Art. 400.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Vincent Dussart
Professeur à l’Université Toulouse Capitole
Adjoint aux finances de la Commune de Castelnau d’Estrétefonds
Vice-président de la Commission des finances
de la Communauté de communes du Frontonnais
En 1982, les finances locales étaient souvent tenues pour secondaires. Leur enseignement était d’ailleurs marginal. Elles étaient souvent enseignées à l’occasion d’un cours de droit de la décentralisation. Les années 1982 et 1983 ont bien marqué l’émancipation de cette branche des finances publiques. Retracer ces 40 années de de finances locales c’est parler finalement de la décentralisation elle-même. Si l’on a pu parler des bases constitutionnelles du droit administratif, il faut sans nul doute parler des bases financières du droit de la décentralisation. Cette dernière n’a pu se concevoir que dans un cadre financier sans cesse renouvelé depuis les lois de décentralisation voulues par François Mitterrand autour d’un idéal quasi mythique : l’autonomie financière. Cette dernière est indissociable de la notion de décentralisation en ce qui concerne les collectivités territoriales. Elle en est la concrétisation financière.
Pour qu’une collectivité territoriale soit considérée comme réellement décentralisée, il faut qu’elle ait une personnalité juridique réelle. Il faut qu’elle dispose de ses propres instances dirigeantes. Il faut un contrôle allégé de l’État central sur ces collectivités territoriales et donc une autonomie administrative. Il faut ajouter à cela une dimension technique, la décentralisation ne peut se concevoir sans l’octroi de moyens techniques propres à la collectivité.
Il a donc fallu faire qu’émerge, non sans mal, une autonomie administrative et financière que l’on peut qualifier d’autonomie fonctionnelle. C’est cette idée qui rend indispensable le lien qui existe entre la notion de décentralisation et la notion d’autonomie financière. Il est pleinement admis qu’une collectivité qui ne disposerait ni d’autonomie administrative ni d’autonomie financière ne pourrait être considérée comme décentralisée.
Cet aspect fonctionnel de la décentralisation a longtemps été sous-évalué- notamment par la doctrine – jusqu’aux réformes de mars 2003 et juillet 2004. L’autonomie financière est pourtant le meilleur indicateur de la décentralisation. Comme le dit très justement Michel Bouvier « les finances locales se présentent à maints égards comme un parfait révélateur des évolutions que connaissent les sociétés contemporaines[1] ». La décentralisation en a été l’une des illustrations majeures. Pourtant la notion d’autonomie financière locale fait l’objet d’acceptions diverses tant par le législateur que le Conseil constitutionnel mais aussi la doctrine. Depuis 1982, la confusion sémantique entre autonomie financière et autonomie fiscale a clairement obscurci la conception française de la décentralisation financière. Ainsi en est-il de la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales qui devait enfin donner un socle solide à l’autonomie financière qui avait semblé émerger des lois Defferre.
On peut observer, d’une part, que les dépenses des administrations publiques locales représentent maintenant près de 50% des dépenses de l’État. D’autre part, on constate aussi que les budgets locaux pèsent d’un poids plus lourd chaque année tant en ce qui concerne les dépenses que les recettes.
Depuis, la Constitution elle-même ne mentionne toujours pas le mot autonomie[2] ce qui exige de poser ici les fondements d’une conception spécifique de l’autonomie financière qui doit comprendre normalement trois composantes : une autonomie normative (nécessairement relative), une autonomie budgétaire et une autonomie en matière de ressources.
I. L’autonomie normative
Depuis 1980, avant même les lois Defferre, un ensemble particulièrement complexe de lois et de règlements fixe et précise le cadre juridique des finances locales. Le mot « autonomie » tire son étymologie du mot grec autonomos qui signifie « se régir par ses propres lois ». Le sens donné à la notion d’autonomie financière semble depuis toujours, dans cette perspective, quelque peu faussé, car aucune collectivité territoriale ne dispose et ne disposera dans le cadre d’un État unitaire de la faculté juridique d’établir ses propres lois en matière financière et surtout fiscale. Les règles relatives à l’établissement des budgets locaux et à leur exécution sont toujours établies par le législateur et restent soumises aux contrôles exercés par les représentants de l’État et les Chambres régionales et territoriales des comptes (créées en 1983) sur la régularité des procédures. Ces limites proviennent du paradoxe suivant contenu dans la notion même d’autonomie financière : les collectivités territoriales n’ont pas la maîtrise des règles concernant leur propre gestion. Elles sont tenues de respecter un ensemble complexe de prescriptions étatiques mais aussi indirectement désormais de règles européennes issues du programme de stabilité européen. Sur le strict plan de l’édiction des normes, il faut donc parler, au sens littéral, d’hétéronomie financière.
II. L’autonomie en matière de dépenses
Pour être autonome financièrement, les collectivités territoriales devraient avoir la maîtrise totale de leurs dépenses. Pourtant, le budget des collectivités reste très largement contraint notamment par les dépenses obligatoires et ce depuis 1982. La distinction des finances de l’État et des finances locales ne doit pas faire oublier qu’en réalité les dépenses des collectivités territoriales sont complémentaires de celles de l’État. Les dépenses des collectivités territoriales visent à assurer des dépenses d’intérêt général. La longue liste des dépenses obligatoires est déterminée par le législateur sous le contrôle du Conseil constitutionnel. La révision constitutionnelle de 2003 a encadré le dispositif issu des lois Defferre en rappelant simplement et seulement que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi ». En 2003, il eut été possible de donner une assise juridique plus solide à la jurisprudence constitutionnelle en matière de dépenses obligatoires[3].
Il apparaît que 18 ans après la révision constitutionnelle et 40 ans après la réforme de la décentralisation, il n’y a pas de vrai équilibre entre autonomie en matière de dépenses et autonomie en matière de ressources. Le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur le pouvoir d’édicter des dépenses obligatoires : « Considérant que sur le fondement des dispositions précitées des articles 34 et 72 de la Constitution, le législateur peut définir des catégories de dépenses qui revêtent pour une collectivité territoriale un caractère obligatoire ». Le juge constitutionnel avait, de plus, précisé l’étendue de ce pouvoir : « toutefois, les obligations ainsi mises à la charge d’une collectivité territoriale doivent être définies avec précision quant à leur objet et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration[4]». Cette décision du Conseil constitutionnel était fondée par la volonté d’empêcher toute « asphyxie » des collectivités locales par un excès de dépenses obligatoires. Ainsi, dans un cadre législatif peu protecteur – issu de l’acte I de la décentralisation – et malgré la révision constitutionnelle de 2003, il est toujours impossible de fixer la liste exhaustive des dépenses obligatoires « législatives » des communes malgré la codification contenue dans le Code général des collectivités territoriales : l’article L. 2321-2 du Cgct commence par l’expression suivante : « les dépenses obligatoires comprennent notamment… ». Ce qui veut dire concrètement que le législateur peut compléter à son gré la liste des dépenses inscrites dans cet article. Les seules limites tiennent dans le respect, par le législateur, des règles posées par le Conseil constitutionnel. La liberté de gestion est bien affirmée par l’article 72-1 de la Constitution. La conception de la notion d’autonomie financière s’en est toujours naturellement ressentie depuis les années 80.
En ce qui concerne les dépenses, les transferts de charge ne sont pas toujours intégralement compensés et sont sources de conflits entre les élus locaux et l’État depuis 1983. La révision constitutionnelle de 2003 a, certes, reconnu le principe de compensation, malgré tout, les dispositions de protection restent en-deçà d’une protection assumée des compétences locales. Or, il y a là un enjeu fondamental. On l’a vu lors de l’adoption de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui procéda à des transferts (contestés) de charges vers les collectivités territoriales mais on l’avait aussi vu dès l’adoption de la loi des 7 janvier et 22 juillet 1983 qui procédaient à des transferts massifs de charge.
En conséquence de la décentralisation administrative de nombreuses compétences ont été transférées à l’échelon local depuis 1983. Depuis la mise en œuvre de la décentralisation, les élus n’ont d’ailleurs eu de cesse de crier à l’insuffisante compensation de ces transferts de charge et donc à la mise à mal de leur autonomie financière empêchant afin d’assurer l’effectivité du principe de libre administration des collectivités territoriales. Il est frappant de voir comment les transferts de compétence ont été contestés tant en 1983 par des élus locaux situés politiquement majoritairement à droite qu’en 2003 par des élus locaux majoritairement situés à gauche !
III. L’autonomie en matière de ressources
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 400.
[1] Bouvier M., Les finances locales, Coll système, Lgdj, 18e édition, 2020, p. 20.
[2] Lafargue F., La Constitution et les finances locales, Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°42, 2014, p. 17.
[3] Voir les articles L.1612-15 et s., L.2321-1 et s. (communes), L.3321-1 et s. (départements) ; L.4321 (région) du Code général des collectivités territoriales.
[4] Décision DC n°90-274 du 29 mai 1990.
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