Management public et consécration du sourcing : un achat plus performant, un acheteur professionnalisé

ParJDA

Management public et consécration du sourcing : un achat plus performant, un acheteur professionnalisé

par M. David ALPHAND
Conseiller du Sénat (division des moyens généraux)

Art. 218. Dans un contexte de contrainte budgétaire accrue, la stratégie d’achat représente une variable d’ajustement clef pour les institutions publiques : chaque euro dépensé doit l’être efficacement. Toutefois l’achat public sera d’autant plus efficient que l’acheteur aura le sentiment d’être sécurisé juridiquement. Voilà précisément un champ où se situe l’une des avancées parmi les plus notables de la récente réforme de la commande publique. En reconnaissant la pratique du sourcing, en la formalisant et en l’encadrant, cette réforme a levé des inhibitions et ouvert de nouveaux horizons aux responsables « Achats » des administrations publiques.

I) La reconnaissance bienvenue du sourcing

A. Les doutes levés sur la liberté d’initiative de l’acheteur

En son article 4 le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics indique qu’« afin de préparer la passation d’un marché public, l’acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences ». Cette clarification est intervenue fort à propos.

D’un côté, elle dissipe certains doutes qui freinaient la prise d’initiative de l’acheteur public : dans quelle mesure pouvait-il se tourner vers les acteurs économiques pour préparer son lancement de marché ? Des contacts avec de futurs candidats, en amont de la procédure, pourraient-ils lui être ultérieurement reprochés ? Le décret définit désormais un cadre rassurant.

De l’autre côté, les fournisseurs ou les prestataires potentiels n’hésitent plus à aller de l’avant et à provoquer la prise de contact et l’échange avec l’acheteur public. Jusqu’alors nombre d’entre eux l’évitaient, imaginant perdre la capacité à concourir au futur appel d’offre s’ils s’y risquaient. Même si cet interdit reste encore trop souvent intériorisé chez les opérateurs économiques, le Rubicon est de plus en plus habituellement franchi au bénéfice de tous.

B. Les bénéfices d’un lancement de marché mieux préparé

La consultation des entreprises offre de nouveaux outils à l’acheteur public en réflexion sur son prochain appel d’offre. Une fois le besoin identifié, la connaissance des produits et services disponibles sur le marché permet en effet d’orienter au plus près la rédaction du cahier des charges. En testant les idées auprès des professionnels du secteur d’activité concerné, l’acheteur va éviter les erreurs grossières telles que des spécifications techniques introuvables ou obsolètes, ou des délais (de livraison, d’intervention, de réparation…) irréalistes, par exemple. Le risque de se voir confronté à un marché infructueux ou à un prestataire défaillant au regard d’objectifs trop ambitieux s’en trouve d’autant réduit. L’estimation financière initiale du coût du marché a, de même, d’autant plus de chance d’être juste qu’elle aura été nourrie d’échanges en amont avec des professionnels du secteur.

Mieux encore, ces échanges peuvent permettre à l’acheteur de détecter les dernières tendances et de repérer les innovations technologiques à intégrer dans son appel d’offre. Or, dans un monde où les technologies progressent toujours plus vite, la faculté des administrations publiques à rester à niveau constitue un levier indispensable de modernisation et d’efficacité de l’Etat. Le décret précité du 25 mars 2016 apporte sa pierre à l’édifice.

II) L’adaptation nécessaire des méthodes de travail

A. Les précautions à respecter au regard de la concurrence

Pour être mises en œuvre, ces précieuses avancées doivent toutefois s’accompagner d’une préoccupation constante à l’esprit de l’acheteur public et qui renvoie au respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, de transparence et d’égalité (de traitement et d’information) des acteurs économiques rencontrés. Ainsi, l’article 5 du décret précité souligne-t-il la nécessité absolue de ne pas fausser le jeu de la concurrence.

Dans ces conditions, l’acheteur a eu à faire évoluer ses pratiques. En particulier, son rapport à la Commission d’analyse des offres (CAO) en vue de proposer l’attribution du marché (ou de chacun de ses lots) est venu s’enrichir de nouvelles informations. Il s’agit dorénavant de faire état des démarches de sourcing engagées et de rendre compte des sociétés sollicitées (dates des rendez-vous, représentants rencontrés, visites de locaux effectuées…).

B. La professionnalisation de la fonction « Achats »

Ces innovations impulsées par la récente réforme du droit de la commande publique contribuent à accélérer la professionnalisation de la fonction « Achats » dans les administrations. La faculté de dialoguer avec les experts d’un secteur d’activité ne peut en effet pleinement porter ses fruits que si la langue parlée est la même. En d’autres termes, l’acheteur public doit effectuer sa mue et monter en compétences sur les secteurs dont il est en charge. Ainsi, par exemple, préparer un marché d’habillement nécessite au préalable l’acquisition d’un minimum de bagages techniques pour appréhender au plus juste les enjeux de la confection (maîtrise de la chaîne d’approvisionnement, relations avec les sous-traitants…), les différences de qualité de textiles, l’environnement réglementaire des équipements individuels de protection (gants, casques, chaussures…).

Dès lors, l’effort de formation devient partie intégrante du management du responsable « Achats » public auprès de ses équipes. Le concours de recrutement des fonctionnaires assure en effet un niveau de connaissances académiques générales, mais très rarement l’expertise d’un secteur économique et/ou technique particulier.

L’investissement en vaut toutefois la peine. Car avec la réforme de la commande publique dont on perçoit les effets bénéfiques, c’est la perspective pour l’acheteur public de profiter de nouvelles marges de manœuvre, d’améliorer l’efficience de la dépense et, à terme, de rattraper son retard sur l’acheteur privé.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 05 : « La réforme de la commande publique, un an après : un bilan positif ? » (dir. Hœpffner, Sourzat & Friedrich) ; Art. 218.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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