40 années d’autonomie financière des collectivités territoriales

ParJDA

40 années d’autonomie financière des collectivités territoriales

Art. 401.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

Claude Raynal
Sénateur de la Haute-Garonne
Président de la Commission des Finances

« La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire.
Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire
»

(François Mitterrand,
Conseil des ministres, 15 juillet 1981[1]).

Depuis quarante ans, le système local s’est considérablement modifié. Les difficultés économiques de la seconde moitié des années 1970 ont conduit en France à appréhender l’État comme un problème et les collectivités territoriales comme une solution. Glorifié pendant les « Trente glorieuses », l’État s’est trouvé frappé de discrédit tout autant que les grandes structures publiques. Cette période est aussi celle d’un fort engouement pour un pouvoir local doté d’une réelle autonomie financière, notamment fiscale. L’acte I de la décentralisation voulue par François Mitterrand procède d’une volonté politique de réformer l’administration française en accordant une autonomie plus importante aux échelons locaux. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur des lois de décentralisation de 1982 – 1983, et plus encore, depuis la consécration constitutionnelle de 2003, les collectivités territoriales bénéficient d’une certaine autonomie financière dans le cadre de laquelle elles élaborent leurs actes budgétaires. Aujourd’hui, les finances locales ont pris une ampleur très importante, représentant en 2020, 17% des recettes des administrations publiques et près de 14% des dépenses.

Mon propos s’organisera autour de trois axes principaux : l’autonomie financière des collectivités territoriales au sens constitutionnel (I). Ce premier axe permettra ensuite de comprendre les désillusions des acteurs locaux par rapport aux espoirs qu’ils avaient placés dans la consécration constitutionnelle de l’autonomie financière en 2003 (II). Enfin, un dernier axe présente les finances locales à l’heure de la maîtrise de la dépense publique (III).

I. L’autonomie financière des collectivités territoriales au sens constitutionnel

A. Les prémices de l’autonomie financière des collectivités territoriales avant la réforme constitutionnelle de 2003

La marche vers la décentralisation fut longue et souvent contrariée. La tutelle préfectorale fut allégée par la loi du 31 décembre 1970, qui supprima l’approbation préalable du budget des communes et réduisit de manière significative le nombre des délibérations des conseils municipaux soumises à cette approbation. En matière financière, les concours spécifiques qui étaient consentis aux collectivités territoriales furent progressivement convertis en dotations globales. La loi du 10 janvier 1980 permit aux conseils municipaux et aux conseils généraux de voter directement les taux des impôts locaux, alors qu’ils ne pouvaient jusqu’alors que se prononcer que sur des produits.

La décentralisation a amené les élus locaux à « se responsabiliser », à endosser eux-mêmes la gestion des conséquences d’éventuelles crises. Ainsi, les « Lois Defferre », adoptées entre 1982 et 1986, ont érigé les Régions en collectivités territoriales de plein exercice, confié le pouvoir exécutif des conseils généraux et régionaux aux présidents des assemblées délibérantes, transféré de nouvelles compétences aux collectivités territoriales. Par exemple, la loi du 7 janvier 1983 a prévu des transferts de fiscalité portant sur les impositions suivantes :

  • La taxe sur les certificats d’immatriculation des automobiles, aussi appelée taxe sur les « cartes grises » au profit des régions ;
  • Les droits d’enregistrement sur les mutations immobilières à titre onéreux (Dmto) et la taxe de publicité foncière au profit des départements ;
  • La taxe différentielle sur les véhicules à moteur – communément dénommée « vignette » – qui a été transférée aux départements à compter du 1er janvier 1984.

Mais l’autonomie supplémentaire accordée aux collectivités territoriales par l’État central ne s’est pas accompagnée d’un réel désengagement de celui-ci. En effet, il a conservé de multiples moyens d’influence et d’orientation. Au point que l’ancien Président de la commission des lois, Pascal Clément dénonçait dans un rapport de 2002 : « le modèle de décentralisation à la française qui avait perdu en vingt ans de sa pertinence, face à un double mouvement opéré par l’État, consistant à « recentraliser » le fonctionnement des collectivités locales, tout en accroissant dans le même temps les charges pesant sur elles. (…) l’État a (…) cherché à réduire son déficit par une politique de transferts de compétences, sans accorder l’équivalent en termes de ressources[2] ».

En effet, à partir des années 1990, nous avons pu assister à un mouvement de recentralisation financière au détriment des collectivités territoriales[3] :

  • L’article 53 de la loi de finances pour 1993 a supprimé les parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
  • L’article 29 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux, soit plus de 10% des recettes fiscales totales des Régions. Le même article a réduit le taux des droits de mutation à titre onéreux des conseils départementaux sur les locaux à usage professionnel et, de fait, leur capacité à voter les taux de cet impôt.
  • L’article 44 de cette même loi de finances a supprimé la fraction de l’assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit environ un tiers de l’assiette de cet impôt dont le produit représente environ la moitié du produit des quatre taxes directes locales. Au terme de cette réforme, les collectivités territoriales auront été amputées du sixième de leur pouvoir fiscal.
  • L’article 9 de la loi de finances pour 2000 a poursuivi la réforme des droits de mutation en unifiant les taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur les locaux d’habitation.
  • La loi de finances rectificative pour 2000 a supprimé la part régionale de la taxe d’habitation, soit près de 15 % des recettes fiscales totales des régions et 22 % du produit des quatre taxes.
  • Enfin, la loi de finances pour 2001 a supprimé la vignette automobile, soit 5 % des recettes totales des départements et près de 10 % de leurs recettes fiscales.

La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux dans leurs recettes totales hors emprunt s’élevait à 54 % en 1995. Après ces réformes, la part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunt a été réduite à moins de 37 % pour les régions, 43 % pour les départements et 48 % pour les communes[4]. Ce mouvement de recentralisation des ressources locales s’est traduit par un brouillage entre fiscalité et compensations. Les collectivités territoriales ont connu un alourdissement des charges non compensées, fruit de décisions sur lesquelles elles n’avaient aucune prise, comme la création de l’allocation personnalisée d’autonomie par la loi du 20 juillet 2001.

B. La consécration de l’autonomie financière des collectivités après 2003

C’est au regard de cette situation jugée insatisfaisante par le personnel politique que fut introduit dans la Constitution, l’article 72-2 consacrant expressément l’autonomie financière des collectivités. Avec cette révision constitutionnelle, les collectivités territoriales ont pu :

  • bénéficier « de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi » (alinéa 1 de l’article 72-2[5]).
  • « Recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine » (alinéa 2 de l’article 72-2[6]).

Par ailleurs, « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources » (alinéa 3 de l’article 72-2[7]). Enfin, « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi » (alinéa 4 de l’article 72-2[8]).

Pour corriger les inégalités entre collectivités résultant en particulier de l’inégale répartition territoriale des assiettes fiscales, mais aussi de l’inégale répartition des charges entre collectivités, l’article 72-2 précité dispose enfin que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales[9] ». L’enjeu de la péréquation consiste à soutenir les collectivités structurellement défavorisées sans interférer dans des choix qui relèvent de leur libre administration. La révision constitutionnelle de 2003 renvoie à deux questions : (1) celle de la préservation de l’autonomie fiscale et (2) celle de la compensation des compétences transférées. Ces questions devaient ainsi trouver traduction dans la loi organique de 2004.

Cette loi prévoit que la compensation financière s’opère par le fractionnement d’impôts nationaux. Les transferts de compétences ont été financés à 81 % par des transferts de fiscalité : (1) la taxe spéciale sur les contrats d’assurance (Tsca) pour les départements et (2) la taxe intérieure sur les produits pétroliers (Tipp) pour les régions[10].

Néanmoins, les lois de 2003 et 2004 n’ont pas pu empêcher la lente érosion de l’autonomie fiscale, avec notamment la suppression de la taxe professionnelle en 2010. Dans mon rapport d’information, réalisé avec le Sénateur Charles Guené, sur les modalités de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (Cvae), nous avons noté qu’en 2009, le produit versé de la taxe professionnelle « aux collectivités territoriales s’élevait à plus de 30 milliards d’euros (dont plus de 40 % pris en charge par l’État à travers des dégrèvements), soit 20 % de leurs recettes réelles de fonctionnement[11] ». La taxe professionnelle participait de façon essentielle à leur autonomie fiscale, dans la mesure où « elles pouvaient en fixer le taux et que son produit représentait plus de 40 % du produit total des quatre taxes directes locales[12] ». La suppression de la taxe professionnelle en 2010 ainsi que celle de la taxe d’habitation entamée en 2018 n’ont fait que poursuivre une évolution qui s’étale sur près de quatre décennies.

II. La réforme de 2003, un rendez-vous manqué ?


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 401.


[1] Fondation Jean Jaurès, La décentralisation, un processus en mutation, 2017 ;

https://www.jean-jaures.org/ressource/la-decentralisation-un-processus-en-mutation/.

[2] Clément P., Rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, 13 novembre 2002 ; https://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rapports/r0376.pdf.

[3] Gélard P., Rapport sur la proposition de loi constitutionnelle de MM. Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, 18 octobre 2000 ;

https://www.senat.fr/rap/l00-033/l00-0331.pdf.

[4] Mercier M., Rapport d’information chargé de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l’exercice des compétences locales, 28 juin 2000 ;

https://www.senat.fr/rap/r99-447-1/r99-447-11.pdf.

[5] Art. 72 de la Constitution de 1958 ; www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527594.

[6] Ibid,

[7] Ibid,

[8] Ibid,

[9] Ibid,

[10] Vie Publique, Le bilan des actes I et II de la décentralisation, 28 juin 2019 ;

https://www.vie-publique.fr/eclairage/38502-le-bilan-des-actes-i-et-ii-de-la-decentralisation#:~:text=Les%20transferts%20de%20comp%C3%A9tences%20ont,(TIPP)%20pour%20les%20r%C3%A9gions.

[11] Guené C. & Raynal C., Rapport d’information sur la valeur ajoutée des entreprises (Cvae), 28 juin 2017 ;

https://www.senat.fr/rap/r16-596/r16-5961.pdf.

[12] Ibid,

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À propos de l’auteur

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