Questionnaire de M. Gemberling (48/50)

ParJDA

Questionnaire de M. Gemberling (48/50)

Max Gemberling
Etudiant (Licence) à l’Université du Maine
Membre du Collectif L’Unité du Droit

Art. 186

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Montesquieu affirme dans l’esprit des lois : « du droit de tuer dans la conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire en esclavage ». Si le droit administratif est clairement le contrepoids de ce droit des politiques, il demeure difficile de le circonscrire. Au premier abord, si le droit administratif diffère du droit constitutionnel, il n’en est toutefois pas autonome. L’administration est en effet soumise à la Constitution, expression de la volonté politique. Le droit constitutionnel fait donc partie du droit administratif en ce sens qu’il encadre l’action de l’administration. Le droit administratif transcende ensuite la distinction classique entre droit public et droit privé. Ce droit n’est pas un droit véritablement public qui s’applique exclusivement aux relations qui existent entre les administrations ou entre les personnes publiques et les personnes privées. L’administration peut en effet se voir appliquer le droit privé si son comportement est constitutif d’une voie de fait (Tribunal des conflits, 17 juin 2013, affaire Bergoend). Il ne s’agit pas non plus d’un droit qui a vocation à régir les rapports entre les personnes privées même si cette hypothèse peut malgré tout se matérialiser à l’occasion d’un contrat conclu entre deux personnes privées si l’une d’entre elle agit au nom et pour le compte d’une personne publique (CE, 21 mars 2007, affaire Commune de Boulogne Billancourt).

Les Professeurs Maurice Hauriou et Léon Duguit ont tenté de mettre en place une définition positive du droit administratif. Pour Maurice Hauriou, le droit administratif est le droit des prérogatives de puissance publique (PPP). L’existence de ces prérogatives se caractérise par la position d’inégalité et de soumission de l’administré vis à vis des administrations. Selon Léon Duguit, il s’agit du droit des services publics. Le service public s’y caractérise par l’intérêt général poursuivi par la personne publique. La personne publique ne disposerait alors des prérogatives de puissance publique que si elle poursuit cet objectif d’intérêt général. Ces deux définitions sont insuffisantes. Il est en effet possible d’appliquer du droit privé à des services publics (CE 22 janvier 1921, affaire société générale d’armement). De surcroit le droit administratif peut tout à fait s’appliquer à des décisions qui ne sont pas empreintes de puissance publique (CE 20 juillet 1990, affaire Ville de Melun). Face à ces difficultés de circonscrire le droit administratif, le Conseil constitutionnel a fait de ces critères doctrinaux des indices justifiant par faisceau l’application du droit administratif (Conseil Constitutionnel, 1987, affaire Conseil de la concurrence).

Il me semble que ces deux indices sont aujourd’hui partiellement dépassé et qu’il convient d’actualiser la définition du droit administratif. En premier lieu, le droit administratif se caractérise moins par une soumission de l’administré que par l’émergence d’un véritable dialogue entre l’administré et l’administration (Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016). Le droit administratif ne se caractériserait alors plus principalement par l’existence de prérogatives de puissance publique mais par une participation des citoyens au processus décisionnel des administrations.

En second lieu, et il s’agit selon moi de la conséquence de l’émergence de ce dialogue, le service public est profondément modifié. Le service public n’est plus la poursuite de l’intérêt général déterminé exclusivement et subjectivement par la personne publique (cf. la théorie dite du post-it du pr. Touzeil-Divina) mais la poursuite d’un intérêt général déterminé par plusieurs acteurs dont font partie les administrations. L’exemple le plus frappant est sans doute celui de l’étude d’impact en matière environnementale qui va permettre à la population de formuler des observations sur tout projet pouvant porter atteinte à l’environnement. Ce n’est alors que dans un second temps que l’administration prendra sa décision finale.

Le droit administratif n’est donc plus un droit exclusif des services publics ou des prérogatives des puissances publiques mais également le droit qui régit la participation du public aux processus décisionnels des autorités administratives.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif est le ciment des structures juridiques organisant la société. Il s’adapte en permanence pour répondre aux nouvelles missions qui lui sont assignées par la société. La détermination d’une définition du droit administratif a permis d’affirmer que le droit administratif devient aussi le droit régissant la participation du public au processus décisionnel des autorités administratives.

Si au XIXe siècle, le droit administratif est le droit des prérogatives publiques et qu’il devient au début du XXe siècle un mélange des prérogatives publiques et des services publiques, le droit administratif est en passe de connaître sa troisième mutation : « la démocratisation du post-it ». Cependant, cette mutation est actuellement en gestation dans certains domaines du droit administratif comme le droit à l’environnement. Elle est d’autant plus en gestation qu’à l’intérieur de ces domaines particuliers, toutes les procédures de participation du public ne sont pas délibératives (Ordonnance n°2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement). L’ordonnance du 21 avril 2016 crée par exemple une consultation locale pour les projets importants comme celui de l’aéroport de notre Dame des Landes. Cette consultation n’est cependant pas un référendum car l’autorité administrative n’est pas tenue par l’avis de la population.

Il existe donc, selon moi, un droit administratif d’hier qui coexiste au sein d’un droit administratif de demain. Ces deux droits d’hier et de demain ne sont pas distincts mais se caractérisent par la naissance au sein d’une même structure d’une négociation directe du concept d’intérêt général en plus de la branche toujours existante du droit des prérogatives de puissance publique et des services publics. Ainsi, le droit administratif qui a été l’outil de protection du citoyen fasse à l’administration devient progressivement aussi l’outil qui pourra faire connaître et comprendre le processus décisionnel administratif aux citoyens.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Il est compliqué de répondre à cette question dans la mesure où je ne connais pas d’autre droit administratif que le droit administratif français. Il me semble cependant que la dualité juridictionnelle permettant l’application de deux droits distincts, droit administratif et droit privé, n’est pas présente partout. Par exemple en droit anglais, c’est une formation spécialisée (l’administrative court) au sein d’une même Cour suprême qui applique et crée le droit administratif. La singularité du droit administratif français serait alors à chercher dans l’histoire de sa création qui a permis la mise en place d’un juge administratif né au sein même de l’administration et une stricte séparation des autorités juridictionnelles administratives et judiciaires (Lois des 16 et 24 août 1790).

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Certains auteurs comme le Professeur Maurice Hauriou ou le Professeur Léon Duguit ont tenté de définir un critère d’application permanent du droit administratif. Cependant, outre les exceptions trop nombreuses en pratique, il est également dangereux en théorie de déterminer un critère unique d’application du droit administratif.

Le Professeur Hauriou affirmait que le critère d’application du droit administratif pouvait être matérialisé par la notion de prérogative de puissance publique. Cependant la pratique a montré que le droit administratif peut s’appliquer indépendamment de toute prérogative de puissance publique. Le Professeur Duguit matérialisait le critère d’application du droit administratif dans le service public. Cependant la pratique du juge administratif a montré que tous les services publics n’étaient pas soumis au droit administratif.

Cette volonté du juge administratif de ne pas se laisser enfermer dans des critères de compétence est certainement dû à la dangerosité du critère unique marqué notamment par un risque de cristallisation du droit administratif. Résumer le droit administratif à l’application des prérogatives de puissance publique, pourrait faire dériver le droit administratif vers un droit de la toute-puissance de l’administration qui ne respecterait plus les libertés fondamentales de l’administré. Résumer le droit administratif à la mise en œuvre d’un service public risque de faire dériver ce droit vers un droit qui ne prend plus en compte les spécificités de l’autorité étatique nécessaire à la continuité de l’Etat.

Il n’existe donc pas, selon moi, de critère unique d’application du droit administratif mais plusieurs indices permettant sa mise en œuvre, exactement comme l’a enseigné le Conseil Constitutionnel en 1987 dans sa décision « Conseil de la concurrence » (Conseil Constitutionnel, 1987, affaire Conseil de la concurrence).

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Permettre de faire comprendre le droit administratif à « tout le monde » est un bel objectif qui prouve que les Professeurs de droit public sont des gens courageux. Je n’ai pas encore réfléchi sur une méthode permettant de faciliter cet apprentissage.

Si la mise à la portée de chacun du droit administratif est la possibilité de permettre à tous d’utiliser le droit administratif, il faut renforcer la mutation du droit administratif vers une démocratisation des décisions administratives. Le droit administratif est en chemin. On le remarque dans les cas particuliers de l’enquête publique ou de l’étude d’impact (il existe d’autres exemples). Un projet administratif qui aura pour conséquence d’exproprier doit être soumis à une enquête publique qui permettra à la population de formuler des suggestions, des propositions voire des contre-propositions. L’étude d’impact analyse l’incidence d’un projet administratif sur l’environnement. Le droit européen précise qu’il convient de mettre en œuvre un résumé non technique des informations qui constituent le contenu de l’étude.

Cette nécessité de mise en œuvre d’une démocratisation du droit administratif va obliger les initiateurs de l’enquête publique, de l’étude d’impact à rédiger les projets de manière accessible pour permettre aux administrés concernés de prendre position et donc de participer à la prise de décision.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

« L’Europe n’est pas un petit village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur ». M. Jean Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, a prononcé ces mots lors de son intervention à l’occasion du congrès inaugural de l’Institut européen du droit.

Pour Jean-Marc Sauvé, L’Union européenne (UE) et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme (Cesdh) participent de la globalisation d’un droit public général qui comprend le droit administratif français. Ainsi, de nombreux concepts de droit administratif en France ont pu être généralisés par les deux ordres juridiques européens. Il s’agit par exemple du concept de proportionnalité tel qu’il ressort de la décision Benjamin rendue par le Conseil d’Etat en 1933. Il s’agit également des notions de service d’intérêt communautaire (Sig) de l’article 14 du Tfue similaires aux notions de Spa et de Spic français. Les règles des procédures de passation des marchés publics sont ensuite prévues par le droit de l’UE et s’imposent au droit administratif interne. Enfin, les règles du procès équitable, et notamment le droit au délai raisonnable prévu à l’article 6 paragraphe 1 de la Cesdh s’impose en droit administratif. En outre, l’institut européen du droit est créé pour réfléchir à la mise en oeuvre effective d’un « Jus Commun » qui pourra inclure le droit administratif des Etats membres de l’UE.

Certains de ces principes font l’objet d’une interprétation constructive des juridictions européennes et administratives françaises, ce qui permet d’aboutir à une interprétation commune du droit administratif. C’est le cas du droit au délai raisonnable qui, sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh), a permis au juge administratif d’affirmer qu’une faute simple suffit à enclencher la responsabilité de l’Etat pour service défectueux de la justice. C’est également le cas de la jurisprudence de la Cedh qui prend en compte la jurisprudence administrative pour affirmer que la double fonction consultative et juridictionnelle du CE n’est pas contraire au principe d’impartialité de l’article 6 paragraphe 1 de la Cesdh.

Le Juge administratif a toutefois pu, pour l’application de certains droits, se détacher de la position européenne et donc de la position globalisée. En matière de droit au délai raisonnable, le juge administratif affirme qu’il est possible qu’un délai soit excessif alors même qu’il est raisonnable au sens de la position globale. Le droit administratif français garde, dans certains cas, une marge de manœuvre dans la détermination du champ d’application de son droit.

Ces illustrations me permettent de penser que le droit administratif français n’est pas un droit condamné à une globalisation le faisant disparaître dans un ordre juridique supérieur mais un droit autonome qui complète le droit globalisé au sein des ordres juridiques européens. Un véritable dialogue est finalement instauré entre les ordres juridiques européens et administratifs français qui permet une protection plus importante de l’administré dans un souci par exemple d’une bonne administration de la justice.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

La jurisprudence est le tissu même du droit administratif. Même si des apports construits par des textes nouveaux comme le code de justice administrative existent, la structure prétorienne du droit administratif ne change pas. A mon avis toutefois, on peut remarquer un glissement de cette structure prétorienne depuis les juridictions nationales vers les juridictions européennes qui interviennent beaucoup plus fréquemment dans la construction de la matière.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Le père du droit administratif est pour moi peut-être le père malheureux de la petite Blanco
  • et certainement tous ceux qui, constitués en équipe à l’origine au Mans, m’ont donné goût à son étude.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Conseil d’Etat, 8 février 1873, affaire « Blanco». Il s’agit de l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat crée le droit administratif en rendant l’Etat responsable de ses décisions dans un cadre spécifique différent du droit privé. Il n’était pas possible d’aboutir à un système de responsabilité sans mettre en place une compétence indépendante et impartiale pour juger d’une administration.
  • Conseil d’Etat, 13 décembre 1889, affaire « Cadot». Le Conseil d’Etat met fin à la théorie du ministre-juge. Il est désormais compétent pour statuer en premier et en dernier ressort sur l’annulation des actes administratifs de manière indépendante de l’existence d’un texte organisant sa compétence. Le Conseil d’Etat se dote ainsi de l’outil qui lui permet de produire du droit administratif. Une fois le Conseil d’Etat juge de droit commun de l’annulation des actes administratif, il était nécessaire de fixer des critères stables de répartition des compétences entre l’ordre juridictionnel administratif et judiciaire.
  • Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, « conseil de la concurrence » : Le Conseil constitutionnel va distinguer les compétences de l’ordre judiciaire et de l’ordre juridictionnel administratif. Ce faisant, le Conseil organise le bloc de compétence du juge administratif tout en mettant en œuvre un nombre de limites pour les matières que tiennent par nature les juridictions judiciaires et sauf raison de bonne administration de la justice qui pourrait permettre une dérogation aux critères de répartition.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La Constitution dans son ensemble et plus particulièrement son article 61-1 organisant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette QPC permet en effet au juge administratif de décider ou non de renvoyer une question posée par un justiciable à l’occasion d’une instance au Conseil constitutionnel. En jugeant du caractère sérieux et nouveau de la question et de l’applicabilité de la disposition concernée au litige, le juge administratif dispose en réalité d’une marge d’appréciation importante pour décider du renvoi. Cet article 61-1 a donc indirectement permis au juge administratif, lorsqu’il estime qu’il n’a pas à renvoyer la question, de s’ériger en juge de constitutionnalité de la loi.
  • L’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui conditionne l’action d’un juge administratif qui doit être impartial, indépendant et doit statuer dans un délai raisonnable même si le champ d’application de cet article reste limité à la contestation de droits ou d’obligations à caractère civils ou au bien fondé de toute accusations en matière pénale.
  • Le code justice administrative et le code des relations entre le public et l’administration. Le premier conserve les principes directeurs anciens du procès administratif et le deuxième formalise la mutation du droit administratif d’un droit de pouvoir vers un droit d’échange et de dialogue.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 186.

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À propos de l’auteur

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