Le droit italien et la réponse au terrorisme

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Le droit italien et la réponse au terrorisme

par Giacomo ROMA,
doctorant en droit public, comparé et international – Université de Rome « La Sapienza »

Le droit italien et la réponse au terrorisme

Art. 30. L’Italie a connu le terrorisme bien avant le fondamentalisme islamique qui a semé la terreur à Paris en 2015 et a conduit à la proclamation de l’état d’urgence. Dans les années 70, le pays était secoué par la lutte armée qui était mené par des groupes d’extrémistes « rouges » et « noires ». L’Etat craignait qu’il n’y fût un lien entre les mouvements sociaux qui, comme en France, avaient éclaté en 1968 et qui ont connu un autre moment fort en 1977, d’une part, et les groupes qui prônaient la lutte armée, tels que les Brigades rouges, d’autre part. A cette époque-là, comme de nos temps, des lois ont été adoptées pour lutter contre le terrorisme.

La législation des années 70 (I) peut être considérée l’ancêtre des lois les plus récentes en matière de terrorisme (II).

La réponse italienne au terrorisme des années 70

En 1975, une loi contenant des dispositions très restrictives pour le maintien de l’ordre public fût promulguée (loi n° 152 du 22 mai 1975, dite « loi Reale » du nom du garde des sceaux de l’époque). Il ne s’agissait pas d’une loi prévoyant l’état d’urgence au sens du droit français, mais elle a introduit des dispositifs tellement sévères par rapport aux libertés publiques qu’ils ont été en partie abandonnés dans les années suivantes et ont permis de considérer cette législation comme une législation d’exception. Il est à noter que la loi Reale a été soumise à referendum en 1978, mais son abrogation a été rejetée à 76,5% des suffrages exprimés bien que qu’elle fût fortement restrictive des libertés individuelles.

Cette loi contenait essentiellement deux volets : d’une part, elle s’intéressait au maintien de l’ordre public pendant les manifestations ; d’autre part, elle introduisait des modifications à la procédure pénale, pour renforcer les pouvoirs de la police judiciaire et permettre un déroulement rapide des procès dans lesquels étaient impliquées des personnes soupçonnées de porter atteinte à l’ordre public.

En ce qui concerne le maintien de l’ordre public lors de manifestations et rassemblements, la loi permettait aux forces de l’ordre d’utiliser leurs armes à feu lorsque cela était nécessaire pour le maintien de l’ordre public. Cela était accompagné d’une garantie particulièrement forte sur le plan procédural, car les procès faits aux policiers en lien avec l’utilisation qu’ils avaient faite des armes à feu suivaient un parcours particulier, avec une compétence spéciale du procureur général de la cour d’appel. Il s’agit du volet le plus controversé de la loi Reale, car après l’entrée en vigueur de cette loi 254 personnes ont été tuées dans des affrontements avec les forces de l’ordre, une minorité d’entre eux seulement possédant une arme à feu (source : http://www.ecn.org/lucarossi/625/625/). En outre, la loi introduisait l’interdiction du port du casque ou d’autres éléments qui rendaient difficile l’identification des individus. La loi a aussi introduit la possibilité de juger en comparution immédiate les personnes à la charge desquelles étaient mises les infractions aux règles pour l’organisation des manifestations, en ce qui concerne notamment l’obligation de donner un préavis aux autorités de police pour les rassemblements organisés sur la voie publique, et à l’ordre de mettre fin à un rassemblement en présence d’une menace à l’ordre public. La même possibilité était étendue aux cas de menaces aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

Du point de vue des pouvoirs de la police en relation avec une enquête pénale, elle autorisait la police à placer un suspect en garde à vue pour quatre jours avant l’examen de la part du juge, même en absence de flagrant délit, lorsqu’il y avait un risque de fuite – le régime italien de la garde à vue est pour le reste beaucoup moins restrictif de celui qui existe en France. La garde à vue devait être immédiatement communiquée au parquet, la police disposant d’un délai de quarante-huit heures pour communiquer les motifs et les résultats de l’enquête sommaire qu’elle avait pu mener. Dans les quarante-huit heures suivantes le parquet devait examiner le cas. En outre, la police était autorisée à effectuer des perquisitions pour vérifier si des personnes « dont l’attitude ou la présence dans certains lieux, par rapports à des circonstances spécifiques de temps et de lieu n’apparaissaient pas justifiées » détenaient des armes à feu ou d’autres objets susceptibles d’être utilisés dans la commission d’un délit.

La réponse italienne au terrorisme international

Après la période relativement calme que l’Italie a connu à partir des années 80, le retour du terrorisme a conduit à l’adoption d’une loi portant diverses mesures contre le terrorisme en 2015 (décret-loi n° 7 du 18 février 2015, ratifié par la loi n° 43 du 17 avril 2015). Elle contient de nombreuses dispositions visant à lutter contre le terrorisme international, mais elle ne se présente pas comme une loi d’exception à proprement parler. Elle s’intéresse notamment aux formes qui sont propres du terrorisme islamique, à savoir les combattants étrangers qui se rendent au Moyen Orient pour rejoindre des groupes extrémistes (foreign fighters) et le prosélytisme via le web.

La loi prévoit, néanmoins, certains dispositifs qui s’appliquent de façon temporaire : cela témoigne du caractère exceptionnel (ou expérimental ?) des mesures et peut conduire à penser que, même si en Italie il n’existe pas un véritable régime de l’état d’urgence, certaines décisions peuvent être prises de façon extraordinaire en s’appuyant sur la nécessité de lutter contre la menace terroriste.

En particulier, il est prévu que dans les enquêtes sur le terrorisme, les listes des appels et les données relatives aux connexions informatiques peuvent être conservées jusqu’au 31 décembre 2016, alors que normalement des délais plus courts sont prévus dans le cadre de la procédure pénale. La même échéance est fixée concernant les appels en absence relevés par les compagnies téléphoniques.

Jusqu’au 31 janvier 2016 également, les services de renseignement sont autorisés à s’entretenir en prison avec les détenus lorsque cela est nécessaire pour la prévention d’attentats liés au terrorisme international. Il est nécessaire d’informer du déroulement de ces entretiens le procureur général de la cour d’appel de Rome et le chef du parquet national en matière de lutte contre la criminalité organisée, dont les compétences ont été étendues au terrorisme (Procura nazionale antimafia e antiterrorismo). Une fois que l’activité des services de renseignement est terminée, il faut informer la commission parlementaire compétente (Comitato parlamentare per la sicurezza della Repubblica) et le même chef du parquet national spécialisé. La loi prévoit, en outre, un mécanisme pour protéger les agents des services de renseignement vis-à-vis des procédures pénales qui pourraient être engagées à leur encontre : ils sont autorisés à commettre des actes qui sont généralement qualifiés d’infraction sur le plan pénal, lorsque cela est lié à la prévention d’actes de terrorisme et peuvent utiliser, lorsqu’ils sont appelés à témoigner dans une procédure pénale, le nom qui leur avait été donné à l’occasion d’opérations sous couverture.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 01 « Etat d’urgence » (dir. Andriantsimbazovina, Francos, Schmitz & Touzeil-Divina) ; Art. 30.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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