1982-2022 ou 40 nuances de décentralisation

ParJDA

1982-2022 ou 40 nuances de décentralisation

Art. 406.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

(c) Acteurs publics

Michel Verpeaux
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Sorbonne

Nous étions le 2 mars 2022. Quarante personnes étaient réunies dans un hôtel plus ou moins luxueux d’une ville de France où s’était tenu un colloque de l’Association française de droit des collectivités locales. Étaient présents des élus, surtout locaux, des journalistes spécialisés, des hauts fonctionnaires, notamment des préfets, des universitaires et bien entendu, des citoyens et des électeurs. Ils étaient rassemblés, tout en respectant les fameux gestes barrière en vigueur depuis deux ans, pour célébrer les quarante ans de la décentralisation, née officiellement le 2 mars 1982. Chacun voulait non seulement donner son avis mais indiquer aussi ce qui, à ses yeux, constitue l’événement le plus important survenu au cours de ces quarante années, ce qui n’interdisait pas des réponses communes à plusieurs intervenants. Pour respecter la vie privée de chacun, ils ne seront pas désignés par leurs noms, mais de manière anonyme comme dans les décisions de justice « modernes ».

La discussion s’est très vite enflammée, entre ceux pour qui ces quarante années n’avaient presque rien changé et ceux qui estimaient que, sur ce sujet et pour paraphraser un ancien ministre en fonction en 1982, « la France est passée de l’ombre à la lumière » à partir de cette date.

Pour la première personne qui prit la parole, la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions a été une sorte de nuit du 4 août 1789, provoquant l’irréparable, c’est-à-dire un impossible retour en arrière. Il ne s’agissait certes plus de l’abolition des privilèges mais de provoquer et de consacrer trois évolutions majeures ou, si l’on préfère, trois révolutions. Cet intervenant a eu bien sûr le beau rôle en s’exprimant le premier. Ces trois bouleversements, furent à ses yeux, la fin des tutelles, le transfert de la fonction exécutive dans les départements et les régions, et la régionalisation enfin réalisée.

Pas du tout, dit la seconde personne, il n’y eut rien de vraiment neuf dans ces innovations ! La loi du 31 décembre 1970 sur la gestion municipale et les libertés communales avait déjà supprimé l’essentiel des tutelles. En outre, la loi du 22 juillet 1982 est venue corriger, du fait de la décision du Conseil constitutionnel, celle du 2 mars 1982 en remettant en vigueur l’obligation de transmission des actes au représentant de l’État. Seule la régionalisation trouvait un peu grâce à ses yeux, même si elle est venue compliquer le paysage administratif et ajouter un échelon dans ce qui n’était pas encore qualifié, en 1982, de mille-feuille territorial. La création des grandes régions en 2015 est venue, en outre, renforcer des baronnies en tuant toute forme d’identité régionale. Pensons au cas alsacien, dit cette personne !  

La mention de la décision du Conseil constitutionnel a fait réagir une autre personne (femme ou homme puisque, en définitive, ce terme est neutre). Dans sa décision du 25 février 1982, ses décisions devrait-on dire, car il ne faut pas oublier celle du même jour relative à la Corse, le Conseil a ouvert la porte à une nouvelle discipline, le droit constitutionnel des collectivités territoriales. Désormais, les lois importantes peuvent être, et ont été, soumises au contrôle a priori du Conseil qui a utilisé les quelques principes constitutionnels à sa disposition pour confronter les lois, organiques comme ordinaires, à la Constitution. De ce fait, le législateur n’est plus libre de décider discrétionnairement et il peut voir son œuvre censurée. Ce mouvement s’est prolongé avec le contrôle a posteriori, depuis 2010, qui permet de considérer la libre administration comme un droit ou une liberté constitutionnellement garantis, au même titre que la liberté d’expression ou le droit de propriété. Quel progrès !

Certes, concède le troisième, mais la jurisprudence est restée bien timide et les censures, ou les abrogations du fait de Qpc, sont trop peu nombreuses et font peu de cas des libertés locales en privilégiant le rôle de l’État. Dans certains cas, le Conseil constitutionnel a même freiné des évolutions jugées parfois indispensables par certains acteurs, comme outre-mer, avec la décision n°82-147 DC du 2 décembre 1982 dite Assemblée unique.

Pour cet intervenant, la date essentielle, ce fut le 28 mars 2003 avec la promulgation de la loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République. Ah oui, dit-il (elle) cela ce fut un véritable tournant. Pour la première fois, la décentralisation est entrée dans la Constitution et pas n’importe où, à l’article 1er, juste après l’affirmation du principe d’unité et d’indivisibilité de la République ! Cette loi constitutionnelle, continue-t-il (elle) de s’enthousiasmer, a consacré l’expérimentation normative par les collectivités territoriales, le référendum local et le principe de subsidiarité.

Oui, oui, sembla douter un(e) autre participant (e). Mais pour ce qui en est résulté ! Que ce soit du fait du législateur ou du juge constitutionnel, aucun changement majeur n’est intervenu depuis cette révision. Le seul aspect positif, à ses yeux, ce fut le déverrouillage des statuts ultramarins qui a permis des évolutions majeures pour ces collectivités et de sortir du moule uniformisateur existant depuis 1946. Sans cela, en effet, fut-elle (il) obligé(e) de concéder, pas de départementalisation à Mayotte, pas de statut de large autonomie en Polynésie française, pas de statuts particuliers en Guyane et en Martinique.

Vous semblez oublier un élément essentiel reprit quelqu’un d’autre en sautant sur sa chaise comme un cabris : la codification vous dis-je ! La codification ! Pensez que, jusqu’à 1996, il n’existait qu’un « petit » Code des communes, rien sur les départements. Enfin un document unique, facile d’accès et regroupant tous les textes intéressant les collectivités et même ceux concernant les diverses formes de coopération locale. Quelle avancée en termes d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi !


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 406.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.