Questionnaire de Mme Sourzat (50/50)

ParJDA

Questionnaire de Mme Sourzat (50/50)

Lucie Sourzat
Doctorante attachée temporaire d’enseignements et de recherche
Institut du Droit de l’Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication

Art. 188

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Afin de proposer une définition du droit administratif, nous partirons d’une citation de Marcel Waline selon lequel le droit administratif doit « éviter d’une part l’immobilisme et l’impuissance, d’autre part la tyrannie » des autorités publiques (Marcel Waline, Droit administratif, Sirey, 1963, p.4, n°5) .

En effet lorsque l’on aborde le droit administratif, cela nous conduit inévitablement à rechercher un équilibre – parfois subtil – entre pouvoir et contrôle de l’Administration.

Le droit administratif se trouve ainsi défini comme un ensemble de règles de droit venant à la fois donner et encadrer les pouvoirs de l’Administration afin que cette dernière puisse s’établir, fonctionner et agir raisonnablement dans l’intérêt de tous.

Ici l’utilisation de l’adverbe « raisonnablement » n’est bien évidemment pas innocente. Terme « utilisé aux Etats-Unis par les juridictions dans le cadre du contrôle des droits et de l’action administrative » (S. Théron, «Au-delà du droit administratif, en droit administratif : quelles références ? Quelle signification ? » in Le raisonnable en droit administratif, ouvrage collectif sous la direction de Madame Sophie Théron, 2016, éd. L’Épitoge – Lextenso, pp. 13-22, voir spéc. p.16 & 19), le raisonnable se trouve véritablement au cœur de la définition du droit administratif. En effet aux pouvoirs – souvent exorbitants – conférés à l’Administration par le droit administratif doit être obligatoirement rattaché un système de contre-pouvoirs garanti notamment par la prévision de mécanismes juridictionnels visant à surveiller et à sanctionner l’action de cette dernière lorsqu’elle outrepasse les attributions qui lui sont normalement confiées. Cela s’inscrit bien dans l’idée plus large selon laquelle « chaque fois qu’un droit ou un pouvoir quelconque, même discrétionnaire, est accordé à une autorité, ou à une personne de droit privé, ce droit ou ce pouvoir sera censuré s’il s’exerce d’une façon déraisonnable » (Chaïm Perelman, Le raisonnable et le déraisonnable en droit. Au-delà du positivisme juridique, 1984, LGDJ, vol. XXIX, voir spéc. p.12).

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Dans le contexte de crises économique et financière actuel, il semblerait que le droit administratif soit effectivement l’objet d’un certain nombre de mutations.

Le principal changement semble alors résider dans la porosité de plus en plus marquée des frontières qui existaient autrefois entre le droit administratif et le droit privé. Ainsi l’approche dogmatique d’un droit administratif autonome et singulier par rapport au droit commun ne semble plus qu’appartenir au passé. Un tel phénomène de révision du droit administratif s’explique notamment par la raréfaction des financements publics. Le droit administratif de demain s’inscrit alors – du moins partiellement – dans un mouvement de financiarisation nécessaire à la vie des affaires aussi bien publiques que privées. Plus prosaïquement le « droit administratif de demain » voit certaines de ses « règles d’or » relativisées. Cela transparait par exemple en droit administratif des biens avec la relativisation du principe d’inaliénabilité du domaine public. Une autre illustration peut être donnée en droit des contrats administratifs à travers la prolifération de montages contractuels complexes souvent inspirés du droit privé à la qualification juridique incertaine et visant à s’extraire d’ « un carcan trop contraignant, qu’il s’agisse des règles de la domanialité publique, de l’obligation d’exercer la maitrise d’ouvrage publique, ou encore, et bien évidemment, des multiples règles régissant la passation des contrats publics » (Nil Symchowicz, Partenariats public-privé et montages contractuels complexes, éd. Le Moniteur, 2009, voir spéc. p.19). Précisons toutefois que la réforme de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2016 révise la possibilité de conclure de tels montages (Voir not. Nil Symchowicz, « La réception des « montages contractuels complexes » par le nouveau droit de la commande publique », BJCP, mars 2016, n°105, pp. 101-116).

Par ailleurs au-delà des règles, ce sont aussi les pouvoirs exorbitants de l’Administration eux-mêmes qui se trouvent de plus en plus limités au sein du droit administratif de demain. Cela se traduit notamment par une tendance au rééquilibrage des rapports entre l’Administration et les administrés. L’illustration certainement la plus patente d’un tel phénomène réside dans la relativisation du pouvoir de modification unilatérale pour motif d’intérêt général détenu par l’Administration contractante (Voir not. Gabriel Eckert, « Les pouvoirs de l’Administration dans l’exécution du contrat et la théorie générale des contrats administratifs, Ctts MP, octobre 2010, n°10, pp. 7-15) et plus généralement dans les limites apportées au principe de mutabilité (Voir not. Hélène Hoepffner, « L’exécution des marchés publics et des concessions saisie par la concurrence : requiem pour la mutabilité des contrats administratifs de la commande publique », Ctts MP, juin 2014, n°6, pp. 67-70). Au-delà d’un simple rééquilibrage des rapports entre l’Administration et les administrés, il semblerait que sous l’impact de « la puissance économique » des opérateurs avec lesquelles l’Administration entretient des relations d’affaires, émergent « aussi des contrats administratifs nettement déséquilibrés en faveur de la partie privée » (Fabrice Melleray, « Déséquilibres contractuels », AJDA, 2014, p.1793) remettant en question sa position et, par voie de conséquence, les contours du droit administratif. À l’origine contrôlée par le droit administratif lui-même afin d’éviter une action abusive de sa part, la question se pose de plus en plus de savoir si l’Administration serait en passe de se trouvée contrôlée par les agissements d’administrés détenant d’importantes marges de manœuvres financières.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Théoriquement la singularité du droit administratif se trouve engendrée par l’existence de règles spéciales, exorbitantes du droit commun jouant en général au profit de l’Administration. Toutefois si nous reprenons les développements précédents, l’on constate une altération progressive de la singularité du droit administratif et un net rapprochement avec le droit commun. Nous justifions notamment cet argument à travers le prisme du contrat administratif dont il semblerait, in fine, que « l’exorbitance (…) a été largement mythifiée » (Marguerite Canedo, « L’exorbitance du droit des contrats administratifs », in L’exorbitance du droit administratif en question(s), Études réunies par le Professeur Fabrice Melleray, LGDJ, 2004, pp. 125-177, voir spéc. p.127. Voir aussi Léon Duguit, Traité élémentaire de droit constitutionnel, 2è édition, t. III, voir spéc. p.41) . Il est vrai qu’en dehors du strict périmètre du contrat, le droit administratif, de par son objectif premier résidant dans la satisfaction de l’intérêt général, semble toutefois conserver une certaine originalité par rapport aux branches voisines du droit. Pourtant nous sommes tentés de conclure le présent propos par une phrase empruntée au professeur Charles Debbasch selon lequel « chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’on ne peut parler de droit administratif comme d’un droit dérogatoire au droit commun que par une commodité de langage » (Charles Debbasch, « Le droit administratif, droit dérogatoire au droit commun ? », in Mélanges René Chapus, LGDJ, 2014, pp.127-133, voir spéc. p.133).

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Nous risquons de ne pas être très originaux dans la réponse à cette question. Il semblerait en effet que le principal moteur du droit administratif se trouve notamment incarné par l’intérêt général. Pourtant dans la droite ligne de nos développements précédents, il semblerait bien que dans un mouvement de libéralisation « l’intérêt général censé légitimer l’action publique se mue progressivement en intérêt économique général » (David Bailleul, « Le droit administratif en question : de l’intérêt général à l’intérêt économique général ? », JCP A, mars 2005, n°13, pp. 587-592).

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Au risque de faire preuve d’un manque d’optimisme, la tâche n’est pas si simple. Il est vrai que le droit administratif, sûrement par sa complexité, souffre malheureusement d’une mauvaise réputation. Le droit pénal ou encore de le droit de la famille parce qu’ils sont davantage popularisés – médias, cinéma, séries télévisées – apparaissent alors comme plus accessibles. Ces derniers sont pourtant tout aussi complexes, voire peut-être même plus. Nous pensons qu’il s’agit tout d’abord de tenter de démystifier le droit administratif dans l’esprit du « profane » en lui faisant prendre conscience que nous pratiquons quotidiennement du droit administratif sans forcément nous en apercevoir. Ensuite il est question de faciliter l’accès à l’étude du droit administratif. Délicat à vulgariser, car souvent assez technique et subtil, tout semble être question de pédagogie. Il s’agit par exemple de simplifier le droit administratif en l’abordant par des exemples concrets et parlants.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « globalisé ». Il semblerait que pour certains « la globalisation et l’internationalisation du droit renvoient à des processus qui interdisent toute réponse définitive » (Marie-Claire Ponthoreau, « Trois interprétations de la globalisation juridique. Approche critique des mutations du droit public », AJDA, janvier 2006, n°1, pp. 20-25) . Pour d’autres « la globalisation juridique se situe sans doute moins dans la formation des normes, leur contenu, leurs effets, que dans les processus de leur transmission, de leur circulation, de leur intrusion dans les systèmes juridiques » (Jean-Bernard AUBY, La globalisation, le droit et l’Etat, Montchrestien, coll. Clefs, 2003, voir spéc. p.78). Nous retiendrons une approche extensive de la globalisation associant ces deux dernières définitions. Selon nous la globalisation correspondrait à la fois à une actualisation et à une projection constante des futures règles du droit administratif, ces dernières se trouvant nettement influencées par le droit privé, le droit européen et les droits étrangers (Voir not. Fabrice Melleray, « L’imitation des modèles étrangers en droit administratif français », AJDA, juin 2004, n°23, pp.1224-1229) .

Nous l’avons vu en droit interne, le droit administratif – et le droit public en général – tend à voir ses frontières avec le droit privé devenir de plus en plus fines. Maintenant, la globalisation du droit administratif peut aussi s’entendre comme sa dilution progressive au sein des règles issues du droit dérivé de l’Union européenne. Cela s’illustre notamment à travers la logique européenne de marché impactant fortement les règles encadrant le droit des contrats administratifs et notamment le droit de la commande publique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui et non. Même si un réel mouvement de codification est en marche en droit administratif – nous pensons notamment aux Code de justice administrative, Code des relations entre le public et l’administration, futur Code de la commande publique (prévu pour décembre 2018), etc. – la jurisprudence continue tout de même à faire évoluer le droit administratif et notamment à éclairer les textes confus et ambigus pouvant être source d’insécurité juridique. C’est le cas par exemple de la décision « SA Axa France IARD » rendue par le Tribunal des conflits le 13 octobre 2014 redéfinissant la si controversée notion de « clause exorbitante du droit commun ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est selon nous difficile de faire un choix parmi un grand nombre de célèbres noms du droit administratif. Nous citerons alors :

  • Maurice HAURIOU (1856-1929),
  • Léon DUGUIT (1859-1928)
  • & Gaston JÈZE (1869-1953).

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • «Blanco » rendue par le Tribunal des conflits le 8 février 1873 ;
  • « Terrier» rendue par le Conseil d’Etat le 6 février 1903 ;
  • & « Société commerciale de l’Ouest africain » ou « Bac d’Eloka » rendue par la Tribunal des conflits le 22 janvier 1921.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Là encore il nous faut faire un choix.

  • La loi 16-24 août 1790 & le décret du 16 fructidor an III ;
  • La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
  • & bien sûr la Constitution du 4 octobre 1958.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait ressembler à une sorte pieuvre parce qu’il est un droit tentaculaire se cachant souvent dans les abysses du droit.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait être La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1761) parce qu’il est un droit passionnel, tumultueux, et sensible aux mouvements du temps et aux changements.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif pourrait être le Bal du moulin de la galette (1876) d’Auguste Renoir parce qu’il est un droit vivant, animé, assez flou mais parsemé de tâches de lumières ci et là.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 188.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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