La redéfinition des conditions de recours aux marchés de partenariat

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La redéfinition des conditions de recours aux marchés de partenariat

par Mme Claire GIORDANO
Doctorante contractuelle en droit public
Université d’Aix-Marseille – EA 3786 – Groupe de recherches et d’études en droit de l’immobilier, de l’aménagement, de l’urbanisme et de la construction (GREDIAUC)

Art. 217. Simplification et sécurisation du recours aux « marchés de partenariat » : tels sont les objectifs affichés par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Ces objectifs ne pouvaient toutefois être atteints sans une redéfinition complète des conditions d’éligibilité à de tels contrats. Trop souples, trop incertaines, utilisées de manière peu rigoureuses dans la pratique, les conditions de recours aux anciens « contrats de partenariat » ont, en effet, été vues comme une des raisons majeures du déclin de popularité de ces contrats si singuliers. Nombre sont ceux qui ont appelé à un encadrement plus strict afin d’éviter « les excès et autres abus du passé » (A. Boullault, A. Vandepoorter, « Les conditions de recours au marché de partenariat », Contrats Publics 2015, n° 159, p. 38). La réforme ne devait toutefois pas tomber dans l’écueil de l’instauration de conditions trop restrictives qui auraient eu pour effet de rendre exceptionnelle l’utilisation de cet outil contractuel. Afin de répondre à l’ensemble de ces problématiques, les acteurs de la réforme ont choisi de mettre en place un système dual, alliant simplification et sécurisation, objectivité et subjectivité. Désormais, le recours aux marchés de partenariat est ainsi subordonné à la satisfaction de deux conditions distinctes : une condition d’efficience et une condition de seuils.

I) La consécration du seul critère d’efficience en tant que condition de recours aux marchés de partenariat

Rappelons qu’avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2015 relative aux marchés publics, les acteurs publics pouvaient se fonder sur trois critères alternatifs afin de recourir aux « contrats de partenariat » : le critère d’urgence, le critère de la complexité, et le critère de l’efficience (ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, modifiée par la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat).

S’inscrivant dans l’objectif de simplification, l’ordonnance de 2015 a fait le choix de ne garder qu’une seule de ces conditions : l’efficience. Ainsi, selon l’article 75, on ne peut désormais avoir recours à un tel contrat « que si l’acheteur démontre que, compte tenu des caractéristiques du projet envisagé, des exigences de service public ou de la mission d’intérêt général dont l’acheteur est chargé, ou des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet ». Exception faite de l’ajout de la mission d’intérêt général dans les considérations à prendre en compte et de la disparition de la référence aux « avantages et inconvénients » (qui sera toutefois réintégrée dans le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics), on remarque que cet article reprend de manière quasi-identique la définition de ce critère proposée par l’ordonnance de 2004.

Il peut paraitre assez surprenant que l’on ait préféré supprimer les deux conditions « classiques » de recours pour ne conserver que la condition du bilan. Certes, le critère de la complexité faisait l’objet d’un contentieux abondant et celui de l’urgence était peu utilisé. Toutefois, le critère de l’efficience n’a jamais été exempt de critiques. Présenté dans la doctrine comme imprécis, voire « très arbitraire, en raison de la définition très large qu’il recouvre », le rapport d’information sur les partenariats publics-privés était allé jusqu’à demander sa suppression (J.-P. Sueur, H. Portelli, « Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? », Rapport d’information sur les partenariats publics-privés au nom de la commission des lois du Sénat 2014). La consécration de ce critère d’efficience n’a cependant rien d’étonnant si on la met en parallèle avec l’importance accordée par la réforme à l’exigence constitutionnelle de « bon usage des deniers publics » (CC, n° 2003-473 DC, 26 juin 2003). Associé à la généralisation d’une étude de soutenabilité budgétaire avant tout recours aux marchés de partenariat (article 74 de l’ordonnance de 2015), ce critère permet à la personne publique de faire prévaloir une justification économique et financière sur des considérations plus juridiques, et ce afin de choisir le contrat lui permettant d’atteindre la meilleure performance économique (ou « Best Value For Money »).

Gardant toutefois à l’esprit les critiques doctrinales, les acteurs de la réforme ont choisi de sécuriser le mécanisme en formalisant, pour la première fois, une véritable grille d’analyse, permettant d’établir un bilan qui se veut exempt de tout arbitraire. Ainsi, il est prévu à l’article 152 du décret de 2016 que « l’acheteur tient compte de ses capacités à conduire le projet, des caractéristiques, du coût et de la complexité de celui-ci, des objectifs poursuivis ainsi que, le cas échéant, des exigences du service public ou de la mission d’intérêt général dont il est chargé. Pour démontrer que ce bilan est plus favorable que celui des autres modes de réalisation de ce projet envisageables, il procède à une appréciation globale des avantages et des inconvénients du recours à un marché de partenariat, compte tenu notamment :de l’étendue du transfert de la maîtrise d’ouvrage du projet au titulaire de ce marché ; du périmètre des missions susceptibles d’être confiées au titulaire ; des modalités de partage de risques entre l’acheteur et le titulaire ; du coût global du projet compte tenu notamment de la structure de financement envisagée ». On remarque que cet article constitue une reprise des sous-critères que « la MAPPP [Mission d’appui aux partenariats public-privé] préconisait déjà de prendre en considération pour démontrer l’efficience du contrat de partenariat » (A. Boullault, « Les dispositions réglementaires spécifiques au marché de partenariat », Contrats Publics 2016, n° 166, p. 74).

Il est toutefois intéressant de noter que les critères de complexité et d’urgence n’ont pas complètement disparu du paysage juridique. On retrouve, en effet, une référence explicite à la complexité du projet. De même, s’il n’est pas mentionné explicitement comme un sous-critère, l’urgence pourrait être prise en compte par la personne publique, notamment dans l’analyse des exigences du service public ou de la mission d’intérêt général. Ainsi, s’il est vrai que ces critères ne peuvent plus jouer un rôle en eux-mêmes, rien ne les empêche de faire pencher la balance du bilan favorable en faveur des marchés de partenariats.

Cette consécration du critère d’efficience, si elle atteint l’objectif de simplification, laisse toutefois peser une part de subjectivité dans le recours aux marchés de partenariat. C’est la raison pour laquelle les acteurs de la réforme ont choisi de contrebalancer ce dernier par l’introduction d’un critère qui se veut purement objectif : le critère des seuils.

II) L’introduction nouvelle de seuils comme condition de recours aux marchés de partenariat

L’introduction de seuils dans le recours aux marchés de partenariat est sans doute l’une des grandes nouveautés de la réforme de 2015. Malgré une grande hésitation de la part des acteurs de la réforme (cette condition ayant été retirée du projet d’ordonnance en cours de discussions pour être finalement réintroduite),  il est désormais prévu à l’article 151 du décret de 2016 que les personnes publiques ne pourront passer un marché de partenariat si la valeur du marché est inférieure à : « 2 millions d’euros HT lorsque l’objet principal du marché de partenariat porte sur des biens immatériels, des systèmes d’information ou des équipements autres que des ouvrages ainsi que lorsque le contrat comporte des objectifs chiffrés de performance énergétique et prévoit que la rémunération du titulaire tient compte de l’atteinte de ces objectifs » ; « 5 millions d’euros HT lorsque l’objet principal du marché de partenariat porte sur a) des ouvrages d’infrastructure de réseau, notamment dans le domaine de l’énergie, des transports, de l’aménagement urbain et de l’assainissement ; b) des ouvrages de bâtiment lorsque la mission confiée au titulaire » ne comprend pas l’entretien et la maintenance ou la gestion d’une mission de service public ; et 10 millions d’euros HT pour les autres marchés.

Cette pratique de seuils a fait l’objet de nombreuses controverses dans la doctrine, certains auteurs allant jusqu’à y voir une incompatibilité avec l’idée même de performance économique (S. Braconnier, « Le futur régime des partenariats public-privé : rupture et clarifications », RDP 2015, p. 595). Elle aurait, cependant, pour objectif de s’inscrire dans une certaine idée d’efficience. Il a, en effet, été prouvé, à de nombres reprises, qu’un tel montage juridique ne peut être économiquement intéressant qu’à la condition que le marché demande un investissement significatif. Par l’exclusion des petites opérations du champ des marchés de partenariat, les acteurs de la réforme entendent donc prévenir les personnes publiques contre l’utilisation d’un contrat qui leur serait, à terme, défavorable économiquement.

On peut cependant se poser la question de l’impact réel des seuils intégrés par cette réforme. Ceux-ci apparaissent, en effet, faibles, notamment lorsqu’on les compare avec les préconisations du rapport d’information du Sénat de 2014 (50 millions d’euros) ou les recommandations prévues pour leurs homologues anglais, les contrats de PFI, par le PF2 Guidance «« Standardisation of PF2 Contracts » de 2012 (59 millions d’euros). Ils apparaissent d’autant plus modiques lorsque l’on prend en considération ce qui est inclus dans le calcul de la valeur du marché, c’est à dire « la rémunération du titulaire versée par l’acheteur » mais également des dépenses qui sont extérieures telles que « les revenus issus de l’exercice d’activités annexes ou de la valorisation du domaine » ou même « les éventuels concours publics ». En définitive, ces seuils auront seulement pour effet d’écarter des marchés de montant extrêmement bas, ce qui était déjà le cas dans la pratique.

Simplification et sécurisation du recours aux marchés de partenariat, tels étaient les objectifs alloués à la réforme des marchés publics. Si l’objectif de simplification semble atteint, notamment par la consécration du seul critère d’efficience, seuls le temps et la pratique nous diront si les conditions d’éligibilité à un tel mécanisme ont été suffisamment sécurisées pour entraîner un regain d’intérêt et de popularité pour les marchés de partenariat.

Mots-clefs : Marchés de partenariat – Conditions de recours – Efficience : « Optimisation des moyens en fonction des objectifs poursuivis » (N. Kada & M. Mathieu, Dictionnaire d’administration publique, Grenoble, PUG, 2014) – Seuils

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 217.

 

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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