la situation actuelle se révèle saisissant : un état d’urgence qui emporte des restrictions des droits et des libertés, sans être accompagné d’un renforcement proportionnel des garanties offertes aux individus affectés par les mesures prises au titre de ce régime d’exception, et des contrôles exercés par les autorités juridictionnelles et politiques sur les utilisations faites par les autorités administratives de ce régime d’exception ; un état d’urgence qui emporte des restrictions des droits et des libertés, afin de mener une lutte efficace contre le terrorisme sans que l’adéquation entre le moyen employé et l’objectif poursuivi soit démontrée. Les questions sont pertinentes ; les réponses cinglantes. L’état d’urgence est-il le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme ? Non. Le recours à l’état d’urgence pour juguler la menace terroriste est-il justifié ? Non. Les caractères de l’état d’urgence sont-ils en cohérence avec les caractéristiques de la menace terroriste à endiguer ? Non. Est-il raisonnable d’employer un mécanisme qui doit être limité et temporaire pour affronter une menace générale et permanente ? Non. Les dérives bien connues du recours à un état d’exception sont-elles clairement empêchées ? Non. La propension à rendre permanents des dispositifs exceptionnels soit en les prorogeant soit en les insérant dans le droit commun est-elle efficacement prévenue ? Non.

Ces réponses négatives s’expliquent simplement. D’abord, le mode normal de fonctionnement des pouvoirs publics aurait suffi à concevoir et à appliquer les mesures rendues nécessaires par la situation de risque engendrée par les attaques terroristes, dans la mesure où la France s’est dotée depuis 1986 d’un arsenal juridique plus que conséquent : le recours à l’état d’urgence apparaît par là même inutile. Ensuite, le caractère perdurant et latent d’une menace terroriste globale et indéterminée aurait exigé une réponse des autorités qui soit inscrite dans le temps long, ce qui cadre bien mal avec les caractéristiques propres des états d’exception dont l’usage et les impacts devraient par définition être temporaires : le recours à l’état d’urgence semble ainsi inconséquent. Enfin, les réductions des droits et libertés instaurées en cette période de crise au titre du dispositif d’exception devraient cesser dès le péril jugulé, dès l’extrême gravité des circonstances endiguée, ce qui n’est pas le cas ainsi qu’il ressort des projets de loi à l’examen, notamment du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité de la procédure pénale : le recours à l’état d’urgence s’avère donc des plus inquiétants.

Un arsenal juridique suffisant pour lutter contre le terrorisme

La question se pose en effet de l’emploi d’un régime extraordinaire avec pour objectif de lutter contre le terrorisme, alors même que notre ordre juridique interne s’est pourvu au fil des années d’un véritable arsenal anti-terroriste. Quelque 16 lois ont été adoptées depuis 1986 qui, les unes après les autres, sont venues directement renforcer les pouvoirs reconnus aux autorités au nom de la lutte contre le terrorisme : elles ont concouru à allonger la liste des infractions terroristes, instaurer la déchéance de la nationalité, étendre les autorisations de saisies et perquisitions, alourdir les peines, prolonger les délais de prescription, renforcer le recours à la surveillance, accentuer les obligations de conservation et de transmission des données par les opérateurs. Doivent ainsi être citées la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 86-1322 du 30 décembre 1986 modifiant le code de procédure pénale et complétant la loi 861020 du 09-09-1986 relative à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique ; la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur ; la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ; la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire ; la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme ; la loi n° 97-1273 du 29 décembre 1997 tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme ; la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne ; la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ; la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ; la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

Or à un tel arsenal, on ne peut plus fourni on en conviendra, vont venir s’adjoindre les dispositions de projets normatifs à l’examen : légalisation de la surveillance des communications internationales ; interconnexion globale de tous les fichiers ; élargissement des possibilités de vidéosurveillance dans les lieux publics avec un allègement des procédures d’obtention de l’autorisation préfectorale après avis de la CNIL ; installation systématique d’une balise GPS dans tous les véhicules loués ; doublement de la durée de conservation des données de connexion de 1 à 2 ans (voir CJUE, Grande Chambre, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd & Michael Seitlinger e.a., affaires jointes C-293/12 & C-594/12 ; Marie-Laure Basilien-Gainche, « Une prohibition européenne claire de la surveillance électronique de masse », in Revue des droits de l’homme, 14 mai 2014, url : http://revdh.revues.org/746) ; déploiement sans autorisation préalable du juge des IMSI catcher, fausses antennes relais qui se font passer pour un réseau légitime auprès des téléphones détectés dans son spectre, et qui peuvent alors aspirer les données qui y transitent ; Garde à vue portée à 8 jours (contre 6 actuellement) en matière de terrorisme ; pose de microphones au domicile dès l’enquête de préliminaire. Quoi qu’il en soit, il semble que l’instauration de l’état d’urgence n’ait guère ajouté d’instruments à la disposition des autorités publiques ; il s’est contenté de réduire les contrôles exercés sur leur emploi et par conséquent les garanties offertes contre les dérives.

Une inscription de la menace terroriste dans le temps long

Recourir à l’état d’urgence en vue de mener la lutte contre le terrorisme peut paraître non seulement inutile, mais encore inconséquent. En effet, l’état d’urgence est un régime exceptionnel : exceptionnel quant aux circonstances qui conduisent à sa déclaration ; exceptionnel quant à la durée nécessairement limitée de son usage ; exceptionnel quant aux réductions des libertés qui doivent être strictement nécessaires et proportionnées à l’atteinte de l’objectif qui a motivé l’instauration de l’état d’urgence. Ainsi, pour qu’un état d’exception puisse être instauré, plusieurs exigences sont à satisfaire concernant le péril pouvant justifier son déclenchement : 1) le péril doit présenter un caractère de certitude dans sa nature, le seul élément d’incertitude étant le moment auquel il se produira ; 2) le péril doit être d’une intensité et d’une nature si particulière que le fonctionnement normal des pouvoirs publics n’est pas à même de l’endiguer. Or, le terrorisme est un phénomène qui n’est pas exceptionnel si l’on porte un regard non sur le territoire français mais sur la région méditerranéenne, non sur le temps court mais sur la période longue qui s’est ouverte le 9 septembre 2001 avec les attentats ayant touchés les Etats-Unis (il serait même assez cohérent de remonter encore dans le temps pour tenir compte des projets et actions terroristes de groupes se proclamant de l’islam radical, à l’instar du Groupe Islamique Armé apparu dans les années 1991 en Algérie).

Le phénomène criminel en cause est manifestement étendu dans l’espace et voué à durer dans le temps. La menace terroriste est devenue la norme. Les autorités françaises le reconnaissent elles-mêmes dans la lettre adressée le 24 novembre 2015 au Conseil de l’Europe pour l’informer de son usage de la possibilité de déroger  aux droits et libertés protégés par la Convention au titre de l’article 5 de cette dernière : « la menace terroriste en France revêt un caractère durable, au vu des indications des services de renseignement et du contexte international » (nous soulignons). Le hiatus se fait clairement jour entre une menace constante et latente, et une méthode de gestion de la menace devant donc être générale et permanente qui s’appuie sur un dispositif qui par définition devrait être circonscrit et temporaire. Toutefois, on ne peut que relever le caractère vague et flou du dispositif de l’état d’urgence tel que prévu par notre droit positif : le dispositif semble préventif puisqu’il peut être activé « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », en cas de dangers qui ne sont pas encore réalisés et contre lesquels il convient de se prémunir. Le Conseil d’Etat le confirme bien, dans l’ordonnance du juge des référés rendue le 9 décembre 2005 (n° 287777) : il rappelle « l’impératif de prévention inhérent à tout régime de police administrative » pour admettre le maintien de l’état d’urgence, alors même que les troubles à l’ordre public qui ont justifié sa mise en œuvre se soient réduits, dès lors qu’existe « l’éventualité de leur recrudescence ». Pourtant, autoriser ainsi le maintien du régime d’exception de manière indéfinie à raison de la persistance du risque terroriste constitue une contradiction par essence.

Un régime exceptionnel s’insinuant dans la légalité normale

L’état d’urgence ne peut être que limité de manière temporelle, spatiale et substantielle, ce qui ne saurait satisfaire aux exigences imposées par la nature et les caractères du péril terroriste à gérer. Un dispositif juridique qui a pour objectif de faire réellement face à une telle menace terroriste suppose de s’inscrire également dans la durée. Or, le Premier Ministre, le 22 janvier 2016 sur l’antenne de la BBC, a reconnu explicitement cette nécessité d’un dispositif de lutte contre le terrorisme inscrit dans la durée, et a exprimé conséquemment son intention de faire prolonger l’état d’urgence « jusqu’à ce que Daesch soit éradiqué ». La chose est entendue : il est admis que le régime exceptionnel devienne normal. Pourtant, on ne saurait accepter que les réductions des libertés instaurées au titre de l’état d’exception intègrent dans le mode normal de fonctionnement des pouvoirs publics, faisant de l’exception la norme. Or tel est bien ce qui ressort du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité de la procédure pénale qui a été présenté en conseil des ministres le 3 février 2016 (nous renvoyons à l’analyse faite de ce projet de loi par le Professeur Yves Mayaud à paraître chez LexisNexis). Le Défenseur des droits n’a d’ailleurs pas manqué de manifester son inquiétude devant « ce qui ressemble fort à un état d’urgence glissant, un régime d’exception durable » (Jacques Toubon, « On entre dans l’ère des suspects », Le Monde, 4 02 2016).

En répondant à la menace terroriste par des mesures sécuritaires, une dynamique en défaveur des droits et libertés se développe qui, loin protéger et conforter l’entité étatique et la communauté politique, fragilise et lamine ses principes fondamentaux. On ne peut en effet oublier ce que la théorie juridique et l’histoire constitutionnelle nous ont appris des détournements des régimes d’exception. Le mécanisme qui s’enclenche est pervers : face à un criminel considéré comme un ennemi, le garant des libertés devient un combattant, le garde devient le guerrier qui voit en toute personne un ennemi et qui oublie sa mission de sentinelle des droits et libertés. Reste à espérer qu’un contre-pouvoir vienne enrayer une telle dérive : le juge judiciaire est mis hors-jeu, le juge constitutionnel n’en est pas un, le juge administratif s’adonne à la complaisance et à la connivence. Ne resterait-il donc que le juge européen pour protéger nos libertés ? Et de vous inviter à méditer ces propos de Benjamin Constant : « les gouvernants sont ces sentinelles, placées par les individus, qui s’associent précisément pour que rien ne trouble leurs repos, ne gêne leur activité » ; mais, s’ils outrepassent cette fonction, « s’ils vont plus loin, ils deviennent eux-mêmes cause de trouble et de gêne » (Principes applicables à tous les gouvernements, Droz, Genève, p. 384).

La contribution exposée ci-dessus est issue d’une intervention présentée, à titre de propos introductifs, lors de la conférence ‘Liberté ou Sécurité : Faut-il Choisir ?’ qui a été organisée par le Barreau de Lyon le 29 février 2016 et qui a été accueillie à l’Université Jean Moulin Lyon 3.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 53.

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ParJDA

Quels sont les contrôles des différents juges ?

par M. le pr. Stéphane MOUTON,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Directeur de l’Institut Maurice Hauriou

Quels sont les contrôles des différents juges ?

Art. 47. Parce qu’il répond d’un régime d’assouplissement de la légalité, l’état d’urgence régi par la loi du 3 avril 1955 ne peut être considéré comme un régime d’exception qui se soustrait aux impératifs juridiques existants au sein d’un Etat de droit. Si ce régime se caractérise d’abord et avant tout par un développement des compétences des autorités administratives à l’encontre de certaines libertés considérées comme essentielles dans une société démocratique (telles que la liberté d’aller et venir, la vie privée, les libertés de réunion, de manifestation, et d’expression surtout), il existe toujours un contrôle juridictionnel effectué par le juge administratif à l’encontre de leurs décisions et de leurs actions. Néanmoins cela peut-il suffire à assurer une protection efficiente des libertés au sein de l’état d’urgence pérennisé depuis la loi du 20 novembre 2015 ?

Bien sûr, le juge administratif participe – et parfois dans le conflit avec le pouvoir exécutif et ses premières autorités constitutionnelles – au développement de l’encadrement juridique des actions des organes gouvernementaux et à une entreprise de protection des libertés contre l’administration. Il est même certain que cette mission persiste dans l’exercice de l’état d’urgence, puisque le contrôle de légalité des actes administratifs effectué par le juge administratif est de même nature que celui qu’il réalise en période dite normale. Sur le plan organique, le juge vérifie que la compétence de l’auteur soit respectée, mais encore que l’autorité compétente agisse dans la cadre d’une légalité clairement déterminée, comme le Conseil d’Etat l’a rappelé dans une décision n° 396220 du 27 janvier 2016 Ligue des droits de l’homme à propos du président de la République (§7). Sur le plan matériel, le juge administratif effectue un contrôle certes minimum, mais qui demeure classique dans le contrôle de légalité des missions de police administrative. Il met en œuvre un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration dans l’exercice des missions de sauvegarde de l’ordre public, ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas de protéger certaines libertés fondamentales. C’est bien ce que démontre la décision n° 395620 du 6 janv. 2016 dans laquelle le Conseil d’Etat soutient la suspension de l’exécution d’un arrêté préfectoral portant fermeture d’un restaurant prise par le juge des référés en raison d’ « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre » (§12).

Ce constat suffit-il à faire du juge administratif un gardien naturel de la protection des droits contre l’Administration dans le cadre de l’état d’urgence prorogé par la loi du 19 février 2016 ? La réponse assurément doit être très circonstanciée. Depuis la Constitution de Frimaire de 1799 et son projet de renforcement du pouvoir exécutif et donc de l’Administration sur la société politiquement convulsive depuis 1789 et jusqu’à nos jours, le Conseil d’Etat a été et reste une juridiction au service de la construction et de la légitimation de l’Etat administratif animées par une éthique jurisprudentielle fondée sur l’intérêt général. Celle-ci repose elle-même sur l’idée que la protection des libertés, idée revendiquée par le juge administratif lui-même comme un principe fondamental de la société démocratique, dépend de la bonne organisation de la société et d’une réglementation des rapports sociaux assurées par les décisions de l’institution étatique et de son administration surtout, dans une posture tutélaire, voire autoritaire, vis-à-vis de la société civile. Dans cette logique historique et culturelle ancienne, politique et juridique forte, le juge administratif a donc toujours justifié, au nom de la garantie des libertés proclamées depuis 1789, l’emprise de l’institution étatique sur la société politique (la nation) composée de citoyens-administrés et à la bonne mise en œuvre des décisions de l’Etat dans le corps social.

Il découle donc de cette réalité que le juge administratif sert une justice liée au pouvoir de l’Etat, avant d’être une justice au service des libertés, au motif que le premier est l’agent de la garantie des secondes. C’est bien ce que démontre la logique de son contrôle – renforcée dans le cadre de l’état d’urgence – construite sur une technique de conciliation entre les exigences inhérentes à la protection de l’ordre public et les atteintes aux droits et libertés perpétrées par les décisions et/ou actions administratives à leur encontre. Concrètement, son contrôle de la légalité assure une protection des droits inversement proportionnelle au degré de protection nécessaire de l’ordre public. Par voie de conséquence, plus l’ordre public est menacé, plus le pouvoir de l’Etat s’affirme à l’encontre des libertés qui voient leur protection relativisée.  Dans l’exercice de cette conciliation donc, il n’appartient pas au juge administratif d’effectuer un contrôle substantiel du degré de l’atteinte réalisée aux droits et libertés par les autorités administratives. Il lui revient d’apprécier, dans le respect d’un certain nombre de conditions juridiques participant à une garantie des libertés, que l’atteinte générée à un droit par cette autorité réponde à d’une habilitation juridique, et qu’elle ne soit pas disproportionnée par rapport aux objectifs qu’elle poursuit au nom de l’intérêt général et/ou de la protection de l’ordre public.

Aussi cohérente et nécessaire soit-elle, on doit souligner les dangers d’une telle dynamique pour la protection des libertés dans le cadre du régime juridique de l’état d’urgence, au motif notamment qu’il favorise une pernicieuse confusion des rôles entre les juges judiciaires, administratifs voire constitutionnels au nom de la noble mission de garantie des droits. En effet, dans un contexte où les barrières de la garantie judiciaire tendent à être abaissées pour d’impérieux motifs de protection de l’ordre public, et où le juge judiciaire se trouve fragilisé dans sa mission de gardien naturel des libertés (cf. par ex. l’article 4 de la loi du 20 novembre 2015), le juge administratif est naturellement encouragé à investir la fonction de gardien des libertés face à l’administration. C’est à lui que revient la fonction de circonscrire dans les cadres de la légalité formelle et matérielle la tendance naturelle et légitime des autorités administratives à blesser un certain nombre de libertés fondamentales dans un régime d’état d’urgence qui développent leur compétence au détriment des droits. Le mouvement semble d’ailleurs suffisamment légitime pour que certains suggèrent de constitutionnaliser le juge administratif dans le rôle de garantie des droits à côté du juge judiciaire dans un article 66 de la Constitution réformé en conséquence.

Or, sous les apparences d’un renforcement de la légalité administrative, ce sont les libertés qui se réduisent concrètement, sans cesse plus écrasées par l’influence que l’Etat exerce sur les conditions de leur effectivité. Dans un tel contexte, il est plus que jamais nécessaire de rappeler que le juge judiciaire demeure le gardien naturel des libertés face à l’action de l’Administration malgré une tendance parfois contraire (quid de la voie de fait ?), voire même le législateur à l’égard duquel le Conseil constitutionnel développe une jurisprudence similaire à celle du Conseil d’Etat, laissant prévaloir, dans les conciliations qu’il effectue, les exigences de l’intérêt général au détriment de la protection effective des droits constitutionnels. A titre d’exemple, sa jurisprudence relative aux assignations à résidence permises dans le cadre de l’état d’urgence démontre que lorsqu’il apprécie la violation d’un droit constitutionnel par une disposition législative sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, le juge constitutionnel le fait à l’aune du respect ou non par l’Administration des atteintes à la liberté constitutionnelle – en l’occurrence le respect de la vie privée ici prévue par la disposition législative en cause –, et non pas en raison des atteintes substantielles que ce droit peut connaître à raison des atteintes autorisées par la volonté générale (Cons. const. n° 2015-527 QPC du 22 déc. 2015, §16- 11-13 « Cédric D »).

Finalement, la seule vertu de l’état d’urgence est de rappeler la fragilité du pouvoir des juges face au pouvoir de l’Etat qui tient toujours les libertés civiles entre ses mains. Si son maintien tend à justifier la place que l’Etat occupe dans la protection nécessaire des libertés, il devrait aussi nous inviter à repenser celle du juge au sein de notre démocratie afin que l’équilibre nécessaire entre la sécurité et la liberté au sein d’une société libre ne penche pas trop en faveur de la première en raison d’une protection de la seconde. Ainsi l’état d’urgence serait appelé à rester un régime d’exception dont il convient de se défaire dès que les circonstances ne l’exigent plus en raison du danger qu’il fait peser sur les libertés, et non pas un régime « normalisé » qu’il convient de pérenniser en raison de l’artificielle garantie qu’il offrirait à ces dernières par sa bienveillante protection.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 47.

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Que dit la Cour européenne des droits de l’homme sur l’état d’urgence ?

par Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA,
Professeur à l’Université Toulouse 1 – Capitole,
Institut de Recherche en Droit européen, international, comparé
Directeur de l’Ecole doctorale Sciences juridiques et politiques

Que dit la Cour européenne des droits de l’homme
sur l’état d’urgence ?

Art. 27. Ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme sur l’état d’urgence découle de l’interprétation et de l’application qu’elle fait de l’article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

Cet article 15 dispose:

« 1. En cas de guerre ou en cas de danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction aux autres obligations découlant du droit international.

2. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf en cas de décès résultant d’actes licites de guerre, aux articles 3, 5 (paragraphe 1) et 7.

3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application ».

A la demande du Royaume-Uni, dans l’esprit des rédacteurs de la Convention l’inscription de cette clause dérogatoire visait à permettre à l’Etat adhérent de défendre la société démocratique et la prééminence du droit dans tout contexte de très grave crise provoqué par des conflits armés ou par d’autres dangers qui menacent la vie de la nation. Ces circonstances exceptionnelles permettent à l’Etat, à travers un régime de crise comme l’état d’urgence, de restreindre de façon dérogatoire les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans le but de les préserver. La frontière entre la restriction exceptionnelle des droits et des libertés éxigée par des circonstances très particulières et la neutralisation définitive de ceux-ci est tenue.

En tant que régime de légalité exceptionnelle, l’état d’urgence fait marcher l’Etat sur la corde raide. Les réductions des libertés pendant cette période peuvent faire basculer la société démocratique dans l’abîme des régimes anti-démocratiques. Afin d’éviter un tel basculement, son déclenchement, sa mise en œuvre et son extinction impliquent une surveillance attentive de la part des autorités nationales et des autorités supranationales.

Au titre de ces dernières, si la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée directement sur l’état d’urgence de la loi française du 3 avril 1955, elle a produit une jurisprudence vigilante susceptible de s’appliquer à lui. Elle pose trois exigences : la justification du recours à l’état d’urgence, la nécessité et la proportionnalité des mesures adoptées en vertu de l’état d’urgence, le respect des règles de forme pour la déclaration et la fin de l’état d’urgence.

Le recours à l’état d’urgence doit être justifié

La proclamation de l’état d’urgence doit être commandée par l’existence d’ « une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’Etat » (Lawless c. Irlande (n°3), 1er juillet 1961, § 28).

La Cour a été amenée à se prononcer sur des justifications généralement fondées sur l’importance d’activités terroristes.

Ce fut le cas en Irlande dans l’affaire Lawless en raison des agissements violents d’une armée secrète sur le territoire irlandais et en dehors de celui-ci, au Royaume-Uni dans les affaires Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978 et Brannigan et McBride contre Royaume-Uni du 26 mai 1993 en raison des violences terroristes sur le territoire des deux Irlande ; il en est de même dans l’affaire A. et autres contre Royaume-Uni du 19 février 2009 en raison des menaces que représentaient certaines personnes du fait de leur présence sur le territoire britannique après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ; également en Turquie dans l’affaire Aksoy et autres contre Turquie du 18 décembre 1996 du fait des violences terroristes dans le Sud-Est de la Turquie dans le conflit qui oppose l’Etat turc avec le Parti des travailleurs du Kurdistan.

Au vu de cette jurisprudence, il ne fait aucun doute que la déclaration de l’état d’urgence en France, le 14 novembre 2015, après les attentats de Paris, est compatible avec la définition que la cour donne du danger public menaçant la vie de la nation.

L’exigence de justification de l’état d’urgence s’applique a fortiori à un Etat adhérent qui a connu un putsch et un coup d’Etat : la survenance d’une révolution ne dispense pas un Etat adhérent de ses obligations à l’égard de la Convention (Commission européenne des droits de l’homme, 5 novembre 1969, Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce, § 26).

Sans doute, la Cour admettra également un état d’urgence justifié par des catastrophes naturels et des conflits internes.

Les mesures restrictives prises en vertu de l’état d’urgence doivent être nécessaires et proportionnées.

En vertu de l’article 15 de la Convention, les mesures dérogatoires ne sauraient être adoptées que « dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction aux autres obligations découlant du droit international ».

Cela implique un contrôle de la nécessité et de proportionnalité des mesures de restriction voire de suspension de certains droits et libertés. Particulièrement, la Cour vérifie que les règles normales de légalité applicables en période non troublée ne suffisent ni à faire face ni à endiguer le danger public qui menace la vie de la nation. Toutefois, elle laisse à l’Etat adhérent une marge d’appréciation dans le choix des mesures dérogatoires adéquates et les mieux adaptées pour parer à la menace: celles-ci peuvent aller jusqu’à l’exclusion du contrôle judiciaire des arrestations et des privations de liberté (Irlande contre Royaume-Uni, précité). La Cour n’accorde pas pour autant un blanc-seing à l’Etat adhérent. Ainsi, les mesures dérogatoires doivent être accompagnées de garde-fous contre les abus dans leur mise en œuvre. Face aux détentions administratives, sont envisageables le contrôle politique par le Parlement et le contrôle par des commissions de détention. En fonction de la gravité de la menace, la durée de la détention et l’exclusion de l’intervention judiciaire ne sauraient cependant être excessives : une détention secrète de quatorze jours sans présentation de l’intéressé à un juge ou à un magistrat est disproportionnée (Aksoy contre Turquie, précité), de même un régime de détention spécifique des étrangers est également disproportionné et discriminatoire dès lors que des nationaux peuvent aussi être des auteurs d’attentats terroristes (A et autres contre Royaume-Uni, précité).

En tout état de cause, les dérogations permises pendant l’état d’urgence ne sauraient concerner le droit à la vie (article 2 CEDH), l’interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains et dégradants (article 3 CEDH), l’interdiction de l’esclavage, du travail forcé et obligatoire (article 4 CEDH), le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (article 7 CEDH), le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois (article 4 du Protocole n°7 à la CEDH). En effet, ces droits ne souffrent nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (article 2 : Al-Saadoon et Mufdhi contre Royaume-Uni du 2 mars 2010, § 118 ; article 3 CEDH: par exemple, Aksoy c. Turquie, § 62, Öçalan contre Turquie (n°2) du 18 mars 2014, § 97-98 ; article 4 CEDH: Rantsev contre Chypre et Russie du 7 janvier 2010, § 283 ; article 7 CEDH : Del Rio Prada contre Espagne du 21 octobre 2013, § 77 ; article 4 § 3 du Protocole n°7 prévoit explicitement que « aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention » ). La jurisprudence considère également que l’état d’urgence ne doit pas seulement respecter la Convention européenne des droits de l’homme, il doit aussi être conforme aux autres obligations internationales de l’Etat adhérent. Celles-ci figurent notamment dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit une liste plus longue de droits qui ne peuvent faire l’objet de dérogation (en plus des droits et libertés figurant dans la CEDH, la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit à la personnalité juridique).

La déclaration et la fin de l’état d’urgence
doivent respecter des règles de forme
.

L’article 15 de la Convention impose à l’Etat adhérent qui y recourt d’informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe des mesures prises mais aussi de la fin de l’état d’urgence ou de l’état d’exception.

L’Albanie, l’Arménie, la Géorgie, la Grèce l’Irlande, le Royaume-Uni, la Turquie, l’Ukraine ont utilisé le droit de dérogation prévu par l’article 15.

La France a procédé à cette double obligation à propos de l’état d’urgence concernant le territoire de Nouvelle-Calédonie : la déclaration de l’état d’urgence par lettre du 7 février 1985, le retrait de celui-ci par lettre du 2 septembre 1985. Elle l’a également utilisée pour informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la proclamation de l’état d’urgence après les attentats du 13 novembre 2015  et aussi de sa prolongation : la France a fait une déclaration le 24 novembre 2015 concernant la proclamation de l’état d’urgence et une autre déclaration le 25 février 2016 concernant sa prolongation jusqu’au 26 mai 2016.

La Cour interprète strictement cette double obligation.

L’absence d’une déclaration formelle (écrite ou verbale) de dérogation exclut l’application de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme.

De même, cette déclaration doit être faite sans délai injustifié comme elle doit être accompagnée des informations précises et suffisantes sur les mesures prises et leurs motifs (Lawless contre Irlande (n°3) et Aksoy contre Turquie précités). Parmi les informations exigées, l’étendue territoriale de l’état d’urgence doit être indiquée : l’application de l’état d’urgence en dehors du territoire indiqué méconnaît l’objet et le but de l’article 15 de la CEDH (Sakik et autres contre Turquie du 26 novembre 1997).

Les mesures restrictives prises après la déclaration de retrait de la dérogation et donc de fin de l’état d’urgence ne sont plus couverte par l’article 15 de la CEDH (Brogan et autres contre Royaume-Uni du 29 novembre 1988).

En conclusion, la Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle indispensable de sentinelle de l’utilisation de l’état d’urgence. Ce dernier constitue un instrument utile de sauvegarde de la démocratie et de l’Etat de droit contre les menaces qui les assaillent. Il doit cependant rester un état d’exception car il fait courir aussi un risque de retournement d’un régime d’exception en un régime autoritaire et anti-démocratique. Quoi de plus précieux que le contrôle d’une juridiction indépendante et extérieure à l’Etat adhérent pour éviter un tel renversement ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 27.

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Le droit italien et la réponse au terrorisme

par Giacomo ROMA,
doctorant en droit public, comparé et international – Université de Rome « La Sapienza »

Le droit italien et la réponse au terrorisme

Art. 30. L’Italie a connu le terrorisme bien avant le fondamentalisme islamique qui a semé la terreur à Paris en 2015 et a conduit à la proclamation de l’état d’urgence. Dans les années 70, le pays était secoué par la lutte armée qui était mené par des groupes d’extrémistes « rouges » et « noires ». L’Etat craignait qu’il n’y fût un lien entre les mouvements sociaux qui, comme en France, avaient éclaté en 1968 et qui ont connu un autre moment fort en 1977, d’une part, et les groupes qui prônaient la lutte armée, tels que les Brigades rouges, d’autre part. A cette époque-là, comme de nos temps, des lois ont été adoptées pour lutter contre le terrorisme.

La législation des années 70 (I) peut être considérée l’ancêtre des lois les plus récentes en matière de terrorisme (II).

La réponse italienne au terrorisme des années 70

En 1975, une loi contenant des dispositions très restrictives pour le maintien de l’ordre public fût promulguée (loi n° 152 du 22 mai 1975, dite « loi Reale » du nom du garde des sceaux de l’époque). Il ne s’agissait pas d’une loi prévoyant l’état d’urgence au sens du droit français, mais elle a introduit des dispositifs tellement sévères par rapport aux libertés publiques qu’ils ont été en partie abandonnés dans les années suivantes et ont permis de considérer cette législation comme une législation d’exception. Il est à noter que la loi Reale a été soumise à referendum en 1978, mais son abrogation a été rejetée à 76,5% des suffrages exprimés bien que qu’elle fût fortement restrictive des libertés individuelles.

Cette loi contenait essentiellement deux volets : d’une part, elle s’intéressait au maintien de l’ordre public pendant les manifestations ; d’autre part, elle introduisait des modifications à la procédure pénale, pour renforcer les pouvoirs de la police judiciaire et permettre un déroulement rapide des procès dans lesquels étaient impliquées des personnes soupçonnées de porter atteinte à l’ordre public.

En ce qui concerne le maintien de l’ordre public lors de manifestations et rassemblements, la loi permettait aux forces de l’ordre d’utiliser leurs armes à feu lorsque cela était nécessaire pour le maintien de l’ordre public. Cela était accompagné d’une garantie particulièrement forte sur le plan procédural, car les procès faits aux policiers en lien avec l’utilisation qu’ils avaient faite des armes à feu suivaient un parcours particulier, avec une compétence spéciale du procureur général de la cour d’appel. Il s’agit du volet le plus controversé de la loi Reale, car après l’entrée en vigueur de cette loi 254 personnes ont été tuées dans des affrontements avec les forces de l’ordre, une minorité d’entre eux seulement possédant une arme à feu (source : http://www.ecn.org/lucarossi/625/625/). En outre, la loi introduisait l’interdiction du port du casque ou d’autres éléments qui rendaient difficile l’identification des individus. La loi a aussi introduit la possibilité de juger en comparution immédiate les personnes à la charge desquelles étaient mises les infractions aux règles pour l’organisation des manifestations, en ce qui concerne notamment l’obligation de donner un préavis aux autorités de police pour les rassemblements organisés sur la voie publique, et à l’ordre de mettre fin à un rassemblement en présence d’une menace à l’ordre public. La même possibilité était étendue aux cas de menaces aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

Du point de vue des pouvoirs de la police en relation avec une enquête pénale, elle autorisait la police à placer un suspect en garde à vue pour quatre jours avant l’examen de la part du juge, même en absence de flagrant délit, lorsqu’il y avait un risque de fuite – le régime italien de la garde à vue est pour le reste beaucoup moins restrictif de celui qui existe en France. La garde à vue devait être immédiatement communiquée au parquet, la police disposant d’un délai de quarante-huit heures pour communiquer les motifs et les résultats de l’enquête sommaire qu’elle avait pu mener. Dans les quarante-huit heures suivantes le parquet devait examiner le cas. En outre, la police était autorisée à effectuer des perquisitions pour vérifier si des personnes « dont l’attitude ou la présence dans certains lieux, par rapports à des circonstances spécifiques de temps et de lieu n’apparaissaient pas justifiées » détenaient des armes à feu ou d’autres objets susceptibles d’être utilisés dans la commission d’un délit.

La réponse italienne au terrorisme international

Après la période relativement calme que l’Italie a connu à partir des années 80, le retour du terrorisme a conduit à l’adoption d’une loi portant diverses mesures contre le terrorisme en 2015 (décret-loi n° 7 du 18 février 2015, ratifié par la loi n° 43 du 17 avril 2015). Elle contient de nombreuses dispositions visant à lutter contre le terrorisme international, mais elle ne se présente pas comme une loi d’exception à proprement parler. Elle s’intéresse notamment aux formes qui sont propres du terrorisme islamique, à savoir les combattants étrangers qui se rendent au Moyen Orient pour rejoindre des groupes extrémistes (foreign fighters) et le prosélytisme via le web.

La loi prévoit, néanmoins, certains dispositifs qui s’appliquent de façon temporaire : cela témoigne du caractère exceptionnel (ou expérimental ?) des mesures et peut conduire à penser que, même si en Italie il n’existe pas un véritable régime de l’état d’urgence, certaines décisions peuvent être prises de façon extraordinaire en s’appuyant sur la nécessité de lutter contre la menace terroriste.

En particulier, il est prévu que dans les enquêtes sur le terrorisme, les listes des appels et les données relatives aux connexions informatiques peuvent être conservées jusqu’au 31 décembre 2016, alors que normalement des délais plus courts sont prévus dans le cadre de la procédure pénale. La même échéance est fixée concernant les appels en absence relevés par les compagnies téléphoniques.

Jusqu’au 31 janvier 2016 également, les services de renseignement sont autorisés à s’entretenir en prison avec les détenus lorsque cela est nécessaire pour la prévention d’attentats liés au terrorisme international. Il est nécessaire d’informer du déroulement de ces entretiens le procureur général de la cour d’appel de Rome et le chef du parquet national en matière de lutte contre la criminalité organisée, dont les compétences ont été étendues au terrorisme (Procura nazionale antimafia e antiterrorismo). Une fois que l’activité des services de renseignement est terminée, il faut informer la commission parlementaire compétente (Comitato parlamentare per la sicurezza della Repubblica) et le même chef du parquet national spécialisé. La loi prévoit, en outre, un mécanisme pour protéger les agents des services de renseignement vis-à-vis des procédures pénales qui pourraient être engagées à leur encontre : ils sont autorisés à commettre des actes qui sont généralement qualifiés d’infraction sur le plan pénal, lorsque cela est lié à la prévention d’actes de terrorisme et peuvent utiliser, lorsqu’ils sont appelés à témoigner dans une procédure pénale, le nom qui leur avait été donné à l’occasion d’opérations sous couverture.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 30.

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Le point de vue d’un président d’Université (interview)

par M. le pr. Bruno SIRE,
président de l’Université Toulouse 1 Capitole

Le point de vue
d’un président d’Université
(interview)

Art. 39. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

BS : Il s’agit – essentiellement et concrètement – pour sa dimension pratique au sein de l’Université Toulouse 1 Capitole d’une procédure administrative qui revient à pratiquer des contrôles sur les déplacements des personnes.

JDA : Quel a été l’impact de l’état d’urgence sur votre activité professionnelle ?

BS : Nous avons mis en place un contrôle réel sur la fréquentation des sites universitaires (les trois sites toulousains, bien sûr, de l’Arsenal, de la Manufacture et des anciennes Facultés mais aussi pour le site de Rodez). Ce contrôle consiste essentiellement à faire vérifier les cartes des étudiants et des personnels par des vigiles avant toute entrée dans l’établissement et à réaliser, ponctuellement, des contrôles de sacs.

JDA : Quelle est, selon vous, l’utilité de ce contrôle ?

BS : Très clairement, la portée de ce contrôle de sécurité est avant tout d’ordre « symbolique ». Il n’est ni absolu ni réel en tout point. En ce sens, personne ne se fait d’illusion quant au fait qu’une « bande organisée » et déterminée puisse venir agir dans un lieu universitaire sans que nous puissions l’en empêcher. Partant, et avec une médiatisation assurée, elle arriverait à ses fins même avec des vigiles aguerris.

Toutefois, hors l’hypothèse précédente contre laquelle on ne pourrait pas grand-chose, ce contrôle dépasse la seule symbolique et devient matériel et réel et ce, à double titre. En effet, non seulement il permet de rassurer la communauté universitaire (par une présence effective) et, surtout, il dissuade les éventuels « loups solitaires » qui chercheraient à troubler l’ordre public.

JDA : Avez-vous eu des retours positifs comme négatifs ?

BS : Nous avons eu des retours plutôt favorables immédiatement après la mise en place de ce dispositif. Certains, à l’inverse, ont estimé et estiment que cela serait trop, voire inutile.

Je partage en l’occurrence ces deux avis mais l’état d’urgence ayant été prorogé, nous ne pouvons mettre fin à ces contrôles dans l’immédiat. A maxima, il faut attendre la fin du mois de mai. A priori, nous allons réduire progressivement ledit dispositif de contrôle mais nous le maintiendrons jusqu’à la fin des examens. Nous allons par suite procéder à une sécurisation du site, avec une restauration des clôtures et une gestion de l’accès à certaines issues par un dispositif de caméras avec un « PC sécurité » destiné à verrouiller / déverrouiller les accès en fonction des besoins potentiels.

Le campus – en plein cœur de ville – est en effet trop ouvert aux quatre vents et à tous types d’individus, y compris les plus mal intentionnés. Il semble temps d’y mettre un terme.

En ce cens, l’Université n’a pas reçu d’ordre préfectoral, rectoral ou ministériel mais c’est sur les conseils appuyés de la préfecture (qui a vu l’Université comme étant une cible potentielle des terroristes) que le dispositif de sécurité a été entrepris et continuera même s’il a un coût non négligeable.

JDA : L’état d’urgence vous a-t-il empêché d’agir ?

BS : Il aura précisément permis de procéder à une réflexion d’ensemble sur la sécurisation du site, et d’accélérer les procédures en cours pour obtenir les permis (qui trainaient) et engager concrètement les travaux. La volonté de l’Université Toulouse 1 Capitole est de faire comprendre qu’un campus universitaire n’est pas un jardin public, dans lequel toute personne étrangère à la communauté universitaire pourrait accéder librement.

Certes, il y a bien un événement qui a été annulé et empêché mais cela demeure anecdotique. En effet, le seul événement directement annulé en raison de ce dispositif de sécurité a été le gala universitaire qui attendait 800 personnes mais nous avons maintenu, en revanche, les journées portes ouvertes.

JDA : Avez-vous des regrets ou des satisfactions ?

BS : On peut et pourra évidemment toujours mieux faire, mais il était, en l’occurrence, indispensable d’agir et de faire quelque chose en raison de la forte inquiétude et de l’attente des gens à Paris d’une part mais aussi en province, comme à Toulouse.

Il existait une attente réelle de la communauté universitaire et des concitoyens. Un véritable traumatisme auquel les administrateurs se devaient de répondre.

JDA : Ne vous sentez-vous pas isolé par rapports aux autres Universités de province qui n’ont pas forcément mis en place un tel dispositif de sécurité ?

BS : Il est manifeste que certains campus sont à ce jour dans l’impossibilité technique de mettre en place un dispositif de sécurité en raison de leur configuration spatiale. A Toulouse, c’est par exemple le cas de l’Université Paul Sabatier. A l’Université Jean Jaurès, ils ont mis en place un dispositif de contrôle tournant avec des vigiles et des chiens. Quant à nous, à UT1, nous sommes dans une situation particulière, avec un site en centre ville, exposé à la délinquance, et une université de renom qu’il convient de protéger.

JDA : Y-a-t-il un évènement marquant qui vous a conforté ou au contraire dissuadé de poursuivre ce dispositif de sécurité ?

BS : Ce qui m’a conforté dans l’idée de sécuriser le site d’UT1, c’est la visite des Universités parisiennes qui ont, toutes, adopté un tel dispositif. C’était originellement mon angoisse : ne pas avoir à me dire « j’aurais dû le faire et je ne l’ai pas fait » car il eut été inconscient de ne rien faire. Nous sommes en effet aujourd’hui confrontés à une tension permanente en raison d’une part de la guerre contre le terrorisme dans laquelle s’est engagée la France, d’autre part d’une vague d’immigration sans précédent en Europe qu’il nous faut savoir gérer.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 39.

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ParJDA

Le point de vue d’un doyen de Faculté de Droit (interview)

par M. le pr. Hugues KENFACK,
doyen de la Faculté de Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole

Le point de vue d’un doyen
de Faculté de Droit
(interview)

Art. 40. JDA : Qu’est ce que l’état d’urgence pour vous ?

HK : Selon notre droit, l’état d’urgence est un régime de crise fixé par la loi du 3 avril 1955 plusieurs fois modifiée. Il est déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Cet état d’urgence renforce les pouvoirs de l’administration pour restreindre certaines libertés. Il permet au ministre de l’intérieur et aux préfets de prendre des mesures limitatives de la libre circulation des personnes et des véhicules en créant des zones de sécurité dans lesquelles le séjour de certaines personnes est réglementé voire interdit ; de prendre des mesures d’assignation à résidence accompagnées d’obligation de se présenter à la police et à la gendarmerie, de confiscation des documents d’identité, de port de bracelet électronique ; de dissoudre des associations ou groupements de fait ; de procéder à des perquisitions de jour comme de nuit ; de saisir des armes ; de fermer des débits de boisson et des salles de spectacles.

Pour moi, tant au regard de la loi que des six cas d’application (dans les quatre départements d’Algérie du 3 avril au 1er décembre 1955 ; en France métropolitaine du 17 mai au 1er juin 1958, du 23 avril 1961 au 24 octobre 1962 ; en Nouvelle Calédonie du 12 janvier au 30 juin 1985 ; à nouveau en métropole du 8 novembre 2005 au 4 janvier 2006, et du 14 novembre 2015 au 26 mai 2016, sous réserve d’une nouvelle prorogation dans ce dernier cas), l’état d’urgence est à la fois une période exceptionnelle pendant laquelle la Nation est en grave danger et un état particulier de menace contre la démocratie et l’État de droit.

Cette situation exceptionnelle nécessite l’adoption de mesures qui limitent certains droits et libertés afin de sauvegarder l’essentiel de la démocratie et l’État de droit.

C’est une situation paradoxale dans laquelle la sauvegarde des valeurs démocratiques et de l’État de droit implique des limitations exceptionnelles de certaines libertés. Il y a donc une articulation indispensable entre les libertés nécessaires à la vie en société et les limitations de liberté qui préservent ce mode de vie.

JDA : Concrètement, quel est l’impact sur votre pratique professionnelle.

HK : En raison de l’état d’urgence, l’Université a été obligée de prendre des mesures de restriction liées à l’entrée et à la circulation des personnes dans ses locaux et au stationnement sur son parking.

Ces mesures sont nécessaires pour assurer la sécurité des acteurs de la vie universitaire (enseignants, personnels administratifs, étudiants…) et des usagers. Cela n’est pas contestable. Mais encore faut-il qu’il y ait une proportionnalité entre les limitations d’accès, les « privations » de liberté et les mesures de sécurité, entre l’objectif visé et l’efficacité.

Or, la Faculté de droit et l’Université sont par essence ouvertes sur la ville. La Faculté a de nombreux partenariats avec le monde socio-économique, en vue d’assurer l’insertion professionnelle de ses étudiants. Dans le contexte actuel, il est très difficile d’articuler ce partenariat nécessitant la présence de nombreux praticiens du droit dans nos murs, notamment pour assurer les cours en Master, et les mesures actuelles de sécurité.

Les difficultés de mise en œuvre, qui obligent parfois à mobiliser non seulement les collaborateurs du doyen, ses collègues ou le doyen lui-même pour éviter qu’une personnalité importante ne soit bloquée à l’entrée de l’université par des agents de sécurité – qui font un travail très difficile et qu’il convient de remercier – posent des questions. La Faculté et l’Université ont toujours été ouvertes sur la société et le seront toujours. Les restrictions, justifiées, doivent être limitées et la ligne rouge est leur efficacité.

Les mesures actuelles ont un impact important sur la réception de praticiens au sein de l’Université car il n’est pas possible de limiter cet accès aux seules personnes ayant prévenu de leur arrivée. Une visite de courtoisie d’un conseiller de la Cour de cassation doit-elle forcément et nécessairement être prévue à l’avance ? Comment justifier qu’un notaire venant à l’Université pour échanger son expérience avec des étudiants ne puisse le faire sans une organisation préalable ? Comment recevoir dans les amphis les très nombreux lycéens qui veulent découvrir le droit et qui, parfois sans aucune autorisation venaient avec leurs parents suivre des cours en amphi ? Heureusement que les mesures sont parfois appliquées avec mesure.

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps normal ?

HK : Les réponses à cette question se trouvent en filigrane dans celles de la précédente question.

JDA : Quel en est l’exemple le plus marquant ?

HK : Un incident survenu entre un chargé de TD et un agent de sécurité me vient en mémoire. J’ai été obligé par exemple de jouer, en tant que doyen, le rôle de médiateur à la suite de cet incident entre un jeune docteur de la Faculté de droit de l’Université Toulouse Capitole et un agent de sécurité, le premier menaçant de porter plainte contre le second. J’ai avant tout voulu éviter une crispation entre deux personnes qui œuvrent, chacune à son niveau, à la bonne marche de la Faculté, le premier, par des enseignements de qualité et le second, par la sécurité des acteurs de la vie universitaire. Or, si le premier est empêché, pour des raisons de sécurité, d’avoir accès à l’Université par le second, qui ne fait que son travail, les étudiants sont privés d’une séance de travaux dirigés, ce qui a un impact sur leur formation.

En conclusion, des mesures nécessaires de restrictions de liberté doivent être proportionnées aux objectifs recherchés et à leur efficacité. Il est impératif de limiter l’état d’urgence dans le temps et dans l’espace. Ma conviction profonde est que la Faculté et l’Université sont synonymes de liberté, d’ouverture, même si une certaine sécurité doit être garantie. Il n’est pas envisageable d’en faire un espace clos.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 40.

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ParJDA

Appel à contribution(s) – Dossier n°03 – Laï-Cités – en collaboration avec les Cahiers de la LCD

Art. 18. A l’instar du JDA, les Cahiers de la LCD sont ainsi que l’indiquent leurs créateurs Johanna Dagorn & Arnaud Alessandrin « une nouvelle revue dans le paysage universitaire français. Ils visent à rassembler les connaissances et enrichir la réflexion et l’action autour des questions liées à la lutte contre les discriminations« .

Attention ! Mise à jour au 01 septembre
l’appel est prorogé jusqu’au 01 octobre 2016

Voici, pour le lancement du JDA, un premier appel commun à ces deux revues : C-LCD & JDA !

Il est téléchargeable en cliquant ICI

ou sur le site des Cahiers de la LCD :
http://www.lescahiersdelalcd.com/

« Laï-Cité(s) »

Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité

Numéro dirigé par
Brigitte Esteve-Bellebeau & Mathieu Touzeil-Divina

3ème Appel à articles

LES CAHIERS DE LA LCD (Lutte Contre les Discriminations)
& Le JOURNAL du DROIT ADMINISTRATIF

Si l’on peut dire que les attentats de janvier 2015 ont réveillé les consciences et rappelé à toutes et à tous que rien dans le champ politique n’est jamais acquis, pas même ce qui paraît avoir « force de loi », certains y ont plus particulièrement décelé une attaque à la Loi du 09 décembre 1905, ou encore une atteinte aux valeurs de la République dont la laïcité – consacrée de façon normative au rang constitutionnel – fait partie. Tantôt considérée comme une norme froide et impérative, tantôt comme une valeur brandie tel un calicot ou encore comme un principe, la laïcité fait effectivement figure de repère identitaire ou parfois même de repoussoir : elle se donne à lire comme ce qui protège les individus contre l’emprise du religieux dans la sphère politique / publique tout en leur permettant d’exprimer leurs croyances.

La Laïcité, corollaire du principe – également constitutionnel – d’Egalité se trouve ainsi consubstantiellement liée à la question des ou de la discrimination(s). En effet, si l’Egalité républicaine exclut a priori toute discrimination (et donc toute rupture dudit principe), elle doit être conciliée et cohabiter – dans l’espace public de la Cité – avec la ou les libertés de religion(s).

Conciliante, militante et parfois provocante, la laïcité – que tous les services publics (et parfois même privés (que l’on songe en ce sens à l’exemple médiatique de la crèche dite Baby-Loup)) doivent a priori incarner – peut en devenir une valeur qui, soutenue à l’extrême, conduit à refuser de voir la société dans sa diversité et donc à discriminer à rebours.

Pour ce troisième appel à articles, les « Cahiers de la LCD » (Lutte Contre les Discriminations) avec le soutien du Journal du droit administratif (Jda) prennent donc pour objet de réflexion une question multiforme et bien actuelle – celle de la laïcité. Mais si son nom résonne bruyamment à nos oreilles de français-e-s aujourd’hui tant ses incantations sont nombreuses et vont parfois jusqu’à en faire un bouclier comme pour se protéger des attaques de l’autre quel qu’il soit, le présent ne saurait nous faire oublier la longue histoire de la sécularisation en marche (en France comme ailleurs) et renvoyant, en miroir, la sempiternelle question du comment vivre avec d’autres si différents ?

Les Cahiers de la LCD ouvrent ainsi la porte à la critique scientifique, à l’analyse universitaire tout autant qu’aux descriptions des pratiques politiques qui, en France ou à l’étranger, mettent l’accent sur les avantages d’un principe juridique, parfois constitutionnalisé, permettant de vivre en paix en respectant la diversité des cultures au sein d’un même pays.

Si l’on connaît les deux pays brandissant l’étendard laïque au rang normatif suprême (la France et la Turquie), ces consécrations normatives font-elles de ces pays des havres de paix religieuse ?

C’est alors aussi aux limites de cette valeur et de ce principe laïques que les auteur-e-s pourront s’intéresser quand la laïcité, elle-même, est défendue contre ce que son principe prône : la neutralité, ou quand elle ne peut être appliquée que si les autres valeurs qui lui sont concomitantes sont également soutenues, à commencer par l’Egalité des droits des individus.

De l’idéal de la laïcité à son incarnation dans un réel politique et social qui s’accommode de petits arrangements avec la norme, il s’agira pour les auteur-e-s de se pencher sur ce qui fonctionne dans et à la marge du principe de laïcité, tout autant que de rendre compte des difficultés voire des impasses auxquelles peuvent conduire les institutions (Education Nationale, Justice, Collectivités locales, etc.) quand elles assènent les valeurs de la république comme slogan politique, pansement moral, norme antalgique ou prothèse sociale.

– De la liberté religieuse et de la laïcité au cœur des services publics, à l’évolution du cadre déontologique du fonctionnaire en passant par ce        que les administrations – et notamment l’école – peut et doit faire pour former – dans la Cité – le(s) futur-e(s) citoyen-ne(s), se dessine un premier axe de recherches lié à la laïcité en France confrontée – notamment – au principe d’Egalité.

– Un deuxième axe peut être envisagé à partir de ce que d’autres Etats ou même parfois collectivités (par exemple ultra-marines) font, ou ne font pas, en matière de consolidation et / ou de préservation de la citoyenneté face à la laïcité ce qui permettra aux auteur-e-s de proposer des analyses comparatives. Le comité de lecture se montrera particulièrement attentif à la prise en charge des questions de lutte(s) contre les discriminations qui apparaissent ici centrales.

En ce sens, on pourra envisager une analyse comparée des apports de l’enseignement éthique et / ou civique (mis en place dans certains pays en vue de concrétiser la formation à la citoyenneté des jeunes) dans la construction de l’aptitude à vivre ensemble.

– Un troisième axe pourra envisager la question laïque et ses discriminations potentielles dans le traitement juridictionnel qu’en font les juges mais aussi les requérants (militants ou non des questions laïques ou religieuses).

– Enfin, la question des « ratés » ou des « ratages » de la laïcité pourrait permettre d’analyser le défaut du lien entre démocratie sociale et démocratie laïque. De même, invite-t-elle à regarder en creux l’évolution des rapports entre religions et laïcité dans plusieurs services publics confinés à l’instar du milieu carcéral par exemple.

 Dates limites d’envoi et conditions :

  • L’ensemble des articles soumis à expertise devront-être envoyés simultanément aux deux adresses suivantes avant le 01 octobre 2016 :
  • Les articles feront l’objet d’une double expertise en aveugle.
  • Les auteur.e.s seront informé.e.s de la recevabilité de leur proposition, ou de la correction et types de corrections le 1er décembre 2016 au plus tard.
  • Les articles retenus devront être envoyés modifiés, avant le 01 janvier 2017 pour une publication en février 2017.

Style attendu des propositions :

Ces propositions devront comprendre :

  • L’article complet (30.000 environ)
  • Une présentation de(s) auteur.e.s -2,3 publications et affiliations
  • Un résumé en français (10 lignes)
  • Des notes de lecture, recensions, notes de synthèses sont aussi attendues.

NORMES DE REDACTION :

  • Les notes de bas de page ne renvoient pas aux références bibliographiques mais permettent d’indiquer des éléments n’apparaissant pas dans le texte.
  • Les références s’écrivent dans le texte (NOM, Date) : si plusieurs références d’un même auteur renvoient à la même date, merci d’accoler à cette dernière une lettre (a, b, c) que l’on retrouvera en bibliographie.
  • Pour les livres : Nom Initiale du prénom. (date), Titre du livre, édition, collection, date.
  • Pour les articles : Nom Initiale du prénom. (date), « Titre de l’article », Nom de la revue, numéro, volume, pagination (ex : pp. 10-20).
  • Pour un chapitre de livre : Nom Initiale du prénom. (date), « Titre de l’article », in Titre du livre (Nom de / de la dir., Initiale du prénom, dir.), éditeur, coll., pagination (ex : pp. 10-20).
  • Pour les articles électroniques, merci de compléter vos références par : Disponible sur : lien. Consulté le : Jour / Mois / Année.
  • Les citations (textes ou entretiens) sont proposées en « italique ».
  • Chaque auteur.e soulignera 2-3 phrases importantes de son texte afin que ces dernières puissent être mises en exergue lors de la mise en page.
  • Les illustrations utilisées doivent être libre de droits (ou fournies avec un accord d’utilisation). Les graphiques et illustrations sont numérotés et comprennent titre et légende.

NB : le présent appel, à l’initiative des Cahiers de la Lcd, est également porté par le Journal du droit administratif (Jda) qui le relaie et se propose de mutualiser les synergies – entre sociologues, philosophes & juristes notamment – pour en faire le troisième de ses « dossiers ».

Certains articles (choisis par les deux directeurs du présent appel) se verront donc proposer une double publication : aux Cahiers de la Lcd mais aussi au sein d’un dossier spécial « laï-Cité(s) » au cœur du Jda.

         En ligne : www.journal-du-droit-administratif.fr (et / ou http://www.j-d-a.fr).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 18.

 

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ParJDA

AG du 10 mars 2016

Art. 13. Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre quatrième réunion a eu lieu le 10 mars 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées une trentaine de personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus de l’Université de Toulouse 1 Capitole, de Sciences Po Toulouse, du Barreau ainsi que du Tribunal Administratif de Toulouse (au moins un représentant de chaque institution ou représenté pour le Barreau). La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Questionnaire(s) / Interview(s) :

Il avait été acté par les membres du Jda que notre média offrirait à ses lecteurs la publication d’un questionnaire / interview sur le droit administratif (et ses mutations contemporaines notamment). C’est M. le professeur Pierre Delvolvé – qui en a accepté le principe – qui ouvrira cette série de questionnaires. La forme de ces derniers (questions générales et ouvertes) sera a priori la même pour toutes les interviews qui suivront lors des numéros suivants. Un exemple de questionnaire (réalisé par Mme Lucie Sourzat et M. Touzeil-Divina) avait été présenté en annexe du dernier compte-rendu. Ce document après avoir été versé aux débats a été partiellement amendé. Suite à une proposition en ce sens du pr. Kalfleche, la première des questions dites « bonus » a été modifiée comme suit (avec approbation de l’assemblée) : au -lieu de demander une « couleur » pour le droit administratif, c’est un « animal » que l’on recherchera (sic) (cf. Annexe I). Il est proposé que tous les contributeurs répondent (par suite) audit questionnaire qui pourrait faire l’objet d’un dossier.

Parallèlement, il est proposé qu’un second questionnaire, inspiré du précédent, soit adressé à des professeurs de droit public – non français. Ce questionnaire « comparé » a été rédigé par les pr. Aurore Gaillet & Mathieu Touzeil-Divina. Il est présenté en Annexe II est fera l’objet d’une discussion commune lors de notre prochaine réunion.

  • Site Internet
  1. A. Duranthon, M. Sztulman & M. Touzeil-Divina avaient été chargés – par les membres présents et représentés – de prévoir pour la prochaine réunion du Jda quelques exemples de mises en formes et d’ossature(s) du futur site Internet de notre média.

Lors de la réunion, MM. Duranthon & Touzeil-Divina ont ainsi dévoilé aux membres présents leurs propositions de site, de thème, d’architecture ; etc. Il est acté que le Jda ne se dotera pas, dès maintenant, d’un logo définitif mais qu’il s’agira – au contraire – d’attendre un peu pour se prononcer en ce sens (ce qui signifie que toute proposition est la bienvenue). En attendant, l’assemblée remercie M. Duranthon pour sa première proposition (adoptée et mise en place sur la première version du site). En l’état, le site est proposé à l’ouverture officielle au public autour du 21 mars (date à confirmer en fonction des articles arrivés et corrigés à temps). Dans les dix jours, il est conséquemment proposé d’adopter – en urgence – le calendrier suivant :

  • Mmes Florence Crouzatier-Durand & Delphine Espagno se proposent pour relire les articles et pages actuellement en ligne ; elles seront également missionnées pour trouver des « mots-clefs » propres à chaque article (1 à 3).
  • Tous les contributeurs (écrivains ou simples soutiens) pourront envoyer au Jda une photo d’eux qui sera mise en avant notamment en première page ainsi que sur celle – dédiée – à nos contributeurs. Pour un meilleur rendu, il est indiqué que ses photos seront utilisées sous un format 604 / 270 pixels.
  • Dès le 11 mars, tous les contributeurs recevront un courriel leur expliquant comment relire leur article en ligne (à l’aide de codes) et à qui indiquer leurs propositions de correction(s).
  • Le pr. Delvolvé sera contacté aux fins de répondre au premier « questionnaire » du Jda.
  1. Orlandini se propose pour aider à l’administration du site (sur wordpress). Sa candidature spontanée est acceptée. M. Boul se propose pour aider à la modération éventuelle des commentaires qui seraient à venir sur le site. Sa candidature est acceptée.
  • Premier « dossier » du Jda : l’état d’urgence

Mme Schmitz & le pr. Touzeil-Divina présentent les avancées du dossier « état d’urgence ». De nombreux articles sont déjà arrivés et ont été formatés pour correspondre aux canons de notre média. Le pr. Touzeil-Divina indique en ce sens qu’il ne regrette pas d’avoir passé deux journées pleines et entières à la première constitution / mouture du site Internet et de son dossier mais serait heureux de pouvoir être prochainement épaulé.

Le dossier est présenté en l’état avec les contributions arrivées (ou sur le point de l’être) suivantes :

I) Qu’est-ce que l’état d’urgence ?

I-1 – Quels sont les autres régimes d’exception ?
par Mme Florence CROUZATIER-DURAND,
Maître de conférences (HDR), droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

I-2 – La loi « Tréveneuc » de 1872 : un régime d’exception oublié
par M. Olivier PLUEN,
Maître de conférences, droit public, Université des Antilles

I-3 – Les causes des précédents historiques de mise en œuvre de l’état d’urgence
par M. Rémi BARRUE-BELOU,
Docteur en droit public, qualifié aux fonctions de maître de conférences

I-4 – Les propositions des Comités Vedel et Balladur sur l’état d’urgence
par M. le pr. Jacques VIGUIER,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Idetcom

I-5 – Que dit la Cour européenne des droits de l’homme sur l’état d’urgence ?
par M. le pr. Joel ANDRIANTSIMBAZOVINA,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Irdeic (article en cours)

I-6 – Les organisations internationales et l’état d’urgence français
par Valère NDIOR,
Docteur en droit public de l’Université de Cergy-Pontoise

I-7 – L’état d’urgence en droit international  :
qu’est-ce qui a changé depuis « la guerre contre le terrorisme » ?

par Mme Vasiliki SARANTI,
Docteur en droit public, Université Panteion d’Athènes

II) Quel est le régime juridique de l’état d’urgence ?

II-1 – La décentralisation de l’état d’urgence :
les collectivités territoriales face à la menace terroriste

par M. le pr. Nicolas KADA,
Professeur de droit public, Directeur du CRJ (Université Grenoble Alpes) & du GRALE (GIS CNRS)

II-2 – Perquisitions en régime d’état d’urgence : « toc toc toc ! c’est le préfet ! »
par Maître Benjamin FRANCOS,
avocat au Barreau de Toulouse

II-3 – Résister, c’est continuer de rester dans le mouvement
Marie Pierre CAUCHARD,
chargée d’enseignement en droit public (Université de Toulouse 1 Capitole)

II-4 – Les moyens de preuve de la nécessité des mesures prises par l’autorité de police durant l’état d’urgence : la fin ne justifie pas les moyens
par M. Loïc PEYEN,
ATER en droit public – Université de La Réunion

II-5 – A l’école de l’état d’urgence
par Mme le pr. Geneviève KOUBI,
Professeur de droit public – Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Membre du CERSA (Paris II – CNRS)

II-6 – La sécurité psychique, finalité de l’état d’urgence ?
par Géraldine AÏDAN,
Chargée de recherche CNRS – CERSA, CNRS – Université Paris II Panthéon-Assas

III) L’état d’urgence au quotidien « vu par »

III-1 – Le point de vue d’une députée
par Mme Marietta KARAMANLI,
députée de la Sarthe, 2ème circonscription

III-2 – Le point de vue d’un sous-préfet d’arrondissement
par M. Jean-Charles JOBART,
Conseiller des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel,
Sous-préfet d’Ambert

III-3 – Le point de vue d’un président d’Université (interview)
par M. Bruno SIRE,
président de l’Université Toulouse 1 Capitole (article en cours de relecture)

III-4 – Le point de vue du magistrat administratif (interview)
par M. Arnaud KIECKEN,
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

III-5 – Le point de vue d’un membre du Syndicat de la Magistrature (interview)
par Mme Marie LECLAIR,
Syndicat de la Magistrature, Déléguée régionale adjointe

III-6 – Le point de vue d’un membre de l’Observatoire de l’état d’urgence (interview)
par Mme Claire DUJARDIN,
Observatoire de l’état d’urgence, SAF

III-7 – Le point de vue d’un magistrat du parquet
par M. François FOURNIE,
Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières

IV) Quels sont les contrôles de l’état d’urgence ?

IV-1 – Quels sont les contrôles parlementaires ?
par Mme Julia SCHMITZ,
Maître de conférences, droit public, Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

IV-2 – Quels sont les contrôles des différents juges ?
par M. le pr. Stéphane MOUTON,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Directeur de l’Institut Maurice Hauriou (article en cours)

IV-3 – Quels sont les contrôles des Autorités Administratives Indépendantes ?
par M. le pr. Xavier BIOY,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

IV-4 – Quels sont les contrôles de la société civile ?
par Mme Julia SCHMITZ,
Maître de conférences, droit public,
Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

V) Quel serait l’après état d’urgence ?

V-1 – Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? (interview I / II)
par Mme le pr. Wanda MASTOR,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Centre de Droit Comparé, Directrice de l’Ecole Européenne de Droit

V-2 – Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? (interview II / II)
par M. le pr. Xavier MAGNON,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou (article en cours)

Il est proposé – au moyen du présent compte rendu – d’appeler les membres du Jda à se manifester – au plus vite et si possible par retour de courriel – s’ils désirent proposer :

  • Une contribution au « dossier » du Jda

Rappel : une adresse dossier@journal-du-droit-administratif.fr a été créée en ce sens ; il suffit d’y adresser sa proposition et d’attendre l’accord des coordinateurs.

Parmi les contributions « manquantes » ou souhaitées, les coordinateurs du dossier aimeraient solliciter des études à propos :

  • etc.
  • de la question de sa prorogation
  • de son éventuel « après »
  • des coûts réels et matériels de l’état d’urgence
  • du contexte (national et ou international de 2015)
  • de l’histoire (qu’enseigne-t-elle à propos de l’état d’urgence ?)
  • du droit comparé (quels autres régimes d’exception existent ailleurs ?)
  • Une contribution « libre » hors dossier

Il est rappelé que le Jda ne compte pas vivre qu’avec un à trois dossiers annuels et quelques chroniques mais qu’il sera nourri de différents articles spontanés envoyés par nos contributeurs et traitant du droit administratif de manière générale :

  • Actualité(s) normatives
  • Actualité(s) prétoriennes (Toulouse)
  • Actualité(s) prétoriennes (le reste du monde !)
  • Recherches historiques
  • Evénements universitaires (colloques, thèses, etc.)
  • Commentaires de jurisprudence(s) / normatifs
  • Etc.

On attend donc en ce sens toute proposition (qui sera la bienvenue).

  • Chroniques

La première chronique (collectivités locales ; sous la direction de M. Pascal Touhari) est bien arrivée début mars. Elle a été testée en ligne et est encours de relectures. Elle contient à ce jour quatre thèmes présentés en quatre articles correspondant :

   Droit administratif des collectivités territoriales (CT1-1)

   Commande publique & collectivités territoriales (CT1-2)

   Urbanisme & collectivités territoriales (CT1-3)

   Fonction publique & collectivités territoriales (CT1-4)

Le professeur Jean-Gabriel Sorbara proposera prochainement sa chronique (relative au droit administratif des biens). L’assemblée valide ces deux propositions et en remercie les porteurs.

  • Second « dossier »

Le deuxième dossier pourrait être programmé pour juillet ou septembre 2016. Il pourrait porter sur « les relations entre administration(s) & administré(s) » selon la proposition qu’en avait faite le professeur Saunier.

Le thème est acté et l’assemblée propose d’en confier la direction – s’ils le souhaitent et en sont d’accord – au professeur Saunier ainsi qu’à mesdames Crouzatier-Durand & Espagno.

Le professeur Touzeil-Divina propose un troisième dossier pour décembre portant sur la laïcité ; ce dossier se ferait en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). Un appel à contributions est proposé en ce sens (cf. Annexe III). Il s’agirait d’organiser de façon mutualisée un dossier sur cette question (dans ses rapports – nous concernant – avec le droit administratif notamment).

L’assemblée approuve ses deux propositions.

  • Jurisprudence(s)

Il avait été proposé et acté (en 2015) que lors de chaque réunion du Jda, chaque membre présent du comité de rédaction pourrait proposer une décision juridictionnelle (en matière administrative) comme décision du mois ou du moment et ce, pour convaincre le comité de l’intérêt de commenter cette décision au sein du Jda. Il est en outre acté, lors de la réunion du 21 janvier 2016, qu’il pourra y avoir non seulement une mais aussi plusieurs décisions retenues afin de multiplier les points de vue et les articles. Les débats se font alors autour de la ou des décisions à retenir pour l’année 2015 et à exposer en mars 2016 dans la première mise en ligne de notre site Internet. Plusieurs décisions sont citées mais aucune ne fait -encore – l’unanimité. Il est alors proposé de mettre en ligne plusieurs contributions (selon les propositions qui seront reçues au premier mars) dont un ou plusieurs jugements proposés au commentaire par le Tribunal Administratif de Toulouse.

N’ayant cependant pas – encore – reçu de telles propositions, un dialogue s’engage avec les deux représentants du Tribunal Administratif de Toulouse.

Il est proposé – pour la prochaine réunion du Jda – que soient publiés deux à trois « dossiers » toulousains comprenant pour chacun :

  • Un extrait de conclusions du rapporteur public
  • Le jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Deux dossiers au moins sont prévus en ce sens (l’un en urbanisme pour lequel le pr. Kalfleche se propose d’offrir le commentaire et l’autre en droit des fonctions publiques pour lequel le pr. Touzeil-Divina serait intéressé).

Il est demandé aux représentants du Tribunal Administratif de Toulouse de bien vouloir fournir au plus vite les conclusions / jugements afin d’organiser au mieux ces présentations.

Il est rappelé, en outre, aux membres du Jda (comme dit supra) que notre Journal ne compte pas vivre qu’avec un à trois dossiers annuels et quelques chroniques mais qu’il sera nourri de différents articles spontanés envoyés par nos contributeurs et traitant du droit administratif de manière générale : actualité(s) normatives, prétoriennes, recherches historiques, événements universitaires (colloques, thèses, etc.), commentaires de jurisprudence(s) / normatifs, etc.

On attend donc en ce sens toute proposition (qui sera la bienvenue).

Toute personne intéressée pour participer à l’une des propositions ci-dessus est priée de se faire connaitre au plus vite afin de « réserver » une / sa contribution ou plusieurs mêmes (en envoyant un courriel à contact@journal-du-droit-administratif.fr).

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé :

  • de nous donner rendez-vous le mercredi 06 avril 2016 à 18.30 (salle à préciser) ;
  • que chacun vienne avec une ou des proposition(s) de jurisprudence(s) à retenir comme étant « LA » jurisprudence du début d’année 2016 (Conseil d’Etat, Tribunal des Conflits et Tribunal Administratif de Toulouse) ;

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 11 mars 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Annexe I – Interview JDA

Annexe II – Interview JDA – droit comparé

Annexe III : Appel à contributions

Le présent compte-rendu (avec ses annexes)
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 13.

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ParJDA

Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? ( interview II / II)

par M. le pr. Xavier MAGNON
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Constitutionnaliser,
proroger l’état d’urgence ? ( interview II / II)

Art. 52. Le JDA a questionné les professeurs Wanda Mastor & Xavier Magnon (Université Toulouse 1 Capitole) à propos de la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Il en a résulté les deux présentes interviews.

JDA : 1) Que pensez-vous de la volonté affichée de procéder à une révision de la Constitution alors que l’état d’urgence demeure en vigueur ?

XM : D’un point de vue juridique, rien n’interdit une révision constitutionnelle pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence, ce régime d’exception n’étant d’ailleurs pas prévu par la Constitution du 4 octobre 1958.

La seule limite qui existe quant aux périodes temporelles durant lesquelles il n’est pas possible de réviser la Constitution, et qui pourrait être rapprochée de l’état d’urgence, est l’interdiction de modifier la Constitution durant l’application de l’article 16 de la Constitution sur les pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat. Cette limite n’est pas posée par la Constitution elle-même, mais elle a été dégagée par le Conseil constitutionnel, pour la première fois dans la décision du 2 septembre 1992, dite Maastricht II.

L’article 89 alinéa 4 de la Constitution prévoit également qu’il n’est pas possible de procéder à une révision de la Constitution lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. Ce dernier motif ne saurait être confondu avec les motifs pour lesquels il est possible de mettre en œuvre la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, à savoir, selon l’article 1er de cette loi, « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Ajoutons enfin que la Constitution ne prévoit aucune restriction quant à l’usage de la procédure de révision constitutionnelle en cas d’état de siège, régime d’exception couvert par son article 36.

De manière explicite, les constituants n’ont donc apporté aucune restriction temporelle à l’usage de la révision constitutionnelle durant la mise en œuvre d’un régime d’exception.

D’un point de vue politique, il est toutefois gênant que l’on révise la Constitution dans un contexte d’application d’une législation d’exception, au cours de laquelle l’émotion et/ou la précipitation sont susceptibles de l’emporter sur la réflexion. Il n’est sans doute pas de contexte politique idéal pour réviser la Constitution, mais l’on peut souhaiter, de manière raisonnable, que les révisions n’interviennent pas durant la mise en œuvre d’un régime d’exception. Dans le cas contraire, une suspicion légitime risquerait de peser sur cette révision.

JDA : 2) Pensez-vous du reste qu’il fallait prolonger l’état d’urgence pour une nouvelle période trimestrielle ?

XM : La question de savoir s’il faut prolonger l’état d’urgence est une question d’ordre politique qui relève de l’opportunité. Il n’en reste pas moins que, lorsque l’on est attaché au libéralisme politique et à l’Etat de droit, il faut toujours s’inquiéter de ce qu’une situation d’exception ait tendance à se pérenniser. La vigilance s’impose. Le droit d’exception doit demeurer suspect par nature. L’inquiétude est d’autant plus légitime que le risque terroriste, interprété par le législateur comme entrant dans les motifs prévus par la loi de 1955 justifiant la mise en œuvre de l’état d’urgence, semble perdurer. De plus, l’exécutif, à l’origine du choix de la mise en œuvre de l’état d’urgence, demeure le mieux placé pour apprécier la pertinence de la menace terroriste. Autrement dit, celui qui décide du régime d’exception est celui qui maîtrise l’information sur ce qui permet de justifier la mise en œuvre de ce régime.

Alors que la menace terroriste perdure, l’on ne peut que craindre que le régime d’exception se prolonge, voire, pire encore, que le régime d’exception soit introduit dans le droit pénal applicable en dehors des périodes d’exception. La normalisation de l’état d’exception par la voie de la législation pénale contre le terrorisme tend à cet égard à masquer le caractère exceptionnel des mesures dérogatoires.

JDA : 3) Que pensez-vous du rétrécissement de la compétence du juge judiciaire en matière d’assignation à résidence, confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 22 décembre 2015 ?

XM : Au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, objectif auquel personne ne saurait s’opposer en principe, le législateur a une tendance naturelle à restreindre les droits et libertés. Cette tendance politique naturelle ne saurait cependant être celle du juge et en particulier du juge constitutionnel. Ce dernier se doit de rester hermétique aux contingences politiques immédiates et demeurer dans l’application du droit strict, quels que soient les contextes d’application. Le juge constitutionnel aurait pu, par exemple, considérer qu’aucun régime d’exception ne saurait exister en dehors du texte constitutionnel. La Constitution du 4 octobre 1958 n’instaure que deux régimes d’exception, celui de l’article 16 de la Constitution et l’état de siège. En dehors de ces deux régimes, aucun autre régime d’exception n’aurait dû être admis. La loi sur l’état d’urgence aurait ainsi pu, dans son existence même, être considérée comme contraire à la Constitution. Cette position se heurtait à une ancienne décision du Conseil constitutionnel, du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, dans laquelle il avait implicitement admis que la loi sur l’état d’urgence n’avait pas été abrogée par la Constitution du 4 octobre 1958. Cette décision de 1985 a ainsi admis l’existence de principe d’une législation d’exception en dehors de la Constitution.

Dans la décision du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a poursuivi dans cette voie en reconnaissant implicitement, au-delà même de la conformité à la Constitution de l’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence, la constitutionnalité du dispositif général de l’état d’urgence. A l’appui de l’appréciation de la conformité à la Constitution de l’article 6 de la loi de 1955 sur l’assignation à résidence au regard de la liberté d’aller et venir, il s’est ainsi référé au régime général de l’état d’urgence. Ce régime garantit de manière indirecte la constitutionnalité du dispositif d’assignation à résidence. Au regard de l’article 66 de la Constitution, qui exige l’intervention de l’autorité judiciaire en cas d’atteinte à la liberté individuelle, l’appréciation du juge constitutionnel peut apparaître pour le moins étonnante : l’assignation à résidence ne constitue pas une privation de la liberté individuelle et la plage horaire maximale de l’astreinte à domicile dans le cadre de l’assignation à résidence, fixée à douze heures par jour, n’est pas une privation de liberté. L’on y verra un libéralisme pour le moins modéré du juge constitutionnel.

JDA : 4) En comparant les ordonnances rendues en référé-liberté et les avis du Conseil d’Etat sur les projets de législation de crise, pensez-vous que le juge administratif assure une protection des libertés comparable à celle assurée par le juge judiciaire ?

XM : Faute de disposer d’analyses systématiques sur cette question, il est difficile d’y répondre de manière certaine. Le Conseil d’Etat apparaît comme le serviteur naturel de l’Etat et de l’intérêt général. Même s’il est tout autant le protecteur des droits et libertés que l’est le juge judiciaire, la protection qu’il offre apparaît souvent perméable aux intérêts de l’Etat et aux exigences de l’intérêt général. Sans doute aura-t-on une confiance plus naturelle, en période d’exception, en un juge dont l’appréciation du respect des droits et libertés n’est pas parasitée par d’autres considérations extérieures. En période d’exception, pour la protection des droits et libertés, l’on peut espérer que les intérêts subjectifs des citoyens soient, au minimum, garantis au même niveau que l’intérêt général et que celui de l’Etat, et non pas que ces derniers prévalent sur les premiers.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 52.

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ParJDA

Constitutionnaliser, proroger l’état d’urgence ? ( interview I / II)

par Mme le pr. Wanda MASTOR
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Centre de Droit Comparé, Directrice de l’Ecole Européenne de Droit

Constitutionnaliser,
proroger l’état d’urgence ? ( interview I / II)

Art. 51. Le JDA a questionné les professeurs Wanda Mastor & Xavier Magnon (Université Toulouse 1 Capitole) à propos de la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Il en a résulté les deux présentes interviews.

JDA : Que pensez-vous de la volonté affichée de procéder à une révision de la Constitution alors que l’état d’urgence demeure en vigueur ?

WM : De manière générale, je porte un jugement très critique, pour ne pas dire suspicieux, sur les révisions fréquentes de notre texte suprême. Dans d’autres pays, la Constitution jouit d’une aura quasi sacrée, ce qui, malgré les progrès accomplis, n’est toujours pas le cas en France. Il n’est pas question d’idolâtrer un texte qui ne devrait jamais évoluer, mais de respecter la norme fondamentale qui ne devrait jamais être retouchée dans un but cosmétique et/ou communicationnel. La Constitution n’est pas un texte ordinaire, elle est le plus élevé dans la hiérarchie des normes et ne devrait être révisée que dans des cas de stricte nécessité. Dans celui qui retient ici notre attention, mes doutes ne sont pas plus levés. Certains de nos gouvernants et représentants avancent l’argument de la solidité du fondement : la guerre contre le terrorisme est un enjeu si fondamental et prioritaire, l’état d’urgence est si nécessaire pour y faire face que l’ensemble devrait avoir enfin « un fondement constitutionnel ». Voici que la Constitution, qui ne faisait quasiment pas partie du vocabulaire médiatique avant l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, est brandie comme le rempart suprême. Mais en quoi le fondement constitutionnel de l’état d’urgence modifierait-il substantiellement les choses ? Dans notre pays, trois principaux instruments permettent de réagir à une situation de crise : les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution, l’état de siège prévu à l’article 36 du même texte et l’état d’urgence, tel que prévu par la loi de 1955. Ces trois instruments sont-ils suffisants pour faire face à une situation de crise, quelle qu’elle soit ? Je pense que oui. Nul besoin ici de rappeler les différences entre ces trois supports, du point de vue des évènements déclencheurs, des autorités qui en ont l’initiative, des limitations temporelles et des conséquences pratiques. Ce qu’il faut ici rappeler, c’est que nous sommes à chaque fois placés dans un état d’exception. Et comme toute norme d’exception, elle doit être et demeurer… exceptionnelle. Cette idée du provisoire ne doit jamais être perdue de vue.

Pour répondre plus précisément à votre question, je pense que l’état d’urgence n’avait pas besoin de pénétrer notre Constitution, maintenant (pendant l’application de l’état d’urgence) ou plus tard. Le droit peut se penser dans l’émotion et l’urgence, mais son élaboration dans le même contexte donne rarement de bons résultats. Nous qui avons tant critiqué les Américains et leur réaction disproportionnée après les attaques du 11 septembre, nous tombons dans le même piège de l’absence de réflexion raisonnée et dépassionnée. Les attaques du 13 novembre sont tout simplement innommables et les actes terroristes doivent être dénoncés et combattus sous toutes leurs formes et sans restrictions. Mais je ne pense pas que l’état d’urgence soit le moyen le plus approprié. Tout comme je pense que les discours très idéalistes sur les bienfaits de la parole, la prévention de la radicalisation, la culpabilité collective face à certains quartiers défavorisés qui permettraient la naissance et l’épanouissement d’êtres déshumanisés ne le sont pas plus. Raisonnons en juristes : l’état d’urgence n’est pas un moyen préventif de lutte contre le terrorisme. Il est l’instrument de réaction quasi instantanée « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Donner les moyens à la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 –malgré les réserves qui peuvent être émises- de s’appliquer pleinement est, selon moi, un meilleur moyen de combattre le terrorisme. Tout simplement parce qu’il en est un moyen préventif. Encore une fois, l’état d’urgence ne remplit pas cette fonction de prévention, il est l’outil de la réaction quasi instantanée. Mais face à un péril qui ne s’éteindra pas sur le court et moyen terme, voire sur le long terme, il devient sans fondement. Il perd toute légitimité.

JDA : Pensez-vous qu’il fallait prolonger l’état d’urgence pour une nouvelle période trimestrielle ? Selon vous, un état d’urgence d’une année (et plus) peut-il encore être un état d’urgence ?

WM : Je n’ai pas à me prononcer sur les choix politiques. Mais en tant que juriste, je suis étonnée que nous ne parvenions pas à collectivement tirer les enseignements de l’expérience américaine. Outre la violation évidente d’au moins six Amendements de la Constitution (qui n’était justifiée que par le caractère exceptionnel de l’évènement et provisoire de la réponse), le Patriot Act a conféré d’importants pouvoirs au FBI qui en a largement abusé, notamment pour des infractions étrangères aux actes de terrorisme. En France, l’état d’urgence a permis d’imposer à des militants écologistes une assignation à résidence pendant la COP 21. Peu importe le degré de dangerosité de ces derniers : la comparaison avec les autorités américaines qui ont « profité » des pouvoirs accordés par le Patriot act pour les étendre à des infractions qui étaient sans lien avec des actes terroristes est troublante.

Le nouveau visage de la terreur n’est ni celui d’un délinquant, d’une victime à plaindre, d’un combattant étranger (et gardons-nous bien de créer la catégorie des « combattants illégaux » qui a permis à Guantanamo de devenir une zone de non droit), d’un insurgé. Le droit doit s’adapter à une forme nouvelle de criminalité. L’état d’urgence a été pensé pour ne s’appliquer que pendant 12 jours avant l’intervention éventuelle du Parlement. L’idée, non seulement du provisoire, mais aussi du très court terme est donc incluse dans sa définition même. Dans quelques semaines, quelques mois, quelques années, le risque ne sera pas moindre. Nous n’allons pas réagir en transformant l’état d’urgence en un état permanent ! C’est ce qu’a fait le Congrès américain en transformant une loi liberticide provisoire en un état liberticide permanent. Ne mésestimons pas les enseignements du droit comparé.

JDA : Que pensez-vous du rétrécissement de la compétence du juge judiciaire en matière d’assignation à résidence, confirmé par le Conseil constitutionnel ?

WM : Je suis très attachée à la fonction du juge judiciaire comme gardien de la liberté individuelle. La loi sur le renseignement précitée instaure une nouvelle autorité administrative indépendante, censée encadrer les actions du premier ministre en amont. Elle donne par ailleurs compétence au Conseil d’Etat pour recueillir d’éventuels recours en premier et dernier ressort. Je le regrette et étais favorable à la compétence d’une autorité juridictionnelle unique. La compétence de la nouvelle commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) découle d’un syllogisme a priori imparable : la finalité du renseignement est notamment la préservation de l’ordre public ; donc, il relève donc du champ de la police administrative ; donc, autorités administratives et juge administratif sont compétents. Je préfère opposer un autre syllogisme : la loi, compte tenu de ses finalités et des techniques mises en œuvre, est une atteinte particulièrement violente aux libertés individuelles ; donc, elle entre le champ d’application de l’article 66 de la Constitution ; donc, elle entraîne la compétence du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel avait tranché en faveur de la première position.

Dans la décision n°2016-536 QPC, il suit la même logique, de manière toujours aussi elliptique, voire tautologique. Tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015, le paragraphe I de l’article 11 octroie aux autorités administratives un pouvoir immense : celui d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris au domicile, de jour et de nuit. Bien évidemment, ladite disposition est assortie de plusieurs garanties et limites. A l’argument de la violation de la règle du contrôle judiciaire des mesures affectant l’inviolabilité du domicile, le Conseil répond que lesdites mesures 1°) « ne peuvent avoir d’autre but que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions », 2°) qu’elles « n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution ». Notons que cette dernière affirmation n’est en rien motivée : le lecteur ne peut trouver, dans cette décision, aucune justification de cette vérité qui conduit pourtant à la conclusion suivante : « par suite, ces perquisitions administratives n’ont pas à être placées sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire ». Affirmer de manière aussi sèche et lapidaire que les perquisitions de domicile, de jour comme de nuit, « n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution » est tout simplement incompréhensible. En quoi les perquisitions ne seraient-elles pas une atteinte à l’inviolabilité du domicile, qui elle-même est protégée au titre de la liberté individuelle et du droit au respect de la vie privée ? Si leur unique justification se situe dans la volonté de préservation de l’ordre public et de prévention des infractions, autant s’en tenir à cet argument conjoncturel. Mais l’ajout relatif aux mesures qui n’affecteraient pas la liberté individuelle n’a aucun sens.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 51.

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ParJDA

Regard d’un magistrat du parquet sur l’état d’urgence

par M. François FOURNIE,
Substitut du procureur de la République, TGI de Charleville-Mézières

Le point de vue
d’un magistrat judiciaire du parquet

Art. 44. Répondant favorablement à l’aimable invitation de collaboration lancée par le Journal du Droit Administratif, j’introduirai ce propos en indiquant que les lignes qui vont suivre me sont personnelles et ne traduisent pas la position de l’institution judiciaire.

L’état d’urgence est, par définition, un état de crise

Il doit être à ce titre nécessairement temporaire.

Son objet est de permettre une mise en parenthèse provisoire de certaines dispositions légales de droit commun pour faire cesser un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou des « événements présentant (…) le caractère de calamité publique ». Au-delà des domaines évoqués par les médias de perquisition et d’assignation à résidence, il emporte également la possibilité pour l’autorité administrative (ministre de l’Intérieur et préfet) de restreindre considérablement un certain nombre de libertés fondamentales (association, manifestation, réunion, d’aller et de venir…).

En effet, la loi n°55-385 du 3 avril 1955 modernisée par celle n°2015-1501 du 20 novembre 2015 a un objet beaucoup plus large, puisque les préfets peuvent, aux termes de l’article 5, interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures qu’ils déterminent ; instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics. Le ministre de l’Intérieur peut, quant à lui, prononcer l’assignation à résidence (art. 6), dans le lieu qu’il fixe, de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public, parfois (dans des conditions toutefois restrictives) sous surveillance électronique mobile. L’autorité administrative peut également ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre (art. 8) et ordonner la remise des armes et munitions détenues ou acquises légalement (art. 9).

Le décret n°2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi du 3 avril 1955 l’ayant expressément prévu, l’autorité administrative a été autorisée à bloquer les sites internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et à ordonner des perquisitions en tout lieu, de jour comme de nuit (art. 11 de la loi de 1955) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

Le péril imminent qui justifie la mise en œuvre de l’état d’urgence porte en lui la justification de telles atteintes aux libertés. En revanche, lorsque ce péril imminent trouve sa cause dans une menace plus durable, il convient de changer d’instrument juridique. En effet, l’état d’urgence perd son objet dès lors que s’éloignent les atteintes graves à l’ordre public ayant créé ledit péril. C’est au demeurant le raisonnement tenu par le Conseil d’Etat dans son avis du 2 février 2016 sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955.

Partant de là, il n’est peut-être pas totalement exclu de penser que sa reconduction s’inscrit davantage dans une logique politique que dans la perspective d’une nécessité juridique. Il s’agirait ainsi d’une réponse politique à l’inefficacité de la Justice alléguée par certains. Comme si l’efficacité était incompatible avec le respect scrupuleux des libertés individuelles.

L’état d’urgence est, par ailleurs,
révélateur de la crise de l’institution judiciaire

C’est dans ce contexte précisément que, par une délibération commune du 1er février 2016, le Premier président de la Cour de cassation et les Premiers présidents des Cours d’appel ont appelé le constituant à intervenir notamment pour « reconnaître et asseoir effectivement l’Autorité judiciaire dans son rôle de garant de l’ensemble des libertés individuelles, au-delà de la seule protection contre la détention arbitraire. » Ils dénonçaient également l’indigence des moyens mis à la disposition de la justice.

Ce qui a pu être ainsi vécu par un certain nombre de magistrats comme une défiance à l’encontre de l’institution judiciaire peut néanmoins s’expliquer par des perspectives et des logiques différentes.

L’exemple des perquisitions administratives est assez topique de ce point de vue. Cet instrument semble d’ailleurs avoir été utilisé de manière assez diversifiée selon les préfets. En effet, l’objet de l’article 11 de la loi de 1955 est de permettre la réalisation de perquisitions qui ne seraient pas autorisées en tant que telles par un juge des libertés et de la détention. L’enjeu n’est pas une question de réactivité puisque tant les magistrats du parquet que les juges des libertés et de la détention sont d’astreinte 24 h /24 et 7 j /7. L’autorité judiciaire dispose par ailleurs d’un cadre juridique certes perfectible, mais néanmoins adapté (art. 56, 76 et 706-92 du code de procédure pénale). C’est en réalité davantage une question de motivation, le code de procédure pénale étant plus contraignant. Il impose en effet que l’ordonnance du JLD autorisant la perquisition soit motivée par référence aux éléments de droit et de fait justifiant la nécessité de ces opérations. On retrouve ici le critère classique de distinction finaliste entre la police administrative et la police judiciaire, la protection de l’ordre public et la recherche d’infraction, la prévention et la répression. Il est évident que dans cette perspective, les contraintes pesant sur les autorités chargées de leur mise en œuvre ne sont pas appréciées à la même aune par les juges judiciaire et administratif.

En outre, si le juge de l’excès de pouvoir peut certes être saisi et la procédure de référé liberté utilisée, le contrôle n’interviendra cependant jamais qu’a posteriori et selon une logique d’appréciation pragmatique de l’exigence de proportionnalité entre l’atteinte à une liberté fondamentale et les nécessités de l’ordre public. Or, du point de vue de l’atteinte à une liberté fondamentale, le contrôle a posteriori n’est jamais entièrement satisfaisant. S’il peut avoir du sens lorsque l’atteinte à une liberté dure dans le temps (contrôle de l’assignation à résidence p. ex.), autant lorsque l’atteinte est ponctuelle (perquisition p. ex.) seul le contrôle a priori de l’autorité judiciaire est de nature à préserver la liberté concernée.

La pérennisation de l’état d’urgence trahit vraisemblablement cette dépendance de l’efficacité aux moyens qui font cruellement défaut à l’institution judiciaire. Or si les deux logiques administrative et judiciaire sont concurrentes, mais complémentaires, il est nécessaire de trouver un équilibre pour éviter la tentation de favoriser à l’excès la logique préventive, le principe de précaution.

En pratique, cette nécessaire vigilance a été relayée par la Chancellerie. Par deux circulaires en date des 14 et 23 novembre 2015, la Garde des sceaux a attiré l’attention des parquets sur l’existence d’infractions spécifiques (art. 13 de la loi de 1955 modifiée) relatives aux manquements aux interdictions prescrites par les articles 5, 6, 8 et 9 de la loi de 1955 modifiée.

La Direction des Affaires Criminelles et des Grâces s’est pour sa part attachée à clarifier, par une dépêche en date du 16 novembre 2015, la distinction entre mesures de police administrative, prises dans le cadre de l’état d’urgence, sous le contrôle du juge administratif, et l’éventuel déclenchement d’une procédure judiciaire incidente en cas de découverte d’une infraction.

Il a été demandé aux parquets de diligenter des réponses judiciaires empreintes de fermeté, mais également de faire preuve de rigueur dans l’analyse des procédures soumises.

Au quotidien, la mise en œuvre de l’état d’urgence n’a pas entravé directement le fonctionnement concret des parquets. Il a néanmoins pu être constaté une augmentation sensible du nombre de demandes de réquisitions visées à l’article 78-2-2 du code de procédure pénale. Les unités de police et de gendarmerie, largement mobilisées sur le terrain, ont donc été, par contre-coup, moins disponibles pour le traitement des enquêtes judiciaires dont elles sont saisies. Par ailleurs, la multiplication des contrôles d’identité a induit un recours accru au fichier des personnes recherchées et donc la notification de décisions judiciaires voire de mises à exécution d’écrous. Enfin, les perquisitions administratives ont permis dans certains cas de réaliser des saisies incidentes débouchant sur l’ouverture d’enquêtes judiciaires en flagrance (découverte d’armes, de stupéfiants…). Il faut toutefois constater que ces infractions étaient pour la plupart sans lien avec les raisons initiales ayant motivé la mesure administrative de sorte qu’il ne faut pas céder à la tentation de croire que la fin justifie tous les moyens.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 44.

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ParJDA

Le contrôle de l’état d’urgence par les autorités administratives indépendantes

par M. le pr. Xavier BIOY,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Le contrôle de l’état d’urgence
par les autorités administratives indépendantes

Art. 49. Certaines autorités administratives indépendantes, spécialisées dans la protection des libertés, ont entendu jouer un rôle dans l’évaluation de la mise en place puis du suivi de l’état d’urgence. Il s’agit principalement du Défenseur des droits et de la Commission consultative nationale des droits de l’homme. Si le Conseil supérieur de l’audiovisuel a entendu appeler les médias à une certaine déontologie dans le traitement de l’information en matière de terrorisme, tout particulièrement après les attentats de novembre 2015, il n’a pas souhaité développer une intervention spécifique à l’état d’urgence.

Les autorités administratives indépendantes ont réagi en deux temps. D’abord une première salve d’avis et de recommandations a été adoptée dès la mise en œuvre de l’état d’urgence, puis au mois de février 2016, elles ont décidé d’établir un bilan de l’application, concomitamment au vote de la loi prorogeant l’état d’urgence.

Le contrôle par les avis relatifs à la mise en place de l’état d’urgence

Dès le mois de novembre 2015, le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ont entendu fixer le cadre de leur contrôle, aussi nouveau que soucieux de préserver au maximum les droits de l’homme en période de crise du droit.

Dans un communiqué du 26 novembre 2015, le défenseur des droits a pris l’initiative, par l’intermédiaire de ses délégués territoriaux, de traiter spécifiquement toutes les réclamations relatives aux problèmes liés à la mise en œuvre de la législation sur l’état d’urgence. Se liant ainsi au contrôle exercé par le Parlement, il entend utiliser son maillage territorial pour relever, du point de vue de la déontologie des forces de police, comme les discriminations, comme de la médiation avec les services publics, toutes les hypothèses d’abus, mais également informer tout simplement de l’application de la législation sur l’état d’urgence. On mesure ici à quel point sa capacité d’auto saisine (issu de l’article 5 de la loi organique du 29 mars 2011) et tous ses moyens d’enquête servent ainsi à l’évaluation de l’exécutif au profit du législatif et de l’opinion publique.

L’avis du 23 décembre 2015 va sans doute plus loin encore. Il s’interroge sur la constitutionnalisation du cadre de l’État d’urgence et sur le risque que cela comporte d’une pérennisation d’une crise permanente de la République. Car si d’un côté on peut se réjouir de ce qu’une dérogation portée à l’État de droit puisse trouver un fondement constitutionnel clair, le Défenseur des droits, quant à lui, s’inquiète d’un effet pratique : « offrir une base constitutionnelle à des mesures nouvelles qui pourront être prises dans le cadre de l’état d’urgence ». Avec la même fermeté il estime devoir rejeter le principe de la déchéance de nationalité. Il voit dans la nationalité un principe fondamental qui garantit l’égalité de tous les citoyens et s’inquiète de l’impact que cela aurait quant à la compatibilité de notre droit avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Le Défenseur des droits a également été auditionné le 10 novembre 2015 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale afin de se positionner quant à la loi sur la sécurité dans les transports terrestres et notamment les mesures de lutte contre le terrorisme. Cela a été l’occasion pour lui de dénoncer la possibilité pour les agents de la SNCF et de la RATP de procéder à des inspections de bagages, à des fouilles voir des palpations. Il a ainsi estimé nécessaire un certain nombre de contrôles et de formation de ses agents. Il a rendu dans le même sens son avis sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La CNCDH a quant à elle procédé en trois temps. Après avoir exprimé sa solidarité avec les victimes des attentats, dès le mois de novembre, elle a, le 15 janvier, rendu un premier avis dans le cadre de son association sollicitée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Elle y rappelle le caractère exceptionnel et très provisoire de l’état d’urgence.

Le contrôle par les avis relatifs à la mise en œuvre de l’état d’urgence

Pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence, le Défenseur a communiqué plusieurs décisions rappelant les règles : par ex. la décision n°MLD-MDE/2016-069 relative à la prise en charge des enfants lors des perquisitions. Il s’est aussi interrogé sur le caractère excessif de certaines fermetures préventives d’entreprises ou des assignations à résidence aux conséquences désastreuses. Le Défenseur est intervenu dans des dizaines de dossiers pour trouver des moyens d’éviter des excès de sécurité comme des restrictions d’accès dans les établissements d’accueil des enfants ou aux commissariats, des interdictions abusives de sorties du territoire, etc…

Lors d‘une conférence de presse, le vendredi 26 février, Jacques Toubon, a dénoncé un état d’urgence « permettant des mesures de polices administratives fondées sur le soupçon », et regretté l’absence d’intervention du juge judiciaire et les difficultés que rencontrent les juges administratifs. Le Défenseur relève que les perquisitions ont porté sur des personnes au seul motif de leur pratique d’un Islam rigoureux. Par ailleurs, les plaintes s’inquiètent aussi de l’absence de réparation des dégâts matériels commis, du caractère disproportionné des perquisitions et de propos discriminatoires à l’égard des musulmans. Le Défenseur intervient auprès des préfectures afin que l’ordre de perquisition soit notifié et remis à la personne concernée lorsque cela n’a pas été le cas, pour qu’elle puisse intenter un recours. Il semble que le Défenseur ait quelques difficultés à se faire communiquer parfois les éléments nécessaires à l’évaluation du respect des règles relatives aux perquisitions. Il s’est également réjoui de l’annulation par le Conseil constitutionnel de certains articles de la loi portant état d’urgence.

Dans son avis du 18 février 2016, la Commission consultative nationale des droits de l’homme se montre sévère avec le gouvernement. Sur la base des chiffres du ministère (3284 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, une dizaine de fermetures de lieux de cultes, moins d’une dizaine d’interdictions de manifester: pour 29 infractions constatées en lien avec le terrorisme), elle dénonce une très grande disproportion entre les mesures adaptées et leurs résultats en termes judiciaires. Elle dénonce des perquisitions qui ne tiennent pas compte de la vulnérabilité des personnes qui sont au domicile, des comportements policiers disproportionnés, voir spectaculaires, le non-respect de certaines procédures comme la remise d’un récépissé de perquisition, des dégâts matériels, des perturbations importantes sur la vie familiale des personnes assignées à résidence, et peut-être surtout, ce qu’elle nomme des détournements de l’état d’urgence, à savoir l’usage des mesures de lutte antiterroriste contre des manifestants écologistes, des syndicalistes, ou pour réguler l’immigration clandestine. Elle finit par préconiser la cessation immédiate de la mise en œuvre de la législation sur l’état d’urgence.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 49.

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Le contrôle de l’état d’urgence par la société civile : une innovation démocratique

par Mme Julia SCHMITZ
Maître de conférences, droit public,
Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Le contrôle de l’état d’urgence
par la société civile :
une innovation démocratique

Art. 50. L’application de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire instaure un régime d’exception susceptible de porter atteinte aux droits et libertés des individus. Cette situation exceptionnelle a suscité une réaction de la société civile pour organiser un contrôle permanent et vigilant des mesures prises par les autorités administratives et mobiliser l’opinion publique.

Disposant de pouvoirs accrus (perquisitions, assignations à résidence) et libérées de tout contrôle a priori du juge judiciaire, gardien traditionnel de la liberté individuelle, les autorités de police mettent en œuvre un pouvoir discrétionnaire. Pour préserver la transparence démocratique, des initiatives spontanées et collectives, réunissant des individus de tout horizon, ont mis en place une surveillance des éventuels abus et dérives policières, en exerçant des actions en justice et en mettant en place des « garde-fous médiatiques ».

Le déclenchement
du contrôle juridictionnel

L’application de l’état d’urgence relevant de la police administrative, seul le juge administratif peut être saisi d’un recours pour annuler, suspendre l’exécution des mesures générales ou individuelles ou réparer les dommages causés pendant les perquisitions. Les individus visés par ces mesures peuvent ainsi exercer un recours, ainsi que tout individu qui réside sur le territoire français, susceptible d’être affecté par les décrets déclarant l’état d’urgence. C’est ce qu’a confirmé le juge administratif à l’occasion d’une demande de suspension de l’état d’urgence décrété en 2005 (CE, Ord. 9 décembre 2005, n° 287777). Mais encore faut-il que les individus aient connaissance de ces possibilités de recours. Pour en assurer l’exercice, les associations de défense des droits de l’homme se sont jointes à plusieurs recours ou l’ont exercé directement.

La Ligue des Droits de l’Homme a joué un rôle moteur dans les recours exercé devant le juge administratif depuis la déclaration de l’état d’urgence en novembre 2015, disposant d’un intérêt à agir pour les atteintes à ses propres activités (liberté de réunion et de manifestation) et les atteintes aux intérêts qu’elle s’est donnée pour mission de défendre (droits et libertés des individus).

Cette association est devenue un requérant systématique, à l’origine de nombreux recours. Elle a ainsi demandé au Conseil d’État l’annulation du décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 relatif à l’extension à l’ensemble du territoire hexagonal de la possibilité de prendre des mesures d’application de l’état d’urgence et de la circulaire du 25 novembre 2015 relative aux perquisitions administratives (CE, 15 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme, 395091 et 395092). Par un recours en référé-liberté auquel se sont joints des universitaires, le syndicat général CGT des personnels de la police nationale du secrétariat général pour l’administration de la police de Paris et de la préfecture de police, le Syndicat de la magistrature et l’association de la Quadrature du net, elle a demandé la suspension de l’état d’urgence (CE, Ord., 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 396220). Elle s’est également associée à la requête de plusieurs personnes qui demandaient la suspension de leur assignation à résidence prononcées à l’occasion de la COP 21 (7 ordonnances rendues par le Conseil d’État le 11 décembre 2015).

A l’appui de ces requêtes, la LDH a soulevé des questions prioritaires de constitutionnalité concernant les dispositions de la loi du 3 avril 1955 qui ont été transmises au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État (Cons. const. Décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence] ; Décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence] ; Décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence]).

Cependant, ce contrôle juridictionnel est limité car il n’intervient qu’a posteriori. Même les référés d’urgence sont ici d’une efficacité limitée en raison de la rapidité des procédures administratives en cause. Confrontés à des recours massifs, des juges administratifs sont sortis de leur réserve pour rédiger de manière anonyme une tribune sur le site Médiapart, appelant à un débat général sur l’état d’urgence. Face à cette situation exceptionnelle, une autre forme de contrôle était nécessaire.

Un contrôle diffus de recension, d’analyse et d’alerte

Pour combler les failles du contrôle politique et juridictionnel, les représentants de la société civile (journalistes, associations de défense des libertés, avocats, syndicats) se sont organisés pour lancer des initiatives innovantes (documents de travail collectifs et interactifs sur Internet, réseaux sociaux, appels publics pour des pétitions ou manifestations, tribunes, réunions), afin d’informer le public sur la mise en œuvre de l’état d’urgence.

Le travail de contrôle réalisé par les médias a été facilité par le renforcement de la liberté de communication pendant l’état d’urgence. La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 a en effet modifié l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, pour supprimer les dispositions qui permettaient de contrôler la presse, les publications et les émission radiophoniques. Des Observatoires de l’état d’urgence, sous forme de blogs internet, recueillent des témoignages et recensent les mesures individuelles et collectives prises par les autorités, pour signaler les abus et garantir le suivi des mesures d’exception (V. le blog de Laurent Borredon, journaliste du monde : « Vu de l’intérieur. Observatoire de l’état d’urgence ; Mediapart : « L’état d’urgence dans tous ses états » ; Huffington Post : carte interactive ; Le Nouvel Obs : « État d’urgence : panorama des abus et mesures controversées »).

Le monde associatif relaie également les informations relatives à l’état d’urgence. L’association La Quadrature du Net recense quotidiennement les mesures de police, les articles de presse traitant de l’état d’urgence et publie des analyses sur les projets de loi envisagés. Ce « dispositif d’édition collaborative » invite les e-citoyens à enrichir les informations et les analyses de manière interactive, ainsi qu’à interpeller les élus ou à signer des pétitions en vue de créer des commissions d’enquête. Le Collectif contre l’islamophobie en France a également mis en ligne un dispositif de signalement et publié un « Guide pratique sur les mesures d’urgences ». De son côté, la Ligue des droits de l’homme réalise une veille permanente des dérives de l’état d’urgence par le biais de ses antennes locales et Amnesty International a réalisé un rapport alertant sur les dérives de l’état d’urgence (Des vies bouleversées. L’impact disproportionné de l’état d’urgence en France).

D’autres collectifs, créés spontanément, ont lancé des pétitions pour mettre fin à l’état d’urgence (V. « L’ appel des 333 » ; « Nous ne céderons pas ! » et « Stop état d’urgence ») ou pour réaliser une étude approfondie de ce régime d’exception (V. L’Observatoire juridique de l’état d’urgence, L’urgence d’en sortir, Analyse approfondie du régime juridique de l’état d’urgence et des enjeux de sa constitutionnalisation dans le projet de loi dit « de protection de la nation »).

Enfin, une autre forme de résistance citoyenne s’est constituée, en marge du contrôle politique ou de l’information journalistique, par la création d’un Conseil d’urgence citoyenne, invitant par une page Facebook tous les individus inquiets de cette dérive sécuritaire à constituer des comités locaux et des « cahiers de vigilance et de propositions ». Il s’agit d’organiser des débats, et à terme, de proposer des améliorations législatives dans le cadre d’une convention nationale réunissant l’ensemble des comités.

Cette circulation des informations auprès du grand public permet ainsi d’enrichir les réflexions et d’intervenir dans le débat public relatif à l’état d’urgence, tout en renouvelant les pratiques démocratiques.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 50.

 

 

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Le contrôle parlementaire de l’état d’urgence

par Mme Julia SCHMITZ
Maître de conférences, droit public,
Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Le contrôle parlementaire
de l’état d’urgence : un contrôle innovant pour un régime d’exception

Art. 46. Dans un État de droit, la mise en œuvre d’un régime d’exception attentatoire aux libertés, tel que l’état d’urgence, nécessite un contrôle démocratique. Si plusieurs autorités s’assurent de ce contrôle (juridictions, Autorités Administratives Indépendantes), les assemblées parlementaires composées des représentants de la Nation doivent également y prendre part.

En parallèle de leur mission de voter les lois, les assemblées parlementaires (Assemblée Nationale et Sénat) détiennent également une fonction de contrôle. Selon l’article 24 de la Constitution, « le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Des commissions permanentes et d’enquête sont ainsi instituées au sein de chaque assemblée pour assurer ce contrôle. Une semaine de séance sur quatre est réservée au sein de chaque assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques (article 48 de la Constitution). Les parlementaires peuvent également mettre en cause la responsabilité du gouvernement en adoptant une motion de censure (article 39 de la Constitution), adresser des questions au gouvernement (article 48 de la Constitution) et adopter des résolutions parlementaires pour interpeller le gouvernement (article 34-1 de la Constitution).

En ce qui concerne la mise en œuvre de l’état d’urgence, le Parlement dispose ainsi de plusieurs outils de contrôle, permettant une plus grande transparence.

Les contrôles classiques
a priori et a posteriori

Il dispose tout d’abord d’un contrôle a priori sur les conditions de déclenchement de l’état d’urgence, mais celui-ci est limité. En effet, le Parlement n’intervient pas dans la déclaration initiale de l’état d’urgence, décrété par le gouvernement, mais seulement pour décider de sa prolongation au-delà de douze jours par l’adoption d’une loi de prorogation (article 3 de la loi du 3 avril 1955). Le Parlement peut ainsi vérifier que les conditions justifiant le déclenchement de l’état d’urgence (à savoir un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou des « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ») sont maintenues (loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 et loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’état d’urgence pour une durée de trois mois).

Les Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat ainsi que soixante députés ou sénateurs peuvent également saisir le Conseil constitutionnel pour vérifier la conformité à la constitution des lois de prorogation de l’état d’urgence avant leur entrée en vigueur (article 61 de la Constitution). Cependant, ce pouvoir de saisine n’a pas été utilisé par les parlementaires à l’occasion de l’adoption des récentes lois de prorogation de l’état d’urgence.

Le Parlement dispose également d’un contrôle a posteriori, lui permettant de réaliser un bilan de l’application des lois et d’évaluer l’action du gouvernement. Mais ce contrôle n’intervient qu’une fois la mise en œuvre de l’action gouvernementale terminée.

Un contrôle continu inédit

Enfin, de manière inédite, les assemblées se sont dotées d’un pouvoir de contrôle continu qui consiste à mettre en place une veille parlementaire pendant toute la durée de l’application de l’état d’urgence. La loi du 20 novembre 2015 a en effet introduit un nouvel article 4-1 dans la loi du 3 avril 1955 qui prévoit que les assemblées parlementaires sont informées « sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence » et peuvent « requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ».

Au sein de l’Assemblée Nationale, c’est la Commission des Lois qui s’est saisie de ce contrôle, en désignant le député Jean-Jacques Urvoas comme rapporteur. De son côté, la Commission des Lois du Sénat a créé un Comité de suivi de l’état d’urgence pour lequel le sénateur Michel Mercier a été désigné rapporteur spécial. Ce contrôle vise à évaluer la proportionnalité et la pertinence des mesures adoptées, signaler les dérives éventuelles, réfléchir à la nécessité de prolonger, mettre fin ou constitutionnaliser l’état d’urgence, et formuler des recommandations.

Ce contrôle est innovant tant dans sa temporalité que dans la méthode utilisée. Il s’agit en effet d’une surveillance permanente et « en temps réel » de l’action du gouvernement. Et le président de la commission des lois de l’Assemblée Nationale a indiqué les modalités d’exercice permettant de rendre ce contrôle effectif :

– Une information détaillée et quotidienne des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence (assignations à résidence, perquisitions, remises d’armes, interdictions de circuler ou de manifester, dissolutions d’associations, fermetures d’établissement ou interdictions de sites internet). Cette information continue est réalisée par une saisine permanente du Ministre de l’intérieur, la remontée des informations apportées aux élus locaux par les préfets, la mobilisation d’autres relais d’information (Défenseur des Droits, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, avocats et collectifs associatifs), et la constitution de recueils de données sur chacune des mesures prises par les autorités administratives pour permettre une analyse statistique.

– Un pouvoir d’enquête renforcé. Pour la première fois depuis 1958, les commissions des Lois des deux Assemblées se sont dotées des pouvoirs normalement conférés aux commissions parlementaires d’enquête (article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées). Les rapporteurs des commissions disposent ainsi d’un pouvoir de contrainte pour auditionner les responsables publics, obtenir la communication de documents, et réaliser des investigations sur pièce et sur place.

Le contrôle ainsi réalisé par les commissions parlementaires fait état d’un bilan « contrasté » et d’un « essoufflement » des mesures prises pendant l’état d’urgence (Voir J.-J. Urvoas, Deuxième Communication d’étape sur le contrôle de l’état d’urgence. Réunion de la commission des lois du mercredi 13 janvier 2016, en ligne sur : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/14/lois/communication_2016_01_13.pdf). Les informations collectées indiquent que les principales mesures (perquisitions administratives, assignations à résidence et interdictions de manifester) ont été prises dans les premiers jours de l’état d’urgence seulement. Et certaines mesures ne sont pas directement liées à la prévention du terrorisme, mais concernent principalement des infractions à la législation sur les armes ou les stupéfiants.

Enfin, ce contrôle parlementaire rencontre des limites. D’une part, les investigations menées par les rapporteurs se heurtent aux règles du secret-défense, interdisant la transmission de certains documents. D’autre part, le départ de Jean-Jacques Urvoas, suite à sa nomination au ministère de la justice fin janvier 2016, a provoqué une limitation de l’activité de contrôle au sein de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dont la dernière réunion remonte au 13 janvier 2016.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 46.

 

 

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Le point de vue d’un membre de l’Observatoire de l’état d’urgence : interview

par Mme Claire DUJARDIN,
Observatoire de l’état d’urgence, SAF

Le point de vue
d’un membre de l’Observatoire de l’état d’urgence : interview

Art. 43. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

CD : L’état d’urgence renvoie à plusieurs notions, tant juridique qu’historique.

Créé en 1955 pour faire face à l’insurrection menée par le Front de Libération Nationale et utilisé à plusieurs reprises lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie, l’état d’urgence décrété après les attentats du 13 novembre, a touché des populations qui ont, de près ou de loin, un lien direct avec cette histoire.

Au delà des références historiques importantes, l’état d’urgence renvoie à une notion très vague, celle du péril imminent. Le péril imminent résultant des attentats et justifiant que l’état d’urgence soit décrété, est désormais défini politiquement comme étant l’existence de Daesh et des groupes terroristes. L’état d’exception devient permanent et les mesures administratives exceptionnelles s’inscrivent dans le droit commun.

Enfin et surtout, l’état d’urgence est un état juridique d’exception qui donne de larges pouvoirs à l’administration et instaure un contrôle a posteriori. Le juge judiciaire est ainsi écarté et l’administration peut agir sans contrôle a priori. Les violations des droits de la personne semblent inévitables et le prix à payer pour maintenir la sécurité.

C’est la raison pour laquelle le seul contrôle parlementaire inscrit dans la loi est insuffisant et que ce régime doit rester très limité dans le temps.

JDA : Concrètement, quel est impact sur votre pratique professionnelle ?

CD : Les mesures adoptées dans le cadre de l’état d’urgence le sont par le Préfet et le Ministre de l’Intérieur. Le contrôle du juge va intervenir postérieurement à l’exécution de la mesure et devant le tribunal administratif. Les personnes ne sont pas toujours informées de leur droit et ne voient pas toujours l’utilité de saisir un juge, alors que la mesure a été exécutée. Ils ne font donc pas la démarche d’aller voir un avocat et de se défendre. L’accès aux droits, à un avocat, à un juge, n’est pas garanti de la même manière qu’en temps normal.

De plus, la défense devant les juridictions administratives n’est pas la même que devant les juridictions judiciaires, notamment en raison du contrôle restreint du juge administratif dans certaines matières et du mode de preuve. L’administration fabrique sa propre preuve, par la production de notes blanches ou de fiches de renseignements, qui sont versés aux débats sans que le requérant n’ait le temps et les moyens d’apporter la preuve contraire.

Enfin, le juge administratif va considérer que la restriction de libertés est possible au nom de l’ordre public et que certains éléments démontrant un comportement dangereux ou pouvant porter atteinte à l’ordre public, sont suffisants pour considérer que la personne peut faire l’objet d’une mesure administrative, contrairement au juge judiciaire qui va demander des indices sérieux et concordants.

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps
normal ?
Quel en est l’exemple le plus marquant ?

CD : L’observatoire sur les dérives de l’état d’urgence a été créé en décembre 2015, faisant suite aux attentats du 13 novembre. Il est composé de membres de la Ligue des Droits de l’Homme, du Syndicat des Avocats de France, du Syndicat de la magistrature.

Au cours des ces travaux, l’observatoire a pu auditionner plusieurs personnes, notamment des personnes qui ont fait l’objet de perquisitions administratives.

Un homme qui habite dans le quartier du Mirail à Toulouse nous a relaté la perquisition dont il avait fait l’objet, au milieu de la nuit, alors qu’il dormait avec ses 3 enfants en bas âge. Nous avons pu noter que les forces d’intervention étaient intervenues armées et cagoulées, avaient menotté la personne devant ses enfants, l’avaient frappé et injurié, avaient saisi des données informatiques, avaient endommagé du matériel dans la maison, n’avaient pas permis à la personne de s’habiller, étaient entrés dans la chambres des enfants. Aucun arrêté de perquisition ne lui a été remis. La perquisition n’a donné lieu ni à des poursuites, ni à des saisies.

La personne nous a expliqué que tout le voisinage avait entendu la perquisition et vivait désormais dans la crainte, plus personne ne voulait lui parler. Il parle d’insomnies, de maux de tête, de cauchemars. Les enfants ont été suivis par la psychologue scolaire. Il explique qu’il avait confiance dans la police et l’Etat et qu’il a désormais peur, qu’il ne pensait pas que ça pouvait arriver en France. Il ne comprend pas ce qui s’est passé et il a peur d’intenter des recours.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 43.

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Le point de vue d’un magistrat judiciaire : interview

par Marie LECLAIR
Déléguée Régionale Adjointe, Syndicat de la Magistrature

Le point de vue
d’un magistrat judiciaire :
interview

Art. 42. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

ML : L’état d’urgence est un ensemble de dispositions exceptionnellement prises par le législateur et dérogatoires aux règles constitutionnelles qui organisent la séparation des pouvoirs, notamment l’artilce 66 de la constitution aux termes duquel l’autorité judiciaire est la gardienne des libertés individuelles. Par exception à ce principe le régime d’état d’urgence confie aux préfets le pouvoir d’ordonner des perquisitions domiciliaires et des assignations à résidence sous le seul contrôle du juge administratif et sans autorisation ni contrôle du juge judiciaire.

JDA : Concrètement, quel est impact sur votre pratique professionnelle ?

ML : Exerçant uniquement des fonctions civiles je n’ai pas été impactée par ces dispositions dans ma pratique professionnelle. En revanche mes collègues exerçant en matière pénale ont dû être saisis de procédures diligentées par le parquet pour la poursuite d’infractions découvertes dans le cadre de mesures administratives.

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps
normal ?
Quel en est l’exemple le plus marquant ?

ML : Je ne pense pas que le dispositif de l’état d’urgence puisse empêcher le juge judiciaire d’agir comme « en temps normal », en revanche il n’est pas consulté pour des décisions qui « en temps normal » relèvent de lui (perquisitions, assignations à résidence) et il peut être amené dans les procédures pénales qui suivent des procédures administratives à être incité à traiter de procédures dont la nullité peut être soulevée au regard des conditions dans lesquelles elles ont été initiées, ou à prendre en considération des éléments confidentiels non soumis au débat contradictoire (renseignements, fiche S dont l’autorité administrative fait état sans en justifier…..). Il lui appartient de veiller au respect des règles de procédure qui garantissent le débat judiciaire et de ne pas se laisser influencer par l’argument que l’état d’urgence justifierait qu’il déroge à la pratique judiciaire imposée par le code de procédure pénale pour la garantie du procès équitable et donc dans l’intérêt du citoyen.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 42.

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Interview d’un magistrat administratif

par Arnaud KIECKEN
Magistrat au tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Le point de vue
d’un magistrat administratif :
interview

Art. 41. JDA : Qu’est-ce que l’état d’urgence selon vous ?

AK : Pour moi, l’état d’urgence est un régime dans lequel l’exigence de sécurité prend le pas sur celle de la liberté et permet ainsi à la puissance publique de s’affranchir de certains principes essentiels dans un Etat de droit, dont celui du contrôle préalable de l’autorité judiciaire pour les atteintes qu’elle porte à la liberté individuelle. En quelque sorte, ce régime déplace le contrôle de l’action de la puissance publique dans les atteintes qu’elle porte à cette liberté vers la juridiction administrative.

La juridiction administrative se trouve alors chargée du devoir de contrôler les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Cette tâche lui impose d’assurer, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’Etat le 11 décembre 2015, un contrôle effectif de la légalité de ces mesures.

JDA : Concrètement, quel est impact sur votre pratique professionnelle ?

AK : D’un point de vue professionnel, dès l’instauration de l’état d’urgence la juridiction a pris conscience qu’elle serait certainement saisie de contentieux liés à cette situation exceptionnelle.

N’étant pas chargé d’assurer les fonctions de juge de référé au sein du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, je n’ai pas eu l’occasion de connaître directement de tels recours.

J’ai néanmoins constaté que les premières ordonnances de rejet rendues sur des requêtes en référé contre les assignations à résidence, jugées sans audience publique, ont montré la difficulté pour le juge administratif de savoir quelle forme il devait donner au nouveau contrôle qui lui incombait.

Mais la gravité de la situation et le caractère exceptionnel des mesures permises par l’état d’urgence l’ont rapidement poussé (ainsi que l’y pressait également le Conseil d’Etat) à assurer au « peuple français », au nom duquel sont rendues les décisions de la juridiction, un contrôle approfondi de ces mesures. Une pratique juridictionnelle s’est ainsi mise en place, consistant à mettre l’Etat devant ses responsabilités et en lui demandant de justifier, chaque fois que la personne assignée à résidence apportait des éléments sérieux de contestations, les éléments sur lesquels il s’était fondé et en particulier ceux mentionnés dans les « notes blanches » établies par les services de renseignements. Les premières suspensions, suivies d’annulations « au fond », étaient alors prononcées lorsque les services de l’Etat n’étaient pas en mesure (ou ne souhaitaient) pas répondre à ces contestations.

On est alors passé en quelque sorte d’un extrême à l’autre et j’ai vu se mettre en place des mesures d’instruction exceptionnelles au sein même des tribunaux (je pense notamment au recours à une enquête à la barre – articles R. 623-1 et suivants du code de justice administrative – dans un litige relatif à une assignation à résidence jugé à Cergy-Pontoise). Cette démarche d’instruction permet à la formation de jugement d’être éclairée de l’ensemble des points en litige et de rendre sa décision en toute connaissance de cause.

JDA : Au nom de l’état d’urgence, avez-vous été empêché d’agir, comme en temps
normal ?
Quel en est l’exemple le plus marquant ?

AK : Personnellement, je n’ai pas ressenti d’obstacles dans l’exercice de mes fonctions de magistrat. Je relèverai néanmoins que la plupart des décisions rendues par les juridictions administratives et relatives aux mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence ne mentionnent pas, lorsqu’elles sont rendues publiques et en dehors de leur notification aux parties, le nom des juges qui les ont rendus (alors pourtant que ce principe est consacré à l’article L. 10 du code de justice administrative).

par exemple pour une mesure de fermeture administrative d’une mosquée :

http://cergy-pontoise.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Le-Tribunal-administratif-de-Cergy-Pontoise-refuse-d-annuler-l-arrete-de-fermeture-administrative-de-la-mosquee-dite-du-port-sur-la-commune-de-Gennevilliers

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 41.

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Témoignage d’un sous-préfet d’arrondissement

par Jean-Charles JOBART
Conseiller des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel
Sous-préfet d’Ambert, Idetcom – Université Toulouse Capitole

Témoignage
d’un sous-préfet d’arrondissement

Art. 38. Vendredi 13 novembre 2015, 22h : nous sommes tous devant nos postes de télévision, stupéfaits par la violence des massacres. Tous, nous comprenons la gravité de ce que nous voyons. L’État, garant de la sécurité et de l’ordre social doit agir. Un Conseil des ministres extraordinaire est réuni à minuit : le Président de la République y décrète, en vertu de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire métropolitain (art. 1Er du décret n° 2015-1475).

Le lendemain, une circulaire n° INTK1500247J du ministre de l’Intérieur détaille les mesures que les préfets peuvent prendre dans le cadre de l’état d’urgence (limitation de la liberté de circulation, mise en place de périmètres de sécurité, interdiction de séjour dans le département, réquisition, remise d’armes, perquisition administrative, fermeture des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion, limitation des libertés réunion et de manifestation). Une circulaire de la Garde des sceaux, ministre de la Justice du même jour mobilise l’autorité judiciaire dans la mise en œuvre de l’état d’urgence, notamment pour la poursuite de la violation des mesures de police et pour l’assistance des officiers de police judiciaire lors des perquisitions administratives en cas de découverte d’infraction pénale.

Le rôle d’un Sous-préfet est alors de mobiliser les forces de l’ordre de son arrondissement : dans le mien, rural, la gendarmerie doit patrouiller pour rassurer la population, rappeler les consignes du plan Vigipirate à tous les responsables de lieux ouverts au public. Il faut s’assurer de la sécurisation des lieux de culte, et surtout du site Seveso seuil haut qui peut constituer une cible d’attentat, notamment après la décapitation d’un homme et la provocation d’une explosion sur un site Seveso à Saint-Quentin-Fallavier le 26 juin 2015.

Le dimanche 15 novembre à 15h, le préfet réunit les principaux élus du département : parlementaires, maires des chefs-lieu d’arrondissement et des communes les plus importantes. Comment évaluer la menace terroriste dans le département ? Comment éviter d’exposer la population à des risques d’attentats ? Les discussions sont intenses, mais une décision difficile s’impose : à l’inverse des grandes manifestations du mois de janvier, il n’y aura pas de grands rassemblements sur la voie publique qui exposeraient leurs participants à des actions terroristes. De même, tant pour des raisons sécuritaires que pour marquer le deuil national, toutes les manifestations de plein air sont supprimées pour les trois jours à venir ; de plus, la surveillance sera renforcée pour l’accès aux manifestations organisées dans des lieux fermés. Il est décidé de ne pas mettre en place des périmètres de sécurité, afin de ne pas désigner des cibles aux terroristes. La stratégie choisie est celle de la patrouille de surveillance. La seule exception sera la mise en place de périmètres à l’entrée des établissements scolaires. Le préfet a fait le choix de la mesure et est suivi par les élus. Le soir même, je passe quatre heures au téléphone pour informer chaque maire de mon arrondissement, transmettre les consignes, demander de supprimer les manifestations de plein air. Tous répondent présents à la mobilisation républicaine.

Le 16 novembre à midi se fait une minute de silence, décidée par la circulaire du Premier ministre du 14 novembre 2015 relative aux jours de deuil national en hommage aux victimes des attentats commis à Paris le 13 novembre 2015. Les agents de la Sous-préfecture sont rassemblés pour faire la minute de silence. Je fais une petite intervention, puis nous discutons des conséquences de l’état d’urgence. À l’inverse de la minute de silence de janvier, il n’y a presque pas d’incidents chez les scolaires. Dans mon arrondissement, seule une rédaction d’un collégien justifiant les massacres est signalée : une convocation et une explication avec les parents s’impose. Au vu des appels qui commencent à arriver, le préfet nous demande de faire remonter les grands rassemblements prévus dans les prochaines semaines, afin de lui permettre de statuer sur d’éventuelles mesures d’interdiction.

Le 18 novembre a lieu la première perquisition administrative dans le département. La personne concernée sera condamnée à un an de prison ferme pour trafic de drogue le 15 décembre par le Tribunal correctionnel. Les chefs des directions régionales et départementales sont réunis autour du préfet pour coordonner la mise en place de l’état d’urgence. On informe les sous-préfets qu’ils sont mobilisés et qu’il leur est interdit de sortir du département jusqu’à nouvel ordre.

Enfin, le vendredi 20 novembre, ainsi que le demandait l’instruction du Gouvernement n° INTK1520198J du 15 novembre 2015 signée par le ministre de l’intérieur, une réunion départementale sur les mesures préventives consécutives à l’état d’urgence est organisée à l’intention des maires. Le préfet, le directeur départemental de la protection des populations, le procureur de la République, la rectrice, le commandant de la région de gendarmerie, le directeur départemental de la sécurité publique et le directeur de cabinet du préfet interviennent pour expliquer l’état d’urgence et les mesures mises en place ou à prendre. Avec cette mobilisation de tous les élus, l’état d’urgence est désormais pleinement effectif dans le département.

Il nous apparaît évident que les douze jours initiaux seront très insuffisants. La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 proroge l’état d’urgence et renforce les mesures pouvant être prises. Il faut maintenant gérer l’état d’urgence pour les trois mois à venir. Or, les préjugés ont la peau dure : les forces de l’ordre tendent trop souvent à voir dans les magistrats du siège des adversaires, des personnes qui les empêchent de travailler en refusant des autorisations ou annihilent leur travail en libérant des criminels. L’état d’urgence est d’abord ressenti comme une épée tranchant les entraves de la procédure judiciaire pour libérer les forces de l’ordre, les laisser agir efficacement : l’autorisation du juge judiciaire n’est plus requise pour les perquisitions, le préfet peut décider seul, sous le contrôle a posteriori du juge administratif. Le danger peut être de se laisser entraîner par le volontarisme policier. Le préfet doit faire preuve de discernement. Des procédures sont en attente, liées au banditisme ou au trafic de drogue. Les perquisitions administratives sont décidées. Trafic de drogue, trafic d’armes, banditisme et terrorisme sont liés. Dans cette trame complexe, tirer un fil est toujours utile. À l’inverse, des perquisitions non justifiées ont pu être autorisées dans d’autres départements chez des militants écologistes. Ces abus de procédure ont fait l’objet de rappels à l’ordre du ministre de l’intérieur. Le corps préfectoral doit faire preuve d’une vigilance toute particulière quant à la pertinence, à la régularité et à la proportionnalité des mesures prises.

Le 23 novembre, une première assignation à résidence est prise par le ministre dans le département. Le préfet, par un arrêté du 25 novembre 2014, interdit les manifestations sur la voie publique du 28 au 30 novembre dans tout le département. La mesure a pu, par endroit, être mal comprise. Il ne s’agit pas d’un détournement de procédure pour empêcher l’expression de militants écologistes. Les forces de l’ordre sont mobilisées à Paris et autour du Bourget pour sécuriser la COP 21 et sa concentration exceptionnelle de 152 chefs d’État. L’État ne dispose plus des moyens suffisants pour assurer la sécurisation d’éventuelles manifestations. De plus, en cas d’incidents et de débordements, la responsabilité de l’État pourrait être engagée. Afin de prévenir tout risque et d’assurer la sécurité, les manifestations sont provisoirement interdites.

Très vite, la plupart des mesures de l’état d’urgence ont été mises en œuvre. Mais l’état d’urgence demeure une activité hors-norme pour les services de sécurité : les personnels de police, de gendarmerie, de renseignement et du cabinet du préfet sont conduits à concevoir et exécuter des actes administratifs atypiques qui rompent avec leurs repères traditionnels et alimentent les questions sur la meilleure façon d’agir. Les équipes font preuve d’adaptabilité et de souplesse, elles améliorent la fluidité de l’information, les échanges de renseignements et de modèles pratiques.

Sur mon arrondissement rural qui pourrait sembler loin de toutes ces préoccupations, des individus montrent des signes de radicalisation islamiste et de désocialisation inquiétants, accompagnés de propos menaçants contre la France. Une perquisition administrative est ordonnée. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une mesure de police administrative, donc à caractère préventif : il s’agit de s’assurer que les personnes en cause ne sont pas impliquées dans des filières délictueuses. La perquisition s’est déroulée dans le calme, en présence des résidents qui ont collaboré aux investigations. Le bilan de la perquisition s’est révélé plutôt rassurant.

Vu de l’intérieur, l’état d’urgence n’est pas une simple formalité ou un prétexte. Il est une alerte, une vigilance indispensables. A tous les niveaux, depuis le préfet jusqu’au simple policier municipal, en passant par les élus nationaux et locaux, tous sont conscients de la gravité de la situation et de la responsabilité qui pèse sur eux. Leur sens du devoir leur impose mobilisation et dévouement, preuve que notre République tient bon, reste toujours debout.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 38.

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Le point de vue d’une députée

par Mme Marietta KARAMANLI,
députée de la Sarthe, 2ème circonscription

Le point de vue d’une députée

Le choix politique de constitutionnaliser l’état d’urgence, un choix dans la pure logique de la Vème République où le Président de la République est censé être doté d’une légitimité parallèle et supérieure de défense des intérêts de l’Etat

Annoncé au Congrès réuni à Versailles en application de l’article 18 de la Constitution, trois jours après les attentats du 13 novembre 2015, le choix de constitutionnaliser l’état d’urgence a fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle déposé devant l’Assemblée Nationale un mois et dix jours après. Cette idée et ce projet sont une initiative d’origine présidentielle. C’est le Président qui a inspiré cette réforme et l’a proposée même si c’est juridiquement le Premier ministre qui l’a portée devant le Parlement. La pratique constitutionnelle et politique fait depuis le début des années 1960 du Chef de l’Etat le mandataire de la nation entière… La réforme proposée est une illustration de cette légitimité politique, supposée, « supérieure» dont il est, dans l’esprit de 1958, le dépositaire.

Au-delà des raisons politiques qui l’ont motivé, le projet procède d’un double mouvement : d’une part « encadrer » les conditions du recours à ce régime d’exception, d’autre part « « renforcer » la place et les moyens des décisions et mesures de sécurité et de police prises pendant cette période en leur conférant une protection juridique nouvelle à raison même de leur statut constitutionnel à venir.

 Mon propos portera pour l’essentiel sur le projet de loi constitutionnelle même si deux lois ordinaires (novembre 2015 et février 2016) sont venues prolonger l’état d’urgence décidé par le Président de la République.

A priori, le nouveau dispositif donnerait s’il était adopté une place et un rôle plus grand au Parlement.

La consécration de prérogatives parlementaires nouvelles

A l’instar d’autres projets d’importance, les discussions de l’exécutif avec les responsables parlementaires (président et responsable du groupe majoritaire, rapporteurs et membres de la commission des lois) ont été nombreuses en vue de trouver un accord de principe.

Les membres de la commission des lois ont notamment fait valoir le nécessaire renforcement des prérogatives parlementaires. Dans le projet de texte adopté par l’Assemblée Nationale, le Parlement est consacré comme l’autorité qui vote la loi prorogeant l’état d’urgence au-delà de douze jours et qui fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir le péril à l’origine ou faire face aux évènements. Le Parlement est réuni de plein droit tout au long de cette période. De plus les assemblées ont compétence pour assurer le suivi des mesures prises et réaliser le contrôle de la mise en œuvre de l’état d’urgence. A ce titre la commission des lois de l’Assemblée a fait valoir lors de la mise en œuvre initiale en décembre 2015 puis de la prorogation de l’état d’urgence en février 2016, le droit de se doter des compétences d’une commission d’enquête (article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) dans le respect du principe de séparation avec les autorités judiciaires.

Tel qu’adopté par l’Assemblée Nationale le projet de loi constitutionnelle consolide et sécurise le cadre juridique applicable à l’état d’urgence.

Reste que ce dispositif de contrôle doit quelque part « fusionner » avec les principes de fonctionnement des régimes parlementaires modernes dans lesquels la chambre basse et sa majorité ont pour mission de soutenir l’exécutif gouvernemental. Cette situation est à bien des égards exacerbée dans le régime de la Vème République du fait de la légitimité du Chef de l’Etat élu au suffrage universel et pour lequel il est politiquement admis, en l’état, que son action n’a nullement à être validée par l’Assemblée Nationale dont la majorité serait le produit logique de son élection par les Français. Dans ces conditions le contrôle parlementaire peut être un exercice difficile, car posant la question « peut-on vraiment bien contrôler un exécutif que l’on soutient ? ».

Sur l’appréciation de la nécessité de renouveler l’état d’urgence

Le projet adopté par l’Assemblée Nationale prévoit que «  La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée, qui ne peut excéder quatre mois. Cette prorogation peut être renouvelée dans les mêmes conditions ».

Le projet constitutionnel fixe donc des conditions au recours à l’état d’urgence avec à chaque fois un délai qui sera contrôlé, si la réforme est adoptée, par le juge constitutionnel en premier lieu, et ce, à l’inverse la loi actuelle de 1955 qui ne prévoit aucun délai.

S’agissant de la périodicité de départ, dès l’instant où la faculté a été donnée au gouvernement et, surtout, au Parlement de proposer un arrêt anticipé de l’état d’urgence, le choix de la périodicité de départ – trois ou quatre mois – n’est pas apparu décisif.

Je note que le « Commission européenne pour la démocratie par le droit », plus connue sous le nom de « Commission de Venise », organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles a considéré que, même en l’absence de délai explicité dans le projet initial, celui-ci existait au travers de l’avis donné par le Conseil d’Etat et qu’il ne pouvait être que temporaire et exceptionnel.

La commission de Venise suggère de façon complémentaire  que la prolongation soit faite à partir de la 2ème fois par un vote à une majorité qualifiée…

Cette suggestion est intéressante dans son principe. Sera-t-elle reprise ?

Je note que le fait d’avoir une majorité qualifiée ne garantit pas forcément dans des moments d’émotion à répétition une appréciation raisonnable des conditions de recours.

Un juge administratif conforté dans le contrôle des mesures prises par l’autorité administrative,
une interrogation en filigrane sur le partage entre ordres juridictionnels

A priori, le contrôle des mesures prises par l’autorité administrative en application du décret instituant l’état d’urgence ou de la loi le prorogeant sera fait par le juge administratif.

Le dialogue entre le gouvernement et sa majorité en amont de la discussion parlementaire puis les débats en commission et en séance ont mis en évidence les questions que se posaient les députés en faisant du juge administratif, par abstention de toute modification du projet, le contrôleur de ces mesures.

Ainsi la question du contrôle, même si elle a été très peu médiatisée, a été posée en termes politiques et la volonté de confier au juge judiciaire le contrôle peut être considérée comme ayant été partagée par des députés de « tous bords » comme on dit.

Lors de la discussion en séance publique, certains ont évoqué « l’évacuation » de toute intervention du juge judiciaire, s’en offusquant ou proposant de « vérifier » sa place dans une loi organique à venir. D’autres ont suggéré d’évoquer le contrôle juridictionnel en général dans le texte constitutionnel, « fût-ce superflu en termes strictement juridiques », considérant toutefois qu’il reviendrait « naturellement » à être confié à un juge administratif.

Des amendements proposant de confier ce contrôle à l’autorité judiciaire et de l’y faire participer ont été déposés et discutés en commission ou séance. La rédaction pouvait en être très claire et générale « Ces mesures sont soumises au contrôle de l’autorité judiciaire » ou plus circonstanciée et relative comme « dans le respect des compétences qui appartiennent à l’autorité judiciaire ».

Deux arguments à titre principal y ont été opposés. Le rapporteur et une majorité de députés ont considéré d’une part que les mesures en question étaient uniquement des mesures restrictives et non privatives de liberté, le juge administratif étant parfaitement compétent pour en apprécier la proportionnalité et le bien-fondé, d’autre part un partage de principe ou selon certaines conditions était possiblement de nature à rendre moins clair le texte ou à compliquer son application.

Ces débats ont, en tout cas, mis en évidence la claire conscience chez un grand nombre de députés de la nécessité de garantir des contre-pouvoirs qu’ils soient parlementaire ou juridictionnel.

Reste que la question de la « performance » du contrôle par le juge administratif ou par le juge judiciaire de ce qui fonde leur intervention respective et de celui qui serait le plus efficace pour la sauvegarde des libertés individuelles n’a pas pu être abordée au fond.

Le débat est, à l’évidence, plus global.

Le président de la Cour de Cassation a évoqué récemment « l’affaiblissement de l’autorité judiciaire dans le périmètre des pouvoirs publics »…et un « législateur (qui) préfère s’en remettre au juge administratif lorsqu’il s’agit des intérêts supérieurs de l’Etat ». Selon ce haut magistrat, les raisons de cette crise de confiance sont peut-être à rechercher dans « la dispersion des décisions judiciaires, à l’autorité limitée de la jurisprudence judiciaire, à une conception de l’indépendance qui s’éloigne de son acception collégiale, très présente chez le juge administratif ».

Tout se passe comme si la question du « meilleur » juge pour contrôler ce contentieux, certes limité, avait été tranchée par défaut sans que le législateur dispose d’une analyse rigoureuse au fond des avantages et inconvénients de ce choix.

Il faudra bien finir par aborder le sujet au fond, l’expérience des magistrats et les travaux de la science juridique devront assurément contribuer au débat à venir.

Si le projet de réforme constitutionnelle n’est pas adopté par le Sénat puis par le Congrès, la question de la place et du rôle respectifs de l’exécutif et du législatif en situation d’état d’urgence restera, elle aussi, à traiter sauf à considérer que les circonstances amenant à recourir à une telle légalité d’exception ne reviendront jamais à se produire, ce qui malheureusement n’est pas le cas le plus probable.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 37.

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La sécurité psychique, finalité de l’état d’urgence ?

par Géraldine AÏDAN
Chargée de recherche CNRS, Docteure en droit public
CERSA, CNRS – Université Paris II Panthéon-Assas

La sécurité psychique,
finalité de l’état d’urgence ?

Art. 36. « Oui, l’état d’urgence est efficace, indispensable pour la sécurité de nos compatriotes ». De quelle sécurité est-il question dans le discours du Premier Ministre Manuel Valls, prononcé le 5 février 2016, devant l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle ? La déclaration de l’état d’urgence en France le 14 novembre 2015, prolongée par deux lois successives, en vue de prévenir « le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » à la suite des attentats terroristes survenus la veille à Paris, conduit à s’interroger sur cette notion même d’ordre public et plus spécifiquement de sécurité publique. En effet, si ces attentats terroristes portent au premier chef sur la vie des personnes, assassinées, blessées, meurtries dans leur corps, et sur le risque physique encouru à présent par chacun, ils visent aussi à diffuser la terreur au sein de la population ; tel est l’un des nouveaux enjeux des attaques terroristes en France et dans le monde, revendiqués par les extrémistes radicaux islamistes : faire de la vie psychique des individus et de la population une cible privilégiée. Dans ce contexte contemporain, le régime d’état d’urgence ne vise-t-il pas alors à rétablir d’abord les atteintes graves à « la sécurité psychique » de la Nation ? Dans quelle mesure l’état d’urgence n’a- t-il pas pour finalité première de contenir cet état de terreur ? La menace terroriste semble confronter ainsi l’Etat à une nouvelle conception de l’ordre public, dans le prolongement des évolutions passées. En effet, si l’ordre public s’entend traditionnellement comme « l’ordre matériel et extérieur » se composant, outre du bon ordre, de « la sûreté, la sécurité et la salubrité publique » (article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales), il s’élargit progressivement à d’autres éléments qualifiables volontiers d’«immatériels»  par la doctrine : la moralité publique, la dignité de la personne humaine (justifiant par exemple l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public) constituent désormais des finalités poursuivies par la police en période normale. La dimension psychique de la sécurité publique marquerait ainsi une nouvelle étape de cette « nouvelle ère » d’un « ordre public immatériel » et offrirait une autre lecture des conditions de déclenchement et de prorogation de l’état d’urgence. C’est parce que les risques avérés d’attentats terroristes (« le péril imminent ») créent un climat possible d’insécurité psychique (I) que l’état d’urgence peut apparaître comme un moyen – contestable- de rétablir la sécurité psychique publique de la Nation (II).

Le terrorisme et les risques avérés d’attentats terroristes :
une atteinte grave
à la sécurité psychique de la Nation

La terreur :
objectif du terrorisme en droit

Le terrorisme concerne le psychisme, celui des victimes directes mais aussi plus globalement d’une population. Les définitions mêmes du terrorisme qu’elles soient juridiques ou politiques placent la terreur, c’est-à-dire un certain état psychique, en leur centre. Elles tendent à la faire apparaître, comme moyen (au service d’un but politique, religieux…) mais aussi comme finalité de l’acte terroriste. L’on retrouve cette conception du terrorisme en droit pénal français (une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur) et international (un acte intentionnel visant à répandre la terreur) ou encore dans les définitions de l’ONU (un acte « ayant pour but de « détruire les droits de l’homme afin de créer la peur et de susciter des conditions propices à la destruction de l’ordre social en vigueur »). Répandre la terreur apparaît comme la finalité psychique de l’acte terroriste en droit et c’est donc bien contre cet effet psychique recherché que l’Etat tend à réagir en premier lieu, ce qu’illustre nombre d’analyses politistes et sociologiques. Plus généralement, c’est de la vie psychique de la population dans son ensemble dont il est question à travers les réponses apportées par l’Etat, par exemple lorsque celui-ci établit l’état d’urgence.

L’insécurité psychique résultant
d’un péril imminent certain et imprévisible

Les attentats terroristes du 13 novembre succèdent en France et dans le monde à une série d’attentats revendiqués par les extrémistes radicaux islamistes (d’Al Quaida à Daesh). Ce terrorisme mondialisé, d’inspiration (pseudo-) religieuse islamiste prend appui de plus en plus sur des « idéaux psychiques » ; « Jhiad » signifie d’ailleurs : « l’ascèse qui mène à combattre sans relâche les penchants mondains et les vices à eux attachés (alcoolisme, débauche, déviances diverses), afin de rechercher la perfection psychique ». S’y ajoutent les phénomènes de radicalisation, la multiplication d’acteurs non étatiques, l’utilisation d’armes biologiques et chimiques, et l’évolution technologique et numérique facilitant les modes de propagande de l’idéologie djihadiste. Ce nouveau terrorisme porte ainsi en lui-même le risque terroriste et a une portée potentielle de dommages massifs sans précédents, dommages tant physiques que psychiques. La menace permanente d’intrusion dévastatrice dans la vie des citoyens crée un climat possible d’insécurité psychique généralisée et pose alors de nouveaux défis à l’Etat de droit comme garant d’une nouvelle sécurité psychique des sujets de droit.

Rétablir la sécurité psychique
de la Nation par l’état d’urgence ?

Faire cesser la terreur :
la sécurité psychique,
nouvelle déclinaison de l’ordre public

« Les atteintes graves à l’ordre public » générées par le péril imminent que constitue le risque avéré d’attentats terroristes, concernent-elles alors d’abord en l’espèce les atteintes à la sécurité psychique justifiant la déclaration et la prorogation possible de l’état d’urgence ? Les régimes juridiques de l’état d’urgence offrent-ils un cadre satisfaisant pour contenir et canaliser la terreur possible provoquée par les actes terroristes et les risques avérés de leur survenue ? L’accroissement des pouvoirs de police administrative permettant de restreindre les libertés publiques vise-t-il la préservation de la sécurité psychique de la Nation ? Par exemple, « le blocage de sites Internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie (II de l’article 11) » a directement pour vocation de limiter l’expansion idéologique du terrorisme. Le renforcement de compétences administratives (prévention) et judiciaires (répression) conférée à la police administrative dans le projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence (article 36 -1 : « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements ») offre-t-il des garanties supplémentaires de protection de la sécurité psychique de la Nation ? Au-delà de la dimension symbolique que peuvent représenter les différents discours et mesures gouvernementales, la sécurité psychique apparaît comme une nouvelle déclinaison de l’ordre public visée par la police administrative dans le cadre de ce régime d’exception.

L’état d’urgence :
garant de l’équilibre psychique de la Nation ?

Peut-on assigner à l’état d’urgence le rôle de garant d’une finalité psychique en protégeant la population d’un état de terreur possible ? Déjà en 1933, dans Pourquoi la guerre ? Einstein et Freud s’interrogeaient sur « une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ». Le renforcement des politiques publiques visant à la « déradicalisation » semble aller dans ce sens. Jusqu’où l’état d’urgence peut-il investir ce rôle ?

L’état d’urgence,
un Etat anxiogène ?

Les mesures prises en vue de protéger la sécurité psychique des personnes peuvent être limitatives de libertés y compris celles impliquant d’autres aspects de la vie psychique des sujets de droit (« les droits fondamentaux psychiques »). Par exemple, la sécurité psychique doit-elle primer sur le droit au respect de la dignité de la personne humaine ou sur celui de la vie privée qui tend à devenir un droit au respect de la vie psychique des personnes ? L’état d’urgence peut-il alors à son tour devenir anxiogène et remplacer la terreur recherchée par le terrorisme, par l’établissement d’un « gouvernement par la peur » ?

Conclusion : La sécurité psychique peut apparaître, lorsque l’état d’urgence est déclaré, comme une déclinaison nouvelle de l’ordre public – renforçant ainsi le nouvel «ordre public immatériel». Pourrait-elle alors se rapprocher de la finalité principale de la police sous l’Ancien- Régime, telle que Nicolas Delamare l’a décrite en 1705 dans son Traité de la police : « Conduire l’homme à la plus parfaite félicité dont il puisse jouir en cette vie » ? Le bien-être physique et moral des citoyens : prémices de la sécurité psychique contemporaine ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 36.

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A l’école de l’état d’urgence

par Mme le pr. Geneviève KOUBI
Professeur de droit public – Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Membre du CERSA (Paris II – CNRS)

A l’école de l’état d’urgence

Art. 35. Par-delà les interrogations générales sur la déclaration de l’état d’urgence et sa double prorogation par le Parlement – contestable – en novembre 2015 et en février 2016, la mise en perspective de leurs retentissements dans la vie professionnelle, sociale ou domestique, ne saurait se limiter aux « administrateur, magistrat, avocat, policier, administré ». Les fonctionnaires civils et agents des services publics, outre les policiers, sont aussi concernés ; plus encore, ils sont aux premières loges tant c’est sur eux que repose l’accomplissement des gammes sécuritaires. Or, cet exercice relève de l’acrobatie dans le secteur éducatif à peine s’achevait la célébration du 110e anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État exposée dans une circulaire n° 2015-182 du 28 octobre 2015. Les formulations de cette circulaire résonnent alors étrangement sous l’emprise d’un état d’urgence fomentateur d’exclusions et de discriminations : « Cet anniversaire fournit plus que jamais l’occasion d’une pédagogie de la laïcité, principe fondateur de notre École et de notre République, ainsi que des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui lui sont étroitement liées et que l’École a pour mission de transmettre et de faire partager aux élèves. »

« La prolongation de l’état d’urgence et le maintien du plan Vigipirate au niveau « alerte attentat » en Île-de-France et vigilance renforcée sur le reste du territoire imposent des mesures particulières de vigilance vis-à-vis des établissements scolaires, sous l’autorité des préfets de département et des recteurs d’académie », annonce la circulaire n° 2015-206 du 25 novembre 2015 relative aux mesures de sécurité dans les écoles et établissements scolaires après les attentats du 13 novembre 2015.

Pour autant, la panoplie des consignes de sécurité applicables dans les établissements relevant du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne s’est pas fondamentalement enrichie depuis la mise en œuvre de l’état d’urgence. Seul un renforcement des mesures alignées sur les composantes de « l’alerte attentats » du plan vigipirate a pu être pensé, au grand dam des membres de la communauté éducative. Car les conséquences de l’amplification des quadrillages et des contrôles relevant d’une partition anxiogène – assumée sous la désignation d’un « contexte actuel de menace terroriste » (énoncé au titre des mesures complémentaires de sécurité dans les écoles et établissements scolaires dans un communiqué du ministère du 17 décembre 2015) – et préconisant une coopération intensifiée entre action d’éducation et activité de police, ont pu déteindre sur les comportements des élèves, sur les enseignements comme sur les conditions et les relations de travail.

L’école, un temps considérée comme un « sanctuaire », se transforme peu à peu en un établissement carcéral pour assurer de son accès (accueil à l’entrée ; contrôle visuel des sacs effectué ; fouille éventuelle ; identité des personnes étrangères à l’établissement, dont les parents d’élèves, systématiquement vérifiée) et en un établissement sensible, au sens de la nécessaire sauvegarde des installations et de l’indispensable protection des personnes (exercices de sécurité : évacuation et mise à l’abri ou confinement, notamment en application du plan particulier de mise en sûreté détaillé dans la circulaire n° 2015-205 du 25 novembre 2015 qui lui est relative ; signalement des objets ou comportements suspects). Les notes de service dans ces établissement s’affichent et s’empilent en reprenant les formulations des circulaires ministérielles afin de mobiliser les fonctionnaires et agents publics autour d’un même impératif : la sécurité plutôt que la sûreté. Aux termes de la circulaire n° 2015-206 du 25 novembre 2015 relative aux mesures de sécurité dans les écoles et établissements scolaires, « les équipes éducatives, les équipes mobiles de sécurité de l’éducation nationale, les collectivités et les services de police ou de gendarmerie doivent se coordonner en lien avec le chef d’établissement ou le directeur d’école pour mettre en place un système de vigilance accrue. » Sont donc aussi interpellées les collectivités territoriales pour la mise en place de systèmes de vidéosurveillance ou vidéoprotection, les espaces éducatifs étant considérés comme vulnérables : « Dans les villes de plus de 50 000 habitants, les schémas de surveillance de voie publique des écoles et des établissements, associant les communes et les polices municipales, destinés à renforcer la surveillance de la voie publique et des abords immédiats des établissements ainsi que les patrouilles devront être arrêtés ou mis à jour (…). Ceux-ci devront tenir compte des horaires spécifiques et des flux ou zones de rassemblement important (ramassage scolaire, déplacement vers la restauration ou vers les plateaux sportifs extérieurs à l’établissement ou à l’école) ». Même si ces injonctions ont fait l’objet de mises à jour, parfois dans des circulaires non référencées sur le site officiel des circulaires et instructions applicables, leurs inflexions martiales subsistent et continuent de peser tant sur les activités pédagogiques que sur les conditions de travail des enseignants comme des élèves.

Les abords des écoles, collèges et lycées font alors l’objet d’une vigilance spécifique dans la mesure où il s’agirait d’éviter « tout attroupement », envisagé sous l’expression managériale de la « gestion des flux d’élèves et des entrées et sorties des établissements ». L’affluence étant considérée comme « préjudiciable à la sécurité des élèves », la difficulté demeure de son application pratique à l’heure de la rentrée des cours comme lors des temps de pause ou de récréation. Les quelques recommandations diffusées par le ministère s’appesantissent sur cette crainte de l’attroupement sur la voie publique – préfigurateur de manifestations -, jusqu’à solliciter des assouplissements des « horaires d’entrées et de sorties pour mieux contrôler les flux d’élèves ». Elles sont, d’une part, d’aménager des zones spécifiques dans les espaces extérieurs au sein des lycées pour empêcher la sortie des élèves sur la voie publique entre deux cours – sans lever l’interdiction de fumer -, et, d’autre part, à l’école primaire, de faire circuler rapidement les personnes accompagnant les enfants, à l’entrée comme à la sortie. Les voyages scolaires, un temps suspendus puis de nouveau autorisés dès décembre 2015, s’organisent et se réalisent sous surveillance, l’autorité académique pouvant, « en lien avec les préfets (…), interdire un voyage si les conditions de sécurité ne sont pas remplies », les « lieux hautement touristiques » devant être soigneusement contournés (circ. n° 2015-206 du 25 nov. 2015). Une telle consigne limite considérablement l’intérêt pédagogique de tels déplacements, la connaissance de ces lieux relevant aussi des formes d’apprentissage de la citoyenneté au moins par l’approche visuelle des arts et des monuments.

La perspective paraît tout autre pour ce qui concerne les universités – en ce qu’elles pourraient être un foyer de contestations, voire de rebellions. C’est dans la circulaire n° 2015-211 du 4 décembre 2015 que sont envisagées les mesures de sécurité applicables dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche après les attentats du 13 novembre 2015. Or, justement, alors que pour les écoles, collèges et lycées, la référence à l’état d’urgence demeure libellée en termes d’actes juridiques (déclaration, prorogation), pour les établissements universitaires, les compétences administratives qui s’ensuivent se trouvent être révélées : « L’état d’urgence actuellement en vigueur permet au préfet de restreindre la liberté de circulation, instaurer des zones de protection particulières, réquisitionner des personnes ou des moyens privés, interdire certaines réunions publiques ou fermer provisoirement certains lieux de réunions et autoriser des perquisitions administratives en présence d’un officier de police judiciaire ». Ainsi, outre les empêchements actés envers certaines réunions d’associations étudiantes, quelques rencontres scientifiques sont annulées au regard des thèmes sensibles qu’elles pourraient envisager, notamment en rapport avec les relations internationales. Est, par exemple, de moins en moins abordée dans ces cénacles universitaires, au prétexte d’un risque de troubles à l’ordre public, l’étude des problématiques discriminatoires ou minoritaires dans les États accablés par des actions terroristes ou impliqués dans la lutte contre le terrorisme.

En sus des consignes générales de sécurité, comme la configuration parfois éclatée en multi-sites ébranle l’implantation des caméras de vidéosurveillance, cette circulaire situe en annexe les articles L. 223-1 à L. 223-5 du code de la sécurité intérieure, c’est-à-dire les dispositions pour la mise en place de la vidéoprotection. Plus encore, c’est dans ce cadre que surgit, à la suite de l’appel aux « attitudes de vigilance » de la part des étudiants, des personnels, et surtout de ceux « logés sur site par nécessité absolue de service », la mention du « numéro vert 0800 005 696, plate-forme de signalement de signaux de radicalisation »…

Et commence l’ère de la suspicion, instigatrice d’exclusions parmi les étudiant-e-s et génératrice d’auto-censure pour les enseignants tant se profile la crainte de la diffraction de leurs dires…

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 35.

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Les moyens de preuve de la nécessité des mesures de police durant l’état d’urgence

par M. Loïc PEYEN,
ATER en droit public – Université de La Réunion

Les moyens de preuve de la nécessité des mesures
prises par l’autorité de police durant l’état d’urgence :
la fin ne justifie pas les moyens

Art. 34. La mise en œuvre de l’état d’urgence n’exonère pas l’autorité de police, eu égard aux nombreux pouvoirs dont elle dispose durant cette période (surtout compte tenu des mesures susceptibles d’être prises par la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence telle que modifiée par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions), d’apporter la preuve de la nécessité d’adopter des mesures de police. Un doute avait en effet pu naître sur la question. La faible exigence du juge administratif manifestée dans un premier temps mit en exergue l’indispensable nécessité d’un encadrement ferme de ces moyens de preuve de la nécessité des mesures de police (I), conduisant le juge à renforcer ses exigences au profit d’un encadrement effectif de ces moyens de preuves (II).

L’encadrement indispensable
des moyens de preuve de la nécessité des mesures de police

Le juge administratif a pu faire preuve d’un certain laxisme quant aux moyens de preuve susceptibles d’être apportés par l’autorité de police pour justifier les mesures adoptées durant la mise en œuvre de l’état d’urgence. En effet, il admît, ainsi que l’y invitait le rapporteur public, qu’« aucune disposition législative ni aucun principe ne s’oppose à ce que les faits relatés par les « notes blanches » produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d’êtres pris en considération par le juge administratif » (CE, sect., 11 déc. 2015, n°394989, 394990, 394991, 394992, 394993, 395002, 395009).

Les « notes blanches » sont des documents émis par les services de renseignement établissant de simples faits, sans mention aucune de leur origine, du service dont ils proviennent ou de leur auteur et ce pour des raisons de défense nationale. Le moyen de preuve est quasi-péremptoire : l’autorité de police affirme sans détailler ou avoir à prouver ses dires. C’est là que le bât blesse : à la partie adverse de démontrer que les éléments contenus dans ces notes sont faux. L’admission d’un tel mode de preuve institue une quasi-présomption quant au bien-fondé de la mesure de police, comme si l’état d’urgence justifiait que le fameux privilège du préalable, « règle fondamentale du droit public » (CE, ass., 2 juin 1982, Huglo, n°25288, 25323), s’étende au contentieux des mesures de police en période de crise. Cette « présomption » de conformité établie par les notes blanches opère une inversion de la charge de la preuve. Le problème est que cette présomption est difficilement réfragable pour le destinataire de la mesure (en témoigne TA Rennes, 6 janv. 2016, n°1506003 ; TA Dijon, 1er fév. 2016, n°1600109) au regard du caractère imprécis ou laconique de ces documents (ainsi que le relève Amnesty International, Des vies bouleversées. L’impact disproportionné de l’état d’urgence en France, Amnesty International Publications, 2016). Même si le juge exige que ces notes soient « versées au débat contradictoire », cette exigence apparaît bien superficielle au regard du principe général du respect des droits de la défense auquel se rattache le principe du contradictoire (CE, 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, n°69751).

Bien que classiquement admis, notamment dans le domaine du contentieux des étrangers (CE, ass., 11 oct. 1991, ministre de l’Intérieur c. Diouri, n°128128 ; CE, SSR, 3 mars 2003, ministre de l’Intérieur c. Rakhimov, n°238662), ce mode de preuve avait vocation à disparaître. Interpellé sur le sujet en 2004 (question d’actualité au gouvernement n°0349G de M. Max Marest, JO Sénat du 4 juin 2004, p. 3818), le Ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales avait pu affirmer qu’« il n’est pas acceptable en effet dans notre République que des notes puissent faire foi alors qu’elles ne portent pas de mention d’origine et que leur fiabilité ne fait l’objet d’aucune évaluation » (JO Sénat du 4 juin 2004, p. 3819). Cette intention fut confirmée en 2007 par le Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (réponse à la question écrite n°01720 de M. Michel Moreigne (JO Sénat du 30/08/2007, p. 1517), JO Sénat du 08/11/2007, p. 2042). L’admission en 2015 de ces notes blanches suscita sans surprise l’émoi (v. notamment la question n°92304 de Mme Isabelle Attard, JO Assemblée Nationale du 5 janvier 2016, p. 18, sans réponse à ce jour).

Si l’on considère, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, que le droit au procès équitable, dont le principe du contradictoire se fait écho, occupe une « place éminente (…) dans une société démocratique » (CEDH, ch., 9 oct. 1979, Airey c. Irlande, n°6289/73, §24), il est possible de s’interroger sur l’articulation entre état d’urgence et démocratie. Le faible contrôle opéré par le juge dans ces décisions rendues le 11 décembre 2015 est symptomatique de l’occasion manquée d’encadrer le recours à ce moyen de preuve. Il s’agit moins de limiter les pouvoirs de police en période de légalité de crise que de faire en sorte que les mesures de police soient justifiées sans trop porter atteinte aux droits des destinataires de la norme, conformément à l’État de droit.

Heureusement, le juge administratif renforcera son contrôle sur les moyens de preuve de la nécessité des mesures de police.

L’encadrement effectif
des moyens de preuve de la nécessité des mesures de police

Le juge a renforcé son contrôle sur ces moyens de preuve à l’occasion d’une ordonnance du 9 février 2016 où il fut amené à suspendre une assignation à résidence prononcée dans le cadre de l’état d’urgence (CE, ord., 9 fév. 2016, M. C., n°396570). Le juge, après avoir exigé de l’autorité de police qu’elle lui fournisse les éléments complémentaires mentionnés dans la note blanche susceptibles de justifier ladite mesure, se heurta au refus du ministre de l’intérieur qui, pour justifier sa résistance, invoqua le secret défense. Il est vrai que la nouvelle lettre de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 octroie une large marge de manœuvre aux autorités de police qui peuvent prononcer une assignation à résidence à l’encontre d’un individu s’il y a « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

Mais le risque d’instrumentalisation de la suspicion est grand, de telle sorte que repose sur le juge administratif – acteur essentiel de la garantie des droits et libertés durant l’état d’urgence (art. 14-1 de la loi du 3 avril 1955) – la responsabilité de contrôler les « raisons sérieuses » susceptibles de justifier ces mesures. Dans l’ordonnance du 9 février 2016, le juge fut convaincu par l’argumentation du requérant, d’autant qu’il considéra que « les éléments produits par l’administration doivent être regardés, en l’état de l’instruction, comme dépourvus de valeur suffisamment probante pour pouvoir être pris en compte » (consid. 8). La délicate situation dans laquelle il se trouve durant l’état d’urgence peut se comprendre : il est un funambule de la légalité de crise en tant qu’il est à la fois juge des garants de l’ordre et garant des droits. C’est cette raison sans doute qui le contraint à ne pas condamner l’adoption de la mesure d’assignation à résidence mais simplement son maintien (v. consid. 9).

Ce renforcement de l’encadrement des moyens de preuve de la nécessité des mesures de police ne peut qu’être salué. Il permet de faire en sorte que l’état d’urgence ne soit pas un « voile sur la liberté » (Montesquieu, De l’esprit des lois, XII, XIX) trop opaque pour occulter l’État de droit. C’est ainsi que s’amenuisent les craintes d’un « État d’urgence » exclusif d’un État de droit.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 34.

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Manifestations et maintien de l’ordre (public)

par Marie-Pierre CAUCHARD
chargée d’enseignement en droit public
(Université de Toulouse 1 Capitole)

Manifestations et maintien de l’ordre (public)

Art. 33. Le 30 janvier dernier, des milliers de personnes ont manifesté pour mettre fin à l’état d’urgence, fidèles à la tradition française de contester les pouvoir publics dans la rue.

La manifestation est un rassemblement de personnes utilisant la voie publique, de façon fixe ou mobile, pour exprimer collectivement une volonté commune. Elle est également un moyen habituel de revendications sociales et politiques. En toute circonstance, l’exercice de la liberté de manifestation rencontre un obstacle majeur : utilisant la voie publique, elle est considérée comme dangereuse pour l’ordre public. La conciliation s’avère donc très délicate entre la sauvegarde de l’ordre public et l’exercice d’une liberté dont la nature même en constitue une menace. Ces difficultés vont prendre une plus grande ampleur en cas de circonstances exceptionnelles comme celles de l’état d’urgence. La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, modifiée par la loi du 20 novembre 2015, renforce les attributions du ministre de l’Intérieur et des préfets en leur conférant des pouvoirs de police étendus, qui seraient illégaux en temps normal. Le régime juridique de l’état d’urgence permet des restrictions considérables à la liberté de manifestation, voire même peut conduire à sa disparition.

Dans un contexte économique et social controversé, il est essentiel de mesurer en quoi la marge d’appréciation laissée aux autorités de police peut les conduire à poursuivre d’autres fins que la lutte contre le terrorisme et le rétablissement de l’ordre public. Appliquée aux manifestations, elle risque d’entrainer non seulement des interdictions arbitraires (I), mais aussi, de façon plus insidieuse, une répression des mouvements dissidents (II).

Les risques d’interdiction arbitraire de manifestation

La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permet au ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire, et au préfet, dans le département, d’interdire « à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre » (art.8). En période exceptionnelle, la notion de réunion s’entend de manière extensive, elle comprend aussi les rassemblements de fait dans tous les lieux ouverts au public (Conseil d’État 6 août 1915 Delmotte). Paradoxalement, l’interdiction générale de toute manifestation, n’est pas forcément la plus inquiétante, elle a au moins le mérite d’être claire et de ne pas faire de distinction. Une fois passée la période des interdictions générales de toute manifestation à l’exception des hommages rendus aux victimes des attentats, soit après la COP 21, la règle devient en pratique qu’une manifestation peut être interdite si les circonstances le justifient. Les motifs d’interdiction relèvent donc de l’appréciation discrétionnaire du préfet, libre d’évaluer ces circonstances. Outre le fait que les administrés soient dans l’incertitude de leur droit de manifester, la tentation est grande pour l’administration préfectorale d’opérer des choix subjectifs. Concrètement, depuis la déclaration de l’état d’urgence, des manifestations revendicatives à caractère politique ou social, pour ne pas dire polémique, sont interdites, car elles sont de nature à constituer « une cible potentielle pour des actes de nature terroriste » et risquent de « trop disperser les forces de l’ordre déjà très mobilisées », selon les termes des arrêtés préfectoraux ayant interdit par exemple des manifestations relatives au climat, aux migrants ou aux discriminations. En revanche, ce n’est pas le cas des manifestations sportives, culturelles et traditionnelles ou encore commerciales, comme des marathons, matchs à grand public, carnavals, brocantes et marchés de Noël, qui, bien que générant un nombre de personnes (et de véhicules) beaucoup plus important, au flux aléatoire et sur une longue durée, ne sont pas interdites. L’objectivité des interdictions en devient douteuse et la considération des seules manifestations politiques et sociales comme de « nature à provoquer le désordre » franchement discriminatoire ; à moins que l’appréciation du « désordre » s’étende à des considérations idéologiques et politiques.

Le régime de l’état d’urgence doublé du pouvoir discrétionnaire des autorités de police favorise la maîtrise des manifestations par les pouvoirs publics lorsque les enjeux sont politiques et sociaux. Plus encore, il peut, de manière insidieuse, empêcher les mouvements dissidents.

Les risques de répression insidieuse des mouvements dissidents

La manifestation n’est pas le fruit du hasard ou d’un attroupement inopiné. Elle est un outil ponctuel d’organisations (associations, syndicats, partis ou autres), qui dans la durée entreprennent de défendre des intérêts et mènent des actions à cet effet. La loi de 1955 ouvre la voie pour les en dissuader. Tout d’abord, elle autorise les préfets à interdire le séjour à toute personne qui cherche à « entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics » (art. 5). Ensuite, les autorités de police peuvent ordonner des perquisitions en tout lieu (art. 11) et prononcer des assignations à résidence (art. 6-1) à l’encontre de toute personne « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser » que son comportement « constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ». Enfin, les associations ou groupements de fait peuvent être dissous lorsqu’ils participent, facilitent ou incitent à des activités « portant une atteinte grave à l’ordre public » (art.11). Ces formulations approximatives aux notions floues permettent d’étendre les mesures à un nombre infini de situations, dépassant le cadre de la lutte contre le terrorisme, dont la définition précise serait d’ailleurs bienvenue. À juste titre, Giorgio Agamben observe que « la formule « sérieuses raisons de penser» n’a aucun sens juridique, et en  tant qu’elle renvoie à l’arbitraire de celui « qui pense» peut s’appliquer à n’importe qui» (« De l’État de droit à l’État sécuritaire», Le Monde 24 décembre 2015). Toute forme d’idéologie qui aspire à une autre conception de l’État ou d’organisation sociale peut être concernée. Ainsi, des lieux occupés par des artistes et des militants climatiques ou encore une ferme bio ont été perquisitionnés. Un cortège de cyclistes contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, parti de Nantes et souhaitant rejoindre Paris, n’a pas pu traverser le département de l’Eure. Des militants ont été assignés à résidence. De nombreux porte-paroles de mouvements citoyens, d’associations et de syndicats s’inquiètent, ils craignent ne plus pouvoir mener leur lutte sereinement. Certaines organisations renoncent même à poursuivre leurs actions. Seule une controverse lissée risque d’être en réalité autorisée. L’état d’urgence sonne le glas du pluralisme réel des idées et de l’émancipation intellectuelle qui s’affirment aussi par l’expression collective des pensées dissidentes. La tenue de certaines manifestations ne doit ni laisser croire que l’expression contestataire n’est pas encadrée, ni devenir un moyen de légitimation des restrictions. L’état d’urgence appelle à la vigilance, y compris à l’égard des abus potentiels du pouvoir exécutif.

D’une liberté de manifestation déjà limitée en période ordinaire, il ne subsiste qu’une forme résiduelle laissant peu de place à l’opposition. Lors de son allocution devant le Sénat le 20 novembre dernier, le Premier ministre disait « aux Français qui se demandent ce qu’ils peuvent faire, qui se demandent comment être utile : résister, c’est continuer de vivre, de sortir, de nous déplacer, de nous rencontrer, de partager des moments de culture et d’émotion, de rester dans le mouvement », on en convient, encore faut-il que ce soit possible.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 33.

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Perquisitions en régime d’état d’urgence : « toc toc toc ! c’est le préfet ! »

par Maître Benjamin FRANCOS,
avocat au Barreau de Toulouse

Perquisitions
en régime d’état d’urgence :

« toc toc toc ! c’est le préfet ! »

Art. 32. La perquisition peut se définir comme l’acte par lequel un magistrat ou un policier, agissant dans le cadre d’une information judiciaire, d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire, recherche dans un lieu occupé par une personne des documents et objets utiles à la manifestation de la vérité.

Par sa nature même, la perquisition constitue un acte d’enquête intrusif et attentatoire aux droits au respect du domicile et à la vie privée. C’est la raison pour laquelle son utilisation fait l’objet d’un encadrement particulièrement strict par le code de procédure pénale.

Ainsi, le régime de la perquisition repose sur un certain nombre de principes fondamentaux à commencer par la présence de la personne visée lors de la réalisation de la perquisition (ou un représentant de son choix ou, à défaut, deux témoins désignés par l’officier de police judiciaire et ne relevant pas de son autorité administrative).

En matière d’enquête préliminaire, conduite sous l’autorité du procureur de la République hors crime ou délit flagrant, les perquisitions et visites domiciliaires ne peuvent être effectuées qu’avec l’accord exprès de la personne chez laquelle l’opération se déroule. En l’absence d’un tel accord, le procureur de la République a néanmoins la faculté de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il autorise la réalisation de l’acte. Cela étant, une telle possibilité n’est ouverte que pour les enquêtes portant sur un crime ou un délit puni d’au moins cinq années d’emprisonnement.

En matière d’information judiciaire, soit lorsqu’un juge d’instruction est en charge de l’enquête, le consentement de la personne n’est pas requis mais l’exigence tenant à la présence de celle-ci (ou d’un représentant de son choix ou de deux témoins indépendants) demeure.

Il sera en outre relevé que les perquisitions et visites domiciliaires sont interdites entre 21h et 6h du matin, sauf crimes et délits limitativement énumérés par le code de procédure pénale.

Ce portrait rapidement brossé démontre que le législateur a entendu circonscrire le champ d’application de la perquisition et définir strictement les cas dans lesquels il peut y être recouru comme les conditions dans lesquelles elle doit se dérouler.

Or, pour le formuler simplement : l’état d’urgence dispense du respect de plusieurs de ces principes essentiels. En effet, l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence procède à un transfert de compétence depuis l’autorité judiciaire vers l’autorité administrative – le préfet – pour ordonner la réalisation de perquisitions « en tout lieu, y compris un domicile ».

Ces perquisitions peuvent avoir lieu de jour comme de nuit, « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Le juge des libertés et de la détention, magistrat du siège, est totalement écarté de la procédure au profit d’une simple information faite au procureur de la République. Seule est maintenue l’obligation relative à la présence de l’occupant, de son représentant ou de deux témoins.

Outre l’exclusion de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, ce transfert de pouvoir soulève de légitimes inquiétudes tant est floue la notion de « menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

Autant le principe de légalité des délits et des peines garantit qu’aux infractions prévues par le code pénal correspondent des définitions précises, autant l’expression « menace » se présente comme un concept dépourvu de tout contenu objectif. La subjectivité dont il est intrinsèquement porteur confère en conséquence aux préfets un très large pouvoir d’appréciation qui se matérialise par un contrôle juridictionnel inexistant.

Le suivi des perquisitions administratives ordonnées à la suite de la proclamation de l’état d’urgence confirme d’ailleurs que cette prérogative a été utilisée avec une légèreté qui, elle aussi, interpelle. Du 14 novembre 2015 au 7 janvier 2016, 3021 perquisitions administratives auraient été réalisées soit cinquante-cinq perquisitions par jour en moyenne. Ce rythme effréné aura permis l’ouverture de vingt-cinq procédures relatives à des faits en lien avec le terrorisme, dont vingt-un correspondent à de l’apologie. Soit un taux d’efficacité inférieur à 1%, abstraction faite de l’incertitude persistante quant au sens des décisions qui seront prises sur ces faits par la juridiction répressive (condamnation ou non…).

A ce premier constat, s’ajoute celui tenant aux perquisitions administratives décidées à l’encontre d’individus dont le caractère menaçant pourrait prêter à sourire si la situation était moins dramatique (maraîchers bio, militants écologistes…). Où l’on voit que l’absence de contrôle du juge quant à l’opportunité de la perquisition puis, dans un second temps, quant à sa validité, conduit à un emballement préoccupant de l’action administrative.

« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites […], il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » énonçait Montesquieu dans l’Esprit des Lois. Là, nous semble-t-il, se trouve précisément le nœud du problème : l’état d’urgence, qui supplante un code de procédure pénale relativement équilibré en matière de perquisition, n’institue aucun contre-pouvoir aux compétences extraordinaires dont se trouvent, du jour au lendemain, dotés les préfets.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 32.

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