Les facteurs de détermination de la durée d’un contrat : vers une plus grande liberté ?

ParJDA

Les facteurs de détermination de la durée d’un contrat : vers une plus grande liberté ?

par M. Iliasse CHARI
Etudiant en master II de droit public des affaires
Université Toulouse 1 Capitole

Art. 219. L’encadrement de la durée d’un contrat a une grande importance en droit civil où les engagements perpétuels sont interdits selon l’article 1210 du code civil. Dans cette perspective, et de manière encore plus poussée, les contrats de la commande publique voient leurs délimitations échapper aux parties contractantes en raison des nombreux principes les entourant.

L’objet de ce développement concernant la durée, ne traitera que de sa détermination et des éventuelles conséquences et non pas des périodes relatives aux diverses interdictions de soumissionner ou encore aux dates de procédures à respecter.

Ainsi apparaît-il que si les textes laissent place à une liberté de définition de la durée du contrat en faveur des protagonistes, dans les faits, cela est à fortement nuancer en raison des bases de calcul du terme (I). De plus, on ne peut que noter que les changements opérés par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et celle n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, ont produit des conséquences en terme de durée aussi bien pour que les contrats existants que non existants (II).

I) La proclamation d’une liberté contractuelle : un leurre juridique

Il est vrai que s’il est mis en avant que la durée d’un contrat de concession découle de la liberté de l’autorité concédante, les dispositions y étant relatives ne manquent pas de fixer des critères de définitions (A). Par ailleurs, certains contrats sont soumis à des règles plus spécifiques (B).

A. « Une durée déterminée » : synonyme de liberté dans le choix de la durée ?

L’article 34 de l’ordonnance « contrats de concession » dispose que : « I – Les contrats de concession sont limités dans leur durée. Cette durée est déterminée par l’autorité concédante en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire, dans les conditions prévues par voie réglementaire ».

Dès lors, on ne peut que noter que, de prime abord, la durée est une donnée endogène au contrat en ce sens qu’elle dépendra des éléments internes. Ainsi l’investissement en est-il l’exemple le plus frappant. Par ce terme, il faut comprendre, selon l’article 6 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, qu’ils s’entendent « comme les investissements initiaux ainsi que ceux devant être réalisés pendant la durée du contrat de concessions, nécessaires pour l’exploitation des travaux ou services concédés ». S’ensuit une série d’exemples, non exhaustifs.

Cela nous pousse à penser que la durée est certes fixée au début car c’est une modalité du contrat, mais qu’elle l’est de manière assez large. D’ailleurs le fait que la détermination soit réalisée par la nature et le montant des prestations ou des investissements, réitère cette idée. Les premiers sont déterminés alors que l’investissement est déterminable. Cela laisse donc place à une plus grande souplesse d’appréciation.

La notion d’amortissement semble ici la plus adaptée car elle englobe les deux idées évoquées. De ce fait, une définition nous en est donnée dans l’arrêt Maison Comba (CE, 11 août 2009) où les juges ont estimé que la durée normale d’amortissement est celle « normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation » et que la « durée normale des investissements ne saurait se réduire par principe à la durée comptable » mais au résultat d’un équilibre global. Cet arrêt est le témoignage du passage d’un amortissement comptable à un amortissement économique. En somme, le juge ne retient plus comme limite que les pertes doivent être égales aux recettes. D’ailleurs le II de l’article 6 du décret « contrats de concession » évoque « un retour sur les capitaux investis » ce qui confirme cette théorie puisque ça laisse suggérer une forme de rentabilité. Cette jurisprudence est constante et peut être relevée également dans l’arrêt Commune de Chartres (CE, 8 février 2010).

On note donc que si une liberté contractuelle est instituée et qu’au nom de l’arrêt Commune d’Olivet (CE, 8 avril 2009), elle a une valeur d’ordre public, l’étendue des critères à respecter ne fait que la restreindre.

D’ailleurs, en matière de marché public il n’est aucunement fait mention de la liberté des autorités concédantes puisque selon le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : « La durée d’un marché public est fixée en tenant compte de la nature des prestations ». C’est une illustration de nos propos.

Dans cette perspective, on note que la durée de certains contrats est fixée à l’avance ce qui alimente encore une fois ce sentiment.

B. La spécificité de l’objet de certains contrats de la commande publique

Ces spécificités figurent d’une part dans le II de l’article 34 qui fait une esquisse de certains contrats comme en matière d’eau potable qui ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans, « sauf examen préalable par l’autorité compétente de l’Etat ». Cette limite existait déjà à l’article L 1411-2 du code général des collectivités territoriales et, donc, bien avant la présence de ces ordonnances. Si bien qu’un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon (3 novembre 2011, n° 10LY00536) est venu préciser le calcul de cette durée et il faut savoir qu’elle doit être entendue comme « concernant la seule période d’exploitation de l’ouvrage, au cours de laquelle le délégataire se voit effectivement confier la gestion d’un service public, à l’exclusion de la période préalable de travaux ».

C’est le signe d’une meilleure appréciation de l’amortissement, et de la volonté de s’assurer que le concessionnaire pourra de manière plus certaine, amortir ses frais. Cette décision va dans le même sens que celle de l’arrêté Commune de Chartres (précité), où il était considéré que le départ de l’amortissement « court dès la date d’achèvement des investissements et de mise en service de l’ouvrage ».

En outre, découle de cette limitation la volonté d’éviter qu’un concessionnaire ait un monopole dans la gestion d’un des services énoncés et de rendre inefficace toute clause de reconduction tacite. Néanmoins, cela laisse supposer que le contrat proposé soit adapté à une telle limite car il serait difficile de concevoir qu’un concessionnaire accepte de prendre en charge un tel service alors qu’il sait que ses investissements ne seront pas amortis. Sinon, il faudrait que l’autorité concédante, selon le II de l’article 34, produise les justificatifs nécessaires pour que soit accordé une prorogation de la durée du contrat de concession.

A ceci s’ajoute les autorisations de domaine public qui, selon l’article 50 de l’ordonnance « contrats de concession », sont conférées pour la même durée que le contrat de concession s’il emporte « occupation du domaine public » même si l’article 51 prévoit qu’avec l’accord de l’autorité concédante la durée peut excéder celle du contrat de concession. Néanmoins, il faut respecter les limites propres à chaque occupation comme les concessions de plages qui ne peuvent dépasser douze ans (article L. 2123-2 du code général de la propriété des personnes publiques).

Cependant, si ces limites ont été édictées, ce n’est que pour répondre aux particularités des contrats de la commande publique.

II) Les conséquences de ces ordonnances sur les modulations dans le temps

S’il apparaît que la durée du contrat est conditionnée à l’amortissement, les juges sont enclins à ne pas juger contraire aux dispositions de l’ordonnance, une durée qui y serait inférieure (A). Dans une autre perspective, s’il a été mis en avant la manière dont devait être appréciée cet élément du contrat, encore faut-il voir quand son application est possible (B).

A. Une durée forcément conditionnée par l’amortissement du cocontractant ?

Plusieurs justifications sont venues appuyer la nécessité de limiter la durée des contrats de la commande publique. Tout d’abord, émane la volonté d’éviter des rentes de situations. Le concessionnaire ne devait pas bénéficier d’une apparence de droit acquis sur un long terme d’autant plus quand ces sommes sont issues des deniers publics. Le corollaire de cette règle serait que le contrat de concession ne puisse pas aller au-delà de la durée prévue par l’amortissement et ceci en raison de l’interdiction de libéralités accordées par les personnes publiques.

Inversement, cela supposerait que le concessionnaire ait droit à ce que la durée permette un tel amortissement. Néanmoins dans un arrêt Communauté d’agglomération de Chartres Métropole (CE, 4 juillet 2012) ce n’est pas une obligation et la durée peut être inférieure à l’amortissement ce qui implique que le cocontractant soit « indemnisé à hauteur des investissements non amortis à l’issue du contrat ».

La formule utilisée suggère une possibilité plutôt qu’une obligation ce qui nous laisse penser que le cocontractant doit être fondé à demander une telle indemnisation.

Le calcul d’une telle indemnité est la valeur nette comptable recalculée à la date de la fin normale de la convention moins les amortissements comptables réalisés à la date de résiliation plus l’amortissement de caducité réalisé à la date de résiliation et ce, sous réserve que l’indemnité ainsi calculée ne coïncide pas avec le préjudice.

Dès lors, on ne peut que relever que l’accent est mis sur la nécessité de remettre en concurrence l’objet du contrat plus que sur le retour sur investissement du cocontractant.

Cependant, outre ces questions il est intéressant de s’interroger sur l’application de ces ordonnances aux contrats déjà en cours.

B. L’application étendue des dispositions en question dans le temps

Quid en effet de la question de l’application de ces nouvelles dispositions aux contrats de la commande publique. En effet s’il semble admis que l’application sera de plein droit pour les conventions conclues depuis le 1er avril, il faut savoir que les ordonnances sont applicables rétroactivement aux conventions dont les procédures de passation ont été lancées au 1er janvier 2016 mais non encore conclues.

En revanche pour celles antérieurement signées au 1er janvier 2016, les anciennes dispositions restent applicables. Les juges ont considéré qu’en cas de reconduction du contrat, c’était la loi nouvelle qui s’appliquait. D’ailleurs selon l’arrêt Département de la Guyane (CE, 23 mai 2011), cette reconduction est constitutive d’un nouveau contrat (ce qui explique que les nouvelles règles s’appliquent) impliquant une nouvelle mise en concurrence préalable, une nouvelle publicité…

Mots-clefs : Amortissement – Durée – Investissement

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 219.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

1 commentaire pour l’instant

VirazelsPublié le2:35 pm - Mar 1, 2021

Mon nouvel opérateur téléphonique m’impose un contrat de 48 mois.
Est ce legal ? Ou y a t’il une durée maximum

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