40 ans de décentralisation à travers la Dgf : un anniversaire en demi-teinte

ParJDA

40 ans de décentralisation à travers la Dgf : un anniversaire en demi-teinte

Art. 402.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

Léo Garcia
Doctorant Ater en droit public, Université Toulouse 1 Capitole – Imh,
Conseiller municipal de Saint-Girons,
Président de la Commission municipale des Finances

Pour que les communes, les Epci-Fp, les départements et les régions puissent exercer une ou plusieurs compétences, il ne suffit pas que ces dernières leurs soient transférées. Pour que la libre administration des collectivités territoriales ne demeure pas à l’état d’un simple principe théorique, les différents échelons locaux doivent également disposer de ressources financières suffisantes pour les assumer et les déployer sur leurs territoires respectifs.

Pour exercer les compétences dévolues par l’État depuis la mise en œuvre de l’Acte I de la décentralisation, les collectivités territoriales ont à leur disposition plusieurs leviers pour obtenir des ressources financières comme la fiscalité locale, les emprunts, les revenus du domaine ou encore les dotations versées par l’État. De ces dernières, la plus illustre et celle qui symbolise la décentralisation financière est incontestablement la dotation globale de fonctionnement.

C’est une dotation dont l’importance peut être soulignée sur un plan budgétaire et politique. Financièrement, elle représente une somme non négligeable de 26,8 milliards d’euros pour l’année 2022[1]. La dotation globale de fonctionnement reste la principale dotation versée aux collectivités territoriales. Une dotation d’utilisation libre qui doit permettre aux élus locaux de couvrir une partie des dépenses d’exercice de leurs compétences. Politiquement, son importance s’illustre lorsque le gouvernement souhaite la geler ou la diminuer. En effet, les associations d’élus prennent chaque année leur bâton de pèlerin, souvent en vain, pour dénoncer sa diminution, sa stagnation ou son manque d’adéquation aux réalités ressenties du territoire.

La dotation globale de fonctionnement est une dotation qui détient un caractère aussi bien fondamental que sensible. À l’instar de la décentralisation, cette dotation a connu une histoire mouvementée (I) dont la place dans la gestion financière locale revêt un caractère contrasté (II).

I. L’histoire mouvementée de la dotation globale de fonctionnement

La dotation globale de fonctionnement a connu une histoire faite de rebondissements mais aussi de stagnations qui a marqué ces 40 ans de décentralisation. Cette histoire peut être divisée en deux périodes hétéroclites : une période d’âge d’or, tant en réformes qu’en complexifications, allant de 1979 à 2010 (A) et une période de déclin et d’inadaptation qui continue à subsister actuellement (B).

A. 1979 – 2010 : l’âge d’or des réformes et des complexifications

En voyant le jour entre la fin de l’année 1978[2] et le début de l’année 1979[3], la dotation globale de fonctionnement s’éveille prématurément, trois ans avant le terme fixé par les premières lois de décentralisation. Elle vient remplacer le versement représentatif de la taxe sur les salaires, son aîné de plus de dix ans, datant de 1966[4]. La loi de finances pour 1979 vient fixer un prélèvement sur les recettes de l’État à destination des collectivités territoriales : la dotation globale de fonctionnement est née ! Plus précisément il s’agit d’une ponction de 16,45% du produit net prévisionnel de la Tva qui est reversée aux communes, à certains groupements et aux départements. La loi distingue deux composantes de la dotation globale de fonctionnement : une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation.

En 1985[5], la première grande réforme de la dotation globale de fonctionnement a multiplié par deux ses composantes, venant renforcer le degré de complexification de cette dotation.

La dotation globale de fonctionnement des communes est toujours composée d’une dotation forfaitaire (renommée dotation de base) et d’une dotation de péréquation, auxquelles sont ajoutés une dotation de compensation et un concours particulier.

Quant à la dotation globale de fonctionnement des départements, elle est toujours composée d’une dotation forfaitaire et d’une dotation de péréquation mais elle s’est vue compléter d’une dotation de garantie minimale et d’une dotation de fonctionnement minimal.

L’année 1990 marque pour la première fois la volonté de limiter l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement aux collectivités territoriales[6]. Les parlementaires ont choisi d’indexer cette dotation sur un indicateur supplémentaire à celui de la Tva afin de freiner, à partir de 1992, une hausse considérée comme trop rapide. Désormais, la dotation devra être calculée en appliquant un indice de variation agrégé qui regroupe le taux d’évolution de la moyenne annuelle du prix de la consommation des ménages et le taux d’évolution du produit intérieur brut total en volume[7]. L’établissement du montant de la dotation globale de fonctionnement poursuit donc sa complexification, non pas en termes de composition mais en matière de calcul.

La deuxième grande réforme de la dotation globale de fonctionnement de 1993[8] n’aura guère pour objectif de simplifier les modalités de calcul et de composition. Au contraire, la loi intègre le phénomène de développement intercommunal en venant ajouter une nouvelle dotation à celles déjà existantes : la dotation d’aménagement, composée d’une dotation intercommunale, d’une dotation de péréquation intercommunale, d’une dotation de solidarité urbaine et d’une dotation de solidarité rurale. Aussi, cette loi fige les concours financiers, les dotations de base, de péréquation et de compensation des communes et de leurs groupements dans une nouvelle dotation forfaitaire. Une fusion bienvenue au regard de la multitude de sous-dotations qui composaient et qui complexifiaient la dotation globale de fonctionnement. En revanche, cette réforme ne provoqua aucun changement et aucune simplification pour la dotation globale de fonctionnement des départements.

La troisième et dernière grande réforme de la dotation globale de fonctionnement de fin d’année 2003 lui donna du regain[9]. En effet, l’objectif était d’augmenter la part de l’aide financière de l’État consacrée à la dotation globale de fonctionnement de 32% en 2003 à 42% en 2010. Cette réforme augmenta aussi les destinataires de la dotation globale de fonctionnement en l’accordant à la région qui était le tout dernier échelon de collectivité territoriale qui n’en bénéficiait pas.

En 25 ans, la dotation globale de fonctionnement a connu de nombreuses réformes qui lui ont permis d’élargir son champ d’application mais au prix d’une complexification croissante de son calcul et de sa composition ainsi que d’une rationalisation de son montant global qui s’aggravera par la suite.

B. 2011 – 2021 : une période de déclin et d’inadaptation

Après plusieurs années de somnolence sur le plan des réformes et d’augmentations modestes de son montant, c’est en 2011 que la dotation globale de fonctionnement connaît pour la première fois un premier soubresaut. En effet, la loi de programmation des finances publiques de 2010[10] prévoit un gel des concours financier de l’État aux collectivités territoriales de 2011 jusqu’en 2014. C’est un coup d’arrêt inédit au regard de l’augmentation continue du montant global de la dotation globale de fonctionnement versées aux collectivités territoriales. Mais ce gel cache en réalité une diminution dissimulée de cette dotation car la loi de programmation ne prévoit pas de compenser le manque à gagner engendré par l’inflation existante[11].

Le coup de grâce aux concours financiers de l’État aux collectivités territoriales fût porté avec le vote de la loi de finances pour 2014[12] qui prévoyait une diminution d’1,5 milliard d’euros en un an. La loi de programmation des finances publiques de 2014 enfonça le clou en prévoyant une diminution de 10,75 milliards d’euros des dotations de l’État aux collectivités territoriales sur la période entre 2015 et 2017[13]. L’objectif du gouvernement était double : inciter les collectivités territoriales à diminuer l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement et les faire participer au plan d’économie de 50 milliards d’euros[14]. Au bilan, la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement a connu une diminution draconienne de 11,2 milliards d’euros sur la même période[15]. Depuis 2018, le montant de l’enveloppe de dotation globale de fonctionnement est stable[16], cantonné au-dessous des 27 milliards d’euros[17].

Outre sa diminution, la dotation globale de fonctionnement subit une obsolescence progressive en raison de son impossibilité à s’adapter aux nouveau enjeux budgétaires et territoriaux. En effet, les modalités de calcul sont devenues inéquitables et surtout inadaptées à la baisse des dotations[18]. Aussi, la dotation globale de fonctionnement est devenue illisible au fil des années, notamment au regard de sa composition comme l’illustre ce schéma.

Pour répondre à ce besoin de lisibilité, de réalité et d’efficacité, un projet de réforme fût proposé par le rapport Pires Beaune – Germain qui propose, tout en ayant conscience des inquiétudes des élus locaux, de rénover l’architecture de la dotation globale de fonctionnement, d’améliorer le ciblage de la péréquation communale, de créer une dotation globale de fonctionnement pour les Epci-Fp, de mettre en œuvre une dotation globale de fonctionnement « locale » et de revoir les critères d’exigibilité et de sa répartition[19].

En 2015[20], le gouvernement s’inspirera de cette proposition parlementaire de réforme de la dotation globale de fonctionnement pour en proposer sa rénovation pour le bloc communal (uniquement), une simplification des critères et une correction des inégalités lors de sa répartition entre les différentes collectivités territoriales. Mais cette volonté de réforme ne fût qu’un vœu pieux car elle est finalement repoussée à 2017 au regard du manque de simulation de long terme, de l’évolution de la carte intercommunale engendrée par la loi Notre[21] mais aussi des pressions politiques de certains parlementaires et des associations d’élus locaux ; une décision prise en vase clos le 3 novembre 2015 par le Premier ministre Manuel Valls lors d’une réunion avec des parlementaires de la majorité.

L’année 2017 ne sera finalement pas celle qui permettra une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Lors du 99e Congrès des Maires le 2 juin 2016, le président de la République François Hollande déclare repousser une nouvelle fois cette réforme, en 2018. Mais il n’en fût rien, pas même en 2019 où le projet de loi de finances enterre définitivement toute refonte de la dotation globale de fonctionnement.

La dotation globale de fonctionnement connaît depuis plus de dix ans une absence dommageable de réforme et une stagnation de son montant après avoir connu une période de diminution drastique. Mais ce délitement n’est pas sans conséquence pour les collectivités territoriales au regard du caractère indispensable de cette dotation dans leur budget.

II. La place contrastée de la dotation globale de fonctionnement dans la gestion financière locale


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 402.


[1] Projet de loi de finances nº 4482 pour 2022.

[2] Article 38 de la loi n°78-1239 du 29 décembre 1978 de finances pour 1979.

[3] Loi n°79-15 du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement versée par l’État aux collectivités locales et à certains de leurs groupements et aménageant le régime des impôts directs locaux pour 1979.

[4] Loi n°66-10 du 6 janvier 1966 portant réforme des taxes sur le chiffre d’affaires.

[5] Loi n°85-1268 du 29 novembre 1985 relative à la dotation globale de fonctionnement.

[6] Article 47 de la loi n°89-935 du 29 décembre 1989 de finances pour 1990.

[7] Ibid., II, al. 2 : « Pour 1991, cet indice est égal à la somme du taux d’évolution de la moyenne annuelle du prix de la consommation des ménages et de la moitié du taux d’évolution du produit intérieur brut total en volume. Pour 1992 et les années ultérieures, cette fraction du taux d’évolution du produit intérieur brut total en volume est fixée aux deux tiers ».

[8] Loi n°93-1436 du 31 décembre 1993 portant réforme de la dotation globale de fonctionnement et modifiant le Code des communes et le Code général des impôts.

[9] Loi n°2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.

[10] Article 7 de la loi n°2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

[11] Le taux d’inflation était de 2,1% en 2011, 2% en 2012, 0,9% en 2013 et 0,5% en 2014. V. en ce sens Insee.

[12] Loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

[13] Article 14 de la loi n°2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 : 3,42 milliards d’euros en 2015, 3,66 milliards d’euros en 2016 et 3,67 milliards d’euros en 2017.

[14] Cour des Comptes, Les finances publiques locales, Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics [en ligne], septembre 2018, p. 69.

[15] Ibid.

[16] La dotation des intercommunalités a néanmoins connu une augmentation de 30 millions d’euros en 2020, il en est de même pour les dotations des communes d’outre-mer à hauteur de 21 millions d’euros. Mais pour compenser cette augmentation tout en conservant une stabilité de l’enveloppe de dotations, des ajustements minimes à la baisse ont été nécessaires pour les dotations des autres collectivités territoriales.

[17] Observatoire des finances et de la gestion publique locales et Direction générale des collectivités locales, Les finances des collectivités locales en 2021 [en ligne], juillet 2021, p. 221.

[18] Pires-Beaune C. et Germain J., Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : osons la réforme [en ligne], 15 juillet 2015, p. 30.

[19] Ibid., 159 p.

[20] Article 58 du projet de loi de finances pour 2016.

[21] Loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

   Send article as PDF   

À propos de l’auteur

JDA administrator

Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.