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Un éclairage sur l’acte inexistant en matière contractuelle

Art. 388.

par François ABOUADAOU,
Doctorant contractuel à l’Université de Lille, EA n° 4487 – Centre Droits et Perspectives du Droit, Équipe de recherches en droit public

Note sous TA de LILLE, 15 juin 2021,
SOCIETE ENEDIS
req. n°1805205

EXTRAITS :

Considérant ce qui suit :

[…]

Sur les conclusions dirigées contre la délibération n°2017-12-07-28 du 7 décembre 2017 :

  • Le juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours dirigé contre un acte inexistant est tenu d’en constater la nullité à toute époque et de le déclarer nul et de nul effet. Un acte ne peut être regardé comme inexistant que s’il est dépourvu d’existence matérielle ou s’il est entaché d’un vice d’une gravité telle qu’il affecte, non seulement sa légalité, mais son existence même.
  • D’une part, ainsi qu’il a été dit, il ressort des pièces du dossier que la commune de Loos a concédé, par deux conventions conclues en 1913 et pour une durée de trente ans, l’exploitation de son réseau de distribution d’énergie électrique, pour « tous usagers autres que l’éclairage public et privé », à la SLEE et à la SEGN. Ces conventions, qui portent sur l’exploitation du réseau de distribution d’électricité en HTA de la commune de Loos, ont été tacitement prolongées par les parties, qui en ont continué l’exécution, après leur arrivée à échéance en 1943. En application de la loi du 8 avril 1946 portant nationalisation et création d’un monopole pour le transport et la distribution de l’électricité en France, ces conventions de concession ont donc été transférées à EDF, puis à la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF) et, enfin, à la société Enedis, cette dernière étant devenue, en vertu des dispositions du 1° de l’article L. 111-52 du code de l’énergie, la « société gestionnaire des réseaux publics de distribution issue de la séparation entre les activités de gestion de réseau public de distribution et les activités de production ou de fourniture exercées par Electricité de France ».
  • D’autre part, il ressort des dispositions combinées des articles L. 5217-2 et L. 5217‑5 du code général des collectivités territoriales que la Métropole européenne de Lille (MEL), à qui la compétence de ses communes membres en matière de concession de la distribution publique d’électricité et de gaz a été transférée de plein droit, s’est substituée à la commune de Loos dans les droits et obligations nés des contrats de concession en litige, dont l’existence a, ainsi qu’il a été dit, perduré jusqu’ici. 
  • Il résulte de ce qui précède que la commune de Loos n’est plus partie mais tiers aux conventions de concession que la délibération en litige entend incomplètement résilier, celles-ci ayant été transférées à la MEL depuis le 1er janvier 2015. En prononçant la résiliation d’un contrat auquel la commune n’est pas partie, le conseil municipal de Loos est intervenu dans une matière réservée aux pouvoirs législatif et judiciaire.
  • Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la collectivité défenderesse, il ressort des dispositions de l’article 8 du cahier des charges, annexé à l’autorisation préfectorale du 4 juin 1923 « pour la construction et l’exploitation directe en régie » du réseau de distribution publique d’énergie électrique que l’activité de la RME de Loos est limitée à la distribution d’électricité en BT, bien que pour tous usages. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce périmètre d’activité ait été modifié avant l’adoption de la loi précitée du 8 avril 1946, date à compter de laquelle toute nouvelle extension de son périmètre d’activité, tant géographique que fonctionnel, a été interdite. Dans ces circonstances, la RME de Loos ne saurait, sans méconnaître les dispositions de l’article L. 111-52 du code de l’énergie, étendre son périmètre d’activité aux réseaux HTA aujourd’hui exploités par la société Enedis, dont l’exclusivité n’a été remise en cause ni au regard des principes constitutionnellement protégés (CE, 28 septembre 2020, n°440703) ni au regard du droit de l’Union européenne (CE, 10 juillet 2020, n°423901). Par suite, la commune de Loos ne saurait remettre en cause l’exploitation, par la société Enedis, des réseaux de distribution d’électricité en HTA situés sur son territoire en lui ordonnant, par la délibération attaquée, la remise des ouvrages constituant ces réseaux.
  1. Pour l’ensemble de ces motifs, et compte tenu de la gravité des vices qui l’affectent, la délibération en litige doit être regardée comme inexistante et de nul effet, sans qu’il soit besoin d’enjoindre à la société Enedis la communication des documents demandés par la commune de Loos. Par voie de conséquence, la décision du maire de Loos portant rejet du recours gracieux formé par la société Enedis à l’encontre de cette délibération doit également être regardé comme étant nul et de nul effet.

[…]

D E C I D E :

Article 1er : La délibération n°2017-12-07-28 du 7 décembre 2017 du conseil municipal de Loos ainsi que la décision portant rejet du recours gracieux formé par la société Enedis à l’encontre de cette délibération sont déclarés nuls et non avenus.

[…]

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Un éclairage sur l’acte inexistant
en matière contractuelle

Les décisions mobilisant la théorie de l’inexistence de l’acte sont particulièrement rares au point que des membres du Conseil d’Etat ont pu souligner que « le juge administratif a horreur de l’inexistence comme la nature a horreur du vide » bien qu’«il s’y résout cependant dans quelques cas graves et exceptionnels » (FOURNIER J. et BRAIBANT G., « Chronique générale de jurisprudence administrative », AJDA 1957, p.274). L’intérêt essentiel du jugement commenté se trouve donc dans la reconnaissance de l’inexistence d’une délibération d’un conseil municipal prononçant la résiliation d’une concession de distribution d’électricité qui permet, par là-même, de démontrer l’usage particulier qui est fait de la théorie de l’inexistence de l’acte en contentieux administratif.

Cette théorie de l’inexistence de l’acte recouvre une double réalité : celle de l’inexistence matérielle et celle de l’inexistence juridique. La première est particulièrement banale, l’acte n’existe tout simplement pas (A propos d’une délibération matériellement inexistante v. par exemple, CE 9 mai 1990, Commune de Lavaur, n°72384, Rec.115 ; Quot. Jur. 105, note Rouault ; D. 1991, Somm. 135, note Llorens et Soler-Couteaux). La seconde, l’inexistence juridique, est plus singulière et difficile à présenter car elle découle de la gravité des vices qui affectent l’acte ; cette notion de gravité étant laissée à l’appréciation du juge. Il en ira ainsi par exemple des actes adoptés par un organisme « dépourvu d’existence légale » (CE, 9 novembre 1983, Saerens, n°15116, Rec. 453). A ce propos, l’incompétence illustre parfaitement toute la difficulté de dresser une ligne de démarcation claire. En effet, la seule incompétence de l’auteur de l’acte peut constituer une illégalité (CE, 5 juin 1981, Société Incimer, n°10058, Rec. 244 ; – CE, 12 juin 1987, Roujansky, n°78169, T.p.531) tout comme elle pourra également conduire à l’inexistence de l’acte, comme dans le cas d’espèce.

Dans les faits, le réseau électrique de la commune de Loos se compose d’un réseau en « haute tension » et d’un réseau « basse tension » . Pour le premier de ces deux réseaux, la commune a conclu deux conventions les 8 février et 1er août 1913 portant concession pour une durée de trente ans, pour « tous les usagers autres que l’éclairage public et privé » avec la société lilloise d’éclairage électrique et la société électrique et gaz du Nord. L’exécution de la concession, arrivée à échéance en 1943, a été poursuivie par les parties au-delà de cette date par reconduction tacite. Les droits et obligations nés de ces contrats ont été transférés à l’établissement public Electricité de France par l’effet de la loi n°46-628 du 8 avril 1946 relative à la nationalisation de l’électricité et du gaz, puis à la société Electricité Réseau Distribution France et enfin à la société Enedis.

Pour la construction et l’exploitation du second réseau, la commune de Loos a créé, le 10 octobre 1922, une régie municipale d’électricité ayant pour but la construction et l’exploitation d’un réseau de distribution en « basse tension » ; cette régie ayant été transformée à compter du 1er janvier 2000 en établissement public industriel et commercial ayant notamment pour objet la distribution d’énergie électrique, la gestion de l’éclairage public et de la signalisation lumineuse. Cette dernière ayant la qualité d’entreprise locale de distribution, qualifiée également de distributeur non nationalisé, elle a été maintenue hors du champ de la nationalisation opérée par la loi du 8 avril 1946, dans la limite de son périmètre d’intervention géographique et fonctionnel à cette date.

Ainsi, sur le territoire communal, le réseau de distribution d’électricité est pris en charge par la société Enedis en ce qui concerne la distribution d’électricité en « haute tension » et par la régie municipale en ce qui concerne la distribution de l’électricité en « base tension ». Cette dernière prenant également en charge, de fait, une partie de la distribution de l’électricité en « haute tension »

Souhaitant unifier le réseau de distribution électrique autour de la régie municipale d’électricité, la commune, par une délibération du 7 décembre 2017, a décidé de résilier ou de « constater l’expiration » des conventions de concession conclues pour l’exploitation du réseau « haute tension », de demander à la société Enedis de lui remettre les ouvrages constituant le réseau « haute tension » situé sur le territoire de la commune et enfin d’autoriser le maire à négocier son indemnisation en contrepartie de la remise des biens.

La société a alors formé un recours gracieux demandant le retrait de la délibération, recours rejeté par une décision du 5 avril 2018, puis a saisi le tribunal administratif de Lille pour obtenir l’annulation de la délibération et de la décision rejetant son recours gracieux. Par son jugement du 15 juin 2021, la tribunal administratif a déclaré la délibération et la décision portant rejet du recours gracieux nulles et non avenues. Si le recours à cette qualification illustre tout d’abord une application singulière au contentieux contractuel (1), ceci n’empêche pas qu’il faille tout de même s’interroger sur l’opportunité d’y recourir dans le cas présent (2).

1. Une illustration remarquable de l’application de la théorie de l’existence de l’acte au contentieux de la résiliation du contrat

En matière de déclaration de l’inexistence d’un acte, le contentieux de la fonction publique a pu offrir une kyrielle, toute relative, d’illustrations, en particulier dans le cas des promotions ou nominations pour ordre (CE, Sect, 30 juin 1950, Massonnaud, Rec. 400, concl. J.Delvolvé ; S. 1951.3.57, note F.M. ; CE, Ass, 15 mai 1981, Maurice, Rec. 221 ; AJDA 1982.86, Concl. Bacquet ; D. 1981. IR. Obs. P Delvolé ; D. 1982.147, note Blondel et Julien-Laférrière). A l’inverse, le présent jugement marque ici un exemple, si ce n’est inédit du moins particulièrement remarquable, d’application au contentieux de la résiliation contractuelle (v. à propos du contenu d’une convention d’affermage, TA Versailles, 12 décembre 1991, Préfet du Val d’Oise c/ Commune de Goussainville, Compagnie des eaux de Goussainville, CJEG 1992. 126).

Pour mobiliser cette théorie, le tribunal analyse, tout d’abord, la compétence de la collectivité pour procéder à la résiliation de telles conventions de concession en matière d’électricité. Après avoir rappelé de façon laconique que les conventions conclues en 1913 ont fait l’objet de tacite prolongation depuis l’échéance prévue du fait de la continuité d’exécution du contrat – et sans même s’interroger sur l’éventuelle légalité de telles tacites reconductions (Rappr. CE, avis, 27 octobre 2021, Société Enedis, n°452903) – la juridiction énonce que la commune de Loos a été substituée de plein droit par la Métropole européenne de Lille dans les droits et obligations des contrats de concessions querellés par l’effet des articles L.5217‑2 et L.5217-5 du Code général des collectivités territoriales. Ces dispositions opérant un transfert de compétences vers cet EPCI en matière de concession de distribution publique d’électricité et de gaz. Elle en déduit alors que la commune de Loos n’est plus partie au contrat mais uniquement un tiers à celui-ci et n’est dès lors plus compétente pour opérer une telle résiliation. C’est principalement de cette incompétence que le tribunal va déduire l’inexistence juridique de l’acte attaqué.

En précisant que la commune est intervenue dans « une matière réservée aux pouvoirs législatif et judiciaire », le tribunal adopte une position claire quant à la ligne de partage entre l’incompétence vice d’illégalité et l’incompétence vice d’inexistence de l’acte en admettant qu’il existe une distinction entre l’incompétence au sein même de la sphère administrative et celle qui la dépasse. Cependant, cette formulation, qui était historiquement celle de Laferrière dans son Traité de la juridiction administrative, est pourtant singulière puisque les décisions en la matière n’y font classiquement pas référence. D’ailleurs, la qualification d’empiètement sur le pouvoir judiciaireinterroge d’autant plus qu’elle semble ignorer le cas du pouvoir de résiliation du contrat par le juge administratif. L’énonciation aurait probablement gagné en précision en mentionnant de façon plus générale l’atteinte aux pouvoirs dévolus aux autorités juridictionnelles ou au juge du contrat.

En adoptant un contrôle du respect de la séparation des pouvoirs pour qualifier l’inexistence de l’acte, le tribunal revient à une analyse soutenue de longue date par la doctrine qui tend à reconnaitre celle-ci dès lorsqu’il s’agit d’une « usurpation inconstitutionnelle » (LAFERRIERE Edouard, Traité de la juridiction administrative, 2ème éd., 1896, T.2, p.489).

La mobilisation de ce mécanisme est également intéressante du point de vue des conséquences à déduire de la déclaration d’inexistence. Si l’adage veut que « la fraude corrompt tout », il en va de même pour l’inexistence de l’acte. Ceci conduit à censurer, également comme inexistant, le rejet du recours gracieux. Par le passé, le juge administratif n’a pas toujours tiré, alors qu’il le devait, les conséquences de l’acte inexistant en procédant seulement à l’annulation de l’acte pris sur le fondement de celui-ci (CE, Ass, 31 mai 1957, Rosan Girard, n°26188, Rec. 355, concl. Gazier ; AJDA 1957. II.273, chr. Fournier et Braibant ; D. 1958.152, note P.W.). Désormais, il est plus prompt à reconnaitre l’inexistence juridique d’un acte découlant d’un acte lui-même inexistant (CE,10 novembre 1999, Préfet de la Drome, n°126382, Rec. 940 ; CE, 3 mars 2017, Mme Goupil, n°398121, Rec. 432 ; BJCL 2017 p.203, concl. Pellissier).

Malgré ce recours remarquable à la théorie de l’inexistence de l’acte, celui-ci n’est pas sans interroger au vu du faible intérêt pratique qu’il comporte dans le cas d’espèce.

2. La mobilisation de la théorie de l’acte inexistant comme preuve d’un juge disciplinaire de l’action administrative

Il est largement admis que la théorie de l’inexistence constitue avant tout un instrument éminemment fonctionnel pour le juge administratif (WEIL P., « Une résurrection : la théorie de l’inexistence en droit administratif », D.1958, chr. IX, p.49-59 ; BIAGINI-GIRARD Sandrine, L’inexistence en droit administratif, Paris, L’Harmattan, 2010, 496 p.). Par suite, bien que le juge soit tenu de constater la nullité d’un acte en raison de son caractère de moyen d’ordre public (CE, Sect, 18 janvier 2013, Syndicat de la magistrature, n°354218 ; AJDA 2013. 142, obs. de Montecler ; AJFP 2013. 356), la ligne ténue entre illégalité et inexistence lui laisse bien souvent une marge d’appréciation lui permettant d’opter pour l’une ou l’autre des solutions.

A cet égard, il peut, en se plaçant sur le terrain de l’inexistence, s’affranchir notamment des restrictions de délais contentieux (CE, 28 février 1986, Commissaire de la République des Landes, n°62206, Rec. 50 ; AJDA 1986. 326, note J.Moreau ; RFDA 1987. 219, note J.-C. Douence ; RDP 1986. 1468, note J.-M. Auby) et des effets créateurs de droits d’une décision (CE, Sect, 30 juin 1950, Massonnaud, préc.).

Néanmoins le recours à la théorie de l’inexistence de l’acte dans cette décision interroge. Pourquoi le juge administratif s’est-il efforcé de reconnaitre une pareille inexistence de la délibération du conseil municipal alors même qu’une simple annulation aurait atteint des objectifs analogues ? Si la réponse ne se trouve manifestement pas dans les justifications précédemment évoquées, sans doute faut-il n’y voir qu’une volonté du juge de s’ériger en pouvoir disciplinaire de l’administration en lui rappelant la gravité du vice qui entachait sa délibération, et spécialement pour la dissuader d’adopter une nouvelle décision similaire.

Alors même que l’inexistence de l’acte est déjà acquise du fait de l’incompétence de la commune et qu’il n’a dès lors pas lieu à statuer sur les moyens de la requête (CE, 18 mars 1921, Gaubert, Rec. 328 ; DP 1922.3.31) puisqu’il s’agit d’un moyen d’ordre public (CE, 5 mai 1971, Préfet de Paris et ministre de l’intérieur, Rec. p. 329 ; AJDA 1972.301, note V.S.), la juridiction adopte une approche à la fois ferme et didactique pour purger le contentieux d’éventuelles contestations ultérieures relatives au monopole dévolu à la société Enedis. Sur ce point de nombreuses collectivités n’ont pas manqué de contester, ces dernières années, une liberté contractuelle lourdement atrophiée par une l’obligation de négociation avec un opérateur unique et encadrée par un cahier des charges largement contraint par les dispositions législatives et réglementaires (V. CE, 12 avril 2021, Société Ile de Sein Energies, n°436663).

Pour cette raison, le tribunal rappelle clairement que l’intervention de la loi du 8 avril 1946 a eu pour effet d’interdire toute nouvelle extension du périmètre d’activité, tant géographique que fonctionnel, des activités des entreprises locales de distribution. A ce titre, la commune ne peut se prévaloir d’une gestion de fait par la régie municipale d’électricité d’une partie du réseau « haute tension » dès lors que celle-ci n’était pas prévue par l’autorisation préfectorale créant cette régie avant l’intervention de la loi du 8 avril 1946. A noter que la juridiction apporte un soin particulier à réaffirmer explicitement que l’exclusivité d’intervention de la société Enedis a été confirmée par le Conseil d’Etat tant au regard des principes constitutionnels (CE, 28 septembre 2020, n°440703) que du droit de l’Union européenne (CE, 10 juillet 2020, n°423901).

L’analyse de la jurisprudence locale éclaire sur l’utilisation de cette méthode puisqu’il ressort de celle-ci que la juridiction avait déjà eu à statuer, l’année précédente, sur l’attribution d’une concession de distribution publique d’électricité par la métropole européenne de Lille à la société Enedis. Cette instance ayant donné lieu à une QPC à propos de laquelle le Conseil d’Etat estima, pour refuser la transmission au Conseil constitutionnel, que l’exclusivité conférée à la société n’était ni contraire à la libre administration des collectivités territoriales ni au principe d’égalité (CE, 28 septembre 2020, n°440703, préc.). Cette solution justifiée par « la nécessité d’assurer la cohérence du réseau des concessions actuellement géré par les sociétés Enedis et EDF et de maintenir la péréquation des tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution », n’est pas novatoire puisqu’elle transpose fidèlement la solution adoptée par le Conseil constitutionnel en matière de distribution de gaz naturel (Cons. Const., 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie, n°2006-543 DC, JCP A 2007. 2014, note Drago ; RFDA 2006. 1163, note de Bellescize).

Du point de vue du droit de l’Union Européenne, le Conseil d’Etat considère que la position monopolistique d’Enedis ne pose pas non plus de difficultés en raison de la gestion par l’opérateur de services d’intérêt économique général au sens du paragraphe 2 de l’article 106 du TFUE. Les sujétions imposées au titre de ses missions justifient qu’il soit octroyé à l’opérateur des droits exclusifs d’exploitation. Cette position classique s’inscrivant dans la ligne de la jurisprudence européenne en la matière qui autorise les restrictions à la concurrence en raison des nécessités découlant d’une mission d’intérêt général (CJCE, 27 avril 1994, Commune d’Almelo, aff. C-393/92 ; Europe 1994, n°243, note L. Idot ; JT dr. eur. 1994.116, obs. Derenne ; RTD eur. 1995. 46, n°25, obs. L. I.). Ce raisonnement est aussi cohérent au regard des décisions antérieures rendues par le Conseil d’Etat dans le domaine similaire de la compatibilité du droit de l’Union avec le système de tarification réglementée de l’électricité (CE, Ass, 18 mai 2018, Société Engie et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n°413688, Rec. p. 204, concl. E. Bokdam-Tognetti ; AJDA 2018. 1010 ; RFDA 2018. 669, concl. E. Bokdam-Tognetti ; RTD eur. 2018. 835, obs. E. Muller).

Dans le cas présent, la gravité du vice conduisant à déclarer, subsidiairement à l’incompétence, la délibération inexistante trouve sa justification dans une double raison. Elle tient à la fois au caractère évident de la violation de la règle de droit, l’article L.111-52 du code de l’énergie étant limpide sur les modalités de répartition entre les zones de desserte exclusive, mais aussi en raison du caractère sensible de cette problématique et d’une possible multiplication des contentieux quant à l’organisation de la distribution d’énergie en France.

La volonté de sanction symbolique du juge administratif a donc prévalu, dans ce jugement, sur un réel intérêt pratique du recours à un tel mécanisme d’inexistence. Si le juge administratif assure la discipline de l’activité administrative, il se veut dans le même temps pédagogue afin de prévenir l’apparition de contentieux qu’une jurisprudence balbutiant, voire contradictoire, pourrait faire prospérer.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016-2022 ; chronique administrative ; Art. 388.

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115 ans !

Art. 321.

115 ans
de la Loi de séparation
des Eglises & de l’Etat
du 09 décembre 1905 :
et demain ?

(petit) séminaire en ligne – 09 décembre 2020 – 17h30
sur inscription : LAIC.laicites@gmail.com

séminaire en ligne coordonné par
MM. Clément Bénelbaz (Université de Savoie-Mont-Blanc)
& Mathieu Touzeil-Divina (Université Toulouse 1 Capitole)

Au programme :

  • Bon anniversaire la Loi !
  • Contexte(s) normatif & doctrinal
  • Création d’une chronique mensuelle au Journal du Droit Administratif
    (avec appel à participation(s))
  • Constitution et mise en ligne progressive sur un site dédié
    d’un catéchismedoctrinal
    & d’un reliquairenormatif laïques
  • Naissance (& appel à rejoindre) un nouveau groupe de travail :

le Laboratoire d’Analyse(s)
Indépendant sur les Cultes – Laïcité(s)

Conférences courtes sur l’actualité
de l’article 28 de la Loi du 09 décembre 1905
suivies d’échanges & de débats :

  • Crèche(s) (de la nativité) & art. 28 de la Loi du 09 XII 1905
  • Relique(s) & art. 28 de la Loi du 09 XII 1905
  • Statue(s) & art. 28 de la Loi du 09 XII 1905

Séminaire organisé avec les soutiens suivants :

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La régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

par Mme Tatiana Georgia Love NDJOBO MANI

Étudiante en master 2 à la faculté des sciences juridiques
et politiques de l’université de Yaoundé II (Cameroun)

249.

L’exécution des contrats de la commande publique dénote un déséquilibre, fondé sur l’intérêt général, entre le cocontractant de l’administration et l’autorité publique partie au contrat au profit de cette dernière. Au Cameroun, elle bénéficie à cet effet d’un certain nombre de pouvoirs leurs permettant d’avoir une main mise sur la réalisation des prestations de leurs cocontractants. Ces pouvoirs se matérialisent par la prise de décisions administratives unilatérales qui sont parfois à l’origine de contestations lorsqu’elles sont entachées d’illégalités. La longue incapacité du juge à annuler les décisions administratives irrégulières d’exécution des contrats de la commande publique du fait de leur caractère exécutoire a favorisé l’essor de leur régularisation. Celle-ci effectuée par le juge de l’excès de pouvoirs mais les pouvoirs publics sont également habilités en la matière.

I) Les irrégularités pouvant entacher les mesures administratives d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

Les irrégularités contenues dans les décisions administratives d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun sont désignées par l’excès de pouvoir : il s’agit de « l’incompétence, du vice de forme, la violation d’une disposition légale et le détournement de pouvoir » (article 2 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs au Cameroun). Elles sont regroupées sous deux rubriques à savoir les irrégularités externes à la décision et les irrégularités qui lui sont internes.

A) Les irrégularités externes aux décisions d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

Les irrégularités externes pouvant entacher une décision d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun sont liées d’une part à l’incompétence de son auteur et d’autre part au vice de forme.

La notion d’incompétence en elle-même est assez ambivalente : elle peut être personnelle, matérielle, temporelle ou encore spatiale. Il y a incompétence rationae personae lorsque la mesure faisant grief est édictée par une autorité qui n’en était pas habilitée ; l’incompétence rationae materiae frappe les mesures prises par l’autorité contractante au-delà de la compétence que lui accorde les textes. On parle d’incompétence rationae loci lorsque la mesure impacte au-delà de sa compétence territoriale. L’incompétence rationae temporis quant à elle intervient lorsque la mesure est prise par une autorité qui n’est plus compétente ou qui ne l’est pas encore.

La forme de l’acte renvoie à sa présentation. Il se fait donc surtout référence à l’acte écrit et plus précisément aux mentions qu’on y retrouve. Toutefois, ces mentions étant d’aucunes facultatives à l’instar de mentions telles que la date et les visas et d’autres obligatoires comme la signature et les motifs. La décision doit en effet être authentifiée et la mesure justifiée par des raisons juridiques ou de fait (jugement n° 191/2012/CS/CA du 26 septembre 2012, Mme Abada Dorothée c/ État du Cameroun (MINEDUB). Ainsi, n’est donc constitutif de vice de forme que l’omission d’une sanction obligatoire.

B) Les irrégularités internes des décisions administratives d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

Les décisions administratives sont entachées d’irrégularités matérielles lorsqu’elles font l’objet d’un détournement de pouvoir ou encore lorsqu’elles violent la loi.

On est en présence d’un détournement de pouvoir lorsque l’autorité publique contractante exerce les prérogatives dont elle est bénéficiaire en cours des contrats de la commande publique à d’autres fins que les nécessités de service public.

Pour ce qui est de la violation de la loi, il peut s’agir du non-respect des formes et procédures en vigueur ou encore d’une violation matérielle. Pour les mesures de sanction par exemple, la loi les conditionne expressément à la mise en demeure préalable du cocontractant qui permettra à ce dernier d’apporter, au cours de cette période, des justificatifs au comportement fautif qui lui est reproché et par là, assurer les droits de sa défense.

II) Des régularisations des décisions administratives irrégulières prises en cours d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun

La régularisation des mesures illégales d’exécution prend généralement la forme d’une réparation du préjudice qu’elles causent. Elle peut être l’apanage du juge de l’exécution ou de la personne publique elle-même.

A) De la régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun avant l’intervention du juge de l’exécution

La régularisation des mesures administratives d’exécution des contrats de la commande publique – comme c’est le cas dans tous les autres domaines du droit administratif et même du droit public – répond à une procédure bien particulière. En effet elle est conditionnée par la saisine de la personne publique contractante en premier ressort par le biais du recours gracieux préalable pour la contestation de la légalité de l’acte. L’administration procède alors à une régularisation non juridictionnelle en réparant la situation juridique préjudiciable soit en annulant l’acte, soit en indemnisant les victimes. Ce mode de régularisation est ouvert aussi bien aux cocontractants de l’administration qu’aux tiers à partir du moment où ces derniers ont la capacité d’ester en justice ainsi que l’intérêt donnant qualité à agir.

En outre, la régularisation des décisions administratives illégales émises dans le cadre des contrats de la commande publique peut également prendre la forme d’une transaction administrative. Il s’agit d’une notion civiliste adaptée au droit de la commande publique qui y a exporté l’autorité de la chose jugée entre les parties. L’article 2044 du code civil définit la transaction comme étant un « contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naitre. Ce contrat doit être rédigé par écrit ». Au-delà, la transaction fait intervenir des concessions réciproques entre les parties. Le professeur Biakan précise d’ailleurs fort à propos que la transaction implique « que chacune des parties puisse faire valoir à l’égard de l’autre une prétention, c’est à dire, qu’elle soit engagée dans un rapport d’obligation réciproque qui permet de faire des concessions formalisées dans un acte écrit et signé » (J. Biakan, Précis de contentieux des contrats publics au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 55). Le protocole transactionnel a néanmoins un champ d’application très limité et peut, à titre exceptionnel faire l’objet d’un contrôle par le juge administratif.

B) De la régularisation des décisions illégales d’exécution des contrats de la commande publique au Cameroun après l’intervention du juge de l’excès de pouvoir

La caractéristique la plus remarquable de l’exécution des contrats de la commande publique est sans doute l’ensemble des prérogatives extraordinaires détenues par l’autorité publique contractante. L’une des conséquences de cet état de choses est que le juge de l’excès de pouvoir a pendant longtemps, jusqu’au relativement récent arrêt Commune Béziers II (CE, Ass., 21 mars 2011, Commune Béziers, n° 304806, Rec.), été dans l’incapacité d’annuler les mesures d’exécution de l’administration contractante qui se sont révélées illégales en raison de leur caractère exorbitant. C’est cette règle qui a d’ailleurs favorisé l’essor de la régularisation juridictionnelle qui consiste donc pour le juge de l’excès de pouvoir à veiller à la réparation du préjudice causé par les irrégularités contenues dans les décisions administratives faisant grief. Cette réparation est selon les cas, intégrale ou partielle. La réparation est intégrale lorsque la mesure mise en cause a été prise par l’autorité contractante en l’absence de défaillance du cocontractant ou du tiers le cas échéant : elle couvre alors l’ensemble du préjudice subi, aussi bien matériel que moral comme l’a précisé le juge administratif dans l’affaire AMSECOM/ AMSECONCOM c/ État du Cameroun (jugement n° 50/CS/CA du 1er février 1985). Elle est partielle lorsque ladite mesure est constitutive d’une sujétion imprévue soit parce qu’elle a été prise par une autorité publique autre que celle partie au contrat, soit parce qu’elle a été prise par l’autorité contractante agissant à un titre autre que celui partie au contrat.

En plus de la régularisation juridictionnelle dont il est le principal acteur, le juge administratif joue un rôle non négligeable de régularisation dans les mécanismes de règlement à l’amiable. D’abord les sentences arbitrales sont obligatoirement soumises à son contrôle et il peut exceptionnellement effectuer un contrôle sur la transaction administrative.

In fine, la régularisation peut être la réponse à des excès de pouvoir à contenu divers. Si le juge occupe une place angulaire en la matière, la régularisation juridictionnelle peut se révéler très onéreuse pour la personne publique, plus encore que le respect de leur légalité : c’est d’ailleurs en partie pour cette raison qu’il est en outre accordé à l’autorité publique contractante, la possibilité de régulariser la situation juridique faisant grief dont elle est l’auteure.

Mots clés : Commande publique – Contrats publics – Régularisation – Décisions illégales – Réparation – Prérogatives de puissance publique.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 249

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La régularisation des marchés publics en droit administratif marocain

par M. Mohammed ZAOUAQ

Doctorant à la faculté des sciences juridiques,
économiques et sociales de Salé (université Mohamed V de Rabat, Maroc)

Puisque le recours aux marchés publics constitue pour les responsables administratifs marocains l’un des principaux moyens de la satisfaction de l’intérêt public, le respect du droit régissant ces marchés par l’administration est, de plus en plus, perçu comme un indicateur de son bon fonctionnement. Cependant, malgré les améliorations réalisées quant au respect de la légalité administrative, plusieurs actes fautifs demeurent commis à la fois par les soumissionnaires et les titulaires des marchés publics et par les administrations contractantes.

De ce fait, la régularité de l’action publique et la satisfaction des intérêts des différents organismes administratifs contractants impliquent l’adoption de procédés de régularisation des fautes commises à l’occasion de la passation et de l’exécution des marchés dont ces derniers détiennent la maîtrise d’ouvrage.

En droit administratif marocain, la régularisation des marchés publics est reconnue de manière principale, par la réglementation en vigueur, aux administrations contractantes (I), et exercée accessoirement par les instances compétentes en matière de consultation et de médiation (II).

I) Une régularisation principale assurée par les administrations contractantes

En vue de garantir une meilleure gestion de la commande publique et une totale satisfaction des besoins des services publics contractants, la réglementation en vigueur en matière des marchés publics reconnait à l’administration la possibilité d’exercer une fonction de régularisation, et ce tout au long du processus d’exécution de la commande (du lancement jusqu’à la réception des prestations). Cette régularisation des actes de gestion des marchés visera deux principaux volets, à savoir : la passation (A) et l’exécution des contrats (B).

A) en matière de passation des contrats

La réglementation relative à la passation des marchés, prévue par le décret n° 2-12-349 du 8 Joumada I 1434 (20 mars 2013) relatif aux marchés publics, permet à l’administration contractante d’adopter des actes de régularisation en vue de garantir l’aboutissement de la procédure de passation même en cas de transgression du principe de légalité. Ainsi, il est permis à l’administration de publier des avis rectificatifs, sans aucune suspension de la procédure de sélection des soumissionnaires et d’attribution des marchés, en cas de fautes et d’illégalités commises aux niveaux des avis ou des dossiers des appels d’offres (art. 19 du décret).

De même que les actes irréguliers émanant de ses services, l’administration exerce un pouvoir de régularisation sur les fautes et les irrégularités commises par les différents soumissionnaires à ses appels d’offre. De ce fait, l’administration se doit d’inviter, par tout moyen de communication pouvant donner date certaine, les concurrents ayant présenté des offres pour régulariser toute discordance constatée entre les diverses pièces constituant leurs dossiers de candidature (art. 40 du décret).

En outre, l’administration peut inviter, pour les marchés de consultation architecturale, l’architecte auquel il est envisagé d’attribuer le contrat à rectifier les erreurs matérielles, arithmétiques ou toute discordance constatée dans son dossier de candidature (art. 107 du décret), et ce tout en maintenant la décision d’attribution du marché dont il bénéficie.

B) en matière d’exécution des contrats

En plus des pouvoirs de régularisation reconnus à l’administration en matière de passation des marchés, cette dernière est aussi habilitée à intervenir pour perpétuer un acte ou une situation illégale par le biais de mécanismes juridiques de régularisation. Dans ce sens, le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, approuvé par le décret n° 2-14-394 du 13 mai 2016, prévoit la possibilité de conclure des avenants entre les administrations contractantes et les titulaires des marchés dans la finalité de faire revivre les erreurs manifestes commises par les deux parties au cours de l’exécution des marchés (art. 12), et ce dans la finalité de garantir la stabilité des relations contractuelles et par conséquent la satisfaction de l’intérêt général comme principal moteur de l’action administrative.

L’administration en tant que partie contractante dotée de prérogatives de puissance publique peut exercer son pouvoir de direction et de contrôle ou de modification unilatérale des clauses du marché et imposer des actes irréguliers en matière d’exécution de l’acte contractuel, sans aucune possibilité de les annuler ou les suspendre. La régularisation de ces actes irréguliers puise son fondement de la théorie générale des contrats administratifs qui impose aux cocontractants de l’administration d’accepter tous les ordres de services reçus au cours de l’exécution du marché même s’ils présentent des caractères de faute contractuelle, et de maintenir les relations contractuelles, même déséquilibrées, nécessité par l’obligation de satisfaire l’intérêt public.

Parallèlement au pouvoir de régularisation principale exercé par l’administration en matière de passation et d’exécution des marchés publics, une mission de régularisation accessoire est confiée par la réglementation en vigueur à des instances de consultation et de médiation.

II) Une régularisation accessoire exercée par les instances de consultation et de médiation

La régularisation secondaire ou accessoire est exercée par deux principales instances qui sont amenées à intervenir dans le domaine des marchés publics et assurer des missions de médiation et de consultation au profit de l’administration et de ses différents cocontractants. À savoir : le Médiateur du Royaume (A) et la commission nationale de la commande publique (B).

A) Le Médiateur du Royaume

Cette institution créée par le dahir n° 1-11-25 du 17 mars 2011 et qui a pour principale mission la défense des droits des administrés et la propagation des principes de justice et d’équité, exerce, à l’occasion des plaintes et des doléances qui lui sont soumises, une mission de régularisation des actes illégaux et irréguliers commis par l’administration à l’occasion de son exécution des marchés publics, et ce par le biais des différentes recommandations qu’elle émet.

Suite à l’instruction des plaintes et des doléances relatives à l’exécution des marchés, le Médiateur émet des recommandations visant la réparation des dommages subis par les cocontractants sans toutefois suspendre ou annuler les actes fautifs et irréguliers à l’origine de ces plaintes. Ainsi, ces mêmes actes se perpétuent et retrouvent la régularité grâce aux décisions du Médiateur.

Parmi les principaux raisonnements abordés au niveau des recommandations du Médiateur pour justifier la régularisation des comportements irréguliers de l’administration on trouve :

  • « Le plaignant (titulaire du marché) est en droit de recevoir une indemnité réparatrice du préjudice subi suite aux dépenses et aux efforts fournis en vue de satisfaire la demande (illégale et injustifiée) de l’administration (contractante) » (Rapport annuel du Médiateur, 2015) ;
  • « La transgression des règles juridiques régissant la passation des marchés de fourniture par l’administration ne peut constituer un alibi pour empêcher son cocontractant de percevoir les sommes dues suite aux prestations fournies » (Rapport annuel, 2015).

Ces raisonnements sont utilisés comme des fondements de droit et de fait aux différents mécanismes juridiques de régularisation des illégalités commises dans l’exécution des marchés, dont l’indemnisation pécuniaire des cocontractants lésés qui constitue le principal mécanisme imposé par le Médiateur au niveau de ces différentes recommandations est (Rapports annuels, 2013, 2014 et 2015).

B) La commission nationale de la commande publique

À l’instar de l’institution du Médiateur, la commission nationale de la commande publique assure la régularisation des marchés publics dans la limite des compétences qui lui sont attribuées par la réglementation en vigueur. Ainsi, à l’occasion de son exercice des missions de consultation des réclamations émanant des concurrents, des attributaires ou des titulaires des commandes publiques (tel qu’il est prévu par le décret n° 2-14-867 du 21 septembre 2015 relatif à la commission nationale de la commande publique), la commission invente des mécanismes juridiques de régularisation des marchés et les recommande par les biais des différents avis qu’elle rend.

Par conséquent, le principal mécanisme de régularisation utilisé dans ce sens est le recours à la réglementation en vigueur et aux bonnes pratiques de gestion des marchés publics en vue d’en tirer des solutions juridiques et pratiques et replacer l’acte illégal dans la sphère de la légalité et de la régularité une nouvelle fois. Ainsi, il a été mentionné au niveau de l’avis n° 5/2018 au sujet de l’omission de l’inscription du RIB sur l’acte d’engagement, rendu le 17/04/2018 par la commission que « l’omission de l’inscription du RIB dans l’acte d’engagement ne constitue pas, au regard des dispositions du paragraphe 2 de l’article 40 précité, un motif fondé d’élimination des offres, dans la mesure où elle n’affecte pas le libre jeu de la concurrence, ne porte pas atteinte à l’égalité de traitement des concurrents et ne modifie pas l’objet du marché ».

À l’occasion d’un autre avis rendu le 2 avril 2018 sous le n° 3/2018 au sujet de l’impossibilité éprouvé par le cocontractant de l’administration de poursuivre l’exécution d’un marché de fourniture et la possibilité de procéder à la résiliation du contrat par la partie administrative, la commission a eu recours au texte général régissant les contrats (le code des obligations et des contrats promulgué par le dahir du 12 août 1913) en vue de permettre à l’administration de se soustraire à l’application de la réglementation en vigueur en matière des marchés publics et de permettre la régularisation de les actes de suspension et de résiliation du contrat.

En plus du recours à la réglementation générale et aux bonnes pratiques, la commission recommande la conclusion des avenants comme mécanisme de régularisation des actes irréguliers commis en cours de gestion des commandes publiques. Dans ce sens, la commission a recommandé, à l’occasion de son avis n° 01/2018, la conclusion d’un avenant au marché pour pouvoir régulariser l’erreur commise suite à la transgression de l’article 10 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés des travaux relatif au référentiel de l’identité bancaire.

De ce fait, la commission nationale de la commande publique s’efforce d’inventer différents mécanismes de régularisation, et ce en puisant à la fois dans les textes juridiques généraux régissant le domaine des contrats (le COD) et dans la pratique de la commande publique et les possibilités qu’elle offre dans ce sens, ce qui nous permet de la considérer comme l’organe de régularisation par excellence en matière des marchés publics.

En définitive, on peut dire que malgré l’importance du travail fourni à la fois par l’administration et par les instances de consultation et de médiation, l’enrichissement de la pratique de régularisation des marchés publics au Maroc ne peut atteindre ses résultats sans l’intervention du juge administratif dans ce domaine, et ce en dépassant dans ses différents jugements relatifs au contentieux des marchés la logique de légalité vers celle d’équité et de régularité.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 247

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La régularisation en droit du contentieux administratif turc

par Mme Fatma Didem SEVGİLİ GENÇAY

Docteure en droit public de l’université Jean Moulin-Lyon 3
& enseignante à l’université de Bursa Uludağ (Turquie)

Selon le code du contentieux administratif, le juge administratif turc doit tout d’abord se prononcer sur la recevabilité des requêtes. Cette procédure ressemble à celle suivie par le juge français mais il y a des points qui sont différents et qui ont changé l’avancement du droit administratif turc. Il est préférable de montrer la régularisation en droit du contentieux administratif turc en soulignant ses différences par rapport au droit français.

L’examen des requêtes devant les juridictions administratives suit l’ordre suivant : la compétence, la recevabilité et le fond. En effet, dès qu’une requête est introduite, un juge est nommé pour délibérer sur plusieurs points suivant l’ordre fixé par l’article 14 du code du contentieux administratif, ce qui est appelé, par le code même, phase de révision initiale. S’il n’y a pas de problèmes concernant les points de cette révision et le recours est par conséquent recevable, la juridiction administrative compétente peut examiner le fond. Il faut toutefois rappeler que la plupart de ces points sont considérés d’ordre public et les parties peuvent, par conséquent, en tout état de procédure, invoquer l’irrecevabilité de recours et le juge est dans l’obligation d’examiner d’office ces points fixés par la loi. Entre ces points il y a ceux qui ne sont pas régularisables (I), ceux que le juge régularise par de ses fonctions (II) et ceux, enfin, régularisable par le requérant (III).

I) Les points qui ne sont pas régularisables

A) La compétence de l’ordre administratif

Quelques une des irrégularités que le juge identifie ne peuvent pas être régularisées. En effet, le juge administratif examine premièrement si la requête est adressée au tribunal compétent. Bien évidemment, il s’agit tout d’abord de voir si l’ordre administratif est compétent. Ensuite, si la réponse est affirmative, le juge vérifie si la requête est adressée à la juridiction administrative compétente. Dans le cas où le litige ne relève pas du contentieux administratif, le juge administratif doit se déclarer incompétent et rejeter le recours. Dans ce cas, il revient au requérant de reprendre la procédure devant la juridiction civile qu’il estime compétente. Ce point ne peut donc pas être régularisé.

B) Le qualité du requérant

Concernant la capacité d’agir ou l’intérêt à agir du requérant, le droit turc n’a pas de particularité à souligner. Si le requérant n’a pas la capacité d’agir ou un intérêt lui donnant qualité à agir, le juge administratif prononce l’irrecevabilité. Sauf quelques exceptions qui existent également en droit français, ce point ne peut pas être régularisé. Bien que la jurisprudence soit abondante sur le sujet tant en Turquie qu’en France, la question de savoir qui a intérêt à agir n’entre pas dans les frontières de cette étude.

C) Le nature décisoire de l’acte

Le juge vérifie également si l’acte en question est un acte exécutoire. Seuls les actes exécutoires peuvent faire l’objet d’un recours en annulation. Donc, si par exemple le requérant a saisi le tribunal contre un acte préparatoire, sa requête sera irrecevable sans qu’il y ait de possibilité de régularisation. C’est-à-dire que même si un acte exécutoire prévoyant le même résultat est réellement pris, après que le requérant ait saisi la juridiction demandant l’annulation de l’acte préparatoire, le requérant ne peut que demander l’annulation du dernier en introduisant une nouvelle requête. En droit turc, sont appelées « acte administratif » non seulement les mesures décisoires mais toutes les mesures prises par l’administration y compris les mesures préparatoires, les avis ou les propositions. C’est la raison pour laquelle le code de contentieux administratif prévoit que la qualité exécutoire de l’acte soit un critère de recevabilité. Le juge vérifie donc si l’acte est susceptible de recours et ce point n’est pas régularisable.

D) Les délais de recours

Le dernier point non régularisable concerne les délais de recours. Ce point est très important et d’ordre public comme c’est également le cas en France. Il faut pourtant préciser quelques points : premièrement, à la différence de la France où les délais sont fixés à deux mois, en Turquie il s’agit d’un délai général de soixante jours non francs. Deuxièmement, selon l’article 12 du code du contentieux administratif, ceux dont un droit est lésé par un acte de l’administration peuvent exercer une action demandant annulation de l’acte en question et en même temps ils peuvent demander la réparation de leur préjudice respectant le délai de soixante jours à compter de l’exécution de l’acte. De la sorte, ici il s’agit d’une seule action avec deux demandes. Il est également possible d’exercer premièrement une action en excès de pouvoir et après une action en responsabilité dans le délai de soixante jours à compter de la notification de la décision sur le premier recours. Selon l’article 13 du même code, si le dommage est causé non pas par un acte mais par une action de l’administration, le requérant doit demander à l’administration de dédommager son préjudice dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle il a pris connaissance de l’action administrative et dans tous les cas cette obligation doit être remplie dans les cinq ans à compter de la date de l’action administrative. Cette stipulation du code pouvait causer des pertes des droits s’il était appliqué à la lettre par la juridiction administrative puisque dans certains cas le dommage peut resurgir longtemps après que l’action de l’administration soit terminée (en Turquie, il n’existe ni prescription quadriennale ni, bien évidemment, ses exceptions). Heureusement, le Conseil d’État considère que l’action est complète à la date où elle a effectivement causé des dommages (donc, par exemple, concernant une opération médicale l’action administrative est considérée comme complète à la date où ses effets nuisibles ont surgit) et la connaissance du dommage est considérée comme acquise par le requérant à la date de la connaissance du caractère administratif de l’action (donc par exemple le requérant a appris qu’il faut exercer une action non pas contre le médecin mais contre l’administration). Il est à souligner que ces délais d’un an et de cinq ans ne sont pas des délais de recours juridictionnel. Il s’agit de délais prévus pour réclamation indemnitaire auprès de l’administration après laquelle il est impératif d’attendre qu’un acte explicite ou implicite de rejet naisse.

Dernièrement, concernant les délais de recours, il faut signaler qu’en 2001, une phrase a été incorporée à l’article 40 de la constitution turque et que, depuis, l’administration est dans l’obligation de notifier, dans le texte même de l’acte en question, les possibles voies de recours, administratifs et juridictionnels, ainsi que leurs délais. Bien que pour certains actes exceptionnels les lois spécifiques fixent des sanctions, il n’existe pas de texte général fixant le résultat de manquements à cette obligation, ce qui engendrait des questions concernant les actes qui sont soumis par la loi à des délais de recours plus courts et dont la notification ne contient pas ce délai. Dans les années suivant la révision constitutionnelle, le Conseil d’État considéra que le manquement de signaler les délais plus courts avait pour effet de soumettre l’acte en question au délai général de soixante jours (CE, 10e chambre, 31 décembre 2007, E.2006/2232, K.2007/6691). Aujourd’hui, le Conseil d’État considère la notification incomplète si elle n’annonce pas les voies de recours dont dispose le destinataire à l’encontre de l’acte ou encore les délais de ces recours. Il en déduit logiquement que si la notification est incomplète, les délais de recours ne commencent pas à courir (CE, 13e chambre, 9 février 2018, E.2015/50, K.2018/357).

II) Les points régularisés par le juge

A) La compétence d’une autre juridiction administrative que celle actionnée par le requérant

Si l’ordre administratif est compétent mais que le litige est présenté devant une juridiction incompétente, le juge régularise cette irrégularité et renvoie la requête directement à la juridiction compétente. Le requérant n’est donc pas dans l’obligation de recommencer la procédure. Il est à souligner qu’en droit turc, comme c’est également le cas en droit français, même la compétence territoriale des tribunaux administratifs est considérée d’ordre public.

B) Le manquement du recours administratif préalable obligatoire

Le juge doit vérifier s’il est question d’absence de recours administratifs préalables obligatoires. Bien évidemment, le requérant peut exercer un recours administratif même si ceci ne soit pas obligatoire et ce recours, s’il est exercé dans le délai de recours contentieux, a pour effet d’interrompre ce délai comme c’est également le cas dans le droit français. L’absence de recours administratif préalables obligatoire entraine, par contre, l’irrecevabilité du recours. Toutefois, dans ce cas, contrairement au droit français, le juge administratif turc ne prononce pas l’irrecevabilité de la requête mais il prononce l’envoi de la requête à l’autorité administrative compétente. Dans ce cas, la date où le requérant a introduit sa requête est considérée comme la date de l’exercice du recours administratif préalable. Si, par contre, le délai prévu par la loi pour exercer le recours administratif est expiré à la date de l’exercice du recours juridictionnel, le juge n’envoie pas la requête à l’administration, mais cette fois il en prononce l’irrecevabilité pour forclusion.

C) La personne publique adversaire

Tout d’abord, il faut préciser qu’en droit du contentieux turc une action peut être engagée seulement contre les personnes publiques. Les personnes morales de droit privé ne peuvent se voir comme adversaires devant les juridictions administratives à l’exception des cas peu fréquent où elles utilisent le pouvoir public et que leurs actions aient un caractère administratif. Selon l’article 14 du code du contentieux administratif, un autre point à discuter est celui de savoir si une personne publique est montrée dans la requête comme adversaire et, si la réponse est affirmative, de voir si cette personne publique est le véritable adversaire de la requête. Ce point peut s’avérer difficile à déterminer pour les requérants. En effet, s’agissant du contentieux en annulation par exemple, le requérant qui n’est pas obligé de se faire représenter par un avocat peut diriger la requête contre une personne publique qui n’est pas effectivement l’auteur de l’acte. Dans le cas d’un acte de tutelle par exemple, la détermination de la personne publique adversaire peut s’avérer difficile. Nous sommes bien au courant du fait qu’en France le contrôle de l’État sur les actes des collectivités n’est plus une tutelle mais un contrôle de légalité mais en cela reste le contraire en Turquie. En effet, par exemple, la loi sur les communes a été révisée en 2005 et la possibilité pour les préfets, donc l’autorité de tutelle, d’exercer un recours en excès de pouvoir a été prévue. Cependant la Cour constitutionnelle de la Turquie a décidé en 2010 qu’un tel contrôle ne satisfaisait pas aux exigences de la constitution qui stipule qu’il existe un pouvoir de tutelle de l’État sur les collectivités territoriales. En résumé, en Turquie, le contrôle de l’État sur les actes de collectivités territoriales s’appelle toujours la tutelle et il s’agit d’une véritable tutelle tant dans les textes que dans les considérations de la Cour constitutionnelle. D’ailleurs, dans le contentieux en responsabilité, il est encore plus difficile de déterminer la personne publique responsable. Cependant, en Turquie, ce point ne crée pas de contraintes pour le requérant puisque le code de contentieux turc demande dans son article 3 que la personne publique adversaire soit mentionnée dans la requête mais son absence ou l’erreur dans la détermination de la personne publique adversaire n’est pas sanctionnée. L’inexactitude de ce point est régularisée par le juge et la requête est adressée à la véritable autorité administrative défenderesse.

III) Les points régularisables par le requérant

A) L’absence d’informations nécessaires fixées par l’article 3

Selon l’article 3 du code du contentieux administratif, la requête doit indiquer les noms et prénoms des parties, ainsi que, éventuellement, ceux de leurs représentants, leurs adresses et leurs numéros d’identité. Elle doit contenir le sujet et les motifs du litige ainsi que les preuves avancées par le requérant. En outre, la date de notification de l’acte doit être indiquée et l’acte en question ou un exemplaire de celui-ci doit être fourni. Le juge administratif vérifie si la requête est introduite conformément aux prescriptions de cet article. À défaut, le juge invite le requérant à régulariser sa requête dans un délai de trente jours à l’expiration duquel les irrégularités ne seraient plus régularisables.

Il est temps de mentionner premièrement qu’en droit turc si le requérant choisit d’être représenté, il doit l’être par un avocat mais qu’il n’existe pas d’obligation de l’être. À chaque étape de la procédure, le requérant peut donc suivre lui-même sa requête. Quant aux avocats, il n’existe aucune catégorie ou différences entre eux concernant leur habilité à représenter devant le Conseil d’État, la Cour administrative d’appel, la Cour de cassation, la Cour des comptes ou devant les tribunaux administratifs ou judiciaires.

Deuxièmement, le juge administratif turc n’est pas lié par les moyens apportés par les parties. En effet, il est tenu d’examiner d’office tous les moyens, d’ordre public ou non, négligés par le demandeur ou par le défendeur. C’est pourquoi, bien que le demandeur soit obligé d’apporter ses moyens, ceux-ci ne sont pas fondamentaux, contrairement à ce qu’ils sont en France.

B) L’absence du montant demandé

En droit du contentieux administratif turc, la chose demandée doit être nette et il n’existe pas des conclusions subsidiaires ou conditionnelles. Concernant les demandes indemnitaires, le juge vérifie si un montant demandé est chiffré, sauf le cas des fonctionnaires demandant un paiement en application de textes les concernant (CE, Conseil de l’unification des jurisprudences, E.1983/1, K. 1983/10, Recueil du CE, t. 54-55, p. 129). Si le requérant néglige de chiffrer un montant précis, le juge l’invite à le régulariser dans un délai de trente jours l’expiration duquel ceci ne serait plus régularisable et provoquerait une décision de rejet.

En outre, jusqu’en 2013 ce montant ne pouvait plus être modifié ultérieurement. Ajoutons l’interdiction pour le juge de statuer au-delà de ce qui lui est demandé, sans oublier l’absence de l’hypothèse pour le requérant en Turquie de se réserver la possibilité de chiffrer ses conclusions au vu du rapport de l’expertise et le fait que dans plupart des cas les requérants ne connaissent pas le véritable montant de dommage avant ce rapport de l’expertise qu’ils demandent au juge de prescrire. Ceci constitue un véritable obstacle à surmonter pour le requérant.

En 2013, l’article 16 du code du contentieux administratif a été judicieusement révisé et, depuis cette révision de la loi, il est possible pour le requérant d’augmenter le chiffre du montant demandé une fois jusqu’à ce que le jugement soit prononcé. Ainsi, aujourd’hui après avoir vu le rapport de l’expertise, le requérant peut régulariser le chiffrage de ses conclusions.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 246

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La régularisation des irrecevabilités devant le juge administratif

par M. Antoine CLAEYS

Professeur de droit public à l’université de Poitiers
– membre de l’Institut de droit public (EA2623)

L’article 2 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance consacre au profit des administrés un « droit à régularisation en cas d’erreur » (art. L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration). Dans le cadre du procès administratif, ce droit à régularisation a très tôt été reconnu au bénéfice du requérant en cas de non-respect des conditions de recevabilité du recours. À l’instar des règles de compétence, les règles relatives à la recevabilité des recours revêtent pourtant, en principe, un caractère d’ordre public devant les juridictions administratives (C. Debouy, Les moyens d’ordre public dans la procédure administrative contentieuse, Paris, PUF, 1980, p. 285 s. ; E. Akoun, Les moyens d’ordre public en contentieux administratif, Paris, Mare & Martin, 2017, v. annexe IV, arborescence schématique). Ce caractère d’ordre public explique que le défendeur ne puisse pas renoncer à opposer une fin de non-recevoir qu’il a préalablement soulevée (CE, 26 novembre 1984, n° 35104, T.). Il justifie surtout que le juge soit astreint à une véritable obligation de relever d’office une cause d’irrecevabilité du recours. L’examen du bien-fondé de ce dernier n’est effectivement possible que si le juge a acquis la certitude que les conditions de recevabilité ont bien été respectées par le demandeur (sur l’ensemble de la question, v. A. Ciaudo, L’irrecevabilité en contentieux administratif français, Paris, L’Harmattan, 2009). L’importance qui leur est accordée est d’ailleurs parfaitement légitime car « comme tous les jeux, le jeu juridictionnel obéit à des règles : celles de la procédure déterminent notamment les conditions de recevabilité des recours contentieux. Qui méconnaît ces règles se disqualifie : l’arbitre le déclare perdant, autrement dit, le juge oppose à la demande une fin de non-recevoir et la rejette sans en examiner le bien-fondé » (R. Odent, « Le destin des fins de non-recevoir », Mélanges en l’honneur de Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, p. 653).

Pour autant, de sérieuses raisons ont toujours fait obstacle à une application par trop mécanique de ces « règles du jeu ». Le professeur Chapus notait avec justesse que « si l’exercice des recours ne saurait être abandonné aux convenances de chacun, son régime ne saurait, sans être injuste, exclure tout libéralisme » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, n° 517). La fonction sociale du juge consiste avant tout à trancher des différends. Le cadre procédural dans lequel il exerce cette mission, pour nécessaire qu’il soit ne doit pas se transformer en carcan. Les usagers du service public de la justice sont certes tenus de le respecter au risque de ne pas voir leur(s) prétention(s) examinée(s). Il est cependant non moins évident que des erreurs peuvent être commises au stade de la saisine du juge et de la présentation de la requête. Il s’agit d’un aléa quasi inéluctable en raison de la complexité du droit du contentieux administratif mais aussi de la possibilité parfois reconnue aux requérants de saisir le juge sans l’assistance d’un conseil. Ces erreurs doivent-elles systématiquement et automatiquement conduire à un rejet du recours pour irrecevabilité avant même tout examen au fond de la requête ? La jurisprudence, au-devant ou au-delà des textes, s’y est depuis longtemps refusée à un point tel que le président Odent estimait, dès 1974, que « les fins de non-recevoir ont un destin qui paraît s’apparenter à un déclin » (art. préc., p. 664). Cet augure s’est révélé exact. Sa signification doit être cependant bien comprise. Il ne s’est jamais agi d’affirmer que les irrecevabilités bénéficient désormais d’une sorte d’immunité. Les conditions personnelles, temporelles et matérielles de recevabilité conservent bien une force obligatoire et contraignante. Le déclin dont il est question renvoie en réalité au traitement contentieux libéral dont les fins de non-recevoir font l’objet. La fin de non-recevoir désigne, en effet, non pas l’irrecevabilité elle-même mais la sanction qui en découle. Or, cette sanction n’est prononcée qu’ultima ratio. Entre le moment où la cause d’irrecevabilité est détectée et celui où la sanction est prononcée – le rejet du recours, s’ouvre une période au cours de laquelle le requérant se voit offrir la possibilité de régulariser son recours. En somme, une irrecevabilité avérée et opposée n’est pas toujours forcément définitive et irrémédiable. Avant que le couperet de la fin de non-recevoir ne tombe, le requérant va être en mesure de rectifier son erreur si celle-ci est corrigible. Au final, en cas de régularisation, c’est le principe de bonne administration de la justice qui sort doublement gagnant puisque les « règles du jeu » procédural auront été respectées en même temps que le litige aura été résolu au fond.

Au cours du procès administratif, la régularisation des requêtes dépasse le seul champ des irrecevabilités. Parce qu’elle est également un « instrument de la mise en état du procès administratif », elle intègre des mécanismes correctifs qui concernent davantage le déroulement de l’instruction que l’accès au juge proprement dit (sur cette autre dimension de la régularisation, v. H. Lepetit-Collin, « La régularisation de la requête », A. Perrin (dir.), La régularisation, Paris, Mare & Martin, 2019 [nous remercions le professeur Alix Perrin d’avoir eu l’amabilité de nous communiquer le texte de cette contribution]). La régularisation des irrecevabilités, qui sera seule étudiée dans le cadre de cette contribution, s’effectue selon plusieurs modalités (I) et doit être appréciée à l’aune de l’office du juge administratif (II).

I) Les modalités de la régularisation des irrecevabilités

La régularisation des irrecevabilités poursuit une finalité unique : épurer un recours entaché d’un ou plusieurs vices de présentation. La régularisation agit en quelque sorte comme une purge. Elle lave la requête de toutes ses impuretés procédurales. La régularisation fait bien plus que neutraliser l’irrégularité. Elle la corrige. Devant la juridiction administrative, les modalités de régularisation sont plurielles. Il est possible d’en identifier deux formes principales en distinguant selon que la régularisation est explicite ou implicite. Si la première correspond à un dispositif en partie réglementé (A), la seconde est la manifestation d’une pratique juridictionnelle (B).

A) La régularisation explicite : un dispositif en partie réglementé

Après avoir été consacré par la jurisprudence, le dispositif de régularisation des requêtes est aujourd’hui codifié à l’article R. 612-1 du code de justice administrative (CJA) en ce qui concerne les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’État. Devant les juridictions administratives spéciales, les possibilités de régularisation continuent à être instituées par la jurisprudence selon des modalités identiques (pour un exemple récent, v. CE, 18 décembre 2017, n° 403734, T.). Dans les deux cas, si le principe de la régularisation est la règle (1), il connaît néanmoins quelques exceptions (2).

1) La régularisation : un principe général

La portée du principe de la régularisation est très étendue. Peu de causes d’irrecevabilité demeurent incorrigibles. En revanche, le temps de la correction n’est pas le même dans tous les cas de figure.

Deux types d’irrecevabilité ne sont, en effet, régularisables qu’avant l’expiration du délai de recours contentieux, c’est-à-dire dans un laps de temps très bref. Le défaut de notification des recours en matière d’urbanisme ne peut être ainsi couvert que dans un délai de quinze jours suivant la saisine du juge. Il s’agit en réalité du délai laissé au débiteur de l’obligation (préfet ou requérant) pour exécuter ladite formalité (art. R. 600-1 du code de l’urbanisme non modifié sur ce point par le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018). Fort logiquement, compte tenu de la finalité assignée à l’exigence de notification (informer le bénéficiaire de la décision de l’existence d’un recours), la communication par le juge de la requête au défendeur dans les quinze jours n’est pas de nature à couvrir l’irrecevabilité (CE, 11 décembre 2000, Baudet, n° 212329, T.). L’irrecevabilité tenant à l’absence de preuve de la réalisation de la notification est quant à elle régularisable jusqu’à la clôture de l’instruction si celle-là a été régulièrement accomplie dans le délai réglementaire (CE, 19 décembre 2008, Époux Montmeza, n° 297716, T.). Les chances de régularisation sont en réalité infimes en raison de la très grande brièveté du délai de correction. Pour cette raison, certains auteurs rangent d’ailleurs cette cause d’irrecevabilité dans la catégorie des irrecevabilités non régularisables (R. Chapus, op. cit., n° 519). La régularisation du défaut de motivation du recours est également enfermée dans un délai abrégé au nom des exigences du principe du contradictoire. Aux termes de l’article R. 411-1 al. 2 du CJA, « l’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours ». L’absence de conclusions dans la requête peut être régularisée dans des conditions analogues selon la jurisprudence. Le cadre temporel de la régularisation s’avère une nouvelle fois particulièrement contraignant pour le requérant. Un droit à l’erreur lui est certes reconnu. Cependant, la porte laissée entrouverte à la régularisation se refermera rapidement sur lui s’il ne réagit pas avec suffisamment de diligence au défaut de motivation. Cette restriction temporelle au principe de la régularisation ne concernera toutefois en pratique que le requérant véritablement négligent, c’est-à-dire celui dont la requête ne contient l’exposé « d’aucun moyen » ou d’aucune conclusion.

Les « irrecevabilités susceptibles d’être couvertes après l’expiration du délai de recours » (art. R. 612-1du CJA) forment la cohorte la plus conséquente. Le CJA ne les énumère pas. Il s’agit d’une catégorie résiduelle constituée des irrecevabilités autres que celles précédemment mentionnées et que celles dont la régularisation est impossible (v. infra, B). Y figurent les irrecevabilités relatives au requérant : absence de capacité à agir (d’un mineur : CE, Sect., 9 juillet 1997, Melle Kang, n° 145518, Rec.), de qualité pour agir (d’un parent au nom de son fils majeur : CE, Ass., 13 mai 2011, Mme M’Rida, n° 316734, Rec. ; d’un individu au nom d’une personne morale : CE, 16 janvier 1998, Association « Aux amis des vieilles pierres d’Aiglemont », n°153558, T.), d’intérêt à agir (le requérant « peut invoquer à tout moment, y compris pour la première fois en appel, une qualité lui donnant intérêt à agir », CE, 10 décembre 1997, Société Norminter Gascogne Pyrénées, n°158064, T.) ou bien encore de ministère d’avocat (CE, Sect., 27 janvier 1989, Chrun, n° 68448, Rec.). La plupart des irrecevabilités afférentes au recours sont également concernées. Il en va ainsi de l’absence de signature de la requête en cas d’envoi de celle-ci par télécopie (CE, 13 mars 1996, Diraison, n° 112949, Rec.) ou courriel. Son authentification ultérieure peut être réalisée soit par la production d’un exemplaire dûment signé du mémoire, soit par l’apposition par le requérant de sa signature au bas du document. Le développement de l’application Télérecours et la création récente d’un téléservice (art. R. 414-6 du CJA, créé par le décret n° 2018-251 du 6 avril 2018) limitent désormais la portée de ces jurisprudences puisque l’identification de l’auteur de la requête, au moyen de ces procédés, vaut signature de la requête (art. R. 414-2 et R. 414-8 du CJA). Sont également corrigibles jusqu’à la fin de l’instruction les irrecevabilités tenant à la non-production de la décision attaquée (CE, 17 mars 1995, Touati, n° 154596, T.) ou des copies exigées (CE, 1er juin 1994, Marangoni, n°143770, Rec.), à la non-rédaction du recours en langue française (CE, 18 octobre 2000, Société Max-Planck-Gesellschaft, n° 206341, Rec.) ou à l’omission de produire la justification de la notification du recours conformément aux prescriptions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (CE, 19 décembre 2008, Époux Montmeza, préc.). De même, en cas de requête collective personnelle ou matérielle, s’il n’existe pas un lien suffisant soit entre les requérants, soit entre les décisions, le ou les requérants pourront régulariser leur recours, dans le délai fixé par le juge, en présentant autant de requêtes distinctes que nécessaire (CE, Sect., 30 mars 1973, David, n° 80717, Rec.). S’agissant enfin du non-respect de l’exigence de liaison du contentieux, le Conseil d’État a consacré des possibilités de régularisation assez larges lorsque l’administration n’a pas opposé expressément une fin de non-recevoir tirée justement de l’absence de décision préalable (la régularisation est alors exclue, v. CE, Sect., 13 juin 1984, Association Club athlétique de Mantes-la-Ville, n°44648, Rec.). En effet, la jurisprudence a admis que l’intervention de la décision en cours d’instance avait pour effet de régulariser le recours, y compris en cas de saisine de l’administration postérieurement au dépôt de la requête aux fins de lier le contentieux (CE, 8 juillet 1970, Andry, n° 72891, Rec.). De façon non moins libérale, le juge a considéré que le fait pour le défendeur (l’administration) de conclure à titre principal (CE, 21 février 1997, Quille, n° 86678, Rec.) au rejet au fond des prétentions du requérant valait décision « liant le contentieux » (v. par ex. CE, 1er juin 1984, Commune de Vieux-Boucau, n° 26989, Rec.). Ces solutions ont toutefois en partie été remises en cause par le décret « JADE » du 2 novembre 2016 dans le cadre du contentieux indemnitaire. L’article R. 421-1 alinéa 2 du CJA dispose désormais que « lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Dans quel délai précis les irrecevabilités mentionnées à l’article R. 612-1 du CJA peuvent-elles être régularisées ? De sa propre initiative, le requérant peut régulariser sa requête à tout moment, alors même que ni le juge, ni le défendeur n’ont opposé une fin de non-recevoir. Une régularisation spontanée d’une irrecevabilité peut donc éventuellement intervenir y compris après qu’une ordonnance de clôture de l’instruction a été prise (CE, avis, 28 juillet 1995, Mme Tourteaux, n° 167629, Rec.). Dans l’hypothèse où le juge a relevé d’office l’irrecevabilité et a invité le requérant à la régulariser dans un délai déterminé, l’expiration de ce dernier rend l’irrecevabilité définitive et non régularisable, le juge pouvant alors avoir recours aux ordonnances dites « de tri » (art. R. 122-12 et R. 222-1 du CJA). Enfin, si la fin de non-recevoir est opposée par le défendeur, la régularisation doit être effectuée avant la clôture de l’instruction (v. CE, 18 décembre 2017, préc.). Au-delà, elle n’est plus envisageable sauf si la partie apporte la preuve qu’elle n’était pas en mesure d’y procéder avant que l’instruction ne prenne formellement fin (CE, 19 décembre 2008, Époux Montmeza, préc.).

2) La régularisation impossible : l’exception

Les « irrecevabilités manifestes non susceptibles d’être couvertes en cours d’instance », pour reprendre la formulation de l’article R. 612-1 du CJA, ne peuvent pas l’être en raison de leur nature même ou de la finalité qu’elles poursuivent. Ici, le respect du caractère d’ordre public des règles de recevabilité ne peut s’accommoder d’aucune forme de régularisation. En présence d’une irrecevabilité de cette nature, le juge peut rejeter le recours en usant du procédé expéditif des ordonnances de l’article R. 122-12 ou R. 222-1 du CJA. La liste des conditions de recevabilité dont le respect s’impose ab initio a été établie de façon limitative par la jurisprudence.

La règle du délai de recours fait partie de celles-là. L’exercice hors délai du recours expose inéluctablement son auteur au rejet de sa requête. La forclusion est irrémédiable. Admettre le contraire ôterait tout intérêt à la règle du délai de recours qui vise autant à protéger l’efficacité de l’action administrative que les droits des tiers dans le cadre des relations triangulaires. En fait, « permettre la régularisation serait renoncer à l’exigence même du délai de recours » (R. Chapus, op. cit., n° 519).

Des raisons différentes expliquent le rejet de toute régularisation de la requête en cas de non-exercice d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) (CE, 19 février 2001, El Hirach, n° 228994, Rec.). Ce n’est plus la tardiveté du recours juridictionnel qui est en cause mais, au contraire, son caractère prématuré. Par définition, le recours préalable est obligatoire afin de tenter de parvenir à une résolution à l’amiable du litige. L’instauration d’un mécanisme contraignant de règlement non juridictionnel des litiges serait vidée de sa substance s’il était permis au requérant, une fois son recours contentieux introduit, de régulariser le défaut de saisine préalable de l’autorité administrative. C’est pourquoi, l’exercice du RAPO en cours d’instance et la production des décisions prises sur ce recours ne sont pas susceptibles de régulariser le recours juridictionnel précoce (CE, 26 avril 1976, n° 95585, Rec.). De même, est sans incidence sur l’irrecevabilité le fait que l’administration a discuté le fond de la protestation du requérant sans lui opposer une fin de non-recevoir tirée du défaut d’exercice du recours préalable (CE, 6 mai 1977, Garrigues, n° 02962, Rec.). En revanche, si l’administré a bien exercé le RAPO mais a saisi le juge avant que l’autorité n’ait statué sur sa demande, l’irrecevabilité pourra être couverte si la décision intervient en cours d’instance (CE, Sect., 4 janvier 1974, n° 87418, Rec.).

Toute forme de régularisation est enfin exclue en cas de recours juridictionnel contre un acte non décisoire ou bien injusticiable (v. par ex. à propos d’un recours contre une mesure préparatoire : CE, 19 juillet 2017, n° 403827, T.). Seules sont contestables des actes administratifs répondant à des caractéristiques définies par la jurisprudence. Or, un acte qui ne possède pas les attributs d’un acte justiciable au jour de la saisine du juge ne pourra pas voir sa nature modifiée en cours d’instance. Ce « principe » d’immutabilité des caractères de l’acte administratif rend dès lors sans intérêt l’application du principe de la régularisation des recours. Cette hypothèse ne doit toutefois pas être confondue avec celle où le requérant n’a pas respecté la règle de la liaison du contentieux. Dans ce dernier cas de figure, nous savons que des possibilités de régularisation existent.

B) La régularisation implicite : une pratique juridictionnelle

Le principe dispositif, qui constitue un des piliers de la procédure civile, ne s’est pas imposé avec la même rigueur en procédure administrative contentieuse. La maîtrise par les parties de la matière du procès n’y est pas aussi absolue. Si les possibilités d’intervention du juge administratif au cours de l’instance sont fort nombreuses et connues, il en est une qui contribue à assouplir le caractère d’ordre public des fins de non-recevoir. Il s’agit de la pratique juridictionnelle en vertu de laquelle le juge s’autorise à interpréter la requête lorsque les conclusions qu’elle renferme sont formulées de façon maladroite ou bien imprécise (ce pouvoir d’interprétation concerne en réalité l’ensemble des écritures des parties, v. C. Meurant, L’interprétation des écritures des parties par le juge administratif français, Thèse, Université Jean Moulin Lyon 3, 2017). Cette opération de requalification poursuit comme objectif soit de donner au recours une portée utile, soit de couvrir une irrecevabilité. C’est sous ce dernier aspect que la pratique de l’interprétation constructive remplit une fonction de régularisation qui ne dit pas son nom.

L’ingérence du juge est en soi assez remarquable car, en principe, « c’est la demande des parties, qui, dans les limites des lois et des règlements de droit public, fixe le terrain juridictionnel des litiges » (Riboulet, concl. sous CE, 26 juillet 1912, Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans et du Midi c/ État, Rec. 889). Le juge ne peut donc statuer ni au-delà ni en deçà de ce qui lui est demandé par le requérant dans ses conclusions. En vérité, le pouvoir d’interprétation tempère sans le dénaturer le principe d’immutabilité de l’instance. La requalification ne conduit jamais le juge à statuer infra ou ultra petita (contra, J.-M. Auby, « L’‘‘ultra petita’’ dans la procédure contentieuse administrative », Mélanges en l’honneur de Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, t. 2, p. 267 (spéc. p. 278). Pour le professeur Chapus, en effet, « dire que le juge doit statuer sur ce qui lui est demandé ne peut raisonnablement exprimer que son obligation de statuer sur ce qui lui est réellement demandé » (« De l’office du juge : contentieux administratif et nouvelle procédure civile », EDCE 1977-1978, n° 29, p. 13, spéc. p. 46). L’ambition du juge n’est autre que « démonter l’apparence de la demande pour en faire apparaître l’essence. Le juge agit comme une sorte d’éclaireur de la volonté du requérant » (C. Debbasch, « L’interprétation par le juge administratif de la demande des parties », JCP 1982, I, 3085, n° 4). Les formules utilisées dans les arrêts attestent de cette entreprise de reconstitution-révélation des intentions réelles du requérant : « il y a lieu de regarder la requête comme dirigée contre » (CE, 1er mars 2012, n° 355133, T.) ; « la demande doit s’analyser comme tendant à l’annulation » (CE, 31 juillet 1992, n° 116810, T.) ; « le requérant doit être regardé comme ayant attaqué » (CE, 4 juin 1976, Desforets, n° 96356, Rec.) ; « le requérant n’attaque, en réalité » (CE, Sect., 2 juin 1972, Fédération française des syndicats de pilotes maritimes, n° 78410, Rec.) ; « la demande devait en réalité être regardée comme dirigée » (CE, 23 décembre 1994, n° 78118, inédit).

Afin de révéler une volonté qu’il suspecte d’avoir été mal exprimée, le juge se livre à un véritable « travail d’orthopédie juridique » (R. Odent, art. préc., p. 663) et met en œuvre des méthodes d’interprétation éprouvées, au premier rang desquelles l’exégèse (C. Meurant, thèse préc., p. 180 s.). Le juge se fiera donc principalement à « l’argumentation de la demande », aux « pièces du dossier » ou bien encore aux « termes » de la requête. Bien que le libéralisme du juge l’amène parfois à pousser assez loin les limites de son pouvoir d’interprétation, ce dernier ne le conduit jamais à dégager une volonté factice du demandeur. Si, au terme d’une analyse précise des pièces du dossier, le juge est convaincu que la présentation formelle des conclusions correspond à l’intention réelle du requérant, il refusera de requalifier la demande. Il lui est, en effet, impossible de substituer aux conclusions défaillantes sa propre appréciation et créer artificiellement les conditions de la recevabilité du recours.

En tant que technique de régularisation implicite, l’interprétation des conclusions opère presque exclusivement à l’égard de la condition de recevabilité tenant à l’existence d’une décision susceptible de lier le contentieux. L’opération de requalification vise alors le plus souvent à substituer à l’acte attaqué, lequel ne fait pas grief, une décision attaquable. À titre d’illustration, peut être citée la décision récente par laquelle le Conseil d’État a jugé « qu’il appartient au juge administratif, s’il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d’interpréter les conclusions qui lui sont soumise comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale ». En effet, en cas de recours juridictionnel consécutif au rejet d’un recours gracieux, seuls les vices propres de la décision initiale peuvent être utilement contestés (CE, 7 mars 2018, n° 404079, Rec.).

La place importante accordée aux mécanismes de régularisation des irrecevabilités est assez révélatrice de la façon dont le droit d’accès au juge est entendu libéralement devant la juridiction administrative. L’existence de ces dispositifs de régularisation explicite ou implicite est également riche d’enseignements sur l’office du juge en aidant à mieux en percevoir certains des ressorts.

II) La régularisation des irrecevabilités et l’office du juge administratif

Il est impossible de dissocier la question de la régularisation des irrecevabilités et celle de l’office du juge administratif. La première est intimement liée à la seconde. Les procédures de régularisation mettent en évidence, à petite échelle, la singularité de cet office. Elles sont, en effet, une manifestation de l’existence « du juge administratif ‘‘providence’’ » (C. Meurant, thèse préc., p. 160 s.). Ce dernier, au nom de l’exigence de bonne administration de la justice (A), est en effet assujetti à des obligations plus ou moins contraignantes (B) au regard du principe de régularisation.

A) Régularisation et bonne administration de la justice

Si la régularisation des irrecevabilités emprunte des chemins variés, ils se rejoignent s’agissant de leurs fondements. De prime abord, les mécanismes de régularisation des irrecevabilités trouvent leur raison d’être dans la concrétisation du droit au recours à laquelle ils contribuent. Le droit d’accéder à un juge ne se limite pas à la seule reconnaissance du droit d’action mais inclut également les modalités d’exercice de ce droit. Or, justement, la technique de la régularisation offre aux requérants, dans l’hypothèse où leur recours ne satisfait pas à une des conditions de recevabilité des requêtes, la possibilité de corriger leur erreur et de redresser la cause de l’irrégularité. En cela, la régularisation se rattache aux instruments de protection des droits procéduraux des justiciables et du caractère équitable du procès. En outre, parce qu’elle permet le franchissement de l’obstacle de l’irrecevabilité, la régularisation donne au requérant la garantie d’un examen au fond de son affaire. Quand bien même le juge lui donnerait tort au final, cela est toujours plus satisfaisant, pour le demandeur que de se voir opposer une fin de non-recevoir qui peut générer, chez lui, une forme de frustration et lui donner le sentiment que sa cause n’a pas été examinée. Dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir, cette justification a pu être contestée. Le requérant y est traditionnellement présenté comme un « gardien de la légalité administrative méconnue ». Ainsi, la régularisation ne poursuivrait en réalité pas d’autre objectif que de rendre possible la soumission de l’administration au principe de légalité. La discussion est en vérité assez stérile. Il est difficile de nier que le recours pour excès de pouvoir s’est mué au fil des ans en un « recours personnalisé » où le requérant est le défenseur de ses propres intérêts avant d’être celui de la légalité in abstracto (A. Claeys, La protection juridictionnelle de l’administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, Thèse, université de Poitiers, 2005). La protection des droits procéduraux du requérant constitue un élément de la protection juridictionnelle que lui apporte le recours au juge. Le but immédiat de la régularisation du recours vise donc bien à préserver les chances de succès de l’action contentieuse qu’il a introduite. Si la régularisation favorise également l’exercice par le juge de son contrôle de légalité, ce n’est alors que de façon incidente.

Appréhendée à l’aune de ses fondements, la technique de la régularisation n’en présente pas moins un caractère ambivalent. Par-delà la protection du requérant, elle se rapporte également à l’exigence de bonne administration de la justice, fréquemment convoquée par la jurisprudence à l’appui de solutions diverses (pour un exemple récent : CE, 25 juin 2018, SAS L’immobilière Groupe Casino, n° 416720, T.). Cette exigence est doublement satisfaite grâce à la régularisation. Elle l’est, tout d’abord, parce que les règles gouvernant la recevabilité des recours sont respectées. La régularisation ne fait qu’apporter un tempérament au principe du caractère d’ordre public des fins de non-recevoir. Elle n’y déroge pas. Ainsi que le notait le professeur Debouy, « la régularisation affecte l’une des conséquences de la fin de non-recevoir, non cette fin de non-recevoir elle-même. L’irrecevabilité demeure d’ordre public, seulement ce caractère ne pourra déployer ses effets que lorsque la demande de régularisation, quand elle est possible, n’a pas été suivie d’effets. La demande de régularisation se présente alors comme une formalité préalable, un avertissement au requérant » (C. Debouy, thèse préc., p. 366). La bonne administration de la justice sort encore renforcée par la régularisation qui donne au juge l’opportunité de vider le litige et de remplir ainsi sa mission première. Partant, une magistrate administrative considère qu’« en réalité, [la régularisation] n’est pas tant liée aux parties au procès administratif qu’à ce procès lui-même et au rôle confié à son juge ». Et de poursuivre, que « dans le procès administratif [elle] apparaît comme une procédure dont la maîtrise et la raison d’être servent davantage le juge administratif que son justiciable » (H. Lepetit-Collin, « La régularisation de la requête », art. préc.). Nous croyons, pour notre part, qu’il n’existe pas de hiérarchie réelle parmi les fondements et les finalités assignés à la régularisation. Dire qu’elle sert les intérêts des justiciables n’est pas incompatible avec le constat de ses liens avec l’office du juge. La bonne administration de la justice s’apprécie depuis des points de vue multiples qui correspondent à ceux de l’ensemble des acteurs du procès administratif. Il est vrai cependant que la régularisation soumet le juge à des obligations spécifiques et s’adresse donc particulièrement à lui.

B. Régularisation et obligations du juge

Les obligations du juge varient en fonction des types de régularisation. Alors qu’elles sont relativement peu contraignantes lorsqu’il s’agit de l’interprétation des conclusions, elles sont beaucoup plus marquées dans le cadre du dispositif de régularisation explicite établi par le code de justice administrative.

En ce qui concerne l’interprétation constructive des conclusions, la faculté est la règle, l’obligation l’exception. Cédric Meurant, dans sa thèse déjà citée, a parfaitement démontré comment le juge administratif se reconnaissait une liberté étendue pour interpréter ou non des écritures erronément présentées (thèse préc., p. 339 s.). Il a bien entendu le devoir de les analyser puis de la viser. En revanche, il n’est pas tenu, en principe, de les rectifier s’il décèle une quelconque anomalie pouvant déboucher sur le rejet pour irrecevabilité du recours. Dans quelques hypothèses, toutefois, la faculté se transforme en impératif. S’agissant de la régularisation implicite des irrecevabilités, l’obligation d’interpréter est exclusivement posée par la jurisprudence. Elle concerne presque exclusivement l’hypothèse où plusieurs décisions s’enchaînent. Ainsi, en cas de recours juridictionnel consécutif à un recours gracieux contre une décision administrative, nous savons déjà que le juge doit nécessairement interpréter les conclusions présentées contre le rejet de ce recours comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale (CE, 7 mars 2018, préc.). En cas de recours administratif préalable obligatoire, le recours formé contre la décision initiale doit être regardé comme exercé en réalité contre la décision prise par l’autorité de recours (CE, 19 décembre 2008, Mellinger, n° 297187, Rec.). Dans le même ordre d’idée, lorsqu’un requérant conteste, dans les délais de recours, une décision implicite de rejet et une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, le juge doit interpréter ses conclusions comme visant uniquement la seconde décision, qui s’est substituée à la première (CE, 28 mai 2010, Société IDL, n° 320950, T.). En dehors de ces circonstances particulières, le juge recouvre son entière liberté d’interpréter ou non.

Il en va différemment en cas de régularisation explicite où la logique s’inverse. L’obligation est la règle, la faculté l’exception. L’article R. 612-1 du CJA énonce, en effet, que « lorsque des conclusions sont entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir invité leur auteur à les régulariser ». Cette règle de portée générale fut originellement consacrée par la jurisprudence (CE, Sect., 11 février 1966, Denis, n° 62284, Rec. ; CE, Sect., 30 mars 1973, David, préc.) avant d’être reprise à son compte par le pouvoir réglementaire (v. anc. art. R. 149-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel dans sa rédaction issue du décret n° 97-563 du 29 mai 1997). L’obligation faite au juge d’inviter le requérant à régulariser sa requête partie de celles « qui s’imposent à la juridiction dans la conduite de l’instruction des affaires dont elle est saisie » (CE, 22 juin 1988, SCI Ponderosa, n° 62214, inédit). Manifestation du caractère inquisitorial de la procédure contentieuse, cette obligation d’information répond parfaitement aux exigences d’une bonne administration de la justice.

Le champ d’application de l’obligation est étendu. Dès lors que l’irrecevabilité est susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours, le juge devra inviter le requérant à la régulariser. Pour les irrecevabilités incorrigibles ou bien celles qui peuvent l’être avant l’expiration du délai de recours, le juge est libéré de tout devoir d’information. Dans la première hypothèse, la demande de correction n’a pas de sens. Dans la seconde, la brièveté du temps de correction la prive de son utilité. Pour les irrecevabilités du premier groupe – celles qui donnent lieu à information –, l’obligation d’inviter à régulariser n’est pas opposable au juge des référés (art. R. 522-2 du CJA). Dans le cadre de la procédure ordinaire, elle ne l’est que s’il entend « relever d’office » ces irrecevabilités. Si le défendeur a invoqué une fin de non-recevoir, le juge est donc délié de toute responsabilité. La fin de non-recevoir étant communiquée au demandeur, par le simple jeu du débat contradictoire, l’exigence d’information est considérée comme remplie. Cette solution, qui fut inaugurée par la jurisprudence (CE, 28 avril 1997, Association des commerçants non sédentaires de Corbeil-Essonnes, n° 164820, Rec. ; ab. jur., CE, 25 février 1987, Mortet, n° 45269, T.) puis codifiée dans le CJA (elle conserve son caractère jurisprudentiel pour les juridictions administratives spéciales, CE, 18 décembre 2017, préc.), n’est pas à l’abri de toute critique. Elle revient effectivement à mettre sur le même plan une fin de non-recevoir invoquée par le défendeur et une invitation à régulariser produite par le juge. Or, on peut aisément imaginer qu’un requérant sera plus enclin à se conformer à une demande émanant de l’autorité juridictionnelle qu’à un moyen de défense présenté par son « adversaire ». Sachant qu’il est assez fréquent en pratique que les défendeurs soulèvent des fins de non-recevoir, les perspectives de régularisation provoquée s’en trouvent potentiellement altérées. Le professeur Chapus critiqua assez sévèrement le revirement de jurisprudence de 1997 qui, selon lui, marque « un recul, quant à la sécurité juridique des administrés en litige avec l’administration » (op. cit., n° 533). À bien des égards, il serait souhaitable que l’invocation d’une fin de non-recevoir par le défendeur cesse de neutraliser l’obligation faite au juge d’inviter à régulariser une irrecevabilité relevant du champ d’application de l’article R. 612-1 du CJA.

La jurisprudence pourrait avoir fait un premier pas en ce sens. Dans sa décision Alloune, le Conseil d’État a jugé que l’invitation à régulariser devait être envoyée « par lettre remise contre signature ou par tout autre dispositif permettant d’attester la date de réception ; que la communication au requérant par lettre simple d’un mémoire en défense soulevant une fin de non-recevoir ne saurait, en principe, dispenser le juge administratif de respecter l’obligation ainsi prévue, à moins qu’il ne soit établi par ailleurs que le mémoire en défense a bien été reçu par l’intéressé » (CE, 14 novembre 2011, Alloune, n° 334764, T. ; CE, 9 mars 2018, Commune de Rennes-les-Bains, n° 406205, T.). Il ne s’agit pas à proprement parler d’un retour à la jurisprudence Mortet de 1987. Néanmoins, la dispense d’intervention du juge est désormais cantonnée aux seuls cas où il est acquis que la communication de la fin de non-recevoir a été réalisée selon des modalités propres à garantir l’information réelle du requérant. S’agissant plus spécifiquement des modalités d’envoi de l’invitation à régulariser, la jurisprudence a précisé, en outre, qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit à une juridiction d’adresser dans un même pli une information sur l’état de la procédure et une mise en demeure de régulariser celle-ci (CE, 27 juillet 2005, Hamoumi, n° 260294, T.). Une régularisation par courrier électronique – en dehors de l’application Télérecours – est envisageable. Le greffe de la juridiction est alors tenu de demander au requérant de lui adresser un courrier postal portant sa signature et reprenant le contenu de son courriel (CE, 16 mars 2016, n° 389521, T.).

Le contenu a minima de l’invitation adressée par le juge est déterminé par le pouvoir réglementaire. L’article R. 612-1 al. 3 du CJA prévoit, en effet, que « la demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l’expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours ». Un délai plancher de quinze jours est donc établi en matière de régularisation. En conséquence, le juge ne peut pas se montrer trop évasif et se contenter d’inviter le requérant à régulariser « dans les meilleurs délais » (CE, 9 mars 2009, Mme Gourdain, n° 303983, inédit). Le délai de régularisation prescrit par le juge est nécessairement prorogé en cas de demande d’aide juridictionnelle. Dans l’hypothèse où cette demande serait rejetée, un nouveau délai de régularisation commencerait à courir à compter de la notification de ce rejet. La juridiction ne peut alors pas, « sauf à méconnaître les règles générales de procédure applicables devant elle » et le droit de toute personne à un recours effectif (CE, 7 avril 2010, Bruguier, n° 315123, inédit), examiner la requête avant l’expiration de ce nouveau délai (CE, 11 octobre 2006, Mme Etienne, n° 282107, T.). Toujours dans le souci de donner une portée utile à l’intervention du juge, l’invitation à régulariser doit également indiquer la sanction encourue – le rejet du recours pour irrecevabilité – par le requérant qui n’y donnerait pas une suite favorable. L’information doit être précise et fiable. Tel n’est pas le cas d’une demande qui se contente d’indiquer qu’elle a pour objet « de compléter l’instruction » sans mentionner explicitement que la requête pourra être déclarée irrecevable à défaut de réponse dans le délai imparti (CE, 25 octobre 2004, Préfet de police c/ Mme de Sousa, n° 256944, T.). L’alinéa 3 de l’article R. 612-1 du CJA indique, enfin, que « la demande de régularisation tient lieu de l’information prévue à l’article R. 611-7 » (v. cependant CE, 28 mars 2018, n° 410552, T.). Celui-ci impose au juge de soumettre au débat contradictoire un moyen qu’il envisagerait de relever d’office. L’équivalence des procédures d’information n’est cependant pas réciproque. Lorsque le juge entend soulever d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité de la requête, il ne peut pas se contenter de respecter la procédure prévue à l’article R. 611-7 du CJA. Il doit également adresser au requérant une invitation à régulariser répondant aux prescriptions de l’article R. 612-1 du CJA (CE, 13 juillet 2016, M. Delhaye, n° 388803, T.).

Le respect de l’obligation d’inviter à régulariser une irrecevabilité conditionne la régularité du jugement ou de l’arrêt rendu in fine. Si le juge rejette un recours après avoir soulevé d’office une cause d’irrecevabilité mais sans avoir adressé de demande de régularisation, sa décision sera annulée en cas d’appel ou de pourvoi en cassation. S’il statue au fond sans avoir préalablement opposé une fin de non-recevoir et que l’irrecevabilité de la requête initiale est avérée, la situation est plus complexe. La section du contentieux du Conseil d’État a fini par apporter une solution équilibrée à cet épineux problème juridique. Le juge d’appel, s’il est confronté à cette difficulté, doit en principe nécessairement relever d’office l’irrecevabilité de la demande initiale et annuler le jugement rendu pour irrégularité. En n’opposant pas l’irrecevabilité, le juge a effectivement ipso facto manqué à son devoir d’information. Toutefois, l’annulation ne pourra légalement intervenir qu’après que le juge d’appel aura lui-même invité – sans succès – le requérant à régulariser l’irrecevabilité. En tout état de cause, le juge d’appel « ne saurait sans méconnaître l’étendue de ses pouvoirs » se soustraire à cette obligation au prétexte que l’irrégularité de la procédure de première instance tenant au défaut d’invitation à régulariser n’aurait pas été invoquée en appel (CE, Sect., 29 décembre 2000, Caisse primaire d’assurance maladie de Grenoble, n° 188378, Rec.).

Les larges possibilités de régularisation des irrecevabilités et les obligations subséquentes du juge témoignent des facilités d’accès au juge administratif et de l’intérêt porté à la situation du requérant (v. B. Seiller, « Une efficacité renforcée par un accès accru aux prétoires : approche juridique », in R. Matta Duvignau et M. Lavaine (dir.), L’efficacité de la justice administrative, Paris, Mare & Martin, 2016, p. 185). Elles sont également la manifestation de l’importance reconnue aux règles de recevabilité dans le cadre du procès administratif. Le régime de la régularisation des irrecevabilités illustre finalement parfaitement combien le droit de la procédure administrative contentieuse est un droit au service des justiciables et d’une justice de qualité.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 245

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De la régularisation en marché public

par Mme Pauline GALLOU

Doctorante en droit public à l’université Toulouse 1 Capitole
membre de l’Institut Maurice Hauriou (EA 4657)

S’interroger sur les liens qu’entretiennent la régularisation et les marchés publics peut sembler surprenant. Il est en effet très souvent reproché aux marchés publics d’être caractérisés par la grande rigidité de leurs procédures et un formalisme excessif. D’ailleurs, quel juriste n’a jamais entendu que l’efficacité économique de l’achat public était sacrifiée sur l’autel de sécurité juridique ? Cette affirmation doit cependant être relativisée. La preuve en est avec la possibilité offerte à l’acheteur public, sous certaines conditions, de procéder à des régularisations en matière de marché public. Par cette action, il opère une mise en conformité a posteriori d’un acte de procédure ou d’un acte juridique (le contrat). Or, opérer une régularisation en marché public implique que l’acheteur public prenne le risque d’amoindrir la sécurité du processus d’achat ou, tout au moins, qu’il prenne le risque d’une contestation de celui-ci. Pourtant, il convient de démontrer que la balance entre l’appréciation de la légalité et la stabilité du processus d’achat ne penche pas toujours en faveur d’une orthodoxie de la légalité. Parfois, le pragmatisme de l’acheteur motive une régularisation de l’achat public. Aussi, il n’est pas toujours aisé pour l’acheteur de déterminer avec certitude les contours d’une irrégularité.

Néanmoins, le mécanisme de régularisation bénéficie d’un espace limité en matière de marché public. Auparavant, l’article 52 du code des marchés publics donnait la possibilité à l’acheteur public de régulariser les candidatures pour lesquelles il constatait que des pièces réclamées étaient absentes ou incomplètes. Le terme de régularisation était uniquement employé concernant les candidats n’ayant pas justifié de leur capacité juridique. L’acheteur, s’il optait pour une régularisation des candidatures (lato sensu), devait demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai identique et n’excédant pas dix jours. Alors que la régularisation des candidatures pouvait être mise en œuvre pour toutes les procédures, le code des marchés publics ne permettait pas de régulariser les offres en procédure d’appel d’offre. En vertu de l’article 59 du code des marchés publics, l’acheteur public pouvait uniquement demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre lors d’un appel d’offre. L’offre irrégulière devait être éliminée sans être analysée, ni classée. Le juge avait cependant admis la régularisation d’erreurs purement matérielles (CE, 21 septembre 2001, Département des Hauts-de-Seine, n° 349149, Rec.). Lorsqu’à la suite d’un appel d’offres ou dialogue compétitif, seules des offres irrégulières ou inacceptables étaient proposées, le pouvoir adjudicateur qui était tenu de les rejeter pouvait relancer la procédure avec un marché négocié après publicité préalable et mise en concurrence (I, 1° art. 35 du code des marchés publics).

En revanche si l’acheteur avait lancé un appel d’offres pour lequel aucune candidature ou aucune offre n’avait été déposée ou pour lequel seules des offres inappropriées ont été déposées, la procédure pouvait être relancée par un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence (II, 3° art. 35 du code des marchés publics). En procédure adaptée, la régularisation des offres irrégulières était admise lors de la négociation, à condition toutefois de préserver l’égalité entre les candidats et de ne pas neutraliser un critère (CE, 27 avril 2011, n° 344244, T.). Alors que la doctrine administrative semblait exclure de la régularisation les offres inappropriées, c’est-à-dire sans rapport avec le marché public (Rép. du Min. de l’économie à la QE n° 70215 de D. Fidelin, JO AN du 4 mai 2010, p. 5009), le juge n’avait semble-t-il pas retenu cette limitation. Ainsi, l’acheteur public pouvait admettre les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables à négocier et ne pas les éliminer d’emblée. Si, à l’issue de la négociation, l’offre conservait son caractère irrégulier, inacceptable ou inapproprié, l’acheteur devait la rejeter sans la classer (CE, 30 novembre 2011, n° 353121, T.). En revanche, le V de l’article 66 du code des marchés publics imposait pour les procédures négociées que les offres inappropriées au sens du 3° du II de l’article 35 du code des marchés publics soient éliminées.

Ainsi, une distinction était opérée en matière de régularisation selon d’une part la procédure de passation et d’autre part la nature de l’irrégularité.

De son côté, la nouvelle réglementation des marchés publics emploie expressément le mot « régularisation » à deux reprises. Tout d’abord, l’article 45 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics énonce pour certaines exclusions aux marchés publics la possibilité dans certains cas pour le soumissionnaire de régulariser sa situation (hypothèses du 4° et 5° de l’art. 45) et d’éviter que sa candidature ne soit rejetée conformément au IV de l’article 55 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

Ensuite, l’article 59 du décret du 25 mars 2016 envisage la régularisation des offres. Les acheteurs identifient cependant d’avantage de cas de régularisation que ceux expressément qualifiés par la législation. Si la régularisation en marché public reste en théorie marginale, on ne peut toutefois nier son existence. Étudier la régularisation en matière de marché public nécessite de s’intéresser à la polysémie du mot et à la grande diversité des mécanismes pouvant être utilisés par les acheteurs publics. Pour avoir une photographie d’ensemble, il pourrait être nécessaire d’élargir l’étude à d’autres hypothèses que celles expressément visées par les textes et développées ci-après. Seule sera abordée ici la régularisation utilisée par l’acheteur lors de la passation du marché public.

Il conviendra alors de rappeler dans un premier temps le raisonnement de l’acheteur conduisant à une possible régulation et les caractères de cette dernière (I) avant d’étudier les deux principales régularisations pouvant être utilisées par l’acheteur public au stade de la passation (II).

I) Le raisonnement de l’acheteur et les caractéristiques de la régularisation

A) Le raisonnement juridique menant à une possible régularisation

La régularisation peut être regardée comme l’aboutissement du raisonnement juridique de l’acheteur public. La première étape du raisonnement de l’acheteur en matière de régularisation vise à déterminer si le fait qu’il observe peut-être qualifié d’irrégularité. Cela nécessite d’opérer une qualification juridique du fait. Ce fait est ensuite confronté à une règle de droit afin de déterminer sa légalité. La nature et la source de cette dernière peuvent être multiples puisqu’il peut s’agir d’une norme extrinsèque (une norme internationale, législative, réglementaire) ou d’une règle intrinsèque, définie dans les pièces du marché ou de la consultation visant à traduire le besoin de l’acheteur public.

Cette étape cruciale de qualification juridique n’est pas toujours aisée en matière de marché public car elle implique notamment que la définition des besoins soit parfaitement réalisée en amont et qu’elle soit ensuite fidèlement traduite dans les pièces du marché. Un arrêt du tribunal administratif de Paris du 4 septembre dernier illustre cette difficulté (TA Paris, 4 septembre 2018, n° 1815042/3-5). En l’espèce le ministère de la défense avait lancé un accord-cadre mono-attributaire pour l’acquisition d’appareils portatifs de radiographie avec générateur de rayons X. Conformément à une recommandation de l’Autorité de sûreté nucléaire, le ministère désirait acheter un équipement pouvant être déclenché à distance. Pour traduire cette exigence technique, l’acheteur a introduit dans son cahier des charges une référence à une norme technique (NF C 74-100) en pensant que cette norme contenait cette exigence. Lors de l’examen des offres, l’acheteur a rejeté une offre d’un candidat comme irrégulière car ce dernier proposait le déclenchement de l’équipement au moyen d’un retardateur et non pas un déclanchement à distance. Or, la norme visée par le cahier des charges n’imposait qu’un dispositif de commande sans préciser son emplacement.

Ainsi, un appareil présentant un déclanchement à distance ou un appareil se déclenchant à retardement pouvaient être admis. La mauvaise définition du besoin a conduit le ministère à commettre une erreur de droit en rejetant une offre irrégulière d’un candidat qui ne l’était pas au regard de la norme visée dans le cahier des charges. Cette jurisprudence illustre le risque de contestation qu’encourt le rejet d’une offre pour irrégularité. Le juge administratif a pu encourager le pragmatisme de l’acheteur public en jugeant que l’utilisation du mauvais BPU n’entraîne pas nécessairement l’irrégularité de l’offre (CE, 16 avril 2018, Collectivité de Corse n° 417235, inédit).

La deuxième étape du raisonnement mené par l’acheteur consiste à se demander si l’irrégularité identifiée est susceptible d’être régularisée. Si tel est le cas, l’acheteur doit choisir la méthode la plus appropriée. Si la régularisation n’est pas possible ou qu’il ne la souhaite pas, l’acheteur public détermine et applique la sanction appropriée. Cette sanction se manifeste par le rejet de la candidature ou de l’offre.

B) Les caractères communs de la régularisation

La régularisation implique une action de l’acheteur réalisée a posteriori du dépôt des plis des candidats. La régularisation est une initiative de l’acheteur public qui bénéficie au candidat. Cependant, la mise en œuvre de la régularisation est une simple faculté laissée à l’appréciation de l’acheteur public (CE, 21 mars 2018, Département des Bouches-du-Rhône, n° 415929, inédit ; CE, 26 avril 2018, Département des Bouches-du-Rhône, n° 417072, inédit). L’acheteur n’a donc pas l’obligation de régulariser une offre irrégulière, ni ne doit motiver sa décision.

S’il choisit d’opter pour une régularisation, celle-ci doit respecter les principes de la commande publique et notamment les principes d’égalité entre les candidats et de transparence. L’acheteur doit donc inviter l’ensemble des candidats irréguliers à régulariser leur situation dans des conditions identiques et appropriées. C’est ensuite au candidat d’agir, l’acheteur ne peut procéder seul à une régularisation.

Voyons plus précisément les différences entre une régularisation intervenant lors de la phase de candidature et une régularisation au stade de l’offre.

II) La régularisation des candidatures et des offres

A) Le maintien de la faculté de régularisation des candidatures

L’article 55 du décret du 25 mars 2016 dispose que « l’acheteur qui constate que des pièces ou informations dont la présentation était réclamée au titre de la candidature sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié et identique pour tous ». L’acheteur n’a qu’une alternative : tout ou rien.

En effet, soit il demande à tous les candidats concernés de fournir les pièces ou informations manquantes, soit il ne leur demande pas et élimine leurs candidatures après les avoir jugées irrecevables. Si à l’issue de la demande effectuée par l’acheteur une candidature demeure incomplète ou irrégulière, le candidat est éliminé.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que le décret du 25 mars 2016 ne qualifie pas de régularisation ce mécanisme, contrairement aux acheteurs publics. S’il ne bouleverse pas l’état du droit antérieur concernant ce mécanisme, il allège l’obligation de l’acheteur. En effet, il ne prévoit plus l’obligation pour l’acheteur public d’informer les candidats dont la candidature est régulière lors de la mise en œuvre de la régularisation. À côté de la suppression de cette obligation contribuant à la transparence de la procédure, les candidats ne bénéficient plus de la possibilité de compléter leur candidature complète.

En outre, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou l’analyse des offres, le candidat ou le soumissionnaire pressenti qui ne peut fournir les éléments demandés dans le délai imparti est éliminé. Le décret du 25 mars 2016 prévoit que l’acheteur décline ce mécanisme en cascade tant qu’il reste des offres qui ne sont pas sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables.

La nouvelle règlementation établit la possibilité de régulariser les offres.

B) L’extension de la régularisation au stade de l’analyse des offres

Le décret du 25 mars 2016 consacre la possibilité de régulariser les offres des candidats sans toutefois faire de cette possibilité le principe (art. 59 du décret du 25 mars 2016). Il transpose ainsi l’opportunité offerte par les directives européennes de 2014 (art. 56.3 de la directive 2014/24/UE ; art. 76 de la directive 2014/25UE) sous réserve de respecter les principes d’égalité de traitement et de transparence. Cette évolution vient mettre fin à des situations dans lesquelles des oublis ou des erreurs mineures conduisaient notamment l’acheteur à exclure des offres économiquement avantageuses.

Le texte rappelle tout d’abord que les offres arrivées hors délais sont éliminées et que l’acheteur vérifie ensuite que les offres reçues sont régulières, acceptables et appropriées. Le décret du 25 mars 2016 définit ensuite les typologies d’irrégularités :

« Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. / Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché public tels qu’ils ont été déterminés et établis avant le lancement de la procédure. / Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché public parce qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l’acheteur formulés dans les documents de la consultation ».

Comme sous le code des marchés publics, le principe reste celui de l’élimination des offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables, quel que soit la procédure. La grande nouveauté se situe dans l’introduction de la régularisation en matière d’appel d’offre. Lors des procédures d’appel d’offres et des procédures adaptées sans négociation, les acheteurs peuvent, s’ils le souhaitent, régulariser les offres irrégulières stricto sensu. La régularisation ne peut donc s’étendre pour ces procédures aux offres inappropriées ou inacceptables. Pour les autres procédures, l’acheteur peut choisir de régulariser les offres irrégulières ou inacceptables. Les offres anormalement basses et les offres inappropriées ne peuvent donner lieu à régularisation. À noter que l’acheteur dispose également toujours en appel d’offre ouvert (art. 67 du décret du 25 mars 2016) et restreint (art. 70 du décret du 25 mars 2016) de la faculté de demander aux candidats des précisions sur la teneur de leur offre.

En revanche, la mise en œuvre de la régularisation n’est pas sans limite. Le IV de l’article 59 du décret du 25 mars 2016 dispose que « la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres ». La jurisprudence donnera très certainement un éclairage sur les éléments pouvant donner lieu à régularisation et ceux ne pouvant être régularisés. La dématérialisation des offres à compter du 1er octobre 2018 qui a d’ores et déjà suscité de nombreuses questions sur la possible régularisation des offres papiers en sera peut-être une illustration.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 244

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La régularisation en droit de l’urbanisme

par M. Henri BOUILLON

Maître de conférences à l’université de Bourgogne Franche-Comté – membre du CRJFC (EA 3225)

Le droit de l’urbanisme est un laboratoire idéal pour analyser la régularisation des actes administratifs. La régularisation est désormais une technique incontournable en droit administratif, et elle est en conséquence de plus en plus étudiée par la doctrine. La constitution de ce dossier par le JDA en atteste. Mais en dépit de cette attention doctrinale croissante, la régularisation reste difficile à circonscrire tant elle est polymorphe. La diversité des domaines où elle s’inscrit, et dont les articles ici rassemblés montrent l’hétérogénéité, révèle aussi la plasticité de cette technique, dont les multiples facettes ne se laissent pas percevoir aisément.

Il convient de cerner la notion de régularisation par opposition à celle, qui lui est sœur, de réfection. Au sens strict, la régularisation est la régularisation d’un acte juridique : c’est le mécanisme qui consiste à purger un acte administratif, unilatéral ou contractuel, d’un vice qui l’entache, afin de lui épargner une censure qui le ferait disparaître de l’ordre juridique. Cette régularisation permet de faire perdurer l’acte juridique (protection de la sécurité juridique), tout en le purgeant de ses irrégularités (protection de la légalité) : la légalité de l’acte est rétablie sans que l’ordre juridique s’en trouve modifié. Avec cette première technique, coexiste la régularisation d’une situation de fait. En ce second cas, l’acte juridique entaché d’irrégularité est banni de l’ordre juridique mais, pour que la situation de fait qu’il régissait ne soit pas privée de base juridique, l’administration adopte un nouvel acte pour couvrir juridiquement cette situation : il s’agit là d’une réfection de l’acte, qui « procède (…) à la confirmation d’une situation factuelle par octroi d’une nouvelle base juridique » (E. Langelier et A. Virot-Landais, « Mérites et limites du recours à la régularisation des actes viciés », JCP A 2015, n° 30-34). La différence fondamentale entre ces deux hypothèses est que, dans la régularisation stricto sensu, l’acte juridique perdure, alors que la réfection consiste en l’adoption d’un nouvel acte pour assurer le maintien d’une situation de fait. Tiré du droit de la fonction publique, l’exemple de l’arrêt Cavallo (CE, Sect., 31 décembre 2008, n° 283256, Rec.) fait saisir cette distinction. L’arrêt impose à l’administration de proposer à l’agent public contractuel, dont le contrat est irrégulier, « une régularisation de son contrat afin que son exécution puisse se poursuivre régulièrement » ; il s’agit là d’une régularisation de l’acte. Mais « si le contrat ne peut être régularisé », l’administration doit, dans la limite des droits résultant du contrat initial, proposer à l’agent un emploi de niveau équivalent ou, à défaut, tout autre emploi, « afin de régulariser sa situation » ; il s’agit alors d’une réfection, destinée à remplacer le contrat initial pour pérenniser la situation de l’agent. Il ne sera présentement question que de la régularisation des actes.

Même ainsi délimité – et réduit –, le sujet reste vaste. Car le droit de l’urbanisme connaît diverses hypothèses de régularisation d’un acte administratif : la régularisation peut y intervenir à l’initiative de l’administration ou à l’initiative du juge administratif, soit a priori, c’est-à-dire durant l’instance et avant le jugement définitif de l’affaire (articles L. 600-5-1 et L. 600-9 du code de l’urbanisme), soit a posteriori, c’est-à-dire après annulation conditionnelle de l’acte par le juge administratif (article L. 600-5 du même code). C’est pour ce motif que l’étude du droit de l’urbanisme est riche d’enseignements et que, compte tenu du recul que l’on commence à avoir sur ces techniques, il permet d’apprécier les tenants et aboutissants de la régularisation.

Il n’est pas douteux que l’objectif de ces hypothèses de régularisation est, en toute occurrence, de préserver la sécurité juridique, qui avait pu être précarisée par des recours contentieux nombreux et parfois abusifs. La régularisation d’un acte permet en effet de le maintenir en vigueur, en le purgeant des illégalités détectées. Elle évite la censure totale ou partielle de l’acte, avec l’effet rétroactif qui s’attache à l’annulation juridictionnelle, et favorise ainsi la stabilité du droit. Or pour des opérations d’urbanisme, qui engagent le plus souvent des travaux et des frais importants, la permanence des règles encadrant ces opérations est de la toute première importance. Le rapport Pelletier, intitulé Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d’urbanisme, de février 2005, y insistait (il est à l’origine de certains des mécanismes que nous allons évoquer).

Mais, comme tout ce qui est humain est imparfait, cet avantage de la régularisation est contrebalancé par un inconvénient qu’on ne doit pas négliger : l’oubli de la révérence due au principe de légalité, principe traditionnel du droit administratif, cœur de l’État de droit et qui impose à l’administration le plein respect des règles de droit. Certes, de prime abord, l’atteinte à ce vénérable principe paraît bénigne : la légalité est respectée puisque les vices entachant l’acte administratif sont régularisés. Mais la purification de l’acte n’équivaut pas à son immaculée conception. Régulariser un vice de procédure, par exemple, n’est jamais totalement équivalent au respect préalable de cette procédure. Une règle de forme n’a en effet de sens que si elle précède l’adoption de l’acte et concourt à la qualité de celui-ci. Si une autorité administrative qui doit émettre un avis n’est consultée, pour régularisation, qu’après la mise en œuvre de l’acte, l’avis n’aura en rien amélioré la formation de l’acte adopté : la finalité de l’avis, quelle qu’elle soit (autorisation, recommandation, prise en compte d’intérêts différents, etc.), est méconnue. Ainsi, par exemple, de la régularisation de l’avis omis de l’Architecte des bâtiments de France (CAA Paris, 11 juillet 1997, Serane, Kahn-Shriber et Hamel, n° 95PA03910). La vanité de cette régularisation est comparable, si l’on nous permet ce futile rapprochement, à celle que fait l’automobiliste qui n’actionne son clignotant qu’après avoir changé de voie sur l’autoroute, car la finalité de cette obligation est d’avertir les autres automobilistes de ses intentions. La légalité est formellement respectée, mais on ne peut néanmoins s’empêcher de penser qu’il y a là un artifice peu satisfaisant, qui méconnaît l’utilité et la finalité de la règle violée.

En présentant les mécanismes de régularisation en droit de l’urbanisme, il ne paraît donc pas inutile de s’interroger incidemment sur l’équilibre établi entre la légalité et la sécurité juridique. Or il est très net que, ces dernières années, la sécurité juridique est avantageusement promue au détriment de la légalité. Le législateur a joint ses efforts à ceux du juge pour favoriser la sécurité juridique des différents actes d’urbanisme et sécuriser ainsi les opérations qu’ils permettent ou encadrent.

Pour expliquer le plus simplement possible les subtilités de la régularisation en droit de l’urbanisme, cette présentation s’appuiera sur la distinction entre régularisation a priori et régularisation a posteriori. Seront d’abord évoqués les différents mécanismes de régularisation a priori, c’est-à-dire intervenant avant la décision du juge administratif (I). Pourra ensuite être étudié l’article L. 600-5, qui institue un mécanisme de régularisation a posteriori, effectuée après la censure de l’autorisation d’urbanisme par le juge administratif (II).

I) La régularisation a priori

La régularisation a priori intervient avant la décision du juge administratif, le plus souvent en cours d’instance. Contrairement à la régularisation a posteriori donc, cette régularisation n’intervient pas à la suite d’une annulation juridictionnelle. « Elle est toutefois intimement liée à un risque d’annulation puisqu’en l’absence de régularisation dans le délai imparti par le juge, l’annulation interviendra immanquablement » (S. Roussel et C. Nicolas, « Documents d’urbanisme : régulariser à tout prix », AJDA 2018, p. 272). Plus concrètement, « la régularisation a pour effet de purger le vice affectant l’acte : la conséquence pour le litige est radicale, il perd son objet » (R. Noguellou, « Régularisation et droit de l’urbanisme. Note sous CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy », RFDA 2018, p. 370).

Deux articles du code de l’urbanisme consacrent la faculté pour le juge d’offrir à l’administration la possibilité de régulariser son acte durant l’instance : l’article L. 600-5-1 pour les autorisations d’urbanisme (A) et l’article L. 600-9 pour les documents d’urbanisme (B). Le juge a aussi admis que l’administration puisse, durant l’instance, procéder spontanément à cette régularisation (C).

Le grand avantage de ces techniques est que la régularisation est aux mains de l’administration. C’est elle qui procède à la régularisation – quoique ce ne soit pas toujours spontanément –, ce qui évite tout soupçon de juge-administrateur, même si la régularisation s’opère toujours sous le contrôle du juge qui appréciera si celle-ci suffit à couvrir les irrégularités. Toutefois la question de l’articulation entre légalité et sécurité juridique perdure, puisque la régularisation colmate les fissures faites à la légalité afin de maintenir l’acte en vigueur, sans que cette réparation soit équivalente à un plein respect de la légalité de l’acte dès son édiction.

A) La régularisation a priori des autorisations d’urbanisme

L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a introduit dans le code de l’urbanisme un article L. 600-5-1. Il institue un mécanisme particulier de régularisation a priori des autorisations d’urbanisme, c’est-à-dire des permis de construire, permis de démolir et permis d’aménager. Selon cet article, « le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ». L’article dispose ainsi que le juge peut, par un jugement avant-dire-droit, surseoir à statuer et demander la régularisation du permis à l’administration. Si, dans le délai imparti par le juge, l’administration délivre un permis modificatif pour supprimer l’illégalité relevée, la régularisation ainsi opérée permet au juge de déclarer l’acte légal et de mettre fin à l’instance, qui a perdu son objet. La sécurité juridique est ainsi pleinement garantie, puisque l’acte, même irrégulier, se trouve pérennisé suite à sa comparution devant le juge.

Dans quelles conditions peut jouer l’article L. 600-5-1 ? L’arrêt SCI Rivera Beauvert (CE, 30 décembre 2015, n° 375276, inédit) a précisé ces conditions dans un considérant de principe clair : le juge administratif doit « apprécier si le vice qu’il a relevé peut être régularisé par un permis modificatif. Un tel permis ne peut être délivré que si, d’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés – sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l’absence d’achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d’instruction en ce sens – et si, d’autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale » (point 4).

De façon générale donc, l’article L. 600-5-1 ne peut être mis en œuvre que si l’autorisation d’urbanisme peut être régularisée par un permis modificatif. Le permis modificatif est un acte de régularisation : il s’incorpore au permis initial, dont les irrégularités sont effacées, qu’il s’agisse de la méconnaissance d’une règle de fond (CE, 9 décembre 1994, Sarl Séri, n° 116447, T.) ou d’un vice de forme ou de procédure (CE, 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n° 238315, T.). Le permis modificatif modifie – comme son nom l’indique – le permis initial sans s’autonomiser de lui. Et à compter du jugement avant-dire-droit prononcé sur le fondement de l’article L. 600-5-1, seuls des moyens dirigés contre le permis modificatif pourront être invoqués (CE avis, 18 juin 2014, Société Batimalo, n° 376760, Rec. point 4). Cette restriction est logique dans la mesure où les autres dispositions du permis initial (celles qui n’ont pas à être régularisées) ont été reconnues légales par ce jugement avant-dire droit, l’article L. 600-5-1 précisant que le juge ne peut permettre la régularisation qu’« après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés » ; ces dispositions ne pourront plus être remises en cause dans la suite de l’instance, alors même que la nouvelle articulation dont elles feront l’objet avec les dispositions régularisées par le permis modificatif pourrait faire douter de leur légalité future. Par un arrêt Association NARTECS (CE, 6 avril 2018, Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés, n° 402714, T. point 8), le Conseil d’État a précisé les conditions de la contestation du permis modificatif : les parties peuvent le contester, non seulement pour ses vices propres, mais encore pour « le motif que le permis initial n’était pas régularisable », notamment s’il était entaché d’un vice d’une telle gravité qu’il ne pouvait être régularisé.

Toute la question est alors de savoir dans quelles hypothèses un permis de construire modificatif peut être émis. La jurisprudence SCI Rivera Beauvert subordonne cette édiction à deux conditions :

Premièrement, cette jurisprudence imposait que « les travaux autorisés par le permis initial ne [soient] pas achevés ». Cette condition était logique dans la mesure où l’achèvement des travaux implique en principe que l’autorisation d’urbanisme n’ait plus lieu d’être, puisqu’elle n’a plus d’objet. Cette condition a toutefois été abandonnée par la jurisprudence. Un arrêt Bonhomme (CE, 22 février 2017, n° 392998, Rec. point 3) indique que l’article L. 600-5-1 ne subordonne pas « par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés ». L’objectif est clair : les travaux ayant été réalisés, la régularisation du permis les ayant autorisés permet de mettre les constructions à l’abri de toute remise en cause ultérieure. La sécurité juridique des travaux se trouve ainsi garantie par la régularisation de l’acte les ayant autorisés. Toutefois, l’autorisation d’urbanisme disparaissant en principe avec l’achèvement des travaux qu’elle permet, on se trouve ici à la frontière entre réfection (régularisation de la situation, des constructions ici) et régularisation de l’acte administratif : la régularisation d’un acte devenu sans objet, qui vise à assurer une base juridique légale à des constructions, ne se confond-elle pas avec une réfection spécifique, consistant à faire revivre un acte éteint (et non pas seulement à régulariser un acte en vigueur) pour éviter la remise en cause des constructions ?

La deuxième condition, logique au regard de la technique de régularisation par l’entremise d’un permis modificatif, est que la régularisation ne porte pas atteinte à la conception générale de l’ouvrage. L’idée est qu’un permis modificatif qui bouleverserait la conception générale des travaux autorisés serait en réalité un nouveau permis, puisqu’il concernerait en quelque sorte des travaux de facture différente (CE, Sect., 26 juillet 1982, Le Roy, n° 23604, Rec.). Le Conseil d’État retient toutefois une conception très souple de ce qu’est la conception générale de la construction, en jugeant par exemple que l’implantation, les dimensions ou l’apparence de la construction ne sont pas à intégrer dans sa conception générale et peuvent ainsi faire l’objet d’un permis modificatif (CE, 30 décembre 2015, SCI Rivera Beauvert, n° 375276, inédit).

Ce mécanisme présente une parenté étroite avec celui institué à l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, qui ne porte néanmoins pas sur les mêmes actes.

B. La régularisation a priori des documents d’urbanisme

Issu de l’article 137 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR), l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme s’inspire du dispositif fixé à l’article L. 600-5-1, à cette différence importante qu’il ne vise pas les mêmes actes : tandis que l’article L. 600-5-1 concerne les autorisations d’urbanisme, l’article L. 600-9 permet la régularisation des schémas de cohérence territoriale (SCOT), des plans locaux d’urbanisme (PLU) et des cartes communales. Hormis cette notable distinction, l’article L. 600-9 permet, à l’instar de l’article L. 600-5-1, à cette régularisation d’intervenir devant le juge, dans le cadre d’une instance unique. « Régulariser plutôt qu’annuler, donner plus rapidement, dans le cadre de l’instance initiale, une solution définitive au litige : tels sont les objectifs de ce texte » (J. Burguburu, « Régularisation et droit de l’urbanisme. Conclusions sur CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy », RFDA 2018, n° 2, p. 357).

Lorsque le juge estime qu’une telle régularisation est possible, il peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l’application de l’article L. 600-9, constater, par une décision avant-dire-droit, que les autres moyens ne sont pas fondés et surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour permettre, selon les modalités qu’il détermine, la régularisation du vice relevé (CE, 12 octobre 2016, Kerwer, n° 387308, Rec.). Le juge est, dans ce dispositif, le « maître du jeu » (S. Roussel et C. Nicolas, « Documents d’urbanisme : régulariser à tout prix », AJDA 2018, p. 272) : il n’a pas besoin d’être saisi d’une demande des parties pour faire application de l’article L. 600-9. Il a, en outre, « le dernier mot, d’une part et en amont, sur la qualification du caractère régularisable de l’illégalité viciant l’acte litigieux, d’autre part et en aval, sur la régularisation à laquelle il est procédé » (ibid.). Par ailleurs, le Conseil d’État a autorisé le juge d’appel à faire application de l’article L. 600-9 alors que le premier juge n’avait pas estimé nécessaire ou possible de le faire (CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, Rec. point 4). Cela « témoigne de la volonté du Conseil d’État de prolonger autant que possible le temps de la régularisation devant les juges du fond, en dérogeant au besoin aux règles générales du contentieux administratif » (R. Bonnefont, « Possibilité de régulariser en appel une autorisation d’urbanisme annulée en première instance », AJCT 2018, p. 351). La sécurité juridique se trouve ici promue avec une vigueur toute particulière. Elle l’est d’autant plus que cette possibilité de régularisation évite que d’anciennes dispositions, parfois obsolètes, soient remises en vigueur suite à une annulation contentieuse : l’article L. 600-12 du même code précise en effet que « l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ». La régularisation du document d’urbanisme évite ainsi de faire revivre l’ancien document.

Néanmoins, le problème de la conciliation entre légalité et sécurité juridique est ici plus pressant encore que dans le cadre de l’article L. 600-5-1, puisque les actes concernés ne sont pas individuels mais ont une portée générale. Modifier un SCOT, un PLU ou une carte communale, applicables par définition à différentes situations, n’est pas nécessairement sans impact sur la sécurité juridique, pourtant visée au premier chef par ce mécanisme, puisque la modification peut se répercuter sur d’autres autorisations d’urbanisme délivrées conformément au document modifié. Quant à la légalité, elle fait l’objet de la même révérence artificielle : elle n’est prise en considération que parce qu’elle a été initialement méconnue. D’ailleurs, le mécanisme de l’article L. 600-9 soulève une difficulté importante : il paralyse le principe selon lequel l’administration est tenue de ne pas appliquer un règlement illégal, puisque l’administration a bel et bien fait application d’un acte de portée générale qui était irrégulier au moment où il a servi de base légale à la délivrance d’une autorisation individuelle, celui-ci faisant simplement l’objet d’une correction a posteriori en vue de gommer – rétroactivement – l’illégalité commise.

En revanche, comme pour compenser la majoration de ces difficultés, l’article L. 600-9 limite les régularisations possibles, contrairement à l’article L. 600-5-1 précédemment évoqué. L’article distingue en effet les cas selon qu’est identifié un vice de forme ou de procédure ou un autre type de vice. En cas d’illégalité pour vice de forme ou de procédure (article L. 600-9, 2°), l’illégalité n’est régularisable que si elle a eu lieu « après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables ». Pour les vices qui ne sont ni de forme ni de procédure (article L. 600-9, 1°), les SCOT et les PLU ne peuvent être régularisés que par une modification respectant la procédure imposée par le code de l’urbanisme à cette fin ; dans ce second cas, il ne s’agit que d’une limite procédurale aux possibilités de régularisation.

La distinction entre ces deux catégories de vices a aussi une incidence sur la date à laquelle l’administration doit se placer pour connaître les règles applicables à la régularisation. L’arrêt Commune de Sempy (CE, Sect., 22 décembre 2017, n° 395963, Rec. point 6) indique que, pour les vices de forme ou de procédure, l’administration doit appliquer les dispositions en vigueur à la date à laquelle elle a pris sa décision ; en cas de vice de fond au contraire, l’administration doit faire application des règles en vigueur au moment de la régularisation. « Il existe en effet une différence significative entre les deux : la régularisation d’un vice de forme se traduit par la réparation de l’acte ; la régularisation d’une illégalité de fond prend la forme d’une réédition de celui-ci. Dans le premier cas, s’appliquent les règles existantes à la date d’édiction de l’acte. Dans le second devraient s’appliquer les règles existantes au jour où la réfection intervient » (O. Le Bot, « Chronique de contentieux administratif. Décisions d’octobre à décembre 2017 », JCP A 2018, n° 18-19).

Le Conseil d’État a enfin précisé que la légalité de l’acte de régularisation doit être contestée dans le cadre de la même instance et que les parties ne sont « pas recevables à présenter devant le tribunal administratif une requête tendant à l’annulation de cet acte » (CE, 29 juin 2018, Commune de Sempy, n° 395963, Rec. point 4). Il ajoute que les parties peuvent, pour contester l’acte de régularisation, « invoquer des vices affectant sa légalité externe et soutenir qu’il n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent soulever aucun autre moyen, qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant-dire droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation » (point 4). Cette formulation rejoint la solution dégagée, à propos de l’article L. 600-5-1, par l’arrêt Association NARTECS, avec ces différences néanmoins que la jurisprudence Commune de Sempy exclut explicitement les moyens nouveaux et ne dit rien du caractère régularisable ou non du vice détecté dans le document initial.

C) La régularisation a priori à l’initiative de l’administration

Hors ces hypothèses textuelles, le juge a aussi admis que l’administration puisse régulariser spontanément l’acte administratif vicié durant l’instance.

En premier lieu, de manière générale et somme toute classique, l’administration peut spontanément régulariser l’acte qui fait l’objet du recours, durant l’instance et avant même que le juge se prononce. De même qu’un litige relatif au refus de l’administration de délivrer un agrément s’éteint si l’administration délivre finalement l’agrément au requérant, la régularisation de l’acte, à la supposer complète, met un terme à l’instance. La régularisation coupe en quelque sorte l’herbe sous le pied du requérant, puisque la régularisation anticipée par l’administration prive le recours de son objet. Un permis modificatif peut ainsi régulariser en cours d’instance le permis initial entaché d’un vice de procédure ou de fond (CE, 9 décembre 1994, SARL Seri, n° 116447, T. ; CE, 7 mars 2018, Commune de Wissembourg, n° 404079, Rec. point 8), à condition toutefois que ce permis modificatif soit sans influence sur la conception générale du projet initial et ne constitue pas en réalité un nouveau permis de construire. « Lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises » (CE, 30 mars 2015, Société Eole-Res, n° 369431, T. point 3). En application de la jurisprudence SCI La Fontaine de Villiers (CE, 2 février 2004, n° 238315, T.), les illégalités régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial. Et si la régularisation intervient après l’ordonnance de clôture de l’instruction, l’acte de régularisation permet de rouvrir l’instruction (CE, 28 avril 2017, Commune de Bayonne, n° 395867, T. point 3).

Deuxièmement, la régularisation spontanée faite par l’administration peut, pour les autorisations d’urbanisme, intervenir dans le cadre de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : le Conseil d’État a admis que l’administration peut régulariser le permis spontanément, sans y avoir été préalablement invitée par le juge (CE, 22 février 2018, SAS Udicité, n° 389518, T.). Si l’administration transmet au juge des éléments visant à la régularisation du vice, le juge n’est pas « tenu de surseoir à statuer » : il peut directement prendre acte de la régularisation effectuée, « dès lors qu’il a préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si ces éléments permettent une régularisation » ; en revanche, si les éléments transmis sont insuffisants pour regarder le vice comme régularisé, le juge peut « surseoir à statuer en vue d’obtenir l’ensemble des éléments permettant la régularisation » (point 16). Laisser ainsi l’administration prendre l’initiative est a priori peu conforme au texte, qui réserve l’initiative au juge ; on voit par là que le juge favorise autant que possible la régularisation des autorisations d’urbanisme, en reconnaissant cette faculté à l’administration. Et ce d’autant plus que, dans l’arrêt SAS Udicité, l’initiative de l’administration intervenait en appel, alors que le juge de première instance avait annulé le permis initial, ce qui paraît en contradiction avec la position du Conseil d’État selon laquelle un permis modificatif ne saurait faire revivre un permis annulé (CE, 29 décembre 1997, SCI Résidence Isabella, n° 104903, inédit).

Enfin, la régularisation spontanément effectuée par l’administration peut intervenir dans le cadre de l’article L. 600-9. Là aussi, l’administration peut proposer au juge des éléments de régularisation des vices de forme ou de procédure qui affectent un SCOT, un PLU ou une carte communale. Et, là encore, le juge est dispensé de prononcer un jugement avant-dire-droit et il pourra recueillir les observations des parties avant le jugement définitif ou le prononcé du non-lieu à statuer. C’est ce qu’a permis l’arrêt Commune de Sempy (CE, Sect., 22 décembre 2017, n° 395963, Rec. point 5). Il semble que cette possibilité ne soit pas en correspondance avec la lettre de l’article L. 600-9. Mais, selon le professeur Le Bot, « la mise à l’écart de la première phase (à savoir la discussion sur le principe même du recours à cet article) est parfaitement justifiée : en effet, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer pour permettre une régularisation qui, selon les écritures de l’administration, a d’ores et déjà été réalisée » (O. Le Bot, « Chronique de contentieux administratif. Décisions d’octobre à décembre 2017 », JCP A 2018, n° 18-19). Dans ce cas, le juge peut apprécier librement la pertinence de la régularisation opérée et, éventuellement, considérer que les éléments fournis ne suffisent pas à opérer la régularisation nécessaire ; il peut alors revenir au principe initial, c’est-à-dire « surseoir à statuer en vue d’obtenir l’ensemble des éléments permettant la régularisation» (point 5). Sur ce point, les jurisprudences interprétant les articles L. 600-5-1 et L. 600-9 se recoupent.

La possibilité offerte à l’administration de régulariser spontanément l’autorisation d’urbanisme ou le document d’urbanisme illégal favorise indéniablement les possibilités de régularisation. Mais celle-ci est également accrue par la possibilité – étroite – d’opérer une régularisation a posteriori.

II) La régularisation a posteriori

La régularisation a posteriori ou « post-juridictionnelle » (R. Thiele, « Annulations partielles et annulations conditionnelles », AJDA 2015, p. 1364) intervient après une censure juridictionnelle, totale ou partielle, d’un acte administratif entaché d’une ou plusieurs irrégularités. En régularisant l’acte vicié, l’administration neutralise en quelque sorte la censure juridictionnelle et l’anéantissement de son acte, en remédiant aux irrégularités qui ont justifié la censure. Cette régularisation est donc très particulière puisque, en principe, un acte censuré par le juge est banni totalement ou partiellement de l’ordre juridique et ne peut plus faire l’objet d’une modification par l’administration. La régularisation a posteriori n’est donc possible que si elle a été expressément autorisée par le juge. Aussi la régularisation a posteriori ne peut-elle « exister que parce que la décision du juge administratif, plutôt que d’annuler purement et simplement l’acte en raison des irrégularités relevées, admet que l’administration puisse procéder à sa régularisation : on dira alors que l’annulation prononcée par le juge est conditionnelle, car elle ne prendra effet que si l’administration n’opère pas les modifications prescrites par le juge. L’annulation conditionnelle consiste, pour le juge, à prononcer l’annulation, totale ou partielle, d’un acte ou la résiliation d’un contrat, sous réserve de régularisation par l’administration » (H. Bouillon, « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gestation », AJDA 2018, p. 142). La sécurité juridique est donc préservée en dépit de l’intervention de la décision juridictionnelle, car l’acte va être réparé.

En droit de l’urbanisme, cette technique a été introduite à l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme par l’article 11 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (dite ENL). L’article L. 600-5 dispose : « Lorsqu’elle constate que seule une partie d’un projet de construction ou d’aménagement ayant fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme est illégale, la juridiction administrative peut prononcer une annulation partielle de cette autorisation. L’autorité compétente prend, à la demande du bénéficiaire de l’autorisation, un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive ». Relatif aux autorisations d’urbanisme (comme l’article L. 600-5-1), ce mécanisme associe donc deux techniques : une annulation partielle (A) et une annulation conditionnelle (B). Il faudra également dire un mot des pouvoirs détenus ici par le juge (C).

A) Un mécanisme induisant une annulation partielle

L’article L. 600-5 du code de l’urbanisme induit tout d’abord une censure partielle de l’acte : l’article permet en effet à la juridiction administrative (c’est une faculté) de limiter l’annulation d’une autorisation d’urbanisme à la partie du projet affectée par l’illégalité relevée, après avoir vérifié qu’aucun moyen ne justifiait une annulation totale (CE, 16 octobre 2017, SARL Promialp, n° 398902, T. point 2). Une annulation partielle peut être prononcée à l’endroit de tout acte administratif, y compris des actes relevant du droit de l’urbanisme. Mais l’annulation partielle permise par l’article L. 600-5 diffère des annulations partielles classiques de par les conditions particulières qui sont les siennes. Relatif à un permis de construire, l’arrêt Époux Fritot (CE, 1er mars 2013, n° 350306, Rec.) prend bien soin de distinguer les deux hypothèses d’annulation partielle et d’en mentionner les critères.

Selon la jurisprudence Époux Fritot et en conformité avec la lettre de l’article L. 600-5 (par opposition aux annulations partielles classiques), le juge peut « procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d’être régularisée par un arrêté modificatif de l’autorité compétente, sans qu’il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet » (point 6). Pour que l’article L. 600-5 soit mis en œuvre, l’illégalité décelée doit remplir une double condition : elle doit affecter une partie identifiable du projet d’autorisation et, d’autre part, elle doit pouvoir être couverte par l’intervention d’un nouvel acte – de régularisation – adopté par l’autorité compétente.

La première condition est que l’illégalité soit restreinte à une partie identifiable du projet d’autorisation, c’est-à-dire d’une partie divisible du reste du projet. Cette condition paraissait être une restriction à l’utilisation de cet article, puisqu’elle semblait induire que toute illégalité affectant l’ensemble de l’acte (indivisible) empêche l’application de cet article et ne puisse conduire qu’à l’annulation totale de l’acte sans possibilité de le régulariser. Pourtant, le juge a admis que l’article L. 600-5 concerne tant les vices de fond que les vices de forme et de procédure : l’incompétence elle-même ne fait pas obstacle à l’application de ces dispositions (CE, 27 novembre 2013, Association Bois-Guillaume Réflexion, n° 358765, T. point 5), alors même que ce vice est par définition attaché à l’intégralité de l’acte et n’est pas limité à une part de l’autorisation d’urbanisme, comme l’impose pourtant l’article L. 600-5 et la jurisprudence Fritot. Contrairement aux annulations partielles classiques, la divisibilité n’est donc plus une condition nécessaire. En réalité, « le Conseil d’État a remplacé la condition légale de la première phrase selon laquelle ‘‘seule une partie d’un projet de construction’’ doit être illégale par celle de ‘‘seule une irrégularité non substantielle même non localisée’’ peut donner prise à une résection partielle » (J.-M. Staub, « Le permis de construire confronté à la normativité du SCOT et à une annulation partielle. Note sous CAA Lyon, 8 novembre 2011, Société investissements internationaux et participations », LPA 2012, n° 114, p. 14).

La seconde condition dévoile toutes les particularités de l’annulation partielle prévue par l’article L. 600-5. En principe, une annulation partielle classique n’est envisageable que pour les dispositions d’un acte administratif qui, divisibles du reste de l’acte, peuvent en être retranchées sans porter atteinte à la viabilité de l’acte subsistant (H. Bouillon, « Pour une subjectivisation de l’annulation partielle des actes administratifs unilatéraux », AJDA 2017, p. 217). Or l’application de l’article L. 600-5 n’est possible – et c’est sa seconde condition – que si l’illégalité entachant le permis est régularisable par un permis modificatif. Il en résulte que le juge peut délaisser la question de la divisibilité des dispositions viciées (comme l’indique l’interprétation jurisprudentielle de la première condition), puisque la régularisation permettra de toute façon de combler les lacunes créées dans l’acte par l’ablation de certaines de ses dispositions. « Cette disposition peut trouver à s’appliquer alors même que l’autorisation contestée serait indivisible » (E. Vital-Durand, « Régularisation du permis de construire en cours d’instance : le Conseil d’État étend opportunément le recours au permis modificatif », JCP A 2017, n° 42).

Une telle spécificité rejaillit nécessairement sur la question de la légalité et permet de cerner une autre spécificité de l’annulation partielle permise par l’article L. 600-5. En principe, l’annulation partielle classique n’est possible que si la partie de l’acte qui demeurera applicable est légale : le juge doit donc s’inquiéter de la légalité de l’acte, une fois que celui-ci aura été délesté des dispositions viciées. Normalement, une annulation partielle ne peut donc être prononcée que si la partie de l’acte qui subsiste est légale. Or, dans le cadre de l’article L. 600-5, le juge n’a pas à se préoccuper de cette question de la légalité future de l’acte partiellement laissé en vie, car l’acte ainsi survivant, qu’il soit alors illégal ou non, devra être régularisé par son auteur. Ce sera donc à l’autorité administrative de se soucier de sa légalité au stade de la régularisation, et non au juge de l’intégrer à sa réflexion au stade de la censure juridictionnelle.

L’effet majeur de cette technique est donc que le juge n’hésite plus à prononcer des annulations partielles, sachant que la partie de l’acte qui subsistera sera viable grâce à la régularisation. La sécurité juridique est ainsi mieux assurée. L’inconvénient est toutefois de sacrifier le strict respect de la légalité, puisque son analyse se voit repoussée à une phase ultérieure de la procédure et que son respect est laissé aux bons soins de l’administration qui régularisera le permis. Toutefois, la légalité, si elle n’est pas immédiatement garantie, est au moins préservée par le fait que « l’annulation de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme interdit toute exécution du permis jusqu’à ce que celui-ci ait été régularisé. Il s’agit donc d’une annulation sous réserve de non-régularisation » (R. Thiele, « Annulations partielles et annulations conditionnelles », AJDA 2015, n° 24, p. 1362). Cette spécificité assure que le reliquat de l’acte amputé, illégal ou non, ne sera pas appliqué en l’état. Cette annulation sous réserve de non-régularisation est précisément ce que l’on appelle une annulation conditionnelle. Telle est la seconde technique présente au sein de l’article L. 600-5.

B) Un mécanisme induisant une annulation conditionnelle

L’article L. 600-5 retient encore l’attention par la seconde technique qu’il enferme. Sa mise en œuvre est en effet conditionnée par le fait que l’illégalité relevée soit régularisable, après l’instance, par la délivrance d’un permis modificatif. L’annulation est alors dite conditionnelle, car elle n’interviendra que si l’administration ne régularise pas l’illégalité ; elle est conditionnée à l’absence de régularisation. Et tant que la régularisation n’est pas faite, l’application de l’acte est suspendue.

Sont ici intimement liées les annulations partielles et conditionnelles : il y a « annulation partielle à caractère conditionnel » (J.-M. Staub, « L’annulation partielle du permis de construire », Dr. Adm. 2014, n° 2, comm. 16). En effet, le juge administration a lié les deux aspects de l’article, puisque la faculté de prononcer une annulation partielle d’un permis de construire est reconnue au juge si et seulement si l’illégalité qu’il contient peut être corrigée par l’obtention d’un permis modificatif (CE, 23 février 2011, SNC Hôtel de la Bretonnerie, n° 325179, T.). Nous avons indiqué que c’était là la seconde condition posée par la jurisprudence Fritot.

La délivrance de ce permis modificatif doit répondre à des conditions très proches de celles établies dans le cadre de l’article L. 600-5-1, puisque la jurisprudence SCI Rivera Beauvert précitée (CE, 30 décembre 2015, n° 375276, inédit) s’applique aux deux articles. En principe, un permis modificatif ne peut être délivré qu’à deux conditions, déjà citées :

D’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne doivent pas être achevés, car l’achèvement des travaux rend caduc le permis de construire initial (qui n’a plus d’objet), de telle sorte que sa régularisation est impossible. La partie intéressée n’a pas à démontrer que la construction n’est pas achevée et le juge n’est pas tenu de procéder à une mesure d’instruction en ce sens (CE, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, n° 374338, Rec. ; CE, 30 décembre 2015, SCI Rivera Beauvert, n° 375276, inédit). Nous avons indiqué que cette condition a été supprimée pour l’article L. 600-5-1, dans le cadre de la régularisation a priori. Elle ne perdure que pour la régularisation a posteriori. Si la différence de traitement s’explique mal, la solution toujours applicable pour la régularisation a posteriori semble plus conforme à la logique juridique, dans la mesure où l’achèvement des opérations de travaux fait perdre son objet à l’autorisation d’urbanisme et que sa régularisation paraît anachronique (nous en avons dit les motifs). On peut se demander si cette différence va perdurer ou si le juge va supprimer aussi cette condition pour l’article L. 600-5.

D’autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier à l’illégalité ne doivent pas, en raison de leur nature ou de leur ampleur, remettre en cause sa conception générale. Si le permis modificatif affectait l’économie générale du permis initial, il constituerait lui-même un nouveau permis. « Si l’économie générale du projet est atteinte, seule une annulation totale, et par voie de conséquence le dépôt d’un nouveau permis, se conçoivent » (J.-M. Staub, « L’annulation partielle du permis de construire », Dr. Adm. 2014, n° 2, comm. 16). Mais, comme nous l’avons indiqué, le Conseil d’État retient une conception souple de la notion de conception générale de la construction projetée, ce qui accroît les possibilités de régularisation.

C) Les pouvoirs du juge dans le cadre de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme

Relativement aux pouvoirs du juge, l’article L. 600-5, et particulièrement son alinéa 2, ne lui confère par lui-même aucun pouvoir d’exécution (CAA Lyon, 8 novembre 2011, Société investissements internationaux et participations, n° 10LY01628). En outre, pour statuer, le juge n’est pas tenu de solliciter l’avis des parties pour savoir s’il peut ou non procéder à une annulation partielle et si l’illégalité pourra être régularisée par la suite, contrairement à ce qui est nécessaire pour les moyens soulevés d’office (CE, 4 octobre 2013, Andrieu et Perrée, n° 358401, T. point 10) : dans le cadre de l’article L. 600-5, « le juge administratif, compte tenu de son expérience de la vie administrative, est parfaitement à même de mesurer seul si l’illégalité décelée, qui est d’ailleurs connue des requérants et sur laquelle ils ont pu échanger leurs points de vue, est susceptible d’être corrigée ensuite par l’autorité administrative » (J.-M. Staub, « L’annulation partielle du permis de construire », Dr. Adm. 2014, n° 2, comm. 16).

Une fois que le juge a prononcé l’annulation partielle à caractère conditionnel, l’article L. 600-5 précise que « l’autorité compétente prend, à la demande du bénéficiaire de l’autorisation, un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive ». C’est au bénéficiaire du permis d’en demander la régularisation à l’administration, mais celle-ci est tenue de délivrer le permis modificatif demandé, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle : elle est en situation de compétence liée. Le juge peut, le cas échéant, s’il l’estime nécessaire, assortir sa décision d’un délai pour que le pétitionnaire dépose une demande d’autorisation modificative afin de régulariser l’autorisation subsistante, partiellement annulée (CE, 1er mars 2013, Fritot, n° 350306, Rec.).

Un tel mécanisme, on le voit, sauvegarde la sécurité juridique de l’opération envisagée en garantissant la pérennité de l’autorisation d’urbanisme qui, sans ce mécanisme, serait remise en cause par la détection d’illégalités par le juge. Rappelons que l’article L. 600-6 du code de l’urbanisme dispose que « lorsque la juridiction administrative, saisie d’un déféré préfectoral, a annulé par une décision devenue définitive un permis de construire pour un motif non susceptible de régularisation, le représentant de l’État dans le département peut engager une action civile en vue de la démolition de la construction ». L’article L. 600-5 constitue donc une échappatoire possible à cette conséquence radicale qu’est la démolition de la construction réalisée. L’inconvénient, comme nous y avons insisté, est bien sûr que la légalité n’est qu’artificiellement respectée, par une régularisation qui n’est jamais équivalente au plein respect de la légalité ab initio.

Conclusion

Il est certain que, en droit de l’urbanisme, la recherche d’une régularisation des actes administratifs fait la part belle à la sécurité juridique, à tel point que l’on a pu redouter une « absolution automatique » (F. Bouyssou, « La sécurisation des autorisations d’urbanisme. Du territoire contentieux à l’absolution automatique », AJDA 2006, p. 1268) des irrégularités commises par l’administration.

Un tel constat peut être mis en perspective avec d’autres dispositifs juridiques qui cherchent à préserver les permis de construire de toute remise en cause. Il en est ainsi de la définition donnée de l’intérêt à agir par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui prévoit qu’une personne ne peut demander l’annulation de l’autorisation d’urbanisme « que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe ». Or l’arrêt Brodel (CE, 10 juin 2015, n° 386121, Rec.) a interprété cette disposition comme imposant au requérant « de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance de son bien », même si le voisin immédiat possède en principe un intérêt à agir (CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n° 389798, Rec.). La restriction de l’intérêt à agir ainsi opérée, en limitant le risque contentieux, est un facteur indéniable de la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme.

Néanmoins, on peut s’inquiéter de cette prévalence de la sécurité juridique au détriment de la légalité. M. Benjamin Hachem s’est fait l’écho de ces préoccupations : « Depuis déjà plusieurs années, on constate ce qu’il faut bien appeler une dérive visant à museler les contestations à l’encontre des autorisations d’urbanisme. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que les différents gouvernements, mais également les différents groupes de travail, généralement présidés par un conseiller d’État, donnent de la résonance à ce mouvement de fond instigué par les professionnels de l’immobilier. (…) Pour ces derniers la lutte contre les recours en matière d’urbanisme, notamment dirigés contre les permis de construire autorisant la création de logements collectifs, constitue une grande cause nationale au motif que ces recours seraient le principal frein à la production de logements neufs en France » (B. Hachem, « Lettre ouverte à ceux qui souhaitent (encore) restreindre le droit au recours en matière d’urbanisme », JCP A 2018, n° 24).

Il s’opère ainsi un mouvement qui dépasse assez largement le seul droit de l’urbanisme : la prévalence d’une conception instrumentale du droit, mis au service d’intérêts divers, notamment économiques, au détriment des exigences du principe de légalité et de l’intérêt général que sert ce principe. « La conception classique du droit de l’urbanisme était en effet la prééminence de la règle, sur laquelle devaient s’aligner les projets individuels, sous peine d’illégalité. Or, de plus en plus, le projet préexiste, de manière collective ou individuelle : la règle est écrite pour permettre la réalisation de ce projet, ou la révision simplifiée est ordonnée en vue de permettre un projet déterminé » (F. Bouyssou, « La sécurisation des autorisations d’urbanisme. Du territoire contentieux à l’absolution automatique », AJDA 2006, p. 1268). Il est bien évident que le droit ne doit pas être un frein au développement urbanistique et qu’il doit au contraire sécuriser les opérations immobilières. Il faut toutefois éviter l’écueil inverse, qui subordonnerait le maintien des règles juridiques à la réalisation de différents projets et placerait ainsi le droit dans une situation d’instabilité qui, outre l’atteinte qu’elle porterait au paradigme du principe de légalité, serait in fine néfaste à la sécurité juridique elle-même.

Il s’opère ainsi un mouvement qui dépasse assez largement le seul droit de l’urbanisme : la prévalence d’une conception instrumentale du droit, mis au service d’intérêts divers, notamment économiques, au détriment des exigences du principe de légalité et de l’intérêt général que sert ce principe. « La conception classique du droit de l’urbanisme était en effet la prééminence de la règle, sur laquelle devaient s’aligner les projets individuels, sous peine d’illégalité. Or, de plus en plus, le projet préexiste, de manière collective ou individuelle : la règle est écrite pour permettre la réalisation de ce projet, ou la révision simplifiée est ordonnée en vue de permettre un projet déterminé » (F. Bouyssou, « La sécurisation des autorisations d’urbanisme. Du territoire contentieux à l’absolution automatique », AJDA 2006, p. 1268). Il est bien évident que le droit ne doit pas être un frein au développement urbanistique et qu’il doit au contraire sécuriser les opérations immobilières. Il faut toutefois éviter l’écueil inverse, qui subordonnerait le maintien des règles juridiques à la réalisation de différents projets et placerait ainsi le droit dans une situation d’instabilité qui, outre l’atteinte qu’elle porterait au paradigme du principe de légalité, serait in fine néfaste à la sécurité juridique elle-même.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 241

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ParJDA

La régularisation dans le contentieux des documents d’urbanisme : source de sécurité juridique ?

par Mme Caroline BARDOUL

Docteure en droit public de l’université d’Orléans & avocate au barreau de Nantes

La pratique généralisée de la régularisation en droit de l’urbanisme se manifeste, notamment, au travers du sursis à statuer prévu à l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme. Né de la volonté de préserver un juste équilibre entre le droit au recours et la sécurité juridique, ce récent mécanisme laisse des questions en suspens.

I) Le sursis à statuer : un dispositif destine à circonscrire la présence d’une illégalité au sein d’un document d’urbanisme

A) La volonté de « réparer » plutôt que d’annuler l’acte illégal

Lorsque le juge administratif est amené à annuler un acte, dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir, l’objectif premier est d’« assurer le rétablissement de la légalité méconnue. Si l’intérêt du requérant s’en trouve satisfait, ce sera par surcroît » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, p. 224).

L’effet couperet du principe de légalité connaît, de plus en plus, des limitations au bénéfice du principe de sécurité juridique. En droit de l’urbanisme, la volonté d’assurer la sécurité des autorisations d’urbanisme implique une conception plus souple du principe de légalité. La régularisation intervient alors pour parer « aux effets dévastateurs de l’annulation contentieuse » (L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « La régularisation, nouvelle frontière de l’excès de pouvoir », AJDA 2016, p. 1859).

L’annulation d’un document d’urbanisme emporte de tels effets puisqu’en application de l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme, le document immédiatement antérieur se trouve remis en vigueur. Cela engendre, alors, de lourdes répercussions pour la collectivité. Des projets d’urbanisme en cours d’exécution ou sur le point de débuter peuvent s’en trouver ralentis, voire compromis.

L’application de la jurisprudence Danthony (CE, Ass., 23 novembre 2011, n° 335033, Rec.) permet d’éviter des annulations trop fréquentes puisque certains vices de procédure, réputés n’avoir ni exercé « une influence sur le sens de la décision prise » ni « privé les intéressés d’une garantie », n’entraîneront pas l’annulation du plan local d’urbanisme (PLU).

Le juge administratif doit se prononcer sur le caractère « Danthonysés », ou non, du vice, avant d’indiquer la manière d’y remédier (CE, Sect., 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, Rec.). L’article L. 600-9 du code de l’urbanisme a introduit un mécanisme permettant d’éviter l’annulation systématique d’un document d’urbanisme entaché d’illégalité.

Cette disposition marque le passage d’une « annulation-sanction » à une « annulation-réparation » (F. Rolin, « La régularisation des documents d’urbanisme à la demande du juge – Quelques problèmes pratiques… et théoriques », AJDA 2017, p. 25).

B) Le sursis à statuer : un mécanisme étroitement délimité

Aux termes des dispositions de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, le juge va pouvoir surseoir à statuer afin de permettre la correction du vice entachant le document d’urbanisme.

Cet article dispose en effet que : « Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un schéma de cohérence territoriale, un plan local d’urbanisme ou une carte communale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d’urbanisme reste applicable, sous les réserves suivantes : / 1° En cas d’illégalité autre qu’un vice de forme ou de procédure, pour les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité est susceptible d’être régularisée par une procédure de modification prévue à la section 6 du chapitre III du titre IV du livre Ier et à la section 6 du chapitre III du titre V du livre Ier ; / 2° En cas d’illégalité pour vice de forme ou de procédure, le sursis à statuer ne peut être prononcé que si l’illégalité a eu lieu, pour les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme, après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables. / Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / Si, après avoir écarté les autres moyens, le juge administratif estime que le vice qu’il relève affecte notamment un plan de secteur, le programme d’orientations et d’actions du plan local d’urbanisme ou les dispositions relatives à l’habitat ou aux transports et déplacements des orientations d’aménagement et de programmation, il peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce ».

Les possibilités offertes par les dispositions susvisées demeurent circonscrites. En effet, seuls certains documents d’urbanisme, à savoir les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les PLU et les cartes communales, sont concernés par ce dispositif.

Au surplus, lorsqu’il s’agit d’un vice de fond, ce sursis à statuer ne peut ensuite être prononcé que si l’illégalité est susceptible d’être régularisée par une procédure de modification du PLU.

En outre, lorsqu’il s’agit d’un vice de forme ou de procédure entachant un SCOT ou un PLU, le sursis à statuer n’est possible que pour les illégalités commises après le débat sur les orientations du projet d’aménagement et de développement durables.

II) L’ambivalence du sursis à statuer

A) La régularisation entourée de garanties

Dans un certain nombre d’hypothèses, l’annulation partielle et le sursis à statuer semblent pouvoir être utilisées de manière concurrente. Ce sont deux manières différentes d’éviter l’annulation d’un document d’urbanisme, mais elles ne présentent pas de garanties comparables comme le montrent les exemples ci-après.

Une annulation partielle permet, par exemple, de remédier à une erreur de délimitation de zones. L’annulation ne portera alors que sur le seul zonage illégal et le reste du PLU restera en vigueur (Rép. du Min. du logement à la QE n° 11992 de J.-L. Masson, JO Sénat du 7 août 2014, p. 1892).

Dans un récent exemple jurisprudentiel, une annulation partielle a été prononcée. Le cas était le suivant : les auteurs du plan local d’urbanisme intercommunal avait créé en zone N un secteur de taille et de capacité d’accueil limitées NhMB03, d’une superficie de 50 000 m², lequel a été jugé illégal. La délibération attaquée été annulée seulement en tant qu’elle a créé le secteur de taille et de capacité d’accueil limitées NhMB03 (TA Versailles, 4 mai 2018, n° 1702800). Sauf difficulté dans l’exécution du jugement, le juge ne sera pas amené à porter d’appréciation sur la modification du PLU effectuée en application du jugement susvisé. Celle-ci se déroulera, alors, en dehors de tout contrôle juridictionnel.

Dans un cas similaire, la cour administrative d’appel de Nantes a, en revanche, prononcé un sursis à statuer. En effet, après avoir relevé l’erreur manifeste d’appréciation commise dans le classement de parcelles en zone d’urbanisation future (zone 2AU), la cour a sursis à statuer et a imparti un délai de sept mois à la collectivité pour procéder à une régularisation (CAA Nantes, 4 mai 2018, n° 17NT00863).

Dans l’exemple jurisprudentiel susvisé, l’arrêt avant-dire droit prononçant le sursis à statuer n’a donc pas eu à expliciter, en détail, les modalités de la régularisation. Celle-ci était simple à mettre en œuvre puisqu’elle impliquait la seule modification du zonage pour remédier au vice décelé.

Dans un tel cas de figure, l’utilisation du sursis à statuer présente d’indéniables avantages : « Le juge administratif indique précisément les vices affectant l’acte et donne un délai de régularisation à l’issue duquel il prononce, ou non, l’annulation de l’acte ; à l’issue de ce délai, le juge peut ainsi apprécier si l’acte a été réellement régularisé ; en outre, l’acte attaqué régularisé subsiste sans discontinuité ni amputation dans l’ordre juridique » (R. Thiele, « Annulations partielles et annulations conditionnelles », AJDA 2015, p. 1357).

En outre, les parties à l’instance, ayant donné lieu à la décision de sursis à statuer en vue de permettre la régularisation de l’acte attaqué, ne peuvent contester la légalité de l’acte de régularisation que dans le seul cadre de cette instance.

Elles ne pourront pas présenter une nouvelle requête pour contester cet acte (CE, 29 juin 2018, n° 395963, Rec.). Sont, ainsi, évités des recours successifs de la part des partie à l’instance.

Le sursis à statuer est une alternative à l’annulation, laquelle est entourée de limites et d’un contrôle juridictionnel en aval de la régularisation opérée.

B) Les contours flous du sursis à statuer : un vecteur d’insécurité juridique ?

Le sursis à statuer a pour effet de renouveler en profondeur l’office du juge de l’excès de pouvoir. La possibilité de surseoir à statuer pour permettre de pallier une irrégularité ouvre, dans bien des hypothèses, un débat sur la teneur de cette régularisation.

Dans les exemples cités auparavant, les modalités de la régularisation permettant de remédier au vice décelé s’avéraient simples à mettre en œuvre. En revanche dans d’autres cas de figure, le juge a dû préciser la manière dont pouvait s’opérer la régularisation.  Certains jugements ont dû faire preuve d’une grande pédagogie en indiquant explicitement quelles pièces constitueraient des moyens de régularisation appropriés.

Au surplus, le juge doit accorder un délai à l’administration pour régulariser. Cependant, pour accorder un juste délai, ni trop court, ni trop long, le juge se voit obligé de tenir compte de l’aléa et des contraintes procédurales liés à l’adoption d’un PLU.

Accorder un délai insuffisant obère tout effet utile à la régularisation. En effet, si la régularisation n’est pas effectuée, le document d’urbanisme demeure donc illégal et le juge ne peut que l’annuler. Le but étant d’éviter l’annulation, il convient de laisser un délai adéquat permettant la régularisation.

À l’inverse, l’objectif de ce dispositif n’est pas de pallier un manque de diligences de la collectivité, accorder un délai trop important ferait perdre tout son sens au sursis à statuer. Les modalités permettant la régularisation, tout comme le délai imparti pour y procéder sont, par définition, susceptibles de varier en fonction du vice décelé, ce qui laisse nécessairement une part à l’incertitude. Plus les juridictions vont prononcer des sursis à statuer, plus la manière de régulariser telle ou telle illégalité entachant un document d’urbanisme sera connue à l’avance. À terme, le délai nécessaire devrait être moins sujet à question. Dans cette attente, règne une forme d’insécurité juridique. En témoignent les exemples cités ci-après.

Ainsi, après avoir relevé l’absence de preuve par une commune de transmission du projet de PLU à la communauté de communes dont elle relève, le tribunal administratif a prononcé un sursis à statuer avant d’inviter la commune à produire la preuve que le projet avait effectivement été transmis. Le tribunal a précisé que cette preuve pouvait lui être apportée sous la forme, soit d’une attestation régulière du président de la communauté de communes, soit d’une délibération du conseil communautaire certifiant que cette formalité a été accomplie.

À défaut de rapporter cette preuve, la formation de jugement a indiqué qu’il conviendrait de reprendre l’ensemble de la procédure d’élaboration du PLU à compter de l’accomplissement de cette formalité, en veillant à compléter le dossier d’enquête publique sur ce point.

Le tribunal a sursis à statuer en attendant la production des éléments demandés ou, à défaut, la régularisation de ce vice par la reprise de la partie de procédure entachée d’illégalité. Un délai de neuf mois a été imparti à la commune pour satisfaire à cette régularisation (TA Versailles, 10 juillet 2015, n° 1301549).

Par une décision du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a relevé que le PLU d’une commune était entaché d’illégalité (TA Nantes, 21 septembre 2017, n°1605079).

En premier lieu, à la date de clôture de l’instruction, il ne ressortait pas des pièces du dossier qu’une note de synthèse aurait été jointe à la convocation des conseillers municipaux, cela en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales.

En second lieu, une erreur de droit entachait le règlement du plan local d’urbanisme et était susceptible d’être régularisée par l’application de la procédure de modification du PLU.

Les juges nantais ont donc sursis à statuer et ont imparti à la commune un délai de trois mois pour procéder à la régularisation de la délibération par laquelle la commune avait approuvé son PLU. Le conseil municipal a de nouveau approuvé son PLU, une note de synthèse a été jointe à la convocation des conseillers municipaux. La nouvelle délibération du 18 décembre 2017 a été regardée comme ayant régularisé la précédente, et en outre, par cette même délibération, le règlement du PLU a été modifié et, ainsi, purgé de l’erreur de droit relevée.

Par un jugement du 13 juillet 2018, la formation de jugement a considéré qu’il avait été remédié aux illégalités relevées, par voie de conséquence, la requête a été rejetée (TA Nantes, 13 juillet 2018, n° 1605079). Dans les cas de figure précédemment évoqués, les régularisations ont permis sous le contrôle du juge d’éviter l’annulation du document d’urbanisme. Une nuance s’impose toutefois puisque les modalités de régularisation jugées effectives en première instance ne le seront pas forcément en appel.

Au surplus, malgré le succès des régularisations intervenues dans les exemples précités, force est d’admettre qu’il est difficile d’estimer, lorsque le vice est décelé, si la régularisation est, ou non, envisageable et sous quelle forme elle est susceptible d’intervenir.

Il est également difficile d’anticiper d’éventuelles « anicroches dans la procédure » qui auraient pour effet d’engendrer une régularisation, valable, mais postérieure au délai fixé par le juge. (F. Rolin, « La régularisation des documents d’urbanisme à la demande du juge – Quelques problèmes pratiques… et théoriques », AJDA 2017, p. 25).

La mise en œuvre du sursis à statuer permettra certainement de limiter l’insécurité juridique afférente à ce mécanisme. Encore faut-il espérer une absence de discordances entre les juridictions sur les moyens mis en œuvre pour opérer la régularisation.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 243

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L’illusion de la régularisation en droit des étrangers

par Mme Saskia DUCOS-MORTREUIL

Avocate au barreau de Toulouse

La législation sur l’immigration, codifiée au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), prévoit l’admission exceptionnelle au séjour, procédure de régularisation au cas par cas pour les étrangers non européens en situation irrégulière.

Depuis une quarantaine d’années, la régularisation des ressortissants étrangers sans papiers est devenue une pratique qui permet de prendre en considération les situations humaines les plus dramatiques mais aussi de contrôler la situation des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

Une politique de régularisation par circulaire s’est peu à peu développée, avec en dernier lieu la publication de la circulaire relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, dite circulaire « Valls », du 28 novembre 2012 (NOR : INTK1229185C).

Dans ce cadre, des efforts ont été déployés afin de définir juridiquement la régularisation en droit des étrangers. Ces efforts avaient notamment pour but de répondre aux vives critiques dénonçant le caractère aléatoire de la pratique de la régularisation par les différentes préfectures et ainsi assurer davantage de sécurité juridique aux ressortissants étrangers souhaitant y prétendre.

Pour autant, la faible portée des moyens juridiques employés a conduit à rendre le droit à la régularisation totalement illusoire.

I) La tentative de définition d’un droit de la régularisation

La régularisation est définie par le CESEDA de manière pour le moins vague. En effet, l’admission exceptionnelle au séjour, définition juridique de la pratique de la régularisation en droit des étrangers, est régie principalement par les dispositions de l’article L. 313-14 du CESEDA précité aux termes desquelles :

« La carte de séjour temporaire mentionnée à l’article L. 313-1 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 313-2 ».

Ces dispositions permettent ainsi la délivrance d’une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », « salarié » ou « travailleur temporaire », même dans le cas où le ressortissant étranger demandeur ne présente pas de visa d’entrée régulière sur le territoire français. Elles consacrent ainsi la possibilité pour les ressortissants étrangers en situation irrégulière d’accéder à un droit au séjour en France.

Si le principe est ainsi posé, restent les difficultés causées par l’impossible définition de ce que sont des « considérations humanitaires » ou des « motifs exceptionnels ». De telles notions conduisent nécessairement à des appréciations aléatoires et à une insécurité juridique dans la mise en œuvre des dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour des ressortissants étrangers.

C’est dans ce cadre que ce sont développées les circulaires de régularisation.

Comme toutes les précédentes, la circulaire du 28 novembre 2012, présentée comme une circulaire « de régularisation », était donc très attendue. Nombre de ressortissants étrangers ont espéré que leur situation administrative, source de précarité et d’insécurité, s’améliorerait.

Les objectifs annoncés étaient ambitieux : « Définir des critères objectifs et transparents pour permettre l’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière, (…) guider les préfets dans leur pouvoir d’appréciation et ainsi limiter les disparités ».

Ainsi, la circulaire prévoit, par exemple, que la demande de régularisation émanant du ou des parents d’un enfant scolarisé est examinée au vu de deux critères cumulatifs :

  • une installation durable du demandeur sur le territoire français (cinq ans ou exceptionnellement moins),
  • une scolarisation en cours à la date du dépôt de la demande d’au moins un des enfants depuis au moins trois ans.

La circulaire prévoit également par exemple la possibilité d’être régularisé au titre du travail lorsque le ressortissant étranger justifie :

  • détenir un contrat de travail ou une promesse d’embauche,
  • avoir travaillé huit mois, consécutifs ou non, sur les vingt-quatre derniers mois ou trente mois, consécutifs ou non, sur les cinq dernières années,
  • une ancienneté de séjour en France d’au moins cinq ans.

La régularisation semble ainsi fondée sur des critères précis et objectifs et permettre une pratique de l’autorité administrative assurément transparente et uniforme sur l’ensemble du territoire français. À la lecture de la circulaire, tout laisse à croire qu’il suffit de remplir les conditions définies pour se voir délivrer une carte de séjour et voir sa situation administrative régularisée.

Cette introduction d’une apparente objectivité dans le cadre de l’appréciation des demandes de régularisation a conduit des milliers de ressortissants étrangers à se rendre aux guichets des préfectures.

Il faut toutefois mesurer la portée d’une simple circulaire et la distinguer de dispositions législatives ou réglementaires. Parmi les différents types de circulaires, celles qui visent à une régularisation sont des circulaires dites interprétatives, dénuées de tout caractère impératif.

Ainsi, les moyens employés pour définir un droit de la régularisation en apparence fondé sur des critères objectifs font en réalité obstacle à l’existence d’un droit à la régularisation au bénéfice des ressortissants étrangers.

II) Le refus de reconnaissance d’un droit à la régularisation

Dès 1996, le Conseil d’État, alors interrogé par le gouvernement sur l’existence d’un droit à la régularisation des ressortissants étrangers en situation irrégulière, introduisait son avis ainsi :

« Il convient, tout d’abord, d’observer qu’il ne peut exister un « droit à la régularisation », expression contradictoire en elle-même. (…) Si donc le demandeur de régularisation a un droit, c’est celui de voir son propre cas donner lieu à examen » (CE avis, 22 août 1996 n° 359622).

Le choix de définir des critères de régularisation par circulaire n’est pas neutre : elle laisse en effet une grande liberté à l’administration et ne permet aucune contestation, ni aucun contrôle juridictionnel des critères qu’elle pose.

Elle ne confère pas de droits aux personnes concernées mais donne seulement des consignes, plus ou moins floues, à l’administration. L’appréciation discrétionnaire de l’administration prend le pas sur l’apparente objectivité des critères de régularisation et confronte nécessairement les demandeurs de régularisation à une situation d’insécurité juridique.

La circulaire fait en définitive l’objet d’une mise en œuvre aléatoire sur l’ensemble de territoire, au gré notamment des sensibilités politiques ou encore des « pratiques » locales.

Surtout, l’absence totale de contrôle dans la mise en œuvre des critères de régularisation, pourtant précisément définis par la circulaire, laisse aux ressortissants étrangers souhaitant faire valoir leurs « droits » un profond sentiment d’injustice.

Le non-respect par l’autorité administrative des critères de régularisation prévus par la circulaire n’est pas sanctionné par le juge administratif.

Le contrôle de légalité n’est pas un contrôle de l’opportunité.

Les conditions de traitement des dossiers soulèvent plus que jamais la question de l’évolution de la jurisprudence administrative sur la nature des circulaires de régularisation et donc sur l’opposabilité de ces dernières.

La réponse du Conseil d’État a été sans équivoque.

Alors que plusieurs cours administratives d’appel avaient reconnu le caractère invocable de la circulaire du 28 novembre 2012, en énonçant qu’elle contenait des « lignes directrices », le Conseil d’État, statuant au contentieux, a considéré que ce texte n’est pas invocable à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif (CE, 4 février 2015, n° 373267, T.).

La régularisation est une mesure d’exception et relève d’une appréciation par l’administration de l’opportunité d’en faire bénéficier le ressortissant étranger demandeur.

De quels droits peuvent dès lors encore se prévaloir les demandeurs de régularisation ?

La protection face à l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration.

Ignorant les critères objectifs de régularisation, le juge administratif limite son contrôle à celui de la proportionnalité entre les buts en vue desquels les mesures défavorables sont prises par l’administration et le droit des personnes qui en font l’objet.

Ce contrôle s’exercera souvent à l’aune des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le droit à la protection de la vie privée et familiale des ressortissants étrangers semble en définitive être la seule contrainte imposée à l’administration dans le cadre de l’appréciation des demandes de régularisation.

C’est en tout cas en ce sens que le Conseil d’État concluait son avis en 1996 en indiquant :

« Il est d’autant plus utile que le gouvernement exerce, dans les situations où ce droit est en cause, l’examen individuel qui lui incombe de toute façon que les mesures de régularisation éventuelles cessent alors de relever de l’opportunité pour se situer sur le terrain de la légalité » (CE avis, 22 août 1996, n° 359622).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 242

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La régularisation en droit administratif camerounais


par M. Éric Stéphane MVAEBEME

Docteur/Ph.D en droit public &
Moniteur au département de droit public interne à l’université de Yaoundé II-Soa (Cameroun)

L’administration est organisée de manière à agir rationnellement et efficacement (R. Degni Segui, 2012). Ce qu’elle fait recouvre principalement ce qu’on pourrait appeler « l’action administrative ». Le vocable « action » dérive étymologiquement du mot latin (ago, agere, actum), qui signifie « agir », faire avancer, faire quelque chose, exprimer par le mouvement. L’action désigne la manifestation de volonté, tout ce que l’on fait. De ce fait, l’action administrative peut s’entendre largo sensu, de tous les actes accomplis par l’administration, aussi bien les actes ou opérations matériels que les actes juridiques.

L’action de l’administration est soumise au respect d’un principe fondamental, le principe de légalité. C’est justement ce principe qui peut ne pas être respecté par des procédures et actes unilatéraux et contractuels de l’administration. On dit alors qu’ils sont irréguliers. La complexité de l’intervention de l’administration, la nécessité de tenir compte d’intérêts divergents, les difficultés qui sont liées à la collecte des informations complexes, mais aussi l’évolution rapide des règles de fond, ce qu’on appelle l’inflation normative, tout ceci fait qu’assez souvent les actes administratifs, qu’il s’agisse d’actes réglementaires, de décisions de planification, de mesures relatives à des infrastructures ou des décisions individuelles classiques, sont entachées de certains vices (J.-M. Woehrling, 2004). Pour ce genre d’actes et de procédures, l’annulation par le juge a souvent été recherchée, mais aujourd’hui émerge de plus en plus une technique exceptionnelle appelée régularisation.

La régularisation est prima facie une technique juridique, c’est-à-dire « une activité pratique adaptant des normes juridiques à des besoins sociaux réels » (A.-J. Arnaud,1993). Elle est une correction destinée à éviter des conséquences démesurées, telles que l’irrecevabilité d’un recours contentieux ou l’annulation d’un acte (A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet Brisset, 2005). La régularisation est davantage un mécanisme opératoire grâce auquel un acte ou une situation juridique contraire au droit peut, avant ou après l’intervention du juge, se perpétuer ou revivre dans la légalité pleinement retrouvée (J.-J. Israël, 1981). Il s’agit d’une technique fluctuante, plastique dont tous les contours ne sont pas encore totalement définis tant par la doctrine que par la jurisprudence. En droit administratif, elle demeure même un territoire encore relativement inexploré. Mais tout compte fait, elle se traduit par une rectification de l’acte ou de la situation irrégulière, c’est-à-dire par la suppression ou la correction du vice qui le rend irrégulier (O. Fuchs, 2017). Théoriquement, il est possible de systématiser les types de régularisation. L’on peut ainsi identifier d’un côté une régularisation préventive ou celle opérée par l’administration, qui fait en sorte que l’acte de régularisation se borne à venir conforter les effets produits par un acte préexistant ; de l’autre côté, l’on aperçoit les contours d’une régularisation curative ou juridictionnelle, c’est-à-dire celle où l’acte de régularisation se substitue à l’acte annulé afin de fournir une base légale aux effets que celui-ci a produits (V. Daumas, 2017). La régularisation envisagée sous toutes ses facettes a pour but de concilier légalité et sécurité juridique. Elle permet à l’administration de régulariser son acte unilatéral ou contractuel avant l’action du juge dès lors que l’irrégularité est constatée, et après l’intervention du juge sur la base de la décision d’annulation. La sécurité juridique est ainsi préservée, car l’acte est maintenu en vigueur, mais la légalité est assurée puisque l’acte est épuré de son irrégularité.

Le droit administratif dans son acception large est le droit de l’administration. Il comprend toutes les normes qui s’appliquent à son activité. Stricto sensu, le droit administratif correspond aux seules règles différentes des règles du droit privé applicables, en principe, aux relations entre particuliers (P. Chretien, N. Chifflot et M. Tourbe, 2016). Le droit administratif camerounais qui est différent du droit administratif au Cameroun est une adaptation dans ce pays des règles et mécanismes existants dans la théorie générale du droit administratif, conçue en France. Cette adaptation n’a pas lieu, de manière à établir automatiquement une ressemblance entre l’imitation et le modèle étranger. Tout au contraire, elle se fait de manière progressive, en transformant quelques fois certaines règles générales en des règles originales au point où certaines tendances « endogènes » sont visibles (P. Moudoudou, 2009). Ce droit administratif camerounais repose sur des sources formelles (textes et jurisprudence) qui lui sont propres au point d’en dégager une originalité certaine.

L’étude qui a trait à l’application de la théorie de la « reconstruction » (J.-F. Lafaix, 2009) des actes et situations juridiques au Cameroun permet de dégager l’interrogation majeure suivante : comment la technique de la régularisation est-elle traitée en droit administratif camerounais ? En guise d’idée directrice, il y a lieu de relever que le traitement réservé à la régularisation en droit administratif camerounais est ambivalent. L’ambivalence est la tendance à éprouver ou à manifester simultanément deux sentiments opposés à l’égard d’un même objet. Dans le cadre de la présente étude, la régularisation est tantôt admise, tantôt refusée. La part belle est faite à l’administration pour régulariser. Cela atteste du caractère « a-libéral » (P.-E. Abané Engolo, 2016) du droit administratif camerounais qui trahit une inclination vers la primauté de l’administration.

L’intérêt de l’étude sur la régularisation en droit administratif camerounais est à la fois théorique et pratique. Théoriquement, elle vise à rendre visible quelques linéaments d’un mécanisme encore exceptionnel au Cameroun, et dans la pratique elle permet de voir le degré de fracture administrativiste d’avec le droit français.

Le traitement réservé à la régularisation en droit camerounais est orienté vers une admission sectorielle de ce mécanisme (I), tout en constatant son exclusion totale après annulation conditionnelle du juge (II).

I) L’admission sectorielle de la régularisation

Le vocable « régularisation » est souvent utilisé en vue de décrire des pratiques qui présentent un lien direct avec la correction d’une irrégularité. L’essentiel est qu’il y ait au préalable quelque irrégularité qui mérite d’être corrigé. Il est ainsi important de distinguer la régularisation des situations de celle des actes qui relèvent de logiques différentes. La première vient donner un titre juridique à une situation de fait, elle vient aussi attribuer un couvert juridique à une situation qui ne l’avait pas. Tandis que la seconde vient lever le vice qui entachait un acte, tout en reprenant le dispositif qui demeure inchangé.

Le droit administratif camerounais qui est encore peu généreux en matière de systématisation des cas de régularisation, permet tout de même d’identifier et de reconnaitre ceux-ci dans quelques rares secteurs. Ainsi, la régularisation est admise exceptionnellement pour certains actes juridiques (A) et pour certaines situations de fait (B).

A) L’admission de la régularisation préventive de certains actes juridiques

L’acte juridique est une « opération juridique (negotium) consistant en une manifestation de la volonté (publique ou privée, unilatérale, plurilatérale ou collective) ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence juridique » (G. Cornu, 2014). En droit administratif, les actes juridiques sont l’acte administratif unilatéral, l’acte contractuel et par extension doctrinale les mesures d’orientation (D. Truchet, 2015).

Il est utile de signaler que pour qu’il y ait régularisation, il faudrait qu’il y ait aussi des actes régularisables. Ces derniers sont ceux qui en principe peuvent faire l’objet d’une correction positive. Ainsi, pour être régularisé, ces actes doivent être entachés d’illégalités externes, c’est-à-dire porter sur l’incompétence, le vice de forme et de procédure (H. Bouillon, 2018). Contrairement aux illégalités internes qui ont trait à la violation de la loi, les erreurs et le détournement de pouvoir. En droit camerounais, l’acte unilatéral (1) et l’acte contractuel (2) peuvent être régularisés.

1) L’admission de la régularisation préventive d’un acte administratif unilatéral : le titre foncier

Le droit administratif camerounais, bien qu’il soit majoritairement codifié est partiellement jurisprudentiel. C’est dans cet élan que la définition de l’acte administratif unilatéral a été dégagée. Pour le juge administratif, « l’acte administratif est un acte juridique unilatéral pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif et créant des droits et des obligations pour les particuliers » (affaire AP/CFJ, arrêt n° 20 du 20 mars 1968, Ngongang Njanke Martin c/ État du Cameroun). Ainsi « l’on retient un certain nombre d’éléments principaux : l’acte administratif unilatéral, c’est d’abord un acte juridique ; l’unilatéralité en est la condition deuxième, puis intervient son émanation de la part d’une autorité administrative, pour enfin s’identifier à un mode de modification de l’ordonnancement juridique par des obligations qu’il impose ou par des droits qu’il confère » (J.-C. Aba’a Oyono, 1994).

En droit camerounais, le titre foncier dont la nature juridique a souvent fait l’objet de discussions doctrinales (A. Mpessa, 2004) est défini comme « la certification officielle de la propriété foncière ». Il est indubitablement un acte administratif. Primo, le titre foncier est un acte normatif, c’est-à-dire créateur du Droit. Secundo, c’est un acte pris par une autorité administrative dans l’exercice d’un pouvoir administratif ; il est délivré par le conservateur qui est un fonctionnaire du ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières. Qui plus est, une kyrielle d’autorités administratives intervient dans la procédure d’immatriculation au Cameroun. Tertio, c’est un acte faisant grief, et créateur de droits et obligations.

En tant qu’acte administratif, le titre foncier fait l’objet d’une exceptionnelle possibilité de régularisation. Celle-ci est prévue dans le décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n° 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Le texte ancien ne contenait pas d’ailleurs cette possibilité. Désormais, avec le décret du 16 décembre 2005, « lorsque les omissions ou des erreurs ont été commises dans le titre de propriété ou dans les inscriptions, les parties intéressées peuvent en demander la rectification. Le conservateur foncier peut en outre rectifier d’office, sous sa responsabilité, les irrégularités provenant de son fait ou du fait d’un ses prédécesseurs, dans les documents ayant servi à l’établissement du titre ou autres inscriptions subséquentes » (art. 39 nouveau). Dans un alinéa 3, il est prévu que « la rectification est autorisée par décret du Premier ministre si elle porte atteinte aux droits des tiers) ». Visiblement, l’on est en présence d’une régularisation préventive car le texte autorise l’administration à corriger positivement son acte entaché d’illégalités externes, plus précisément de vice de forme. À proprement parler, le droit camerounais autorise la régularisation sur la base d’une illégalité régularisable qu’est le vice de forme.

En outre de cela, le droit camerounais admet aussi un type de régularisation brutal et aussi exceptionnel qu’est la validation législative. Elle est une opération qui consiste pour le législateur à inscrire dans une loi le contenu d’un acte (administratif) irrégulier ou susceptible d’être reconnu comme tel par une juridiction, afin de prévenir son annulation par un juge (M. Touzeil-Divina, 2017). Par ce mécanisme de contournement, l’acte litigieux est alors rendu ‘valide’ et régulier au regard de la hiérarchie des normes. Cette technique sulfureuse est notamment utilisée pour régulariser un vice de procédure qui pourrait engager un contentieux de masse (M. Touzeil-Divina, 2017). In situ, sur la base du décret du 15 juillet 1977 qui régit les chefferies traditionnelles (conforté par le décret n° 2013/332 du 13 septembre 2013 modifiant et complétant celui de 1977), il est prévu à l’article 16 que « les contestations soulevées à l’occasion de la désignation d’un chef sont portées devant l’autorité investie du pouvoir de désignation qui se prononce et premier et dernier ressort ». Malgré cette barrière réglementaire qui empêche le juge administratif de contrôler la légalité des actes administratifs de désignation des chefs traditionnels, ce dernier s’est toujours déclaré compétent. Tantôt il a donné raison à l’État (CS/CA, 25 septembre 1980, Collectivité Deido-Douala c/ État du Cameroun ; CS/CA/78/79, 31 mai 1979, Kouang Guillaume), tantôt il a annulé la décision des autorités administratives désignant les chefs traditionnels (Enfants du chef Banka, CS/CA jugement n° 40/79-80 du 29 mai 1980, Monka Tientcheu David). Mais, le 27 novembre 1980, la loi n° 80/31 dans son article 1er vient dessaisir les juridictions des affaires relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels en ces termes : « les juridictions de droit commun et de l’ordre administratif sont dessaisies d’office de toutes les affaires pendantes devant elles et relatives aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels ».À bien y regarder, cette loi du 27 novembre est une loi de validation ou de régularisation car pour le juge administratif dont des affaires sont pendantes, c’est-à-dire non jugées, étant donné que la Loi a été prise avant qu’il ne juge l’affaire, il ne peut que constater que l’acte administratif de désignation attaqué est bien conforme à la Loi qui le considère valide et régulier. Telle qu’elle est appliquée, la loi de validation porte clairement atteinte à la fonction juridictionnelle, à la hiérarchie des normes ainsi qu’au principe de séparation des pouvoirs et des autorités (M. Touzeil-Divina, 2017). Il ne pouvait en être autrement car, la désignation des chefs traditionnels au Cameroun déchaine beaucoup de passion et les autorités administratives chargées de la nomination ne brillent pas toujours par leur respect des procédures. Le choix des chefs traditionnels met en imbrication la corruption, le trafic d’influence, et la violation des textes.

Certains actes administratifs contractuels sont aussi concernés par la régularisation.

2) L’admission de la régularisation préventive d’un acte contractuel : le marché public

Les contrats administratifs font aussi partie des actes juridiques de l’administration qui peuvent aussi bénéficier des mesures exceptionnelles de régularisation. En droit administratif camerounais, il y a un contrat administratif qui concentre majoritairement l’attention de l’administration : c’est le marché public. Il fait partie des contrats de l’administration les plus importants (R. Degni Segui, 2012). Le marché public se définit comme un « contrat écrit, passé conformément aux dispositions du présent Code, par lequel un entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de service s’engage envers l’État, une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix » (décret n° 2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics).

La régularisation des marchés publics ou des contrats est tout aussi exceptionnelle que celle des actes unilatéraux, c’est peut-être la raison pour laquelle un précurseur comme le professeur Israël ne l’a même pas évoquée dans ses travaux. Elle est aussi importante que celle des actes unilatéraux. Elle a pour finalité majeure la consolidation par correction du contrat initial (J.-F. Lafaix, 2009). La régularisation du contrat se traduit par une rectification de l’acte ou de la situation irrégulière, c’est-à-dire par la suppression ou la correction d’un vice qui le rend irrégulier. Ce vice peut ainsi apparaitre soit dans la phase de passation, soit dans la phase de l’exécution.

Dans le cadre du droit administratif camerounais, la régularisation du marché public est beaucoup plus administrative. Cette catégorie de régularisation a lieu avant l’intervention du juge, c’est-à-dire qu’elle peut être imposée ou suggérée par l’administration. Cette régularisation s’opère en vertu du nouveau code des marchés publics (décret n° 2018/366 du 20 juin 2018) dans la phase de la passation (a) et dans celle de l’exécution (b). Dans tous les cas, cette nouvelle codification réelle (G. Cornu, 2011) vient une fois de plus consolider la règle du recours administratif préalable qui est même parfois une condition de saisine du juge administratif. Il faut noter qu’en France, le droit administratif ne connait pas de règle générale de recours administratif préalable obligatoire avant que l’on ne saisisse le juge administratif (J.-M. Woerhling, 2004).

a) La régularisation préventive dans la phase de la passation

La passation désigne un ensemble d’opérations relatives à la formation du marché public. La doctrine administrativiste considère que les réclamations formulées pendant cette phase, constituent le contentieux de la formation du contrat. Si des irrégularités sont alors constatées pendant la phase de formation du marché publics, les candidats ou soumissionnaires doivent au préalable produire des recours administratifs (A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet-Brisset, 2009). Le droit camerounais impose dans ce sillage la production d’un recours gracieux préalable qui est un mécanisme de déclenchement du procès administratif. Il constitue une sorte de préalable qui permet aux particuliers d’éviter le recours au juge (C. Keutcha Tchapnga, 2013). Dans ce cadre, l’on parle aussi de décision préalable, parce que celle-ci « présente des avantages tant pour l’administration, le juge, que l’administré. Elle assure à l’administration une sécurité en lui offrant la possibilité d’examiner le litige avant le juge et, s’il y a lieu, de lui donner une solution conforme au droit » (A. Sango, 2017). L’enjeu étant d’arrêter la position de l’administration sur la question querellée avant que le juge ne statue (jugement n° 65 du 22 avril 1976, Edimo Jean Charles c/ État du Cameroun).

In concreto, la régularisation dont il s’agit à ce niveau peut s’opérer par la mobilisation du recours gracieux préalable. D’après le code des marchés publics (CMP) dans son article 170 (1), il est précisé que « tout candidat ou soumissionnaire qui s’estime lésé dans la procédure de passation des marchés publics peut introduire un recours en fonction de l’étape de la procédure, soit auprès du maître d’ouvrage ou du Maître d’ouvrage délégué, soit auprès du Comité d’examen des Recours ». C’est dire clairement que tout soumissionnaire qui conteste la régularité de la procédure de la formation du marché public, doit saisir le chef de département ministériel ou assimilé, le chef de l’exécutif d’une collectivité territoriale décentralisée, le directeur général d’un établissement public ou d’une entreprise publique, représentant l’administration bénéficiaire des prestations prévues dans le marché public en cause. La saisine peut aussi être faite auprès du maître d’ouvrage délégué qui n’est rien d’autre que la personne exerçant en qualité de mandataire du maître d’ouvrage, une partie des attributions de ce dernier (le maître d’ouvrage délégué peut être gouverneur de région, préfet de département, chef de mission diplomatique du Cameroun à l’étranger). D’après la lettre de l’article 170 (1) du CMP, les recours sont aussi dirigés vers un organe appelé Comité d’examen des recours qui est une « instance établie auprès de l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, appelée à examiner les recours des soumissionnaires qui s’estiment lésés, et à proposer le cas échéant à l’Autorité chargée des marchés publics, des mesures appropriées ». Ce comité qui est basé au sein de l’organisme de régulation appelé Agence de régulation des marchés publics. Cette agence se présente comme un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière avec pour mission d’assurer la régulation, le suivi et l’évaluation du système des marchés publics au Cameroun. L’autorité administrative, qu’elle soit maître d’ouvrage ou maître d’ouvrage délégué ou même Comité d’examen des recours, saisie d’un recours dispose non seulement du pouvoir d’apprécier le caractère fondé ou non de la réclamation, mais surtout d’ordonner le cas échéant, soit la reprise, soit l’annulation de la procédure, soit alors des mesures diverses. Dans tous les cas si l’organe administratif décide de la poursuite de marché public, il s’agira forcement d’une régularisation qui aura été opérée. L’irrégularité doit donc forcément porter sur un fait ou un manquement au CMP quant à la phase de pré-qualification, la publication d’appel d’offres et ouverture des plis, la phase d’analyse des offres techniques lorsque l’ouverture se fait en deux temps, ou sur la publication des résultats et la notification du marché. Des délais impératifs doivent aussi être respectés (art. 171 à 175 du CMP). Ce procédé préventif qui permet la poursuite des relations contractuelles est aussi prévu dans la phase d’exécution du marché public.

b) La régularisation préventive dans la phase d’exécution

Concernant la phase d’exécution du marché public, la technique de la régularisation est encore présente et possible. In situ, il est prévu que « tout cocontractant de l’administration qui s’estime lésé dans l’exécution de son contrat peut introduire un recours non juridictionnel, soit auprès du maître d’ouvrage ou maître d’ouvrage délégué, soit auprès de l’Autorité chargée des marchés publics » (art. 186 du CMP). Ainsi, dans la phase d’exécution des prestations contractuelles, le cocontractant peut aussi constater des irrégularités dans les agissements de l’administration. C’est dans cette logique qu’il peut être amené à produire un recours gracieux auprès de l’autorité contractante qui englobe ici le maître d’ouvrage et le maître d’ouvrage délégué. Mais l’on constate aussi que le cocontractant peut formuler un recours hiérarchique en saisissant immédiatement l’Autorité chargée des marchés publics. En droit des marchés publics camerounais, l’Autorité chargée des marchés publics désigne l’autorité placée à la tête de l’administration publique compétente dans le domaine des marchés publics. En l’occurrence, il s’agit du ministre délégué à la présidence de la République chargé des marchés publics. C’est quasiment l’autorité administrative camerounaise au-dessus de la chaîne des marchés publics, à ce titre il signe les textes d’application du CMP, prononce les sanctions des auteurs des mauvaises pratiques et des litiges résultant des marchés publics ainsi que des désaccords entre les agents publics, dispose de pouvoirs en matière d’autorisation des procédures exceptionnelles. C’est justement le dernier point de ses compétences qui intéresse car par interprétation téléologique (M. Troper, 2008), le texte règlementaire a pour finalité de lui attribuer des pouvoirs spéciaux en matière de régularisation. En autorisant ces procédures exceptionnelles, il peut demander la poursuite de façon extraordinaire de l’exécution du marché public entaché d’irrégularités notoires.

À tout prendre, la régularisation administrative a pour finalité majeure de conforter les privilèges contractuels de l’administration, mais aussi de protéger l’administration au détriment du cocontractant (A. Akono Ongba, 2008). Quid des situations de fait ?

B) L’admission de la régularisation d’une situation de fait

La régularisation en droit administratif camerounais ne s’opère pas uniquement sur certains actes juridiques précis, elle est également admise pour certaines situations juridiques. Par le truchement de cette catégorie de régularisation, « il s’agit de passer de l’exclusion à une possible insertion » (F. Mallol, 1997).

De façon générale, il est utile d’opérer un distinguo entre ce qui est conforme à la norme et qui mérite la protection projetée d’une part, et ce qui ne satisfait pas aux conditions prévues par la norme et ne peut donc être éligible au chapitre de la protection de la loi, d’autre part (F. Biboum Bikay, 2009). Il faut garder à l’esprit que toute situation qui, lorsqu’elle remplirait certaines conditions exigées par la loi, pourrait endosser la qualification de situation de droit. A contrario, les situations en porte-à-faux avec les exigences légales sont des situations de fait. Ces dernières renvoient à un ensemble de situations juridiques irrégulières, dégradées, dégénérées, constituant des doublets de situations régulières, mais ne remplissant en général pas leurs conditions de formalisme (J. Carbonnier, 2001). Le Droit peut alors agir au travers d’une alternative, soit il les qualifie de situations de fait et les laisse ainsi, soit il les régularise pour les ériger en situations régulières ou de droit.

Une situation de fait a défrayé la chronique au Cameroun il y a de cela quelques mois. C’est la situation dite du « doctorat professionnel ». Dépourvu de tout fondement juridique au regard de la directive communautaire n° 02/06-UEAC-019-CM-14 du 10 mars 2006 portant organisation des études universitaires de l’espace CEMAC (communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) dans le cadre du système LMD et de l’arrêté ministériel n° 19/0081/MINESUP/DDES du 23 décembre 1999 portant organisation du cycle de doctorat ou Doctor of philosophy (Ph.D) dans les universités d’État au Cameroun, le « doctorat professionnel » était irrégulier. À l’université de Yaoundé II, il reposait indûment sur la décision décanale n° 14/419/UYII/FSJP/CAB-D/VD-PAAc/nnma portant sélection en doctorat professionnel au titre de l’année académique 2014-2015, tandis qu’à l’université de Yaoundé I, celui-ci se fondait sur la décision n° 14-0016/UYI/VREPDTIc/DAAc/DEPE/SPD/CRFD du 8 janvier 2014 portant sélection des candidats au cycle de doctoral professionnel. La Conférence des recteurs des universités d’États, de concert avec le ministre de l’enseignement supérieur ayant pris acte du caractère irrégulier du « doctorat professionnel », décida d’interdire toute soutenance. De ce fait, le « doctorat professionnel » se retrouve ainsi dans une situation de fait car dépourvu de tout ancrage juridique et d’effets de droit.

Face à ce genre de cas, l’administration peut décider de « donner un titre juridique à une situation de fait qui en manquait » (L. Dutheillet de Lamotte, G. Odinet, 2016). C’est justement ce que vont faire les recteurs des universités de Yaoundé I et II. Celui de Yaoundé I va prendre une note datée du 1er mars 2018 autorisant les candidats concernés par la décision n° 14-0016/UYI/VREPDTIc/DAAc/DEPE/SPD/CRFD susmentionnée « à s’inscrire à titre de régularisation, au cycle de Doctorat Ph.D dans les centres de recherche et formation doctorale de l’université de Yaoundé I pour le compte de l’année académique 2013-2014 ». Par cet acte, ce recteur cherche à régulariser la situation de fait des étudiants inscrits en « doctorat professionnel » en les faisant migrer vers le seul doctorat légal (Doctorat Ph.D) mais, ceux-ci doivent se conformer à ses exigences, c’est-à-dire être titulaire de plano d’un master recherche. Par contre pour le recteur de l’université de Yaoundé II, la possible régularisation est visible au travers de la décision n° 18/317/UYII/CAB/R/VREPDTIc/DAAC du 21 juin 2018 portant organisation des études doctorales dans cette institution. Ainsi, l’article 11 (3) de cette décision précise que : « Les titulaires d’un master professionnel ou d’un diplôme reconnu équivalent peuvent, exceptionnellement, être autorisés à s’inscrire en thèse, s’ils ont obtenu au moins la moyenne de 15/20 au Master et ont effectivement soutenu leur mémoire ».

Tout compte fait, face à la situation de fait relative au « doctorat professionnel », l’administration a trouvé des formules de régularisation assez dures au point où l’on peut évoquer l’hypothèse d’une régularisation-exclusion du fait de la rigidification des conditions d’inscription en doctorat. Pourtant, par la régularisation, il s’agit de passer de l’exclusion à une possible insertion. Ce qui est digne d’être retenu, ce sont les actes régularisateurs des recteurs pour tenter d’ériger cette situation de fait en situation de droit.

In fine, il est possible d’indiquer que la régularisation est et demeure un procédé exceptionnel. Le droit camerounais semble ne pas s’éloigner de cette mystique, car il admet de façon singulière cette technique dans une approche sectorielle bien précise. La régularisation administrative et préventive est toujours sujette à caution car elle hisse l’administration dans une posture de « juge et partie ». C’est pour cette raison que la régularisation doit être confiée au juge. Mais le droit administratif camerounais a refusé au juge la mission d’orientation et de conduite de la régularisation.

II) L’exclusion totale de la régularisation après annulation conditionnelle

Il existe une régularisation qui s’effectue avant l’intervention du juge, elle est appelée « régularisation a priori ». La technique de la régularisation peut aussi s’effectuer après que le juge ait statué, dans ce cas on parle plutôt de régularisation a posteriori. La régularisation a posteriori ou après annulation conditionnelle est celle où l’administration modifie un acte afin de faire disparaitre les illégalités que le juge y a détectées. L’on peut ainsi inférer que cette régularisation s’opère sur la base d’une injonction conditionnelle que le juge administratif adresse à l’administration. La régularisation peut aussi s’opérer par le juge lui-même.

Le droit français est hautement permissif quant à la régularisation après annulation conditionnelle, c’est-à-dire qu’il est autorisé au juge administratif de donner des ordres à l’administration pour que celle-ci régularise les actes dans le sens indiqué. Par contre, le droit camerounais ne se caractérise pas par cette permissivité. Il est plutôt hostile à l’idée d’une régularisation sur la base d’injonctions conditionnelles en se situant à la lisière du déni de justice. Le juge administratif camerounais ne peut non plus de son propre chef se substituer à l’administration pour régulariser un acte, il ne peut que se contenter de faire annuler ce dernier.

L’exclusion de la régularisation a posteriori est totale, elle est le fait de la prohibition des voies d’exécution contre l’administration camerounaise (A), et du respect scrupuleux du principe de séparation des autorités judiciaires et administratives et de la chose jugée (B).

A) Une exclusion du fait de la prohibition des voies d’exécution contre l’administration

L’on évoque les voies d’exécution pour désigner un ensemble de procédures permettant à un particulier d’obtenir, par la force, l’exécution des actes et des jugements qui lui reconnaissent des prérogatives ou des droits (S. Guinchard et T. Debard, 2017). Transposé dans le champ du droit administratif, le syntagme renvoie aux procédés qui permettent de contraindre l’administration à s’exécuter. Dans cette lancée l’injonction et l’astreinte s’illustrent comme des voies d’exécution contre l’administration.

L’injonction en effet peut être appréhendée comme étant l’ordre d’adopter un comportement déterminé, adressé par le juge à une personne physique ou morale, quelle qu’en soit la qualité (L. Echemot, 2017). Il est possible de différencier les « injonctions de procédure » des « injonctions de jugement ». Les premières sont adressées aux parties dans le cadre d’une bonne organisation du procès, compte tenu du caractère inquisitorial de la procédure administrative qui la place sous la direction du juge saisi. Quant aux injonctions de jugement, elles sont contenues dans le dispositif même de la décision de justice et elles bénéficient à ce titre de l’autorité de la chose jugée. Prosaïquement, il peut s’agir d’un ordre donné d’accomplir une action ou de la faire cesser, élaborer un acte (A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet-Brisset, 2009). C’est justement ce dernier aspect qui nous intéresse, car régulariser après l’annulation conditionnelle renvoie à un ordre adressé à l’administration pour qu’elle corrige son acte. Contrairement à la France où le pouvoir d’enjoindre l’administration est formellement prescrit par la loi du 8 février 1995, au Cameroun la loi a formulé cette proscription. Jean Rivero estimait même qu’« il n’est pas besoin d’un texte lorsque la nature des choses commande ; et la nature des choses veut que la fonction de juger soit, au sein de l’exécutif, distincte de celle d’agir ». C’est en effet l’article 126 de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal, qui pose ce principe en punissant d’un emprisonnement de six mois à cinq ans, « le magistrat qui intime des ordres ou des défenses à des autorités exécutives ou administratives ». Interprétant cette disposition, la doctrine publiciste a affirmé, sans ambages, que « le juge ne peut donner ni ordre ni injonction à l’autorité administrative » (J.-M. Bipoun Woum,1975). Nonobstant quelques hésitations du juge du fait de certains contentieux de l’urgence, celui-ci est resté quasi constant dans le respect de la prohibition d’enjoindre l’administration. Dans le jugement n° 87 du 30 juin 1983, Onambele Germain c/ État du Cameroun, le juge administratif en vidant sa saisine a dit ceci : « Attendu qu’il convient, de prime abord, de rappeler que le juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il est saisi, se contente de constater l’illégalité de l’acte qui lui est déféré et prononce son annulation ; (…) qu’il ne peut (…) adresser des injonctions à l’administration en la condamnant à des obligations de faire ». C’est ainsi que le juge administratif s’interdit de confirmer ou d’ordonner la confirmation d’un fonctionnaire à un grade de la fonction publique dans l’espèce CS/CA, du 16 janvier 2008, Alola Dieudonné c/ État du Cameroun. Dans des espèces relativement récentes, le juge reconnait même de façon implicite qu’il ne peut adresser des injonctions à l’administration ; pour ce faire, il élude tout simplement les chefs de demande où les requérants voudraient l’amener à enjoindre l’administration (CS/CA, n° 71/2010 du 22 février 2010, Njini Borno David c/ État du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 254/2011/CA/CS du 2 novembre 2011, Kamto Maurice c/ Université de Yaoundé ; ordonnance n° 98/OSE/CA/CS/2012 du 14 septembre 2012, Alhadji Bahba Ahmadou Danpoulos c/ État du Cameroun).

L’analyse qui peut être faite de ces espèces est que, la jurisprudence sur la prohibition des injonctions est quasi constante, car le juge se refuse automatiquement à intimer des ordres à l’administration active. Cela a donc pour conséquence de néantiser toutes les possibilités de régularisation après annulation conditionnelle où l’administration reçoit l’injonction juridictionnelle de régulariser un acte. L’interdiction de l’astreinte ne vient que conforter et consolider la position d’exclusion de la régularisation après annulation conditionnelle par le juge. La décision Nana Jean Claude qui est une référence en la matière entérine la position du juge (CS/CA, jugement n° 206/2009 du 25 novembre 2009, Nana Jean Claude c/ Communauté urbaine de Douala).

Quelle est alors la prise en compte du principe de la séparation des autorités et de celui de la chose jugée ?

B) Une exclusion inhérente au respect du principe de séparation des autorités judiciaires et administratives et de la chose jugée

La régularisation après annulation conditionnelle est encore impossible dans la logique du droit administratif camerounais. Ce corpus de normes empêche la régularisation du fait du respect du principe de séparation des autorités (1) et de la chose jugée (2).

1) La régularisation infaisable du fait de la séparation des autorités

Prima facie il faut indiquer que, le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire est le fondement, la règle juridique de base qui correspond au « principe implicite du droit », régissant alors la distinction, la scission entre le « pouvoir administratif » chargé d’agir, notamment en prenant des décisions administratives d’une part, et « le pouvoir judiciaire », c’est-à-dire l’ensemble des magistrats assurant le service de la justice civile et pénale d’autre part (R. Nga Nyebe, 2016). En d’autres termes, ce principe désigne le cloisonnement né entre les administrateurs et les magistrats de l’ordre judiciaire. Ainsi, c’est une distinction qui pèse tant sur le corps administratif, que sur le corps judiciaire : autant les juges judiciaires et administratifs ont la restriction de ne pas empiéter sur le domaine des administrateurs, autant ces derniers ne peuvent prendre des décisions de justice faisant ombrage aux juges.

Principe « d’origine jurisprudentielle et de formulation doctrinale» (J. Chevallier, 1972), la séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, n’est pas absente au Cameroun. Tout comme en France, ce principe n’a aucune base textuelle. Il constitue cependant, un élément ou plus exactement, un corollaire indispensable au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires.

Le principe de séparation des autorités a pour corollaire l’interdiction du pouvoir de substitution à l’administration. Ainsi, en raison de la séparation de l’administration active et des fonctions juridictionnelles, le juge ne peut se substituer à l’administration. Il lui est interdit de faire autre chose que la simple annulation de l’acte qui est déféré devant lui. Le juge administratif camerounais ne peut donc lorsqu’il est appelé à statuer sur un recours en annulation, se substituer à l’administration pour prononcer lui-même la décision régulière en échange de celle qu’il annulée. La régularisation juridictionnelle d’un acte en droit administratif camerounais serait ainsi une trahison du principe de séparation des autorités. Le juge exerce seulement la fonction juridictionnelle qui consiste à annuler un acte, de ce fait il viendrait à outrepasser sa fonction en voulant « remettre en selle » un acte en extirpant son irrégularité ou vice. Il est de ce point de vue rigoureusement défendu au juge d’exercer, même minimalement des fonctions législative, exécutive ou administrative. En maintenant ce curseur, « il reste juge ; il ne se fait pas administrateur » (L. Duguit, 1913). Le respect de l’autorité de la chose jugée est aussi un élément inhibiteur de la régularisation après annulation conditionnelle.

2) La régularisation irréalisable du fait du respect de l’autorité de la chose jugée

La chose jugée a et doit avoir autorité, c’est-à-dire s’imposer à tous pour la simple raison qu’il ne servirait à rien de juger, si ce qui a été jugé pouvait ne pas être respecté et notamment être rejugé. Elle désigne l’autorité attachée à un acte juridictionnel, qui en interdit la remise en cause en dehors des voies de recours légalement ouvertes.

Dans CS/CA, jugement n° 88/03-04 du 30 juin 2004 affaire Amenchi Martin c/ État du Cameroun (SESI), le juge administratif camerounais a fait montre d’un respect scrupuleux et soigneux de l’autorité de la chose jugée. Dans son avant dernier attendu, le juge précise qu’en cas d’autorité de la chose jugée, l’administration « doit non seulement s’abstenir d’exécuter l’acte annulé, ou de le refaire, mais encore prendre des mesures nécessaires pour tirer toutes les conséquences de l’annulation prononcée par le juge. La décision d’annulation règle une fois pour toute, le sort de l’acte administratif reconnu illégal. L’acte se trouve annulé erga omnes ». Pour le juge administratif, lorsqu’un acte administratif est annulé, l’autorité de chose jugée dont est revêtue la décision interdit à l’administration de le refaire. Cette décision du juge est instructive à plus d’un titre. D’une part, elle permet de jauger le respect de l’autorité de chose jugée par le juge administratif. De ce point de vue, l’on constate que le juge dans cette affaire a un respect souverain envers l’autorité de la chose jugée. D’autre part, elle permet de constater le caractère infaisable de la régularisation après annulation juridictionnelle. Cela fortifie et consolide la position selon laquelle, cette technique est encore plus qu’exceptionnelle, c’est-à-dire que l’on ne mobilise pas de façon impromptue.

En guise de propos conclusifs, il est question de dire qu’en droit administratif camerounais, la technique de la régularisation bénéficie d’un traitement quasi ambivalent. Il en est ainsi parce que d’une part la régularisation est admise pour certains actes juridiques (comme le titre foncier) et même souvent sous la forme de validations législatives, et de situations de fait. Quoi qu’on dise, cette régularisation est sectorielle car elle n’est que mobilisable pour des cas précis. D’autre part, elle est totalement exclue après l’intervention du juge administratif. Cette situation a trait au fait que les voies de recours contre l’administration sont proscrites, et au rigorisme du principe de la séparation des autorités et de l’autorité de chose jugée. Au vu de tout cela l’on peut arguer que le droit camerounais est encore très peu permissif à la régularisation, contrairement au droit français. Cela atteste aussi du faux procès en mimétisme fait au droit administratif camerounais vis-à-vis du droit français.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 248

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ParJDA

Questionnaire de Mme Crouzatier-Durand (32/50)

Florence Crouzatier-Durand
Maître de conférences à l’Université Toulouse I Capitole

Art. 171.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Comme l’a souligné Prosper Weil, si nous sommes aujourd’hui accoutumés à voir l’Etat soumis au contrôle juridictionnel, nous en oublions parfois que l’existence même d’un droit administratif relève du miracle, l’Etat lui-même acceptant de se considérer comme lié par le droit. Le droit administratif découle précisément de ce miracle et peut être défini comme l’ensemble des droits et obligations de l’Administration. Autrement dit, le droit administratif est le droit de l’action publique, laquelle se caractérise toujours par l’intérêt général. Une action publique visant à satisfaire les besoins essentiels de la population par l’existence de services publics et s’attachant au maintien de l’ordre public dans le respect des libertés fondamentales. Le droit administratif est, pour ces raisons, au cœur des questions de société relatives tant aux rapports entre le pouvoir et le citoyen, qu’à la conception des libertés publiques, leur mise en œuvre et leurs limites, ou encore aux questions de responsabilité.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Si le droit administratif d’hier était un droit presque exclusivement jurisprudentiel, celui de demain serait davantage un droit émanant du législateur et des instances juridictionnelles internationales. Pour autant, le rôle fondamental du juge administratif français demeure et sa mission de contrôle du principe de légalité est constante. L’évolution du droit administratif relève de l’effet du temps sur le droit et de l’adaptation de celui-ci aux évolutions de la société. Car le droit administratif, dans son essence même, demeure au cœur de la vie de tout citoyen, de tout administré ; hier, aujourd’hui et demain. Ainsi en témoigne la vie d’Agnès, qui lorsqu’elle était petite fille fut renversée par le wagonnet d’une manufacture des tabacs et dont l’enfance est par la suite celle de tous les enfants de la commune de Néris-les-Bains où ses parents ont déménagé. Lorsqu’ils périssent dans un bombardement pendant la 1ère guerre mondiale, elle est recueillie par ses oncles : d’abord, le Sieur Heyriès, longtemps dessinateur de 2ème classe du génie avant d’être révoqué, et ensuite elle a pu étudier auprès de son oncle René Benjamin, conférencier contesté. Auprès de tous deux, elle apprit la chance de vivre dans un état de droit, l’incitant à poursuivre ses études dans une faculté de droit, où elle comprit le rôle du juge administratif. Elle aime lire, familière de la librairie Maspero, elle aime aller au cinéma où elle vit Le feu dans la peau, elle déteste cependant les spectacles de lancer de nain organisé dans la commune de Morsang-sur-Orge. Elle a payé ses études en travaillant en tant que contractuelle dans un kiosque à journaux, avec une amie de son oncle la Dame Trompier-Gravier, et pour la société du Journal l’Aurore. Elle passe finalement un concours pour travailler dans des organismes d’assurance telles que la Caisse primaire Aide et protection ou encore la Caisse de Meurthe-et-Moselle. Blessée par la chute d’un bloc de granit porphyroïde des Vosges, elle prend sa retraite anticipée au cours de laquelle elle participe activement à des actions caritatives, dans l’accueil des réfugiés avec Monsieur Bertin, bénévole pour le GISTI, mais également dans des associations d’aide aux détenus. C’est là qu’elle rencontre son âme sœur Pascal Marie, incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, très ami avec Philippe Hardouin, ancien timonier sur un navire de guerre. Dès sa sortie de prison, elle déménage dans une petite maison à proximité de l’allée des Alyscamps en Arles où elle vit des jours heureux jusqu’à sa mort. Ses dernières volontés furent respectées par les autorités municipales funéraires puisqu’elle est enterrée aux côtés de son amie de toujours, Madame Duvignères.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Le droit administratif français se caractérise par l’équilibre institué entre les notions de puissance publique et de service public. Si l’école du service public a fait du service public la notion centrale du droit administratif et du droit public, cette école de pensée a fait l’objet de nombreuses critiques. L’école de la puissance publique a proposé une vision différente, elle a notamment relativisé la place du service public. Pour Hauriou, la puissance de l’Etat constitue la pierre angulaire du droit public. Il convient néanmoins de reconnaître que la puissance publique vise la satisfaction de l’intérêt général, qui demeure la raison d’être de l’ensemble des services publics.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général est à la fois un moteur et un critère du droit administratif. Comme l’a souligné le Conseil d’Etat lui-même dans le rapport public consacré à cette question en 1999, « L’intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au cœur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l’action publique ». L’intérêt général occupe une place centrale dans l’ensemble du droit public tel qu’il est mis en œuvre par les pouvoirs législatif et réglementaire, mais aussi par le Conseil d’Etat et par le Conseil constitutionnel ; il est incontestablement la pierre angulaire du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Ce droit est mis en œuvre quotidiennement, sur l’ensemble du territoire, pour l’ensemble des citoyens et par eux ; cette seule prise de conscience pourrait et devrait permettre au droit administratif d’être à la portée de tout le monde. Au-delà, la gratuité des procédures, la facilité d’accès au juge administratif, l’amélioration de la lisibilité et de la visibilité des textes, sont d’autres aspects d’un droit administratif susceptible d’être à la portée de tous.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Non, bien que l’influence d’autres droits soit une réalité.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Non, le législateur a largement investi le champ du droit administratif comme l’illustre le Code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Prosper Weil pour sa démonstration si juste selon laquelle le droit administratif relève du miracle.
  • René Chapus pour son précis si précieux pour l’étudiante que je fus.
  • Jean-Pierre Théron, mon maître, et à ce titre le plus important de ces « pères ».

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt « Blanco » pour avoir admis la responsabilité de l’Etat selon des règles propres et devant un juge spécial.
  • L’arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge » pour avoir complété et précisé la notion d’ordre public.
  • L’arrêt « Ternon » pour avoir repensé les conditions du retrait d’un acte administratif unilatéral créateur de droit.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

La Constitution et son préambule entretiennent avec le droit administratif des liens particuliers, étroits et très importants. En 1954, le Doyen Vedel avait présenté les bases constitutionnelles du droit administratif, cinquante ans plus tard la reconnaissance de la question prioritaire de constitutionnalité a confirmé ce mouvement.

La loi, source fondamentale et incontestée de la légalité administrative.

La circulaire parce qu’elle établit le lien entre le politique et l’administratif ; elle est le document qui informe sur les orientations politiques, les activités de service public, les actions administratives ou encore le comportement des agents publics.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le chat agile et souple, doué d’un grand sens de l’équilibre.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le Petit Prince, intemporel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Maman, l’araignée de Louise Bourgeois, expression de la protection maternelle et, de manière quelque peu ambivalente, de la force et de la puissance supérieure et dominatrice.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 171.

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Questionnaire de Me Lantero (31/50)

Caroline Lantero
Avocate
Maître de conférences à l’Université d’Auvergne

Art. 170.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

L’auto-régulation d’une administration qui ne peut – par essence –  pas mal faire, et accepte de se soumettre à son (propre) droit.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Non, même s’il est difficile de ne pas voir le droit de l’UE et de la CEDH comme des catalyseurs d’évolution.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

  • Le fait même qu’il existe en tant que droit (privilégié) de l’administration ;
  •  Sa juridiction

#LexistencePrécèdeLessence

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général : notion indéfinissable mais belle vitrine à défaut d’en être toujours le moteur, pour ne pas dire le critère

#PointRivero

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Lorsque les spécialistes sortent de leur zone de confort (amphi, prétoire, revues), diffusent et échangent sur des supports originaux #Twitter #Blogs

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Globalisé par la multiplication/stratification des sources ? Un peu. Par l’ « anglo-saxonnisation » des procédures ? Pas encore.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui, mais la loi est trop bavarde et le juge sur-réagit parfois pour dire quand même quelque chose #PointPortalis

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Il est tellement impossible de trancher que le contentieux administratif l’emportera ici sur le droit administratif : Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Une seule (pour l’emphase) : Benjamin 1933, malmenée depuis (Soupe aux cochons, Morsang, Dieudonné) et retrouvée en 2016 (Burkini).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La loi des 16 et 24 août 1790
  • La Constitution
  • La CEDH

#ChronologieNestPasHiérarchie

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

(…)

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

(…)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

(…)

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 170.

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Questionnaire du Pr. Iannello (30/50)

Carlo Iannello
Professeur à l’Université de la Campania (Naples)
Directeur adjoint du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

Art. 169.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit qui pose les normes fondamentales de l’organisation administrative et de l’exercice de la fonction publique, qui règle les tâches administratives et établit ses contenus, dans le but de garantir les intérêts publics. Si ce droit se présente comme un droit de la puissance publique, il faut lui reconnaitre une fonction « révolutionnaire », parce que dès que ce droit a réglé la puissance qui se prétendait souveraine, il l’a transformée en une autre chose. La puissance publique est en effet ainsi devenue contrôlable par les administrés à travers le paramètre même de l’intérêt public indiqué par la loi.

Le droit administratif est donc le droit qui a transformé un pouvoir autoritaire en un pouvoir rationnel et libéral-démocratique, qui trouve ses limites dans les droits et les libertés des citoyens. Le droit administratif est, donc, en même temps, le droit du pouvoir et le droit de la protection des droits et des libertés des citoyens. Un droit qui a dans son code génétique une fonction aussi complexe qu’essentielle pour une société libérale et démocratique : la conciliation entre l’autorité et les libertés des citoyens.

2 – Qu’est-ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ?

Le droit administratif italien a été beaucoup influencé par le droit administratif français. Il a donc suivi cette tradition, du dualisme juridictionnel au rôle reconnu au juge administratif dans l’élaboration des principes généraux, à la centralisation de l’administration étatique.

Cependant, il s’est souvent éloigné de cette tradition, et l’action publique a perdu sa cohérence centralisatrice déjà pendant la période libérale, en devenant de plus en plus pluraliste, dans le cadre d’une société fragmentée qui n’a presque jamais permis à l’Etat (à part l’exception des première 15 années après l’unité) de ressembler à la construction doctrinale des maitres du droit public du siècle XIX, moins que jamais pendant la période fasciste. Le fascisme, loin de rétablir la cohérence et la rationalité du pouvoir étatique, a fini pour l’affaiblir ultérieurement, en substituant l’Etat avec le parti fasciste (une association de droit privé) et la chambre représentative avec la « Camera dei fasci e delle corporazioni », donc avec un chambre corporatiste, où s’exprimaient les intérêts particuliers. Rien de plus loin de l’idée de représentation de la Nation.

Le pluralisme structurel de la société italienne c’est manifesté également dans le cadre de l’Assemblé Constituante, qui a réalisé un Etat sociale et fortement pluraliste, perméables aux intérêts sociaux et, ce qui plus est, a donné à la république une organisation régionale.

Cela a contribué à caractériser ce droit comme un droit non étatique et multi niveau, même avant l’irruption du droit européen et du droit de la globalisation. Ce qui a continué également à accentuer le processus de fragmentation de l’action publique, qui a ainsi perdu toute trace de son initiale cohérence centraliste. L’élargissement des pouvoirs locaux avec la réforme du titre V de la Constitution a ultérieurement accentué ce trait. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité, enfin, dont la portée juridique est très controversée, a associé le citoyen à l’administration dans l’accomplissement des tâches d’intérêt général. L’art. 118, dernier alinéa de la Constitution, introduit en 2001, a attribué aux citoyens, individuellement ou en tant que membres d’une association, le droit d’agir pour « l’exercice de toute activité d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité ».

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Par la façon dont est né le juge administratif en Italie, le droit administratif s’est formé autour de la notion « d’intérêt légitime ». L’Etat unitaire avait adopté en 1865 un modèle moniste, en reconnaissant seulement au juge judiciaire la fonction de protéger les « droits civils et politiques » des citoyens. Cependant le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation à partir de 1877 (quand elle devint juge de la juridiction) rendaient impossible les actions contentieuses contre les actes qui étaient considérés comme des manifestations de la puissance publique (par exemple, contre un acte d’expropriation le particulier n’avait pas de protection judicaire). La protection offerte aux particuliers était donc limitée aux seuls actes de gestion de l’administration.

Le juge administratif n’a alors été matérialisé que plus de trente ans après, en 1889, pour combler ce vide intolérable de protection des « intérêts » des administrés qui n’étaient pas protégés par le juge judicaire. C’est pour cette raison que dans le droit administratif italien l’ « intérêt légitime » a occupé une place centrale.

Cette notion est devenue le critère de répartition de la compétence entre juges administratif et judicaire, qui protège les « droits ». Cette notion « d’intérêt légitime », qui a été développée par la jurisprudence (administrative et de la Cour de Cassation, en tant que juge des juridictions). Enfin, cette notion a reçu une consécration constitutionnelle en 1948, par les articles 24, 103 et 113 de la Constitution. Il s’agit d’une situation juridique qui a la même force que le droit subjectif.

Pour autant, donner une définition, précise et synthétique, de cet « intérêt légitime » est très difficile. Il s’agit d’une situation juridique dont jouissent les particuliers à l’égard de l’administration publique qui agit en force des prérogatives spéciales et, en concret, il est représenté par tout ce qui s’interpose entre le pouvoir (et l’acte) de l’administration et les intérêts substantiels de l’administré. C’est justement cet exercice concret du pouvoir administratif, qui interfère avec les intérêts des particuliers, qui transforme leurs intérêts substantiels dans des « intérêts légitimes ». Cette situation juridique permet à l’administré de conditionner l’action administrative et, qui plus est, de recourir au juge pour obtenir l’annulation d’un acte admiratif qui lui concerne directement.

L’importance de cette notion, en tant que critère de répartition de la juridiction, a diminué au cours des dernières années, à cause d’une récente tendance d’élargir la juridiction administrative, dans certains domaines, à la fois aux droits et aux intérêts, mais elle n’a pas perdu son importance et caractérise encore aujourd’hui notre droit administratif.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • Si l’on parle du droit administratif italien on doit nommer tout d’abord Vittorio Emanuele Orlando (1860-1952) et son école de droit public, qui a eu la mérite de fonder la science du droit administratif et de contribuer à l’édification de l’Etat italien et de son administration vouée à l’intérêt général (ou à la réalisation de l’intérêt public, pour le dire à l’italienne), avec un engagement non seulement sur le plan scientifique (auteur, entre autre, du Primo trattato completo di diritto amministrativo), mais aussi politique (il a été, entre outre, chef du gouvernement).
  • Cependant, cette œuvre de construction de la doctrine publiciste n’aurait pas été possible sans celle de Silvio Spaventa (1822-1893). Il n’est pas proprement un auteur, car il a surtout été un politicien libéral engagé dans la bataille pour l’unification italienne. Mais la trace de ses batailles, politiques et juridiques au même temps, est encore présente dans l’ordre juridique italien. Bien que Silvio Spaventa soit normalement cité dans tous les manuels de droit administratif, son œuvre est anormalement sous-évalué en Italie. Silvio Spaventa, pourtant, a posé les bases de deux piliers du droit administratif italien. Il s’est battu pour la création de la IVe section du conseil d’Etat en formation juridictionnelle (dont il a été le premier Président, lors de son institution en 1889). Une loi de 1865 avait effectivement supprimé le contentieux administratif et gardé la seule juridiction du juge judicaire. Pour garantir la justice dans l’administration et la protection des citoyens contre les abus des administrations, Spaventa a conduit une importante bataille politique (les manuels de droit administratif rappellent son discours concernant La giustizia nell’amministrazione prononcé en 1880 à l’assemblée constitutionnelle de Bergamo, publié dans la Gazzetta provinciale di Bergamo, dans lequel il a affirmé une idée moderne et très actuelle de justice « dans » l’administration : « la libertà oggi deve cercarsi non tanto nella costituzione e nelle leggi politiche, quanto nell’amministrazione e nelle leggi amministrative»). La réalisation de la IVe section du Conseil d’Etat en fonction juridictionnelle, et donc de la juridiction administrative italienne elle-même, est bien ainsi l’œuvre de Spaventa. En outre, on doit rappeler sa bataille pour la nationalisation des chemins de fer, souvent oubliée, conduite dans le siège du gouvernement d’Italie en tant que ministre des travaux publics entre le 1874 et le 1876. Bataille qui fut la cause de la chute du gouvernement libéral qui avait réalisé l’unification italienne. Dans les rapports, écrits par lui-même et présentés par le Gouvernement au Parlement en mars 1876 (« Lo Stato e le ferrovie » & « Sul riscatto ed esercizio delle ferrovie italiane »), à l’occasion de la discussion concernant la nationalisation des chemins de fer, Spaventa a affirmé l’idée de service public en Italie et la responsabilité de l’Etat dans la fourniture de ces services. En particulier, il a soutenu la nécessité de la réserve étatique des activités d’entreprise, comme celle des chemins de fers, indispensables pour la satisfaction des intérêts sociaux des citoyens ; il a énoncé, dans ses écrits et dans ses discours, les lois du service public, comme l’égalité, la continuité, l’adaptation aux besoins de l’usager. Bien qu’il ait perdu cette bataille sur le plan politique, ces idées se sont affirmées sur le plan juridique au cours des décennies suivants et elles démurent vivantes sur le plan culturel, encore plus actuelles aujourd’hui, dans une période caractérisée par la généralisation de l’économie de marché qui est en train de provoquer une profonde révision de l’idée étatique en tant qu’institution sociale consacrée à l’actuation des intérêt sociaux.
  • Bien que l’ouvre de Santi Romano (1875 – 1947), avec sa théorie institutionnelle et de la pluralité des ordres juridiques ait eu un gros succès sur le plan non seulement italien mais européen, et qu’elle soit aujourd’hui, dans un monde globalisé, encore plus actuelle qu’avant, le juriste qui est réussi à émanciper la culture juridique italienne du positivisme juridique et de son corollaire, c’est-à-dire le formalisme, a été sans aucun doute son élève Massimo Severo Giannini (1915-2000). Il a relié le droit aux facteurs historiques et sociales, soutenant que dans l’interprétation des normes il ne faut pas utiliser seulement les donnés de droit positif, mais il faut également donner espace à le réalité, à la vie, aux aspect sociaux. Cela a permis de reconsidérer la science même du droit administratif, non plus entendue comme une doctrine formaliste qui s’occupe exclusivement de l’acte administrative et de sa théorie (réduite, comme l’a écrit Alessandro Pajno, actuel Président du Conseil d’Etat, à une « technologie de l’acte administratif»), mais comme une science qui sert à comprendre et à garantir le développement de la société. Il a donc contribué à expliquer la transformation de l’Etat, devenu pluraliste et social, non plus en termes de puissance et de personne juridique. Il a ainsi connecté les études juridiques à la sociologie et à la politologie (comme observé par Sabino Cassese, le plus grand juriste italien contemporain, dont Giannini a été l’élève). Ses ouvres (notamment celles concernant l’interprétation de l’acte administratif et le pouvoir discrétionnaire) ont poussé l’administration et les juges à occuper une place de plus en plus importante dans la vie de l’ordre juridique et de se faire interprètes des intérêts sociaux émergeants au sein de la société, intérêts auxquels le législateur ne réussît pas à répondre. Il comprit que la notion d’intérêt public, cristallisé dans la loi, n’était pas capable de représenter une convenable limitation de l’action de l’administration, car les intérêts publics sont plusieurs et ils sont normalement en conflit entre eux. L’essence du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique était donc, d’après Giannini, celle de concilier ces intérêts entre eux et avec les intérêts des particuliers. En autre, Massimo Severo Gannini a été un théorique du pluralisme du droit administratif. En tant que président de la commission qui a eu la tâche de préparer les décrets pour l’actuation du transfert des compétences aux régions, il a guidé ce processus d’actuation du régionalisme italien, qui a posé les bases d’un droit administratif non plus exclusivement étatique.

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

La loi sur la procédure administrative de 1990 et la loi de réforme du procès administratif de 2010 assument une importance centrale parmi les sources de droit administratif.

La première loi a été approuvée à la suite d’un important débat doctrinale concernant la nécessité de régler la procédure administrative, qui n’avait jamais eu une réglementation organique, et qui se fondait surtout sur les principes élaborés par le juge administratif.

La loi n. 241 de 1990 est née des travaux d’une commission gouvernementale dont le président a été un des pères du droit administratif, Mario Nigro, qui avait compris que l’élargissement des tâches administratives et du pouvoir discrétionnaire de l’administration publique, dans un cadre de complexité sociale croissante, imposaient la réglementation de la participation des particuliers à la procédure administrative. Cela non seulement dans le but d’approfondir l’enquête / l’examen / l’instruction de la procédure mais aussi pour assurer à l’action de l’administration un consensus sociale davantage nécessaire pour la réalisation d’intervention complexes (comme les ouvrages publics, par exemple, qui ne peuvent plus s’imposer aux administrés à travers le seul exercice de l’autorité). Cette loi à donc offert des outils à l’administration publique pour s’ouvrir à la dimension sociale et pour rendre perméable l’exercice du pouvoir par la concrète dynamiques des intérêts, dans la mesure où l’exercice du pouvoir passe à travers une procédure où peuvent participer non seulement les administrés « directement » intéressés à l’acte administratif, mais aussi les associations qui protègent des intérêts collectifs.

La loi concernant le procès administratif complète la modernisation du droit administratif déclenchée par la loi de 1990. Comme la nouvelle procédure à donnée à l’administration des outils pour mieux évaluer les intérêts substantiels des citoyens, ainsi la réforme du procès administratif (d.lgs. 104 de 2010) a permis au juge de satisfaire plus efficacement les intérêts substantiels des particuliers compromis par l’action administrative. Tout d’abord la codification, en elle-même, a fourni aux citoyens un cadre organique de règles, en éliminant les incertitudes. En outre, l’ouverture du procès à la prouve par témoins rend ce procès plus perméable aux faits et donc aux besoins sociaux. Enfin, la possibilité de prendre des mesures d’urgence atypiques, permet au juge de mieux protéger les intérêts substantiels de l’administré.

Donc un outil qui va dans la direction de la garantie de l’effectivité de la protection juridictionnelle et qui contribue encore plus à faire du juge admiratif un interprète efficace de la demande de justice des citoyens.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

L’édifice du droit administratif a été réalisé par la jurisprudence administrative en ce qui concerne à la fois le droit administratif substantiel et celui procédural. L’effort de rationalisation du juge administratif s’est avéré fondamental dans la construction de ce droit ainsi que dans le maintien de sa cohérence. On n’exagère pas si l’on affirme que le droit administratif coïncide avec la jurisprudence du juge administratif, surtout avec celle du Conseil d’Etat, dont l’interprétation est, en principe, fidèlement respecté par les juges de première instance. Les plus importantes constructions juridiques ont été élaborés par cette jurisprudence, qui a aussi construit les principes de ce droit, auxquels est reconnu une force juridique supérieure à la loi.

Cependant, la question du repart de compétence entre juge judiciaire et juge administratif a eu une importance préliminaire dans la construction du droit administratif, car elle a contribué à définir le volume de l’édifice (donc l’espace de ce droit). Cette jurisprudence à intéressé non seulement le Conseil d’Etat, mais aussi la Cour de Cassation, dans sa fonction de juge de la juridiction et, en 2004, la Cour Constitutionnelle.

La question de la compétence du juge administratif a été controversée depuis toujours, car la loi de 1889 disposait que le recours au juge admiratif pouvait être présenté par qui avait un «intérêt».

Il était donc difficile à comprendre quand il y avait la compétence du juge administratif et, surtout, si l’existence d’un droit excluait cette juridiction. Il y a eu une longue période de conflit entre Conseil d’Etat et Cassation, la quelle avait tendance à exclure la juridiction du juge administratif dans le cas où elle considérait que l’acte administratif, expression de la puissance publique, affectait tout de même un droit subjectif (provocant ainsi une substantielle irresponsabilité des actes du pouvoir exécutif).

Le conseil d’Etat, dans l’arrêt de 1930, quand le président était Santi Romano, à éclairci que sa compétence devait être affirmée sur la base de deux paramètres : en rapport à ce qui demande le particulier (petitum), c’est-à-dire dans le cas où il demande l’annulation d’un acte administratif, mais aussi, en même temps, quand la nature de la situation juridique que le particulier fait valoir était un intérêt légitime.

La Cour de Cassation en 1949 a complété ce cadre dans la mesure où elle a éclairci que les actes de l’administration publique, expression de la puissance publique, ont comme effet celui de transformer les droits des particuliers, affectés par l’action de l’administration, en « intérêts légitimes ». Par conséquence, le juge judicaire pourrait juger d’un acte administratif seulement dans la mesure où l’administration publique a agi sans avoir aucun pouvoir, donc au même titre d’un particulier.

Dans un but de simplification, au cours des derniers décennies le législateur a fait un large usage de la possibilité, prévue par la constituions, d’attribuer au juge administrative une compétence étendue, en même temps, aux droits et aux intérêts, dans certaines matières où ces situations juridiques sont inextricablement liées.

En 1998 et en 2000 ce type de compétence du juge administratif avait eu une grande extension. Pour simplifier les questions liées à la juridiction et pour mieux garantir l’effectivité de la protection juridictionnelle des blocs de matières, comme les services publics, ont été attribués au juge administratif.

En 2004 (arrêt n. 204), la Cour constitutionnelle a annulé partiellement une telle extension de compétence du juge administratif. Selon la Cour, la Constitution républicaine a prévu la règle de l’attribution de la compétence concernant les droits au juge judicaire et celle concernant les intérêts au juge administratif. Si la possibilité de déroger à ce critère de repart est une exception, cet exception doit être limitée aux cas où les droits et les intérêts sont étroitement liées, et non pas à des blocs de matières génériquement liés aux intérêts public. Seulement dans le premier cas cette extension est une garantie de l’effectivité de protection juridictionnelle. L’extension de la compétence du juge administratif aux compétences concernant tous « les services publics », ne trouve donc pas de justification sur le plan constitutionnelle, car cette attribution (services publics) est tellement large qui perd sa concession avec les situations juridiques où droits et intérêts sont étroitement liés. La Cour a donc reformulé la disposition, en précisant quand, dans le domaine des services publics, il y a la compétence du juge administratif.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Certainement il y a un droit administratif traditionnel, lié à l’expérience de l’Etat libéral, centralisateur et hiérarchisé. Cependant, il existe (mais il a toujours existé) un droit administratif en transformation. Une transformation qui a permis au droit administratif de se confronter aux nouvelles exigences sociales de sociétés davantage complexes pour y donner des réponses efficaces.

Avec la pluralisation des centres de décision, au-dessous et au-dessus de l’Etat, le droit administratif s’est éloigné de son centre unique de référence (l’Etat), mais cette fragmentation de la personne étatique n’a pas provoqué la fin du droit administratif. Au contraire, ce droit a eu la fonction d’étendre ses principes fondamentaux, nés pour guider l’action publique étatique, à l’ensemble des organisations publiques ultra étatiques ou infra étatiques, en contribuent ainsi à garantir la cohérence de leur action et, en définitive, leur même légitimation.

Les principes du droit administratif et, avec eux, le droit administratif lui-même, ont donc dépassés la crise du leur créateur, l’Etat, et se sont affirmés en tant que principes généraux de l’action publique infra et ultra étatique.

Cependant, il y a des indices dans le droit positif qui font entrevoir une tendance de régression vers un droit administratif des origines, caractérisé par des traits autoritaires. Un droit conçu pour le pouvoir, non plus pour la limitation du pouvoir.

Plusieurs sont les indices de cette tendance : l’idée que le droit commun reconduirait les particuliers et administration sur une position d’égalité (l’art. 1 de la loi concernant la procédure administrative de 1990, reformulé en 2005 : « La pubblica amministrazione, nell’adozione di atti di natura non autoritativa, agisce secondo le norme di diritto privato salvo che la legge disponga diversamente ») ; l’idée que les règles administratives, lourdes, ralentissent l’efficacité de l’action publique (au nom de la simplification, on a drastiquement réduit les contrôles de légitimité et on a approuvé un corps de règles dérogatoires par rapport au droit administratif traditionnel, pour garantir la vitesse de la procédure) ; l’idée que l’intervention publique directe doit être empêchée pour assurer l’application généralisé de la loi du marché. Le même débat concernant l’abolition du juge administratif lui-même, considéré comme obstacle à l’efficacité de l’action administrative, se relie à cette tendance.

Tout cela contribue à donner une marge de liberté plus ample au pouvoir politique et à l’entreprise, en mettant en péril non tant le droit administratif en soi, mais plutôt sa fonction de conciliation entre autorité et liberté.

La résistance de cette branche du droit aux forces visant à l’homologuer, en compromettant ainsi sa spécialité, est quand même forte et trouve sa source dans la force normative des principes de ce droit et son gardien dans le juge administratif. Comme le juge administratif a édifié le droit administratif à travers sa jurisprudence, aujourd’hui c’est sur ce juge qui pèse la tâche de reconduire dans un système rationnel et cohérent les récentes réformes administratives, qui sont guidées par une fausse idée de simplification (au moins en Italie); une tendance qui va dans une direction qui éloigne de droit de son code génétique (qui a toujours été celui de limiter concrètement le pouvoir) ; code génétique dont le juge administratif est, désormais, le vrai gardien.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Si l’on entend le droit administratif de demain celui exprimé par la perspective pessimiste ci-dessous citée, la distinction est simple. Le droit administratif qu’est en train de se développer est un droit administratif qui marche vers l’affaiblissement de sa spécialité et de sa vocation à la réalisation de l’intérêt général.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Le droit administratif est un produit de l’Etat moderne. L’européisation du droit administratif, si a entamé les compétences de l’Etat comme décideur politique, n’a cependant pas affaibli celles de l’administration, qui reste l’exécuteur principal de ce droit supranational. Le droit administratif européen devient ainsi un droit mis en œuvre par l’Etat, les Régions et les communes dans le cadre d’un procès d’hybridation.

Les compétences des administrations étatiques et infra étatiques se sont élargies à la suite du droit européen. Le droit administratif italien s’est donc intégré avec celui européen, en gardant un rôle central en tant que cadre de principes de l’action publique, principes qui trouvent leur légitimation dans la constitution républicaine. Si le droit européen éloigne le droit administratif de l’Etat, ne l’éloigne pas de ses principes et de sa fonction.

Un discours diffèrent concerne le droit de la globalisation économique, processus dans le quel jouent de façon importante les Etats et l’Union européenne, qui ne sont pas cependant les seuls acteurs. La globalisation des marchés est un est un phénomène économique antagoniste aux Etats, qui vise à soumettre les Etats à ces propres fins en faisant des Etats les agents du droit du marché, qui doivent mettre a disposition leur puissance pour l’actuation de finalités qui les dépassent. La globalisation économique produit un droit radical, qui ne doit garantir que l’application d’un seul principe (la concurrence) et servir un intérêt abstrait (neutre). Ce processus met en péril à la fois fonction et principes du droit administratif et des Constitutions nationales. Considérant la vitesse des changements actuels, l’ambiguïté du processus, et le fait qu’il s’agit d’un processus récent, pour l’instant c’est plus convenable suspendre le jugement, car ce nouveau droit est en formation et transformation rapide. On verra donc si cette transformation, qui est sous nos yeux, redonnerait leur place aux intérêts sociaux et à l’intérêt général. Comme l’a dit Zygmunt Bauman à propos de la condition humaine, on peut dire pour le droit de la globalisation: « Suspendu entre le ‘non plus’ et le ‘pas encore’, [ce droit] est le [droit] de l’indéchiffrable, de l’interrègne ».

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

La place du droit administratif dans la société contemporaine s’est accrue avec l’élargissement des domaines administrés. Dans une société où tous les aspects de la vie (individuelle et sociale) sont règlementés, où il a une sorte de pan-juridisme, où le droit s’occupe de tout de la protection de l’environnement jusqu’aux aspects plus intime de la vie individuelle, affectant l’entier catalogue des droits fondamentaux, la place du droit administratif est encore plus important qu’hier.

Plus augmente l’exigence de réglementation, plus augment l’extension du pouvoir, plus augmente la nécessité d’un un droit voué à la conciliation entre autorité et liberté.

Aujourd’hui on comprend encore mieux le rôle fondamental joué par le droit administratif. Si la conciliation entre autorité et liberté est une prérogative des constituions, le droit administratif représente cependant le terrain le plus important où se déroule cette confrontation, où ce conflit s’aperçois dans sa dimension réelle. Le droit administratif c’est donc le lieu où s’exprime continûment la globalité des intérêts individuels : de la liberté du commerce jusqu’à la protection de la vie privée ; de la protection de l’environnement à la sureté, de l’instruction jusqu’à de la santé. Ce droit spécial, détaché de l’Etat s’encre aux pouvoirs, en assurant toujours la même fonction: celle de soumettre l’action du pouvoir au droit au fin protéger les droits et les libertés des citoyens qui trouvent leur concrétisation dans la vie social.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un « ircocervo », car il a toujours été traversé par des tensions contradictoires, donc il a une double nature (autorité et liberté).

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le chevalier qui n’existe pas (I. Calvino), si l’on pense aux tensions actuelles qui essaient de vider le droit administratif de sa substance sociale (biens et services publics) pour n’en utiliser que l’armure (la puissance publique).

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Ce serait un tableau de Picasso de la période cubiste, car ces tableaux rendent très bien la dimension du mouvement, donc de la transformation continue, ce qui représente une constante du droit administratif.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 169.

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Questionnaire du Pr. Houle (29/50)

France Houle
Professeur de droit à l’Université de Montréal

Art. 168.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

En droit québécois, le droit administratif suit la tradition de common law et non celle de droit civil. En effet, au Québec, le droit privé est de tradition civiliste ; le droit public, de tradition de common law britannique (et non américaine). Donc, en common law britannique, le droit administratif s’intéresse principalement au contrôle judiciaire des actes de l’administration et aussi au processus réglementaire. Au Québec, la tradition britannique s’est enrichie de la tradition continentale en ce que plusieurs de nos professeurs ont fait leur doctorat en France.

2 – Qu’est ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ? 

Voir réponse question 1.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

J’en doute.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

  • René Dussault
  • David Mullan

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Le principe de déférence
  • Les normes de contrôle
  • L’équité procédurale

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

Pour ce qui est du contrôle judiciaire, les décisions de la Cour suprême du Canada :

  • C.U.P.E. v. N.B. Liquor Corporation, [1979] 2 S.C.R. 227
  • Dunsmuirv. New Brunswick, [2008] 1 S.C.R. 190

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Hier : Droit administratif local ; demain, droit administratif global.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?  

Au Canada et au Québec, le droit administratif local s’intéresse principalement au droit national; le droit administratif est en construction et s’intéresse notamment aux institutions supranationales et leurs normativités.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Pour le moment, encore largement un droit national au Canada ; la prise en compte du droit international ou supranational en droit national reste encore très marginal.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Très importante. Difficile d’envisager un retour en arrière ou un démantèlement de l’État administratif. D’ailleurs, l’École de Chicago a tenté le virage vers la dérèglementation, mais les résultats –du moins au Canada- sont plutôt modestes. Le Canada reste un État social-démocrate et dont la social-démocratie est plus développée que chez nos voisins américains, mais moins que chez nos amis européens.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Au Canada et au Québec, un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Un livre de poésie de Guillaume Apollinaire – surréel.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les horloges molles de Dali – tout aussi surréel.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 168.

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Questionnaire du Pr. Franch-Saguer (28/50)

Marta Franch-Saguer
Professeur à l’Université autonome de Barcelone

Art. 167.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Une possible définition du droit administratif serait la suivante : branche du droit public, le droit administratif est constitué de l’ensemble des règles qui s’appliquent à l’administration. Ces règles sont dérogatoires au droit privé en raison de l’objet même du droit administratif, qui est la défense de l’intérêt public.

A partir de cette définition, on peut inclure dans le droit administratif tout ce qui se réfère à l’organisation du secteur public, à ses activités (fourniture de services publics, police…), à ses relations avec les citoyens et autres personnes publiques ou privées, ainsi que le contrôle de ses actions, qu’elles soient administratives ou judiciaires.

Les particularités de ce droit supposent la création d’un système normatif, ayant certaines caractéristiques, techniques et principes propres qui le différencient des autres branches du droit.

De plus, il se caractérise comme un droit statutaire puisque dans une partie de la relation il y a toujours une administration publique avec des prérogatives de puissance publique, mais qui reste à tout moment soumise à la loi et de manière plus générale à l’ordre juridique dans son ensemble.

2 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif de votre pays ?

Les singularités les plus importantes sont :

La grande diversité des secteurs et spécialités qu’il contient. Le droit administratif est un droit qui comprend de multiples “droits administratifs”.

Un droit en évolution tant pour des raisons internes (lois de transparence, d’administration électronique…) qu’en raison de phénomènes de globalisation et d’européanisation.

L’article 2 de la Constitution espagnole dispose : « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles ». La distribution des compétences entre l’Etat et les Communautés autonomes est garantie par la Constitution espagnole dans ton titre VIII. Cette distribution des compétences marque notre droit public puisqu’il se réparti entre le niveau étatique, le niveau autonome ou le niveau local qui détient la compétence. L’article 137 de la Constitution dispose que : « L’État, dans son organisation territoriale, se compose de communes, de provinces et des Communautés autonomes qui se constitueront. Toutes ces entités jouissent d’autonomie pour la gestion de leurs intérêts respectifs ».

Un droit administratif marqué par l’autonomie des communes et des provinces pour la gestion de leurs intérêts selon ce qui est établi dans la Constitution. L’article 140 dispose : « La Constitution garantit l’autonomie des communes. Celles-ci auront la pleine personnalité juridique. Leur gouvernement et leur administration incombent à leurs conseils municipaux respectifs, formés par les maires et les conseillers. Les conseillers seront élus par les habitants de la commune au suffrage universel, égal, libre, direct et secret, sous la forme établie par la loi. Les maires seront élus par les conseillers ou par les habitants inscrits. La loi déterminera les conditions dans lesquelles il conviendra d’établir le régime du conseil ouvert ».

Notre droit administratif se créé et se construit à travers des normes (lois ou règlements) et la jurisprudence créé les principes généraux qui interprètent, dirigent et structurent le droit administratif. En droit espagnol, la jurisprudence n’est pas une source directe de création de droit mais une source d’interprétation du droit.

C’est un droit protecteur et de privilèges. Il faut souligner en particulier que la régulation de la procédure administrative se trouve dans une loi spécifique. Il s’agit de la Loi n° 39-2015, du 1er octobre 2015, relative à la Procédure Administrative de droit commun des administrations publiques.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Puissance publique et limites.

Le droit administratif est basé sur un déséquilibre de pouvoir, qui se traduit par l’attribution, par l’ordre juridique, de prérogatives de puissance publique aux personnes publiques. Mais ce déséquilibre se trouve en même temps compensé par un ensemble de garanties qui limite et canalise le pouvoir : la procédure administrative, les finalités qui la justifie, le contrôle administratif et judiciaire, la responsabilité administrative, la garantie patrimoniale – notamment l’indemnisation et la responsabilité administrative – les différents versants du principe de légalité (principe de légalité, soumission à la loi et à l’ensemble de l’ordre juridique…)

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

Le Professeur Eduardo García de Enterría (1923-2013)

Juriste espagnol du XXème siècle, il a joué un rôle essentiel dans la création et la formation du Droit public en Espagne. Il a été avocat au Conseil d’Etat ainsi que professeur d’Université depuis 1957 à Valladolid et, ultérieurement, à l’Université Complutense de Madrid en 1962.  Sa grande contribution au droit administratif espagnol et international se retrouve particulièrement dans « Cours de Droit Administratif », en deux volumes, en collaboration avec Tomás Ramón Fernández ainsi que dans ses nombreuses publications, puisqu’il a publié plus de trente livres.

Il faut plus particulièrement citer :

  • Révolution Française et Administration contemporaine (« Revolución Francesa y Administración contemporánea »)
  • La langue des droits (« La lengua de los derechos »)
  • La lutte contre les immunités du Pouvoir dans le Droit Administratif (« La lucha contra las inmunidades del Poder en el Derecho administrativo »)
  • La responsabilité patrimoniale de l’Etat-législateur dans le Droit espagnol (« La responsabilidad patrimonial del Estado legislador en el Derecho español »)
  • Démocratie, juges et contrôle de l’Administration (« Democracia, jueces y control de la Administración »)
  • La Constitution comme norme et le Tribunal Constitutionnel (« La Constitución como norma y el Tribunal Constitucional »)

Il a aussi reçu plusieurs prix :Prix Prince d’Asturies de Sciences Sociales (1984), Alexis de Tocqueville de l’Institut Européen d’Administration (1999) et le Prix International Menéndez Pelayo (2006). Enfin, il a reçu le titre de Docteur honoris causa, remis par diverses Universités espagnoles, européennes et d’Amérique Latine.

Prof. Jesus Leguina  (1941- 2016)

Il a d’abord exercé à la chaire de San Sebastian, où il en fut aussi le Doyen. Il poursuivit par la suite à l’Université de Alcalá de Henares.Il a été le directeur de thèses en doctorat d’importants juristes espagnols, tous dédiés à la vie universitaire dans les diverses Universités espagnoles.On relève parmi eux: Luis Ortega, Miguel Sánchez Morón, Carmen Chinchilla, Iñaki Agirreazkuenaga   Martín Razquin, Diego Vera, Eva Desdentado, Ximena Lazo y  Edorta Cobreros, notamment. Il est élu magistrat du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire et il fut aussi Magistrat au Tribunal Constitutionnel (de février 1986 à juillet 1992).  En 1992, il reprend son activité universitaire et occupe la chaire de Droit Administratif.  En 1994 il est élu Conseiller de la Banque d’Espagne, poste qu’il occupa jusqu’à 2000. Ultérieurement, il exerça un second mandat de 2004 à 2010. En 2006, le titre de Docteur Honoris Causa lui est remis par l’Université de Castilla-La Mancha.

Il convient de citer parmi ses diverses œuvres :

  • La responsabilité civile de l’Administration publique, 1970 (La responsabilidad civil de la Administración Pública)
  • Dépenses publiques et manquements aux contrats d’œuvres éducatives, 1978 (Gasto público e incumplimiento de contratos de obras educativas)
  • Ecrits sur les autonomies territoriales, 1984 (Escritos sobre autonomías territoriales)
  • Nouvelle règle du régime juridique des Administrations publiques, 1993 (Nueva Ley de régimen jurídico de las Administraciones Públicas)
  • Action administrative et développement rural, 1994 (Acción administrativa y desarrollo rural)
  • La réforme de la Loi de la juridiction contentieuse-administrative, 1995 (La reforma de la Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa)

Prof. Luciano Parejo

Professeur de Droit Administratif de l’Université de La Laguna (1983) et d’Alcalá de Henares (1989) et, depuis 1990, de l’Université Carlos III de Madrid. Il a été Doyen de la faculté des Sciences Sociales et Juridiques de l’Université Carlos III de Madrid, Secrétaire Général et Vice-recteur du corps-enseignant et des Services et Vice-recteur de Coordination. Il a été également Recteur de l’Université International Menéndez Pelayo en 2005 et 2006 et nommé Recteur Honoraire en 2008. Directeur Général de l’Institut de l’Administration Locale (1983-1985) ; Secrétaire Adjoint des Ministères d’Administration Territoriale (1985-1986), et des Administrations publiques  (1986-1987) ; Président de l’Institut National d’Administration Publique (1987-1989).Il a été honoré du titre de Docteur Honoris Causa attribué par plusieurs universités : l’Université de Tucumán (Argentine), l’Université Catholique de Tachira (Venezuela) et l’Université de Valparaiso (Chili).

Il faut citer, parmi ses œuvres récentes :

  • Transformation et réforme du droit administratif en Espagne. Edité par INAP (Institut d’Administration Publique), Editorial Derecho Global. Madrid 2012 («Transformación y ¿reforma? del Derecho Administrativo en España»)
  • La Discipline Urbanistique, 2e Edition, Editorial Iustel, 2012 (“La Disciplina Urbanística”)
  • Le Concept de Droit Administratif, Ed. Jurídica Venezolana y Universidad Externado de Colombia, 2ª ed. Actualizada, Bogotá 2009, 594 p. (“El concepto del Derecho Administrativo»)
  • Commentaires du Texte Refondé de la Loi du Sol Real Decreto Legislativo 2/2008, du 20 juin, en collaboration avec G. Roger Fernández, Ed. Iustel, Madrid, 2009 («Comentarios al Texto Refundido de la Ley de Suelo»)
  • Loi de la juridiction contentieuse-administrative. Ed. Tirant lo Blanch, Valencia 2008 (“Ley de la jurisdicción contencioso-administrativa”)

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

  • Loi 39/2015 du 1er octobre, sur la Procédure Administrative commune des Administrations Publiques. Cette loi encadre la procédure administrative générale que doivent suivre toutes les Administrations espagnoles lorsqu’elles exercent leur pouvoir administratif. Elle établit les étapes, qui peuvent être précisées par d’autres normes. Elle régule la procédure administrative, le régime juridique des actes administratifs, les différents contrôles de l’Administration (notamment les recours administratifs), les procédures de sanction et de responsabilité administrative. La grande nouveauté est que la Loi prévoit un fonctionnement entièrement électronique, qui, selon le Préambule, permet de mieux servir “ les principes d’efficacité et d’efficience, en économisant des coûts aux citoyens et aux entreprises, et renforce les garanties des intéressés”. Cette loi renforce, avec les autres lois de transparence adoptées par l’Etat et la Catalogne, le principe de bonne administration. En effet, l’enregistrement des documents et des actions menées dans un dossier électronique facilite le respect des obligations de transparence, puisque cela permet d’offrir aux intéressés une information ponctuelle, souple et actualisée.La loi introduit, dans le titre VI, la régulation sur l’initiative législative et le pouvoir normatif des Administrations Publiques. Sont retranscrits dans la loi les principes que doit respecter l’Administration dans l’exercice de son pouvoir, rendant ainsi effectifs les droits constitutionnels en la matière.
  • La loi 40/2015 du 1er octobre, du Régime Juridique du Secteur Public. Cette loi encadre, comme son nom l’indique, le régime juridique des Administrations Publiques ainsi que celui du secteur public institutionnel.Elle présente la réforme de l’organisation et du fonctionnement du secteur public et régule ad intra le fonctionnement interne de chaque Administration et des relations entre elles.Son article 2 énumère tout ce que comprend le concept de secteur public. Celui-ci est formé par: l’Administration Générale de l’Etat, les Administrations des Communautés Autonomes, les Entités qui intègrent l’Administration Locale et le secteur public institutionnel.Le secteur public institutionnel est formé par: a) tous les organismes publics et entités de droit public liées ou dépendantes des Administrations publiques ; b) Les entités de droit privé liées ou dépendantes des Administrations Publiques qui sont soumises au respect de ce que prévoit les normes de la Loi qui se réfèrent spécifiquement à celles-ci, en particulier aux principes prévus dans l’article 3, et, dans tous les cas, lorsqu’ils exercent les pouvoirs administratifs ; c) Les Universités publiques qui se régissent par leur propre loi spéciale ainsi que par les prévisions de la présente loi. Cette législation régule le régime juridique administratif, applicable à toutes les Administrations Publiques ainsi que le régime juridique spécifique de l’Administration Générale de l’Etat. Enfin, la Loi régule les relations internes entre les Administrations, instaurant les principes généraux des actions administratives et les relations entre les différentes personnes publiques.
  • Décret Royal Législatif 3/2011, du 14 novembre, par lequel est adopté le texte refondé de la Loi des Contrats du Secteur public. Par ce Décret Royal, ont été réunies en un texte unique toutes les modifications introduites à la Loi 30/2007, du 30 octobre par diverses lois modificatives qui ont donné une nouvelle rédaction à certains concepts ou qui ont introduit de nouvelles dispositions.
  • La Loi 30/2007, qui transpose la Directive 2004/18/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. La Directive 2014//24/UE du Parlement Européen, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE. De plus, l’Union Européenne a adopté une autre Directive 2014/23/UE du Parlement Européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession. Elles n’ont pas encore été transposées en droit espagnol. Depuis le 16 mars 2017, le Congrès discute du Projet de Loi des Contrats du Secteur Public, par lequel sont transposées dans l’ordre juridique espagnol les Directives du Parlement Européen et du Conseil 2014/23/UE et 2014/24/UE, du 26 février 2014.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

En Espagne, c’est très difficile de choisir des décisions juridictionnelles qui déterminent la ligne jurisprudentielle. La raison, comme on déjà dit, c’est que la Constitution, la loi, les règlements priment sur la jurisprudence qui n’a que pour fonction de compléter l’ordonnancement juridique.

  • Le Tribunal Constitutionnel (Ley Orgánica 2/1979, de 3 de octubre del Tribunal Constitucional, LOTC ) est l’interprète suprême de la Constitution, grâce à différents mécanismes prévus dans l’art 2 LOTC.
  • Le recours d’Amparo protège contre les violations des droits fondamentaux et des libertés publiques (article 14 a 29 de la Constitution). L’Amparo constitutionnel a pour seul objectif le rétablissement, la protection des droits et libertés selon l’article 41.
  • On ne peut pas oublier le rôle déterminant que joue la jurisprudence du Tribunal de justice de l’Union Européenne dans l’interprétation des normes qui sont de manière directe ou indirecte déterminés par le droit européen.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Je crois que oui. Le droit administratif d’hier c’était un droit administratif « obscur » qui tournait sur l’Administration elle-même et, quelques fois, en défense des intérêts propres de l’Administration.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Aujourd’hui l’intérêt public et la forme de sa détermination devient le centre du droit public. Cette détermination qui devient chaque fois plus transparente et pourtant plus proche des citoyens qui peuvent connaitre et contrôler le processus à travers lequel l’administration décide.  Le dossier, « l’expédient » administratif doit être connu pour le citoyen et comme ça connaitre les vraies motivations de la décision administrative.

Le droit « d’hier » était un droit de contrôle préalable, avec des mécanismes d’autorisation, permission… ou même de silence négatif.  Le droit d’aujourd’hui, influencé par le droit européen est devenu un droit de contrôle a posteriori. Le droit européen repose sur l’élimination des obstacles injustifiés et disproportionnés pour l’accès et l’exercice d’une activité administratives et de services mais il laisse au régulateur la détermination des besoins proportionnés pour pouvoir exercer l’activité et aux entrepreneurs de services la responsabilité de les accomplir pour pouvoir commencer son activité. L’Administration doit se convertir dans le droit administratif « d’aujourd‘hui » :  une Administration qui exerce un contrôle a posteriori.

Le droit Administratif devient et encore deviendra dans le futur immédiat un droit plus efficient, plus claire, plus accessible, et surtout comportera une modernisation de l’organisation administrative, qui devra être plus au service du citoyen et moins au service de l’Administration et moins au service seulement des grands acteurs économiques.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Non, le droit administratif ne reste plus un droit national fermé même s’il y a toujours des structures, techniques, sources qui sont tout à fait propres et qu’appartiennent à l’idiosyncrasie de chaque pays. Mais le droit international surtout en matière économique (secteurs économiques et contrats) à travers les grandes institutions (comme le FMI, la Banques Mondiale, le BID, )  ou des organismes internationales ( OMC, OCDE…) imposent des règles Dans le cas de l’Europe, le droit primaire et le droit dérivé ont transformé notre manière de faire, de comprendre et d’appliquer le droit. Les Règlements, les directives, avec quelques fois notre lente transposition, et les arrêts de la CJUE ne nous permettent plus d’appliquer et d’interpréter notre droit sans devoir aller vers une conception plus large du droit.

Cette influence, soit européenne soit plus internationale, suppose aussi que les droits internes soient transformés par ces nouveaux principes et règles qui inspirent et structurent nos droits administratifs.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Une place très importante de régulateur et d’arbitre d’une activité économique qui ne se tient pas seulement avec les règles des marchés. La dernière crise financière nous a montré l’importance de la régulation, des autorités indépendantes, du contrôle de l’Administration…. La libéralisation des marchés nous a fait prendre conscience qu’il faut une intervention publique pour que le marché fonctionne. L’organisation de l’Administration doit aussi être une partie importante dans l’avenir du droit administratif. Il faut construire une Administration au service de l’intérêt public qui réponde aux besoins de la société et pas une Administration qui trouve son but à accomplir les volontés des hauts fonctionnaires de l’Administration. Il faut redéfinir qu’elle sorte d’employés de l’Administration nous souhaitons : des fonctionnaires ? des employés soumis au code du travail ? La réponse est très importante parce qu’on aura une Administration plus ou moins objective, plus au moins au service du pouvoir.   En l’Espagne, il y a des changements dans beaucoup d’emplois dans les services publics qui sont passés d’emplois occupés par des fonctionnaires à des emplois occupés par des différents sortes de contrat de travail. Les contrats publics avec ses principes (publicité, transparence, concurrence, égalité, non-discrimination) seront dans le noyau de tout sorte d’emploi des fonds publiques. L’extension subjective et objective des contrats publics sera un des grands sujets du droit administratif contemporain et futur. Et finalement et toujours la détermination de l’intérêt public et sa recherche que finalement est la raison et le but de la puissance publique.

 

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif », (dir. Touzeil-Divina); Art. 167.

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Questionnaire du Pr. Ciaudo (27/50)

Alexandre Ciaudo
Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté

Art. 166.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit régissant l’organisation et le fonctionnement de l’activité administrative.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

A mon sens, le droit administratif s’inscrit dans la continuité de l’action de l’Etat et des personnes publiques. Il n’y a donc pas un droit administratif d’hier et un droit administratif de demain. Le droit administratif évolue avec l’activité administrative qu’il est censé régir.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif réside dans le fait qu’il est façonné et en permanence remodelé par le Conseil d’Etat. La dualité fonctionnelle du Conseil d’Etat français, à la fois conseil de Gouvernement et juge administratif suprême, chargé donc de donner son avis sur les textes de lois et de décrets, mais également de contrôler la légalité de l’action administrative, constitue la spécificité du droit administratif français. Elle résulte ainsi non seulement de la conception spécifique française de la séparation des pouvoirs, mais également du choix du constituant d’avoir conservé une institution napoléonienne.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Je dirais que le moteur du droit administratif est la légalité et que la route suivie est la sécurité juridique.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

A mon sens, il ne le peut pas. Comme l’a parfaitement démontré Guy Braibant (G. Braibant , « Du simple au complexe : Quarante ans de droit administratif (1953 – 1993) », EDCE, 1993, p. 409), le droit administratif est par essence complexe compte tenu de son objet. Les règles du droit administratif peuvent donc être vulgarisées pour être mises à la portée de tout le monde, mais ce faisant, elles perdraient de leur rigueur et de leur sens.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Sans doute, mais il ne s’agit pas d’une fatalité. L’activité administrative elle-même ne pouvant plus être exécutée de manière autocentrée, le droit qui la régit subit les influences extérieures. Il s’enrichit et s’inspire d’exemples étrangers. Le dialogue des juges en est un parfait exemple.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Oui. Et il le restera certainement. La preuve en est que la multiplication des codifications récentes consiste souvent à codifier des jurisprudences du Conseil d’Etat (V. par exemple le récent code des relations entre le public et l’administration). L’activité administrative ne cesse d’évoluer et le juge administratif reste amené à l’envisager avant le législateur ou le pouvoir réglementaire.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Léon Duguit;
  • Maurice Hauriou ;
  • Edouard Laferrière.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 21 juin 1895 « Cames» (responsabilité sans faute) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 13 décembre 1889 « Cadot » (fin de la théorie du ministre-juge) ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 17 février 1950 « Ministre de l’agriculture contre Dame Lamotte» (soumission par principe des actes administratifs à la légalité).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Les décrets ;
  • Les lois ;
  • Les directives communautaires.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

La Bible (Ancien Testament)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les colonnes de Buren.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 5à nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); art. 166.

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Questionnaire de M. Barrué-Belou (26/50)

Rémi Barrué-Belou
Maître de conférences à l’Université de la Réunion

Art. 165.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est le droit de la puissance publique, dépassant le droit commun par une volonté de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. L’intérêt général étant relatif et contingent, le droit administratif est un droit évolutif qui se construit principalement par la jurisprudence de l’ordre juridictionnel administratif.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

L’évolution des règles et du régime s’appliquant au droit administratif permettent d’établir le constat d’une intégration de logiques privatistes et commerciales (rentabilité, réduction des risques pour les co-contractants privés, insertion de clauses propres au contrat de droit privé). Ainsi, si l’on devait qualifier un « droit administratif d’hier », il serait possible de le qualifier du droit de la puissance publique et de l’exorbitance alors que le « droit administratif de demain » semble pouvoir davantage être qualifié de droit mixte.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Pas de réponse

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Pas de réponse

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Comme toute discipline scientifique, son accès ne peut résulter que de l’explication, l’information et l’apprentissage (tout relatif soit-il).

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Seul un juge peut condamner. Le sort du droit administratif sera celui que nous (citoyens, gouvernants, législateur et enseignants-chercheurs) souhaiteront lui donner. Le droit commercial, qui est l’une des matières juridiques les plus anciennement internationalisé, n’a pas vraiment fait l’objet d’une globalisation, à l’heure actuelle. Le droit administratif étant le droit de la puissance publique et donc manifestant la souveraineté d’un État, il ne fera pas rapidement l’objet d’une globalisation.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si certains pans du droit administratif sont encore fortement marqués par la touche prétorienne, l’influence de l’Union européenne est de plus en plus prégnante (le droit de la commande publique en est un exemple évident).

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Gerando
  • Foucart
  • Duguit

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Blanco,
  • Terrier,
  • Société Arcelor et autres.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Davantage que des normes, je verrais deux idées fondamentales : la prévalence de l’intérêt général, l’exorbitance du droit commun.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

L’être humain, tant par sa capacité évolutive suivant les époques que par son choix de valoriser l’intérêt général en raison de sa vie au sein d’une société.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ainsi parlait Zarathoustra, car il caractérise l’Homme qui doit dépasser Dieu et devenir un surhomme, notamment par l’association.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le droit administratif serait davantage un musée d’art contemporain car il intégrerait perpétuellement de nouvelles œuvres.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04: « 50 nuances de Droit Administratif » (dir. Touzeil-Divina); Art. 165.

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ParJDA

Questionnaire du Pr. Aubin (25/50)

Emmanuel Aubin
Professeur agrégé à l’Université de Poitiers

Art.164.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est, avant tout, le droit du fonctionnement de l’Etat ; il a pour objet de rendre possible la poursuite de missions d’intérêt général avec des moyens publics, dans le cadre d’actes imposés et non négociés (à l’exception des contrats administratifs qui restent toutefois singuliers à l’aune du consensualisme propre au droit des obligations) et par l’intermédiaire de travailleurs qui sont dans une situation légale et réglementaire et doivent respecter des obligations inhérentes à l’activité de service public, laquelle implique de servir l’intérêt général sans se servir ou s’asservir.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier a posé les jalons des grands principes du procès administratif et comblé les carences ou l’absence de normes écrites qui l’ont progressivement rattrapé. Essentiellement protecteur des prérogatives de l’administratif, le droit administratif devient de plus en plus protecteur des administrés et des agents publics. Afin de ne pas être débordé par l’insécurité juridique inhérente à l’inflation normative, le droit administratif de demain sera marqué par la révolution de l’open data ; il sera un droit administratif moins secret, plus ouvert, plus pédagogique également ; Le droit administratif laisse également une place plus importante à la contractualisation dans ses différentes branches (action publique, fonction publique, droit des collectivités territoriales).

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif tient à la place de l’acte unilatéral, le consensualisme demeurant l’exception malgré un développement de la contractualisation. L’activité publique reste et sera toujours soumise au respect de principes et de valeurs qui sont propres au droit administratif car ce dernier s’inscrit clairement comme l’ont montré les travaux de la doctrine depuis Duguit dans une perspective holiste.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Rivero avait magistralement démontré que la guerre des critères ne devait pas avoir lieu mais, aujourd’hui, le contexte montre que la puissance publique devient de nouveau l’un des critères d’application ou à tout le moins un moteur essentiel du droit administratif.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif peut gagner en pédagogie avec des arrêts qui seraient plus compréhensibles. Un premier pas purement formel a été franchi avec la numérotation des considérants qui confère une plus grande lisibilité aux décisions et au syllogisme juridique appliqué par le juge. Le recours au droit souple permet également de vulgariser le droit administratif en rappelant dans des documents non normatifs (comme les chartes) les exigences juridiques (textuelles et jurisprudentielles) parfois complexes s’appliquant à l’action administrative. Comment ne pas mentionner, également, la recréation du JDA et sa dématérialisation ?

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Comme l’ont montré les travaux précurseurs du professeur Auby, la question est désormais derrière nous ; le droit administratif est d’ores et déjà globalisé depuis que la révolution Nicolo a permis au juge administratif de neutraliser l’application de la loi en faisant primer des normes européennes et internationales sur des dispositions législatives incompatibles. Il n’en demeure pas moins que la tendance à la rationalité managériale et à la création de pôles a sans doute pour effet de globaliser les enjeux juridiques au cœur des décisions des acteurs publics. En outre, le droit venu d’ailleurs a contribué à enrichir les sources du droit administratif qui est sans doute devenu plus pragmatique au contact de la globalisation juridique.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si le droit administratif a été rattrapé par les textes, il n’en demeure pas moins que, chaque année, le juge administratif suprême rend plusieurs milliers de décisions qui contribuent à façonner des politiques jurisprudentielles dont les décideurs publics ne peuvent faire l’économie pour agir utilement et faire reposer leurs décisions sur une certaine sécurité juridique. Toutefois, il serait réducteur d’assimiler le droit administratif au seul contentieux car, comme le souligne le professeur Truchet, le droit administratif est, avant tout, un « art de la décision ».

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Laferrière a joué un rôle décisif en identifiant clairement la structure du contentieux administratif et en mettant en évidente la dimension prétorienne du droit administratif.
  • Duguit a contribué à inscrire le droit administratif dans une dimension holiste incarnée par la notion de service public.
  • De son côté, Hauriou a mis en évidence le rôle essentiel de la puissance publique dans le fonctionnement des personnes morales de droit public soumises au droit administratif.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Partant du postulat du grand processualiste Motuloski (« Le droit n’atteint sa plénitude que lorsqu’il se réalise), les grands arrêts du droit administratif sont ceux qui ont permis aux administrations et aux fonctionnaires et usagers de voir le juge administratif exercer pleinement et efficacement son office. Sous ce rapport, le premier grand arrêt (CE, 29 mars 1901, Casanova) est celui qui est à l’origine d’une politique d’ouverture du prétoire du juge administratif. Le deuxième plus grand arrêt pourrait être la décision Association AC ! du 11 mai 2004 par laquelle le juge de l’excès de pouvoir a intégré une dimension très réaliste dans son office en rendant possible la neutralisation, dans des conditions clairement précisées, de l’effet rétroactif d’une annulation contentieuse.  Le troisième grand arrêt est la décision Danthony de décembre 2011 (qui concernait du reste une Université) dans laquelle le Conseil d’Etat fait œuvre de pragmatisme en permettant au juge de sauver de la censure une décision dont l’illégalité externe n’a pas exercé d’influence décisive sur la prise de décision ni privé le requérant d’une garantie substantielle.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Le principe d’égalité est une norme essentielle au cœur des grandes branches du droit administratif et trouve à s’appliquer notamment à travers une autre norme essentielle (la non-discrimination) qui génère des obligations de faire et de ne pas faire pour les acteurs du droit administratif.
  • La neutralité est une norme importante qui permet au droit administratif de revêtir une dimension axiologique qui singularise nettement l’action administrative ( et son contrôle) de l’activité au sein du secteur marchand.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif serait une petite souris qui se glisserait sous la table des délibérations afin de rendre possible une meilleure compréhension de certaines décisions réservées parfois aux seuls initiés.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Ne jugez pas d’André Gide qui explore les ressorts psychologiques d’affaires déconcertantes pour la justice

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La bataille de San Romano de Paolo Uccello peinte sur trois tableau car les relations juridiques sont souvent triangulaires en droit administratif.

 Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 164.

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Questionnaire du Premier Conseiller Vauterin (24/50)

Amaury Vauterin
Premier Conseiller de Tribunal Administratif

Art. 163.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

C’est une question dont on sait qu’elle est difficile parce que définir, c’est délimiter, et que le droit administratif ne se laisse pas facilement circonscrire.

Pour beaucoup d’auteurs et depuis des décennies, le droit administratif se définit d’abord par des critères. On sait que c’est un droit spécial, prétorien, qu’il a partie liée avec le service public ou la puissance publique et qu’il trouve à s’appliquer à des personnes publiques et parfois privées… Mais il ne s’agit là que de définitions partielles ou imparfaites.

Alors quitte à choisir une définition, je vous propose de faire un bond de cent cinquante ans en arrière et de relire celle que nous proposait un des maîtres du droit administratif au XIXe siècle, Léon Aucoc, quelques années avant l’arrêt Blanco (TC, 08 fév.1873), et qui me semble encore d’actualité : « Le droit administratif détermine : 1° la constitution et les rapports des organes de la société chargés du soin des intérêts collectifs qui font l’objet de l’administration publique, c’est-à-dire des différentes personnifications de la société, dont l’Etat est la plus importante ; 2° les rapports des autorités avec les citoyens » (Introduction à l’étude du droit administratif, 1865).

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Ce qui fait le droit administratif, c’est d’abord la jurisprudence du Conseil d’Etat. Et celui-ci est d’hier et d’aujourd’hui. Il n’y a donc pas de raison qu’il ne soit pas également de demain.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Etonnamment, sa dimension presque religieuse.

Il y a dans le droit administratif français quelque de chose de fascinant et d’hypnotique, qui le place aux confins de l’ordre juridique et de l’ordre symbolique, même si son histoire – l’héritage du droit romano-canonique et deux siècles de patiente construction depuis le début du XIXe siècle – ne suffit pas à l’expliquer.

Sans besoin de convoquer Georges Gurvitch (La magie et le droit, 1938), il apparaît de manière évidente que le droit administratif recèle une sorte de puissance mystérieuse venue du fond des âges et qu’il ne se réduit pas à un artéfact de nos sociétés contemporaines ni à un simple instrument de régulation des rapports sociaux.

Ces notions d’intérêt général, de service public, d’ordre public, de prérogatives puissance publique, qui nous sont si familières, sont des sources inépuisables de sens et leur application au réel permet de résoudre toutes les difficultés contentieuses, de garantir tous les droits du public et de légitimer tous les actes administratifs, pourvu qu’ils tendent à l’utilité commune. Mais elles constituent également « un matériel symbolique justifiant par avance la régulation administrative » (Jacques Caillosse, Droit public, droit privé : sens et portée d’un partage académique, Ajda 1996, p. 955), participant « d’une royauté du droit administratif« , selon l’expression de Pierre Legendre (Trésor historique de l’Etat en France, 1992).

Le Conseil d’Etat fait lui-même remonter ses origines au Moyen-Âge, à l’époque où il était le conseil d’un roi de droit divin, et l’on sait que dans la Rome des origines, le prêteur avait tout à la fois des fonctions juridictionnelles et religieuses. Et si la Haute assemblée est parfois contestée dans ses décisions, personne ne lui dénie sa hauteur de vue ni la profondeur intemporelle de sa jurisprudence qui trouve toujours ses origines dans des principes anciens, muris par le temps, par l’expérience et par l’histoire. Quand le Conseil d’Etat a parlé, la cause est entendue. Roma locuta, causa finita.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

C’est une question malicieuse, comme si le droit administratif, par-delà la multiplicité de critères qui le distinguent, pouvait se réduire à l’un d’entre eux : plus profond, plus fort, plus saillant.

En fait, de tous les critères possibles, le critère organique me semble le plus pertinent : le droit administratif, c’est d’abord le droit de l’administration, le droit applicable à l’administration dans ses rapports avec le public, et par extension, le droit applicable à toute personne privée qui, par sa nature ou l’objet de ses missions, est liée à l’administration ou en reçoit l’onction et les moyens.

Dans une formule presque paulinienne, l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 énonce que « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation » et que « Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». L’administration n’est qu’une des formes visibles de notre Etat-Nation issu du Moyen-Âge et il n’existe aucune mission de service public, aucune prérogative de puissance publique qui ne soit d’abord reconnue ou octroyée par l’administration, fût-elle confiée à une personne privée. Lorsqu’elle ne dirige pas, l’administration gouverne, et le droit administratif en est sa langue et son instrument.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Je crois qu’il est déjà mis à la portée de tout monde, à travers de très bons ouvrages et des sites Internet accessibles à tous.

Maintenant, s’il s’agit de permettre au plus grand nombre d’accéder à la science du droit administratif et de se l’approprier, je proposerai juste que les gens viennent assister pendant une demi-heure à une audience au Conseil d’Etat : ce qui se dit, ce qui se passe est incompréhensible pour les non-initiés. Mais tout un chacun lors d’une séance de jugement au Palais Royal, y compris les plus ignorants en droit administratif, sentent bien que ce qui se dit est important et que ce qui se passe est sérieux. Au sortir d’une audience, il n’y a qu’une seule sensation possible : celle d’avoir été au contact de la chose publique… Leçon numéro 1 du droit administratif.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Cette question résonne comme s’il s’agissait d’une condamnation à mort.

La globalisation du droit administratif est une réalité incontestable et un fait inéluctable, résultant de la mondialisation, de la constitution de grands ensembles régionalisés et d’organisations internationales spécialisées. Je ne sais pas ce que le droit administratif français va y gagner. Pourvu seulement qu’il ne perde pas son âme.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Quand on relit le recueil de jurisprudence du Conseil d’Etat publié par Jean‑Baptiste Sirey au début du XIXe siècle ou par Louis-Antoine Macarel quelques années plus tard, on voit qu’à l’époque, tout était à construire, et que le Conseil d’Etat construisait tout. Depuis, des lois et des règlements ont remplacé des principes de jurisprudence dégagés en leur temps par le juge.

Il reste toutefois quelque chose d’essentiellement prétorien dans le droit administratif : l’héritage, le trésor de deux siècles de jurisprudence, que le Conseil d’Etat sait mobiliser face à toute situation nouvelle. N’a-t-il pas convoqué et combiné les jurisprudences Benjamin (19 mai 1933, rec. p. 541) et Commune de Morsang-sur-Orge (27 octobre 1995, rec. p. 372) pour résoudre les difficultés que lui posait l’organisation des spectacles de M. Dieudonné M’Bala Bala (CE, 9 janvier 2014, n° 374508) ?

Si la jurisprudence antique du Conseil d’Etat continue d’éclairer l’application des textes, y compris des plus récents, il n’en demeure pas moins que les arrêts de création prétorienne, c’est-à-dire les principes dégagés par le juge dans le silence de la loi, se font de plus en plus rares. L’arrêt d’assemblée n° 387763 du 13 juillet 2016, qui pose le principe selon lequel le destinataire d’une décision administrative ne comportant pas la mention des voies et délais de recours prévue à l’article R. 421-5 du code de justice administrative ne peut pas exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, est un des exemples récents de ce pouvoir créateur du juge administratif, à l’instinct démiurgique.

Le plus intéressant finalement, c’est de voir que malgré les progrès de la loi, nous avons toujours besoin d’un Conseil d’Etat pour donner aux textes leur exacte portée et pour suppléer leurs insuffisances ; et de savoir que le Conseil d’Etat a, dans son office, une exacte perception de ce qui est nécessaire à l’administration et que cette vision est nourrie de la jurisprudence la plus sure.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Je crois que je ne fais d’injustice à personne si je réponds : les premiers (Macarel, Cormenin, Gérando).

  • Louis-Antoine Macarel est cet arrêtiste du Recueil des arrêts du Conseil d’Etat sur toutes les matières du contentieux de l’administration, futur recueil Lebon, dont le premier volume comporte cette très belle apologie de la jurisprudence : « La connaissance de la loi, c’est-à-dire de son texte et de son esprit, est (…) insuffisante ; celle de la jurisprudence est indispensable à tous ceux qui veulent s’instruire des droits et des obligations de chacun. La jurisprudence, en effet, corrige l’imperfection des lois, en détruit l’incohérence, en remplit les lacunes : aussi son étude doit-elle être faite avec soin. Les Arrêts forment cette jurisprudence ; (…) Le jurisconsulte qui veut acquérir des idées précises sur le sens des lois doit donc ne point négliger la connaissance des arrêts ; c’est par leur rapprochement, leur conférence et leur mutuelle interprétation qu’il doit parvenir à fixer ses opinions sur les questions douteuses ou controversées.» (Recueil, 1821, avertissement de l’éditeur, p. 2).
  • Louis-Marie de Cormenin (Questions de droit administratif, 1822)
  • et Joseph-Marie de Gérando (Institutes du droit administratif français, 1829), sont pour leur part des organisateurs et des classificateurs du droit administratif.

Mais il ne serait toutefois pas équitable de passer sous silence ceux qui ont tenté, avant les Pères, de recenser l’ensemble des lois administratives, comme on disait à l’époque, et de les publier dans des sortes de codex à l’usage des administrateurs : Rémi Fleurigeon, chef de bureau au ministère de l’intérieur, auteur en 1801 d’un Manuel administratif, réédité en 1806 sous le titre Code administratif, et Claude-Joseph Lalouette, sous-préfet, qui a publié en 1812 ses Eléments de l’administration pratique, comportant une classification des lois administratives depuis 1789.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

La construction du droit administratif résulte sans doute de l’agglomérat de plusieurs dizaines de décisions de justice fondamentales. J’aurais donc bien des difficultés à en sélectionner trois.

J’évoquerai donc plutôt des arrêts qui, dans les premières années du Conseil d’Etat moderne, ont fait des conseils de préfecture, futurs tribunaux administratifs, de vraies juridictions, à une époque où tout était à faire en jurisprudence et où il fallait procéder en ce domaine à un véritable partage des eaux :

  • les arrêts Delpech (7 février 1809)
  • et Guillaumanche (28 novembre 1809), selon lesquels les conseils de préfecture, comme les tribunaux, ne peuvent rapporter ni réformer leurs propres décisions, ou encore
  • l’arrêt Feillens (10 février 1816) qui précise que le Conseil d’Etat, juge du contentieux, ne procède ni par voie d’approbation, ni par voie de censure des décisions des conseils de préfecture mais qu’il rend au contraire des décisions de justice administrative.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Il s’agit moins de normes que de considérations ou de paramètres, déterminants à mon sens de l’esprit du droit administratif :

  • la compétence liée, qui bride l’administration ;
  • l’urgence, qui lui permet de s’affranchir des règles communes ;
  • les circonstances, qui doivent être appréciées par l’administration et qui peuvent justifier que le juge censure ses actes ou au contraire qu’il les valide.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un pélican, dont les mythes anciens disent qu’il se sacrifie pour ses petits affamés et qu’il les nourrit de son propre foie.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Sans nul doute, un livre d’Aristote, le père du réalisme, loin de l’idéalisme platonicien.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La pyramide de Kheops, la seule des sept merveilles du monde à avoir passé l’épreuve des siècles.

 

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 163.

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Questionnaire du Maître des requêtes Roxanna (23/50)

Katerina Roxanna
Maître des Requêtes au Conseil d’État Hellénique

Art. 162.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Selon une longue tradition qui remonte à l’antiquité gréco-romaine, il existe une division fondamentale du droit entre droit public et droit privé. Le droit administratif est une branche particulière du droit public qui se réfère à l’exercice de la puissance publique par les organes administratifs de l’État et des personnes morales publiques.

2 – Qu’est-ce qui fait la singularité du droit administratif de votre pays ?

Le droit administratif a connu un développement satisfaisant en Grèce à partir du fonctionnement du Conseil d’État (1929). Sa jurisprudence, amplement inspirée de la jurisprudence du Conseil d’État français et de la doctrine française, permit de reconnaître des principes généraux et de formuler des règles spéciales relatives au fonctionnement de l’administration publique.

3 – Peut-on le caractériser par un critère ou une notion juridique ?

Il s’agit d’un “droit jurisprudentiel”, c’est-à-dire très largement créé par le juge.

4 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) les « pères » les plus importants de ce droit administratif ?

Les pères les plus importants de droit administratif grec sont :

  • Michail Stassinopoulos;
  • Georges Papahatzis;
  •  Epaminondas Spiliotopoulos.

Les deux premiers, fondateurs de droit administratif grec, étaient en même temps Conseillers d’État et professeurs de droit administratif à Panteion Université des Sciences Politiques, Sociaux et Économiques. Michail Stassinopoulos est même devenu le premier Président de la République Hellénique, après la chute de la dictature (1974) et il constitue un modèle de l’indépendance des juges. Épaminondas Spiliotopoulos, académicien et professeur de droit administratif à la faculté du droit de l’Université d’Athènes, est reconnu par la communauté internationale des juristes de droit public.

5 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les normes les plus importantes de ce droit administratif ?

Les normes les plus importantes de droit administratif grec sont le principe de légalité, la protection de l’intérêt général ainsi que la protection de l’administré.

6 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) les décisions juridictionnelles les plus importantes de ce droit administratif ?

  • La décision 1/1929 du Conseil d’État, se référant à la garantie d’emploi des fonctionnaires prévue par la Constitution de 1911. Le juge administratif grec, Dans son premier arrêt, la Haute Juridiction Administrative a exercé un contrôle de constitutionnalité de la loi, qui a formé un conseil de la fonction publique dont la composition n’assurait pas les garanties pour les fonctionnaires prévues par la Constitution, comme l’avait déjà fait, par voie d’exception, le juge judiciaire grec depuis la fin du 19ème siècle.
  • La décision 3034/1972 du Conseil d’Etat sur le droit d’audition préalable. Il s’agit du droit de l’administré de formuler son point de vue avant l’édiction d’un acte administratif défavorable à son égard, à la suite de sa convocation par l’organe administratif compétent. C’était le cas des licenciements massifs des juges entrepris par le gouvernement des colonels. Le Conseil d’État et son Président à l’époque Michail Stassinopoulos ont admis les recours pour excès de pouvoir formés par ces juges, parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion d’exercer leur droit d’audition préalable.
  • La décision 810/1977 du Conseil d’État sur la protection de l’environnement. Selon la Constitution, l’État doit prendre en considération la protection de l’environnement culturel (sites archéologiques) quand il organise des activités économiques (installation des chantiers navals). C’était le début d’une jurisprudence créative, prédominante jusqu’à la fin du 20 siècle, qui a inspiré la formation d’un droit à l’environnement au niveau communautaire.

7 – Existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » ?

Les notions fondamentales et les normes les plus importantes de droit administratif grec sont sans doute les mêmes, qui correspondent à la spécificité du droit public. Mais il y a eu quelques évolutions en la matière qui jouent un rôle important pour l’avenir du droit administratif et qu’on ne doit pas ignorer.

8 – Dans l’affirmative, comment les distinguer ?

Les facteurs les plus caractéristiques qui influencent l’évolution de droit administratif en Grèce sont les suivants: a) la multiplication des sources du droit due notamment au poids de plus en plus important du droit européen et international, b) l’inflation législative et réglementaire, c) l’introduction des notions de management au droit de l’administration publique (principes de productivité, d’ efficacité etc.), d) la crise économique qui a résulté à une approche étroite de l’intérêt publique qui se limite à un intérêt financier, e) la lutte contre la politisation de l’administration publique. La politisation des fonctionnaires n’a pas permis la promotion du professionnalisme et de l’esprit indépendant dans la fonction publique et a maintenu la qualité des services publics à un niveau faible.

9 – Le droit administratif reste-t-il un droit national ou son avenir réside-t-il à l’inverse dans sa « globalisation » / son « européanisation » ?

Dans un monde qui est devenu global, tous les domaines de droit sont influencés par la spécificité des droits nationaux. Dans le même sens, le droit administratif, qui reste le plus attaché traditionnellement au rôle de l’État, ne peut pas rester isolé des évolutions et des influences du droit européen.

10 – Quelle place pour le droit administratif dans la société contemporaine ?

Le droit administratif continuera à jouer un rôle central dans la société contemporaine, car ses notions et ses principes, cristallisés et interprétés par la jurisprudence, sont toujours utiles comme guides pour le bon fonctionnement de l’administration publique et en tant que garanties pour la protection du citoyen- administré, du fonctionnaire et de l’intérêt général.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Si le Droit administratif était un animal, il serait un lion en marbre qui soutient l’édifice de l’État. Selon une approche plus cynique, il serait un caméléon, petit serpent qui change très facilement de couleur.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Si le Droit administratif était un livre, il serait l’ouvrage d’Épaminondas Spiliotopoulos sur le Droit administratif hellénique, œuvre de base en la matière.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Si le Droit administratif était une œuvre d’art, ce serait Érechthéion, avec des principes généraux cristallisés par la jurisprudence, à la place des Caryatides.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 162.

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Questionnaire de Me Leguevaques (22/50)

Christophe Leguevaques
Avocat au Barreau de Paris 

Art. 161.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

C’est le droit de l’Etat de droit. C’est le droit par lequel, tel Wotan se soumettant aux règles gravées dans le bois du frêne sacré, l’Etat, qui peut devenir tout puissant, accepte de se soumettre à la loi et à la procédure. Le droit administratif n’est donc pas seulement un droit de protection de l’administration contre le monde extérieur mais également un droit d’affirmation des libertés des administrés.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Tout comme la société française d’aujourd’hui est différente de celle d’hier et sera certainement différente de celle de demain ou tout comme l’homme que je suis est différent du jeune homme de vingt ans que j’étais ou du vieillard que je serai peut être : il existe des constances, mais il y a aussi des évolutions. Ces évolutions peuvent être de toute nature (technologique, politique, économique, etc.)

Un exemple matériel, le droit administratif s’est ouvert au monde. Les traités, et notamment les textes européens, sont pleinement des sources du droit.

Un exemple processuel, le droit administratif s’est adapté aux nouvelles technologies avec le télérecours.

Des questions nouvelles se posent au droit et au juge administratif : la composition sociologique des juridictions, qui évolue également, peut avoir des influences sur les décisions rendues car, au-delà de l’application de la loi, ce sont parfois des questions de sociétés que le juge doit trancher (cf. la GPA, l’euthanasie, l’Etat d’urgence, etc.).

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

C’est l’existence d’un double ordre juridictionnel qui est le fruit de l’histoire.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

L’intérêt général qui est la clé de voute du droit administratif. Notion que l’on retrouve notamment dans l’idée de service public et qui justifie le droit exorbitant du droit commun reconnu à l’administration. Le problème (ou l’intérêt) vient du fait que la notion d’intérêt général est une notion « pâte à modeler ». C’est une dialectique qui permet au juge de tenir compte de tous les aspects, d’écouter, d’arbitrer.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Peut être en faisant comprendre qu’il n’est pas forcément un droit lourd, compliqué et anti économique mais un droit évolutif, subtil et protecteur des intérêts de tous.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Pourquoi condamné ? n’est il pas déjà globalisé ? en prise ou sous l’emprise de certains lobbies ? le droit administratif peut être un moyen de rappeler certains principes de souveraineté et notamment que les propriétaires/créanciers ne peuvent et ne doivent pas dicter leurs lois à des Etats souverains, incarnation d’un peuple uni dans un devenir commun. Le droit administratif français doit être encore plus globalisé tout en conservant sa raison d’être : défendre l’intérêt général, traduire les principes démocratiques, les valeurs républicaines face à des attaques venant d’intégrismes religieux ou de fanatismes économiques.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Avec le recours à la QPC et les possibilités de question préjudicielle à la CJUE, le droit administratif reste prétorien. Certes il y a plus de texte que dans le passé mais l’invention des juges et leur sensibilité donnent un coloration particulière à ce droit.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

S’il avait un père, ce serait le Conseil d’Etat qui a su évoluer et se réinventer au gré de l’histoire de France.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Avant de citer les trois décisions, deux observations : c’est une question piège qui me place dans l’embarras ; il est très difficile de choisir. Donc le choix sera le reflet d’un message à faire passer sans pour autant avoir la rigueur scientifique que l’on pourrait attendre. La deuxième observation a trait à la poésie des décisions jurisprudentielles : les noms chantent à l’oreille ou invitent au voyage. Quelques exemples : « Compagnie des gaz de Bordeaux » rendu par le Conseil d’Etat le 30 mars 1916 ; « Dames Dol et Laurent » rendu par le Conseil d’Etat le 28 février 1919 ; « Société commerciale de l’Ouest africain » ou « Bac d’Eloka » rendue par la Tribunal des conflits le 22 janvier 1921 ; « SA des produits laitiers « La fleurette » » rendu par le Conseil d’Etat le 14 janvier 1938 ; « Thépaz » rendu par le Tribunal des conflits le 14 janvier 1935 ; « Canal Robin et Godot », rendu par le Conseil d’Etat le 19 octobre 1962 ; « Rubin de Servens » rendu par le Conseil d’Etat le 2 mars 1962 ; « Tropic travaux signalisation » rendu par le Conseil d’Etat le 16 juillet 2007.

Voici donc mon choix arbitraire :

  • CE, 5 mai 1944, « Dame Veuve Trompier-Gravier » (D. 1945. 110 concl. B.Chenot, note de Soto, Rd Publ. 1944.256, note G.Jèze) – Pour un avocat, c’est un arrêt important : le droit de la défense, le respect du principe du contradictoire constitue un principe général du droit que le juge ne saurait méconnaitre sans encourir la censure de sa décision. J’attire également votre attention sur la date de l’arrêt. Un mois avant le débarquement allié en Normandie, alors que la France est occupée et qu’un « Etat de fait » dit « Etat de Vichy » collabore avec l’ennemi et se roule dans la fange de la compromission et du crime, même au Conseil d’Etat, il y a certains esprits qui résistent. Leur arme est puissante, c’est le droit.
  • CE, 17 février 1950, « Dame Lamotte » (Rec. p. 110 ; RDP 1951, p. 478, concl. P.Delvolvé, note M.Waline), le recours pour excès de pouvoir, ce recours « pour utilité publique » (R.Chapus) « est ouvert même sans texte contre tout acte administratif (…) et a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité ». En une phrase, le Conseil d’Etat maintient et étend sa jurisprudence qui en fait un protecteur des libertés publiques.
  • CE, 20 octobre 1989, « Nicolo » Le Conseil d’Etat accepte – enfin ! – de reconnaître la suprématie des traités internationaux sur la loi.       Pour l’étudiant en droit que j’étais, ce fut une révolution. Le droit administratif quittait le 19ème siècle pour entrer dans le XXème ! C’est un arrêt qui permet d’invoquer des principes fondamentaux qui auraient pu être oubliés (le procès équitable par exemple).

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Intérêt général ;
  • Service public ;
  • Recours pour excès de pouvoir.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un Léviathan entravé.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

A la recherche du temps perdu.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Un jardin à la française composé par André Le Nôtre.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 161.

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Questionnaire de Me Lapuelle (21/50)

Clémence Lapuelle
Avocate au Barreau de Toulouse 

Art. 160.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Un ensemble de règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement des personnes publiques entre elles et avec les personnes privées.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Il existe bien un droit administratif d’hier et un droit administratif de demain.

Le premier est marqué par une longue phase d’émergence, d’élaboration et de construction avant d’être enfin consacré par les décisions Blanco et Cadot. Après cette légitimation, il a pu enfin s’épanouir et s’étoffer dans différents domaines d’intervention : droit des collectivités territoriales, droit des contrats, droit de l’environnement, droit de l’énergie, droit de l’urbanisme…

Aujourd’hui, il entame une phase de rationalisation et de perfectionnement, avant certainement de s’adapter aux bouleversements technologiques et courants politiques de demain. Il lui appartient de s’adapter sans cesse aux nouveaux contours de l’administration qu’il régit.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif français apparait dans la volonté de séparer le domaine du droit privé et le domaine du droit public en créant deux ordres de juridiction distincts, via les lois des 16-24 août 1790 et le décret du 16 Fructidor an III. Il est très clairement interdit aux juridictions judiciaires d’appliquer le droit privé à l’administration sauf exceptions.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

La puissance publique est le principal moteur du droit administratif. Elle justifie son existence par la volonté de ne pas être soumis au droit commun et par les pouvoirs qui lui sont conférés afin d’imposer le respect de l’intérêt général. La puissance publique est à la fois une justification et un rempart face au droit commun.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Aujourd’hui, le droit administratif apparait pour les administrés comme une contrainte via des démarches administratives d’une extrême lourdeur, soit comme une puissance aveugle venant s’abattre sur eux. Il convient donc avant tout de changer l’image du droit administratif afin de le rendre plus accessible.

Pour ce faire, il conviendrait de le présenter dès l’école afin d’expliquer ses rouages au travers de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique. Un Etat présente des droits et des devoirs qui ne peuvent être ignorés par ses administrés. Or, c’est de cette ignorance que nait l’absence d’intérêt, l’incompréhension et finalement la critique.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Il est évident que l’influence du droit communautaire, européen et international pousse à une certaine globalisation de notre droit administratif.

Il appartient au législateur de maintenir sa spécificité pour une meilleure administration tout en tenant compte des améliorations et simplifications que nous proposent les normes extérieures.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Si le juge administratif se fonde encore principalement sur la jurisprudence administrative pour rendre ses décisions, on voit néanmoins sans difficulté que le droit prétorien cède la place à la législation et à la réglementation. Un lien de plus en plus distant apparaît ainsi entre le cas particulier d’un administré ou d’une personne publique et une règle trop générale qui ne peut être sujette qu’à l’interprétation et à l’interrogation et donc à l’insécurité juridique.

Néanmoins, il convient de préciser que l’accessibilité à l’intégralité du droit prétorien étant limitée aux seuls magistrats de l’ordre administratif via une base de données des plus confidentielles, il est difficile d’avoir une vision exhaustive des décisions de justice et donc de nos droits.

La législation et la réglementation présentent à l’inverse l’avantage d’être accessibles à tous pour l’ensemble de leurs dispositions.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Les pères les plus importants du droit administratif sont sans nul doute :

  • Maurice Hauriou qui incarne l’école de la puissance publique
  • & Léon Duguit qui incarne l’école du service public.

Ils représentent la naissance du droit public moderne.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • «Blanco » rendue par le Tribunal des conflits le 8 février 1873, n°00012 ;
  • « Cadot c/ Ville de Marseille » rendu par le Conseil d’Etat le 13 décembre 1889, n° 66145 ;
  • Décision n°86-224 DC du 23 janvier 1987 Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La norme constitutionnelle est la norme la plus importante du droit administratif et l’on peut constater d’ailleurs qu’elle ne subit que très peu de modifications tant sa rédaction initiale fait appel à des principes fondamentaux universels et indispensables à l’humanité.
  • On ne peut ignorer également les normes internationales, européennes et communautaires mais ce n’est sans un certain désarroi face à ces normes qui ignorent et gomment les spécificités du droit administratif français.
  • Les normes inférieurs ne sont finalement plus vraiment autonomes et subissent l’influence d’un droit administratif supranational qui indéniablement abouti à une globalisation non salutaire du droit administratif français.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un ours au regard de son image de puissance et de force mais également pour ses lenteurs assimilables parfois à des phases d’hibernation.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le Traité des contrats administratifs d’André de Laubadère, Franck Moderne, et Pierre Delvolvé.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Si l’on peut considérer le château de Chambord comme une œuvre d’art de Léonard de Vinci et de François Ier, alors il correspondrait très bien au droit administratif. Comme lui, il apparaît imposant, solide, complexe, avec d’infinis détails, des pièces maîtresses, d’importantes fondations, des fenêtres ouvertes vers l’extérieur, du génie. Mais il se caractérise également par des imperfections, des erreurs de conception et des constructions parfois à la hâte sans véritable feuille de route. Comme toute œuvre d’art, il fascine mais en oubli d’être parfois réellement accessible.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 160.

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Questionnaire du magistrat Kiecken (20/50)

Arnaud Kiecken
Magistrat au tribunal administratif de Toulon

Art. 159.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

C’est l’ensemble des principes et des règles qui s’appliquent dans les relations entre les personnes en lien avec l’autorité publique. Ce droit n’est d’ailleurs pas forcément autonome, car il s’inspire de pratiques anciennes, qui ont notamment été codifiées dans le code civil (par exemple pour les règles générales en matière de responsabilité des personnes publiques), ou d’influences extérieures à la France (comme les règles de passation des marchés publics, gouvernées par les principes de concurrence et de transparence). Mais, chaque fois qu’on est en présence d’un intérêt qui dépasse les intérêts strictement privés, le droit devient administratif.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier c’est celui qui a été élaboré au fil du temps par la jurisprudence du Conseil d’État, qui a longtemps été la seule institution a donné les règles du jeu. A partir du moment où les juridictions se sont multipliées, que la loi est intervenue dans le débat, que l’Union européenne a rajouté des règles, le droit administratif est devenu « pluriel » de par son origine et ses manifestations. Et il est aussi devenu plus riche, mais plus complexe.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Selon moi, le droit administratif français présente deux singularités.

La première est celle qui est enseignée à la faculté : c’est son origine prétorienne et (par conséquent) sa souplesse.

La seconde est le fait que ce droit est personnifié par le Conseil d’État, qui en a longtemps été l’inventeur, ou en tout cas, le révélateur. C’est aussi ce qui a rendu ce droit si cohérent et solide, mais qui, en même temps lui fait porter une fragilité intrinsèque car il peut aussi être vu comme un droit de spécialistes, un droit élitiste, venu « d’en haut », alors qu’il s’applique très fortement à tout un chacun.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Au risque de manquer d’originalité, c’est à mon avis celle du service public (pardon Hauriou !) qui toute entière lui donne son âme et sa raison d’être.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

D’abord par la possibilité pour les étudiants de travailler avec le GAJA aux examens : quel est l’intérêt de leur demander d’apprendre par cœur les noms et dates des arrêts de principe, alors que ce « code » les contient tous ? Comment justifier la différence de traitement avec le droit civil par exemple, où l’examen autorise la consultation du code ?

Aussi par la diffusion intégrale de l’ensemble des décisions du Conseil d’État et des juridictions administratives.

Les médias enfin ont une responsabilité dans la mauvaise connaissance du droit administratif : le rôle du Conseil d’État, du rapporteur public, de l’audience est dramatiquement mal expliqué par les journalistes. Il faut certainement que les juges communiquent plus et plus vite…

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Oui, car il est au cœur des relations entre les personnes, et heureusement qu’il l’est d’ailleurs, pour ne pas être totalement isolé par rapport aux autres droits…

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Non, car de nombreux textes sont venus écrire ses règles. Mais le rôle du juge dans l’interprétation du texte est immense, encore aujourd’hui. D’ailleurs, le premier mouvement du magistrat administratif chargé de trancher une question, de droit ou de fait, est souvent de se plonger dans les « précédents » du Conseil d’État, afin d’y trouver sa réponse… C’est dire l’importance qu’il accorde au préteur…

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Léon Duguit ;
  • Maurice Hauriou ;
  • Le commissaire du gouvernement David (affaire « Blanco »).

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Evidemment, la décision « Blanco» du Tribunal des conflits en 1873 (8 février), sans laquelle rien ne serait arrivé.
  • Et aussi celle du Conseil constitutionnel « Conseil de la concurrence » en 1987 (23 janvier), qui conforte la juridiction administrative.
  • Et enfin, « Kresscontre France» de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 juin 2001, qui nous enseigne, comme dans la chanson, que rien n’est jamais acquis.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations du 12 avril 2000 ;
  • Le code de justice administrative ;
  • Et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

(…)

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

(…)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

(…)

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 159.

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Questionnaire du Sous-Préfet Jobart (19/50)

Jean-Charles Jobart
Premier conseiller des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel
Sous-préfet de Condom

Art. 158.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Un ensemble de « règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés » (TC, 8 février 1873, Blanco). Le droit administratif doit d’abord se comprendre et se définit par son but : l’équilibre à établir entre les objectifs collectifs que s’est fixée la société et le respect des droits individuels. Il s’adresse donc en premier lieu aux institutions publiques et privées qui ont la charge de ces buts collectifs, afin de définir les moyens utiles d’y accéder et les limites nécessaires au respect des libertés.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Il y a toujours une tendance à concevoir les changements de son temps comme une nouveauté radicale qui ferait frontière entre le passé et le futur. Le changement étant la seule constante de l’histoire, il s’agit en réalité d’une définition valable pour tout présent. Le droit administratif ne doit pas se concevoir par son état présent, mais par son processus. Le droit administratif des années 1820 est radicalement différent de celui des années 1880 qui diffère lui-même tout autant du droit administratif des années 1980 ou de celui de notre temps actuel. Le droit administratif est un continuum, un équilibre précaire qui évolue en fonction des évolutions de la société. La montée de l’individualisme et du libéralisme depuis les années 1990, notamment via les normes supranationales, a évidemment modifié l’équilibre entre projet collectif et respect de l’individu en faveur de ce dernier. En cela, le droit administratif reste un reflet de notre conception de la société, de son but et de la place de l’individu en son sein. Le droit administratif est avant tout un droit évolutif qui se transforme sans cesse en fonction des évolutions de notre société.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Il faut se référer aux impressions des étudiants de faculté de droit qui découvrent le droit administratif en deuxième année. Ils sont déroutés : jusque-là, le droit leur semblait une discipline ordonnée, claire, cohérente, guidée par sa propre rationalité, comme si le droit était une discipline isolée du reste de la société qu’il est pourtant censé réguler.

Le droit administratif constitue alors une épreuve : si un principe est énoncé, il est accompagné de nombreuses exceptions tirées de la casuistique et demeure susceptible d’un revirement. Là où le droit civil et le droit pénal donnaient l’image d’un jardin à la française, ordonné, se laissant globalement appréhender d’un seul regard, le droit administratif donne plutôt l’impression d’une forêt, foisonnante, désordonnée, propre à perdre le promeneur. Mais il est une poésie de la forêt qui ne se retrouve point dans un jardin à la française. Le droit administratif est riche, foisonnant, évolutif et donc complexe. La capacité d’adaptation aux cas concrets, de trouver sans cesse un nouvel équilibre entre des considérations sociales opposées est certes source de complexité, mais aussi de justice. A l’évidence, le droit administratif est moins confortable à l’esprit, mais peut-être plus riche aux sens.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

(…)

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Le droit administratif ne se laisse pas facilement appréhender et exige un effort évident pour accéder à sa richesse. Il ne faut pas retirer le goût de l’effort, mais le récompenser. Toutefois, le meilleur moyen de faire comprendre le droit administratif à tout un chacun serait peut-être de lui donner du sens et non de la technicité. Il ne faut pas chercher à décrire le contenu exact de ce droit mouvant et complexe, mais d’abord expliquer ses objectifs, les contradictions qu’il doit résoudre. Alors seulement, on peut illustrer les tensions à l’œuvre et leur processus de résolution par un cas concret qui permet de décrire une parcelle du contenu du droit administratif.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Si notre société se globalise, le droit administratif doit évoluer avec elle et devenir plus globalisé. Cela n’est pas une condamnation ou une malédiction, mais une modernisation du droit administratif, l’opportunité d’y inscrire de nouveaux équilibres sociaux. Cependant, je crois qu’il y aura toujours un compromis qui fera l’originalité du droit administratif : malgré l’influence internationale, il gardera toujours une spécificité typiquement française.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif l’a-t-il été autant qu’on veut le croire ? Le caractère prétorien semble être de ces mythes fondateurs qui illustrent surtout le sens plus que la réalité. En l’espèce, la place prééminente du juge pourrait illustrer la volonté de justice et d’équilibre.

Le juge administratif ne crée pas réellement un droit administratif original mais assure d’abord l’exécution de la législation et de la réglementation s’appliquant à l’action administrative. A lire les premiers volumes des recueils des décisions du conseil d’Etat, il est surtout question des lois ou décrets. Malgré les textes, le juge a eu à connaître en deux siècles de nombreuses questions nouvelles : il a dû poser des principes pour ne pas sombrer dans le déni de justice, voire dans l’iniquité quand la législation s’avérait à l’évidence inadaptée. La production de lois et de traités s’est certes intensifiée depuis 70 ans, mais cette production est souvent la reprise de constructions jurisprudentielles. L’inflation législative donne moins d’initiative créatrice à la jurisprudence (encore que la réalité toujours plus inventive saura toujours poser des questions nouvelles au juge), mais plus de matière à interprétation. La jurisprudence administrative n’est pas prête de se tarir comme source du droit administratif.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Edouard Laferrière pour son engagement et son Traité de la Juridiction administrative qui offre une première véritable systématisation des principes du droit administratif.
  • Maurice Hauriou pour le sens qu’il a donné à la construction du droit administratif, notamment au travers de la théorie de l’institution.
  • René Chapus pour l’extraordinaire manuel qui fut celui de mes études

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Tous ces jugements des Tribunaux administratifs qui ont initié de nouvelles jurisprudences ou appliqué le droit existant et qui font pour une large part la réalité du droit administratif.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Les traités dont l’influence croissante est devenue déterminante.
  • Les décrets et arrêtés qui sont au quotidien la source principale du droit administratif.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Un ornithorynque, pour son caractère inclassable, incompréhensible pour Kant.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

L’Histoire sans fin de Michael Ende, pour son processus infini d’invention, pour le fait que l’administration et l’administré sont autant les héros que les auteurs du droit administratif.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

La sculpture Boy de Ron Mueck pour son hyper réalisme, l’immense zoom fait sur des détails significatifs et son profond humanisme.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 158.

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