40 ans de décentralisation

ParJDA

40 ans de décentralisation

Art. 410.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

(c) Philippe Grollier / Région Occitanie

Carole Delga
Présidente de la Région Occitanie,
Présidente de Régions de France

La décentralisation aura été la grande réforme institutionnelle du 1er septennat de François Mitterrand. Lors de sa dernière venue au Congrès des maires en novembre 1994, François Mitterrand rappelait d’ailleurs cette évidence : « il n’y a pas de véritable démocratie sans libertés locales, réelles, vivantes et garanties ». Les lois de 1982 ont effectivement permis à la France d’entrer dans une nouvelle ère de l’organisation publique, plus proche des citoyens, plus réactive, plus efficace. Les collectivités qui se sont vu reconnaître la personnalité juridique ont fait considérablement progresser les services publics qui leur ont été confiés. Chacun reconnaît que les établissements scolaires, collèges et lycées, que les routes, que les transports régionaux par exemple sont dans des meilleurs états que quand ils ont été transférés.

Mars 1982, la région et le département deviennent des collectivités territoriales pleines et entières aux cotés des communes, administrées par des assemblées élues au suffrage universel. Affranchies de la tutelle de l’État, sur leurs décisions, ces collectivités sont dotées de la clause générale de compétence et se voient attribuer des recettes propres. Aujourd’hui, que reste-t-il de cette politique de décentralisation ?

40 ans plus tard, les défauts « génétiques » des lois de décentralisation, qui pour beaucoup tiennent à la faiblesse des compétences transférées par ces premières lois, apparaissent au grand jour. Les collectivités n’ont quasiment plus d’autonomie financière (en tout cas les départements et les régions), elles ne bénéficient plus, sauf les communes, de la clause générale de compétence. Et si les régions ont fusionné pour devenir des « super » régions sans véritables moyens financiers, les départements sont devenus des « distributeurs » de prestations sociales.

Que dire enfin des différentes lois qui sont venues depuis amodier leur autonomie, rogner leurs compétences, diminuer leurs responsabilités ? Elles ont conduit à faire, défaire, refaire et redéfaire les lois Defferre sans jamais aller au bout de la logique de la décentralisation : autonomiser, responsabiliser, libérer. Pourtant, le pays a besoin de collectivités fortes, autonomes, responsables.

Les diverses crises qui nous ont secoués ces dernières années, avec notamment les Gilets Jaunes, la crise sanitaire devenue crise économique et sociale, et la crise démocratique qui transparaît un peu plus à chaque scrutin traduisent un paradoxe : il y a une forte attente des citoyens à l’endroit des collectivités, et parallèlement, les territoires se sentent délaissés. Comme si 40 ans plus tard, ce mouvement de décentralisation qui se voulait être un « choc psychologique », qui aspirait à rapprocher les citoyens des centres de décision et à responsabiliser les autorités élues, avait échoué.

Pourtant, la décentralisation reste aujourd’hui aux yeux des Français un des moyens le plus à même de répondre à leurs besoins. D’ailleurs, dans un sondage de juin 2020, trois Français sur quatre estiment que la décentralisation est « une bonne chose » et souhaitent la renforcer pour davantage de proximité entre les décisionnaires et les citoyens (56 %), mieux s’adapter à la spécificité des territoires (54 %) et « gagner du temps » dans les processus de décision (50 %). Ils sont même 68 % à dire qu’ils sont favorables à ce que les lois nationales puissent être adaptées aux spécificités des territoires.

Là est le grand challenge des prochaines années.

D’autant que la dernière décennie représente une longue période d’érosion dans les relations de confiance entre Paris et les pouvoirs locaux. Alors que le corollaire de leur libre administration devrait être l’autonomie financière, les collectivités ont subi depuis plusieurs années une dégradation, tant par la structuration de leurs recettes (suppression de la TP et remplacement par la Cvae, puis suppression de la Cvae, suppression de la TH, etc.), que par le volume de celles-ci (enveloppe normée, diminution de la Dgf, contrats de Cahors, etc.).

Pire, leurs compétences ont été modifiées régulièrement sans constance, sans compensation réelle, et en même temps redimensionnées, rognées voire supprimées (c’est-à-dire recentralisées).

L’exemple le plus ubuesque est le pilotage de la compétence apprentissage. Dans un pays qui ne jurait que par les formations académiques, l’apprentissage a longtemps été le parent pauvre des politiques publiques. Il a fallu attendre la réforme globale de l’apprentissage lancée en 2013 et qui s’est concrétisée par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, pour rénover le dispositif. Cette réforme confiait le pilotage de cette compétence aux régions, qui percevaient pour cela 51% de la taxe d’apprentissage versée par les entreprises. Cette réforme a été une réussite et dès 2016, première année de plein exercice de la compétence, le nombre d’apprentis a largement augmenté. Patatras, alors que les régions étaient prêtes à coconstruire une nouvelle étape pour l’apprentissage et la formation professionnelle, pour rendre ces politiques encore plus agiles, et mieux articulées avec les besoins des branches professionnelles, le gouvernement a conduit de façon unilatérale une réforme marquée par la centralité, dans laquelle le pilotage se fait depuis Paris, et qui ignore les besoins des territoires au profit des intérêts des branches professionnelles les plus puissantes. Résultat des courses, puisque tout ne peut pas se régler de la capitale, après cette nouvelle réforme qui retire la compétence aux régions, celles-ci se voient malgré tout confier des morceaux de responsabilités pour assurer investissement et fonctionnement dans les Cfa délaissés par les grandes branches professionnelles. Aujourd’hui certains secteurs sont dépourvus d’apprentis, quand d’autres en regorgent et les jeunes ne savent plus qui sont leurs interlocuteurs car la réforme n’a pas traité leur accompagnement.

C’est dans ce contexte que Régions de France s’est lancée dans la rédaction d’un livre blanc afin de rassembler les propositions que les régions souhaitent mettre au débat de l’élection présidentielle, afin d’engager un nouveau processus dans les libertés locales.

Cette ambition, elle est partagée par tous les élus locaux. Elle l’est également par les Français. Car, en 40 ans, malgré les obstacles ou ses imperfections, la décentralisation a fait preuve de son efficacité. Nos concitoyens peuvent ainsi juger les investissements des collectivités pour la remise en état et l’entretien des services publics de proximité. Récemment encore, face à la crise sanitaire, elles ont fait preuve d’inventivité et de réactivité. Les Régions ont ainsi accompagné et secondé l’État dans la gestion de crise (masques, tests, vaccination, etc.), soutenu l’économie, les entreprises et l’emploi et accompagnent aujourd’hui encore la relance économique du pays. De fait de leur périmètre géographique, elles sont le bon échelon pour identifier les forces de notre tissu industriel, pour les accompagner dans la relocalisation de leurs activités et défendre ainsi notre souveraineté économique. La Région Occitanie par exemple s’est ainsi posée comme aiguillon et leader sur des technologies clés au service de notre transition écologique et énergétique, en premier lieu l’hydrogène vert.

De fait, un des challenges pour notre pays et pour répondre aux enjeux que doit affronter notre République, sera de reconnaître une place plus forte aux collectivités régionales.

Dans la crise multiforme que nous traversons depuis deux années, la Nation a montré qu’elle était prête à faire des efforts. Mais ces efforts ne peuvent être pilotés uniquement depuis Bercy, en ignorant la réalité des écosystèmes territoriaux et les Régions ont montré qu’elles savaient être présentes sur un certain nombre de défis qui appellent des réponses locales, adaptées par territoire.

Soyons pragmatiques, s’appuyer sur les Régions doit être privilégié par l’État dès lors que ce tandem permet à l’action publique d’être plus pertinente, plus efficace, plus adaptée au terrain et aux aspirations de nos concitoyens. Déléguer une partie de l’action de l’État au profit des élus locaux, départementaux et régionaux, n’est pas déchoir, mais bien servir la France. C’est renforcer l’État que de lui permettre de se consacrer pleinement à ce qui lui revient de droit : la justice, la sécurité, l’éducation, la défense, la place de la France en Europe et dans le Monde. Face à l’immensité des défis qui nous attendent, les candidats à la plus haute fonction politique doivent avoir le courage de dire qu’ils ne peuvent pas tout. Et qu’ils voient, autour d’eux, ces milliers d’élus locaux engagés, désireux de se battre pour leur pays et d’améliorer le sort de leurs concitoyens, chacun avec ses convictions, dans l’écoute et la proximité. C’est une force immense ! C’est une véritable équipe de France !

Alors que pourraient faire les régions ?


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 410.

   Send article as PDF   

À propos de l’auteur

JDA administrator

Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.