Archive mensuelle 11 octobre 2016

ParJDA

Compte-rendu AG du 26 septembre 2016

Art. 98

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif a eu lieu le 26 septembre 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées seize personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus du Tribunal Administratif de Toulouse, de l’Université de Toulouse 1 Capitole, du Barreau & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Etat des lieux du dossier III : « laïcité »

Le troisième dossier, programmé pour le début d’année 2017 avance.

Il porte sur la laïcité et se fait en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). L’appel à contributions – qui avait été prorogé – est désormais clôturé et les contributeurs vont recevoir – courant octobre – un retour des deux coordinateurs (les pr. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina).

Si la publication leur est proposée, ils le seront soit sur le site (pour tous) du Jda soit sur le site et dans les cahiers (imprimés et diffusés par l’Harmattan) de la Lcd.

  • Questionnaire(s) / Interview(s) (dossier IV)

Comme envisagé au fil des dernières réunions, il est confirmé que le dossier n°IV du Journal du Droit Administratif (Jda) sera constitué d’un ensemble de questionnaires ou interviews sur le droit administratif. Le dossier sera basé sur deux types de questionnaires : celui destinés aux publicistes français et celui destiné aux administrativistes étrangers.

Il est prévu de respecter le calendrier suivant :

  • Autour du 15 octobre: envoi des questionnaires
  • Autour du 15 novembre: réception des questionnaires
  • Autour du 15 décembre: publication en ligne (ou début janvier).

Les professeurs Kalfleche & Touzeil-Divina, Mmes Espagno & Schmitz se proposent pour dépouiller et interpréter de conserve les résultats de ces questionnaires.

Lesdits questionnaires seront envoyés à une cinquantaine de juristes a priori répartis comme suit :

  • Dix administrativistes universitaires
  • Dix praticiens du droit public
  • Dix universitaires étrangers (questionnaire II – droit comparé)
  • Dix membres du Journal du Droit Administratif
  • Dix étudiants & citoyens.

Les membres du Jda qui désireraient répondre au questionnaire sont priés de se faire rapidement connaître (attention les places sont limitées !).

  • Jurisprudence(s)

Est réaffirmée la volonté, pour la fin d’année 2016, de présenter trois « triptyques toulousains prétoriens » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Deux affaires sont déjà sélectionnées et sont en cours de commentaires. Une troisième affaire sera sélectionnée par le TA de Toulouse et transmise sous peu au Jda.

Le(s) membre(s) du Jda qui désirerai(en)t commenter cette 3ème affaire est (sont) prié(s) de se faire rapidement connaître.

En outre, le pr. Touzeil-Divina constate que les propositions de veille prétorienne ont – pour l’heure – peu porté leurs fruits ! Il propose en conséquence, avec le soutien unanime des présents et représentés, de lancer – au cas où – une veille prétorienne uniquement ou principalement destinée aux doctorants toulousains.

Cette proposition de veille sera expliquée lors d’une réunion fixée au 07 novembre (10h00). Il a été demandé à l’Ecole doctorale et aux laboratoires intéressés de bien vouloir diffuser cette information.

Le(s) doctorant(s) membre(s) du Jda qui désirerai(en)t participer à cette chronique est (sont) prié(s) de se faire rapidement connaître.

  • Chroniques

Il est en outre rappelé qu’une deuxième chronique (en droit des collectivités) vient d’être mise en ligne début octobre grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

Une autre chronique – en droit des contrats – pourrait voir le jour prochainement suite à la proposition de M. Mathias Amilhat.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé de nous donner rendez-vous le 16 novembre 2016 à 18h00 (salle Maurice Hauriou).

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 11 octobre 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 98

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Esquisse comparative du CRPA

par Mme Dominique CUSTOS
Professeure à l’Université de Caen Normandie ; Directrice du CRDFED (EA 2132)

La mise en perspective comparative du CRPA débouche inévitablement sur le constat de son caractère tardif. C’est une chose entendue que, le 23 octobre 2015, la France a rejoint, avec un immense retard, le groupe sans cesse grandissant des pays dotés d’un code ou d’une loi générale de procédure administrative. Elle a, à cet égard, enfin brisé son ‘splendide isolement’ (Maud Vialettes, Cécile Barrois de Sarigny, La fabrique d’un code, RFDA 2016). Celui-ci la caractérisait tout d’abord par rapport à ses partenaires au sein de l’UE. En effet, elle s’était notablement tenue à l’écart des vagues de codification des années 1970 (Les noms des pays présentant une codification avant les années 1970 sont soulignés. Slovaquie: (1928, 1967); Pologne 1928, 1960; Allemagne: 1976; Luxembourg: 1978; Finlande: 1982, 2003; Suède: 1986; Danemark: 1987) et 1990 (Italie: 1990; Hongrie: (1957), 1990, 2004; Autriche: (1925), 1991; Portugal: 1991, Janvier 2015; Espagne: (1889, 1958),1992; Pays-Bas: 1994; Grèce: 1999; Lituanie: 1999; Slovénie: 1999; Lettonie: 2001; République Tchèque (1928): 2004; Estonie: (1936), 2001, 2011; Bulgarie: 1970, 1979, 2006; Croatie : 2009 ; France: Octobre 2015) dont le flux, dès 2009, avait érigé les trois-quarts des États-membres en un bloc à procédure administrative codifiée ou à tout le moins consignée dans une loi générale. Elle côtoyait une minorité d’États-membres dépourvus de codification (Belgique, Irlande, Malte (projet de code administratif en 2012), Roumanie, Royaume-Uni (en voie de sécession depuis juin 2016)). Elle s’en est maintenant échappée pour se ranger dans la majorité, place à laquelle son rôle de précurseur et de modèle en matière de codification du droit civil semblait la prédisposer. L’isolement de la France se percevait également en termes mondiaux (Hors de l’UE, en Europe même : Norvège : 1967 et Suisse : 1968, Serbie : 1997). Ainsi, entre le CRPA et l’Administrative Procedure Act par lequel les États-Unis introduisirent en 1946 (La loi est présentée comme : “An Act to improve the administration of justice by prescribing fair administrative procedure”) la première loi générale de procédure administrative de la famille de common law, un écart de 70 ans s’est creusé. De même, presque 50 ans se sont écoulés entre la première codification d’Amérique Latine, celle du Pérou en 1967 (Plus récemment, Pérou: Loi 2744 du 10 Avril 2001. Autre exemple : Chili : 2008), et l’adoption de la codification française. Qui plus est, quand la France se décida à prendre le train en marche en 2015, l’Asie s’y trouvait déjà depuis une vingtaine d’années, avec le Japon et la Corée du sud (1996).

Évidemment, ce constat chronologique doit être nuancé. Les difficultés de gestation de la codification qui, en France étaient liées à une résistance administrative et surtout juridictionnelle, ne sont pas inconnues partout ailleurs. En témoigne l’exemple allemand : une fois que le scepticisme originel de la doctrine fut vaincu en 1960, il a fallu attendre 15 années supplémentaires pour que la loi générale fût adoptée en 1976 (Hermann Punder, German administrative procedure in a comparative perspective: Observations on the path to a transnational ius commune proceduralis in administrative law, 1 CON (2013), Vol 11 N. 4, 940-961. Ici p. 943-944). Par ailleurs, à y regarder de plus près, dès 1964, la France s’était en réalité engagée dans la codification sectorielle de la procédure administrative à travers la publication du code des marchés publics. Enfin, simultanément à l’enlisement du processus de codification générale, une lame de fond, provoquée principalement par des courants européens, travaillait le droit administratif, au point de rééquilibrer la place respective du contrôle juridictionnel et de la procédure administrative dans la garantie de la démocratie administrative en France. L’absence prolongée de codification n’était donc pas synonyme de stagnation des règles elles-mêmes. Précisément, en ce qu’il formalise cette reconfiguration historique du droit administratif français, le CRPA reflète une convergence entre droits administratifs relevant de modèles classiquement considérés comme distincts. Le modèle américain est celui où depuis l’APA de 1946, contrôle juridictionnel et procédure administrative constituent le diptyque fondateur tandis que le modèle continental européen qu’illustrait la France, reposait traditionnellement sur un pilier central, le contrôle juridictionnel. Les implications procédurales de la subjectivisation croissante subie par le modèle de droit romano-germanique lui fournissent un deuxième pilier, et avec cette addition se développe une ressemblance avec le modèle à l’origine opposé. Si le CRPA s’inscrit dans la tendance au développement de l’hybridité juridique portée par la globalisation, il le fait à sa façon et sur un point particulier avec une prometteuse nouveauté. Une esquisse de comparaison avec l’APA américain permet de mettre en relief le CRPA au sein du droit comparé de la procédure administrative.

Du point de vue formel, avec ses 5 livres dans lesquels s’imbriquent des dispositions législatives et réglementaires, le CRPA se présente comme une compilation de grande envergure. Il tranche avec la brièveté de l’APA, lequel, sur une quinzaine de pages, décline seulement 12 sections (Ailleurs ces sections seraient appelées articles) comportant cependant des subdivisions. Alors que le CRPA détaille la marche à suivre à chacune des étapes du dialogue administratif, l’APA se focalise sur l’édiction d’actes par les agences. Il reste que, même si formellement l’APA tient plus d’une succincte loi générale, du point de vue fonctionnel, il se rapproche du CRPA. Il remplit bel et bien le rôle d’un code au service de l’unification de la procédure administrative fédérale.

Du point de vue substantiel, la qualité principale de codification à droit constant du CRPA se distingue du caractère essentiellement réformateur de l’APA (Techniquement, l’APA traite à la fois de procédure administrative et de contentieux. D. Codification of administrative procedure in the United States, in J-B. Auby, Codification of administrative procedure, 2014, p. 387). Alors que le CRPA, en raison de son caractère tardif, essentiellement couronne des règles anciennes et des transformations récentes, l’APA révolutionne les modalités de confection des actes des agences. En cela, la loi américaine marque un tournant aussi bien en droit administratif national qu’en droit administratif comparé. C’est qu’en effet, le CRPA et l’APA relèvent de la ‘seconde génération des modèles de procédure administrative’ (Javier Barnes, Towards a Third Generation of Administrative Procedure,in Comparative Administrative Law, Susan Rose-Ackermann & Peter L. Lindseth, eds. Edward Elgar Publishing, 2010, p. 336). Il s’agit d’une lignée de codification de la procédure administrative qui ne traite pas seulement de la décision individuelle mais couvre aussi l’acte réglementaire. En Europe, avant le CRPA, c’est la voie qu’avaient empruntée les codifications espagnole et portugaise tandis que les codifications allemande, autrichienne et italienne en se concentrant sur l’acte individuel avaient délaissé le règlement. C’est également celle recommandée par ReNUAL en 2014 (The ReNEUAL (Research Network on EU administrative law) Model Rules on EU administrative procedure, 2014) et à laquelle le Parlement européen s’est rallié le 9 juin 2016 (Résolution du Parlement européen du 9 juin 2016 pour une administration de l’Union européenne ouverte, efficace et indépendante (2016/2610(RSP)) : art. 26).

En réalité, en inaugurant cette extension du champ d’application de la codification, l’APA s’est rendu doublement célèbre en raison de l’introduction générale simultanée de la procédure obligatoire de notice-and-comment. La diffusion mondiale du droit de participer à l’édiction de règlements s’est révélée tardive, lente et circonscrite. Le premier pays à avoir emboîter le pas aux États-Unis sur ce point est l’Australie en 1975. Ensuite, le Portugal en 1991, la Corée du Sud en 1996, l’Espagne en 1997 (La Constitution espagnole (art 105 a) prévoit la consultation directe ou indirecte (à travers des associations) en matière réglementaire. La loi basique (applicable à tous les niveaux de gouvernement) du 26 novembre 1992 ne règle pas la question. C’est la loi du 27 novembre 1997 (art. 24) applicable au niveau étatique seulement qui le fait. C. I. Velaso Rico, La participation à l’élaboration des règlements administratifs : le cas espagnol, in J-B. Auby, Droit comparé de la procédure administrative, Bruylant 2016, p. 289), Taiwan en 1999 et la République Tchèque en 2004 ont suivi. Si la convention d’Aarhus de 1998 peut être analysée comme assurant potentiellement à cette forme (obligatoire) américaine de participation du public à l’activité réglementaire une réception dans tous les pays l’ayant ratifiée, en toute hypothèse, celle-ci serait limitée à la matière environnementale. Ainsi il existe en France, un droit constitutionnel à participation en matière environnementale depuis 2010 (Loi Grenelle 2 du 2 juillet 2010, Art. L 120-1 Code de l’environnement).

En revanche, la réception de droit commun du notice-and-comment symbolisée par la loi Warsmann du 17 mai 2011 et insérée dans le CRPA (L 132-1 à R 132-7) est de type minimaliste. En l’occurrence, l’administration dispose d’une faculté d’associer le public. Qui plus est, lorsqu’elle y a recours, elle n’a ni l’obligation de motiver l’acte proprement dit et ni celle d’expliquer son choix final à titre temporaire dans un document distinct, comme cela est exigé d’elle dans le cadre du régime spécifique du droit de valeur constitutionnelle. Clairement, participation et transparence dans le CRPA ne marchent pas de concert, alors que dans l’APA ils constituent un tandem. La modération dont témoigne le CRPA dans la transplantation de la participation du public est un trait de la glocalisation qui est en train de se produire. En l’occurrence, ce phénomène à travers lequel la globalisation s’adapte aux réalités locales se comprend au regard de l’importance des enjeux. À proprement parler, le notice-and-comment véhicule une conception pluraliste et immanente de l’intérêt public (D. Custos, La formulation de l’intérêt public en droit administratif américain, in G. Guglielmi et E. Zoller, l’intérêt général dans les pays de common law et de droit écrit, À paraître) qui est diamétralement opposée à la conception républicaine et transcendante de l’intérêt général léguée par la Révolution française. Compte tenu de ce contexte défavorable, l’intégration de la consultation du public dans le processus français de la décision publique suit un cheminement cahoteux dont vraisemblablement les dispositions afférentes du CRPA marquent une étape intermédiaire.

Outre l’inclusion du règlement dans leur champ d’application, l’APA et le CRPA ont en commun la couverture du droit mou. Dans l’articulation des règles procédurales, l’APA distingue entre les actes obligatoires (legislative or substantive rules) que sont les règlements et les actes non contraignants (non legislative rules). Tout en exigeant la publication du droit mou et tout en le soumettant au droit d’accès aux documents administratifs, il l’exempte du notice-and-comment (Sect. 553 (b) (A)). Cette exemption est un élément-clé de différenciation des régimes juridiques de deux séries d’actes. Le CRPA, quant à lui, régit également le droit souple (Publication des circulaires et instructions: R 332-8  à R 312-9. Définition des actes administratifs unilatéraux décisoires ou décisions qui les distingue des actes administratifs unilatéraux non décisoires : L 200-1). Mieux encore : le libellé de son article L 131-1 qui, pour la première fois, énumère les principes à observer dans l’association facultative du public à l’élaboration des règlements, est tel qu’il embrasse implicitement le droit souple.

Il y a là une prometteuse nouveauté et pour le droit français et pour le droit comparé de la procédure administrative. Alors que le texte de l’APA exempte explicitement le droit mou de l’obligation de faire participer le public, celui du CRPA autorise une interprétation qui permet d’y inclure une telle obligation, du moins si l’administration a préalablement spontanément décidé de recourir à la consultation publique. En effet, l’art. L 131-1 mentionne « l’élaboration d’une réforme, d’un projet ou d’un acte » et non celle d’une « décision » qui est pourtant le terme utilisé dans l’intitulé du titre (3 du livre premier) dans lequel se trouve inséré ledit article. Le choix des mots laisse à penser que le droit souple (S. Saunier, L’association du public aux décisions prises par l’administration, AJDA 2015, p. 2426) est tout autant concerné que le droit dur. Qui plus est, une autre disposition du code conforte l’interprétation large de l’article 131-1, du moins si l’on a le souci d’une interprétation unitaire du code. Ainsi, dans le cadre du livre 2, l’article L. 200-1 distingue les actes administratifs unilatéraux décisoires ou décisions des actes administratifs unilatéraux non décisoires. Évidemment, il revient au Conseil d’État de déterminer l’interprétation à retenir.

Il est à espérer que le Conseil d’État valide une interprétation large de l’article L. 131-1 car celle-ci permettrait au CRPA d’ouvrir une nouvelle lignée parmi les codes de procédure administrative : celle des codes qui, épousant la variété normative des actes de l’administration, soumettent les actes aussi bien de droit souple que ceux de droit dur aux exigences de la participation du public (D. Custos, The French code of administrative procedure: An assessment, in S. Rose-Ackermann and P. Lindseth, Comparative administrative law, 2nd edition, À paraître). Ainsi, par un heureux mariage de la source législative et de la source jurisprudentielle post-codification, loin d’être un simple acte de rattrapage, le CRPA s’avérerait un modèle à part entière. Or, l’opportunité d’un tel positionnement est à saisir en ces temps où le Parlement européen comme ReNUAL militent de façon de plus en plus insistante pour que l’Union européenne se dote d’un code obligatoire de procédure administrative.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 98

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Libres propos sur la loi déontologie d’avril 2016

 par Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Art. 97. Très attendue, c’est le mot qui semble convenir pour parler de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. En effet, et alors qu’elle alimentait les discussions depuis maintenant bientot 3 ans, la gestation de cette loi fut longue et se donnait pour objectif de venir actualiser le régime juridique applicable aux fonctionnaires, le fameux statut général des fonctionnaires qui datait de 1983.

Très annoncée également. Déjà le 17 juillet 2013, un communiqué de presse du Conseil des ministres venait lancer la démarche entreprise par la ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique qui venait de présenter un projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. La volonté du gouvernement était claire puisqu’il s’agissait, trente ans après la loi du 13 juillet 1983, d’actualiser et completer les principes fondamentaux du statut général des fonctionnaires. Il s’agissait pour le Gouvernement de « ‘reconnaitre dans la loi l’exemplarité dont les fonctionnaires font preuve au service de l’intérêt général et du redressement du pays ». Pour la première fois, « des valeurs, reconnues par la jurisprudence, qui fondent la spécificité de l’action des agents publics sont consacrées dans la loi : neutralité, impartialité, probité et laïcité ». Le projet de loi renforce également les dispositifs applicables en matière de déontologie et dote ainsi la fonction publique française « d’un modèle parmi les plus innovants ».

En premier lieu, il fait application aux fonctionnaires et aux membres des juridictions administratives et financières des dispositifs de prévention des conflits d’intérêt retenus dans le cadre du projet de loi sur la transparence de la vie publique. Une obligation de prévenir et de faire cesser toute situation de conflit d’intérêts est instituée. Un mécanisme de déport est mis en place et un dispositif de « mandat de gestion » sera rendu obligatoire pour certains agents particulièrement concernés. Enfin, un dispositif de protection des « lanceurs d’alerte » est introduit dans le statut général des fonctionnaires afin de permettre à un agent de bonne foi de signaler l’existence d’un conflit d’intérêt sans crainte d’éventuelles pressions.

En second lieu, les pouvoirs et le champ de compétence de la commission de déontologie de la fonction publique sont étendus à la prévention des conflits d’intérêts et renforcés en ce qui concerne le contrôle des départs vers le secteur privé. Les règles de cumul d’activité sont revisitées de manière à redonner toute sa portée à l’obligation faite aux fonctionnaires de se consacrer intégralement à leurs fonctions. Le projet de loi actualise aussi les garanties et les obligations fondamentales accordées aux agents depuis la loi du 13 juillet 1983. Les positions statutaires sont ainsi simplifiées et harmonisées afin de favoriser la mobilité entre les fonctions publiques de l’Etat, territoriale et hospitalière.

De même, les règles disciplinaires sont unifiées et modernisées. La protection fonctionnelle dont peuvent bénéficier les agents à l’occasion des attaques dont ils sont victimes dans l’exercice de leurs fonctions est renforcée et étendue aux conjoints et enfants lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes d’agressions du fait des fonctions de l’agent.

Enfin, un titre spécifique transpose, dans le statut général, les premiers acquis de l’action du Gouvernement en matière d’exemplarité des employeurs publics. Le protocole d’accord du 8 mars 2013 relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, signé par l’unanimité des organisations syndicales représentatives de la fonction publique, est traduit dans la loi. L’obligation de nominations équilibrées dans les postes de cadres dirigeants est étendue et son calendrier anticipé d’un an, conformément aux engagements du Gouvernement.

Près de deux ans plus tard, en juin 2015, un nouveau communiqué de presse du Conseil des ministres annoncent une rectification du projet de loi présenté en 2013. Et c’est en des termes encore élogieux que « le Gouvernement entend consacrer dans la loi les valeurs de la fonction publique et réaffirmer qu’elle constitue l’un des piliers de la République, au service de la continuité de l’action publique et du renforcement de la cohésion du pays. Il entend reconnaître que les agents publics se consacrent, au quotidien, au service de l’intérêt général et rappeler qu’ils doivent se montrer exemplaires dans l’exercice de leurs responsabilités. Le projet de loi rectifié relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires comporte désormais vingt-cinq articles au lieu de cinquante-neuf précédemment. Il est recentré sur les valeurs fondamentales de la fonction publique et le renforcement de la déontologie des agents publics. Ainsi modifié le projet de loi ajoute le devoir d’intégrité aux obligations d’impartialité, de dignité et de probité dans le respect desquels tout agent public doit exercer ses fonctions. Il prévoit que tout agent public doit exercer ses fonctions dans le respect du principe de laïcité, en s’abstenant de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses opinions religieuses et en traitant également toutes les personnes, dans le respect de leur liberté de conscience et de leur dignité. Afin de développer au sein des administrations des démarches de prévention en matière de déontologie, le projet de loi investit les chefs de service de la responsabilité de faire connaître et de faire respecter les nouvelles règles déontologiques. Il crée également la fonction de « référent déontologue », dont la mission sera d’apporter aux agents tout conseil utile au respect des principes déontologiques ».

« Recentré sur l’essentiel », le projet de loi devait permettre au Parlement d’en débattre rapidement et « de renforcer l’exemplarité de la fonction publique, porteuse de valeurs républicaines, encadrée par des principes déontologiques, afin de renforcer le lien qui unit les usagers au service public ».

Il aura donc fallu près d’une année pour que le Parlement adopte le projet de loi à l’issue d’une procédure accélérée.

Si la question de la discipline n’était sans doute pas l’élément central de ce projet de loi, il n’en reste pas moins que le Gouvernement avait malgré tout une réelle volonté de rénover le droit disciplinaire pour sécuriser la situation des agents.

Partant du constat que l’action disciplinaire devait être modernisées, le projet de loi se donnait comme objectif de « créer une nouvelle conception de la discipline dans la fonction publique qui conjugue, dans le respect des équilibres existants, de meilleures garanties avec une responsabilisation des autorités à l’occasion »

Si d’aucuns, et depuis de nombreuses années, consacrent leur « liturgie politique » à présenter le statut des fonctionnaires comme « un anachronisme économique et une entrave managériale » (voir l’excellent papier d’A. TAILLEFAIT, « Unité et diversité des régimes disciplinaires dans la fonction publique: la « globalisation disciplinaire » en question », JCP Administrations et collectivités territoriales, n°10-11, 9 mars 2015, 2075) il n’en reste pas moins que le statut, désormais trentenaire, a su évoluer et présente malgré tout, au moins du point de vue de la discipline, un certain nombre de ressemblances avec les autres champs disciplinaires professionnels.

Si des évolutions ont bien eu lieu, il est indéniable que malheureusement, toutes les ambitions initiales n’ont pu aboutir.

Ainsi pour la CGT, « du cheminement chaotique de ce projet de loi, on retiendra le manque d’ambition du gouvernement et de sa majorité pour conforter le statut des agents publics ainsi que la remise en cause, par les élus de droite, de certains droits fondamentaux ». « A la suite du compromis adopté en commission mixte paritaire, il ne reste que peu de chose du projet d’harmonisation statutaire entre les trois versants de la fonction publique annoncé, en 2013, par Marylise Lebranchu »  estime encore le syndicat.

Si la loi déontologie telle qu’elle a été adoptée ne satisfait sans doute pas tout le monde, notamment parce que pour certains elle ne va pas assez loin, elle présente malgré tout un certain nombre de points positifs au premier rang desquels figure l’introduction d’une prescription de l’action disiciplinaire. En effet, jusque-là, les fautes disciplinaires étaient logées à la même enseigne que les crimes contre l’humanité (!!).

Cette reconnaissance d’une prescription de l’action disciplinaire avait été initiée par la jurisprudence et trouve de nombreux exemples à l’étranger, en Allemagne par exemple.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Art. 97.

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Fonction publique et collectivités territoriales

par Cécile MAILLARD
Juriste assurance, SATEC

Fonction publique
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Dispositions majeures issues du décret 2015-1912 du 29 décembre 2015 concernant les agents contractuels de la FPT

Art. 96. Le décret n°2015-1912 du 29 décembre 2015 est venu modifier le décret n°88-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 concernant le licenciement des agents contractuels. Cet article a également fait l’objet d’une modification par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016.

Il vient notamment supprimer le vocable « agents non titulaires » le remplaçant par le terme « agents contractuels » et compléter la liste des agents soumis aux dispositions du décret n°88-145 du 15 février 1988 modifié. L’ensemble des contractuels sont donc désormais pris en compte et notamment les agents contractuels embauchés comme collaborateur d’élus ainsi que les agents recrutés pour remplacer un agent à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé annuel, maladie, maternité ou autre.

Par ailleurs, ce décret pose les conditions de rémunération des agents contractuels à durée indéterminée et fixe les modalités de tenue des entretiens annuels professionnels pour l’ensemble des agents contractuels détaillant au regard de quels critères la valeur professionnelle de l’agent est appréciée.

Il définit, également, le fonctionnement de la période d’essai des agents contractuels et fixe des durées dépendantes de la durée du contrat conclu. Ainsi, la durée de la période d’essai ne peut dépasser 3 semaines, pour un contrat inférieur à 6 mois, 1 mois pour les contrats inférieurs à 1 an, 2 mois, pour les contrats inférieurs à 2 ans, et 3 mois lorsque la durée du contrat est supérieur à 2 ans ou à durée indéterminée. Les modalités de licenciement au cours de la période d’essai (entretien préalable, motivation, absence d’indemnité…) qui n’étaient pas tranchées par le décret n°88-145 sont désormais précisées.

On remarquera la limitation de la prise du congé sans rémunération pour convenance personnelle aux seuls agents contractuels à durée indéterminée. En outre, la mise à disposition des contractuels à durée indéterminée ne peut excéder 3 ans bien que renouvelable dans les mêmes conditions dans la limite de 10 ans.

Ce décret prévoit que l’autorité territoriale à l’expiration du contrat doit délivrer un certificat contenant la date de recrutement de l’agent et celle de la fin de contrat ainsi que les fonctions occupées et la durée effectivement exercée quelle que soit la cause de cette expiration (licenciement, démission, terme…).

On notera l’émergence de nouvelles causes de licenciement du contractuel : outre la possibilité, pour l’administration, de licencier pour insuffisance professionnelle et faute disciplinaire, celle-ci peut licencier pour disparition du besoin ou suppression de l’emploi qui a justifié le recrutement ainsi que pour transformation du besoin ou recrutement d’un fonctionnaire, entre autre cause.

Toutefois, le décret pose des conditions d’impossibilité de reclassement du contractuel (pour certains cas) ; le respect d’un préavis (variable selon la durée du contrat) et l’obligation d’un entretien préalable au licenciement. Il prévoit également, le versement d’une indemnité dans certaines hypothèses.

Il s’agit donc d’un texte majeur qui fait écho aux difficultés rencontrées par certaines collectivités pour la dénonciation des contrats de certains agents,  à la suite de leur recrutement à durée indéterminée. Il est peut-être à déplorer que ces dispositions s’appliquent également aux contractuels dont les contrats ont un terme car cela ne fait qu’augmenter leur précarité. Toutefois, ce décret a le mérite de rendre plus claire certaines dispositions un peu floues sous l’empire du précédent décret (i.e. période d’essai).

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 96.

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ParJDA

Urbanisme et collectivités territoriales

par Vincent THIBAUD
Docteur en droit public
Juriste, Direction de l’urbanisme, Ville de Montreuil

Urbanisme
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Documents d’urbanisme : avez-vous pensé à la « grenellisation » ?

Art. 95. Au 1er janvier 2017, votre PLU pourrait potentiellement être privé d’effets…

Ce sensationnalisme juridique prend pourtant sa source dans une échéance transitoire qu’avait instauré l’article 19, V., de la loi n°2010-788 portant engagement national pour l’environnement (dite aussi « Grenelle II »), amendé à droit constant par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, suivant lequel donc les plans locaux d’urbanisme étaient censés intégrer les dispositions grenellisées du code de l’urbanisme, puis donc – toujours à droit constant – « ALURisées » au 1er janvier 2017 (c’est donc le cadeau de la loi ALUR).

Plus précisément à l’aune des dispositions transitoires susévoquées, les PLU approuvés/révisés après le 13 juillet 2013, et/ou dont le projet a été arrêté après le 1er juillet 2012, bénéficient d’une présomption de « grenellisation ».

Les PLU approuvé/révisés entre le 13 janvier 2011 et le 1er juillet 2013 « peuvent avoir été grenellisés » et nécessitent donc une confrontation « au cas par cas » avec les standards d’exigences liés à l’application des objectifs environnementaux.

Avant le 13 janvier 2011 et l’entrée en vigueur de ladite loi ENE ou « Grenelle II », les PLU sont présumés n’être tout simplement pas « grenello-compatibles ».

Sans refaire le balayage de ces innovations législatives, il conviendra néanmoins sur un plan pratique de rappeler que ce que l’on peut qualifier de véritable démarche de « grenellisation » des documents d’urbanisme a eu pour caractéristique de concevoir un nouveau standard de PLU, pas tant sur leur forme stricto sensu, que sur des degrés d’exigences et de contenu affectant ses différentes composantes : PADD et rapport de présentation notamment devant justifier les prescriptions des règlements mis alors en place.

Ainsi, le rapport de présentation et le projet d’aménagement et de développement durables reflètent désormais « l’expression d’un projet articulant des thématiques considérablement élargies et qui traduit l’ambition d’une politique nationale d’urbanisme appliquée à un territoire » (cf. P. SOLER-COUTEAUX, « Le plan local d’urbanisme « Grenelle » : un arbre qui cache la forêt », RDI, n°2, 2011, p.16).

Sans commenter le bien-fondé ou non de cet alourdissement des objectifs législatifs assignés aux documents locaux d’urbanisme, il n’en reste pas moins qu’un certain pragmatisme juridique voit poindre un risque, certes limité mais majeur : au 1er janvier 2017, une demande d’abrogation pure et simple du document en vigueur, dont il serait amené la démonstration qu’il n’intègre pas le Grenelle en son état d’ALUR ; à laquelle l’autorité compétente sur le plan serait nécessairement liée comme il ressort de principes généraux largement acquis en droit administratif (CE Ass., 03/02/1989, Cie Alitalia, n°74052).

La seconde catégorie de risque d’annihilation des effets juridiques des PLU pour ce motif teinté de Grenelle réside dans le contentieux des autorisations d’urbanisme, où serait soulevée là une exception d’illégalité interne non couverte par la limitation d’invocation prévue pour les motifs de procédure figurant à l’article L.600-1 du Code de l’urbanisme.

Mais la mesure du risque ne serait totalement exhaustive si elle ne devait envisager une autre réjouissance législative liée à la fois à la caducité programmée des anciens plans d’occupation des sols (POS) et au transfert « de plein droit » des PLU vers les intercommunalités consacré par la même loi ALUR.

Reprenons dès lors notre hypothèse de fin des effets juridiques d’un PLU, le vide juridique n’étant pas du monde de l’urbanisme, la législation afférente au domaine prévoit justement en principe le retour bien connu au document antérieur. Le raisonnement pourrait donc prendre sa référence dans le désormais article L.600-12 du code de l’urbanisme et la disposition suivant laquelle « l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ». Comme donc la loi ALUR a fait en sorte que les vieux POS soient désormais définitivement sortis de l’ordonnancement juridique depuis le 1er janvier 2016 (article L.174-1 du code de l’urbanisme au sein de la codification qui a cours depuis d’ailleurs cette même date du 1er janvier 2016), un territoire affecté par une telle hypothèse devrait donc s’en référer au règlement national d’urbanisme pour l’application d’un droit des sols qui fait fort peu de cas des réalités locales et des projets urbains situés – comme son nom (règlement « national »…) l’indique d’ailleurs.

Il convient de relever que des mécanismes d’amortissement ont aussi été prévus par la législation, pour limiter l’effet de seuil que peut revêtir l’application stricte des principes liés à la « grenellisation » des documents d’urbanisme :

– si le territoire en cause n’en est encore qu’au passage d’un plan d’occupation des sols révisé en un plan local d’urbanisme, et que cette procédure de révision a été engagée avant le 31 décembre 2015, le POS est maintenu en vigueur « au plus tard le 26 mars 2017 », soit trois ans après la prise d’effet de la loi ALUR qui prévoit d’ailleurs à l’échéance le transfert du PLU à l’intercommunalité (sauf opposition exprimée dans les conditions fixées au II de l’article 136 de ladite loi du 24 mars 2014) ; et faudrait-il encore être attentif à la compatibilité du document issu de la révision avec les standards environnementaux, car les délais de rédaction s’étirent parfois de façon critique au regard des évolutions législatives constantes en la matière (voir à ce propos les réflexions dubitatives de F. BOUYSSOU, in « Les cinq crises de la planification urbaine », JCP, A., n°25, 23/06/2014, 2199) ;

– si ce territoire envisagé est du ressort d’un établissement public de coopération intercommunale ayant la compétence PLU, l’engagement d’un processus de document pleinement intercommunal (ou dit encore PLUi dans le jargon) permet de repousser l’échéance de vie des documents communaux non « grenello-compatibles », mais encore faut-il que l’adoption du PLUi soit une réalité juridiquement pleinement engagée avec un débat sur les orientations du PADD devant nécessairement avoir lieu avant le 27 mars 2017 (ce qui permet d’assurer une compétence PLUi effective en relation avec le transfert de plein droit prévu par la loi ALUR), et une approbation du PLUi à l’horizon du 1er janvier 2020 ; ce qui signifie donc que l’échéance « Grenelle » prend une « ALUR » plus modérée au 31 décembre 2019 ;

– enfin, la loi ALUR a prévu qu’en cas d’annulation contentieuse d’un PLU intervenant après le 31 décembre 2015, un éventuel POS « immédiatement antérieur » peut être remis en application et faire lui-même l’objet encore d’une révision en un nouveau PLU, ce maintien d’effets juridiques ne pouvant durer au-delà de deux ans, ce qui peut parfois être court pour refondre un document d’urbanisme (certes, une annulation peut aussi porter sur de simples motifs de procédure qui nécessitent simplement de reprendre une enquête publique). Il s’agit là d’une solution très curieuse, car rien n’est dit sur la remise en application d’un PLU antérieur non compatible avec Grenelle et ALUR, dont la caducité à compter du 1er janvier 2017 semble devoir tout de même être constatée dans l’hypothèse décrite ci-dessus et envisagée par l’article L.174-6 du code de l’urbanisme. À force de contorsions et de complexité, le droit de l’urbanisme n’en est pas à une approximation et une contradiction près…

Mais, dans tous les cas, il transparaît de l’ensemble des cas de figure précédemment décrits qu’une entreprise législative systématique, sous des majorités législatives d’ailleurs différentes, est mise en œuvre depuis la promulgation de la loi « Grenelle II ». À ce propos, la loi ALUR n’a fait que renforcer cette dynamique dans le sens de l’établissement définitif du caractère intercommunal des plans locaux d’urbanisme, échelon pertinent pour la mise en œuvre de hauts objectifs de développement durable porté par l’État pour l’ensemble des territoires. Les secousses juridiques n’en seront pas moins grandes pour certains territoires dans un moyen terme… qui ne disposaient pas encore de PLU au niveau des communes, et où la construction intercommunale n’est due qu’aux obligations du législateur de mailler le territoire d’intercommunalités avec un niveau critique de compétences dont relèvent celles en matière de documents d’urbanisme. Un « Grenelle » pour déconstruire et reconstruire à toute « ALUR » un nouvel urbanisme réglementaire, plus vraiment décentralisé, réformé (au sens de la « réforme territoriale ») assurément.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 95.

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ParJDA

Commande publique & collectivités territoriales

par Philippe BIGOURDAN
Responsable du Service Achat et Commande Publique (SACOP), Ville de Montreuil

& Hortense TRANCART
Acheteur public

Commande publique
& collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

Les PME, grandes gagnantes de la réforme de la commande publique ?

Art. 94. A voir la déclaration aussi ambitieuse que peu réalisable d’Arnaud Montebourg visant à confier 80 % des marchés publics à des PME françaises, on devine aisément qu’en cette période pré-électorale, la bonne santé des PME va, sur le volet économique des déclarations des potentiels candidats, faire partie des sujets favoris de la course à la présidentielle. Les petites et moyennes entreprises représentent 95 % des entreprises françaises, remportent presque 60 % des marchés publics mais seulement 27 % du montant annuel de la commande publique (Rapport 2013 de l’Observatoire économique de l’achat public qui ne prend pas en compte les marchés dont le montant est inférieur à 90 000 € HT). Cela constitue une réelle problématique de développement de l’économie française. Les PME réclament à la fois de la souplesse dans le droit du travail (par exemple, sur les ruptures de contrats) et de la rigidité dans les modalités d’attribution des marchés publics (par exemple, via un mécanisme de quota).

Elles furent, à en croire le Ministère de l’Économie, au cœur du dispositif de la réforme de la commande publique. Ainsi les fédérations professionnelles ont été sollicitées pendant la phase de concertation précédent la transposition des directives européennes relatives aux marchés publics et aux concessions (Directives du 26 février 2014, 2014/24/UE  sur la passation des marchés publics et 2014/23/UE sur l’attribution de contrats de concession).

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de moduler sa réglementation en faveur des PME. Au risque de se faire annuler rapidement certaines mesures par le Conseil d’État (n° 297711, 297870, 297892, 297919, 297937, 297955, 298086, 298087, 301171, 301238, SYNDICAT EGF-BTP et autres) : le 9 juillet 2007, la Haute Juridiction estimait qu’en autorisant les pouvoirs adjudicateurs, dans le cadre des procédures d’appel d’offres restreint, de marché négocié et de dialogue compétitif, à fixer un nombre minimal de petites et moyennes entreprises admises à présenter une offre, les dispositions des articles 60, 65 et 67 du code des marchés publics conduisaient nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures. Or un tel critère, en ce qu’il n’est pas nécessairement lié à l’objet du marché, revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d’égal accès à la commande publique. Les dispositions du code en cause ont par conséquent été annulées.

Cette décision paraissait logique tant les directives européennes, qui constituent le socle de l’ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, sont peu enclines au favoritisme local. Elles sont elles-mêmes soumises à l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation Mondiale du Commerce qui pose le principe de non-discrimination entre les fournisseurs.

Aussi le législateur français doit-il assumer une position légèrement schizophrène : un pied dans l’Union européenne et un contexte libéral, l’autre dans un État protectionniste.

A défaut de pouvoir proposer un véritable Small Business Act, les textes nationaux qui réglementent la passation des marchés publics proposent de nombreux outils facilitant l’accès des PME aux marchés publics. Pourtant leur impact souffre en pratique de quelques limites. Quelques mois après la publication du décret marchés publics, petit tour d’horizon des dispositifs actuellement en place.

Allotissement de rigueur et offres variables selon les lots susceptibles d’être obtenus

En premier lieu, la règle de l’allotissement des prestations en familles homogènes ou corps d’état reste le principal outil d’accès des PME à la commande publique. D’abord, parce que son utilisation reste simple, ensuite par son application stricte et contrôlée par le juge. Les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ancien Code des marchés publics devaient s’y soumettre de manière systématique sauf dans des cas dérogatoires, les nouveaux textes l’étendent désormais à l’ensemble des acheteurs.

Toutefois cette consécration de l’allotissement s’accompagne de mesures particulières pour l’attribution de prestations alloties. Ainsi, l’article 32 de l’ordonnance permet à l’acheteur de laisser un candidat remettre des offres variables en fonction du nombre de lots obtenus. On comprend l’intention du législateur. Lorsque plusieurs lots sont attribués à un même titulaire certaines dépenses (comme les installations de chantier sur une opération de travaux) peuvent se voir mutualisées. Aussi est-il dans l’intérêt de l’acheteur de pouvoir bénéficier d’un prix plus compétitif qu’une attribution lot par lot stricto sensu.

Proposant une offre attractive si elles empochent plusieurs lots, le dispositif tendrait à favoriser les structures qui, ayant une assise conséquente et un spectre de compétences plus large, obtiendraient la majeure partie des lots d’une opération. Cela favorise considérablement les grandes entreprises qui peuvent proposer une offre plus basse financièrement. Reste que l’analyse des offres dans de telles situations ne va pas simplifier la tâche de l’acheteur qui souhaitera sans doute recourir à ce dispositif avec parcimonie.

Le texte (article 32 précité) prévoit toutefois que les « acheteurs peuvent limiter le nombre de lots pour lesquels un opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique. » Cette disposition, qui est une application d’une décision du Conseil d’État (CE, 20 février 2013, req. n° 363656), vise expressément à empêcher que les plus grosses sociétés empochent la totalité des parts du gâteau. Elle permet, en ciblant bien le cadre de ce type de restrictions, de laisser un champ plus libre à la compétition entre entreprises plus modestes sur des lots moins importants ou à caractère innovant. Reste que le recours à ce dispositif doit faire face à la frilosité juridique des collectivités territoriales qui craignent toujours de porter atteinte à l’égalité d’accès à la commande publique.

Des règles plus souples et le développement de la dématérialisation

En second lieu, les assouplissements successifs des règles relatives au dépôt des candidatures et des offres va indubitablement faciliter la vie des petites structures, rarement en mesure d’avoir un service « appel d’offres » conséquent.

Le relèvement du seuil en deçà duquel aucun formalisme n’est requis tant pour l’acheteur que pour l’entreprise de 4.000 à 15.000 euros hors taxes puis à 25.000 euros HT aujourd’hui offre la possibilité aux petites et moyennes entreprises d’accéder à la commande publique plus facilement, sur simple acceptation de devis. Le rapport du sénateur Martial BOURQUIN, adopté le 8 octobre 2015, propose même d’élever ce seuil à 40 000 € HT d’ici 3 ans.

En 2016, cela passe par le quota de 10 % du montant des marchés de partenariat ou des concessions confiés à des PME ou des artisans (article 87 de l’ordonnance 2015-899 et 163 du décret 2016-360, article 35 du décret 2016-86 relatif aux concessions) mais également une ouverture des cas de régularisation des erreurs matérielles (article 59 du décret 2016-360) ou la faculté pour l’acheteur d’examiner les offres avant les candidatures, qui peuvent toujours être facilement complétées.

Le dossier de candidature, aussi lourd qu’il est peu déterminant dans une procédure de mise en concurrence (a fortiori une procédure adaptée) est la pierre d’achoppement d’une réforme qui vise à simplifier au maximum cet aspect.

Aussi les mécanismes du Marché Public Simplifié (MPS) et du Document Unique de Marché Européen (DUME) visent-ils à alléger les volumes des dossiers réponses et les formalités chronophages et coûteuses qui pouvaient être un frein à la candidature de PME. Pourtant le recours aux MPS reste encore très timide et si le DUME doit être obligatoirement accepté par les acheteurs en procédure formalisée, le document est victime … de sa propre lourdeur.

Pourtant, la dématérialisation des procédures simplifie les travaux à effectuer avant la transmission des dossiers à l’acheteur. Il s’agit d’un gain de temps tant au niveau des impressions que de la compilation de l’offre/candidature. En effet, le poids des dossiers couplé à l’impératif de délai imposé par les dates limites de réception des offres, permettent de réduire les frais liés aux envois postaux des petites entreprises. Si côté collectivités, les plate-formes de dématérialisation sont un outil largement maîtrisé depuis quelques années, côté PME, le dépôt d’une offre électronique reste encore une étape peu franchie.

Mais elles se mettent progressivement et trouvent de plus en plus d’intérêt à la dématérialisation de leur propre organisation (comme la facturation électronique). Ainsi, le tout « dématérialisé » loin de compliquer la tâche des PME qui surfent sur la tendance 2.0, leur permet de réduire les coûts et le temps liés à la production d’offres.

Du point de vue réglementaire, la facturation électronique ne devient obligatoire que pour les seules grandes entreprises (de plus de 5 000 salariés) au 1er janvier 2017. Mais le système est déjà mis en place depuis plusieurs années au sein des collectivités territoriales. Ainsi, la ville de Montreuil propose depuis fin 2015 une adresse électronique réservée à la transmission des factures par voie dématérialisée. De même, la Communauté d’Agglomération de Marne-la-Vallée Val Maubuée propose cette solution depuis 2014. Le dispositif étant en place pour les grandes entreprises, il l’est de fait également pour les PME, les obligations relatives à la facturation électronique des PME sont prévues pour 2019 (PME allant de 10 à 250 salariés) et 2020 (micro-entreprises de moins de 10 salariés). La transmission électronique diminue les délais de traitement, les coûts de gestion et permet d’attester de la date de transmission ce qui génère un gain sur le délai de paiement.

Malgré un dispositif réglementaire et législatif favorisant le paiement régulier des factures par les acheteurs et leur transmission par voie électronique, les PME souffrent de l’allongement des en cours de paiement. Devant user des mécanismes bancaires coûteux tels que cession de factures, nantissement, les marchés publics ne sont pas toujours suffisamment rentables.

Quant au régime des avances, les collectivités territoriales, elles-mêmes fort contraintes budgétairement, ne dépassent pas le minimum obligatoire auquel elles sont tenues (soit 5 % du montant du marché lorsqu’il dépasse 50 000 € HT).

Les intérêts moratoires sont peu réclamés et rarement versés d’emblée au premier jour de retard de paiement, l’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par demande de paiement est rarement mise en œuvre.

Les PME craignant de devoir supporter les coûts de la commande publique peuvent se résigner à y participer. Si les outils existent, c’est sur leur utilisation que le bât blesse. Prenons l’exemple des offres anormalement basses : leur détection et leur rejet sont obligatoires et contrôlés avec attention par le juge. Ce procédé qui vise à limiter la concurrence déloyale qui va handicaper une petite structure n’ayant pas les moyens de faire du dumping, aboutit rarement au retrait d’une offre dont les prix sont fort bas. La tentation pour les soumissionnaires de proposer une offre trop basse pour empocher le marché est grande… Au risque d’être dans l’impasse pendant l’exécution et pousser l’acheteur à accepter un avenant en plus-value

Développement durable et PME : mi-figue, mi-raisin

Enfin, l’insertion de clauses et critères environnementaux et sociaux favorisent les PME locales (emploi de personnel défavorisé et Entreprises Adaptées, circuits courts pour les denrées alimentaires des cantines…). Mais gérer un quota d’heures d’insertion et être en mesure de fournir des produits bio-sourcés ou dotés d’un écolabel reste l’apanage de grosses entreprises. Ces dernières sont en mesure de proposer des produits « bio » à un prix compétitif, d’obtenir des labels grâce à un personnel qualifié… Les PME n’ont pas non plus toujours les ressources suffisantes pour obtenir de qualifications sociales (comme l’ISO 9001).

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 94.

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ParJDA

Droit administratif des collectivités territoriales

par Fatma BALEGH-BRETT,
Juriste droit public, Service Juridique (SJ), Ville de Montreuil
Chargée d’enseignements en droit public (Université Paris-Saclay)

Droit administratif
des collectivités territoriales

octobre 2016 – 2ème chronique
La présente page est issue de la chronique
collectivités territoriales

La sécurité juridique à double visage : le recours perpétuel ne l’est plus.
À propos de la décision CE n° 387763 du 13 juillet 2016, M. Czabaj

Art. 93. Si dans les années 2000 les services publics à double visage sont tombés en disgrâce auprès des juges, la notion de sécurité juridique apparaît, depuis cette même période, comme un Janus tantôt favorable aux administrés, tantôt à l’administration. Depuis la loi de finances du 13 avril 1900, aujourd’hui codifié à l’article R421-1 du Code de justice administrative (désormais CJA), le délai de recours pour excès de pouvoir est fixé à deux mois. Or, depuis un décret du 28 novembre 1983, codifié à l’article R421-5 du CJA, ce délai n’est pas opposable à l’administré en cas de notification irrégulière ou d’absence de notification des voies et délais de recours. Dans l’arrêt M. Czabaj  ici commenté, le Conseil d’État profite d’un recours pour excès de pouvoir exercé contre un arrêté de pension, 22 ans après sa concession, pour rejeter la requête comme tardive et pour poser en principe, malgré la lettre du code précité, qu’au terme d’un délai raisonnable fixé à un an sauf circonstances particulières, un recours contre une décision administrative n’est plus recevable, alors même que les voies et délais de recours ont été irrégulièrement notifiés.

En fixant de manière prétorienne ce délai raisonnable, le juge administratif s’inspire, comme le montrent les conclusions du rapporteur public Olivier Hemrard, de la loi de procédure administrative allemande et du droit de la fonction publique de l’Union européenne. Ce faisant, il neutralise par voie jurisprudentielle l’article R421-5 du CJA qui a valeur réglementaire. Cette position se justifie par le souci de mettre fin à l’effet d’aubaine d’une jurisprudence communautaire par trop favorable aux pensionnés masculins et qui ferait peser une charge excessive sur les deniers publics. Cette décision peut néanmoins faire l’objet de trois séries de remarques.

Une question de gestion administrative, d’abord. A priori, cette neutralisation partielle de la règle du recours perpétuel en cas de notification irrégulière des voies et délais de recours paraît constituer une mesure de souplesse bienvenue pour les administrations, déjà considérablement aidées par la standardisation des formules de notification de ces informations. Mais le bilan coût-avantages de cette souplesse nous semble pourtant négatif : pour mettre fin à un effet d’aubaine dans un domaine particulier – en l’espèce celui des bonifications de pension du fait de l’éducation d’enfants –, le juge semble donner une prime générale à la négligence administrative et générer une inégalité, puisqu’en matière de recours pour excès de pouvoir le ministère d’avocat – bien que non obligatoire – s’impose pour qui peut y recourir, les requérants les plus précaires se retrouvant alors seuls dans les méandres du contentieux administratif.

Une question de cohérence et d’agencement des normes, ensuite. Le Conseil d’État fait directement découler « du principe de sécurité juridique » – principe général du droit (désormais PGD) en droit interne depuis la décision KPMG de 2006 – la règle de l’interdiction des recours perpétuels d’une décision mal notifiée (considérant 5) pour en déduire, ensuite, une « règle » de délai raisonnable buttoir (considérants 5 et 6). Le Professeur Rolin en conclut donc qu’il ne s’agit que d’une règle générale de procédure a valeur supplétive pouvant par conséquent être écartée par un texte réglementaire spécial. Mais la Haute juridiction semble plutôt avoir dégagé ici une règle tellement arrimée au principe de sécurité juridique qu’il paraît en pratique difficile au pouvoir réglementaire d’y déroger, le juge ayant seulement calibré la valeur de la norme aux nécessités contentieuses de l’affaire. Si une règle générale de procédure appert dans cette décision, ce serait plutôt celle de la durée du délai (un an), qui peut évoluer au gré des espèces, le principe même d’un délai raisonnable ayant, selon nous, une valeur supérieure au règlement.

Quelque soit la valeur de la norme, cette dernière ne saurait toutefois suffire à déroger à une disposition législative qui prévoirait une règle similaire d’inopposabilité : s’il s’agit d’une simple règle générale de procédure, elle est impuissante à déroger à la loi ; et s’il s’agit d’une nouvelle déclinaison du PGD de sécurité juridique, alors le juge devra élever cette norme au rang de principe conventionnel qui viendrait, non pas comme d’ordinaire accroître le droit au recours – comme c’était le cas pour le principe posé en 1950 par l’arrêt Dame Lamotte, un des rares exemples de PGD contra legem –, mais en restreindre l’exercice. La question reste donc posée du sort de l’article L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration (désormais CRPA), qui codifie l’article 19 de la loi dite DCRA du 12 avril 2000, et qui dispose : « Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. » D’où la nécessité d’une intervention du législateur pour confirmer ou infirmer cette jurisprudence et ainsi harmoniser les solutions car, si l’article R421-5 est bien neutralisé à l’heure actuelle, l’article L112-6 du CRPA ne l’est pas.

Enfin, la dernière question qui pourrait se poser est relative à l’extension probable d’une telle jurisprudence. Cette extension est susceptible de prendre deux directions : elle pourrait être personnelle, puisque la décision commentée ne concerne que les destinataires des décisions individuelles et non les tiers ; pour ces derniers la nouvelle jurisprudence serait paradoxalement profitable, car ils ne bénéficient pas, sauf textes particuliers (par exemple article R424-15, R602-2 et A424-17 du Code de l’urbanisme) de l’équivalent de l’article R421-5. Cette extension aux tiers a été proposée par le rapporteur public et rejetée par la formation de jugement. L’extension pourrait être aussi matérielle et concerner non seulement le recours pour excès de pouvoir, mais également le plein contentieux. Elle pourrait enfin concerner les recours administratifs préalables, qu’ils soient ou non obligatoires : la question se posera alors de savoir si cette exigence de délai raisonnable inclut ou non cette phase parfois précontentieuse. Mais l’extension matérielle demeurera néanmoins limitée puisque la décision commentée ne concerne pas les actes réglementaires, dont la publication est facile à prouver et contre lesquels le recours par voie d’action est en principe fermé au bout de deux mois, sachant que les recours par voie d’exception ou contre les refus d’abroger restent quant à eux possibles à tout moment.

En tout état de cause, des précisions jurisprudentielles s’imposent a minima, s’agissant d’une « règle » que le Conseil d’État a décidé d’appliquer immédiatement malgré l’atteinte effective qu’elle porte à l’exercice, sinon à la substance, du droit au recours. Mais l’on peut surtout souhaiter une intervention du législateur, qu’on peut espérer plus prompt à réagir qu’il ne l’a fait en 2015 s’agissant des délais de retrait et d’abrogation, jusqu’alors laissés, depuis 1922, à l’appréciation presque exclusive de la jurisprudence.

Chronique en droit des Collectivités Territoriales

 sous la direction de M. Pascal TOUHARI
Directeur de l’administration générale, Ville de Montreuil
Chargé d’enseignements à l’Université-Paris-Est-Créteil et Sciences-Po Toulouse

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Chronique Collectivités Territoriales – n°02, Art. 93.

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