par M. Mohammed ZAOUAQ
Doctorant à la faculté des sciences juridiques,
économiques et sociales de Salé (université Mohamed V de Rabat, Maroc)
Puisque le recours aux marchés publics constitue pour les responsables administratifs marocains l’un des principaux moyens de la satisfaction de l’intérêt public, le respect du droit régissant ces marchés par l’administration est, de plus en plus, perçu comme un indicateur de son bon fonctionnement. Cependant, malgré les améliorations réalisées quant au respect de la légalité administrative, plusieurs actes fautifs demeurent commis à la fois par les soumissionnaires et les titulaires des marchés publics et par les administrations contractantes.
De ce fait, la régularité de l’action publique et la satisfaction des intérêts des différents organismes administratifs contractants impliquent l’adoption de procédés de régularisation des fautes commises à l’occasion de la passation et de l’exécution des marchés dont ces derniers détiennent la maîtrise d’ouvrage.
En droit administratif marocain, la régularisation des marchés publics est reconnue de manière principale, par la réglementation en vigueur, aux administrations contractantes (I), et exercée accessoirement par les instances compétentes en matière de consultation et de médiation (II).
I) Une régularisation principale assurée par les administrations contractantes
En vue de garantir une meilleure gestion de la commande publique et une totale satisfaction des besoins des services publics contractants, la réglementation en vigueur en matière des marchés publics reconnait à l’administration la possibilité d’exercer une fonction de régularisation, et ce tout au long du processus d’exécution de la commande (du lancement jusqu’à la réception des prestations). Cette régularisation des actes de gestion des marchés visera deux principaux volets, à savoir : la passation (A) et l’exécution des contrats (B).
A) en matière de passation des contrats
La réglementation relative à la passation des marchés, prévue par le décret n° 2-12-349 du 8 Joumada I 1434 (20 mars 2013) relatif aux marchés publics, permet à l’administration contractante d’adopter des actes de régularisation en vue de garantir l’aboutissement de la procédure de passation même en cas de transgression du principe de légalité. Ainsi, il est permis à l’administration de publier des avis rectificatifs, sans aucune suspension de la procédure de sélection des soumissionnaires et d’attribution des marchés, en cas de fautes et d’illégalités commises aux niveaux des avis ou des dossiers des appels d’offres (art. 19 du décret).
De même que les actes irréguliers émanant de ses services, l’administration exerce un pouvoir de régularisation sur les fautes et les irrégularités commises par les différents soumissionnaires à ses appels d’offre. De ce fait, l’administration se doit d’inviter, par tout moyen de communication pouvant donner date certaine, les concurrents ayant présenté des offres pour régulariser toute discordance constatée entre les diverses pièces constituant leurs dossiers de candidature (art. 40 du décret).
En outre, l’administration peut inviter, pour les marchés de consultation architecturale, l’architecte auquel il est envisagé d’attribuer le contrat à rectifier les erreurs matérielles, arithmétiques ou toute discordance constatée dans son dossier de candidature (art. 107 du décret), et ce tout en maintenant la décision d’attribution du marché dont il bénéficie.
B) en matière d’exécution des contrats
En plus des pouvoirs de régularisation reconnus à l’administration en matière de passation des marchés, cette dernière est aussi habilitée à intervenir pour perpétuer un acte ou une situation illégale par le biais de mécanismes juridiques de régularisation. Dans ce sens, le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, approuvé par le décret n° 2-14-394 du 13 mai 2016, prévoit la possibilité de conclure des avenants entre les administrations contractantes et les titulaires des marchés dans la finalité de faire revivre les erreurs manifestes commises par les deux parties au cours de l’exécution des marchés (art. 12), et ce dans la finalité de garantir la stabilité des relations contractuelles et par conséquent la satisfaction de l’intérêt général comme principal moteur de l’action administrative.
L’administration en tant que partie contractante dotée de prérogatives de puissance publique peut exercer son pouvoir de direction et de contrôle ou de modification unilatérale des clauses du marché et imposer des actes irréguliers en matière d’exécution de l’acte contractuel, sans aucune possibilité de les annuler ou les suspendre. La régularisation de ces actes irréguliers puise son fondement de la théorie générale des contrats administratifs qui impose aux cocontractants de l’administration d’accepter tous les ordres de services reçus au cours de l’exécution du marché même s’ils présentent des caractères de faute contractuelle, et de maintenir les relations contractuelles, même déséquilibrées, nécessité par l’obligation de satisfaire l’intérêt public.
Parallèlement au pouvoir de régularisation principale exercé par l’administration en matière de passation et d’exécution des marchés publics, une mission de régularisation accessoire est confiée par la réglementation en vigueur à des instances de consultation et de médiation.
II) Une régularisation accessoire exercée par les instances de consultation et de médiation
La régularisation secondaire ou accessoire est exercée par deux principales instances qui sont amenées à intervenir dans le domaine des marchés publics et assurer des missions de médiation et de consultation au profit de l’administration et de ses différents cocontractants. À savoir : le Médiateur du Royaume (A) et la commission nationale de la commande publique (B).
A) Le Médiateur du Royaume
Cette institution créée par le dahir n° 1-11-25 du 17 mars 2011 et qui a pour principale mission la défense des droits des administrés et la propagation des principes de justice et d’équité, exerce, à l’occasion des plaintes et des doléances qui lui sont soumises, une mission de régularisation des actes illégaux et irréguliers commis par l’administration à l’occasion de son exécution des marchés publics, et ce par le biais des différentes recommandations qu’elle émet.
Suite à l’instruction des plaintes et des doléances relatives à l’exécution des marchés, le Médiateur émet des recommandations visant la réparation des dommages subis par les cocontractants sans toutefois suspendre ou annuler les actes fautifs et irréguliers à l’origine de ces plaintes. Ainsi, ces mêmes actes se perpétuent et retrouvent la régularité grâce aux décisions du Médiateur.
Parmi les principaux raisonnements abordés au niveau des recommandations du Médiateur pour justifier la régularisation des comportements irréguliers de l’administration on trouve :
- « Le plaignant (titulaire du marché) est en droit de recevoir une indemnité réparatrice du préjudice subi suite aux dépenses et aux efforts fournis en vue de satisfaire la demande (illégale et injustifiée) de l’administration (contractante) » (Rapport annuel du Médiateur, 2015) ;
- « La transgression des règles juridiques régissant la passation des marchés de fourniture par l’administration ne peut constituer un alibi pour empêcher son cocontractant de percevoir les sommes dues suite aux prestations fournies » (Rapport annuel, 2015).
Ces raisonnements sont utilisés comme des fondements de droit et de fait aux différents mécanismes juridiques de régularisation des illégalités commises dans l’exécution des marchés, dont l’indemnisation pécuniaire des cocontractants lésés qui constitue le principal mécanisme imposé par le Médiateur au niveau de ces différentes recommandations est (Rapports annuels, 2013, 2014 et 2015).
B) La commission nationale de la commande publique
À l’instar de l’institution du Médiateur, la commission nationale de la commande publique assure la régularisation des marchés publics dans la limite des compétences qui lui sont attribuées par la réglementation en vigueur. Ainsi, à l’occasion de son exercice des missions de consultation des réclamations émanant des concurrents, des attributaires ou des titulaires des commandes publiques (tel qu’il est prévu par le décret n° 2-14-867 du 21 septembre 2015 relatif à la commission nationale de la commande publique), la commission invente des mécanismes juridiques de régularisation des marchés et les recommande par les biais des différents avis qu’elle rend.
Par conséquent, le principal mécanisme de régularisation utilisé dans ce sens est le recours à la réglementation en vigueur et aux bonnes pratiques de gestion des marchés publics en vue d’en tirer des solutions juridiques et pratiques et replacer l’acte illégal dans la sphère de la légalité et de la régularité une nouvelle fois. Ainsi, il a été mentionné au niveau de l’avis n° 5/2018 au sujet de l’omission de l’inscription du RIB sur l’acte d’engagement, rendu le 17/04/2018 par la commission que « l’omission de l’inscription du RIB dans l’acte d’engagement ne constitue pas, au regard des dispositions du paragraphe 2 de l’article 40 précité, un motif fondé d’élimination des offres, dans la mesure où elle n’affecte pas le libre jeu de la concurrence, ne porte pas atteinte à l’égalité de traitement des concurrents et ne modifie pas l’objet du marché ».
À l’occasion d’un autre avis rendu le 2 avril 2018 sous le n° 3/2018 au sujet de l’impossibilité éprouvé par le cocontractant de l’administration de poursuivre l’exécution d’un marché de fourniture et la possibilité de procéder à la résiliation du contrat par la partie administrative, la commission a eu recours au texte général régissant les contrats (le code des obligations et des contrats promulgué par le dahir du 12 août 1913) en vue de permettre à l’administration de se soustraire à l’application de la réglementation en vigueur en matière des marchés publics et de permettre la régularisation de les actes de suspension et de résiliation du contrat.
En plus du recours à la réglementation générale et aux bonnes pratiques, la commission recommande la conclusion des avenants comme mécanisme de régularisation des actes irréguliers commis en cours de gestion des commandes publiques. Dans ce sens, la commission a recommandé, à l’occasion de son avis n° 01/2018, la conclusion d’un avenant au marché pour pouvoir régulariser l’erreur commise suite à la transgression de l’article 10 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés des travaux relatif au référentiel de l’identité bancaire.
De ce fait, la commission nationale de la commande publique s’efforce d’inventer différents mécanismes de régularisation, et ce en puisant à la fois dans les textes juridiques généraux régissant le domaine des contrats (le COD) et dans la pratique de la commande publique et les possibilités qu’elle offre dans ce sens, ce qui nous permet de la considérer comme l’organe de régularisation par excellence en matière des marchés publics.
En définitive, on peut dire que malgré l’importance du travail fourni à la fois par l’administration et par les instances de consultation et de médiation, l’enrichissement de la pratique de régularisation des marchés publics au Maroc ne peut atteindre ses résultats sans l’intervention du juge administratif dans ce domaine, et ce en dépassant dans ses différents jugements relatifs au contentieux des marchés la logique de légalité vers celle d’équité et de régularité.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 247
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