Archive annuelle 3 décembre 2024

ParJDA

Le zombi au tribunal : une analyse de la situation anthropo-juridique de la zombification en Haïti

Art. 423.

à la suite d’une première étude (cf. ICI) – par les mêmes auteurs – le JDA est heureux de vous présenter ci-dessous le second article suivant :

Jean Renel SENATUS
Doctorant  en Droit (Laboratoire DANTE, UVSQ, Université Paris Saclay,
France & Laboratoire  LASEJ de  l’Université  d’Etat d’Haïti)
senatusjnrenel@yahoo.fr

Philippe CHARLIER,
(Laboratoire LAAB, UVSQ, France & Département d’épidémiologie
/ santé publique, APHP, Garches, France)

Résumé : Dans cet article, il sera question de saisir la personnalité juridique du zombi dont le statut légal et social est ignoré par la société. Dépouillé de tout privilège nécessaire à son humanité, le zombi fait face au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes et est devenu une espèce vivante à ressemblance humaine, vivant en marge de la loi et de la société. L’existence du zombi remet en question l’équilibre du droit et de la justice puisque le phénomène dont il est le produit ébranle les théories qui s’opposent aux réalités du mort-vivant. Dès lors, le droit positif par le biais du tribunal se doit de restituer à cet individu la pleine et entière jouissance de ses droits et prérogatives essentiels à son humanité volée et la restitution ou le rétablissement de ses patrimoines distraits.

Mots clés : zombi, zombification, esclave, tribunal, vodou, traite des personnes

Abstract: In this article, we will discuss the legal personality of the zombie, whose legal and social status is ignored by society. Stripped of all the privileges necessary for his humanity, the zombie faces the principle of the unavailability of the state of persons and has become a living species in human likeness, living and marginalized by the law and society.

The existence of the zombie calls into question the balance of law and justice, in the sense that the phenomenon of zombification of which it is the product undermines the prevailing theories in force that oppose the realities of the living dead. Therefore, positive law, through the court, must restore to this individual the full and complete enjoyment of his rights and prerogatives essential to his stolen humanity and the restitution or recovery of his distracted patrimony.

Keywords: zombie, zombification, slave, court, voodoo, human trafficking

« De nos jours, mieux vaut être un papier sans homme qu’un homme sans papier »

René De Obaldia

Depuis plus d’un siècle, la zombification a préoccupé beaucoup de curieux, artistes et chercheurs de tous bords, à commencer par les disciplines de l’anthropologie, de l’ethnologie et de l’histoire des religions. Ce phénomène, métaphore moderne de l’aliénation servile et de l’oppression, est devenu populaire à la faveur de l’occupation américaine de 1915 en Haïti ; il a nourri sans cesse l’imagination des opérateurs culturels et des cinéastes en Occident qui soutiennent l’idée selon laquelle le zombi est un monstre, une créature anthropophage qui vit de la chair et du sang humains. Plusieurs milliers de films ont été réalisés (notamment à Hollywood) autour de cette réalité, à leurs yeux, étrange et sensationnelle. Certains traitent de son origine et ses liens avec le vodou, d’autres ont privilégié sa dimension politique. Ainsi, de nombreux films comme White Zombie, Walking Dead, I am a legend exhibent et mettent en vedette des personnages incarnant la « figure du vrai zombi ». Par ailleurs, des institutions telles que Zombies Society et Zombies Media Database (ZMBD) ont été créées afin de débusquer la vérité sur ce phénomène par-delà les fantasmes que celui-ci n’a cessé d’alimenter dans la conscience collective. Des observateurs arrivent même à croire que la terminologie ‘zombi’ figure parmi celles les plus utilisées du monde cinématographique puisqu’elle met à l’honneur la fiction, la monstruosité, l’inimaginable et les installe, avec aisance dans le réel. Pour l’Occident, la zombification et ses manifestations ne sont que l’expression de la fiction. En un mot, un mythe, au même titre que le folklore ou les légendes urbaines.

Alors qu’il est relégué au rang de fiction et de fantasme par les artistes écrivains, peintres, cinéastes occidentaux, l’existence du zombi est établie par des anthropologues et des médecins qui travaillent sur le sujet tant sur le terrain qu’en laboratoire depuis une cinquantaine d’années. Ces recherches ont pu fournir des éclairages intéressants dans la compréhension du phénomène producteur de cet être, la zombification.

En effet, pour le sociologue haïtien Laёnnec Hurbon, la zombification est « sceptique et a-réaliste »[1]. Alors que pour les anthropologues canadien et français Wade Davis, Franck Dégoul (et nous-même) qui, tour à tour, ont et avons entrepris des missions scientifiques sur ce phénomène en Haïti, cet ensemble de recherches a révélé que le zombi existe bel et bien. Ce zombi, différent de celui du cinéma, est fait de chair, d’os et de sang, prend forme humaine, d’où son appartenance incontestable à l’humanité. Cette espèce humaine, suivant les données ethnographiques recueillies, rentre dans la catégorie des esclaves modernes, non pris en compte par la législation locale haïtienne et encore moins par les conventions internationales de protection des droits de l’homme auxquelles Haïti est partie prenante.

D’un autre côté, les travaux anthropologiques sur cette thématique (à commencer par ceux d’Alfred Métraux[2], puis d’autres plus récents) affirment que les zombis ne sont autres que des individus dont le décès a été dûment constaté, qui ont été ensevelis au vu et au su de tous, et que l’on retrouve plus tard chez un bòkò (bokor) dans un état voisin de « l’idiotie » ou « hébétude » (parfois induite par des privations de nourriture, par un usage de drogues/médicaments, ou en raison de séquelles liées à l’usage de poisons au moment de l’induction de la zombification elle-même), travaillant sans volonté pour le compte de son désormais maitre : « le zombi originaire d’Haïti, est un corps sans âme, un individu bien vivant qui, soit parce qu’il a fait du mal à la société (viol, vol, vente d’un terrain qui ne lui appartient pas, etc.), soit parce qu’il est victime de pratiques de sorcellerie, a été mis en état de mort sociale. Être zombi, c’est une mort sociale, pas biologique »[3].

Le zombi est donc vu comme un être humain qui, théoriquement, a été « réanimé » après avoir été mort et enterré (il s’agit d’une mort factice, un « état de mort apparente », et le rituel est plus religieux et spirituel que véritablement médical ou biologique). « Ces êtres humains, officiellement rayés de la liste des vivants, constituent (…) une main-d’œuvre gratuite. On les utilise surtout dans les travaux domestiques et agricoles. On comprendra Lionel Obadia qui, analysant la figure zombie présentée par l’Occident par rapport aux réalités d’existence de cet être, eut à déclarer : ‘Plus qu’un monstre, le zombie est aussi un symbole, qui dit quelque chose de la condition humaine. À ce titre, il a plusieurs « vies » : celle, matérielle, des livres et des écrans (ou des manifestations de rue), où il se manifeste sous une forme concrète, et celle, abstraite, de l’espace de réflexion qui se constitue autour de lui’ »[4].

Le « corps sans âme » de cet être décrit précédemment constitue un cadavre-vivant ambulant, dépouillé de toute volonté ou de conscience, désignant le zombi haïtien, identifiable à partir de son regard vide, hagard et caractérisé par gestes maladroits, répétitifs et des expressions mono ou bisyllabiques, nasillard, automate, privé de ses libertés individuelles et qui ne cesse de vivre au profit de son maitre qui exerce sur sa personne un véritable droit de propriété.

Préoccupés par la situation lamentable et le statut d’existant/inexistant du zombi et après avoir obtenu les résultats d’une analyse médicale et psychiatrique de trois zombis frappés de troubles psychiques ou d’encéphalopathie chronique, l’anthropologue Roland Littlewood du département d’anthropologie et de psychiatrie de l’University College de Londres en Angleterre et le Dr Chavannes Douyon, de la Polyclinique Medica de Port-au-Prince, estiment8 que le zombi fait partie des sujets qui méritent la compassion et affirment que « peu de bòkò ou de médecins prétendent pouvoir ramener un zombie cadavre à son état de santé et de conscience originel »[5].

Pour sa part, l’auteur du livre « The Serpent and the Rainbow (Le serpent et l’arc-en-ciel) », l’ethnobotaniste Wade Davis, qui a mené une enquête sur la poudre zombifère, les rites vaudou et le processus de zombification en Haïti en 1982, propose un examen approfondi de ce phénomène sur le plan anthropologique afin d’explorer les pratiques de zombification en Haïti à la lumière de la croyance du vodou[6].

Quant à Zora Neale Hurston, elle a produit un récit ethnographique dans lequel elle explore les traditions religieuses afro-caribéennes, dont le vodou et les relations de ces pratiques avec les faits de la zombification vodou en Haïti et en Floride (permettant de conclure que le phénomène a largement dépassé les frontières d’Haïti)[7]. De son côté, la professeure et anthropologue Elizabeth McAlister a, dans son ouvrage Rara ! Vodou, power, and performance in Haïti and its diaspora, fait aussi une grande exploration des dimensions religieuses, politiques et sociales de la zombification en l’inscrivant dans le contexte haïtien.

D’autres spécialistes comme la journaliste Amy Wilentz, dans son ouvrage The rainy season: Haïti since Duvalier, ont aussi étudié la zombification en tant que phénomène culturel haïtien en établissant ses liens avec la politique et la religion, dont l’origine11 est prêtée tantôt au continent africain, tantôt à la « fille rebelle de l’Afrique » (Haïti)[8]. Dans la droite lignée d’un grand nombre d’anthropologues, le journaliste fait le lien entre la zombification et le passé esclavagiste d’Haïti et identifie de deux types de zombi : le zombi esprit/spirituel et le zombi matériel (ou physique) qui deviendra un esclave domestique, un travailleur agricole, ou un employé de boutique : « Il s’agit d’un phénomène du Nouveau Monde né du mélange de vieilles croyances religieuses africaines et de la douleur de l’esclavage, en particulier de l’esclavage notoirement impitoyable et de sang- froid d’Haïti, dirigé par les Français, avant l’indépendance. En Afrique, l’âme d’une personne mourante peut être volée et enfermée dans une bouteille rituelle pour une utilisation ultérieure. Mais le zombi à part entière était une progéniture très logique de l’esclavage du Nouveau Monde » (notre traduction).

Dans le cadre de cet article, nous nous pencherons sur le zombi physique, le zombi toxique ou « physico-chimique »[9], c’est-à-dire celui qui est victime du poison à base de tétrodotoxine (TTX) mêlé de toute une préparation ésotérique et spirituelle, et qui le plonge dans un état cataleptique, pseudo-thanatologique ou para-thanatologique (état de mort apparente transitoire). Nous devrions noter aussi que le « plaidoyer » ne concerne que le zombi relâché ou « marron » (pour reprendre un terme propre au contexte de l’esclavage).

Pour saisir la condition du zombi dans sa profondeur, les anthropologues recourent au croisement de données de terrain, à partir de l’observation participative, d’entretiens ethnographiques (parfois avec traducteur), de recherches documentaires et d’enquêtes in-situ incluant des entretiens avec des praticiens, des témoins ou des victimes présumées de zombification, des compilations de récits oraux historiques, d’articles de presse, de récits de voyage et d’archives « coloniales ». La situation anthropologique du zombi étant analysée, on comprendra pourquoi sa situation d’humain ignoré pointe un déséquilibre du droit au moment de la confrontation de sa réalité aux faits et théories dominantes.

Son statut de victime étant confirmé tant par les sociologues, les médecins, les anthropologues et même les journalistes, le zombi au tribunal est un justiciable ignoré dont le cas doit interpeller le système juridique. Comment le juriste ou l’avocat doit-il saisir le dossier de celui-ci au regard du droit à un recours effectif, reconnu par le droit international de l’homme ? Le zombi est-il une personne ? Si oui, quels droits est-il capable de revendiquer et par-devant quelle instance ?

Au tribunal, on peut être demandeur ou défendeur suivant le lieu où est situé son intérêt dans l’instance. L’adversaire du zombi imposera, sans nul doute, des exceptions relatives à l’indisponibilité de l’état de la personne du zombi, son incapacité à pouvoir tester en Justice et évoquera même l’idée de la preuve de l’existence de la personne de celui-ci, anéantie par un acte officiel d’état civil, c’est-à-dire l’acte de décès. Au prétoire de ce tribunal, faits et théories s’affronteront. Qui aura le dessus ?

 « Lorsqu’on découvre un fait qui s’oppose à la théorie régnante, il faut accepter le fait et abandonner la théorie », rappelait le biologiste Claude Bernard[10].

A cet égard, l’alibi de la preuve ne tient pas debout dans la mesure où l’inexistence de la preuve n’est pas une preuve de l’inexistence des faits. De Clairvius Narcisse, en passant par Medulia, Adeline Dassasse, Hermith Rubin pour arriver à Jameson Beaujan de Savanette, les faits sont incontestables dans ces individus considérés socialement comme zombis.

Ainsi, l’argumentaire développé dans cet article constituera un réquisitoire des doléances des privations juridiques du zombi et se veut une contribution en ce qu’il entend interpeller les acteurs politiques et judiciaires à se pencher sur les torts infligés à ce marginalisé de la société, à le « justiciabiliser » et ainsi contribuer à la reconnaissance et au respect des droits de la personne du zombi.

Mais d’abord, pour saisir le tribunal, il faut être soit une personne physique ou morale, dotée de capacité juridique, à cet égard, peut-on considérer le zombi est -il une personne ?

Pour être pris en compte par les dispositions de loi et des conventions internationales régissant la traite des personnes, il faut se poser la question suivante : le zombi est-il une personne ? En droit, une personne est définie comme tout être humain ou organisme susceptible d’acquérir des droits et de contracter des obligations[11]. Le dictionnaire juridique définit ce même concept ajoutant qu’il s’agit de « tout individu, homme ou femme, est une « personne », c’est-à-dire, un sujet de droits, doué de capacité et responsable »[12].

Par ailleurs, la notion de personne, issue de la psychologie et de la philosophie suivant une tradition occidentale, est perçue comme la jonction indissociable de l’âme et du corps, formant un tout doué de raison et de perfectibilité[13]. Ce tout constitué du physique et du psychique, se définit un caractère unique ou singulier. Pour le psychologue, une personne est un être social pourvu de sensibilité, avec une intelligence et une volonté proprement humaine. La personne est donc un être humain, sans distinction de race, de sexe, de religion entre autres.

Répondant à la question de savoir si le zombi est une personne, l’ancien Ati[14] Max Beauvoir a défini celui-ci comme « une personne comme toutes les personnes, qui a son corps, mais possède une panoplie d’esprits qu’on appelle nanm (âme) dans laquelle on trouve le gros bon ange, le petit bon ange »[15].

Dans le cas du nouveau Code pénal haïtien, à l’article article 281, traitant de la zombification par empoisonnement, il est plutôt question de « personne » au lieu de « cadavre de la personne inhumée » pour ainsi qualifier le zombi. Cet article dispose : « Que cette personne, après son inhumation, a été identifiée et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure officielle ou le lieu de travail ou la voiture ou accompagnant d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Ici, le législateur incrimine, sanctionne les faits de la zombification et laisse le reste aux spécialistes de la victimologie, en ce qui concerne les réparation et réhabilitation ou réinsertion du zombi dans le corps social[16]. De ce qui précède, si le zombi est une personne humaine, quels droits est-il capable de revendiquer et devant quelle instance ?

Des juristes haïtiens ont contribué à la mise du dossier des zombis sur la place des tribunaux. Des mémoires de licence à la Faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince ont essayé de définir, suivant les données de terrain recueillies, la situation du zombi. Tous sont parvenus à reconnaitre la pénible existence du zombi en Haïti.

Le juriste Frantz Moïse voit dans le zombi est un être humain vivant. Il a été physiologiquement mis en contact avec certaines substances qui ont mis son corps dans un état cataleptique tel que même des médecins le déclarent mort. Inhumé, il est ensuite déterré, ranimé et emmené en captivité[17]. Quant à Éric Dubosse, il voit le zombi comme est un individu prétendument mort, qui revient à la vie[18].

a)      De la capacité juridique du zombi

Pour pouvoir jouir directement de la plénitude de ses droits et privilèges offerts par la loi, le sujet de droit doit être capable. La capacité est l’une des conditions essentielles à la recevabilité de l’action en justice qui est aussi ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. Le terme « capacité » fait naitre une dichotomie intimement liée à l’état des personnes, c’est-à-dire la capacité de jouir et celle de pouvoir l’exercer par le sujet du droit. A ce propos, Bertrand Ancel définit la capacité comme « l’aptitude de l’individu à figurer comme sujet dans un rapport juridique établi par la règle de droit ».

Il existe un principe qui veut que toutes les personnes soient par définition capables. L’incapacité est donc l’exception à cette règle. Même si des discriminations positives, des restrictions et limitations sont établies par la loi en vue de protéger une certaine catégorie de la population contre les abus des autres, la capacité est inhérente à la personne humaine. L’incapacité de jouissance ne peut être générale, elle concerne toujours certains droits.

b)     Qui sont les incapables pour le législateur haïtien ? Que disposent les règles du droit en ce qui concerne le zombi ?

En s’interrogeant sur la capacité du zombi, le juriste Erick Dubosse répond en ces termes : « Il faut poser la question à savoir si le zombi jouit de la capacité juridique. La réponse à cette question doit tenir compte de l’état du zombi. Il a été établi précédemment que le zombi est un être vivant. Cependant, il n’est pas une personne au sens juridique du terme. Il a cessé d’être un sujet de droit. Il en découle qu’il ne peut être titulaire de droit. Cette incapacité se rattache directement à son état de non-personne[19] ».

Il y a lieu de reconnaitre, dans l’état actuel de la législation haïtienne, que le zombi, dont l’inexistence légale et administrative est désormais (et théoriquement irrémédiablement) attestée par son certificat ou acte de décès, est une personne de fait sans état ou statut juridique. Il est frappé d’une complète incapacité légale de jouissance et d’exercice de droits, pour être un sujet de non-droit, ignoré par les règles en vigueur. Le zombi ne fait même pas partie d’une catégorie d’espèce humaine vulnérable, spéciale et/ou particulière. Autrement dit, tout acte ou toute transaction passée avec un zombi est considérée comme nulle de plein droit, en raison de son état de « non-personne ».

Voilà pourquoi, dans cette partie, nous allons parcourir les dispositions des législations civiles et pénales en vigueur en Haïti pour voir comment les dispositions que ces dernières mettent en place seront applicables à la personne du zombi.

Le Droit civil gère l’état des personnes et des biens. L’état des personnes regroupe l’ensemble des critères ou éléments qui concourent à identifier un être humain et le distinguer des autres. En ce

sens, l’état des personnes implique que l’individu soit doté d’un prénom et d’un nom qui constituent un facteur d’identification de son porteur tant au sein de sa famille que dans la vie sociale. Le nom attribué par la puissance ou l’autorité parentale figure parmi les premiers droits du nouveau-né.

A son opposé dégagent des exceptions dont le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes que nous nous projetons de voir illico et l’individualisation administrative de la personne du zombi, ses biens faisant partie des droits extra- patrimoniaux visant la perpétuation de l’humanité à l’être humain et patrimoines matrimoniaux sont aussi pris par la loi.

i. Zombi et droits extrapatrimoniaux

Les droits extrapatrimoniaux désignent des droits relevant du droit de la famille, dits « droits subjectifs » et sont exclusivement attachés à la personne ; ils font de cette dernière un sujet de droit. Ils relèvent aussi des libertés individuelles qui sont d’une valeur morale, sociale et/ou politique. N’étant pas inclus dans le patrimoine de la personne qui en est titulaire, ces droits sont, par conséquent, non négociables, non transmissibles, non saisissables et non prescriptibles. Ils procurent par la réunion des droits au nom et la filiation, au domicile, au mariage et autres le droit l’intégrité physique, le droit à l’intégrité morale, et de manière générale, le droit aux libertés individuelles. A ce propos, l’article 56 du Code civil haïtien dispose : « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui seront donnés : les prénoms, noms, professions et domiciles des père et mère, ou de la mère seulement si le père n’a pas fait la déclaration ; enfin ceux des témoins ».

En ce qui concerne le zombi, suivant les informations ethnographiques que nous avons recueilli auprès de nos enquêtes de terrain, à l’instar de l’esclave arrivé dans la colonie de Saint Domingue aux 17e-18e siècles, qui fut soumis au baptême forcé et à une nouvelle nomination/identité imposée, le zombi est sans filiation, dénommé puis renommé. Son patronyme est supprimé à la suite du processus de zombification. Il porte jusqu’à sa mort définitive, le nom de son maitre. Or, la Cour de cassation de la République a décidé que « l’identité d’une personne, quand elle est contestée, doit résulter formellement de ses nom et prénom et des énonciations de son acte de naissance[20] ». Ainsi, le zombi, en demandant (mais le peut-il, puisqu’il n’est plus personne ?), pourrait solliciter du tribunal la récupération de son nom de naissance vu que l’acte de décès implique la suppression automatique de l’acte de naissance alors son existence est constatable.

Dès lors, le zombi réhabilité n’a-t-il pas le droit de contester le nom de son second état de personne marginalisée ? Si oui, comment s’y prendre vu qu’il n’est pas reconnu par la loi ?

ii. Le zombi et son droit à un domicile

Le domicile constitue un important élément dans l’individualisation des humains. Selon F. TERRE, il constitue le lieu de rattachement juridique de la personne vu qu’il est le lieu où l’individu est repérable de fait ou de droit[21]. A ce propos, l’article 92 du code civil dispose : « Dans le cas de changement de domicile, on devra en faire la déclaration tant à la justice de paix du lieu que l’on quitte, qu’à celle du lieu où l’on transfère son domicile ».

Aucune personne ne peut exister, en théorie, sans domicile. A ce propos, Erick Dubosse avance : « Dans sa très large généralité, la règle s’applique à tous : adultes sains ou majeurs en curatelle, les enfants mineurs, les domestiques, les fous et les vagabonds. Nul ne peut s’y soustraire. La personne est à la fois le support et la seule condition de son applicabilité »[22]. En un mot, il suffit d’exister pour avoir un domicile.

Le zombi est renommé et vit dans des endroits très éloignés de celui qui lui a été reconnu avant sa zombification (donc sans domicile, vu qu’il n’a aucun rattachement juridique à son lieu d’hébergement). La question du domicile du zombi attend donc la réponse du droit.

iii. Le zombi, membre à part entière de la catégorie des adultes ou majeurs légalement protégés

Le régime de protection de majeurs issu du droit des capacités est constitué de la tutelle, la curatelle, la sauvegarde de justice et l’habitation en ce qui concerne les adultes à protéger. Ils peuvent l’être soit par l’interdiction de la loi, soit par décision judiciaire. En effet, le législateur haïtien prévoit à l’article 399 du Code civil haïtien : « Le majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, de démence ou de fureur, doit être interdit, lors même que cet état présente des intervalles lucides ». L’interdiction peut être provoquée soit par des proches de la victime, soit par l’État par le biais du ministère public (le procureur). Elle rend son sujet incapable. L’art 401 du Code civil haïtien dispose : « Dans le cas de fureur, si l’interdiction n’est provoquée ni par l’époux, ni par les parents, elle doit l’être par le ministère public, qui, dans les cas d’imbécillité ou de démence, peut aussi le provoquer contre un individu qui n’a ni époux, ni épouse, ni parents connus ».

Loin d’être considéré comme un humain en état d’imbécilité, le zombi souvent réapparu en état d’hébétude n’est pas qualifié pour être bénéficiaire de cette mesure de protection.

iv.   La curatelle

Partons d’un exemple historique. En Haïti, avant le décret du 8 octobre 1982, la femme mariée ne pouvait poser une liste d’action sans l’assistance de son mari. L’article 201 du Code civil haïtien dispose : « La femme, même non commune, ou séparée de biens, ne peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou onéreux, sans le concours du mari dans l’acte ou son consentement par écrit ».

Si la curatelle est envisagée en vue de protéger des majeurs dont l’état mental les rend inaptes à gérer leur personne, le zombi souvent réapparu souffre de profondes altérations de ses facultés mentales, lesquelles sont assimilables à un état d’hébétude partiel ou total, n’étant ni mineur, ni en état d’imbécillité habituelle, pratique la plénitude des limitations à l’exercice de ses droits. Ne devrait-il pas être soumis à un régime de protection spéciale ?

v.  Zombi et son mariage ante- ou post-zombification

Le mariage est défini dans le Code civil haïtien comme la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée. Donc le mariage, sans disconvenir aux spécialistes, F. Terré et A. Weill qui le voient comme un acte juridique solennel par lequel un homme et une femme établissent entre eux une union dont la loi civile règle impérativement « les conditions, les effets et la dissolution »[23], constitue une convention de gens lucides, ne pouvant être conclu qu’entre deux êtres vivants et en pleine possession de leurs moyens intellectuels.

Suivant les dispositions de l’article 212 du Code civil haïtien, les causes de la dissolution du mariage sont « la mort de l’un des époux, le divorce légalement prononcé ; et la condamnation devenue définitive de l’un des époux à une peine perpétuelle, à la fois afflictive et infamante ». Il y a lieu de noter que le mariage est dissous de plein droit par le décès de l’un des conjoints.

La problématique de l’existence du mariage demeure en raison du fait que le décès déclaré est remis en question et frappé de perception irréelle. Peut-on à ce niveau parler de la dissolution de ce mariage ? Le zombi n’est-il pas en droit de revendiquer son toit familial et sa vie conjugale ? A ce propos, Erick Dubosse souligne31 : « Étant vivant, le zombi est soumis à un juridisme déshumanisant par lequel on dissout le mariage d’une personne prétendue morte. Il subit les conséquences d’une mort irréelle et insoutenable »[24].

S’il y a autant de difficultés pour la juridisation du mariage ante-zombification, comment approcher au vu des législations en vigueur, le mariage que souhaite contracter un individu-zombi ?

Dans le cas du zombi, il faut rappeler qu’il est astreint et frappé par le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Il vit en marge de la loi et par conséquent n’a pas de nom, de domicile, de nationalité et de documents d’identité. Le mariage, au regard de ce qui précède, reste et demeure un vœu pieu.

A son arrivée au monde, la personne humaine, a besoin d’un acte de naissance et d’autres pièces d’identification administratives et de services. A son décès, son patrimoine ne peut être ouvert à ses ayants-droits sans un acte de décès, attestant la fin de son existence. La personnalité juridique est comme la dignité, elle est inhérente et indissociable de l’être humain. Le zombi au tribunal est en droit de revendiquer la restitution de l’humanité à son être ; réclamer une protection spéciale de l’État et s’assurer qu’il soit compté comme une personne à part entière, quoiqu’à besoins spéciaux. Il doit être en mesure enfin de réclamer ses droits patrimoniaux que nous verrons à travers les prochaines lignes.

vi.   Le zombi et les droits patrimoniaux

Le patrimoine d’une personne est constitué de l’ensemble des biens matériels et immatériels acquis soit par elle-même ou reçus en héritage ou en donation. En effet, le patrimoine d’une personne est l’expression vivante de ses droits économiques présents et futurs, lesquels sont inhérents à son porteur. Planiol et Ripert voient dans ce concept des droits et des charges d’une personne appréciables en argent[25]. Pour le Pr. Jean-Luc Aubert, c’est un sac qui rassemble tous les rapports juridiques de la personne susceptibles d’une évaluation positive et négative.

Le patrimoine est inséparable et indissociable de l’individu. Pas de patrimoine sans le sujet auquel il se rapporte. Eric Dubosse pense34 que « tout individu a donc un patrimoine indépendamment de la valeur et de la fluctuation de ses éléments constitutifs. Ceux-ci peuvent ne pas exister du tout. Le patrimoine demeure toujours puisqu’il est indifférent à une virtualité, « un réceptacle contenu » suivant la belle image de Jean Carbonnier. L’individu conserve donc le patrimoine jusqu’à la mort »[26].

En ce qui concerne le zombi, il faut analyser sa situation sous deux angles : sa succession ouverte à la déclaration de son décès et la difficulté juridique créée par sa réapparition.

L’article 578 du Code Civil Haïtien dispose que seul le décès dument constaté ouvre la succession. Le zombi, dont le décès a été déclaré (quoiqu’il s’agisse uniquement d’apparence de décès), est-il habilité à faire valoir ses droits à la récupération de ses biens ? Par ailleurs, si la succession de ses parents a été ouverte pendant la période de sa zombification, à son retour, est-il en droit d’attaquer en nullité le partage opéré, vu qu’il n’est pas incapable de succéder suivant les dispositions de l’article 586 du Code Civil Haïtien stipulant que, pour succéder, il faut nécessairement exister à l’instant de l’ouverture de la succession ?

Sera-t-il en mesure de prouver son existence lorsque l’art 124 dispose : « Quiconque réclamera un droit échu à un individu dont l’existence ne

sera pas reconnue, devra prouver que ledit individu existait quand le droit a été ouvert : jusqu’à cette preuve, il sera déclaré non recevable dans sa demande » ?

Demi-vivant, demi-mort et ignoré par la loi, le zombi n’est pas mentionné parmi les incapables de jouir de la succession. Son état de « mort déclaré » fait obstacle à sa vocation successorale. A ce propos, Erick Dubosse précise : « Étant passé par un état de mort apparente, son décès a été déclaré. Son non-être, officiellement proclamé et juridiquement accepté au moment où s’ouvre la succession à laquelle il serait légitimement appelé, il n’existe plus pour le droit. Alors qu’en fait son existence est réelle »[27].

vii.  Les Droits personnels du zombi

Il est des droits tels que la rente viagère, l’obligation alimentaire et les donations mutuelles qui sont qualifiés de droits personnels ou droit de créance. Ils constituent en quelque sorte « un pouvoir juridique octroyé à une personne d’exiger d’une autre qu’elle fasse ou donne ou non quelques chose»[28]. Ils font naitre l’obligation de faire ou de ne pas faire entre deux personnes.

La créance alimentaire fait dégager une obligation de secours et d’assistance en engageant une personne envers un proche parent, ascendant ou un allié. Ces obligations s’éteignent à la mort de créancier. Dans le cas du zombi, étant détenteur d’un acte de décès, peut-on lui revendiquer des créances alimentaires en faveur de ses enfants parents en détresse ?

viii.   Des droits intellectuels du zombi

Les droits intellectuels font partie intégrante des droits patrimoniaux des individus. Ce sont des privilèges intellectuels ou des droits de propriété reconnus à un créateur de conserver, vendre ou céder tout ou partie sa propriété intellectuelle qui peut être de la peinture, des livres, des enregistrements musicaux ou autres. Ce droit fait dégager deux obligations immédiates :

  1. Un droit pécuniaire permettant au créateur intellectuel d’exploiter ses œuvres économiquement par le paiement des droits d’auteur. Cette exploitation se limite dans le temps et obéit à la loi cinquantenaire. Après ces cinquante ans, l’œuvre du créateur tombe de plein droit dans le domaine public.
  2. Un droit moral qui implique la protection de la mémoire de l’auteur contre toute éventuelle déformation de son œuvre[29].

Retenons que le décès simulé de la victime donne lieu à un véritable imbroglio juridique au cas où celui -ci souhaiterait recouvrer son pouvoir sur le produit de son activité intellectuelle d’une part ; résoudre d’autre part l’équation de l’existence hors norme de ce zombi relativement au comptage de la durée de jouissance successorale du droit intellectuel au regard de la loi cinquantenaire. N’est-on pas en droit d’exiger le principe général du droit qui veut que « fraus ommia corrumpit » en vue de réhabilitation juridique du zombi dans la jouissance de son droit de créateur ?

  1. Le zombi et ses actes pénaux ante-zombification

Dans le droit haïtien, la responsabilité pénale est réputée personnelle. On est responsable que de ses propres actes dès lors que ces derniers constituent une infraction pénale. Dans son ouvrage intitulé Voyage en Haïti, sur la piste du zombi, Roland Wingfield explique les actes de violence de Clairvius Narcisse, le zombi le plus « célèbre » d’Haïti (années 1970/1980)[30]. Il rapporte que celui-ci expliqua le processus sa « libération » qui a commencé par une querelle entre lui et son maitre qu’il a pu frapper violemment et brutalement. Travaillant dans un champ agricole, le zombi avait saisi la houe du maitre et tué. La femme du défunt-maitre, ayant eu vent de la nouvelle du décès tragique de son mari, aurait alors libéré tous les zombis de sa maison. Au vu de la législation pénale en vigueur en Haïti, Narcisse devrait être poursuivi pour coups et blessures ayant entrainé la mort d’un homme. Mais comment le poursuivre au tribunal pour qu’il réponde de son forfait alors que l’état même de sa personne est indisponible ? Et n’est-il pas enseigné en droit pénal général que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » (et la zombification semble sans aucun doute rentrer largement dans ce cadre).

Par ailleurs, qu’adviendrait-il d’une personne condamnée à perpétuité, puis zombifiée pendant la purgation de sa peine et qui refait surface ? Doit-il être repris et replacé dans sa geôle pour l’épuisement de sa peine ?

b)       Le zombi et l’empoisonnement

L’empoisonnement est défini comme le fait de se suicider ou d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances pouvant entraîner la mort immédiate ou de manière différée. L’article 246 du Codepénal haïtien fait provision pour la répression de l’empoisonnement, et a posé les bases de la répression de la zombification en disposant : « Si, par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée, l’attentat sera qualifié assassinat ».

Par ailleurs, le code pénal du 24 juin 2020, a adopté une disposition portant création du mécanisme de poursuite des faits de la zombification. A ce propos, l’article 281 dispose : « L’infraction est passible de vingt ans à trente ans de réclusion criminelle lorsque le décès de la personne a été déclaré à un officier de l’état civil et que cette personne, après son inhumation, a été identifiée et reconnue comme une personne se trouvant occasionnellement ou vivant en la demeure d’une personne avec laquelle elle a ou non un lien de parenté ».

Cet article offre la définition la plus complète du zombi qui peut aussi se plaindre d’avoir été victime d’empoisonnement, par l’administration de la substance pouvant entrainer un état cataleptique et  de léthargie prononcée.

Aussi, le zombi peut-t-il, devant le tribunal siégeant en ses attributions pénales, demander l’application de la loi contre son assassin, exiger des réparations civiles et même un droit à la réhabilitation.

c)        Le zombi, victime d’association organisée de malfaiteurs

Dans le processus de zombification, c’est une kyrielle de personnes qui se trouvent impliquées depuis l’administration du poison zombifère, en passant par la simulation de son inhumation jusqu’à la conduite de la victime vers son lieu de travail, sa réduction prolongée en esclavage et le viol lorsque des relations sexuelles non consenties sont mises en place. Tout est l’œuvre d’une association qu’on peut qualifier de « criminelle » en terme de loi.

d)     Le zombi victime de meurtre, d’assassinat ou de tentative de commission d’infraction

Dans nombre de cas suspectés d’être sujets à zombification, pour éviter que le corps des leurs soit enlevé, des parents font administrer un poison « définitif » dans le corps de la victime pour l’achever dans le cas où il aurait été plongé dans le coma. D’autres parents font pratiquer des autopsies « amateur » pour enlever, dans le cadavre des leurs, les principaux organes vitaux afin de s’assurer de la mort réelle de la personne disparue[31]. La zombification est en effet vécue par les familles et les proches, comme « une peine pire que la mort »[32]. D’autres exigent que le cercueil soit cloué de toutes parts pour écarter toute possibilité de réveil et s’assurer que le corps meure effectivement là où il est placé car pour des parents avoir un proche en zombification est un acte particulièrement déshonorant auparavant, on enterrait sur les lieux de passage (route, carrefour) pour éviter toute exhumation en raison de l’importante fréquentation des badauds (comme on voit au tout début du film White Zombies, avec Bela Lugosi, 1932). Dans de pareils cas, le sujet est une personne tuée par asphyxie (victime de meurtre ou assassinat), et s’il ne l’est pas, il constituera tout de même en terme de loi une victime d’assassinat suivant les dispositions des articles 240, 241 et 242 du Code pénal haïtien.

e)          Le zombi victime de voie de fait, séquestration et de traite des personnes

La voie de fait est une infraction réprimée par la loi pénale. Au réveil du zombi de sa catalepsie, il est rapporté par feue Euvronie Georges Auguste qu’ils sont maltraités par les bourreaux (kondè) tout le long du chemin à parcourir jusqu’au centre de rétention. Puis, il est séquestré à des fins d’exploitation. A ce propos, l’article 289 du Codepénal haïtien dispose : « Seront punis d’un emprisonnement d’un an à cinq ans au plus, ceux qui, sans ordre des autorités constituées et hors les cas où la loi ordonne de saisir les prévenus, auront été arrêtés, détenu ou séquestré par des personnes quelconques ».

Le zombi peut être dépersonnalisé et dépersonnifié, retenu de force par des personnes qu’il ne connait pas, réduit en état d’esclavage dans un endroit non reconnu par la loi est d’emblée victime d’une infraction de voies de fait, de séquestration et de traite des personnes à des fins d’exploitation. A titre de demandeur au pénal, le zombi peut se plaindre d’être victime d’une pléiade d’actions qualifiées et réprimées par la législation pénale haïtienne. Défendeur audit tribunal, comment pourrait-il répondre de ses actes avant et pendant sa zombification ?

f)         Le zombi entre disparu et absent

Le disparu est la personne dont nul ne sait où elle se trouve et auquel se rattache une perception de mort supposé ou en attente de confirmation physique ou légale. Contrairement au zombi, le statut de disparu est décidé par une décision de justice obtenue à la suite d’événements de nature à faire sérieusement douter de son éventuelle chance de survie (par exemple naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie, etc.) et que le corps n’a pu être retrouvé avec possibilité pour le sujet d’être vivant, que la mort est vraisemblable et incontestable, comme le prescrivent les articles 100 et 101 du Code civil haïtien.

A partir de cette décision, conformément au principe de continuité de la personne du défunt, la succession du disparu est ouverte. Cependant, en cas de réapparition, il est prévu une procédure de récupération du patrimoine partagé, ce qui est impossible pour le zombi dont le tout n’est pas pris en compte par la loi et qui vit dans une singularité propre (son certificat de décès a été acté sans

sans possibilité de retour en arrière, son nom a été changé sans acte administratif, etc.). Quant à l’absent, contrairement au disparu et au zombi qui ont laissé des traces – même imaginaires – sur leur dernière « existence », c’est la durée de sa non-réapparition qui propage la perception de sa mort. L’absence s’établit dans le temps.

A cet effet, l’article 99 du Codecivil haïtien dispose : « S’il y a nécessité de pourvoir à l’administration de tout ou partie des biens laissés par une personne présumée absente, et qui n’a point de procureur fondé, il y sera statué par le tribunal civil, sur la demande des parties intéressées ».

Le point de ressemblance entre l’absent et le zombi est qu’à sa réapparition, l’absent est provisoirement un individu sans personnalité avec toutes les conséquences et les implications de sa situation. A l’instar du zombi, il est frappé d’incapacité. Suivant l’article 106 du Code civil haïtien, une fois que la décision judiciaire d’absence acquiert l’autorité de la chose jugée, la succession de l’absent est ouverte suivant les stipulations de l’article 119 du Code civil haïtien et une possibilité de réhabilitation de l’absent est prévue à l’article 121 du même code.

Dans le cas du zombi, c’est une « certitude » opposée à l’incertitude de l’absence. Les formalités administratives de l’inhumation ont été accomplies. Il s’agit d’un décès bien objectivé. La porte laissée ouverte dans le cas d’un retour éventuel de l’absent est ici bien fermée pour le zombi. Le droit haïtien ne traite pas de la résurrection.

La plaidoirie de la cause du zombi étant faite dans toute leur acuité, à la lumière des législations en vigueur, il paraitrait absurde pour le tribunal de rester dans son mutisme ou dans un déni de justice pour ne pas prononcer le mot du droit. Certaines analogies ou considérations catégorielles comme celles des morts civils, des absents, des disparus, des déments peuvent influer sur le magistrat en siège, qui serait tenté d’appliquer d’autres situations à celles du zombi.

Pour l’édification du tribunal, les espèces des catégories suscitées sont traitées par pure fiction juridique laissant au législateur le soin de gérer une situation de fait qui s’apparenterait au réel, par un « mensonge de la loi ». Ainsi, on comprendra que la situation du zombi, quoiqu’elle ressemble à celle du mort civil, les deux diffèrent en réalité considérablement l’une de l’autre.

En effet, la mort civile est la conséquence du bannissement ou de la condamnation à perpétuité régulièrement prononcée par un tribunal légalement constitué alors que pour le zombi, sa condamnation est prononcée par une société secrète (Bizango, le plus souvent) suivant des normes tirées du droit pénal informel d’Haïti. Si les deux vivent sans exister pour le droit et pour la loi, que les deux sont déchus et marginalisés, leur situation fait apparaître l’incapacité juridique des deux majeurs. Vivants et dans la majeure des cas, mais lucides : les deux situations dépouillent leur sujet de l’exercice de leur droits civils et politiques.

Notons que des points de jonction ou de rapprochement lient les deux situations (zombi et mort civil). Le mort civil est un condamné de la loi et de la justice, le zombi, quant à lui, souffre du mutisme et du formalisme de la loi en qui le concerne, laquelle l’abandonne aux jugements de fait et informels de certaines franges de la société. Dans aucun cas, on ne peut les confondre.

Les trois situations juridiques (mort civil, disparu, absent) comparées au vu du Codecivil haïtien avec celle du zombi qui relève du mutisme du législateur, ont permis de dégager certaines analogies des trois qui sont incontestables. Cependant, ils ne peuvent être confondus ni se substituer à la spécificité du zombi qui n’est ni un mort civil, ni un disparu, encore moins absent. Contrairement au disparu et à l’absent, le zombi n’est pas recherché, il n’est pas pris en compte par le législateur. Aucune possibilité pour le zombi, dans l’état actuel de la législation haïtienne, d’être rétabli dans ses droits et d’être réhabilité socialement.

Conclusion

L’état des personnes est défini comme la situation de la personne en droit qui couvre la période allant de la naissance à la mort de l’individu en traversant sa filiation[33], sa situation matrimoniale, son âge, son sexe, son nom et son domicile. Ce principe s’oppose celui de l’indisponibilité qui suppose la négation des prérogatives relatives à l’état des personnes, on se rendra compte qu’il est d’emblée frappé par le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes selon lequel le zombi pris comme une personne à part entière se trouve dans l’impossibilité de jouir de la plénitude des droits inhérents à son statut d’humain. Il implique la non-disponibilité ou la disponibilité pleine et entière de sa personnalité juridique. Devant cet état de fait, c’est à bon droit que la victime saisit le tribunal : Wilfrid Dorissaint (1990), Clairvius Narcisse (1980), Adeline Dassasse (2009), Hermith Rubin (2021), Jameson Beaujean (2022) ont tous été déclarés morts, inhumés, puis retrouvés vivant quelque part à travers la République d’Haïti après ladite inhumation. Tous sont allé au tribunal, soit pour un constat de réapparition, soit pour poursuivre leur malfaiteur.

Ces individus présentant les caractéristiques de la personne humaine, dépourvus de personnalité juridique, ne sont pas habilités à agir en leur nom, d’autant qu’à leur retour, ils sont frappés de pathologies psychiques et plongés en état d’imbécilité et d’hébétude patents.

Il revient à l’État d’assurer leur prise en charge psychologique, médicale, de penser à leur restituer leur humanité volée par l’application de la théorie de l’indisponibilité de l’état de personne d’une part et de restaurer, leur personnalité juridique à fixer par le législateur puisqu’aucune analogie issue des théories régnantes ne semble s’appliquer à la situation jusqu’ici inédite.

Lorsque la juridiction interne de jugement est saisie et se renferme de son mutisme, la voie des cours internationales des droits de l’homme est ouverte au justiciable lésé. Aussi, le zombi peut-il saisir la Cour Inter-Américaine des Droits de l’homme (CIDH) pour revendiquer bien d’autres droits comme le droit de se constituer et d’être reconnu comme une minorité vulnérable, le droit à la vie, à la santé, à la justice et surtout le droit à la non-discrimination.

BARTHÉLEMY Gérard, Le pays en dehors, éditions Henri Deschamps, 1989. : Le pays en dehors, éditions Henri Deschamps 1989.

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GARRISSON Lynn, Voodoo politics, Canada, (édition+ date de publication…). HURBON Laёnnec, Dieu dans le vodou haïtien, Éditions Henri Deschamps, 1987. HURBON Laёnnec, Le Barbare imaginaire, Éditions Henri Deschamps 1987.

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Mémoires et Thèses

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Les fascinants secrets du métier de croque – mort en Haïti/ www.Ayibopost.com


[1] Hurbon L. Le Barbare imaginaire, page 42

[2] Métraux A. Le vaudou haïtien, Page 25

[3] Charlier P. Zombis. Enquête sur les morts vivants. Paris, Tallandier, 2005, p 35

[4] Obadia L. Le zombie est une métaphore philosophique. Idées reçues sur les zombies, 2023, www.cairn.info/idees-recues-sur-les-zombies

[5] Littlewood R, Douyon C. Clinical findings in three cases of zombification. Lancet, 1997.

[6] Del Guercio G. The secrets of Haiti’s living dead. Harvard Magazine 2017;10:31.

[7] Hurston ZN. Tell My Horse: Voodoo and life in Haiti and Jamaica.

[8] L’origine des pratiques de la zombification fait polémique. Sa paternité est quasi unanimement attribuée au vodou haïtien, principale expression culturelle d’Haïti. Toutefois Éric De Rosny a contesté cette thèse en affirmant que la zombification tire sa source en Afrique et faisait partie intégrante du marché de la traite à Douala (Cameroun).

[9] Charlier P. 2015, op. cit.page 25

[10] Cité par Waszek N. L’émergence d’une théorie de l’opposition dans l’école hégélienne. Revue Française d’HistoiredesIdéesPolitiques 2007;1(25):89.

[11] Définition de personne – Concept et Sens (lesdefinitions.fr).

[12] Personne – Définition – Dictionnaire juridique (dictionnaire-juridique.com).

[13] Définition du concept de « Personne » (www.Universalis.com/personne).

[14] Ce titre renvoie au représentant officiel du secteur vodou en Haïti.

[15] Zombification : condamnation secrète (b), Le Nouvelliste, 2 septembre 2008.

[16] Allard JO. Les morts se lèvent. Zombies, pouvoir, résistance. Thèse de maitrise, Université de     Québec, Montréal, 2015.

[17] Frantz Moïse, Zombi et législation dans la société haïtienne. Port-au-Prince, Haïti, Université d’État d’Haïti,   Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince, 1991.

[18] Dubosse E.La problématique juridique du zombi.Port-au-Prince, Haïti, Université d’État d’Haïti, Faculté de  Droit et des Sciences Économiques, 1992, p. 37.

[19] Dubosse,  E. ibidem, p. 48.

[20] Cass. haïtienne, 1ère Section, arrêt du 10 novembre 1952, Les Deb No 69 du 26 novembre 1952 / Code civil dHaïti, mis à jour par Jean Vandal, page 27.

[21] Terré F, Weill A. Droit civil – Les personnes, 5e éd. Paris, Dalloz, 1983, p. 86.

[22] Dubosse E., ibid., p 46.

[23] Terré F, Weill L, op. cit., p. 166.

[24] Dubosse E, op. cit., p 52.

[25] Planiol, Ripert. Traité pratique de droit civil français, Tome III. Paris, L.G.D.J., 1926, p. 19.

[26] Dubosse, op. cit., p 59.

[27] Dubosse E., op cit., p. 76.

[28] https://www.lemondepolitique.fr/cours/droit_civil_biens/droits_reels_droits_personnels/droits-reels-et-droits- personnels.html

[29] Carbonnier J, op. cit. ;  Dubosse E, op.cit., p. 69.

[30] Wingfield R. Voyage en Haïti, sur la piste du zombi, p 143.

[31] Laura  Louis,  Les fascinants secrets du métier de croque-mort en Haïti, Ayibopost, 19 juin 2019.

[32] Charlier P (dir). Zombis : la mort n’est pas une fin ? Catalogue de l’exposition au musée du quai Branly – Jacques Chirac. Paris, Gallimard, 2024.

[33] Fanny Vasseur-Lambry. L’Identité, l’état civil et le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Fanny Vasseur-Lambry; Valerie Mutelet. Qui suis-je ? Dis-moi qui tu es. L’identification des différents aspects juridiques de l’identité, Artois Presses Université, pp. 61-87, 2015, Droit et sciences économiques, ⟨10.4000/books.apu.23488⟩⟨hal-04067099⟩

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8e chronique en droit(s) de la santé

Art. 422.

Voici (avec un peu de retard !) la 8e chronique du Master Droit de la santé (Université Toulouse Capitole) publiée en partenariat avec le Journal du Droit Administratif (JDA). Merci à tous ses contributeurs & à toutes ses contributrices.

La présente chronique contient au 09 janvier 2024 :

  • des actes issus de colloques (trois) ;
  • une note de jurisprudence ;
  • trois articles contributifs (l’un sur un débat d’actualité, l’autre sur une proposition et enfin une étude sur un pionnier du droit administratif et de la santé) ;
  • ainsi que plusieurs annonces relatives au Master porteur de la présente chronique.

Bonnes lectures !


Actes issus du colloque de l’Association Française de Droit de la Santé (AFDS) : Les juges de la santé qui s’est tenu à Bordeaux les 28 et 29 septembre 2023 sous la présidence de Mme le professeur Isabelle Poirot-Mazères :

Actes issus de la journée d’études (septembre 2023) du Master Droit de la santé portant – notamment – sur l’hypnotisme & le(s) droit(s) :

Note de jurisprudence :

Actualité :


Annonces relatives au Master Droit de la Santé :


Vous pouvez citer cet article comme suit :
8e chronique en droit(s) de la santé
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 422.

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ParJDA

Le suicide médicalement assisté : la quête de la justification éthique

Art. 418.

Le présent article rédigé par M. Théo Fautrat, étudiant en Master 1 droit de la santé, Université Toulouse Capitole s’inscrit dans le cadre de la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la Santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

L’auteur remercie pour ses conseils et relectures Mme Alizée FAYOT, doctorante en droit privé et sciences criminelles, école doctorale de droit et de science politique, Pierre Couvrat, équipe de recherche en droit privé EA1230, Université de Poitiers.

Le débat sur le du suicide médicalement assisté est comme un océan tumultueux dans lequel des vagues émotionnelles se heurtent, chacune apportant une perspective et une sensibilité distinctes face à cet acte délicat qui questionne notre éthique et nos valeurs fondamentales. Il nous confronte aux fondements mêmes des interdits sociaux et moraux, ce qui en fait un sujet d’ampleur qui touche tous les domaines de la société : médicales, juridiques, philosophiques ou encore religieux. Un sujet qui revient régulièrement sur le devant de la scène en France et qui a fait une entrée remarquée le 22 avril 2002 en Europe, à la suite d’un arrêt rendu par la Cour Européenne des droits de l’homme[1]. En 2023, plus de 800 000 soignants ont publié un avis éthique et pratique sur les conséquences d’une telle législation. Ils affirment que ces pratiques ne peuvent en aucune manière relever du soin et alertent le législateur sur les menaces que ferait peser cette nouvelle pratique sur des personnes vulnérables.[2]

Mais que recouvre en réalité la notion de Suicide Médicalement Assisté (ci-après SMA), fréquemment confondu avec l’euthanasie. Il consiste à fournir, à la suite de la demande d’un patient, une substance létale que celui-ci s’injectera[3]  et qui nécessite que la personne soit capable et consciente. A contrario, l’euthanasie se rapporte au fait qu’un médecin administre une substance létale afin de soulager les souffrances d’un patient en fin de vie.  

La première difficulté est que la société, marquée par une influence significative de la chrétienté, considère le suicide comme un acte condamnable. La personne est coupable de crime envers Dieu selon le cinquième commandement qui énonce que : « la vie est un don sacré de Dieu, dont Dieu est seul à pouvoir disposer ». C’est pourquoi, aucune justification du suicide ne saura être tolérée puisque cela témoignerait d’un « attentat envers Dieu » selon Saint Thomas d’Aquin, qui est seul propriétaire de notre vie[4]. C’est grâce à la Révolution française que cette rupture avec l’église s’est instaurée, puisque dès 1789 avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), mais aussi la loi du 18 août 1792 supprimant les congrégations séculières, de premiers pas ont été franchis dans l’acceptation du suicide.  

L’article 5 de la DDHC dispose que “La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société”[5]. Or, celui qui souhaite en finir avec la vie ne lui cause directement aucun tort et ne doit donc plus être mis à l’écart. C’est dans ce sens qu’en 1810, Napoléon décide de décriminaliser le suicide dans le code civil.

Depuis, nos sociétés occidentales n’ont eu de cesse de s’interroger sur le fait de savoir si, comme l’énonçait Albert Camus en 1965, “la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue”[6]et si la dépénalisation du suicide n’ouvre pas la voie à un « droit au suicide ». Ce questionnement est encore aujourd’hui sujet à de nombreuses controverses plus ou moins virulentes.

L’intérêt pour le SMA se manifeste juridiquement en France par diverses tentatives de légalisation. Le 7 avril 2021, le député français, Olivier Falorni, porte une nouvelle proposition de loi devant l’Assemblée nationale dans le but de disposer d’une assistance médicalisée active pour mourir. Cette dernière sera contrecarrée dès son émergence par trois mille amendements, puis finalement rejetée.

Dès lors, de nombreux mouvements juridiques et religieux se manifesteront contre l’idée même d’une quelconque légalisation. Pour beaucoup, le suicide reste un acte blasphématoire, qui ne peut être valider par la loi. De plus, en février 2024, la ministre déléguée aux Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, prévoit de présenter le projet de loi sur « le modèle français de la fin de vie ». Cette initiative fait suite à la requête d’Emmanuel Macron visant à élaborer ce projet avant la fin de l’été 2023. Toutefois, une extension du calendrier a été nécessaire afin d’approfondir la stratégie des soins d’accompagnement.[7]

Au vu de cette conjecture, en quoi l’instauration d’une législation assurant l’accès à un suicide médicalement assisté peut-être perçu comme une progression de nos libertés fondamentales ?

Bien sûr, vaincre les réticences pour qu’il soit légaliser ne se fera pas sans parcourir un chemin semé d’embûches. Mais on peut toutefois espérer car les changements sociétaux sont tels, que ces difficultés pourraient être aisément surmontées. Il suffirait d’invoquer explicitement, dans le cadre de la défense des libertés fondamentales, les droits au respect de la dignité de la personne humaine. Cela fait l’objet de nombreux textes juridiques internes, régionaux et internationaux qui les dotent d’un caractère jus cogens (I), comme en atteste l’évolution progressive des lois qui tendent à aller dans ce sens et qui ne cesse de démontrer que le droit positif poursuit son élan (II).

Selon un sondage émanant de l’Institut Français d’Opinion Public (IFOP)[8] du 8 avril 2021, quatre-vingt-neuf pour cent des Français seraient favorables à la légalisation du suicide médicalement assisté en France, pour les personnes souffrant de maladies incurables ou insupportables, tel que : la sclérose en plaque, le cancer des poumons, etc.  Au vu de ces chiffres, se pose alors la question des motifs faisant barrage à l‘entrée en vigueur dudit droit (A). Nonobstant ces écueils, la société française témoigne ainsi d‘une avancée considérable dans la quête d’une construction de la légitimité d‘une fin de vie digne (B).

A. L’approbation d’un droit au suicide médicalement assisté : des entraves considérables.

En 1707, un édit royal, acte législatif émanant du roi[9], dispose que toute personne diplômée devra lors de sa soutenance de thèse en médecine se soumettre au serment d’Hippocrate[10]. Cet engagement épouse la forme d’une promesse proclamée de manière solennelle. Par cette déclaration, le médecin s’engage à respecter les devoirs gouvernant sa fonction. Différentes règles sont alors énoncées, telles que le fait de ne pas provoquer la mort d’un patient délibérément[11], mais aussi l’obligation du secret médicale[12]. Toute la complexité de l’exercice réside à trouver le bon équilibre entre deux règles majeures : assurer une fin de vie, tout en préservant la dignité de l’intéressé. Le personnel de santé doit ainsi trouver les moyens nécessaires pour répondre de la manière la plus adéquate possible à cette question. Déontologiquement, le suicide médicalement assisté, ne peut trouver sa place sans remettre en cause l’une des lois fondamentales de ce serment. Celui-ci ayant une valeur purement éthique, il instaure tout de même des principes tel que le respect de la vie, la confidentialité, l’intégrité professionnelle. C’est sur ces grands principes, que des règles déontologique et le code de conduite professionnelle pour les médecin ont été établis. Dès lors, il sera nécessaire de le moderniser afin de répondre à une demande croissante d’une forte majorité de la population.

Confrontés à ces problématiques, s’adjoint une difficulté supplémentaire, celle de l’évaluation de la maladie. Quel spécialiste de la santé peut, avec certitude, se prononcer sur une durée exacte de fin de vie. Parfois, les certitudes sont confrontées à des réalités extraordinaires. Quel médecin n’a pas un jour été confronté à une guérison dite « spontanée » ou « miraculeuse » ?

Ainsi, le 18 novembre 2021, en Argentine, la communauté scientifique a déclaré qu’une personne séropositive avait guéri du sida sans avoir suivi aucun traitement[13].

Le patient alors atteint d’une maladie dont tous les médecins estimaient la guérison impossible, s’est rétabli définitivement. Le corps humain est doté d’un système immunitaire hors du commun qui confirme que nul ne peut prophétiser une fin de vie. Dès lors, autoriser et justifier un SMA comporte certains risques face au syllogisme exposé ci-dessus.

Dans la perspective d’une éventuelle légalisation, cet argument « d’être proche de la mort » ne peut être considérer comme une justification puisque des « guérisons miraculeuses » ou « spontanées » existent et montrent que rien ne peut être réellement définitif en ce domaine. Elles invitent à ne pas considérer pour acquis les pathologies des malades et à rechercher un cadre légitime dans lequel le SMA pourra voir le jour.

 D’un point de vue culturel, la société française, basée sur des valeurs judéo-chrétiennes, voit d’un regard réprobateur les différentes formes de suicide. Le cinquième commandement[14] proscrit toute forme de suicide chez le croyant. Il considère que se suicider va à l’encontre de l’amour de soi et donc de l’amour de Dieu.[15]

Le Donum Vitae, publié en 1987 par la Congrégation pour la doctrine de la foi dirigée par le Cardinal Ratzinger (futur pape Benoit XVI), renvoi au respect de la vie humaine. Il dispose qu’elle doit être respectée et protégée de manière absolue de la « conception jusqu’à la mort »[16].  D’un point de vue strictement judéo-chrétien, le SMA est considéré comme une infraction à l’interdit public, car nul n’a le droit de prendre la vie d’un autre, seul Dieu peut créer ou mettre fin à la vie.[17] Le droit pénal vient appuyer ses propos en précisant que le « fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre » (Article 221-1 du code pénal). Dans la tradition biblique, transgresser cet interdit revient de fait à rompre la relation de l’homme avec l’omnipotence de Dieu : l’Homme se substituant à son créateur.

Légalement, l’assistance au suicide est prohibée par le code pénal. L’article 223-13 le réprime d’une peine d’emprisonnement et du versement d’une amende[18]. Dans l’éventualité d’une dépénalisation du suicide médicalement assisté, cette loi devra faire l’objet d’une profonde révision.  Certains auteurs tels que Ruwen Ogien[19] estiment que la pénalisation du suicide médicalement assisté n’est pas licite[20]. Ce philosophe allègue que l’humanisme se place au-dessus des dogmes et des principes religieux.  L’être humain   est en mesure de choisir le moment de sa mort puisqu’il ne nuit à personne d’autre que lui. Ruwen Ogien développe de facto un nouveau courant de pensée. Celui de l’éthique minimal dont le but est de respecter le principe de « non-nuisance ». Ce dernier se fonde sur l’idée qu’on ne peut « contraindre un individu que pour une seule raison, l’empêcher de causer du tort à autrui ». Si ce n’est pas le cas, nul ne peut interférer sur sa décision[21].

Pour finir, avant 2005, la France autorisait l’acharnement thérapeutique. (Article L1110-5 alinéa 4 du Code de Santé Publique, ci-après CSP). Issu de la loi[22] du 5 mars 2002, Il précisait que le médecin devait tout mettre en œuvre pour prolonger la vie de son patient dans la dignité.  

De nombreux problèmes se sont alors posés et plus particulièrement dans les services de réanimation où les moyens mis en œuvre pour sauver des vies sont parfois très invasifs. A titre d’exemple, dans les mois suivant un séjour en réanimation, entre 14 et 41% des patients sont atteints d’un État de Stress Post Traumatique (ci-après ESPT) et entre 10 et 30 % ont des symptômes de dépression. Le problème lié à ces pathologies est également lié au défaut de prise en charge préventive et curative lié à ces symptômes[23]. La question primordiale est d‘identifier avec exactitude le moment où l’acharnement thérapeutique peut avoir lieu. En 2005, la loi Léonetti a intégré un alinéa à l’article L1111-11 du CSP[24] permettant opportunément au patient de se prononcer sur l’issue de son état de santé au moyen d’un outil spécifique : les directives anticipées. C’est un document dans lequel le patient écrit ses dernières volontés sur les soins qui lui seront apportés en fin de vie. Cette loi représente un véritable pas en avant pour l’effectivité du droit à l’autodétermination.[25]

Depuis ce premier élan en faveur d’un choix délibérément humaniste et non plus soumis à une contrainte dogmatique, la question des directives anticipées, qu’a apporté la loi Léonetti a permis de donner un premier coup de boutoir à l’interdiction du suicide médicalement assisté.

Toutefois, une brèche non négligeable persiste qui consiste en l’absence formelle de définition précise du droit à la vie en droit français. Ce vide juridique permet potentiellement de revêtir la forme d’un fondement en faveur de l’instauration française du suicide médicalement assisté. Mais il suppose un profond remaniement du droit pénal, du serment d’Hippocrate et du Code de Santé Publique.

Malgré les freins constatés, le droit de disposer de son corps fait l’objet de nombreuses évolutions, que ce soit d’un point de vue religieux, juridique ou même philosophique. C’est en 2005 qu’une véritable progression va avoir lieu dans le droit de disposer de son corps grâce au combat mené par un député français du nom de Jean Léonetti.

B. L’élargissement d’un droit de disposer du corps humain, des difficultés surmontables.

Au début du XXe siècle, le pape Pie XII vantait l’utilité des soins palliatifs. Il estimait que lorsqu’un patient arrivait en fin de vie et que plus aucun soin curatif n’était possible, ils étaient nécessaires de trouver un moyen d’atténuer les souffrances. Les traitements mis en place permettant de réduire les douleurs physiques et psychologiques (comme l’injection de morphine). Le 25 mars 1995, dans l’Evangelium Vitae, lettre encyclique écrite par Jean Paul II dans laquelle est réitéré le souhait de Pie XII, il est écrit : « est licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d’amoindrir la conscience et d’abréger la vie s’il n’existe pas d’autres moyens, et si, dans les circonstances données, cela n’empêche pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux ».[26]Jean Paul II confirme ainsi la position de l’église sur la question du traitement de la fin de vie.

Cette déclaration montre clairement un nouveau cheminement de pensée. Le courant juridique partisan du suicide médicalement assisté rejoint celui de la philosophie et de la religion. Il faut désormais privilégier une fin de vie digne en administrant des médicaments au patient afin de soulager ses douleurs, plutôt que de privilégier un acharnement thérapeutique. C’est l’ébauche de l’acception d’une euthanasie passive que le député Jean Leonetti reprendra quelques années plus tard.

Très fortement impliqué sur les questions d’éthique médicale, Jean Leonetti et Alain Claeys établissent un premier rapport concernant les besoins des professionnels de santé et de la population sur la question du traitement de la fin de vie[27]. Ce compte rendu a permis d’établir le 22 avril 2005 des lois concernant “les droits des malades et de la fin de vie[28]. Parmi ces lois, se trouve l’article L1111-4[29] du CSP qui autorise le droit à une euthanasie passive. Ce privilège appelé ”directives anticipés” confère au patient le choix sur les interventions du corps médical à poursuivre ou non le maintien en vie du patient en fonction des décisions que le malade aura lui-même fourni au médecin. Elles permettent de faciliter le recours à l’euthanasie passive, puisque les dispositions formelles de rédaction desdites directives sont particulièrement aisées à faire : il suffit de les rédiger par écrit, les dater, les signer et les transmettre à son médecin généraliste ou auprès du corps médical avant une intervention. Et il est bien sûr possible de les modifier à tout moment.

Ainsi, si l’état de santé d’un patient se trouve fortement dégradé et nécessite une intervention lourde, les médecins ne peuvent plus aller à l’encontre de sa volonté si celui-ci ne souhaite pas entrer dans un processus thérapeutique[30].

Le 24 septembre 2000 alors que ces directives n’existaient pas encore, une affaire très fortement médiatisée a présenté des difficultés similaires et a permis de faire naître ce projet de loi. Cette affaire appelée « Vincent Humbert », du nom du patient impliqué, témoigne d’un jeune homme de 22 ans devenu tétraplégique, muet et presque aveugle à la suite d’un accident de voiture. 

Il avait réclamé “le droit de mourir” au président de la république en novembre 2002, qui le lui avait refusé. Le 24 septembre 2003 la mère de Vincent Humbert accompagnée de son médecin, décidaient de lui injecter une dose massive de barbituriques, qui le plongeait dans le coma. À la suite de cela, un non-lieu avait été conclu en 2006[31]. A l’époque, les directives anticipés n’existaient pas et des conflits déontologiques étaient apparus. Les médecins devaient-ils laisser le patient souffrir ou lui accorder le droit de mourir. Les directives, auraient pu permettre au médecin de suivre la volonté de son patient si elles avaient existé, et c’est grâce à cette affaire que la loi Léonetti a pu voir le jour.

La légalisation française du SMA encore à l’état de droit prospectif, aurait un retentissement mondial considérable et obligerait l’Organisation Mondiale de la Santé (ci-contre OMS) à revoir sa définition de référence de la santé au sein de sa Constitution du 7 avril 1948. Elle y est définie comme un « état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »[32] et a permis de revisiter le droit positif français à la suite d’affaires européennes tel que l’arrêt Pretty.[33]

Dans cette arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a accordé un droit à l’autodétermination. Il s’agissait de savoir si le droit à la vie pouvait plus généralement signifier, le droit d’avoir une vie décente, et par extension, de pouvoir choisir sa mort. 

Grâce à la décision judiciaire qui a été rendu, la cour européenne des droits de l’homme a reconnu, pour la première fois, un droit à l’autodétermination à la vie et admis, que l’interdiction du suicide assisté par le droit pénal d’un État pouvait être une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des personnes concernées.[34]

La France en tant que pays signataire dudit texte, devrait adopter les mesures positives s’y référent tel que l’arrêt de l’acharnement thérapeutique en milieu hospitalier.

La légalisation relative au SMA permettrait donc aux patients en grande souffrance de mettre un terme à ses douleurs et donc de facto à sa pathologie incurable. Enfin, la santé mentale du patient, très souvent oubliée au profit de la dimension physique de la santé, se doit d’être remise au centre des soins afin de trouver un équilibre entre les deux et de mettre en adéquation la France avec ses obligations internationales[35]. En effet, elle ne peut être oublié. C’est un aspect fondamental que nul ne peut négliger, surtout lorsqu’un patient décide de demander un SMA où aucun retour en arrière n’est possible. Pour ce faire, il faudrait organiser des rendez-vous avec au moins deux psychologues, deux avis différents et neutres, pour déterminer l’état mental de la personne qui le demande.

Le SMA est encore un sujet controversé en France, a contrario, certains pays européens tendent à le légaliser. C’est pourquoi, l’impact de l’Union Européenne (UE) pourra dès lors être un élément essentiel dans la légalisation de ce droit en France grâce au principe de primauté du droit européen.  Enfin, de nouvelles libertés individuelles commencent à voir le jour dans nos sociétés, en lien direct avec un droit à l’autodétermination tel que l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) ou encore la Procréation Médicalement Assistée (PMA).

II. Un contexte propice à la légalisation française du suicide médicalement assisté

L’union européenne ayant un droit de primauté sur le droit national, a de facto une incidence sur la législation française (A). Certaines de nos libertés individuelles actuelles, telles que l’Interruption Volontaire de Grossesse (ci-joint IVG), ou la Procréations Médicalement Assistées (ci-contre PMA) ont permis de changer des lois en les légalisant. Au vu de toutes ces avancés, un droit au suicide médicalement assisté pourrait potentiellement voir le jour (B).

A. L’impact considérable du droit européen sur la législation française

En tant que membre de l’Union européenne, la France est soumise à un système juridique complexe, rappelant la théorie de Hans Kelsen sur la hiérarchie des normes.

Dans son livre de 1934, « The Pure Theory of Law », Kelsen présente une organisation pyramidale de règles juridiques qui permet de résoudre d’éventuels conflits de normes en déterminant la supériorité relative des normes.[36] Au sommet de la pyramide, le bloc de constitutionnalité, composé de l’ensemble des normes juridiques à valeur constitutionnelle[37] suivi du bloc de conventionnalité qui se rapporte aux lois et traités internationaux et pour finir le bloc de légalité se référant aux lois et ordonnances de l’état.

Dans l’arrêt Costa c. Enel du 15 juillet 1964, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a retenu un principe de primauté du droit de l’union européenne[38]. Ce principe a pour but de faire prévaloir le droit de l’UE par rapport aux droits nationaux des États membres.  Ces derniers ne peuvent manifester leur désaccord, sauf si un État décide de ne pas ratifier le texte litigieux ou pose une réserve relative au texte[39]. L’UE travaille donc à harmoniser les lois des pays y adhérant, afin de permettre aux citoyens européens de suivre des règles communes. Le fait de devoir s’adapter aux lois de chaque pays européen tend à disparaître et permet également d’atténuer les voix des courants nationalistes ou religieux rigides en la matière.   

En France, le Conseil constitutionnel par sa décision du 27 juillet 2006[40] a disposé qu’une loi de transposition ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti[41]. Cela signifie donc que si la norme européenne porte atteinte à la Constitution, le système français est en droit de la rejeter. Mais en matière de SMA, rien dans la constitution ne l’interdit et ce principe de primauté pourrait permettre son entrée en vigueur.

Un second arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme[42],  a estimé qu’une Nation devait protéger les personnes vulnérables en évitant de rendre le recours à la mort trop systématique. Les juges ont également disposé que les lois nationales pouvaient rendre illégale la pratique du suicide médicalement assisté.[43]

Depuis cet arrêt, une évolution législative a eu lieu dans plusieurs pays européens. En Belgique, la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, réglemente cette pratique médicale. La personne demandeuse doit faire état de souffrances physiques ou psychiques constantes et insupportables, qui ne peuvent être apaisées et résultent d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable[44]. En France le droit à l‘euthanasie est toujours interdit.  Néanmoins, en acceptant les valeurs de l’Europe, la France pourrait aller vers une acception du SMA par effet d’entraînement, poursuivant le mouvement amorcé par ses voisins.

D’autres pays ont déjà suivi le chemin belge. L’Italie a voté en 2017 une loi[45] légitimant le droit au suicide médicalement assisté. Celle-ci a été adoptée à la suite des dispositions de l’article 2[46] et 32[47] de la Constitution italienne qui permettent au patient de refuser d’être maintenu en vie artificiellement et qui pourrait être source d’inspiration pour le droit français. En s’appuyant sur l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1976 qui garantit un droit à la santé pour tous, notre pays pourrait s’engouffrer dans la brèche.  Pour cela, il est nécessaire de définir clairement les termes de « vie » et de « mort ».

Ainsi, l’article 580[48] de la loi n°219 du code pénal italien précise qu’elle ne peut être appliquée que sous certaines conditions. Le patient doit tout d’abord formuler une intention de suicide de façon libre et autonome, et cela implique également que sa pathologie cause des souffrances physiques ou psychologiques intolérables. Ce trait, parce que subjectif, est un argument qui pourrait être une « arme » brandie en défaveur du SMA. 

Pour finir, le malade doit être en mesure de prendre des décisions libres et conscientes.[49] Le patient peut ainsi demander une aide au suicide malgré l’interdiction édictée par l’article 580 du code pénal.

Quelques années après la promulgation de cette loi, le Portugal à la suite d’un décret parlementaire[50], réglemente à son tour les conditions de la mort médicalement assistée en modifiant son Code pénal, et ce malgré la forte opposition de la Conférence Épiscopale Portugaise (ci-joint CEP) qui avait tenté de l’empêcher.

Au niveau européen, les pays commencent donc à accepter l’idée d’une aide active à la fin de vie et c’est probablement grâce à eux, en tant que membres de l’Union Européenne, qu’ils pourront exercer une influence dans l’acceptation de ce nouveau droit, appuyé par le principe de primauté.

La France, en tant qu’État membre, pourrait ainsi à son tour adopter un texte allant dans ce sens, et pourquoi pas l’Union européenne elle-même, pourrait se voir dotée d’une loi applicable par tous les états. Bien que cette option s’avère complexe, il semble que l’on puisse raisonnablement penser qu’elle puisse être intégrer au droit européen mais aussi international grâce aux droits internes.

Les nouvelles lois en lien avec le développement des libertés fondamentales, tel que la procréation médicalement assistée ou encore l’interruption volontaire de grossesse permettent de poursuivre le mouvement de progression opéré.

B. L’élargissement d’une libertés individuelles, une possibilité accrue d’adoption d’un droit au suicide médicalement assisté français.

Le 16 décembre 1966, à New York, un pacte international relatif au droit civils et politiques a été adopté par l’assemblée générale des Nations unies. Ce pacte a pour but de protéger les particuliers contre les ingérences de l’état en établissant des lois, tel que celles permettant de préserver la vie prévue par l’article 6.[51]

Le droit à la vie n’a pas de définition commune dans tous les pays. En France, elle se réfère à l’ensemble des disposition légales qui concourent à garantir le respect de la vie humaine sans plus de précision. L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que tout individu a droit à la vie[52]. De plus, l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi[53]. Enfin, l’article 16 du code civil dispose que la loi assure la primauté de la personne, interdit tout atteinte à la dignité de celle-ci et garantie le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Cet article est l’un des fondements de la définition du droit à la vie.

En France, une avancée progressive des libertés individuelles a été constatée avec l’instauration du droit à l’avortement ou de la loi sur la procréation médicalement assistée. Le droit à l’avortement est entré en vigueur en 1975 grâce à la loi Veil du 17 janvier[54]. Quant au droit à la PMA, c‘est grâce à la loi du 2 août 2021 qu’elle a vu le jour.[55]. Ces règles ont permis de mettre en avant l’autodétermination des individus. Les êtres humains sont désormais maître de leur destin ce qui n’était pas concevable au début des années 1990. Aujourd’hui, une nette évolution a eu lieu. Tout homme est maître de son existence et peut choisir de créer ou d’interrompre sa vie.

À la suite de cela, de nombreuses controverses sont apparues. C’est ainsi qu’en ce qui concerne le droit à l’avortement, l’article 6 va en deçà de l’IVG qui consiste à retirer la vie du fœtus. Pour remédier à ce problème, le droit français considère que le fœtus n’a pas de personnalité juridique et ne peut bénéficier des droits mentionnés dans les Chartes, dont le droit à la vie[56]

Il n’empêche que ce pacte a permis d’avancer considérablement vers un droit au suicide médicalement assisté.

Contrairement à l’avortement où la fin de vie portait sur l’embryon, le SMA pose la question de l’appartenance de son propre corps. Il s’agit de déterminer si nous sommes libres de choisir pour nous-même notre propre fin. Et dans le cas où le patient choisirait d’en finir dignement, selon sa volonté, il pourrait alors s’administrer lui-même la dose létale. Contrairement à l’euthanasie qui implique un tiers, le SMA donne au patient la maîtrise de son destin et renforce ainsi nos libertés individuelles.

Tout reste bien sûr à faire en France, mais au vu de l’évolution suivie par les pays voisins, tout reste possible. Nous pouvons envisager que prochainement une nouvelle proposition de loi favorisant les libertés fondamentales soit mise en avant, tout comme le souhaitaient certains candidats aux dernières présidentielles, lorsque l’association pour le droit à mourir dans la dignité a demandé aux différents partis politiques de se positionner sur le sujet, quitte à organiser un référendum citoyens.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Fautrat Théo, « Le SMA : la quête de la justification éthique »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 418.


[1] Wikipedia contributors. (2021b, janvier 28). Affaire Pretty contre Royaume-Uni. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Pretty_contre_Royaume-Uni

[2] Panorama rapide de l’actualité « santé » des semaines du 13 février, du 20 février et du 27 février 2023 – Karima Haroun, rédactrice spécialisée, Dictionnaire Permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, Éditions Législatives – 16 mars 2023, Dalloz Actualité.

[3] Cédric Daubin. (2019, 8 février). Euthanasie et suicide médicalement assisté : un débat au-delà de celui de l’accompagnement de la fin de vie | La base Lextenso. labase-lextenso, N°029. https://www.labaselextenso.fr/petites-affiches/LPA138j8

[4] Deutéronome 32 : 39 « Sachez donc que c’est moi qui suis Dieu, et qu’il n’y a point de Dieu près de moi ; je fais vivre et je fais mourir, je blesse et je guéris, et personne ne délivre de ma main. »  (s. d.). https://saintebible.com/deuteronomy/32-39.html

[5] Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. (1789, août 26). Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527431/

« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas »

[6] Camus, A. (1985). Le Mythe De Sisyphe Essai Sur Labsurde (Collection Folio / Essais) (French Edition) (GALLIMARD éd.). Gallimard. pp17- 18

[7] Liberation, & Afp. (2023, 8 décembre). Le projet de loi « fin de vie » sera présenté « courant février » . Libération. https://www.liberation.fr/societe/sante/le-projet-de-loi-fin-de-vie-sera-presente-courant-fevrier-annonce-agnes-firmin-le-bodo-20231208_LRMREKIF2ZAEVCOSESPFIDXKEE/

[8] Regard des Français sur la fin de vie. (2021, 8 avril). IFOP. https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-la-fin-de-vie-2/

[9] Édit de Marly portant Règlement pour l’étude et l’exercice de la médecine registré en Parlement le 18 mars 1707. (s. d.). Gallica. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86022352/f10.item

[10] Larousse, Ã. (s. d.-b). Serment d’Hippocrate – LAROUSSE. Larousse. https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Serment_dHippocrate/143995#:%7E:text=Ensemble%20des%20r%C3%A8gles%20morales%20de%20l%27art%20de%20gu%C3%A9rir%2C,l%27%C3%A9dit%20royal%20de%201707%2C%20qui%20est%20toujours%20appliqu%C3%A9.

[11]Serment d’Hippocrate | Conseil départemental du Val de Marne de l’Ordre des médecins. (s. d.). https://conseil94.ordre.medecin.fr/content/serment-dhypocrate-1

“Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion”

[12] Serment d’Hippocrate | Conseil départemental du Val de Marne de l’Ordre des médecins. (s. d.). https://conseil94.ordre.medecin.fr/content/serment-dhypocrate-1

Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas”

[13] R. (2021, 17 novembre). Sida : une patiente argentine guérie « naturellement » sans traitement. RFI. https://www.rfi.fr/fr/science/20211117-sida-une-patiente-argentine-gu%c3%a9rie-naturellement-sans-traitement

[14]Godet, F. (s. d.). Exode 20 – Commentaire biblique du verset 13 Bible annotée. Levangile.com. https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Exode-20-Note-13.htm

« Tu ne tueras point »

[15] Luc. (s. d.). Luc 10 : 27 « Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même. » | La Sainte Bible par Louis Segond 1910 (LSG) | https://www.bible.com/fr/bible/93/LUK.10.27.LSG

[16] Joseph Card. Ratzinger, & Alberto Bovone. (1987, 22 février). Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation. Réponses à quelques questions d’actualité. Vatican.Va.https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19870222_respect-for-human-life_fr.html

[17] Bernhard Meuser. (2020, 10 juillet). Le suicide est-il autorisé du point de vue de la Bible ? | YOUCAT. Youcat. https://www.youcat.org/fr/credopedia/suicide/

L’Église catholique le considère comme une contradiction fondamentale des lois de Dieu, qui est le seul Seigneur sur la vie et la mort.

[18]  En vertu de l’article 223–13 qui dispose que “Le fait de provoquer le suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide.”

[19] Né le 24 décembre 1949 puis mort le 4 mai 2017 Ruwen Ogien était un philosophe libertaire français

[20] Ogien, Ruwen. « La vie, la mort, l’État », Martine Gross éd., Sacrées familles ! Changements familiaux, changements religieux. Érès, 2011, pp. 251-262.

“Le suicide assisté sous ses différentes formes, la gestation pour autrui, l’aide médicale à la procréation pour les gays et les lesbiennes et les femmes jugées « trop âgées », et même le clonage reproductif ne visent nullement à causer des torts à quiconque. Ce sont, par conséquent, des « crimes sans victimes » qu’il est injuste de pénaliser.”

[21] Ogien, Ruwen. Penser la pornographie. Presses Universitaires de France, 2008

[22] Article L1110-5 – Code de la santé publique – Légifrance. (2002, 5 mars). Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006685747/2002-03-05/

“Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.

Les dispositions du premier alinéa s’appliquent sans préjudice de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produit de santé, ni des dispositions du titre II du livre Ier de la première partie du présent code.

Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.

Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort.”

[23] Pochard, F., Kentish-Barnes, N., & Azoulay, E. (2007, 1 octobre). Évaluation des conséquences psychologiques d’un séjour en réanimation. Elsevier. https://www.srlf.org/wp-content/uploads/2015/11/0710-Reanimation-Vol16-N6-p533_537.pdf#:~:text=Le%20contexte%20de%20stress%20v%C3%A9cu%20lors%20du%20s%C3%A9jour,sur%20la%20vie%20relationnelle%2C%20affective%20et%20sociale%20despatients.

[24] Article L1111-11. (2020, 1 octobre). Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041721077

“Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative

[25] S-M., F. (2018). Le droit à l’autodétermination de la personne humaine (French Edition). IRJS.

“le pouvoir de choisir, entre plusieurs options, celle qui correspond à ses aspirations personnelles”

[26] II, J. P. (1995, 25 mars). Evangelium vitae (25 mars 1995) | Jean Paul II. Vatican.Va. §79 https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae.html

“qu’Est licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d’amoindrir la conscience et d’abréger la vie pousuivant que s’il n’existe pas d’autres moyens, et si, dans les circonstances données, cela n’empêche pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux”

[27] Vie publique.fr. (2021, 4 octobre). Rapport de présentation et texte de la proposition de loi de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. https://www.vie-publique.fr/rapport/34495-rapport-de-presentation-et-texte-de-la-proposition-de-loi-de-mm-alain-c

[28] LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (1) – LégiFrance. (s. d.). https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000001291462

[29] Arrêt d’acharnement thérapeutique. (2002, 5 mars). Legifrance.                 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006685766/

 ”Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.”

[30] Marchesini, Silvane Maria. « Le suicide assisté : la nouvelle « peine de mort » induite par la société contemporaine ? Une analyse à la frontière entre droit et psychanalyse », Études sur la mort, vol. 141, no. 1, 2012, pp. 37.

“Elle ouvre un espace pour une analyse concrète de l’arrêt de « l’acharnement thérapeutique » à travers la consultation de « directives anticipées » éventuellement formulées par le malade, en maintenant la limite que constitue « l’homicide », sans décriminaliser ou dépénaliser l’euthanasie à travers le suicide assisté consenti.”

[31]Affaire Vincent Humbert. (2015, 8 mars). Dans Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Vincent_Humbert

[32] Santé mentale : renforcer notre action. (2018, 30 mars). Organisation Mondial de la Santé. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response

Le préambule de la constitution de l’OMS dispose que “La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”

[33] Affaire Pretty c. Royaume-Uni / Suicide assisté – Institut Européen de Bioéthique. (2019, 16 janvier). Institut Européen de Bioéthique. https://www.ieb-eib.org/fr/justice/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/affaire-pretty-c-royaume-uni-suicide-assiste-66.html

“Mme Pretty, qui est paralysée et souffre d’une maladie dégénérative incurable, alléguait dans sa requête que le refus par le Director of Public Prosecutions d’accorder une immunité de poursuites à son mari s’il l’aidait à se suicider et la prohibition de l’aide au suicide édictée par le droit britannique enfreignaient à son égard les droits garantis par les articles 2 portant sur le droit à la vie, 3 ayant pour thème l’interdiction à la torture, 8 sur le respect de la vie privée et familiale, 9 énonçant la liberté de pensée, de conscience et de religion et l’article 14 sur l’interdiction à la discrimination de la Convention européenne des droits de l’homme dans le Titre 1 Droits et libertés.”

[34] E. (2022, 3 mars). Droits de L’Homme : Cours Magistral PDF. eBoik.com. https://eboik.com/droits-de-homme/#ib-toc-anchor-0

[35] Méthode de l’interview, Alizée Fayot.

[36] PROTIERE Guillaume, CHAMBARDON Nicolas, MALBLANC Matthias et al., « Fiche 9. La hiérarchie des normes », dans : , Les indispensables du droit constitutionnel. sous la direction de PROTIèRE Guillaume, CHAMBARDON Nicolas, MALBLANC Matthias et al. Paris, Ellipses, « Plein Droit », 2016, p. 57-62. URL : https://www.cairn.info/les-indispensables-du-droit-constitutionnel–9782340013148-page-57.html

[37] Qu’est-ce que le bloc de constitutionnalité ? (2020, 28 juillet). Vie-publique. https://www.vie-publique.fr/fiches/275483-quest-ce-que-le-bloc-de-constitutionnalite

[38] Arrêt de la Cour de justice, Costa/ENEL, affaire 6–64 (15 juillet 1964). (1964, juillet). CVCE. https://www.cvce.eu/obj/arret_de_la_cour_de_justice_costa_enel_affaire_6_64_15_juillet_1964-fr-cb4154a0-23c6-4eb5-8b7e-7518e8a2a995.html

[39] Primauté du droit de l’Union européenne – Fiches d’orientation – juin 2020 | Dalloz. (2020, juin). Dalloz. https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F001065#_

Le principe de primauté signifie que le droit de l’Union prévaut sur les droits nationaux des États membres. Il bénéficie à toutes les normes de droit européen disposant d’une force obligatoire et s’exerce à l’égard de toutes les normes nationales.

[40] Décision n° 2006–540 DC du 27 juillet 2006. (2006, 27 juillet). Conseil constitutionnel. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540DC.htm

[41]Décision n° 2006–540 DC du 27 juillet 2006. (s. d.). Conseil constitutionnel. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540DC.htm

Considérant, en premier lieu, que la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti

[42] Cour européenne des droits de l’homme 29 avril 2002 n° 2346-02 affaire Pretty

[43] Wikipedia contributors. (2021, 28 janvier). Affaire Pretty contre Royaume-Uni. wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Pretty_contre_Royaume-Uni#:%7E:text=L%27%20arr%C3%AAt%20Diane%20Pretty%20contre%20Royaume-Uni%20du%2029,l%27%20euthanasie%20ayant%20eu%20un%20retentissement%20international%20

Considérant, en premier lieu, que la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti

[44] C. (2021, 1 juin). Euthanasie, suicide assisté, la législation en Belgique. Confiance en soin. https://confiance-en-soin.com/euthanasie-ou-suicide-assiste-en-belgique/

[45] Loi n° 219 du 22 décembre 2017

[46] Art. 2 costituzione. (s. d.). Brocardi.it. https://www.brocardi.it/costituzione/principi-fondamentali/art2.html

 La République reconnaît et garantit les droits inviolables de l’homme [4, 13 et suiv.], tant en tant qu’individu que dans les formations sociales où sa personnalité a lieu [18, 19, 20, 29, 39, 45, 49 ; c.c. 14 ff., 2247 et suiv.], et exige l’accomplissement des devoirs obligatoires de solidarité politique, économique et sociale [4, 23 , 41-44, 52-54; vers .c. 834-839, 1175, 1176, 1900 3]

[47]Art. 32 costituzione. (s. d.). Brocardi.it. https://www.brocardi.it/costituzione/parte-i/titolo-ii/art32.html

La République protège la santé en tant que droit fondamental de l’individu [38 2] et l’intérêt de la communauté, et garantit la gratuité des soins aux plus démunis.

Personne ne peut être astraint à un certain traitement de santé sauf par la loi. En aucun cas, la loi ne peut violer les limites imposées par le respect de la personne humaine

[48] Art. 580 codice penale – Istigazione o aiuto al suicidio. (s. d.). Brocardi.it. https://www.brocardi.it/codice-penale/libro-secondo/titolo-xii/capo-i/art580.html

« Toute personne qui incite d’autres personnes à se suicider ou renforce l’intention d’autrui de se suicider, ou facilite leur exécution de quelque manière que ce soit, est puni, en cas de suicide, d’une peine d’emprisonnement de cinq à douze ans. Si le suicide ne se produit pas, il est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans, à condition que la tentative de suicide entraîne des blessures graves ou très graves. »

[49] Giuridica, R. (2019, 29 septembre). REDAZIONE GIURIDICA. Brocardi.it. https://www.brocardi.it/notizie-giuridiche/consulta-apre-strada-suicidio-assistito/2036.html

[50] Décret parlementaire n° 199/XIV du 5 novembre 2021

[51] Wikipedia contributors. (2022b, février 16). Pacte international relatif aux droits civils et politiques. wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_international_relatif_aux_droits_civils_et_politiques

Article 6 : droit à la vie et sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide à la privation de la vie.

[52] Déclaration des Droits de l‘Homme et du Citoyen de 1789 (1789). Légifrance.Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[53] E. (s. d.). European Convention on Human Rights – Official texts, Convention and Protocols. European Court of Human Rights. https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=basictexts&c=

[54] Loi n°75-17 relative à l’interruption volontaire de grossesse (1975, 17 janvier) Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[55] Loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (2021, 2 août) LOI n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[56] Conditions d’accès, d’utilisation et mise en garde | Vos droits en santé. (s. d.). vosdroitsensante. http://www.vosdroitsensante.com/1499/le-statut-juridique-du-foetus#:%7E:text=Avant%20toute%20chose%2C%20signalons%20qu%27aujourd%27hui%2C%20il%20est%20bien,s%C3%Bbret%C3%A9%20et%20%C3%A0%20la%20s%C3%A9curit%C3%A9%20de%20sa%20personne.


SOURCES :

Bibliographie :

Livres :

Camus, A. (1985). Le Mythe De Sisyphe Essai Sur Labsurde (Collection Folio / Essais) (French Edition) (GALLIMARD éd.). Gallimard. pp17- 18

Godet, F. (s. d.). Exode 20 – Commentaire biblique du verset 13 Bible annotée.

Luc. (s. d.). Luc 10 : 27 Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même. | La Sainte Bible par Louis Segond 1910 (LSG)

Ogien, Ruwen. « La vie, la mort, l’État », Martine Gross éd., Sacrées familles ! Changements familiaux, changements religieux. Érès, 2011, pp. 251-262.

Ogien, Ruwen. Penser la pornographie. Presses Universitaires de France, 2008

Articles :

Cédric Daubin. (2019, 8 février). Euthanasie et suicide médicalement assisté : un débat au-delà de celui de l’accompagnement de la fin de vie

Revues :

Gallopin, Christian. « Un suicide n’est jamais accompagné », VST – Vie sociale et traitements, vol. 98, no. 2, 2008, pp. 94-99.

Marchesini, Silvane Maria. « Le suicide assisté : la nouvelle « peine de mort » induite par la société contemporaine ? Une analyse à la frontière entre droit et psychanalyse », Études sur la mort, vol. 141, no. 1, 2012, pp. 37-53.

Journal de presse :

Morel, S. (2021, 30 janvier). Au Portugal, le Parlement légalise l’euthanasie. Le monde

Méthode de l’interview :

Alizée Fayot doctorante en droit de la santé

Sitographie :

Légifrance :

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240/

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006071194

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006685747/2002-03-05/

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041721077

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006685766/

Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

LOI n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000001291462

Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Premier_concile_de_Braga

https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Vincent_Humbert

Affaire Pretty contre Royaume-Uni — Wikipédia (wikipedia.org)

Pacte international relatif aux droits civils et politiques — Wikipédia (wikipedia.org)

Larousse :

Définitions : serment – Dictionnaire de français Larousse

Brocardi :

Art. 2 costituzione – Brocardi.it

Art. 32 costituzione – Brocardi.it

Art. 580 codice penale – Istigazione o aiuto al suicidio – Brocardi.it

La Consulta apre la strada al suicidio assistito – Diritto penale – Notizie Giuridiche – Brocardi.it

Autres :

https://conseil94.ordre.medecin.fr/content/serment-dhypocrate-1

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86022352/f10.item

https://saintebible.com/deuteronomy/32-39.html

Europe : Quels sont les pays qui autorisent le suicide assisté ? (soin-palliatif.org)

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/29/au-portugal-le-parlement-legalise-l-euthanasie_6068124_3210.html

Le regard des Français sur la fin de vie – IFOP

https://www.conseilnational.medecin.fr/medecin/devoirs-droits/serment-dhippocrate

https://www.rfi.fr/fr/science/20211117-sida-une-patiente-argentine-gu%c3%a9rie-naturellement-sans-traitement

https://www.bible.com/fr/bible/93/LUK.10.27.LSG

Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation. Réponses à quelques questions d’actualité (vatican.va)

Evangelium vitae (25 mars 1995) | Jean Paul II (vatican.va)

doi:10.1016/j.reaurg.2007.09.011 (srlf.org)

https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response

Affaire Pretty c. Royaume-Uni / Suicide assisté – Institut Européen de Bioéthique (ieb-eib.org)

https://eboik.com/droits-de-homme/#ib-toc-anchor-0

https://www.cairn.info/les-indispensables-du-droit-constitutionnel–9782340013148-page-57.html

Arrêt de la Cour de justice, Costa/ENEL, affaire 6-64 (15 juillet 1964) – CVCE Website

Primauté du droit de l’Union européenne – Fiches d’orientation – juin 2020 | Dalloz

Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

Euthanasie, suicide assisté, la législation en Belgique ~ Confiance en soin (confiance-en-soin.com)

Art. 2 costituzione – Brocardi.it

Art. 32 costituzione – Brocardi.it

Art. 580 codice penale – Istigazione o aiuto al suicidio – Brocardi.it

La Consulta apre la strada al suicidio assistito – Diritto penale – Notizie Giuridiche – Brocardi.it

Primauté du droit de l’Union européenne – Fiches d’orientation – juin 2020 | Dalloz

Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

Euthanasie, suicide assisté, la législation en Belgique ~ Confiance en soin (confiance-en-soin.com)

European Convention on Human Rights – Official texts, Convention and Protocols (coe.int)

Conditions d’accès, d’utilisation et mise en garde | Vos droits en santé (vosdroitsensante.com)

https://www.vie-publique.fr/fiches/275483-quest-ce-que-le-bloc-de-constitutionnalite


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ParJDA

L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, un établissement de soin qui se doit d’être aussi un service public de la réparation du soin

Art. 420.

Le présent article rédigé par Mme Marie-Charlotte Dalle, directrice juridique de l’AP HP, s’inscrit dans le cadre du colloque de l’Association Française de Droit de la Santé (AFDS) : Les juges de la santé qui s’est tenu à Bordeaux les 28 et 29 septembre 2023.

En outre, la contribution rejoint la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la Santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif et – pour cette publication – de la Revue de droit sanitaire et social (RDSS éditions Dalloz).

La loi du 4 mars 2002 a instauré l’obligation d’assurance du risque médical des établissements de santé. Quelques mois après, la loi du 30 décembre a prévu une possible dérogation à cette obligation, dérogation susceptible d’être « accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance ».[1] A ce jour, seule l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’est vue accordée une telle dérogation au terme d’un arrêté ministériel du 3 janvier 2003[2].

Néanmoins, elle avait déjà opté depuis 1977 pour un dispositif « d’auto-assurance », à la suite de la dénonciation par son assureur de l’époque du contrat qui garantissait le risque médical de l’AP HP. En effet, l’évolution de la sinistralité de l’établissement aboutissait à un nouveau contrat prévoyant un doublement de la prime assurantielle. La direction générale écarta cette proposition et décida que l’AP-HP assurerait elle-même directement le risque médical encouru au sein de ses 38 sites.

Cette fonction assurantielle du risque médical s’est donc mise en place au sein de la direction juridique de l’AP-HP, progressivement, au fil du temps, et sans être véritablement anticipée, réfléchie ni organisée comme telle : un établissement de soin n’est pas une société d’assurance, le cœur de métier de l’hôpital n’a rien à voir avec l’objet social d’un assureur. Endosser cette mission d’assurer directement les patients que l’on soigne suppose d’en évaluer les composantes et les enjeux, afin de la structurer au mieux, la suivre et la contrôler.

C’est dans cette perspective que la direction juridique de l’AP-HP fait aujourd’hui évoluer son organisation et son fonctionnement afin de mieux répondre au rôle qui lui est dévolu par l’institution d’assurer le risque médical. Un rôle qui s’inscrit dans la continuité du soin, et peut même constituer une étape du parcours de soin : réparer le soin défaillant c’est encore soigner, indemniser la défaillance, c’est aussi réparer.

Dans cette perspective, il s’agit moins pour l’AP HP d’être son « autoassureur », que d’accomplir une mission de service public de la réparation du soin[3]. Dès lors, s’impose la nécessité de structurer, de professionnaliser et d’encadrer ce service et de veiller à ce qu’il s’exerce avec qualité et célérité, dans le respect des quatre principes fondamentaux du service public hospitalier que sont l’égalité d’accès et de prise en charge, la continuité, l’adaptation et la neutralité[4].

Réparer le soin défaillant – rôle des équipes soignantes – ou indemniser la défaillance du soin – rôles de l’équipe de la direction juridique[5] – participent d’une même mission de service public, exigeante, aux enjeux humains et économiques majeurs.

Assumer en direct, sans l’intermédiaire d’une société d’assurance, le suivi, le traitement et la réponse aux réclamations indemnitaires impose à la direction juridique de l’AP –HP de disposer de ressources humaines compétentes, mobilisées et attentives et d’outils performants et facilitateurs. Cela implique également pour l’équipe juridique, de collaborer au quotidien avec les équipes administratives et soignantes de proximité sur sites, celles qui connaissent les patients, celles qui ont accès à leur dossier médical. Ainsi, échanges d’informations individuelles et contextuelles, éléments d’explications médico-légales, accès aux retours d’expérience, identification rapide des dysfonctionnements ou des malentendus, tout ce travail participe à la qualité et à la célérité du traitement des réclamations et de la réponse que le service public hospitalier doit apporter à chaque usager.

Ce travail permet aussi d’identifier plus finement les situations et les contextes à risque, afin d’en prendre la mesure, d’en établir une cartographie précise, et ainsi de parvenir à échanger avec la communauté médicale de façon constructive et préventive, notamment à l’occasion de la présentation du bilan de sinistralité annuel.

Assumer directement les procédures d’indemnisation des patients,  c’est aussi prendre la main sur une stratégie plus volontariste en termes de démarches amiables, voire de médiation, et dépasser la seule approche du règlement pécuniaire des conflits pour proposer aux patients et à leurs proches, rencontres, accompagnement, lieux et moments d’écoute et de reconnaissance de ce qui a été vécu, ressenti, éprouvé. C’est aussi participer avec la direction qualité à une relecture de l’ensemble des affaires constitutives d’évènements indésirables graves, et d’en évaluer les impacts sur les patients et les équipes soignantes, les actions correctives, les projets d’amélioration.

Ainsi, en assumant cette mission de service public de la réparation du soin, la direction juridique de l’AP HP s’inscrit pleinement dans la politique qualité des soins de l’établissement. Avec la conviction de  pouvoir faire siens les propos de Louis Pasteur, « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Dalle Marie-Charlotte, « L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, un établissement de soin qui se doit d’être aussi un service public de la réparation du soin »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 420.


[1] Ces dispositions sont codifiées à l’article L.1142-2 du code de la santé publique.

[2] A. 3 janv. 2003(JO 8 janv), art 1er : « La liste des établissements publics de santé exonérés de l’obligation de souscrire une assurance pour la couverture de leur responsabilité civile ou administrative suite à des dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne survenant dans le cadre de leur activité de prévention, de diagnostic ou de soins est la suivante :

Assistance publique-hôpitaux de Paris. »

[3] En écho d’ailleurs à une récente décision du Conseil d’Etat qui, dans le cadre d’un litige opposant l’AP-HP à l’ONIAM, a considéré que « L’AP-HP, bénéficiant d’une dérogation à l’obligation de souscrire un contrat d’assurance, ne peut être regardée comme un assureur pour l’application des dispositions de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique » CE 20 juin 203, n°460868

[4] Cf. Art. L.6112-1 et suivants du code de la santé publique

[5] Le département de la responsabilité hospitalière au sein de la direction juridique de l’AP HP rassemble l’équipe en charge du traitement des réclamations indemnitaires, composée d’une douzaine de juristes et d’une quarantaine de médecins conseil (vacataires).

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ParJDA

Une justice des pairs, Juger les siens ? 

Art. 421.

Le présent article rédigé par M. Christophe Eoche-Duval, Conseiller d’Etat, s’inscrit dans le cadre du colloque de l’Association Française de Droit de la Santé (AFDS) : Les juges de la santé qui s’est tenu à Bordeaux les 28 et 29 septembre 2023.

En outre, la contribution rejoint la 8e chronique en Droit(s) de la santé (janvier 2024) du Master Droit de la Santé (Université Toulouse Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif et – pour cette publication – de la Revue de droit sanitaire et social (RDSS éditions Dalloz).

Ma contribution retranscrite  à votre table ronde « Une justice des pairs, Juger les siens ? », à laquelle j’ai été honoré d’être invité, se bornera à rappeler les quelques pistes de réflexions dont j’ai pu témoigner, et non pas son verbatim ni une contribution remaniée. Je suivrais l’ordre des questions de notre présidente de table ronde. Naturellement, je ne m’exprimerai ni au nom du Conseil d’Etat ni au nom de l’Ordre des infirmiers, mais comme juriste ou auteur de doctrine, précisément auteur des jurisclasseurs des Ordres de santé .

Une justice à part ou à part entière ?

Il est incontestable que l’effet de la réforme de 2002, entrée en vigueur en 2007, a érigé la juridiction ordinale en justice à part entière, entrainant l’application du code de justice administrative, par renvoi ou « appropriation-adaptation au code de la santé publique, impliquant l’irruption du droit à un « procès équitable ».

C’est aussi une justice à part dans la double mesure où cette juridiction échevinée, dans laquelle les « assesseurs » non-magistrats professionnels et véritables pairs du mis en cause  sont majoritaires dans le quorum (rappel : 5 ; N.B. : article R. 4311-93 du code de la santé publique, s’agissant de la chambre nationale des infirmiers) concourent à n’interpréter que des règles de déontologie professionnelle, co-élaborées par leurs Ordres professionnels, et à les sanctionner en prenant toute l’expression de leur vécu pour en apprécier les manquements.

En résumé, j’aurais tendance à souligner que les professionnels renvoyés, qui font l’expérience devant leurs  pairs de cette justice à part et à part entière vivent une certaine « sidération ». Je  relève souvent, au stade de l’appel, que la phase du premier degré de juridiction ne leur a pas toujours permis de mesurer complètement que, de cette juridiction, dépend l’enjeu d’une réputation ou d’un droit d’exercice. L’appel aide à se ressaisir, mais la prise de conscience aurait dû mieux se faire dès la phase de conciliation préalable.

Quelles sont les compétences ratione materiae ?

 Il faut aborder, pour nourrir votre réflexion, plusieurs sujets.

Contrairement à d’autres contentieux disciplinaires, la juridiction ordinale des Ordres de santé, depuis le cadre de la réforme de 2002, est saisie presque automatiquement par l’effet d’une plainte, qui ne peut être classée par un tri d’opportunité des Ordres. Certes elle doit faire l’objet d’une conciliation préalable, mais cette phase délivre nécessairement, à défaut de conciliation, un permis de citer que n’a même plus à effectuer le plaignant, l’Ordre étant tenu de saisir la juridiction ordinale (en s’y associant ou non). L’inflation des requêtes, l’efficience de l’opportunité de la recherche d’une voie de conciliation, la nécessité de ne pas confonde signalement ou avertissement d’un usager ou d’un confrère et plainte sérieuse en bonne et due forme, ne feront pas échapper à la réflexion des progrès à faire (y compris réglementaire) dans la phase en amont du procès ordinal, sauf à « emboliser » gravement celui-ci.

Deux angles morts de la saisine du juge ordinal doivent aussi être souligner, car ils sont « mal vécus » et obéissent à une jurisprudence qui relève plus d’une casuistique difficile à comprendre et non insusceptible de revirements jurisprudentiels .

Il y a d’abord une compétence ordinale réservée aux seuls praticiens inscrits au tableau. Certes, les praticiens non-inscrits encourent d’autres voies de poursuite (pénale)  mais en pratique ce n’est pas le plaignant ni l’ordre qui peuvent d’eux-mêmes le mettre en mouvement mais le Parquet , pour exercice illégal. Les poursuites sont loin d’être systématiques, même si la transparence manque. L’exercice illégale du point de vue de l’absence d’inscription au tableau est peut être anecdotique chez les professions de santé « anciennes » tels les médecins, mais loin de l’être chez les infirmiers ( 130 000 infirmiers ne le sont toujours pas !). Il y a une jurisprudence (CE, 23 mars 1990, n°90095 ; CE. 21 septembre 2015, n°375016, ADDA. 2015. Page 1776, etc. ) qui permet au juge ordinal de maintenir sa compétence si les faits antérieurs à l’inscription au tableau auraient, s’ils avait été connus lors de l’inscription, donné lieu au titre  de l’appréciation des conditions de moralité, eu égard à leur gravité, à un motif de refus d’inscription. Mais cette jurisprudence n’est pas exempte de critiques, et surtout d’incompréhension.

Il y a ensuite le « privilège » des praticiens qui exercent au sein du service public de santé et que le plaignant ne peut par lui-même faire renvoyer devant le juge ordinal, sauf si la faute est détachable par sa gravité ou son étrangeté de l’exercice normal du service public. Cette seconde jurisprudence, qui s’appuie sur l’article L. 4124-2 du code de la santé publique, et l’interprète (elle est si abondante que je me borne à citer l’arrêt CE, 19 février 1982, n°08929, Conseil départemental de l’ordre des médecins du Bas-Rhin, Gaz. Pal. 1982, 2, page 338) ,  est également sujette à bien des interrogations des justiciables.

L’une comme l’autre de ces jurisprudences ne pourront pas faire l’économie de réflexions, voire d’évolutions législatives (pour le second cas évoqué) ou réglementaires (pour le premier cas évoqué).

Quelle qualité de la justice des pairs ?

Cette question m’inspire deux réponses latérales. La qualité de la justice ordinale dépend aussi beaucoup de la formation en amont des praticiens à leurs devoirs déontologiques. Sont-ils, aujourd’hui, assez instruits des bonnes pratiques déontologiques de leur profession, au cours de leur formation initiale comme (dans notre cas d’espèce, les études d’infirmiers, mais on pensera bien sûr aux autres professions de santé) ? Je crains que la réponse soit dans la question. Et qu’en est-il au titre de leur formation continue, qui devient pourtant une cause de la future certification ? Bref, l’expérience montre hélas que la plainte et le procès font (souvent) « découvrir » des règles déontologiques qu’on ignorait dans leurs détails, leur opposabilité et leurs conséquences.

Seconde réflexion, la formation des assesseurs professionnels à leurs fonctions juridictionnelles. Les prud’hommes essaient de former les conseillers prudhommaux tant au Droit du travail qu’au code de procédure civile,  en est-il suffisamment de même des Ordres ?

La justice ordinale dépend aussi des moyens de juger octroyés par les Ordres. Les moyens des greffes, sur la formation initiale et continue desquels une réflexion pourrait aussi s’ouvrir, dépendent entièrement de la main administrative des Ordres, sans même un avis conforme du chef de la juridiction…

Acceptabilité de la justice des pairs ?

« On n’a que vingt-quatre heures pour maudire ses juges ? », la maxime de Beaumarchais vaudrait-elle pour les praticiens ? La question n’est pas qu’anecdotique. Nous renvoyons d’abord à nos jurisclasseurs sur les Ordres de santé (Fasc. 144-20 et n°144-30) pour plus de statistiques et de ventilation par manquements renvoyés et par sanctions infligées. Nous avons déjà évoqué la « sidération » que peut engendrer le procès ordinal. Cette sidération prend le praticien à l’annonce de sa sanction. La palette du quantum est pourtant large mais le caractère ressenti comme « infamant », y compris du simple « avertissement », étonne d’une forme d’acharnement de principe à faire appel d’une sanction ressentie comme « injuste » .

A la palette des sanctions « infamantes » de l’art L 4124-6 du code de la santé publique, s’était de manière prometteuse ajoutée une faculté ouverte par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009. Le juge disciplinaire peut adjoindre ou substituer une sanction « curative » ou « pédagogique » comme on veut. C’est le nouvel article L. 4124-6-1 du code de la santé publique qui prévoit en effet d’enjoindre à l’intéressé de suivre une formation. Hélas, d’une part, il aura fallu attendre cinq ans le décret d’application n°2014-545 du 26 mai 2014 (JORF du 28 mai 2014, page 8921) et d’autre part, des imperfections à ce régime de mise en œuvre réglementaire, et enfin l’absence à la disposition des chambres qui jugent d’un « catalogue » de formations (avec des thèmes et es durées) pouvant faire l’objet d’une injonction, rendent cette réforme quasiment ineffective. Et je le regrette vivement. Car cette sanction serait souvent plus acceptée qu’un …avertissement.

Il est toujours délicat de fixer le quantum, en l’absence de « justice ordinale prédictive », alors que c’est une question très délicate. N’oublions jamais qu’à partir de trois mois sans sursis d’interdiction d’exercice, un praticien libéral (qui n’a pas Pôle emploi) ferme la porte de son cabinet.

L’acceptabilité ne doit pas être seulement envisagée du côté des praticiens mais aussi du « patient », mot que je préfère à celui d’usagers des prestations de santé. Cette acceptabilité renvoie au sentiment que la justice ordinale doit être « équitable » pour apprécier leur cause alors que quatre des cinq membres de la formation qui statuera sont des pairs du praticien mis en cause. Il n’y a pas de voix qui s’élève à ce jour, mais tôt ou tard on ne pourra faire l’économie d’une réflexion tendant à ouvrir l’échevinage à l’introduction d’un assesseur « représentant » des patients, choisi selon un mode ou autre parmi les associations agréées de patients et d’usagers du service public de santé. Leur regard comme « assesseur » peut s’assurer aussi précieux pour bien juger que celui des assesseurs professionnels qui sont nos experts de l’acte professionnel dont il est déontologiquement discuté devant le juge.

(…)

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Eoche-Duval Christophe, « Une Justice des pairs, Juger les siens ? »
in Journal du Droit Administratif (JDA), 2024 ; Art. 421.

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