Urbanisme et collectivités territoriales

ParJDA

Urbanisme et collectivités territoriales

par Vincent THIBAUD
Docteur en droit public
Juriste, Direction de l’urbanisme, Ville de Montreuil

Urbanisme
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Documents d’urbanisme : avez-vous pensé à la « grenellisation » ?

Art. 95. Au 1er janvier 2017, votre PLU pourrait potentiellement être privé d’effets…

Ce sensationnalisme juridique prend pourtant sa source dans une échéance transitoire qu’avait instauré l’article 19, V., de la loi n°2010-788 portant engagement national pour l’environnement (dite aussi « Grenelle II »), amendé à droit constant par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, suivant lequel donc les plans locaux d’urbanisme étaient censés intégrer les dispositions grenellisées du code de l’urbanisme, puis donc – toujours à droit constant – « ALURisées » au 1er janvier 2017 (c’est donc le cadeau de la loi ALUR).

Plus précisément à l’aune des dispositions transitoires susévoquées, les PLU approuvés/révisés après le 13 juillet 2013, et/ou dont le projet a été arrêté après le 1er juillet 2012, bénéficient d’une présomption de « grenellisation ».

Les PLU approuvé/révisés entre le 13 janvier 2011 et le 1er juillet 2013 « peuvent avoir été grenellisés » et nécessitent donc une confrontation « au cas par cas » avec les standards d’exigences liés à l’application des objectifs environnementaux.

Avant le 13 janvier 2011 et l’entrée en vigueur de ladite loi ENE ou « Grenelle II », les PLU sont présumés n’être tout simplement pas « grenello-compatibles ».

Sans refaire le balayage de ces innovations législatives, il conviendra néanmoins sur un plan pratique de rappeler que ce que l’on peut qualifier de véritable démarche de « grenellisation » des documents d’urbanisme a eu pour caractéristique de concevoir un nouveau standard de PLU, pas tant sur leur forme stricto sensu, que sur des degrés d’exigences et de contenu affectant ses différentes composantes : PADD et rapport de présentation notamment devant justifier les prescriptions des règlements mis alors en place.

Ainsi, le rapport de présentation et le projet d’aménagement et de développement durables reflètent désormais « l’expression d’un projet articulant des thématiques considérablement élargies et qui traduit l’ambition d’une politique nationale d’urbanisme appliquée à un territoire » (cf. P. SOLER-COUTEAUX, « Le plan local d’urbanisme « Grenelle » : un arbre qui cache la forêt », RDI, n°2, 2011, p.16).

Sans commenter le bien-fondé ou non de cet alourdissement des objectifs législatifs assignés aux documents locaux d’urbanisme, il n’en reste pas moins qu’un certain pragmatisme juridique voit poindre un risque, certes limité mais majeur : au 1er janvier 2017, une demande d’abrogation pure et simple du document en vigueur, dont il serait amené la démonstration qu’il n’intègre pas le Grenelle en son état d’ALUR ; à laquelle l’autorité compétente sur le plan serait nécessairement liée comme il ressort de principes généraux largement acquis en droit administratif (CE Ass., 03/02/1989, Cie Alitalia, n°74052).

La seconde catégorie de risque d’annihilation des effets juridiques des PLU pour ce motif teinté de Grenelle réside dans le contentieux des autorisations d’urbanisme, où serait soulevée là une exception d’illégalité interne non couverte par la limitation d’invocation prévue pour les motifs de procédure figurant à l’article L.600-1 du Code de l’urbanisme.

Mais la mesure du risque ne serait totalement exhaustive si elle ne devait envisager une autre réjouissance législative liée à la fois à la caducité programmée des anciens plans d’occupation des sols (POS) et au transfert « de plein droit » des PLU vers les intercommunalités consacré par la même loi ALUR.

Reprenons dès lors notre hypothèse de fin des effets juridiques d’un PLU, le vide juridique n’étant pas du monde de l’urbanisme, la législation afférente au domaine prévoit justement en principe le retour bien connu au document antérieur. Le raisonnement pourrait donc prendre sa référence dans le désormais article L.600-12 du code de l’urbanisme et la disposition suivant laquelle « l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ». Comme donc la loi ALUR a fait en sorte que les vieux POS soient désormais définitivement sortis de l’ordonnancement juridique depuis le 1er janvier 2016 (article L.174-1 du code de l’urbanisme au sein de la codification qui a cours depuis d’ailleurs cette même date du 1er janvier 2016), un territoire affecté par une telle hypothèse devrait donc s’en référer au règlement national d’urbanisme pour l’application d’un droit des sols qui fait fort peu de cas des réalités locales et des projets urbains situés – comme son nom (règlement « national »…) l’indique d’ailleurs.

Il convient de relever que des mécanismes d’amortissement ont aussi été prévus par la législation, pour limiter l’effet de seuil que peut revêtir l’application stricte des principes liés à la « grenellisation » des documents d’urbanisme :

– si le territoire en cause n’en est encore qu’au passage d’un plan d’occupation des sols révisé en un plan local d’urbanisme, et que cette procédure de révision a été engagée avant le 31 décembre 2015, le POS est maintenu en vigueur « au plus tard le 26 mars 2017 », soit trois ans après la prise d’effet de la loi ALUR qui prévoit d’ailleurs à l’échéance le transfert du PLU à l’intercommunalité (sauf opposition exprimée dans les conditions fixées au II de l’article 136 de ladite loi du 24 mars 2014) ; et faudrait-il encore être attentif à la compatibilité du document issu de la révision avec les standards environnementaux, car les délais de rédaction s’étirent parfois de façon critique au regard des évolutions législatives constantes en la matière (voir à ce propos les réflexions dubitatives de F. BOUYSSOU, in « Les cinq crises de la planification urbaine », JCP, A., n°25, 23/06/2014, 2199) ;

– si ce territoire envisagé est du ressort d’un établissement public de coopération intercommunale ayant la compétence PLU, l’engagement d’un processus de document pleinement intercommunal (ou dit encore PLUi dans le jargon) permet de repousser l’échéance de vie des documents communaux non « grenello-compatibles », mais encore faut-il que l’adoption du PLUi soit une réalité juridiquement pleinement engagée avec un débat sur les orientations du PADD devant nécessairement avoir lieu avant le 27 mars 2017 (ce qui permet d’assurer une compétence PLUi effective en relation avec le transfert de plein droit prévu par la loi ALUR), et une approbation du PLUi à l’horizon du 1er janvier 2020 ; ce qui signifie donc que l’échéance « Grenelle » prend une « ALUR » plus modérée au 31 décembre 2019 ;

– enfin, la loi ALUR a prévu qu’en cas d’annulation contentieuse d’un PLU intervenant après le 31 décembre 2015, un éventuel POS « immédiatement antérieur » peut être remis en application et faire lui-même l’objet encore d’une révision en un nouveau PLU, ce maintien d’effets juridiques ne pouvant durer au-delà de deux ans, ce qui peut parfois être court pour refondre un document d’urbanisme (certes, une annulation peut aussi porter sur de simples motifs de procédure qui nécessitent simplement de reprendre une enquête publique). Il s’agit là d’une solution très curieuse, car rien n’est dit sur la remise en application d’un PLU antérieur non compatible avec Grenelle et ALUR, dont la caducité à compter du 1er janvier 2017 semble devoir tout de même être constatée dans l’hypothèse décrite ci-dessus et envisagée par l’article L.174-6 du code de l’urbanisme. À force de contorsions et de complexité, le droit de l’urbanisme n’en est pas à une approximation et une contradiction près…

Mais, dans tous les cas, il transparaît de l’ensemble des cas de figure précédemment décrits qu’une entreprise législative systématique, sous des majorités législatives d’ailleurs différentes, est mise en œuvre depuis la promulgation de la loi « Grenelle II ». À ce propos, la loi ALUR n’a fait que renforcer cette dynamique dans le sens de l’établissement définitif du caractère intercommunal des plans locaux d’urbanisme, échelon pertinent pour la mise en œuvre de hauts objectifs de développement durable porté par l’État pour l’ensemble des territoires. Les secousses juridiques n’en seront pas moins grandes pour certains territoires dans un moyen terme… qui ne disposaient pas encore de PLU au niveau des communes, et où la construction intercommunale n’est due qu’aux obligations du législateur de mailler le territoire d’intercommunalités avec un niveau critique de compétences dont relèvent celles en matière de documents d’urbanisme. Un « Grenelle » pour déconstruire et reconstruire à toute « ALUR » un nouvel urbanisme réglementaire, plus vraiment décentralisé, réformé (au sens de la « réforme territoriale ») assurément.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 95.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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