Un nouveau droit d’exception : l’état d’urgence sanitaire créé et déclaré

ParJDA

Un nouveau droit d’exception : l’état d’urgence sanitaire créé et déclaré

Art. 296.

par Jean-Charles Jobart
Premier conseiller au Tribunal administratif de Toulouse
Chargé d’enseignement à l’Université Toulouse 1 Capitole (Idetcom EA 785)

Commentaire de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, JORF n°0072 du 24 mars 2020 et de la loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, JORF n°0078 du 31 mars 2020

« C’est le printemps / Et les oiseaux partout donnent leurs bamboches (…) On est content La mort règne sur terre / Mais l’on est prêt / On est prêt à mourir pour que tu vives / Dans le bonheur ». Ces quelques vers des Poèmes à Lou d’Apollinaire écrits dans les tranchées résument bien le drame que nous connaissons : c’est le printemps, mais l’on n’y pense guère car, ainsi que l’a proclamé le président Macron, nous sommes en guerre contre un ennemi invisible et meurtrier qui vient d’engendrer la plus grave crise que notre civilisation ait connue depuis la seconde guerre mondiale. Des femmes et des hommes meurent ; d’autres sont au front et risquent leurs vies. C’est dans ces circonstances extraordinaires que le Parlement a discuté et voté une loi extraordinaire pour faire face à la crise sanitaire due à l’épidémie de covid-19 en France, en Europe et dans le monde. Tout s’est fait dans l’urgence. Le Gouvernement a saisi le Conseil d’Etat le 17 mars. Le lendemain, celui-ci rendait son avis (CE,  avis du 18 mars 2019, n° 399873). Le jour même, le projet de loi était modifié, présenté en Conseil des ministres, déposé devant le Sénat et discuté par sa commission des lois. Le 19, le Sénat adoptait sa version du texte. Le lendemain, la commission des lois de l’Assemblée nationale l’examinait. Le 21, il était discuté, amendé et voté par l’Hémicycle. Le jour suivant, la commission mixte paritaire trouvait un accord, puis le Sénat et l’Assemblée nationale donnaient leurs votes définitifs, adoptant le texte. Notons que dans les deux chambres, les conditions étaient elles-mêmes exceptionnelles. L’Assemblée nationale constitue un foyer de l’infection avec 26 personnes diagnostiquées contaminées dont 18 députés. La Conférence des présidents avait donc décidé le 17 mars de réduire l’activité de sa chambre aux seuls textes urgents et indispensables liés à la crise du Covid-19, et aux questions d’actualité au gouvernement. Les séances se sont tenues avec moins de trente députés, un dispositif permettant aux présidents des groupes politiques de porter les votes de tous les députés de leur groupe. Une loi de grande importance a ainsi été élaborée en six jours. Mais la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence avait elle-même été rédigée et discutée en quarante-huit heures…

« La situation était grave, mais qu’est-ce que cela prouvait ? Cela prouvait qu’il fallait des mesures encore plus exceptionnelles. » écrit Camus dans La Peste. Cette loi a pour objet premier de permettre au Gouvernement de prendre les mesures urgentes et nécessaires à la gestion de la crise sanitaire et de donner un fondement juridique plus sûr à celles déjà prises. A cette fin, il instaure un état d’urgence sanitaire (1) et met en place des mesures temporaires de gestion de la crise (2). Ces dernières sont très nombreuses et importante, notamment l’organisation du report des élections municipales et pas moins de quarante-trois habilitations à légiférer par ordonnances afin d’adapter le droit à la crise sanitaire en cours. Au vu du très grand nombre de mesures prévues, nous nous concentrerons sur celles intéressant le droit administratif.

1. La création et la déclaration
de l’état d’urgence sanitaire

1.1       Les mesures déjà prises en période de crise sanitaire

D’importantes mesures d’ordre public ont déjà été prises avant la loi du 23 mars 2020. Elles se fondaient pour partie sur le pouvoir règlementaire de principe dont dispose le Premier ministre (CE, 8 août 1919, Labonne, p. 737 ; CE Ass., 13 mai 1960, Restaurant Nicolas, p. 324 et CE Sec., 22 décembre 1978, Union des chambres syndicales d’affichage et de publicité extérieure, p. 530 ; CC n° 2000-434 DC du 20 juillet 2000) et les circonstances exceptionnelles constituées par la crise sanitaire et permettant de restreindre les droits et libertés (CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, p. 208 ; CE, ord. du 22 mars 2020, Syndicat Jeunes Medecins, n° 439674 où l’épidémie de covid-19 est qualifiée de circonstances exceptionnelles). Elles se fondaient par ailleurs sur l’article L. 3131–1 du code de la santé publique permettant au ministre de la santé de prendre des mesures d’urgence en « cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, et notamment l’hypothèse de menace d’épidémie ». Ce cadre légal a notamment trouvé à s’appliquer en 2009 lors de la pandémie liée à la grippe A (H1N1). Le ministre de la santé avait ainsi, par arrêté du 4 novembre 2009, organisé une campagne de vaccination et les réquisitions nécessaires à celle-ci. Ce dispositif a également été mobilisé dans le cadre de situations individuelles, beaucoup plus ponctuellement, comme avec l’arrêté du 22 octobre 2012 habilitant le préfet du département de l’Aveyron à prendre des mesures de confinement de toute personne atteinte d’une pathologie hautement contaminante du fait de la « présence, dans le département de l’Aveyron, d’une personne présentant une maladie tuberculeuse résistante contagieuse, qui refuse de suivre le traitement qui lui a été proposé et de se tenir isolée des autres personnes saines de son entourage ». L’article 3131-1 pourrait par ailleurs permettre la réquisition d’un médicament (CE, ord. du 26 juillet 2018, Mme Dabel et autres, n° 422237).

La pandémie du Covid-19 est sans commune mesure avec ces précédentes crises sanitaires. Un premier arrêté du 30 janvier 2020 relatif à la situation des personnes ayant séjourné dans une zone atteinte par l’épidémie a tout d’abord organisé la mise en quarantaine pour une durée de 14 jours dans un centre d’hébergement situé dans le département des Bouches-du-Rhône des personnes ayant résidé à Wuhan en Chine, origine géographique de l’épidémie, et arrivant sur le territoire français. Un arrêté du 20 février 2020 a ensuite mis en quarantaine pour une durée de 14 jours dans plusieurs centres d’hébergement situés dans le Calvados des personnes ayant résidé à Wuhan. Un arrêté du 4 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus a interdit tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 5 000 personnes en milieu clos jusqu’au 31 mai 2020. Un nouvel arrêté du 9 mars 2020 a élargi cette interdiction à tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 1 000 personnes jusqu’au 15 avril 2020. Enfin, des arrêtés du ministre de la santé des 13 et 14 mars 2020 ont interdit tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes jusqu’au 15 avril 2020.

Un arrêté du 15 mars 2020 complète ces mesures en imposant les mesures d’hygiène et de distanciation sociale définies au niveau national, la fermeture au public des salles de concerts, de conférences, de réunions, de spectacles, de danse, de jeux ou à usage multiple, les magasins et centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes, les restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, les bibliothèques, musées, salles d’expositions, établissements sportifs, les crèches, centres de loisirs et établissements d’enseignement. Les lieux de cultes pouvaient rester ouverts à condition de ne pas rassembler plus de 20 personnes, sauf pour les cérémonies funéraires.

De manière plus radicale, le décret du Premier ministre n° 2020-260 du 16 mars 2020 met en place un confinement de la population. L’article 1er interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile, à l’exception des trajets entre le domicile et les lieux de travail insusceptibles d’être différés, des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité, des déplacements pour motif de santé, pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants, enfin des déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle et aux besoins des animaux de compagnie. Ce même article précise que les personnes souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements, d’un document justifiant le motif de celui-ci. L’article 2 habilite les préfets à restreindre encore localement les déplacements, ce qui a été notamment effectué dans les départements maritimes où l’accès aux plages a été interdit. L’article 5 interdit les déplacements de personnes par transport commercial aérien en France. L’article 11 instaure un contrôle des prix des gels hydro-alcooliques. L’article 12 réquisitionne les stocks de masques de protection. De plus, le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 procède à des réquisitions de masques de protection.

Ces mesures exceptionnelles restreignant fortement les libertés n’ont pas été toujours bien respectées. « On croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. » remarque Camus dans La Peste. Ces mesures ont donc été estimées insuffisantes par le Syndicat Jeunes Médecins qui a demandé au Conseil d’Etat en référé-liberté d’enjoindre au Premier ministre la mise en place d’un confinement total, l’arrêt des transports en commun et le ravitaillement à domicile. Les mesures de police doivent être proportionnées : il est donc courant d’invoquer leur caractère excessif (CE, 19 mai 1933, Benjamin, p. 541). Mais leur proportionnalité s’accompagne d’une obligation d’agir (CE Sec., 23 octobre 1959, Doublet, p. 541 ; CE, 12 mars 1986, Préfet de police c/ Metzler, n° 52101, p. 70 ; CE, 8 juillet 1992, Ville de Chevreuse, n° 80775, p. 281 ; CE, 28 novembre 2003, Commune de Moissy Cramayel, n° 238349, p. 464) et, plus exceptionnellement, leur insuffisance peut être invoquée. Après avoir considéré que le droit à la vie constitue une liberté fondamentale (CE Sec., 16 novembre 2011, Ville de Paris et SEM PariSeine, n° 353172 et 353173 p. 552 ; CE, Sec., 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 364584 p. 496 ; CE Ass., 14 février 2014, Mme Lambert, n° 375081 p. 31 ; CE, 30 juillet 2015, Section française de l’observatoire des prisons, n° 392043 p. 305 ; CE, 26 juillet 2017, M. Marchetti et Mme Vraciu, n° 412618 p. 279 ; CE, 28 juillet 2017, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 410677 p. 285), les juges du Palais Royal ont relevé que le ravitaillement à domicile ne peut être organisé sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont dispose l’administration, sauf à risquer de graves ruptures d’approvisionnement et à retarder l’acheminement de matériels indispensables à la protection de la santé. De plus, l’activité indispensable des personnels de santé, des services de sécurité, de l’exploitation des réseaux, ou des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation rend nécessaire le maintien de transports en commun. Le Conseil relève même l’interdépendance des secteurs économiques, la poursuite de ces activités vitales étant elle-même tributaire de l’activité d’autres secteurs qui ne peuvent donc être totalement interrompus. Les juges ont cependant estimé que la dérogation au confinement « pour motif de santé » était trop imprécise, celle liée à l’activité physique individuelle et aux besoins des animaux de compagnie était trop large, et que le fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes, était insuffisant (CE, ord. 22 mars 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 439674).

Si les premières mesures prises étaient donc nécessaires et fondées en droit, toutefois, leur prolongation et leur intensification nécessitaient, selon l’avis du Conseil d’Etat, un fondement juridique plus solide que constituera le nouvel état d’urgence sanitaire.

1.2       Un nouveau régime d’exception : l’état d’urgence sanitaire

La loi crée un chapitre Ier bis au Titre III du Livre Ier de la Troisième partie du code de la santé publique sur l’« État d’urgence sanitaire ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 85-187 du 25 janvier 1985 sur l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, a considéré qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, et que l’existence de régimes de crise dans la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur en crée de nouveaux. La loi du 23 mars 2020 crée donc un nouveau régime d’exception fortement inspiré de l’état d’urgence de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

1.2.1    Création et déclaration de l’état d’urgence sanitaire

Selon les nouveaux articles L. 3131‑20 et L. 3131-21 du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national par décret motivé en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre de la santé « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Si des députés souhaitaient ajouter un critère d’« ampleur » à la catastrophe en cause, celle-ci semblait déjà comprise dans la notion de catastrophe et dans l’appréciation de sa gravité. Le projet gouvernemental prévoyait d’abord une déclaration générale puis un décret définissant les zones concernées. Le Sénat a simplifié la procédure en unifiant ces deux étapes, le décret de déclaration définissant lui-même les circonscriptions où il entre en vigueur.

Selon l’article L. 3131-26, l’état d’urgence sanitaire s’accompagne de la mise en place d’un comité de scientifiques. Les députés ont longuement bataillé en séance, demandant que celui-ci soit réuni avant le déclaration d’état d’urgence sanitaire afin de rendre un avis public sur la nécessité de cette déclaration. Cela semblait peu compatible avec l’urgence de la déclaration, puisque ce comité comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat, ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret, le président du comité étant désigné par décret du Président de la République. Ce formalisme un peu long est donc peu compatible avec l’urgence. Les députés ont par ailleurs quelque peu chicané sur sa composition, exigeant que des parlementaires ou le défenseur des droits en fasse partie, que sa composition soit paritaire ou comprenne un sociologue ou un philosophe (voir les décrets du 3 avril 2020 portant nomination de douze membres du comité de scientifiques en tant que personnalités qualifiées et de son président, JORF n°0082 du 4 avril 2020). La périodicité des avis du comité a également été discutée. Là encore, le Gouvernement a refusé une rigidification pour une meilleure opérationnalité du comité. Celui-ci n’existant pas à l’heure de la déclaration, la nécessité de celle-ci pouvait apparaître scientifiquement douteuse. Un accord, lors d’une suspension de séance à l’Assemblée a donc été trouvé : les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la déclaration doivent être rendues publiques. Le comité rendra régulièrement des avis qui seront publics.

Le projet du gouvernement prévoyait une déclaration pour douze jours, sur le modèle de l’état d’urgence. Le Conseil d’Etat a cependant observé qu’il était peu probable qu’une crise sanitaire se résolve en un délai si court et a proposé de l’étendre à un mois. Cette durée initiale a été fortement discutée mais confirmée par les majorités des deux chambres. La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques. Toutefois, au vu de la gravité de la pandémie actuelle, afin de gagner du temps et sur amendement du Sénat, l’article 4 de la loi dispose que, par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131‑21, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

Si le projet du Gouvernement prévoyait que la loi serait caduque quinze jours après la démission du Gouvernement ou la dissolution de l’Assemblée, le Conseil d’Etat a proposé plus classiquement qu’il pourrait être mis fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi, ce que reprend l’article L. 3131‑22. Avec la fin de l’état d’urgence, le comité scientifique est dissous et les mesures prises en application de celui-ci cessent.

Le régime de l’état d’urgence sanitaire a été rendu applicable à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna par l’ordonnance n° 2020-463 du 22 avril 2020.

Notons enfin que sur amendement du rapporteur de la commission des lois du Sénat, les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire ont été rendues provisoires pour une période d’une année, soit jusqu’au 1er avril 2021. À l’issue de ce délai, il appartiendra au Parlement de dresser un bilan de l’application du dispositif et, si son utilité est établie, de le pérenniser, le cas échéant modifié au regard des premiers mois d’expérience.

1.2.2    Les mesures de l’état d’urgence sanitaire

Quant aux mesures pouvant être prises dans le cadre de l’état d’urgence, le projet du Gouvernement était particulièrement imprécis. Le Premier ministre pouvait limiter la liberté d’aller et venir, d’entreprendre, de réunion, réquisitionner biens et services. Le ministre de la santé pouvait prendre toute autre mesures générales ou individuelles. Le Conseil d’Etat a regretté que ni la nature de ces mesures, ni les conditions de leur mise en œuvre ne soient précisées. La commission du Sénat a estimé que les compétences attribuées au ministre de la santé apparaissent mouvantes et susceptibles d’empiéter sur celles du Premier ministre. Elle a donc fait un très important travail en dressant la liste des catégories d’actes que le Gouvernement peut prendre afin de mieux encadrer ses pouvoirs exorbitants.

1.2.2.1 Les atteintes à aux libertés d’aller et venir et de réunion

Selon art. L. 3131‑23, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé et aux seules fins de garantir la santé publique :

  • restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, ce qui a été fait par l’article 2 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 imposant des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, ainsi que par ses articles 4 et 5 limitant les transports maritimes et fluviaux (voir également le décret n° 2020-370 du 30 mars 2020) et les transports aériens jusqu’au 15 avril et enfin par son article 6 définissant des mesures d’hygiène pour les transports publics collectifs et le transport terrestre de marchandises ;
  • interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé, ce qui a été fait par le confinement imposé par l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 jusqu’au 31 mars 2020, prolongé par le décret n° 2020-344 du 27 mars 2020 jusqu’au 15 avril et par le décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 jusqu’au 11 mai. Cette réglementation de la circulation doit être adaptée « aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale » des personnes, ce qui explique le maintien des exceptions précédemment exposées (sur cette exigence, voir notamment CC n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 cons. 55 ; CC n° 2017-684 QPC du 11 janvier 2018 ; CC n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 § 35 ; CC n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 § 31). En particulier, la dérogation pour la pratique du sport uniquement individuellement pendant une heure par jour et jusqu’à un kilomètre du domicile n’a pas été jugée trop restrictive au vu de l’intérêt public particulièrement éminent s’attachant aux mesures de confinement (CE, ord. du 31 mars 2020, M. Dujardin, n° 439839). A l’inverse, le juge n’a pas reconnu nécessaire d’ordonner la fermeture des entreprises de métallurgie non essentielles à la Nation (CE, ord. du 18 avril 2000, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, n° 440012) ;
  • ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées ;
  • ordonner le placement et le maintien en isolement à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées, ce qui sera assurément nécessaire dans la période de déconfinement ; notons à ce titre que le législateur doit assurer une juste conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public, dont la salubrité publique, et le respect des droits et libertés, dont la liberté d’aller et venir (CC n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017 ; CC n° 2015-490 QPC du 14 octobre 2015 cons. 4 ; CC n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017 cons. 4), le Conseil exerçant un contrôle en deux temps : d’une part les mesures de polices instaurées sont-elles justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public ; d’autre part, ces mesures sont-elles proportionnées à cet objectif (CC n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 ; CC n° 2015-490 QPC du 14 octobre 2015 ; CC n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017 cons 11-12 ; CC n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 § 17). Le Conseil d’Etat a ainsi considéré les directives du directeur général de la gendarmerie nationale ordonnant aux militaires de la gendarmerie de demeurer confinés dans leur logement mais prévoyant la possibilité de solliciter, en cas de motif impérieux, une dérogation comme nécessaire et proportionnée (CE, ord. du 31 mars 2020, Association Eunomie, n° 439863). En revanche, le Conseil d’Etat, s’il reconnaît la nécessité de mettre à l’abri toutes les personnes sans abri ou en habitat de fortune, a estimé que les efforts de l’Etat en matière d’hébergement sont déjà très importants et n’appellent pas de mesures supplémentaires (CE, ord. du 2 avril 2020, Fédération nationale Droit au logement, n° 439763). :
  • ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité (cette atteinte à la liberté de réunion a été jugée proportionnée dans le cadre de l’état d’urgence classique : CC n° 2016-535 QPC du 19 février 2016), ce que réitère l’article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 qui ajoute cependant l’interdiction de la tenue des marchés, couverts ou non, sauf autorisation préfectorale accordée exceptionnellement pour des marchés alimentaires après avis du maire (interdiction confirmée comme nécessaire et proportionnée par CE, ord. du 1er avril 2020, Fédération française des marchés de France, n° 439762) ;
  • limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature, ce qu’a réitéré l’article 7 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 qui interdit tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes jusqu’au 15 avril 2020, l’article 8 maintenant les lieux de culte ouverts mais y interdisant toute réunion à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 20 personnes ; cette dernière interdiction, qui empêche la pratique des cultes religieux ainsi que la possibilité d’entrer en contact, au sein des édifices religieux, avec des ministres du culte la pratique des cultes religieux ainsi que la possibilité d’entrer en contact, au sein des édifices religieux, avec des ministres du culte, au vu de l’état d’urgence sanitaire et l’intérêt public qui s’attache aux mesures de confinement, ne crée pas une situation d’urgence justifiant une mesure de suspension (CE, ord. du 30 mars 2020, M. Pellet, n° 439809).

1.2.2.2 Les atteintes au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre

Le Premier ministre peut également ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens, ce qui a été fait par l’article 13 du décret n° 2020-293 du 23 mars qui réquisitionne les stocks de masques de protection et le décret n° 2020-344 du 27 mars 2020 qui réquisitionne les matières premières nécessaires à la fabrication de masques ainsi que les aéronefs civils et les personnes nécessaires à leur fonctionnement pour l’acheminement de produits de santé et d’équipements de protection individuelle. Ces réquisitions ont été jugées suffisantes, ne nécessitant pas d’en enjoindre de nouvelles (CE, ord. du 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région, n° 439726 et Mme A.A., n° 439693), ni de faire augmenter la production nationale d’appareils de ventilation artificielle (CE, ord. du 31 mars 2020, M. Michel, n° 439870) ou de nationaliser des sociétés produisant de la chloroquine ou des bouteilles de gaz médicaux (CE, ord. du 29 mars 2020, Debout le France, n° 430798). L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ; un arrêté du ministre de la santé du 28 mars 2020 précise ainsi l’indemnisation des professionnels de santé réquisitionnés.

Cette liste est apparue insuffisante au Gouvernement qui souhaitait y ajouter une catégorie « toutes mesures utiles », ce qui aurait ruiner les efforts d’encadrement des sénateurs. Selon le Gouvernement, « le propre des grandes crises sanitaires contemporaines est d’être inédites et imprévisibles, et d’appeler en conséquence des réponses inédites et souvent imprévisibles. » Deux nouvelles catégories de mesures ont donc été ajoutées en séance :

  • prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits, ce qui a été fait par l’article 11 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 règlementant le prix des gels hydro-alcooliques ; il est en effet possibilité de limiter le principe de la liberté des prix de certains produits, dès lors que ces limitations sont « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (CC n° 2013-670 DC du 23 mai 2013) ;
  • prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments. A ce titre, le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 permet, par dérogation à l’article L. 5121-8 du code de la santé publique, que l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir / ritonavir soient prescrits, dispensés et administrés aux patients atteints par le covid-19. Il interdit de plus l’exportation du Plaquenil par les grossistes-répartiteurs. Ces mesures ont été jugées suffisantes (CE, ord. du 28 mars 2020, Syndicat des médecins d’Aix et région, n° 439726 et Mme A.A., n° 439765). De même, le décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 dispose que les spécialités pharmaceutiques à base de paracétamol sous une forme injectable peuvent être dispensées jusqu’au 15 avril 2020 par les pharmacies à usage intérieur et que la spécialité pharmaceutique Rivotril® sous forme injectable peut être dispensée jusqu’au 15 avril 2020 par les pharmacies d’officine. Le décret n° 2020-393 du 2 avril 2020 permet, en cas de pénurie d’un médicament en hôpital, de prescrire un médicament à usage vétérinaire à même visée thérapeutique, de même substance active, de même dosage et de même voie d’administration. Enfin, le décret n° 2020-447 du 18 avril 2020 facilite l’importation de médicaments et l’agence nationale de santé publique est autorisée à approvisionner les services publics de soins et de secours.

On ne peut que constater la multiplication des recours en référé-liberté, généraux ou catégoriels, afin d’exiger des autorités publiques de délivrer plus de masques, de médicaments ou de commander plus de tests de dépistage. Dans un contexte de pénurie, donc de rationnement et de commandes d’approvisionnement d’urgence, le juge ne peut se substituer au pouvoir politique ou lui demander l’impossible. Ainsi, ces demandes contentieuses sont-elles rejetées au vu des difficultés de fourniture et des actions déjà menées par les autorités sanitaires (par exemple : CE, ord. du 20 avril 2020, Ordre des avocats au barreau de Marseille et Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 439983 et 440008 ; CE, ord. du 18 avril 2000, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, n° 440012 ; CE, ord. du 15 avril 2020, Union nationale des syndicats FO Santé privée, n° 440002 ; CE, ord. du 4 avril 2020, CHU de la Guadeloupe, n° 439904 ; CE, ord. du 28 mars 2020, Le syndicat des médecins d’Aix et région, n° 439726 ; TA de la Guyane, ord. du 6 avril 2020, Union des travailleurs guyanais, n° 2000309 ; TA de la Réunion, ord. du 6 avril 2020, M. B., n° 2000289, 2000290 et Association Dobout & Solider, n° 2000292).

Mais cette liste est encore apparue insuffisante au Gouvernement. Devant l’assemblée nationale, le Premier ministre a plaidé pour une « clause de compétence générale » et le ministre de la santé pour une « clause de sauvegarde ». Etait invoquée l’impossibilité dans le texte d’ordonner la fermeture des établissements recevant du public, d’interdire des déplacements professionnels ou certaines importations ou exportations. A l’évidence, les deux premiers exemples étaient déjà satisfaits. Le Gouvernement n’a donc obtenu qu’un dernier pouvoir : limiter la liberté d’entreprendre afin de mettre fin à la catastrophe sanitaire. Ainsi, le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 limite l’activité et les prestations des entreprises de pompes funèbres.

1.2.2.3 Autre mesures et application

Le ministre de la santé pourra, lui, prendre par arrêté motivé toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures relevant de la compétence du Premier ministre. Il a ainsi autorisé, par arrêté du 23 mars 2020 la fabrication de gel hydro-alcoolique par les pharmacies et la distribution de masques de protection aux professionnels de santé. Ce même arrêté organise la prise en charge par télésanté des patients suspectés d’infection ou reconnus covid-19 et prévoit la possibilité d’utiliser les structures médicales et moyens de transport militaires. Plusieurs arrêtés autorisent d’ailleurs la réalisation de soins à distance par télésoin, qu’il s’agisse des actes d’orthophonie (arrêté du 25 mars 2020), des actes des sages-femmes libérales (arrêté du 31 mars 2020), les activités d’ergothérapeute et de psychomotricien ainsi que la première prise des médicaments nécessaires à la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse et la prescription des médicaments nécessaires à la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse par voie médicamenteuse qui peut être réalisée jusqu’à la fin de la septième semaine de grossesse (arrêté du 14 avril 2020) ou la réalisation de certains actes de masso-kinésithérapie (arrêté du 16 avril 2020).Un arrêté du 31 mars 2020 prolonge la durée de validité des ordonnances médicales. Un arrêté du 1er avril facilite l’admission en hospitalisation à domicile. Un arrêté du 2 avril 2020 autorise les pharmacies à usage intérieur à délivrer la spécialité pharmaceutique à base de belatacept. Un arrêté du 16 avril 2020 autorise à prolonger les contrats des stagiaires hospitaliers qui ont obtenu leur doctorat à l’étranger. Afin de suivre et d’anticiper les évolutions de l’épidémie, un arrêté du 21 avril 2020 autorise le groupement d’intérêt public « Plateforme des données de santé » et la Caisse nationale de l’assurance maladie à recevoir et collecter des données à caractère personnel supplémentaires. Un arrêté du 18 avril 2020 adapte les règles d’entreposage des déchets d’activités de soins à risques infectieux. Le ministre peut également prendre toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre (art. L. 3131-24).

Enfin, le Premier ministre et le ministre de la santé peuvent habiliter les préfets de département à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de leurs dispositions. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République (art. L. 3131-25). De telles habilitations ont été édictées, par exemples, par les articles 3, 7, 8 et 10 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, par le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020, par l’article 1er du décret n° 2020-360 du 28 mars 2020, par l’article 1er du décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 ou le décret n° 2020-432 du 16 avril 2020. Ainsi, le décret n° 2020-400 du 5 avril 2020 habilite les préfets à réquisitionner des laboratoires d’analyses pour effectuer des tests de dépistage du Covid-19 et un arrêté du 5 avril 2020 à autoriser des laboratoires qui ne peuvent les effectuer en totalité à réaliser la phase analytique de ces examens. Par exemple, le préfet de police de Paris, par arrêté n° 2020-00280 du 7 avril 2020 a ainsi interdit les sorties de domicile pour la pratique du sport entre 10h et 19h.

Comme pour les mesures d’urgence prises dans le cadre de l’article L. 3131-1, l’état d’urgence sanitaire emporte l’exonération de responsabilité des professionnels de santé en cas de dommages résultant des mesures administratives. Professionnels et bénévoles y bénéficient de la protection fonctionnelle prévue par les articles 11 et 11 bis A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Est de même applicable la prise en charge de l’indemnisation par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (art. L. 3131-3 et L. 3131-4 rendus applicables par l’art. L. 3131‑28) des préjudices subis par la personne qui a subi un dommage corporel (CE, 30 mars 2018, M. Colin c. ONIAM, n° 408052 T. p. 910) ou par ses proches qui en subissent directement les conséquences (CE, 27 mai 2016, 391149, M. Millieux et Mme Montaggioni, T. p. 943), sans qu’il soit besoin d’établir l’existence d’une faute ni la gravité particulière des préjudices subis. Sont également applicables le recueil de données concernant les victimes (art. L. 3131-9-1), les mesures de protection des réservistes et bénévoles (art. L. 3131-10) et les dispositions sur l’appel aux volontaires (art. L. 3131-10-1).

Les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, comme toute mesure de police, doivent être proportionnées et, concernant les mesures préfectorales, adaptées aux circonstances de temps et de lieu. Elles n’ont vocation à s’appliquer que le temps de l’état d’urgence sanitaire et peuvent évidemment faire entre temps l’objet d’un référé suspension ou d’un référé liberté (art. L. 3131‑25‑1). Après la fin de l’état d’urgence sanitaire, le ministre de la santé pourra encore prendre des mesures sur le fondement de l’article L. 3131 1 « afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ». Les maires, en vertu de leur pouvoir de police général, peuvent également prendre des mesures plus contraignantes, rendues nécessaires par les circonstances particulières de temps et de lieu, ce qui n’est pas le cas d’un arrêté municipal obligeant les personnes de plus de dix ans à porter un dispositif de protection buccal et nasal lors de leurs déplacements dans l’espace public (TA Cergy-Pontoise, ord. du 9 avril 2020, Ligue des droits de l’homme, n° 2003905 ; CE, ord. du 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057), ou d’un arrêté municipal interdisant la circulation des personnels sur l’ensemble du territoire de la commune entre 22 heures et 5 heures (TA Caen, ord. du 31 mars 2020, Préfet du Calvados, n° 2000711).

Le fait de ne pas respecter les mesures de réquisition est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende. La violation des autres interdictions ou obligations est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 135 euros. Un amendement surprise de la garde des sceaux lors de la séance de l’Assemblée nationale visait à créer un délit en cas de première récidive, puni de de 3 750 euros d’amende et de six mois de prison. Les députés se sont émus face à cette sanction manifestement disproportionnée (sur ce principe, voir notamment : CC n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 § 12-13 ; CC n° 84-176 DC du 25 juillet 1984 § 10 ; CC n° 93-325 DC du 13 août 1993 § 39 ; CC n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 § 10 ; CC n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 § 28 ; CC n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 cons. 39 ; CC n° 99-411 DC du16 juin 1999 § 14 ; CC n° 2005-529 DC du 8 décembre 2005 cons. 8 ; CC n° 2007-554 DC du 9 août 2007 § 7 ; CC n° 2010-604 DC du 25 février 2010 § 14-15 ; CC n° 2010-66 QPC du 26 novembre 2010 § 4-6 ; CC n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011 § 4-6 ; CC n° 2011-220 QPC du 10 février 2012 § 5). Un accord a heureusement été trouvé en urgence pendant une suspension de séance : si la violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. Notons que le décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 rend applicable la procédure de l’amende forfaitaire à la contravention de la cinquième classe et en fixe les montants des amendes forfaitaires. Si les violations sont verbalisées plus de trois fois en trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général (art. L. 3136‑1). En séance publique, le Sénat a par ailleurs adopté un amendement conférant aux agents de police municipale, gardes-champêtres, agents de la ville de Paris chargés d’un service de police, contrôleurs de la préfecture de police et agents de surveillance de Paris, la compétence pour constater ces contraventions. Le Conseil a estimé que la surveillance du confinement était organisée sur l’ensemble du territoire (CE, ord. du 29 mars, Debout le France, n° 430798).

Enfin, l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés des mesures prises par le Gouvernement. Cette obligation, au fond déjà remplie par la publication au Journal officiel, n’a pas satisfait les parlementaires. Mais la transmission systématique de tous les actes administratifs provoquerait une embolie au Parlement comme dans les services de l’État. Un nouveau compromis a donc été trouvé lors d’une suspension : l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir auprès du Gouvernement toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures (art. L. 3131‑21).

2. Les mesures d’adaptation
à la crise sanitaire

« Pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus », écrivait Camus. Les autorités ont dû réagir dans l’urgence et reporter le second tour des élections municipales. De nombreuses adaptations de la législation ont également été rendues nécessaires.

2.1       Le report des élections municipales et ses conséquences

Le report du second tour d’un scrutin politique est sans précédent. Certes, le Conseil constitutionnel avait admis le report d’une semaine par le préfet de La Réunion d’élections législatives en raison d’un cyclone (n° 73-603/41 AN). Le dernier report des élections municipales a été décidé par la loi n° 2005-1563 du 15 décembre 2005 prorogeant la durée du mandat des conseillers municipaux et des conseillers généraux renouvelables en 2007. Déjà, la loi n° 94-590 du 15 juillet 1994 avait reporté, de mars à juin 1995, les élections municipales afin d’écarter toute difficulté dans l’organisation de l’élection présidentielle. Lors du contrôle de cette dernière loi, le Conseil constitutionnel avait reconnu une large marge d’appréciation au législateur en ce qui concerne les motifs justifiant la prorogation du mandat des conseillers municipaux (CC n° 94-341 DC du 6 juillet 1994). Par la suite, le mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger a été prolongé d’un an pour permettre la mise en œuvre de la réforme de la représentation des Français établis hors de France (CC n° 2013-671 DC du 6 juin 2013), tout comme le mandat des conseillers de la communauté urbaine de Lyon siégeant au sein de la métropole de Lyon afin d’« éviter l’organisation d’une nouvelle élection au cours de l’année 2014 » (CC n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014). En attendant l’organisation du futur scrutin une fois la crise sanitaire éteinte, il faut organiser l’administration provisoire du « bloc communal ».

Notons par ailleurs que l’article 21 de la loi proroge jusqu’au mois de juin 2020 le mandat des conseillers consulaires et des délégués consulaires. En attendant, les procurations déjà enregistrées pour les élections consulaires initialement prévues les 16 et 17 mai 2020 sont maintenues (voir l’ordonnance n° 2020-307 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des mandats des conseillers consulaires et des délégués consulaires et aux modalités d’organisation du scrutin).

2.1.1    L’organisation du futur scrutin municipal

L’article 19 de la loi dispose que, quand un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n’ont pas été pourvus, celui-ci, initialement fixé au 22 mars 2020, est reporté au plus tard en juin 2020. Au plus tard le 23 mai 2020, un rapport du Gouvernement sur la tenue du second tour et de la campagne électorale, l’élection du maire et des adjoints, fondé sur une analyse du comité de scientifiques de l’état d’urgence sanitaire, est remis au Parlement. La date du second tour sera en conséquence fixée par décret pris au plus tard le mercredi 27 mai. Dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise. Ils entreront en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020

Les déclarations de candidature à ce second tour seront déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs. Cette question a été très débattue au Sénat : le rapporteur de la commission des lois proposait de repousser le dépôt au 31 mars. Le ministre de l’intérieur a estimé cette date trop éloignée du futur second tour et que la crise sanitaire imposait un gel de la campagne électorale que l’engagement de discussions sur la fusion des listes dans les différentes communes ne pourrait que rallumer. La question se pose toutefois du devenir des listes déposées le mardi après le premier tour, souvent après négociations et fusion de listes. Selon le ministre, ce dépôt est un accessoire du second tour et, ce dernier ayant été annulé, les listes déjà déposées sont réputées annulées et devront en conséquence être à nouveau déposées. Toutefois, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-390 du 1er avril 2020 relative au report du second tour dispose au contraire que les déclarations de candidatures qui ont fait l’objet d’un récépissé définitif demeurent valables. Notons que les dispositions prévues par la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 qui entrent en vigueur le 30 juin ne s’appliqueront pas à ce second tour, à l’exception de son article 6 sur les inéligibilités.

La campagne électorale pour le second tour sera ouverte à compter du deuxième lundi qui précède le tour de scrutin. Les interdictions prévues par l’article L. 50-1 du code électoral (aucun numéro d’appel téléphonique ou télématique gratuit ne peut être porté à la connaissance du public par un candidat ou à leur profit), de l’article L. 51 (tout affichage en dehors de l’emplacement réservé au candidat ou sur les panneaux d’affichage d’expression libre) et de l’article L. 52-1 (tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou moyen de communication audiovisuelle) s’appliqueront à compter du 1er septembre 2019 et ne concerneront donc pas le second tour. Les plafonds de dépenses prévus aux articles L. 52-11 et L. 224-25 du code électoral pourront être majorés au maximum de 50 % et chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour déposera à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne avant 10 juillet 2020 à 18 heures. Pour les candidats présents au second tour, la date limite est fixée au 11 septembre 2020 à 18 heures.

L’organisation du second tour des élections municipales en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française nécessitant l’avis des organes statutaires normalement compétents pour examiner les projets de loi portant adaptation des mesures législatives dans ces territoires, l’article 20 de la loi habilite le Gouvernement à préciser par ordonnance l’organisation de la campagne et du scrutin, notamment à Lyon, Paris, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, mais également à organiser l’élection des exécutifs (voir l’ordonnance n° 2020-462 du 22 avril 2020 relative au report du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux de Polynésie française et de Nouvelle Calédonie dont l’article 4 permet de fixer par décret pour ces deux collectivités une date d’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus au premier tour différente de celle prévue sur le reste du territoire français).

Si la situation sanitaire ne permet pas l’organisation du second tour au mois de juin 2020, le mandat des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains concernés est prolongé pour une durée fixée par la loi. Cela reporterait le scrutin au mois de septembre, soit six mois après le premier tour. Un tel éloignement remettrait en cause la sincérité globale du scrutin et nécessiterait donc de réorganiser les deux tours de scrutin (CC n° 2013-673 DC du 18 juillet 2013 cons. 16 ; CC, n° 67-501/502 AN du 30 janvier 1968).

Une autre conséquence serait de remettre en cause les élections sénatoriales devant se tenir en septembre car, « dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, le Sénat doit être élu par un corps électoral qui soit lui-même l’émanation de ces collectivités » (CC n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005 cons. 6).

2.1.2 Le fonctionnement provisoire du bloc communal

2.1.2.1 Le fonctionnement des communes

Le premier tour de l’élection municipale organisé le 15 mars 2020 a permis à 30 143 communes sur 35 065 de se voir dotées d’une nouvelle équipe municipale et 3 253 ont élu une partie de leur conseil municipal. Le projet de loi du Gouvernement énonçait que les candidats élus dès le premier tour prenaient leurs fonctions sans attendre l’issue du second tour. Toutefois, dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été désignés, ceux-ci n’entreraient en fonctions qu’à l’issue du second tour, le mandat des conseillers municipaux et communautaires actuels étant alors prorogé. A l’inverse, dans les communes de moins de 1 000 habitants où la moitié au moins des sièges avaient été pourvus, le maire et les adjoints seraient élus de façon temporaire jusqu’au second tour. De même, certains EPCI verraient cohabiter des conseillers communautaires dont le mandat a été prorogé avec des conseillers nouvellement élus, le président et les vice-présidents de ces EPCI étant élus temporairement jusqu’à l’issue du second tour.

Le Sénat a estimé ce dispositif excessivement complexe et a proposé que si le conseil municipal était incomplet, les mandats actuels étaient prorogés. Là où le conseil est intégralement renouvelé, les mandats entraient en vigueur à une date fixée par décret.

Le système finalement retenu par l’article 19 de la loi est encore plus simple : les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour, qu’il représentent la totalité, la majorité ou une minorité du conseil municipal, entreront en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permettra. En attendant, les anciennes équipes municipales continuent leur mandat. Si le nouveau conseil municipal s’est déjà réuni pour élire son exécutif, il entrera en fonction à la date fixée par décret. Cela vaut également pour les conseillers d’arrondissement, les conseillers municipaux, les conseillers de Paris et les conseillers métropolitains de Lyon. En attendant, les vacances constatées au sein du conseil municipal ne donnent pas lieu à élection partielle et le régime des incompatibilités ne s’appliquera aux conseillers nouvellement élus qu’à compter de leur entrée en fonction. La première réunion du conseil municipal se tiendra de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction. En cas de vacance du siège de maire, l’élu chargé provisoirement des fonctions de maire conserve ces fonctions jusqu’à l’élection des maires (art. 1er de l’ordonnance n° 2020-413 du 8 avril 2020), le conseil n’ayant pas à élire son maire dans les quinze jours suivant la constatation de la vacance comme le prévoit l’article L. 2122-14 du CGCT. Toutefois, si le conseil municipal a été élu au complet lors du premier tour du 15 mars 2020, il élit le maire et les adjoints à sa première réunion afin de mettre fin à la vacance.

Pendant cette période transitoire, selon l’article 10 de la loi et à l’initiative du Sénat, le quorum des organes délibérants des collectivités territoriales et des établissements publics qui en relèvent est réduit au tiers de leurs membres au lieu de la moitié, chacun pouvant être porteur de deux pouvoirs au lieu d’un seul, ce que reprend l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020. Le rapporteur de la commission des lois du Sénat avait notamment ouvert la possibilité d’un vote par correspondance pour la première réunion des conseils municipaux. Un amendement de la rapporteure de la commission de l’Assemblée avait fermé cette possibilité. Finalement, la commission mixte paritaire a conclu qu’un dispositif de vote électronique ou de vote par correspondance papier préservant la sécurité du vote pourrait être mis en œuvre dans des conditions fixées par décret pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, sauf pour les scrutins dont la loi commande le caractère secret. En ce sens, l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 dispose que le maire ou le président peut décider la réunion de l’organe délibérant par visioconférence ou à défaut audioconférence. Les convocations sont transmises par tout moyen. Les votes ne peuvent avoir lieu qu’au scrutin public. En cas d’adoption d’une demande de vote secret, le maire ou le président reporte ce point de l’ordre du jour à une séance ultérieure qui ne se tiendra pas par voie dématérialisée. Le caractère public de la réunion est réputé satisfait lorsque les débats sont accessibles en direct au public de manière électronique. En vertu de l’article 3 de l’ordonnance, l’organe délibérant est réuni à la demande du cinquième de ses membres dans un délai maximal de six jours. Un même membre de l’organe délibérant ne peut présenter plus d’une demande de réunion par période de deux mois d’application de l’état d’urgence sanitaire.

L’article 9 modifie enfin les règles budgétaires des collectivités locales. Il était en effet impensable que les conseils adoptent leurs budgets annuels au 15 avril ou adopte leur compte administratif annuel 2019 au 30 juin comme l’imposent les article L. 1612-1 et L. 1612-12 du code général des collectivités territoriales. Ces dates sont donc repoussées au 31 juillet 2020. A partir de cette même date, le préfet peut saisir la chambre régionale des comptes pour défaut d’adoption du budget. En attendant, afin de ne pas paralyser l’action de ces collectivités, l’exécutif peut engager, liquider et mandater les dépenses d’investissement, dans la limite des sept douzièmes des crédits ouverts au budget de l’exercice précédent. Toutefois, l’ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 abroge cet article 9 (ce que le Parlement appréciera…) pour disposer que l’exécutif peut procéder, sans autorisation de l’organe délibérant et dans la limite de 15 % du montant des dépenses réelles de chaque section figurant au budget de l’exercice 2019, à des mouvements de crédits de chapitre à chapitre, à l’exclusion des crédits relatifs aux dépenses de personnel.

L’article 11 I 8° a en effet habilité le Gouvernement, afin d’assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales, à adapter le fonctionnement de leurs assemblées délibérantes et de leurs organes exécutifs, y compris en autorisant toute forme de délibération collégiale à distance, à modifier les règles régissant les délégations que peuvent consentir ces assemblées délibérantes à leurs organes exécutifs, à aménager les règles régissant l’exercice de leurs compétences par les collectivités territoriales, les règles d’adoption et d’exécution des documents budgétaires, des délibérations relatives au taux, au tarif ou à l’assiette des impôts directs locaux ou à l’institution de redevances (voir l’ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux). Pourront encore être adaptées, les règles applicables en matière de consultations et d’enquête publique.

Ainsi, l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales donne directement délégation aux maires pour prendre des décisions relatives, notamment, à l’affectation des propriétés communales, les tarifs des droits de voirie, de stationnement, à la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés publics, à l’aliénation de gré à gré de biens mobiliers jusqu’à 4 600 euros, à la création de classes dans les établissements d’enseignement, aux concessions dans les cimetières, pour réaliser des lignes de trésorerie dans la limite de 15 % des dépenses réelles figurant au budget de l’exercice 2020, ou, si ce dernier n’a pas été adopté, à celui de l’exercice 2019, pour créer, modifier ou supprimer les régies comptables, pour exercer les droits de préemption et de priorité en urbanisme, les reprises d’alignement, pour intenter au nom de la commune les actions en justice ou la défendre, pour attribuer des subventions aux associations et garantir les emprunts. De plus, l’article 4 dispense la commune du respect de la plupart des procédures consultatives. Enfin, le contrôle de légalité est simplifié par l’article 7 : la transmission des actes peut être effectuée depuis une adresse électronique dédiée vers une autre adresse électronique, également dédiée, permettant d’accuser réception de cette transmission par cette même voie.

2.1.2.2 Le fonctionnement des EPCI

56% des conseils communautaires ont été incomplètement renouvelés à l’issue du premier tour. En théorie, la première réunion des conseils communautaires, consacrée notamment à la désignation des membres du bureau, aurait dû avoir lieu « au plus tard le vendredi de la quatrième semaine qui suit l’élection des maires (art. L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales), soit avant le 24 avril.

Le projet de loi du Gouvernement prévoyait que les EPCI soient administrés par un conseil « hybride », composé des conseillers communautaires élus au premier tour et de ceux non encore remplacés. Le Sénat estimait malvenu que ces conseils communautaires aient à désigner un président et des vice-présidents provisoires dans des conditions sanitaires non garanties. La commission du Sénat a donc proposé que le président et les vice-présidents en exercice à la date du premier tour soient maintenus dans leurs fonctions s’ils conservent le mandat de conseiller communautaire. Dans le cas contraire, le président serait remplacé par l’un des vice-présidents. Une fois le conseil communautaire intégralement renouvelé à l’issue du second tour, il procèderait à l’élection du président et des vice-présidents au plus tard le troisième vendredi suivant le second tour de scrutin.

L’article 19 a donc dû gérer des situations diverses et complexes. Les conseillers communautaires élus dès le premier tour entreront en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permettra. Pour les EPCI dont l’organe délibérant a été entièrement renouvelé, celui-ci se réunit dans sa nouvelle composition au plus tard trois semaines après cette même date. Dans les autres, à compter de cette date et jusqu’à la première réunion de l’organe délibérant suivant le second tour des élections municipales, l’organe délibérant est constitué, d’une part, par les conseillers communautaires ou métropolitains déjà élus au premier tour dans les communes d’au moins 1000 habitants et par ceux désignés dans l’ordre du tableau dans les communes de moins de 1000 habitants dont le conseil municipal a été élu au complet au premier tour, ainsi que, d’autre part, par les conseillers communautaires ou métropolitains maintenus en fonction représentant Paris et les communes dont le conseil municipal a déjà été entièrement renouvelé.

De plus, si la commune a gagné des conseillers communautaires, ceux-ci sont désignés dans l’ordre du tableau du conseil municipal pour les communes de moins de 1000 habitants et, dans les autres communes, ce sont les conseillers municipaux ou d’arrondissement ayant obtenu lors de leur élection les moyennes les plus élevées après le dernier élu pour l’attribution des sièges de conseiller communautaire ou métropolitain. Dans le cas d’une commune nouvelle, les conseillers sont désignés par alternance dans chacun des conseils municipaux fusionnés par ordre d’importance de population des communes. S’il n’y a pas assez de conseillers, le ou les sièges demeurent vacants. Si la commune perd des conseillers communautaires, il s’agira, dans les communes de moins de 1 000 habitants, de ceux qui sont le moins haut dans l’ordre du tableau et, dans les autres communes, des conseillers communautaires ou métropolitains ayant obtenu lors de leur élection les moyennes les moins élevées. Le président et les vice-présidents en exercice sont maintenus dans leurs fonctions.

Selon l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020, l’EPCI est issu de la fusion d’EPCI la semaine précédant le premier tour, les conseillers communautaires en fonction dans les anciens EPCI conservent leur mandat au sein de l’EPCI issu de la fusion jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Le président et les vice-présidents sont ceux de l’ancien EPCI auquel la loi a confié le plus de compétences, les présidents des autres EPCI devenant vice-présidents surnuméraires. Les actes et délibérations des anciens EPCI demeurent applicables, dans le champ d’application qui était le leur avant la fusion.

En cas de vacance du siège de président, l’élu chargé provisoirement des fonctions de président conserve ces fonctions (art. 2 de l’ordonnance n° 2020-413 du 8 avril 2020), le conseil n’ayant pas à élire son président dans le mois suivant la constatation de la vacance. Mais cet élu devra convoquer l’organe délibérant afin de procéder aux élections nécessaires dans le délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Enfin, sur amendement du Sénat, le mandat des représentants d’une commune, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte fermé au sein d’organismes de droit public (syndicats, établissements publics) ou de droit privé (SEM, SPL) est prorogé jusqu’à ce que l’organe délibérant soit en mesure de se réunir pour désigner leurs remplaçants.

L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 donne délégation aux présidents d’EPCI et de syndicat mixte, notamment, pour le vote du budget et de la fixation des taux ou tarifs des taxes ou redevances, pour l’approbation du compte administratif, pour modifier les conditions initiales de composition, de fonctionnement et de durée de l’établissement public, pour réaliser des lignes de trésorerie dans la limite de 15 % des dépenses réelles figurant au budget de l’exercice 2020, ou, si ce dernier n’a pas été adopté, à celui de l’exercice 2019 De la délégation de la gestion d’un service public ;

L’article 9 dispose que les syndicats compétents en matière d’eau, d’assainissement, de gestion des eaux pluviales urbaines existant au 1er janvier 2019 et inclus en totalité dans le périmètre d’une communauté de communes ou d’agglomération exerçant une de ces compétences ou l’une d’entre elles, sont maintenus non pas six mais neuf mois suivant la prise de compétence. Le syndicat exerce, sur son périmètre, ses attributions pour le compte de l’EPCI. Si une commune a demandé avant le 31 mars à bénéficier d’une délégation d’une de ces compétences, la communauté de communes ou d’agglomération dispose de six mois pour y statuer. / Enfin, le transfert aux EPCI de la compétence communale d’organisation de la mobilité devra être délibéré avant le 31 mars 2021 au lieu du 31 décembre 2020.

2.2 Les mesures d’adaptation du droit à la crise sanitaire

La loi du 23 mars prévoit de très nombreuses mesures d’adaptation du droit à la situation de crise sanitaire. Cela passe notamment par des habilitations du Gouvernement à prendre pas moins de quarante-trois ordonnances ! Notons que sur amendement du Gouvernement, les projets d’ordonnance sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire. Chacune doit être ratifiée dans un délai de deux mois à compter de sa publication. Selon l’article 14 de la loi, les précédentes habilitations à légiférer par ordonnances sont prolongés de quatre mois, tout comme les délais pour déposer les projets de loi de ratification d’ordonnances déjà publiées.

Le Sénat avait voté un droit d’information du Parlement sur l’ensemble des actes du Gouvernement, qu’ils fussent pris à titre réglementaire ou en vertu de la loi. Or le Gouvernement a estimé que ce contrôle serait trop rigide, de nature à faire perdre du temps à l’administration. Aussi, le contrôle parlementaire a été restreint aux seules mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Notons enfin qu’en vertu de l’article 22 de la loi, la durée des commissions d’enquête parlementaire est portée à huit mois, sans que leur mission puisse se poursuivre au-delà du 30 septembre 2020.

2.2.1. Mesures juridictionnelles

La loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 suspend jusqu’au 30 juin 2020 le délai impératif de trois mois laissé au Conseil d’Etat et la Cour de cassation pour se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité avant leur dessaisissement au profit du Conseil constitutionnel (art. 23‑4 et 23‑5 de l’ordonnance n° 58‑1067 du 7 novembre 1958). Elle suspend également le délai indicatif de trois mois dont le Conseil constitutionnel dispose pour statuer (art. 23‑10). Cette loi n’a fait l’objet d’aucune remarque du Conseil d’Etat et d’à peu près aucune discussion au Parlement. Le but était évidemment d’éviter que le Conseil constitutionnel doit submergé de questions transmises automatiquement en raison de la paralysie du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. La loi a été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel (CC n° 2020-799 DC du 26 mars 2020). A l’évidence, cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution selon lequel, si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l’article 45, le projet de loi ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt. Le Conseil constitutionnel estime cependant qu’au vu de l’urgence, il ne saurait y avoir vice de procédure. Mais cette loi semble donner comme une immunité juridictionnelle à la loi du 23 mars et il aurait assurément été opportun que la QPC demeure possible contre les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire qui peuvent porter d’importantes atteintes aux droits et libertés. Certes, la loi n’interdit pas qu’il soit statué sur une question prioritaire de constitutionnalité durant les deux mois de l’état d’urgence sanitaire, mais il probable que les questions de constitutionnalité ne seront plus aussi prioritaires et attendront la fin de cette période. Cela peut constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui suppose d’être mis à même d’exercer un recours en temps utiles et d’être jugé dans les meilleurs délais (CC, 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC § 17). Le Conseil constitutionnel a jugé le contraire…

La justice a dû très vite s’adapter à la crise sanitaire. La circulaire de la garde des Sceaux relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions du 14 mars 2019 a conduit les juridictions à restreindre leurs activités aux contentieux les plus urgents. L’article 11 I 2° de la loi du 23 mars habilite de plus le Gouvernement à prendre des mesures adaptant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions (voir l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relatif à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures qui reporte divers délais et dates d’échéance à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire). Il peut adapter, aux fins de limiter la propagation de l’épidémie parmi les personnes participant aux audiences, modifier les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence, aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire.

Par exemple, selon l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, les délais de recours expirant entre le 12 mars 2020 et un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire recommenceront à courir à compter de la fin de cette période pour leur durée initiale, dans la limite de deux mois. De même, les délais de recours contre les obligations de quitter le territoire français sans mise en rétention (ainsi que les décisions de délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi, d’assignation ou interdisant de retour sur le territoire français dont elles sont assorties), les décisions de transferts asile sans mise en rétention et les recours devant la Cour nationale du droit d’asile recommenceront à courir dès la fin de l’état d’urgence sanitaire pour leur durée initiale. Le délai de recours contre les résultats du 1er tour des élections municipales est prorogé jusqu’au cinquième jour à dix-huit heures qui suivra la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour. Les délais impartis aux parties par un texte ou une mesure d’instruction pour produire un mémoire ou une pièce et expirant entre le 12 mars 2020 et un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire seront prorogés de plein droit de deux mois après la fin de cette période. A noter qu’en matière d’urbanisme, les délais de recours ne sont pas reportés mais seulement suspendus le temps de l’état d’urgence sanitaire mais doivent durer au moins sept jours après la fin de cette période (art. 12 bis de l’ordonnance n° 2020-306).

Les clôtures d’instruction intervenant entre le 12 mars 2020 et la cessation de l’état d’urgence sanitaire sont reportées de plein droit d’un mois après la fin de l’état d’urgence. Toutefois, le juge peut, lorsque l’urgence ou l’état de l’affaire le justifie, fixer un délai de production plus court ou une date de clôture d’instruction antérieure (art. 16 issu de l’ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020). Selon l’article 17, les délais impartis au juge pour statuer ayant couru pendant la période allant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire sont reportés jusqu’au 1er jour du 2ème mois suivant la cessation de l’état d’urgence. Les formations de jugement pourront être complétées en cas de besoin par un magistrat d’une autre juridiction ou un magistrat honoraire. Les articles 6 à 9 permettent de tenir des audiences hors présence du public, par communication audiovisuelle ou téléphonique, la présence physique de l’avocat aux côtés de son client n’étant pas requise. Le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public de prononcer des conclusions à l’audience. Il est enfin possible de statuer sans audience sur tous les référés après information des parties et fixation d’une date de clôture d’instruction (pour l’ordre judiciaire, voir l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale). Ces mesures d’adaptation ont été jugées nécessaires par le Conseil d’Etat (CE, ord. du 10 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439903).

En matière pénale, le Gouvernement pourra modifier les règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat. La durée de la détention provisoire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique pourra être prolongée afin d’éviter que ces mesures de sureté n’arrivent à leur terme avant que l’audience de jugement n’ait pu être organisée. Ces prolongations jusqu’à deux pour les délits et jusqu’à six mois pour les procédures criminelles (art. 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020) ont été jugées justifiées (CE, ord. du 3 avril 2020, Syndicat des avocats de France, n° 439894). Cette durée supplémentaire ne pourrait excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle. La prolongation de ces mesures par le juge des libertés et de la détention se fera au terme d’une procédure écrite au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat (voir l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale).

Enfin le Gouvernement peut assouplir les modalités d’affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires (art. 714 et 717 du code de procédure pénale), ainsi que les modalités d’exécution des fins de peine. Il peut aménager les règles relatives à l’exécution des mesures de placement et autres mesures éducatives prises en application de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Notons que le Conseil d’Etat a estimé que le Gouvernement prenait déjà les mesures nécessaires à la sécurité sanitaire en prison et que le juge n’avait pas à lui imposer de distribuer masques et gels aux personnels pénitentiaires ou aux détenus, de faire pratiquer des dépistages systématiques sur les détenus ou d’amplifier les mesures de libération anticipée (CE, ord. du 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière, n° 439821 ; CE, ord. du 8 avril 2020, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 439827). Les juges des enfants seraient autorisés à prolonger les mesures de placement ou les mesures éducatives en milieu ouvert sans la tenue d’une audience afin d’assurer la continuité de la prise en charge éducative.

2.2.2. Mesures administratives

2.2.2.1. Départements, Régions et établissements publics

En cas de vacance du siège de président d’une collectivité territoriale, l’élu chargé provisoirement des fonctions de président conserve ces fonctions (art. 2 de l’ordonnance n° 2020-413 du 8 avril 2020), le conseil n’ayant pas à élire son président dans le mois suivant la constatation de la vacance. Mais cet élu devra convoquer l’organe délibérant afin de procéder aux élections nécessaires dans le délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. En cas de vacances de sièges de conseillers départementaux intervenues à compter de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, il est procédé à une élection partielle dans les quatre mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire (art. 4).

L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 donne délégation aux présidents du conseil départemental et aux présidents du conseil régional, notamment, pour arrêter et modifier l’affectation des propriétés de la collectivité, créer, modifier ou supprimer les régies comptables, aliéner de gré à gré les biens mobiliers jusqu’à 4 600 euros, réaliser des lignes de trésorerie dans la limite de 15 % des dépenses réelles figurant au budget de l’exercice 2020, ou, si ce dernier n’a pas été adopté, à celui de l’exercice 2019, demander l’attribution de subventions, déposer des demandes d’autorisations d’urbanisme, intenter au nom de la collectivité les actions en justice ou la défendre, pour la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés public. Elle donne de plus délégation aux présidents du conseil départemental pour fixer les tarifs des droits de voirie, fixer les reprises d’alignement, exercer les droits de préemption, attribuer ou retirer les bourses, prendre toute décision relative au fonds de solidarité pour le logement et attribuer des subventions aux associations et garantir les emprunts. Elle donne enfin délégation aux présidents du conseil régional pour l’attribution et à la mise en œuvre des subventions liées à la gestion des fonds européens dont la région est l’autorité de gestion. Le président du conseil régional peut subdéléguer ces compétences. En outre, l’ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales permet aux présidents du conseil régional, dans la limite des crédits ouverts au titre des aides aux entreprises, prendre toute décision d’octroi des aides relevant d’un régime d’aides préalablement défini par le conseil régional, dans la limite, fixée par l’article 10 de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 fait passer à 200 000.

Selon la loi, le fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives, y compris les organes dirigeants des autorités administratives ou publiques indépendantes, sera adapté en permettant notamment la tenue des réunions dématérialisées ou le recours à la visioconférence. Les établissements de santé, au vu des charges découlant de la prise en charge des patients affectés par l’épidémie de covid-19, pourront déroger à leurs règles de financement. L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-428 du 15 avril 2020 les dispense ainsi de la certification de leurs comptes pour l’exercice 2019. Le directeur de l’établissement peut engager, liquider et mandater toute dépense nécessaire au fonctionnement de l’établissement, entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, même au-delà du montant des crédits prévus à l’état prévisionnel des recettes et des dépenses.

2.2.2.2. Procédures et autorisations administratives

L’article 11 I 2° de la loi du 23 mars 2020 autorise le Gouvernement à adapter par ordonnances les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives. De même les délais et les modalités des procédures consultatives (consultation du public, sollicitation d’avis) et les délais d’intervention des décisions qui en résultent pourront être aménagés. Pourront également être reportés les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, mais non ceux résultant d’une décision de justice. Ainsi, selon l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 reporte les délais d’instruction administratifs à un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire, sauf en matière d’autorisation d’urbanisme (art. 12 ter) et de préemption (art. 12 quater) où le délai reprend dès la fin de l’état d’urgence.

L’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 modifie la durée de suspension des délais pour la consultation ou la participation du public, sauf pour les projets relatifs aux Jeux Olympiques de 2024 (art. 12 quinquies). Ces délais sont suspendus jusqu’à l’expiration d’une période de sept jours suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. De même, les délais d’enquête publique sont reportés, mais l’autorité publique peut décider de l’organiser par des moyens électroniques dématérialisés (art. 12). A l’inverse, les délais applicables aux appels à projets des personnes publiques donnant lieu à une aide publique sont maintenus (art. 2 11°).

L’article 8 suspend les délais dans lesquels les personnes publiques et privées doivent réaliser des travaux et des contrôles ou se conformer à des prescriptions de toute nature, mais l’autorité administrative peut y déroger en fixant un délai exigé par l’intérêt général.

L’article 16 de la loi autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance et dans le délai d’un mois toute mesure afin de prolonger la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de cent quatre-vingts jours (voir l’ordonnance n° 2020-328 du 25 mars 2020 portant prolongation de la durée de validité des documents de séjour). Un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance. Le Conseil d’Etat a par ailleurs jugé que les centres de rétention administratives peuvent rester ouverts dans le respect des consignes générales qui ont été données dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19 (gestes barrières, distanciation sociale et donc faible taux d’occupation, prise en charge médicale en cas de symptômes), les éloignements du territoire national restant possibles (CE, ord. du 27 mars 2020, GISTI, n° 439720). Le juge a cependant ordonné la fermeture du centre de rétention de Vincennes qui avait fini par constitué un foyer de contamination (TA Paris, ord. du 15 avril 2020, n° 2006287).

2.2.2.3. Contrats administratifs

L’article 11, 1°, f habilite le Gouvernement à adapter les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation prévues par le code de la commande publique. Toutefois, « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » (CC n° 2007-556 DC du 16 août 2007, cons. 17 et, dans le même sens, CE, Ass, 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d’Olivet, n° 271737). L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 limite donc ces adaptations aux contrats publics en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire et les autorités contractantes devront justifier que leur mise en œuvre est nécessaire dans le cadre de la crise sanitaire (art. 1).

Dans ce cas, les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés (art. 2), l’autorité contractante peut aménager les modalités de la concurrence prévues par les documents de consultation dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats (art. 3), les contrats peuvent être prolongés par avenant jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (art. 4). De même, un avenant peut modifier les conditions de versement de l’avance et porter son taux à un montant supérieur à 60 % du montant du marché (art. 5).

Le titulaire, qui ne peut pas respecter les délais d’exécution en raison de difficultés liées à la crise sanitaire, peut demander un report des délais qui doit être accordé par l’autorité contractante. Les retards ou inexécutions en raison de difficultés liées à la crise sanitaire ne peuvent faire l’objet de pénalités, de sanctions coercitives (marchés de substitution) ou d’une résiliation-sanction (art. 6). L’ordonnance encadre en outre les relations financières en cas de suspension du contrat. Enfin, pour ne pas avoir à suspendre une concession, l’autorité concédante peut la modifier unilatéralement, le concessionnaire ayant alors droit à une indemnité destinée à compenser, au moins partiellement, son surcoût, ce qui pourrait donc modifier l’équilibre financier du contrat.

2.2.2.4. Divers

Les modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur (notamment le système Parcoursup auquel il fallait s’inscrire avant le 2 avril et dont la phase d’admission doit débuter le 19 mai), les modalités de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur ou les modalités de déroulement des concours ou examens d’accès à la fonction publique seront adaptés (voir l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours). Pour les universités, l’article 15 de la loi prolonge les mandats, échus depuis le 15 mars 2020 ou qui viendraient à l’être avant le 31 juillet 2020, des présidents, directeurs ou chefs des établissements relevant du titre Ier du livre VII du code de l’éducation ainsi que ceux des membres des conseils de ces établissements jusqu’à une date fixée par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur au plus tard au 1er janvier 2021.

En matière de fonction publique, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 complétée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, les délais d’accès à la fonction publique et des procédures de mutations, détachements, mises à dispositions ou autres affectations sont maintenus (art. 1er 3° bis), tout comme les délais applicables aux procédures en matière de rupture conventionnelle dans la fonction publique (art. 5). L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 impose un congé aux fonctionnaires et aux agents contractuels de droit public de la fonction publique de l’Etat en autorisation spéciale d’absence, à l’exception des enseignants (art. 6), de cinq jours de réduction du temps de travail entre le 16 mars 2020 et le 16 avril 2020 (y compris ceux épargnés sur le compte épargne temps) et de cinq autres jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels entre le 17 avril 2020 et le terme de l’état d’urgence sanitaire. L’article 2 permet d’imposer aux agents placés en télétravail de prendre cinq jours de réduction du temps de travail ou, à défaut, de congés annuels.

Enfin, l’article. 11 I 1° h) permet de déroger aux dispositions de l’article 60 de la loi n° 63‑156 du 23 février 1963 relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics (voir l’ordonnance n° 2020-326 du 25 mars 2020). Notons par ailleurs que les règles funéraires sont adaptées par le décret n° 2020-352 du 27 mars 2020.

On le voit, la loi du 23 mars 2020 est une loi d’exception qui se concrétise dans de nombreuses ordonnances. Demeure la question de la durée d’application de ces mesures d’adaptation. La ministre du travail a assuré devant l’Assemblée qu’elle serait limitée à la durée de la crise sanitaire, ce qui reste imprécis : prendra-t-elle fin avec l’état d’urgence sanitaire ou se prolongera-t-elle jusqu’à totale disparition de la crise ? Aucune assurance n’est donnée dans la loi. Or cela est d’importance, car ce droit d’exception concerne aussi bien les administrations, la justice, que l’économie et le social avec des dérogations majeures au droit commun. En attendant, cette crise exige pour tous les Français des sacrifices, plus ou moins importants, parfois jusqu’à la vie même.

« La seule façon de mettre les gens ensemble, c’est encore de leur envoyer la peste. » écrit Camus. Le Covid-19 nécessite notre solidarité et doit nous unir. Il ne reste qu’à espérer, comme le faisait Apollinaire dans les tranchées : « Jamais les crépuscules / Ne Vaincront les aurores / Etonnons-nous des soirs / Mais vivons les matins ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Jobart Jean-Charles, « Un nouveau droit d’exception :
l’état d’urgence sanitaire créé et déclaré »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Actions & réactions au Covid-19 ; Art. 296.

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