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Questionnaire du Président Hermitte (18/50)

Gilles Hermitte
Président du Tribunal administratif d’Orléans

Art. 157.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Il n’existe pas de définition qui parvienne à rendre compte, exactement et complètement, de ce qu’est le droit administratif. Celui-ci est rebelle à toute tentative de systématisation, ce qui n’est pas une idée et un constat nouveaux.

Il est peut être alors préférable et plus efficace d’envisager une approche qui cherche moins à donner à voir ce qu’est le droit administratif qu’à focaliser l’attention sur son rôle. En retenant cet angle d’attaque, il est alors possible de définir cette branche du droit comme le « droit de la cité » ou encore celui « du vivre ensemble ».

Certes, d’autres branches du droit ou sans doute le droit dans sa généralité pourraient répondre à la même définition. Mais le droit administratif a ceci de particulier qu’il est construit au quotidien pour permettre une coexistence harmonieuse de tous les individus. Son emprise désormais totale sur la société autorise à lui reconnaître cette ambition.

Le service public, l’ordre public sont des finalités essentielles à toute société modernes. La dimension collective qui s’attache au droit administratif lui permet de jouer un rôle essentiel, sans doute plus étendu que le droit pénal, voué à la sanction des comportements jugés inacceptables par le corps social, ou encore que le droit civil qui, bien que s’intéressant à des institutions fondamentales comme la famille ou la propriété, reste fortement limité par sa dimension individuelle.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Distinguer un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain » suppose une rupture, qui se serait déjà produite ou dont la manifestation à venir serait déjà perceptible.

Cela ne semble pas être le cas.

Certes, le droit administratif s’est développé de manière spectaculaire et il s’est également, dans le même temps, complexifié. Des périodes ont été davantage marquées par la puissance publique, d’autres par le service public. S’intéressant à l’office du juge administratif, un auteur a pu voir une césure entre un « pouvoir jurisprudentiel », classique, et un « pouvoir juridictionnel », qui se serait substitué au premier, l’essentiel, en termes de droits et de garanties, ayant pu être construit par la jurisprudence administrative. Enfin, il s’agit de plus en plus d’un droit textuel et non plus seulement jurisprudentiel.

Mais c’est en fait une continuité sans solution qui peut-être observée. Le droit administratif de demain est déjà contenu dans ceux d’aujourd’hui et d’hier. Des vides juridiques sont comblés ; des techniques juridictionnelles plus sophistiquées sont créées.

Mais, pour l’essentiel, les principes fondamentaux sont toujours à l’œuvre. Comme toute institution le droit évolue, il s’adapte. Compte tenu de son rôle social, il aurait été surprenant que le droit administratif restât à l’écart de cette évolution progressive mais nécessaire.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

D’une certaine manière, le droit administratif est un droit de conciliation ou, plus exactement de compromis. Il témoigne de la recherche permanente d’un équilibre optimal entre efficacité de l’action de l’administration et garantie des droits. Il s’agit là de l’exigence fondamentale de l’État de droit.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Si l’on fait abstraction des notions de puissance publique et de service public, classiquement au fondement du droit administratif et toujours opérationnelles, il semble aujourd’hui que la « sécurité juridique » pourrait être le moteur le plus puissant. Non pas seulement parce qu’un principe a été reconnu par le Conseil d’État récemment (CE, 24 mars 2006, « Société KPMG »), mais plutôt en raison du souci, qui a toujours été présent, de sécuriser l’action administrative (l’administration devant elle aussi pouvoir bénéficier de cette sécurité) tout en garantissant une sûreté minimale aux administrés, c’est à dire la garantie de leurs droits et libertés.

L’attention, désormais particulièrement soutenue, que le juge et le législateur portent à la sécurité juridique y contribue efficacement.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

La codification en cours depuis plusieurs années participe de l’effort de « démocratisation » du droit administratif. Mais d’autres évolutions y contribuent également. Ainsi, le processus de réforme de la rédaction des décisions de justice, en cours d’expérimentation, est-il destiné à en faciliter la compréhension. L’effort de pédagogie du juge administratif, qui explique davantage les raisons de ses décisions mais aussi les conséquences qui en résultent, concourt également à un accès plus aisé des décisions juridictionnelles. Enfin, les portails juridiques, tels que Legifrance, mettent à disposition du grand public tout le droit positif.

Ces outils ne sont pas parfaits mais ils aident à la réalisation de cette ambition. Reste malgré tout à s’interroger sur cet objectif. Car il faut se demander s’il est réaliste et même souhaitable.

Le droit administratif s’est déployé grâce à une certaine opacité. Y renoncer pour sacrifier à l’exigence de transparence ne va pas de soit. Si le droit administratif devait rester un peu « aristocratique », cela pourrait maintenir sa capacité d’évolution et d’encadrement croissant de l’action de l’administration. Comme en bien des domaines, une totale transparence pourrait nuire à l’efficacité.

Ceci ne doit cependant pas conduire à remettre en cause le processus d’ouverture de ce droit à la compréhension de tous, au-delà des seuls spécialistes.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

La réponse peut être négative, si l’on estime que les spécificités du droit administratif français, qui traduisent une culture juridique particulière fondée sur des valeurs originales, restent fortes et marquées. L’intégration désormais de plus en plus poussée d’éléments d’extranéité ne s’est pas, à ce jour, traduite par une véritable remise en cause de la nature du droit administratif français même s’il n’est pas possible de nier les conséquences d’une plus grande ouverture de notre droit national au droit international et aux droits étrangers. Plus qu’une « condamnation », il faut y voir une source d’enrichissement à travers un dialogue facilité par l’accroissement des éléments communs.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif n’est sans doute plus aussi prétorien qu’il a pu l’être. Mais son évolution reste encore très fortement conditionnée par la jurisprudence. La multiplication des textes a transformé l’office du juge administratif. Mais ce dernier n’est toujours pas devenu la « bouche de la loi » dont parlait Montesquieu… il est encore plus que cela.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Difficile d’être ici original.

  • Léon Duguit ;
  • & Maurice Hauriou apparaissent d’emblée comme ayant profondément marqué le droit administratif.
  • Au risque de dénaturer quelques peu la question, nul doute que les membres du Conseil d’État et plus largement de la juridiction administrative peuvent revendiquer la paternité de ce droit très particulier.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt « Blanco» (TC, 8 février 1873), parce qu’il est reconnu comme tel et que le droit administratif a été transporté bien loin dans ce wagonnet… ;
  • L’arrêt « Ministre de l’agriculture contre Dame Lamotte » (CE, 17 février 1950), parce que ce qui est écrit dans la loi n’est pas gravé dans le marbre et que le juge administratif n’est pas simplement la « bouche de la loi » ;
  • L’arrêt « Commune de Morsang-Sur-Orge » (CE, 27 octobre 1995), parce que le principe de dignité humaine fait entrer le juge dans une nouvelle dimension, dans laquelle le droit rejoint la morale.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La Constitution, « base » du droit administratif (G.Vedel);
  • La loi des 16-24 août 1790, sans laquelle le droit administratif n’aurait peut-être pas vu le jour ou serait sans doute très différent.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Peut-être un insecte vivant dans une colonie caractérisée par ce que les spécialistes nomment l’intelligence collective : une ruche ou une fourmilière. C’est ce qui semble le mieux convenir à un droit construit en permanence par une multitude d’acteurs (législateur, administration, juges) et mis en ordre par la jurisprudence in fine du Conseil d’État notamment.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

« La vie mode d’emploi » de Georges Perec. Une tentative ambitieuse de rendre compte de la totalité d’un monde dont la vanité n’empêche pas sa mise en œuvre permanente.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Sans doute une œuvre d’Alexander Calder…. un ensemble composé de stabiles et de mobiles. Des principes incontournables ; une évolution et une adaptation permanentes.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 157.

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Questionnaire du magistrat Guével (17/50)

Benoist Guével
Premier Conseiller, Rapporteur public,
Tribunal Administratif de Toulouse

Art. 156.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Le droit administratif est un droit spécial gouvernant la chose publique et adapté aux exigences et contraintes de celle-ci.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Oui, à certains égards, dans la mesure, où, si le « droit administratif d’hier » semblait majestueux, péremptoire et arc-bouté sur des principes tranchés, le « droit administratif de demain » pourrait être plus conciliant et compréhensif avec les évolutions sociétales, mais aussi plus sophistiqué voire même alambiqué au risque de perdre un peu de sa lisibilité et donc de sa légitimité.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Il s’agit d’un droit très prétorien donc pragmatique, opportuniste, flexible.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Ce pourrait être l’intérêt général transcendant les intérêts particuliers, privés ou catégoriels.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Par la poursuite de la codification des textes (ex. code des relations entre le public et l’administration) et la diffusion des jurisprudences essentielles dans les lieux ouverts au public.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Il est voué (pas « condamné ») à poursuivre son rayonnement dans un monde globalisé marqué par le re-jeu des Etats nations, à la faveur, d’une part, du dialogue des juges et, d’autre part, de la diplomation d’influence française.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Aux yeux d’un magistrat, il le demeure du fait de l’importance de l’office du Conseil d’Etat, dont les CAA et TA se font un devoir de respecter les décisions jurisprudentielles.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Duguit
  • et Hauriou, pour ce qu’ils ont inventé et tout autant pour ce que la tradition leur a fait dire.
  • & Odent

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • TC Blanco 1873
  • Benjamin 1933
  • Nicolo 1989

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • Bloc de constitutionnalité
  • Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
  • Code des relations entre le public et l’administration

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Il serait une salamandre, insensible aux feux de la critique, mais pourrait devenir un caméléon du fait de sa jurisprudence de plus en plus contrastée.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Un manuel illustré, par ex. le « Droit administratif général » du prof. René Chapus, sans cesse actualité et revisité, enrichi par des schémas, des tableaux, des images et des photos …

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Les époux Arnolfini de Van Eyck.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 156.

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Questionnaire de Me Debezy (16/50)

Anne-Laure Debezy
Avocate au Barreau de Toulouse 

Art.155.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

En tant qu’avocate, je dirai que le droit administratif est constitué des règles que j’utilise au quotidien pour défendre mes clients, soit les administrés, soit l’administration. Ce droit permet aux personnes publiques d’exercer pleinement leurs compétences, dont notamment leurs activités de service public, et il permet aux personnes privées d’accéder à ces services et, plus généralement, de bénéficier de l’ensemble des prestations proposées par les personnes publiques. Le droit administratif apparaît alors nécessaire pour maintenir un équilibre, parfois fragile, entre l’exercice des pouvoirs des personnes publiques et les intérêts des personnes privées.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier était marqué par les notions traditionnelles de service public et de police administrative. Désormais, le droit administratif est également drainé par les principes communautaires de libéralisation des échanges.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Je ne suis pas en mesure de répondre pleinement à cette question dès lors que je ne pratique pas le droit administratif des pays étrangers.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Plusieurs notions juridiques drainent le droit administratif telles que l’intérêt général, le service public, l’ordre public.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

En théorie, l’accès direct à la justice sans avoir recours à un avocat pourrait être un moyen pour mettre le droit « à la portée de tout le monde ». La question de la dispense d’avocat est ainsi régulièrement soulevée par les pouvoirs publics. Encore récemment, le décret « Justice administrative pour demain » a ouvert la dispense d’avocats à certains domaines et l’a fermée pour d’autres. Mais la dispense d’avocat est selon moi une fausse bonne idée au regard de la technicité du droit et du contentieux administratif. Si un accès direct à justice pourrait être perçu comme opportun pour les administrés, je remarque toutefois dans ma pratique quotidienne que les requêtes des particuliers sont très souvent soit irrecevables car entachées d’irrégularités non régularisables, soit infondées car l’administré n’est pas en mesure de développer l’argumentation juridique nécessaire à la défense de ses droits.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Si par globalisation vous entendez une libéralisation des échanges et une intensification de la concurrence, ma réponse est positive. Cette globalisation est notamment très présente en droit des contrats publics. La dernière réforme de la commande publique tend par vers une uniformisation et une rationalisation des contrats publics afin de permettre une harmonisation et une application des règles communautaires. Par exemple, des contrats domaniaux tels que les baux emphytéotiques administratifs qui avaient résisté à l’application des précédentes directives européennes et qui étaient ainsi régulièrement utilisés par les collectivités publiques seront requalifiés en marché public ou concession et seront soumis aux règles de la concurrence.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Il me semble que le droit administratif est toujours un droit jurisprudentiel. J’observe par exemple qu’il est difficile pour mes confrères privatistes n’ayant pas de base en droit administratif de percevoir les règles de droit administratif applicables à une situation donnée, alors qu’à l’inverse il est possible de se reporter au code civil ou au code du travail pour connaître, sinon la règle exacte, à tout le moins le principe applicable aux faits.

Aussi, dans un souci d’intelligibilité et d’accessibilité au droit, le législateur procède peu à peu à une codification du droit administratif, avec par exemple l’apparition du code général de la propriété des personnes publiques ou encore le code des relations entre le public et l’administration. Mais malgré ce processus de codification, le juge continue d’être une source essentielle du droit administratif car, comme l’explique le Doyen Vedel, « A quoi servirait de remplacer cet artisan discret, habile et agissant qu’est le juge, par cet amateur, bien intentionné, mais parfois mal informé et maladroit qu’est le législateur ? » (Georges Vedel, « Le droit administratif peut-il rester indéfiniment jurisprudentiel ? », EDCE 1979, n°31, p. 31).

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Parmi les pères fondateurs du droit administratif, je citerai

  • Léon Duguit;
  • Maurice Hauriou.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Plutôt que de mentionner des arrêts fondateurs mais que je n’évoque pas régulièrement devant le juge administratif tel que l’arrêt « Blanco » ou autre arrêt « Granit porphyroïde des Vosges », je souhaiterais évoquer des arrêts que je cite quotidiennement dans mes écritures. En droit de la commande publique, je pense par exemple aux arrêts :

  • Conseil d’Etat, 16 juillet 2007, « Sté Tropic Travaux Signalisation », n°291545 ;
  • Conseil d’Etat, 4 avril 2014, « Département du Tarn et Garonne », n°358994,  pour le recours facilité en contestation des contrats administratifs ;
  • Ou l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 octobre 2008, « SMIRGEOMES », n°305420, sur l’intérêt lésé des requérants.
  • En droit de l’urbanisme, j’ai régulièrement recours à l’arrêt du Conseil d’État du 23 décembre 2011, «Danthony », n°335033 sur le caractère substantiel des vices de procédure.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Dans mes écritures contentieuses, je cite régulièrement :

  • La loi ;
  • le règlement
  • et le droit communautaire pour donner un fondement juridique à mes arguments.
  • Mais j’ai également recours à la doctrine telle que les réponses ministérielles lorsqu’elles correspondent à la situation que je défends ou les articles universitaires pour éclaircir le juge sur des notions juridiques.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait être assimilé à un animal imaginaire à plusieurs cerveaux, telle que la mythique bête à sept têtes. Chaque tête pourrait représenter une matière du droit administratif que je côtoie quotidiennement : le droit des collectivités territoriales, le droit des contrats administratifs, le droit de la fonction publique, le droit de la responsabilité hospitalière, le droit de l’urbanisme, le droit de l’environnement, le droit des étrangers, le droit fiscal.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le GAJA.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Il pourrait s’agir des colonnes de Buren. Cette œuvre me vient à l’esprit car elle est installée devant la plus haute juridiction administrative mais surtout car elle peut symboliser l’originalité du droit administratif, souvent perçu comme un pan « original » et minoritaire du droit par nombre de mes confrères.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 155.

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Questionnaire de la Présidente Carthé-Mazeres (15/50)

Isabelle Carthé-Mazeres
Présidente de la 5ème Chambre du Tribunal administratif de Toulouse

Art. 154.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Les règles et principes juridiques que les professeurs de droit ont dégagé en analysant la jurisprudence du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits, ainsi que les normes juridiques.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Il me semble que le droit administratif évolue, seulement, par rapport aux données de la société moderne qui n’existaient pas hier (par exemple, la mise en cause des libertés par les moyens de la médecine), sans que ne se distinguent un droit administratif d’hier et de demain.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Son fondement historique, toujours en vigueur, sur la séparation des autorités administratives et judiciaires ; on voit par exemple que l’état d’urgence, régime d’exception comme il en existe dans d’autres pays démocratiques, est marqué en outre par cette séparation.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

La puissance publique.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Par la plus large information et communication sur le droit administratif et la jurisprudence administrative à travers les domaines qu’ils concernent ; par exemple par le JDA.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Pas plus que tout le reste du droit et même moins eu égard à sa singularité, et ce n’est pas sûr.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Il est vrai qu’il l’est moins, les sources des normes supérieures à la jurisprudence administrative ayant augmenté ; mais la qualité de ces normes est parfois incertaine, ainsi de la legistique, si bien que le caractère prétorien du droit administratif ne se perd pas.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

  • Léon Blum;
  • Maurice Hauriou.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 20 octobre 1989, « Nicolo» ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 28 mai 1954 « Barel» ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 1910 « Compagnie générale française des tramways».

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La Constitution ;
  • Les règlements et directives émanant de l’Union Européenne;
  • Ainsi que les textes nationaux qui transposent celles-ci.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

La licorne.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Les grands arrêts de la jurisprudence administrative.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Le marteau sans maître (Pierre Boulez).

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 154.

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Questionnaire de Me Bomstain (14/50)

Jonathan Bomstain
Avocat au Barreau de Toulouse

Art. 153.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

Il s’agit de l’ensemble des règles spéciales et dérogatoires du droit commun, construites autour des notions d’intérêt général et d’ordre public, définissant les droits et obligations de l’Administration.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Les comportements et les nécessités d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui, pas plus qu’ils ne seront ceux de demain.

Il existe ainsi sans nul doute un droit administratif d’hier et il existera un droit administratif de demain.

La distinction doit se faire de prime abord au regard de l’évolution de la société et de ses besoins (explosion du numérique, développement de la régulation des activités économiques, attentes accrues des citoyens dans la démarche interventionniste de l’Etat, etc.) et, de fait, de la notion d’intérêt général.

Le droit administratif d’hier était très certainement plus unilatéral que ne l’est celui de demain.

Le droit administratif de demain laissera une place plus importante au contradictoire ou à la démarche contractuelle associant les acteurs de la réalisation de l’intérêt général.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

La singularité du droit administratif français réside dans l’idée selon laquelle il est impossible d’appliquer le même droit à l’administration et aux particuliers.

Cette singularité ne se retrouve pas dans les pays anglo-saxons en particulier, où l’administration est considérée, d’une manière générale, tel un opérateur économique comme un autre.

Le droit administratif français est donc la traduction d’une haute conception de la place et de l’action de l’Etat.

La manifestation la plus flagrante de cette singularité, outre le caractère impératif et contraignant des décisions administratives, réside dans le privilège de juridiction accordé à la personne publique.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Sans aucun doute, l’intérêt général.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

Il l’est déjà en partie, en particulier grâce aux nouveaux moyens de communication et à la dématérialisation des normes et documents administratifs.

La personne publique a mis en place de nombreuses plateformes exposant de façon pédagogique les règles du droit administratif s’appliquant dans les relations avec les usagers.

Toutefois, la trop grande complexité de certaines mécanismes juridiques constitue encore un obstacle non négligeable, qui ne peut qu’apparaître insurmontable au profane.

Bien qu’une démarche de simplification du droit ait pu être initiée ces dernières années, il semble nécessaire de redoubler d’effort en ce sens.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Indéniablement.

Le droit administratif français ne saurait ignorer les évolutions de la société, qui tend inexorablement vers une globalisation des échanges de toutes natures, au risque de constituer finalement un frein à l’action de l’administration.

La construction européenne est l’exemple le plus frappant de la globalisation du droit administratif.

C’est parce que l’Administration doit faire face à de nouveaux enjeux et à de nouvelles contraintes que le droit qui encadre ses moyens d’intervention doit évoluer.

Non seulement, le droit administratif est condamné à être globalisé, mais la sentence a été exécutée.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Le droit administratif conserve encore aujourd’hui la caractéristique prétorienne qui participe indéniablement à sa spécificité.

La poursuite de la réalisation des buts d’intérêt général implique nécessairement la mise en œuvre de mécanismes unilatéraux, faisant usage le cas échéant de la contrainte légitime quel qu’en soit la forme.

Cette mission ne peut encore se satisfaire pleinement des outils mis à disposition par le droit commun.

Cependant, force est de constater que la pénétration des principes et mécanismes issus du droit privé, notamment sous l’impulsion européenne, vient fragiliser, voire faire vaciller, l’aspect prétorien du droit administratif.

À n’en pas douter, l’avenir du droit administratif impliquera une remise en question profonde de l’unilatéralité de la démarche administrative.

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Les pères les plus importants du droit administratif sont :

  • Maurice Hauriou ;
  • Léon Duguit ;
  • Charles E.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

  • Bien évidemment «Blanco » rendue par le Tribunal des conflits le 8 février 1873 ;
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995 « Commune de Morsang-Sur-Orge», car cet arrêt a permis une extension fondamentale de la notion d’ordre public. Par ailleurs, il s’agit très certainement de la jurisprudence la plus connue de l’ensemble des étudiants en droit de France et de Navarre.
  • L’arrêt du Conseil d’Etat du 10 novembre 1944 « Sieur Langneur ». Cette décision revêt une importance particulière bien que spécifique à la fonction publique. Elle constitue le pendant propre aux fonctionnaires du principe de la désobéissance civile du citoyen.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

  • La loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, aujourd’hui codifiée au sein du Code des relations entre le public et l’administration ;
  • La loi du 5 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un animal, il serait un caméléon.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Si le droit administratif était un livre, il serait Candide ou l’optimisme (Voltaire)

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Si le droit administratif était une œuvre d’art, il serait « La Liberté guidant le peuple » (E. Delacroix).

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 153.

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Compte-rendu AG du 26 septembre 2016

Art. 98

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Chers élus, Chers Maîtres, Chers collègues, Chers étudiants,

Notre dernière réunion du Journal du Droit Administratif a eu lieu le 26 septembre 2016 en salle dite Maurice Hauriou (Anciennes Facultés de l’Université Toulouse 1 Capitole).

Etaient présentes et représentées seize personnes, toutes intéressées par le Journal du Droit Administratif (Jda) et membres issus du Tribunal Administratif de Toulouse, de l’Université de Toulouse 1 Capitole, du Barreau & de Sciences Po Toulouse. La réunion s’est organisée autour des points suivants d’annonces et de discussions :

  • Etat des lieux du dossier III : « laïcité »

Le troisième dossier, programmé pour le début d’année 2017 avance.

Il porte sur la laïcité et se fait en partenariat avec un nouveau média interdisciplinaire (les Cahiers de la LCD (Lutte Contre les Discriminations)). L’appel à contributions – qui avait été prorogé – est désormais clôturé et les contributeurs vont recevoir – courant octobre – un retour des deux coordinateurs (les pr. Esteve-Bellebeau & Touzeil-Divina).

Si la publication leur est proposée, ils le seront soit sur le site (pour tous) du Jda soit sur le site et dans les cahiers (imprimés et diffusés par l’Harmattan) de la Lcd.

  • Questionnaire(s) / Interview(s) (dossier IV)

Comme envisagé au fil des dernières réunions, il est confirmé que le dossier n°IV du Journal du Droit Administratif (Jda) sera constitué d’un ensemble de questionnaires ou interviews sur le droit administratif. Le dossier sera basé sur deux types de questionnaires : celui destinés aux publicistes français et celui destiné aux administrativistes étrangers.

Il est prévu de respecter le calendrier suivant :

  • Autour du 15 octobre: envoi des questionnaires
  • Autour du 15 novembre: réception des questionnaires
  • Autour du 15 décembre: publication en ligne (ou début janvier).

Les professeurs Kalfleche & Touzeil-Divina, Mmes Espagno & Schmitz se proposent pour dépouiller et interpréter de conserve les résultats de ces questionnaires.

Lesdits questionnaires seront envoyés à une cinquantaine de juristes a priori répartis comme suit :

  • Dix administrativistes universitaires
  • Dix praticiens du droit public
  • Dix universitaires étrangers (questionnaire II – droit comparé)
  • Dix membres du Journal du Droit Administratif
  • Dix étudiants & citoyens.

Les membres du Jda qui désireraient répondre au questionnaire sont priés de se faire rapidement connaître (attention les places sont limitées !).

  • Jurisprudence(s)

Est réaffirmée la volonté, pour la fin d’année 2016, de présenter trois « triptyques toulousains prétoriens » comprenant :

  • Des conclusions d’un rapporteur public
  • Un jugement du Tribunal Administratif de Toulouse
  • Un commentaire court d’un universitaire.

Deux affaires sont déjà sélectionnées et sont en cours de commentaires. Une troisième affaire sera sélectionnée par le TA de Toulouse et transmise sous peu au Jda.

Le(s) membre(s) du Jda qui désirerai(en)t commenter cette 3ème affaire est (sont) prié(s) de se faire rapidement connaître.

En outre, le pr. Touzeil-Divina constate que les propositions de veille prétorienne ont – pour l’heure – peu porté leurs fruits ! Il propose en conséquence, avec le soutien unanime des présents et représentés, de lancer – au cas où – une veille prétorienne uniquement ou principalement destinée aux doctorants toulousains.

Cette proposition de veille sera expliquée lors d’une réunion fixée au 07 novembre (10h00). Il a été demandé à l’Ecole doctorale et aux laboratoires intéressés de bien vouloir diffuser cette information.

Le(s) doctorant(s) membre(s) du Jda qui désirerai(en)t participer à cette chronique est (sont) prié(s) de se faire rapidement connaître.

  • Chroniques

Il est en outre rappelé qu’une deuxième chronique (en droit des collectivités) vient d’être mise en ligne début octobre grâce au très beau travail de l’équipe d’administrateurs territoriaux sous la direction de M. Pascal Touhari.

Une autre chronique – en droit des contrats – pourrait voir le jour prochainement suite à la proposition de M. Mathias Amilhat.

  • Prochaine séance

Pour la réunion prochaine, il est proposé de nous donner rendez-vous le 16 novembre 2016 à 18h00 (salle Maurice Hauriou).

Le présent compte rendu a été dressé et rédigé le 11 octobre 2016.

Pr. Mathieu Touzeil-Divina

Le présent compte-rendu
est en ligne au format PDF
en cliquant ICI

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016 ; Art. 98

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L’Union européenne et la procédure administrative nationale : des compétences étriquées et intriquées

par monsieur le pr. Olivier DUBOS

Professeur de droit public, chaire Jean Monnet,

CRDEI, Université de Bordeaux

Art. 81. L’Union européenne reste largement dépendante des Etats membres pour la mise en œuvre de ses actes et spécialement des administrations nationales. Le principe de l’administration indirecte est à la fois un atout car il lui permet de concevoir des politiques publiques sans avoir la charge de leur mise en œuvre, mais c’est aussi une faiblesse car leur efficacité et leur cohérence sont tributaires de contingences difficilement maîtrisables par l’Union. Certes, le premier écueil réside dans le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales dont il est difficile de garantir qu’il sera utilisé de la même manière dans toute l’Union, mais le second réside assurément dans le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres. Si l’autonomie institutionnelle n’est pas en soi un risque, l’application par chaque administration nationale de ses propres règles procédurales ne peut qu’entamer l’unité du droit de l’Union et l’égalité des destinataires de la règle.

Bien que dans un système fédéral, unité du droit et égalité des individus devant le droit ne peuvent être que relatifs, l’Union ne peut être totalement indifférente aux règles nationales de procédure administrative. La Cour de justice comme le législateur de l’Union ont d’ores et déjà édicté quelques standards procéduraux, mais il semblerait toutefois qu’il soit assez difficile d’aller au-delà qu’il s’agisse de la voie jurisprudentielle (I) ou de la voie législative (II) tant les compétences de l’Union semblent étroites.

La voie jurisprudentielle

La Cour de justice encadre l’autonomie procédurale des administrations nationales comme celle des juridictions nationales. Elle estime en effet que s’ « il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre (…) de régler les modalités des procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant que ces modalités ne sont pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) » ( CJUE, 12 février 2015, Surgicare – Unidades de Saúde SA c/ Fazenda Pública, Aff. C-662/13, ECLI:EU:C:2015:89, n° 26). Toutefois, les principes d’équivalence et d’effectivité sont, devant la Cour, beaucoup moins mobilisés pour les procédures administratives que pour les procédures juridictionnelles. Les principes généraux du droit restent le premier instrument par lequel la Cour de justice est intervenue pour imposer des standards procéduraux aux Etats.

Les principes de confiance légitime et de sécurité juridique s’imposent d’abord aux institutions et organes de l’Union ( J. MOLINIER, « Principes généraux du droit », Rép. Dalloz (Droit européen), spéc. n° 80 et s), toutefois ils viennent également encadrer les administrations nationales lorsqu’elles agissent dans le champ du droit de l’Union. Dans la jurisprudence de la Cour de justice, il n’est d’ailleurs pas facile de déterminer comment ces principes se conjuguent avec le principe de l’autonomie procédurale des Etats membres. Il n’en demeure pas moins que de ces deux principes et spécialement du principe de confiance légitime découlent certains standards applicables aux administrations nationales qui ont une incidence sur la procédure administrative, spécialement en matière de mesures transitoires.

Du principe général du droit à un recours juridictionnel, la Cour de justice a déduit une obligation de motivation des actes administratifs individuels (CJCE, 15 octobre 1987, Union des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football (Unectef) c/ Georges Heylens et autres, Aff. 222/86, ECLI:EU:C:1987:442). Par ailleurs, elle estime que le principe des droits de la défense ne s’applique pas seulement aux procédures juridictionnelles, mais également à l’édiction d’un acte administratif individuel susceptible d’être défavorable. Mais c’est évidemment le principe de bonne administration qui constitue la principale source de standards pour la procédure administrative.

Or ce principe est désormais codifié à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Toutefois, la rédaction de son paragraphe 1 implique qu’il ne s’applique qu’aux « institutions, organes et organismes de l’Union ». La Cour de justice a confirmé que cet article 41 ne s’imposait pas aux Etats membres (CJUE, 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega c/ Préfet de police et Préfet de la Seine-Saint-Denis, Aff. C-166/13, ECLI: ECLI:EU:C:2014:2336). La portée de cette solution paraît essentiellement formelle car rien n’empêche la Cour de justice de donner à son principe général du droit le même contenu que l’article 41 de la Charte.

Toutefois pour parvenir à une véritable harmonisation des procédures administratives nationales, la Cour de justice devra adopter une stratégie un peu plus systématique car en l’état actuel de la jurisprudence l’articulation des différents principes généraux du droit applicables aux procédures administratives nationales demeure particulièrement obscure.

La voie législative

Dès les années soixante, le droit dérivé a édicté certaines exigences procédurales à respecter par les autorités administratives nationales. Ainsi la célèbre directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (article 6) imposait une obligation de motivation des décisions prises sur son fondement. A partir des années soixante-dix, de très nombreux règlements ou directives imposent aux autorités nationales, non seulement une obligation de motivation, mais également l’indication des délais et voies de recours aux administrations des Etats membres lorsqu’elles édictent un acte sur leur fondement (Par exemple, article 14 de la directive 70/156/CEE du Conseil, du 6 février 1970, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la réception des véhicules à moteur et de leurs remorques). Ainsi le droit dérivé a en ce domaine précédé la jurisprudence de la Cour de justice.

L’impact de l’Union européenne sur les procédures administratives nationales est bien réel, mais paradoxalement la compétence du législateur de l’Union paraît des plus incertaine. L’Union ne semble pas disposer de compétences pour édicter des règles relatives aux procédures applicables devant les autorités administratives nationales, ce qui signifierait donc que le législateur de l’Union ne serait pas habilité à édicter des règles en la matière. Cette incompétence serait ainsi une conséquence du modèle de fédéralisme retenu par l’Union : l’administration indirecte dont découle le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale.

Il est toutefois possible de mobiliser la théorie des compétences impliquées. La plupart des standards procéduraux posés par le législateur de l’Union prennent place dans un règlement ou une directive qui procède à une harmonise du droit substantiel. L’objet principal du texte n’est généralement pas l’harmonisation des règles procédurales. La base juridique de la procéduralisation est donc changeante en fonction du domaine concerné : le marché intérieur, l’environnement, la protection des consommateurs, la politique sociale peuvent constituer autant de titres de compétence pour imposer des standards procéduraux. La compétence de l’Union en matière procédurale apparaît alors comme une compétence impliquée, c’est-à-dire une compétence nécessairement dévolue à l’Union dans la mesure où son exercice a pour objet d’assurer l’efficacité des règles substantielles par ailleurs édictées. C’est un raisonnement analogue à celui de la Cour de justice dans l’affaire de 2005 relative à la compétence pénale de l’Union. La Cour avait ainsi estimé qu’« en principe, la législation pénale tout comme les règles de la procédure pénale ne relèvent pas de la compétence de la Communauté (…). Cette dernière constatation ne saurait cependant empêcher le législateur communautaire, lorsque l’application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l’environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des États membres et qu’il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu’il édicte en matière de protection de l’environnement » (CJCE, 13 septembre 2005, Commission européenne c/ Conseil de l’Union européenne, Aff. C-176/03, spéc. n° 47-48).

Au-delà de la théorie des compétences impliquées, il convient toutefois d’examiner si des bases juridiques explicites ne pourraient pas être mobilisées. Selon l’article 197 FUE, « 1. La mise en œuvre effective du droit de l’Union par les États membres, qui est essentielle au bon fonctionnement de l’Union, est considérée comme une question d’intérêt commun. 2. L’Union peut appuyer les efforts des États membres pour améliorer leur capacité administrative à mettre en œuvre le droit de l’Union. Cette action peut consister notamment à faciliter les échanges d’informations et de fonctionnaires ainsi qu’à soutenir des programmes de formation. Aucun État membre n’est tenu de recourir à cet appui. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires à cette fin, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ». Toute harmonisation sur ce fondement paraît impossible. Il est dès lors également impossible de recourir à l’article 352 puisque celui-ci interdit expressément une harmonisation sur son fondement lorsqu’elle est par ailleurs exclue par le traité. Le paragraphe 3 de l’article 197 FUE précise qu’il est « sans préjudice des autres dispositions des traités qui prévoient une coopération administrative entre les États membres ainsi qu’entre eux et l’Union ». Or dans toutes les hypothèses où il y a co-administration entre la Commission et les autorités nationales ou co-administration entre autorités nationales, le droit de l’Union fixe bien certaines règles de procédure (C. VLACHOU, La coopération entre les autorités de régulation en Europe (communications électroniques, énergie), thèse Université Paris II Panthéon Assas, 2014).

L’Union européenne dispose donc bien de compétences lui permettant d’imposer des standards procéduraux aux administrations nationales lorsqu’elles agissent dans le champ du droit de l’Union. La nature de ces compétences paraît fort incertaine et surtout leur ampleur ne permet assurément pas de procéder à une harmonisation des procédures administratives nationales. Mais y-a-t’il fédéralisme sans zone grise ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art.81.

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Le règlement des différends avec l’administration

par  M. le pr. Jean GOURDOU
Professeur de droit public à l’UPPA, Directeur de Pau Droit Public

Art. 78. Un code destiné à embrasser les relations entre le public et l’administration ne pouvait passer sous silence le fait que celles-ci sont fréquemment source de crispations, voire de litiges, comme en témoigne l’expansion constante du contentieux administratif depuis la deuxième partie du XXe siècle. Mais intégrer cette dimension dans la cadre de la nouvelle codification -ce qui a fait l’objet du livre IV du CRPA- supposait un arbitrage entre plusieurs impératifs et tentations antinomiques. Ses concepteurs se sont ainsi attachés à concilier, d’une part, la volonté de l’exécutif de n’exposer dans ce code que les règles générales -d’origine textuelle ou jurisprudentielle- dans un objectif d’ « accessibilité » au grand public (cf Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-307 du 17 mars 2016, JORF n°0066 du 18 mars 2016) avec, d’autre part, le souci de faire en sorte que la simplicité du propos n’aboutisse pas à une caricature trompeuse de l’état du droit. De même ont-ils veillé à ne pas alourdir le texte en y intégrant inutilement des dispositions qui figurent déjà dans d’autres codes, privilégiant en conséquence la technique du renvoi (v. par ex. celui opéré par l’article L. 431-1 au code de justice administrative, renvoi qui épuise à lui seul le Chapitre consacré aux recours juridictionnels de droit commun). Le Livre IV du CRPA apparaît ainsi conforme au but recherché : présenter à l’administré un panorama relativement complet des instruments à sa disposition pour défendre ses intérêts face à une administration dont il estime qu’elle les met indûment à mal, lui donner les clés pour éviter les plus dangereuses chausse-trappes qui jalonnent ces démarches sans pour autant le bercer de l’illusion qu’il sera toujours en mesure d’agir efficacement en faisant l’économie des services d’un conseil avisé.

I.

La structure interne du Livre IV repose sur la distinction entre modes dits « non juridictionnels » de résolution des différends avec l’administration (Titre I et II consacrés respectivement aux « recours administratifs » et aux « autres modes non juridictionnels de résolution des différends« ) et les « recours juridictionnels » évoqués dans le Titre III. Il ne faudrait pas en déduire que ces différents outils sont nécessairement et totalement déconnectés les uns des autres ; mais un souci pédagogique imposait qu’on les traite de façon séparée, étant entendu que chacun de ces procédés peut, en soi, emporter extinction du litige. Pour arriver à cette fin, les instruments auxquels sont consacrés les deux premiers Titres supposent cependant un rapprochement des points de vue initialement opposés. A l’inverse, les recours juridictionnels -qu’ils impliquent l’intervention de l’ordre juridictionnel administratif (article L. 431-1) ou, lorsque cela est par exception admis, celle d’un arbitre ad hoc (article L. 432-1)- admettent par hypothèse que les parties devront se plier, même de mauvais gré, à la décision de justice ou à l’arbitrage rendus. Nous n’en dirons pas plus sur ces derniers recours dans la mesure où ils ne figurent dans le code que pour rappel, comme l’atteste la brièveté des articles qui les mentionnent.

II.

L’article L. 410-1 définit le recours administratif comme une  » réclamation adressée à l’administration en vue de régler un différend né d’une décision administrative « . Un tel recours vise le plus souvent à demander à l’administration de revenir sur sa décision (en la retirant ou l’abrogeant) ou à la modifier dans un sens plus favorable au réclamant. La suite de cette même disposition (et plus généralement, l’ensemble du Titre I) reprend la double distinction traditionnelle dans ce domaine, à savoir :

– celle qui oppose le recours administratif adressé à l’autorité même qui a pris la décision contestée (dit « recours gracieux« ) et celui formé auprès de l’autorité à laquelle l’auteur de l’acte subordonné (dit « recours hiérarchique« ) ;
– celle qui différencie le droit commun du recours administratif (lié en particulier à son caractère facultatif et ouvert, par principe, à l’encontre de toute décision administrative) des hypothèses dites de « recours administratifs préalables obligatoires » (prévus à l’encontre de certaines décisions administratives par des textes particuliers, comme passage obligé avant une éventuelle saisine du juge).

Parmi les multiples règles qui reprennent les éléments fondamentaux du régime général des recours administratifs, on retiendra essentiellement que le silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois après que l’administré a formulé sa demande demeure, ici, réputé constituer un rejet de celle-ci (article L. 411-7). Par ailleurs, dès lors qu’il est formé dans le délai normalement imparti pour l’introduction d’un recours contentieux (en règle générale dans les deux mois suivant une mesure de publicité appropriée), un recours gracieux ou hiérarchique interrompt le cours de ce délai (article L. 411-2). Cela signifie que, confronté à un rejet express ou implicite de son recours administratif, l’administré disposera d’un nouveau délai d’une durée égale à celui dont il disposait à l’origine pour saisir le juge (système dit de la « prorogation » du délai contentieux).

III.

Au nombre des « autres modes non juridictionnels de résolution des différends » classés comme tels par le code, sont abordés à la fois des procédés faisant intervenir un tiers dans l’objectif d’aider les parties à trouver un terrain d’entente (conciliation/médiation et rappel des compétences que le Défenseur des droits tient à cet égard), et la technique privilégiée pour entériner leur accord lorsque celui-ci intervient : le contrat de transaction, prévu par l’article 2044 du code civil mais applicable en droit administratif, mettant par écrit les concessions réciproques de chacune des parties au litige et doté de l’autorité de chose jugée.

Notons pour terminer que les dispositions du code relatives à la conciliation/médiation devraient incessamment connaître des modifications significatives avec le vote définitif du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle actuellement en cours de discussion au Parlement. En effet, la consultation du dernier état des travaux parlementaire montre que l’on semble se diriger vers une unification de ces techniques sous une seule et même procédure de  « médiation » dont le régime serait expressément défini par le code de justice administrative. Ce régime couvrirait trois hypothèses : le cas d’une médiation initiée par les parties avant l’introduction d’un litige juridictionnel (avec interruption des délais de recours contentieux et suspension des délais de prescription) ; celui où les parties, en dehors de tout litige juridictionnel, demanderaient à un juge administratif d’organiser une mission de médiation, voire simplement de désigner une personne qui en serait chargée (membres de la juridiction ou tiers) ; celui enfin où le juge administratif, saisi d’un litige, pourrait organiser une telle médiation avec l’accord des parties (mission confiée, ici encore, à des membres de la juridiction ou à des tiers).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno) ; Art. 78.

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Editorial : Les relations entre le public & l’administration mises à la portée de tout le monde

Art. 64. Depuis le 1er janvier 2016 est entré en vigueur l’essentiel du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA) édicté par l’ordonnance n°2015-1341 et le décret n°1342 du 23 octobre 2015. Présenté comme la lex generalis du droit des relations entre le public et les administrés, citoyens et usagers, il codifie une grande partie des textes applicables jusque-là à la relation administrative. Il a pour objectif de rassembler les « règles générales » c’est-à-dire les règles transversales régissant les personnes physiques et morales avec l’administration. Un code de ce type était attendu depuis une vingtaine d’années après les tentatives inabouties de 1996 et 2004. Sollicité par la doctrine depuis plusieurs décennies, le droit français avait accumulé un retard considérable au regard de la plupart des pays occidentaux déjà dotés parfois depuis plusieurs décennies d’une loi de procédure administrative (EU, Allemagne, Espagne, etc.). La multiplicité des lois et décrets rendait la matière peu accessible, particulièrement pour les principaux intéressés, les citoyens. En outre, aux textes législatifs et réglementaires, s’ajoutaient la source jurisprudentielle (largement dominante) ainsi que les sources constitutionnelles, internationales et européennes du droit de la procédure applicable aux relations entre l’administration et les citoyens, dans un contexte profondément renouvelé par le numérique, le développement des droits fondamentaux et la prise en compte du droit comparé, ce qui invitait à refondre la matière, par certains aspects, obsolète ainsi qu’à renforcer le dialogue entre l’administration et les citoyens.

Ce deuxième dossier du Journal du Droit Administratif  dont l’ambition est de tenter de « à la portée de tout le monde » les arcanes de la relation administrative rassemble plusieurs contributions sélectionnées par un appel à publication. Portant sur un aspect très technique du droit administratif : la codification de la relation entre l’administré et l’administration, le dossier fait à la fois un état de ces relations mais également une analyse critique du nouveau Code des relations entre le public et l’administration. Pour ce dossier, le Journal du droit administratif (JDA) a donc décidé de prendre pour objet de réflexion(s) la / les question(s) de la / des relation(s) administrative(s) et de porter un regard complet sur le Code des Relations entre le Public et l’Administration, dans une optique pédagogique et ce selon quatre parties. La première partie de ce dossier vise à resituer la contribution et les limites du code des relations entre le public et l’administration au sein des concepts fondamentaux du droit des relations administration-administrés. La relation entre ces deux acteurs de l’activité administrative est, en tant que telle, ancienne comme le rappelle très justement Mme Espagno-Abadie bien que, un siècle et demi avant le CRPA, le contexte fut incontestablement différent comme le souligne le Pr. Touzeil-Divina. Parce que la terminologie présente une réelle importance dans l’ensemble du droit administratif et précisément dans ce Code, un certain nombre d’auteurs ont analysé les termes choisis et les définitions retenues ; vous pourrez ainsi lire les articles de Mme Tamzini , de M. Groulier  ou encore du Pr. Truchet. Le lecteur peut ainsi plus facilement comprendre la codification en question dont il faut d’emblée préciser qu’elle n’est pas toujours synonyme d’innovation, ni de simplification…

La deuxième partie vise à analyser la réglementation édictée par le code, et ce, selon une optique pédagogique, tout en suivant sa structuration afin d’en faciliter la compréhension par les lecteurs du JDA. La codification est analysée de manière précise de sorte que plusieurs aspects fondamentaux du Code sont analysés dans ce dossier, des dispositions liminaires analysées par le Pr. Saunier, à l’analyse des actes administratifs unilatéraux lesquels appréhendés au regard de leur entrée en vigueur par Mme Crouzatier-Durand mais également de leur sortie de vigueur étudiée par M. Gaullier, sans que soient occultées les décisions implicites exposées par Mme Benard-Vincent. Les grands principes du droit administratif tels que l’obligation de motivation , le principe de bonne administration ou la question des droits et libertés  sont analysés par les Pr. Carpano, Dubos et Koubi. Il apparaît à la lecture du Code qu’une bonne relation suppose la participation des administrés, notamment aux processus décisionnels comme le souligne le Pr. Chevallier  mais également aux enquêtes publiques comme l’analyse Mme Touzeau-Mouflard. Nombre de textes internationaux rappellent et garantissent ces droits comme le souligne le Pr. Crouzatier . Malgré cela, la place du citoyen administratif au Parlement pose question note M. Balnath. Le règlement des différends est un aspect du Code que nos contributeurs ne pouvaient pas ignorer. Le Pr. Gourdou et Mme Diemer  nous exposent leurs réflexions.

La troisième partie s’intéresse aux applications des règles générales analysées précédemment dans les différents champs de l’action publique. L’application pratique du Code est appréhendée dans une perspective locale par le Pr. Kada  et M. Chicot ainsi qu’au regard de l’aménagement du territoire  par Mme Boubay-Pagès. La perspective financière et fiscale est présentée par le Pr. Dussart . Cette dimension pratique est également appréhendée au regard des contrats et marchés par le Pr. Kalflèche (Art. 84. Contrats & marchés …) ou encore du secteur culturel par M. Voizard .

Enfin, les apports du droit comparé forment la quatrième partie du dossier : M. Sorokin présente son point de vue depuis la Russie. Mme le Pr. Franch Saguer donne au lecteur l’occasion de découvrir comment la question est traitée en Espagne et en Catalogne ; le Pr. Andry Matilla Correa, par delà les océans, nous présente cette relation administrative depuis Cuba .

Ainsi, de cet ensemble se dégage une analyse manifestement très mitigée. Assurément, la principale qualité de ce nouveau code est d’exister tant un code de ce type était attendu. Le pragmatisme des rédacteurs apparaît de ce point de vue largement justifié. Le CRPA constitue dès lors une étape importante de la relation administrative. Cependant, bien des hésitations se logent dans les commentaires comme les lecteurs le découvriront en parcourant le dossier. Ces dernières sont en premier lieu liées à l’absence d’accessibilité du texte, contrairement à son ambition initiale. Cela est sans nul doute lié à la technicité d’une matière rétive en réalité à la simplification, mais peut être convenait-il de ne pas céder à la rhétorique d’un objectif, par définition, peu atteignable… Une seconde explication paraît se trouver dans la codification opérée principalement à droit constant alors même que la loi d’habilitation ouvrait de larges perspectives de rénovation. Enfin, une troisième explication découle de la difficulté de scinder une loi dite « générale » des règles spéciales de procédure. Le CRPA paraît sur ces trois points en quelque sorte au milieu du gué : trop général par certains aspects, il ne résout pas de façon précise de multiples questions pratiques qui se posent aux administrateurs. Il est par ailleurs à craindre que le contentieux soit nourri quant à la distinction de cette « lex generalis » des textes spéciaux de procédure, ce qui est rarement une heureuse nouvelle pour le justiciable… Pour autant, le JDA souhaite une longue vie au CRPA, tout adressant ses chaleureux remerciements aux auteurs et, surtout, une bonne lecture, à ses abonnés…

Pour le Journal du droit administratif

Pr. Sébastien Saunier
Mmes Florence Crouzatier-Durand
& Delphine Espagno-Abadie

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 64.

 

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Las relaciones entre los ciudadanos y la Administración Pública en Cuba

 par M. Andry MATILLA CORREA,
Profesor Titular de Derecho Admnistrativo de la Faculdad de Derecho de la Universidad de La Habana. Presidente de la Sociedad Cubana de Derecho Consttucional y Administrativo de la Unión Nacional de Juristas de Cuba.

Art. 91. La Administración Pública como realidad organizada y actuante en el marco de la estructuración y funcionalidad del poder público moderno, resulta un fenómeno qe despliega su alcance operativo en los marcos de la comunidad políticamente organizada (en el nivel de organización que sea: supraestatal, estatal, local), sobre los sujetos que la integran (ciudadanos), y en función de la consecución de determinados fines que le son asignados por el ordenamiento jurídico.

En el marco del funcionamento administrativo, colocándnos en un ángulo de mira más general, la Administración Pública puede relacionarse con los ciudadanos desde la base de dos perspectivas de régimen jurídico: una, sometida al Derecho Admnistrativo a partir del uso de técnicas iuspublicisticas; y otra, sometida al Derecho Privado en razón del uso de técnicas iusprivatistas. En ambos casos, que han resultado del proceso de formación y evolución histórica del marco jurídico ordenador del fenómeno administrativo público, lo que trasuntan no son sino modos y medios diversos de conseguir jurídicamente los objetivos existenciales que determinan el funcionamiento admnistrativo de ese aparato público.

Las bases históricas primigenias del Derecho Administrativo y del Derecho Procesal Administrativo en Cuba, se encuentran en el régimen jurídico-administrativo español del siglo XIX, con sus influencias externas (especialmente francesa) y su desarrollo propio, determinando nuestra adscripción a un modelo de régimen jurídico-administrativo que nos ha llegado hasta hoy, salvando la consecuente evolución que el mismo ha tenido a lo largo del siglo XX y lo que va del XXI. En tal sentido, entendemos al Derecho Administrativo como el susbistema jurídico que regula la organización y funcionamiento de la Administración Pública y el ejercicio de la función administrativa.

El régimen jurídico administrativo en Cuba, tiene sus bases generales en el marco constitucional vigente: la Constitución cubana de 24 de febrero de 1976, modificada en 1978, 1992 y 2002. La Constitución no solo contiene preceptos que afectan directamente, en un sentido u otro, la ordenación jurídica de la organización y la actuación administrativa; sino además que tiñen de contenido y legitimidad ese funcionamiento y lo configuran y determinan en sus bases jurídicas más generales, de un modo directo o indirecto. Como epicentro del ordenamiento jurídico y su valor en la configuración, ordenación y limitación del ejercicio de poder público – entre lo que lo administrativo es una arista importante – y sus proyecciones sobre la comunidad politicamente organizada y los ciudadanos que la integran, la Constitución es algo más que una fuente normativa o positiva del Derecho Administrativo, pues se convierte en el más encumbrado de los pilares de configuración jurídica del aparato y el trafico iusadministrativo, y en el primero de los componentes de su entramado positivo ordenador.

En concreto, en el marco constitucional cubano actual se consagran algunos pilares que operan como mandatos a observar y garantías formales para la relación Adminisración Pública-ciudadanos, como son: el principio de legalidad (artículos 10 y 66); el principio de responsabilidad patrimonial del Estado y el derecho reclamar y a obtener la reparación o indemnización correspondiente (artículo 26); el principio de igualdad (Capítulo IV, artículos 41 al 44); el derecho de queja y de petición y el deber de resolver frente a ello (artículo 63); los Principios de organización y funcionamiento de los órganos estatales” (Capítulo IX) entre los que puede destacarse el control popular (artículo 68, inciso b). Todo ello, por supuesto, en la línea que señala el artíclo 1 constitucional, al disponer que: “Cuba es un Estado socialista de trabajadores, independiente y soberano, organizado con todos y para el bien de todos, como república unitaria y democrática, para el disfrute de la libertad política, la justicia social, el bienestar individual y colectivo y la solidaridad humana.”.

Aún así, quedan algunas fisuras formales en la garantía de la relación Administración Pública-ciudadanos, en tanto no se han consagrado a nivel constitucional, como si ocurren en otros ordenamientos, conquistas como son la tutela judicial efectiva o el pleno acceso a la justicia (en el caso cubano las salas de lo civil y lo administrativo del Sistema de Tribunales Populares) frente al funcionamento administrativo.

Por las características funcionales de la Administración Pública cubana, el acto administrativo es aún la técnica jurídica fundamental para establecer relaciones concretas con los ciudadanos. Aunque, en Cuba no existe una ley de procedimiento administrativo – otras de las falencias de nuestro régimen jurídico-admnistrativo -, al como las más tendencias modernas han ido imponiendo, a pesar de que anteriormente tuvimos vigente el Reglamento del Procedimiento Administrativo, de factura española decimonónica, dictado por el Real-Decreto de 23 de septiembre de 1888, vigente en Cuba por Real Orden de 25 de septiembre de 1888, y modificado por Real-Decreto de 26 de agosto de 1893.

El ciudadano cubano cuenta con un conjunto de recursos (reforma, alzada, apelación, revisión) para impugnar en vía administrativa los actos de la Administración Pública; conjunto que se encuentra disperso en una serie de normas de rango legal y reglamentario y en muchos casos las regulaciones no tienen plena coherencia como exige la propia existencia del ordenamento jur´dicio como orden.

Estos recursos administrativos tienen gran importancia, no sólo por la función impugnatoria, de control y garantsta que cumplen, sino nuestro orden procesal administrativo, sujeto aún a viejos dogmas, exige (artículo 670, apartado 2, de la ley procesal administrativa vigente) que para poder promover un proceso administrativo, la resolución contra la que se promueva el mismo no ha de ser susceptible de ulterior recurso en la vía administrativa, ya sean definitivas o de trámite, si éstas deciden directa o indirectamente el fondo del asunto de tal modo que pongan término a dicha vía o hagan imposible su continuación. De ahí que el agotamiento previo de la vía administrativa surja como un requerimiento necesario para acceder luego al contencioso-administrativo, configurando como obligatoria y no como potestativa la utilización por el administrado, allí donde operen, de los recursos en vía administrativa que al efecto se dispongan para completar ese camino procedimental administrativo cuya culminación abra entonces el mecanismo judicial. Incluso, en algunos casos – que no son pocos, por cierto – los recursos en la vía administrativa se configuran como los únicos mecanismos de impugnación de los actos administrativos y, en este sentido, de protección del ciudadano frente al actuar de la Administración Pública, por cuanto la propia legislación impide el acceso a la vía judicial como mecanismo de control y protección de los derechos de los administrados (y del interés público) frente al funcionamiento administrativo. Y no nos referimos aquí a ventilar cuestiones en materia administrativa cuya cuantía no convierte en oportuno la apertura de la vía judicial para ventilarlas; sino a controversias en las que están en juego aspectos importantes con afectaciones a los derechos de los administrados y del propio interés general que debe protegerse y garantizarse.

La organización específica del sistema de tribunales en Cuba, se ordena a partir de la Ley No.82, De los Tribunales Populares, de 11 de julio de 1997; y la legislación procesal administrativa está constituida por la Ley de Procedimiento Civil, Administrativo, Laboral y Económico (LPCALE), Ley No. 7 de 19 de agosto de 1977, modificada, por el Decreto-Ley No. 241 de 23 de septiembre de 2006; que regula lo correspondiente al proceso administrativo en la Segunda Parte, “Del procedimiento administrativo”, artículos 654 al 695.

En Cuba la justicia administrativa se articula sobre la base del principio de unidad de jurisdicción y del modelo judicialista. Y el régimen procesal administrativo vigente sigue anclado en viejos dogmas de sabor decimonónico (revisión de lso actos administrativos, limitaciones de legitimación activa y pasiva, limitacones en el obejto del proceso, no revisión judicial de la discrecionalidad) desmantelados ya (conceptual y funcionalmente) en lo más avanzado de las experiencias jurídicas al respecto.

A la luz de la legslación proesal administraiva vigente, no cabe ninguna duda de que hay un ámbito muy restringido, tanto del objeto del proceso administrativo en Cuba, cuando de la legitimación pasiva y activa de las partes intervinientes en el mismo. Lo que trasluce un limitado acceso a la justicia frente al funcionamiento administrativo, en el marco de la realidad jurídica cubana

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 91.

 

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Un impensé dans la procédure administrative : les modes alternatifs de règlement non juridictionnels des différends

par Mme Marie-Odile DIEMER,
Enseignant-chercheur à l’Université de Bordeaux (CERCCLE, EA 7436)

 

Art 79. Si le droit administratif doit profondément se concevoir comme un droit de conciliation entre l’intérêt général et les intérêts privés, il doit nécessairement fournir les instruments les plus à mêmes de matérialiser cet impératif en cas de conflit. L’apparition dans les articles L. 421-1 à L. 424-1 du CRPA des notions de conciliation, de médiation et de transaction permet-elle de pallier les lacunes du droit administratif en ce domaine ?

Les modes alternatifs de règlement des différends non juridictionnels (est exclu ici l’arbitrage), renouvellent en effet une matière a priori réfractaire à de telles méthodes de résolution des conflits.

Ce nouveau souffle, concrétisé par le sigle désormais connu de « MARD », s’immisce dans les écrits doctrinaux et marque les réformes procédurales en droit depuis quelques années. Il est décliné selon les cas, les tendances ou les disciplines, en MARL (modes alternatifs de règlement des litiges), MARD (des différends), ou encore MARC (des conflits).

Toutefois, toutes les branches du droit ne se sont pas concentrées sur ces techniques de la même manière et à la même vitesse. A cet égard, la procédure civile est particulièrement encline à perfectionner l’emploi de ces modes complémentaires de résolution du conflit (décret du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, JORF 14 mars 2015, p. 4851 ; Livre V du Code de procédure civile consacré à la résolution amiable des différends).

La parallèle est inexistante en droit administratif : discuter, négocier, transiger, ces termes semblent lui être étranger. L’histoire même de ce droit explique en effet cette réticence. Le juge administratif, traditionnellement présenté comme la seule autorité capable de résoudre les litiges, ne saurait être en rivalité avec d’autres procédures dites « parallèles » à la procédure juridictionnelle où l’unilatéralité de la prise de décision serait concurrencée par la négociation.

Pourtant, il n’est plus aujourd’hui question de débattre de l’utilité des MARD en droit administratif. Les autorités administratives y recourent effectivement, les avantages sont nombreux (rapidité, rationalisation des coûts, efficacité) et les administrés, en tant que personnes privées, commencent à y être habitués dans leurs différends civils. Il s’agit donc plutôt de s’interroger sur la manière dont le droit administratif doit les intégrer et comment les encadrer. Le CRPA vient régler une partie des questions et codifie au sein de son livre IV consacré aux règlements des différends avec l’administration les différentes méthodes en la matière. Toutefois, les définitions sont encore lacunaires. La codification marque donc d’une pierre blanche la reconnaissance attendue d’un encadrement juridique des MARD. Cette première étape se doit cependant d’être prolongée.

L’entrée en vigueur du CRPA : la révélation d’un encadrement juridique défaillant des MARD

L’encadrement textuel des modes alternatifs de règlement a longtemps été un impensé du droit administratif. S’est forgé une sorte de déni du législateur à leur propos. Leur pleine expansion dans la pratique des différentes collectivités territoriales ne permet plus qu’ils soient ignorés des textes encadrant les pratiques de l’administration. A l’insuffisance critiquable, succède une reconnaissance de leur encadrement juridique, mais que l’on ne peut cependant pas encore qualifier de tout à fait remarquable.

Un encadrement juridique longtemps insuffisant

L’encadrement juridique des modes alternatifs de règlement des litiges en droit administratif a longtemps pu se définir par son caractère sporadique. Sans être inexistant, il était surtout partiel et résiduel.

Dans un premier temps, l’on constate que les principaux textes régissant les relations entre l’administration et les administrés étaient tous muets sur le sujet (Décret n°83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l’administration et les usagers, JORF 3 décembre 1983, p. 3492 ; Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF 13 avril 2000, p. 5646).

Dans un second temps, on voit apparaître les premiers outils à disposition des administrations mais sous la forme presque confidentielle de la circulaire et concentrée uniquement sur la transaction (Circulaire du 6 février 1995 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits, JORF 15 février 1995, p. 2518 ; circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l’exécution des contrats de la commande publique, JORF 18 septembre 2009, p. 15230 ; Circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits, JORF 8 avril 2011, p.6248).

Malgré ces efforts, la visibilité demeurait insuffisante.

En parallèle pourtant, le code de procédure civile n’en finissait pas de se réformer, de se transformer et de s’adapter à ces nouvelles techniques procédurales. Le droit administratif, en retard, s’est enfoncé dans son déni de l’existence de ces procédures.

Une reconnaissance explicite bienvenue de l’existence des MARD en droit administratif

Le CRPA consacre clairement une partie aux modes alternatifs sans toutefois les nommer comme tels. Ils divisent d’ailleurs les modes non juridictionnels (conciliation, médiation, transaction) et les modes juridictionnels (l’arbitrage).

La codification permet cependant d’embrasser enfin tout le panel des modes alternatifs. De plus, l’accessibilité est renforcée. L’administré sait qu’il n’a pas uniquement le recours au juge comme mode de résolution de ses différends avec l’administration. Il peut aussi se tourner vers l’administration pour négocier une solution et non seulement pour réclamer une décision. Ce n’est pas seulement une voie nouvelle qui se présente pour l’administration et ses administrés mais surtout des méthodes variées et profondément ancrées dans la modernité. Cependant, la reconnaissance est limitée. Les modes alternatifs se retrouvent simplement « listés » sans autre précision, mais surtout sans réelle définition.

L’entrée en vigueur du CRPA : une prolongation nécessaire de l’encadrement juridique des MARD.

Les modes alternatifs offrent une multitude d’avantages pour renouveler le traitement contentieux des affaires administratives. Particulièrement opportuns dans le contentieux indemnitaire, ils peuvent facilement se développer dans le cadre des dommages de travaux publics ou encore à la suite de marchés publics annulés. Cette diversité doit cependant s’accompagner d’un encadrement juridique précis. La protection des deniers publics et la prohibition des libéralités imposent aux autorités administratives d’agir avec précaution (CE, Ass. Avis, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré de l’Hay-les-Roses et Société CDI 2000, n° 249153). Le CRPA se présente à cet égard comme lacunaire et la codification doit surtout se prolonger à travers d’autres codes.

Les insuffisances du code des relations entre le public et l’administration concernant les MARD

Le Titre même dans lequel certains modes alternatifs sont incorporés surprend, il s’agit des : «autres modes de règlement non juridictionnels des différends».

On remarque ainsi le caractère quasi accessoire de ces modes alternatifs qui ne se présentent pas comme complémentaires mais véritablement secondaires. Une reconnaissance certes se doit d’être soulignée, mais elle est minimale : une sorte de concession voire de relégation en somme. Surtout, les définitions sont manquantes. Si les modes alternatifs sont variés, c’est parce qu’ils recouvrent chacun un régime propre que le code ne marque pas. La codification n’a notamment pas été l’occasion d’une réappropriation de la définition de la transaction qui est simplement une transposition de l’article 2044 du Code civil. Également, l’on ne constate pas de frontière nette entre la conciliation et la médiation ; différentiation difficile qui fait pourtant l’objet de vives discussions doctrinales et que le code aurait pu trancher. L’implication du tiers n’est pourtant pas la même et la négociation ne se déroule pas de la même manière.

Une codification inachevée

Une réforme du code de justice administrative peut venir compléter ce mouvement de codification des MARD. En effet, le juge peut également jouer un rôle dans ces modes alternatifs et être l’acteur de ces nouvelles méthodes de résolution des conflits : soit en amont, à travers un office de la conciliation ou de la médiation qui lui est attribué ou qu’il peut déléguer ; soit en aval par le biais de l’homologation des transactions.

Là encore, la codification n’est pas inexistante, mais elle est largement insuffisante. Le CRPA reconnaît lui même ces possibilités dans ses articles L. 422-1 et L. 422-2 mais il se contente de renvoyer aux dispositions du CJA. Ce dernier n’est pas plus précis puisqu’il prévoit la médiation juridictionnelle mais uniquement concernant les litiges transfrontaliers (article L. 773-1), et la conciliation est totalement à la discrétion des juges sans se présenter comme un véritable office alternatif (article L. 211-4).

En définitive, le mouvement de codification des procédures administratives ne doit plus seulement s’inscrire dans la volonté de simple rationalisation des textes mais également de remédier à leur absence. La nécessité de redonner une vraie place à l’administré, qui n’est plus un assujetti mais un véritable acteur de la résolution de son conflit avec l’administration se concrétise par la voie des MARD. En ce sens, le CRPA marque une étape remarquée mais inachevée dans la trop jeune histoire des MARD en droit administratif.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 79.

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De la définition de l’administration

par Mme Wafa TAMZINI,
Maître de conférences en droit public, Université Paris XIII – Sorbonne Paris Cité.
CERAP – EA 16129. CERSA – UMR 7106.

Art. 68. A la fin des dispositions préliminaires du code des relations du public avec l’administration, l’article L. 100-3 propose d’entendre par « Administration : les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale… ». La notion d’administration se laisse difficilement définir. Il est complexe d’appréhender l’administration car les nombreuses fonctions qu’elle est appelée à réaliser empêchent toute énonciation uniforme de sa définition.

Une première approche peut être tentée par le biais de l’étymologie. Cependant, Jorge Luis Borgès nous a appris à nous méfier de ses séductions. Il observe qu’ « étant donné la transformation du sens primitif des mots qui peut confiner au paradoxe, l’origine d’un mot ne nous servira de rien ou presque pour l’éclaircissement d’un concept. Savoir que calcul en latin veut dire « petite pierre » et que les pythagoriciens les employèrent antérieurement à l’invention des nombres ne nous permet pas de dominer les arcanes de l’algèbre. Savoir qu’hypocrite signifiait « acteur » et personne « masque » ne constitue pas un instrument d’une grande valeur pour l’étude de l’éthique » (Jorge Luis Borgès, Enquêtes, 1957, traduction de l’espagnol par Paul et Sylvia Benicho, Nouvelle édition 1986, Gallimard, Collection du monde entier, p. 226).

C’est avec une certaine prudence que cette ressource doit être mobilisée. Le terme « administration » vient du latin « ministrare » qui signifie servir pour, qui vient lui-même de ministris qui signifie serviteur. Ajoutons que Ministris est un génitif de même nature que minaris ; c’est-à-dire que le radical minus implique que l’administration se trouve toujours dans une position subordonnée, qu’il y a toujours au-dessus d’elle quelqu’un à qui appartient le pouvoir » (Rolland Drago, Cours de science administrative, Paris, Les cours du droit, 1970, p. 1). Notons que le préfixe « ad » évoque la tension vers un but. L’idée indiquée ici est celle d’une subordination et d’une application des règles énoncées par d’autres sources. Mais cette approche étymologique ne nous permet pas de distinguer l’administration privée de l’administration publique.

En effet, administration privée et administration publique sont toutes deux des instruments au service d’un pouvoir. Simplement, elles ne servent pas le même pouvoir. Pour s’en convaincre, observons que dans le langage courant, « administrer » évoque tantôt l’action de « faire prendre » quelque chose, un remède par exemple, tantôt celle de « gérer en faisant valoir, en défendant les intérêts ». Cette dernière acception est dominante dans l’espace des relations entre un public et des institutions  : le terme « administration » évoque dans le vocabulaire juridique et sociologique, l’idée de gérer en faisant valoir. L’administration c’est la gestion des affaires en défendant des intérêts. De cette approche résulte que le terme « administration » est porteur d’une ambivalence : il désigne à la fois l’organe et l’activité. Il est susceptible dès lors de revêtir deux acceptions, l’une organique, l’autre matérielle.

Dans le code des relations entre le public et l’administration, c’est l’approche organique qui a été retenue pour définir l’administration. L’article L. 100-3 précité dispose bien qu’au « sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : 1° Administration : les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale … ». Le choix d’une perception institutionnelle, à l’image d’une fresque politico-administrative, en est une des marques essentielles.

L’approche fonctionnelle n’a donc pas été retenue, même si, paradoxalement, les dispositions de l’article L 100-2 dudit code évoquent certaines modalités d’action comme des principes de fonctionnement : « L’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial ».

Il est d’ailleurs à noter que la soumission de l’administration au pouvoir politique n’est pas explicitement énoncée. Certes, la référence au respect du principe de légalité présuppose une telle subordination. Mais un tel rappel dans ce code aurait pu éclairer la position de l’administration au sein de l’espace social aux yeux du public. En effet, l’administration n’est pas un acteur social comme les autres. Elle sert certes un pouvoir, au même titre qu’une administration purement privée, mais le pouvoir qu’elle sert est singulier puisque c’est celui qui définit l’intérêt général. « Parce qu’elle est placée du côté de l’État, chargée d’assurer l’exercice concret des fonctions étatiques, l’administration ne saurait être considérée comme un acteur social identique aux autres et le rapport qu’elle entretient au droit est nécessairement singulier » (Jacques Chevallier, « Changement politique et droit administratif », in CURAPP, Les usages sociaux du droit, PUF, 1989, p. 307).

De plus, l’absence de définition fonctionnelle explicite de l’administration dans ce code destiné à régir les relations entre le public et l’administration constitue un sérieux obstacle à la compréhension de son activité et de son action.

L’administration n’est pas uniquement un regroupement d’organes agissant dans l’intérêt général et accomplissant des missions de service public. Elle a également pour fonction importante d’interpréter le droit élaboré par le pouvoir politique auquel elle est subordonnée. Or, cette fonction n’est pas citée dans la définition de l’article L 100-3 du code. C’est pourtant celle que connaissent bien les destinataires de ce code.

En effet, dans son action d’explicitation de la règle de droit, l’administration élabore des textes (circulaires, instructions, etc.) destinés aux agents chargés de mettre en œuvre concrètement les dispositions des lois et règlements. Dans ce travail de clarification, il arrive alors que l’administration s’approprie le sens de cette règle et en devienne in fine le véritable auteur. L’interprétation administrative qu’elle soit dite impérative ou réglementaire, qu’elle soit considérée comme portant des lignes directrices ou des orientations, est reconnue comme capable de produire des effets juridiques et ceux-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les situations juridiques des citoyens. Ce qui révèle toute l’importance que revêt la subtilité des relations entre administrés et administration. Ce dont ne traite qu’à la marge le code des relations entre le public et l’administration.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 68.

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Petite chronique d’une rencontre : le Code des relations entre le public et l’administration et l’aménagement du territoire

par Mme Michèle BOUBAY-PAGES,
Maître de conférences de droit public, Université Toulouse I Capitole

Art. 88. L’aménagement du territoire est une politique publique rétive à l’encadrement juridique bien que deux lois lui aient été spécialement dédiées, la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire et la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, qui est venue la modifier. En effet, le droit de l’aménagement du territoire est largement redevable à la soft law, à des documents sans portée normative, tels que les schémas, les chartes, ou encore à ces actes que le code qualifie de non décisoires. La politique d’aménagement du territoire est animée par une double ambition : assurer l’égalité des chances sur l’ensemble du territoire en déployant des incitations financières en direction des entreprises et des actions de revitalisation des territoires en difficulté et le renforcement du rayonnement international de la France. L’objectif du code est de rendre accessibles aux usagers les règles régissant les relations entre le public et l’administration en faisant œuvre de simplification et de transparence.

Que ressort-il de la rencontre de ces deux ambitions ? Quel est l’apport du code à la politique d’aménagement du territoire ?

Outre les dispositions concernant l’entrée et la sortie de vigueur (exception faite de l’article L 242-2-2° relatif au retrait des subventions) des actes administratifs unilatéraux qui, de manière générale, s’appliquent à toute matière ayant recours aux actes décisoires, les règles particulières à la saisine et aux échanges par voie électronique (articles L 112–7 à L 122–2), et celles concernant l’association du public aux décisions (Titre 3, articles L 131–1 à R 132–10) intéressent tout particulièrement l’aménagement du territoire. Les dispositions relatives aux actes non décisoires dont ce droit fait grand usage, restent trop embryonnaires, et cela est regrettable, pour le concerner de manière efficiente.

Des rencontres fructueuses

Téléprocédures et politique des services publics

Dans les zones rurales, la mise en œuvre de la politique des services publics fait largement appel aux outils numériques. Les téléprocédures, notamment, permettent d’abolir les distances et de restreindre la nécessité de la présence physique des agents. Sur le fond, le code n’apporte pas de règles nouvelles, il retranscrit en partie l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives ainsi que loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés. Cependant le regroupement de ces règles rend la matière plus directement accessible. Il ressort clairement deux principes applicables aux téléservices : l’accessibilité et la sécurité.

La fin du casse-tête de la récupération des aides d’Etat

Le 2° de l’article L242-2 aux termes duquel « Par dérogation à l’article L. 242-1, l’administration peut, sans condition de délai : (…) 2° Retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées » est particulièrement bienvenu. En effet, il résulte de la jurisprudence Ternon (CE, Ass., 26 oct. 2001, M. Ternon n° 197018) qu’un acte créateur de droit entaché d’illégalité ne peut être retiré que dans le délai de quatre mois maximum à compter de la prise de décision. Ce délai était trop bref lorsque l’illégalité d’une aide était due au non-respect des règles de l’Union Européenne concernant les aides d’Etat (article 108 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne). Lorsqu’une aide a été accordée en violation de ces règles, l’Etat doit en récupérer le montant auprès du bénéficiaire en appliquant le droit interne et en veillant à ce qu’il ne fasse pas obstacle à la récupération. Véritable casse-tête, le délai de quatre mois étant largement insuffisant pour remplir ces exigences (cf. Conseil d’Etat, Section, 13 mars 2015, ODEADOM, requête numéro 364612 jugeant que le droit européen ne pouvait être tenu en échec par le droit interne) ! L’œuvre créatrice du codificateur mérite ici d’être saluée.

Des rendez-vous manqués

La concertation

Le Code n’envisage l’association du public qu’en amont de la décision. Or, l’article 1er de la loi précitée du 4 février 1995 dispose, à propos de la politique d’aménagement du territoire, que «Les citoyens sont associés à son élaboration et à sa mise en œuvre ainsi qu’à l’évaluation des projets qui en découlent». Ce n’est donc pas une simple participation en amont mais une véritable adhésion qui est ici recherchée. L’aménagement du territoire génère des documents, plans et chartes, dénués de portée normative, tirant « leur force de la qualité de la concertation dont ils sont issus » (Yves Morvan). Les plans, qu’ils soient nationaux ou locaux, n’ont généralement pas de portée prescriptive, pas davantage que les chartes définissant les orientations des « territoires de projets », ex pays, agglomérations. La concertation avait trouvé son point d’orgue avec l’institution du conseil de développement des pays par la loi du 25 juin 1999. Mais l’ambition de cette loi a fait long feu. Des conseils de développement ont été prévus pour les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux qui ont en quelque sorte pris la suite des pays (loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles). Ces conseils sont composés de représentants de la société civile, mais ils ne sont plus sollicités au moment de l’élaboration, mais seulement de la mise en œuvre des orientations du pôle. S’agissant des plans, l’association du public, quand elle est prévue, peut se limiter à l’élaboration du document. C’est le cas du nouveau schéma régional, le SRADDET (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) créé par la loi Notre (loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République). La loi prévoit une enquête publique portant sur le projet de schéma, enquête relevant du Code de l’environnement, restant par conséquent en dehors du champ du code (article 134-1). La concertation peut aussi, tout en étant prévue, manquer de consistance comme en témoigne la circulaire du Premier ministre du 15 novembre 2013 relative à l’élaboration de la génération actuelle des contrats de plan Etat-région. Tout en affichant la volonté d’associer « les acteurs de la société civile aux réflexions stratégiques », la circulaire fourmille de bonnes intentions sans toutefois aborder les modalités concrètes de cette concertation. On peut regretter que le code n’ait pas été l’occasion de donner corps à ce type d’association du public.

Quant aux dispositions relatives aux « commissions administratives à caractère consultatif » (articles R133-1 à R133-15), elles intéresseraient l’aménagement du territoire qui prévoit de nombreuses consultations, si du moins les commissions les plus importantes, à l’instar des conférences territoriales de l’action publique instituées dans chaque région par la loi du 27 janvier 2014, n’étaient pas créées par la loi et donc hors champ du code.

Les actes non décisoires

La politique d’aménagement du territoire fait largement appel aux actes non décisoires tels que les circulaires ou directives devenues lignes directrices (le code ne reprend aucune de ces deux dénominations) pour l’attribution des aides aux entreprises. Le code est ici un peu décevant dans la mesure où il envisage seulement la publicité de ces actes quand la codification de la jurisprudence aurait ajouté à la connaissance, à la compréhension et à la stabilisation de leur régime. S’agissant des aides aux entreprises, leur octroi doit en effet s’effectuer dans la transparence. Si la publication des actes non décisoires peut y aider, il en va de même la motivation du refus d’une aide ou d’un agrément. Cela dit, le Code reprend ici les dispositions de la loi du 11 juillet 1979.

L’apport du code à la politique d’aménagement du territoire laisse un goût d’inachevé, mais faut-il le regretter si l’on considère, à la lumière de la pratique, que les procédures de l’aménagement du territoire sont faites pour n’être pas respectées ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 88.

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Le secteur culturel

par Karl-Henri VOIZARD ,
Maître de conférences de droit public, Université de Toulouse, INU J.-F. Champollion,
Membre de l’IDETCOM (EA 785)

Art. 87. Il y aurait tellement à dire que nous limiterons notre propos à deux morceaux choisis. D’une part, en précisant le régime des subventions, le CRPA rejaillit sur un secteur culturel fortement imprégné de cette pratique. D’autre part, le code fait plusieurs fois référence à certaines des banches du patrimoine culturel mais son approche de l’objet apparaît au final ambiguë.

Le régime des subventions : une précision essentielle

C’est l’une de leurs marques de fabrique : les politiques culturelles s’appuient sur un réseau d’acteurs faisant intervenir aussi bien l’Etat et les collectivités territoriales qu’une nébuleuse d’associations et de sociétés commerciales. Dans ce puzzle d’institutions, la cohérence et l’efficacité de l’ensemble tiennent avant tout à l’existence de relations plus ou moins étroites entre les pouvoirs publics et ces structures privées. Pour le dire vite (pour une présentation plus complète, v. notre contribution, L’État culturel et le droit, LGDJ, 2014, n° 292-299), ces rapports entre personnes publiques et privées prennent d’abord la forme de conventions dans lesquelles sont fixées les obligations de chaque partie (le Théâtre national de Toulouse, par exemple, est une société par actions simplifiée sous convention avec l’Etat). Une véritable « mission » de service public est alors confiée à l’opérateur privé. Dans la plupart des autres hypothèses, ces rapports se manifestent à travers l’attribution d’une simple subvention (le Festival Pause Guitare d’Albi et le Théâtre Garonne à Toulouse illustrent ce cas de figure). À première vue, difficile de comprendre comment le second mécanisme parvient aussi bien que le premier à garantir l’unité de l’action culturelle, à la prémunir contre l’éparpillement. Sauf que dans le cas de la subvention culturelle, l’aide financière est bien souvent indispensable à l’activité pour qu’elle perdure, voire pour qu’elle éclose un jour. Voilà comment l’administration se retrouve en situation d’exiger avec force que l’organisme bénéficiaire prenne un certain nombre d’engagements qui vont dans son sens (en termes de tarifs, de programmation, d’action de sensibilisation en direction des publics etc.). Reste qu’une fois la subvention perçue en tout ou partie, les bénéficiaires pourraient être tentés d’en adopter une lecture quelque peu arrangeante – après tout c’est humain ! De considérer que, le contexte ayant évolué, les contraintes n’étant plus les mêmes, il serait absurde de s’enfermer dans un rigorisme en tout point contre-productif – à l’impossible nul n’est tenu !

C’est là que du point de vue du secteur culturel, l’on mesure toute l’importance de l’article L. 242-2, 2° du CRPA suivant lequel l’administration peut sans condition de délai « retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n’ont pas été respectées ». Le législateur s’inspire ici d’une jurisprudence vieille de près d’un demi-siècle sur les décisions conditionnelles (CE Sect., 10 mars 1967, Ministre de l’économie et des finances c. Société Samat, Lebon 112 ; AJDA 1967. 280, concl. Y. Galmot). Concrètement, cette solution donne à la collectivité subventionnaire les moyens de maintenir une pression continue. D’autant que l’absence de condition de délai permet à l’administration de contrôler à tout moment le respect des engagements pris, y compris lorsque le projet culturel requiert plusieurs mois, voire une année entière de préparation (dans le cas d’un festival, ce n’est qu’au dernier moment que des vérifications peuvent être opérées). Si le législateur avait omis de prévoir un régime spécial pour les actes de subvention, il aurait fait courir le risque d’une application de la solution de principe de l’article L. 242-1 : le retrait peut être effectué à l’initiative de l’administration uniquement si la décision est illégale et dans un délai de quatre mois consécutif à sa naissance (v. G. Eveillard, « La codification des règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux », AJDA 2015, p. 2474). C’eût été restrictif, assurément.

L’objet patrimonial : une approche ambiguë

L’on aurait pu s’attendre à ce que le législateur perpétue sans équivoque le double souci de conservation et de démocratisation du patrimoine culturel. Or, pour l’un comme pour l’autre, le code apparaît traversé par des mouvements contraires, sinon entaché d’incohérence.

Certes, en premier lieu, le code accorde à au moins deux des composants du patrimoine culturel un regain protecteur. Il est d’abord rappelé que l’usage de la langue française s’impose dans les échanges entre le public et l’administration (art. L. 111-1). Il est ensuite opéré l’intégration des archives publiques dans le champ du régime de l’accès aux documents administratifs. Cette banalisation les fait paradoxalement bénéficier d’une protection supplémentaire (sur les lacunes du statut des archives v. P. Gonod, « La réforme des archives : une occasion manquée », AJDA 2008, p. 1597) : d’une part, l’accès aux archives publiques fait enfin l’objet d’un encadrement (art. L. 311-9) ; d’autre part, il est précisé que pour une demande de communication de documents, le silence gardé par l’administration vaut refus (art. R. 311-12) – et non acceptation comme l’exige le nouveau principe (art. L. 231-1). Qu’il nous soit malgré tout permis sur cette question de faire part au lecteur de notre perplexité. Non pas sur le fond mais sur la méthode d’élaboration du code. Car on ne comprend pas bien ce qui justifie que la procédure d’accès aux documents administratifs soit rendue moins favorable au public tandis qu’un grand nombre de procédures relatives à des biens dont l’intérêt culturel est arrêté – contrairement aux archives dont certaines seulement présentent un tel intérêt ! – sont envoyées en pâture au nouveau principe du silence valant accord (autorisation de travaux sur un immeuble classé au titre des monuments historiques, autorisation de fouille préventive etc.), y compris dans le domaine ici concerné (autorisation de travaux ou de destruction d’archives privées classées comme archives historiques etc.).

Il faut bien reconnaître, en second lieu, que l’œuvre du législateur a pour effet plus ou moins direct d’accroître l’effort de démocratisation du patrimoine. D’abord par l’atténuation du caractère élitiste des choix opérés dans ce domaine. Pour ne donner qu’un seul exemple, l’administration peut décider de remplacer la consultation obligatoire d’une commission par une consultation ouverte sur un site internet (art. L. 132-1). On connaît le nombre et l’importance des commissions consultatives du patrimoine chargées d’émettre des avis avant la prise de décision (commission consultative des trésors nationaux, commission régionale du patrimoine et des sites etc.). Et leur composition demeure à l’heure actuelle très sélective (v. notre contribution, op. cit., n° 261-262). S’il est vrai que le dispositif prévu par le CRPA existait déjà avant son adoption et n’est pas exempt de tout reproche (v. S. Saunier, « L’association du public aux décisions prises par l’administration », AJDA 2015, p. 2426), les potentialités qu’il recèle se feront désormais mieux sentir. Cet effort se manifeste ensuite à travers la confirmation de la compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs en matière de communication de la liste générale des meubles classés au titre des monuments historiques (art. L. 342-2, 17°) et d’archives publiques (art. L. 342-1). D’aucuns verront toutefois ce nouveau souffle démocratique contrarié par le droit d’exclusivité pouvant être accordé à un tiers effectuant la numérisation de ressources culturelles – telles que les collections des bibliothèques, des musées et des archives – pour une période pouvant s’étendre jusqu’à quinze années (art. L. 325-3). Ces pratiques posent question du point de vue de l’accessibilité de la culture (v. M. Cornu, « La figure ambivalente de l’usager culturel », in N. Bettio, P.-A. Collot, N. Perlo, K.-H. Voizard (dir.), La valorisation économique des biens culturels locaux en France et en Italie, L’Harmattan, 2016, p. 115). Il n’y a pas si longtemps, le directeur de la BnF créa le scandale en confiant à une société américaine la numérisation de 70 000 livres anciens avec pour contrepartie l’autorisation de commercialiser les copies pour une période de 10 ans. Une fois n’est pas coutume, voilà le scandale consacré !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 87.

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La disparition des actes administratifs depuis le 1er juin 2016 : la fin de la lutte dans le maquis ?

par M. Florent GAULLIER
ATER à l’Université de Bordeaux, Institut Léon Duguit

Art. 76. La disparition des actes administratifs ne relève pas tout à fait de la magie, pourtant, ceux qui essayent, ou sont obligés, de se pencher sur les mécanismes de ce domaine particulier du droit administratif, sont souvent frappés par les mystères qui l’entourent. Les commentateurs autorisés avouent eux-mêmes l’extrême complexité de la matière en dénonçant notamment « le maquis » (P. Benoit-Cattin, « Dans le maquis du retrait du permis de construire… », Construction-Urbanisme, juin 2005, comm. 145) formé par certaines solutions. C’est qu’ici rien n’est naturellement simple. La sortie de vigueur des actes administratifs met en exergue deux forces qui sont pour le moins difficilement conciliables. D’un côté l’Administration, baignée dans une logique d’unilatéralité et de précarité des situations qu’elle ne fait que concéder tant qu’elle estime que le bien commun ne s’y oppose pas. De l’autre, l’administré, le public pourrait-on dire, qui pense légitimement pouvoir se fier aux décisions de ses gouvernants, qui s’habitue à la posture dont il bénéficie et qui y voit une conquête dont il a évidemment intérêt à sauvegarder. On assiste finalement, selon Maurice Hauriou, à « un épisode de la lutte engagée entre le pouvoir discrétionnaire de l’Administration et le droit conféré par cette même Administration qui entend bien devenir un droit acquis » (M. Hauriou, note sous CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet, Sirey, 1925, III, p. 9). Le juge administratif traduisait cette lutte en tentant un équilibre fragile entre le respect de la légalité administrative demandant de purger rapidement et efficacement l’ordre juridique des situations irrégulières, et la stabilité juridique s’opposant à ce que des situations puissent être discutées éternellement. Elle l’a d’abord fait, notamment dans son célèbre arrêt Dame Cachet, en considérant que seule une illégalité pouvait justifier le retrait d’une décision individuelle, et en rattachant dans le temps cette possibilité au délai de contestation juridictionnelle de l’acte. Cette logique, appliquée mécaniquement, conduisait à offrir abusivement à l’administration une possibilité de retrait illimitée quand le délai contentieux ne pouvait courir à l’égard des tiers pour méconnaissance des formalités de publicité de l’acte (CE, 6 mai 1966, Ville de Bagneux, Rec., p. 303). En 2001, le Conseil d’Etat est donc revenu en partie sur la jurisprudence de 1922, en considérant qu’un acte créateur de droits ne pouvait être retiré que pour illégalité et dans un délai de 4 mois après son édiction, rompant salutairement le lien entre délai de retrait et délai de recours (CE, 26 octobre 2001, Ternon, AJDA, 2001, p. 1037). Malheureusement, cette solution ne constituait pas à elle seule le droit commun du régime de la sortie de vigueur des actes administratifs. Elle ne concernait qu’une sorte de disparition, le retrait, et ne visait que les actes créateurs de droits, encore fussent-il irréguliers et explicites ! Même si le régime de l’abrogation, pour les mêmes actes, s’était ensuite vu appliqué les mêmes règles que l’arrêt Ternon (CE, 6 mars 2009, Coulibaly, RFDA, 2009, p. 439), une multitude de solutions jurisprudentielles ou législatives venaient régir la matière en fonction de distinctions et de sous-distinctions subtiles. Pour exemple, les décisions implicites, initialement impossibles à rapporter (CE, 14 novembre 1969, Eve, AJDA, 1969, p. 684), ont été partiellement appréhendées par le législateur dans la loi du 12 avril 2000 au nom déjà évocateur : « relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ». En vertu de cette loi, une décision implicite d’acceptation pouvait être retirée pour illégalité, soit dans les deux mois suivant son édiction en cas de non publication (logique reprise dans Ternon), soit pendant le délai contentieux ou la durée de l’instance en cas de publication (logique de Dame Cachet). L’abrogation des décisions implicites d’acceptation, ainsi que le retrait et l’abrogation des décisions implicites de rejet créant des droits, n’étaient pas concernés par la loi de 2000, ni par les jurisprudences Ternon-Coulibaly, c’était donc toujours la solution Dame Cachet qui était applicable à ces cas particuliers (CE, 26 janvier 2007, Kaefer Wanner, AJDA, 2007, p. 537).

Au regard de cet état du droit, il devenait nécessaire de se pencher entièrement sur la question de la sortie de vigueur des actes administratifs pour donner une cohérence au système et essayer de le simplifier par la même occasion. Si la copie rendue par le codificateur, dans l’ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA), est une avancée non négligeable, substantiellement, les règles du retrait et de l’abrogation ne sont toujours pas d’une grande limpidité, mais en la matière cela ne peut en être autrement, elles ont au moins le mérite d’être formellement regroupées, et donc plus accessibles, notamment au public.

Si le CRPA met fin à la distinction précédemment évoquée entre décision explicite et implicite, le nouveau régime législatif de la disparition des actes administratifs repose toujours sur des différences qui s’enchevêtrent : type de disparition, type d’acte en cause, initiative de la disparition, faculté ou obligation pesant sur l’administration. Ainsi, nous exposerons classiquement les nouvelles règles applicables à travers les deux types de disparition possibles, que le CRPA prend soin de définir au préalable : l’abrogation (I) et le retrait (II). Nous, poursuivrons en évoquant les exceptions générales expressément prévues (III), pour finalement mentionner quelques imperfections du CRPA (IV).

Les règles d’abrogation d’un acte administratif applicable au 1er juin 2016

Le CRPA donne pour la première fois une définition textuelle à l’abrogation d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour l’avenir » (L. 240-1 CRPA). Cette définition n’étonne pas, elle était déjà donnée par l’ensemble de la doctrine (not. G. Lebreton, DAG, 7ème éd., Dalloz, p. 277). Au demeurant, les règles de l’abrogation d’un acte sont essentiellement codifiées à droit constant.

L’abrogation d’un acte créateur de droits est possible uniquement en cas d’illégalité de cet acte et dans un délai de 4 mois après son édiction, ce qui reprend la solution de l’arrêt Coulibaly (L. 242-1 CRPA). L’abrogation devient obligatoire sur demande présentée par le bénéficiaire de l’acte dans ce délai de 4 mois (L. 243-3 CRPA), cela semble être une innovation, la jurisprudence ne l’ayant jamais expressément consacrée.

Au-delà de ce délai de 4 mois, l’abrogation d’un acte créateur de droits, légal ou non, reste possible dans certains cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA), cette solution existait déjà pour le retrait (article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), le codificateur l’étend à l’abrogation ; si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA) ou si une condition qui subordonnait l’acte n’est plus remplie (L. 242-2), ce que permettait déjà l’arrêt Coulibaly.

L’abrogation est possible à tout moment pour les actes administratifs non créateurs de droits légaux, l’administration doit cependant veiller à l’assortir, le cas échéant, de mesures transitoires au nom du principe de sécurité juridique (L. 243-1 CRPA). L’abrogation devient même obligatoire si les actes non créateurs de droits sont illégaux. Cette obligation vaut pour les illégalités qui apparaissent ab initio ou après un changement de circonstances de fait ou de droit pour un acte réglementaire, et seulement à la suite d’un changement de circonstances pour les actes non réglementaires (L. 243-2 CRPA). Cette subtilité, marquée par les jurisprudences Alitalia (CE, 3 février 1989, Rec., p. 44) et Association « Les Verts » (CE, 30 novembre 1990, Rec., p. 339), a été reprise telle quelle par le Code. L’obligation disparait si l’illégalité n’existe plus au moment où l’administration se prononce sur l’abrogation, comme l’évoquait déjà la jurisprudence (CE, 10 octobre 2013, Fédération Française de Gymnastique, Rec., p. 251).

Les règles du retrait d’un acte administratif pris à partir du 1er juin 2016

Le CRPA donne également pour la première fois une définition textuelle au retrait d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour l’avenir comme pour le passé » (L. 240-1). Ici, il n’y a pas plus de surprise que pour l’abrogation, la doctrine n’entendait pas le retrait autrement (not. P.-L. Frier et J. Petit, DA, 10ème éd., LGDJ, 2015, p. 371). C’est pour cette disparition rétroactive que les innovations du code sont les plus saillantes.

Le retrait d’un acte administratif (créateur ou non de droits ; explicite ou implicite ; réglementaire ou non réglementaire) est possible si l’acte en cause est illégal et uniquement dans un délai de 4 mois après son édiction. Ici, l’innovation majeure se situe dans la perte d’utilité de nombreuses distinctions qui rendaient le régime du retrait difficilement lisible. Désormais l’illégalité de l’acte constitue la pierre angulaire du retrait des actes administratifs, ce qui a pour conséquence d’interdire par principe le retrait des actes réguliers et d’orienter, dans certains cas, l’administration vers l’abrogation plutôt que vers le retrait, l’abrogation étant moins attentatoire à la sécurité juridique. Ajoutons que le retrait est parfois obligatoire si le bénéficiaire de l’acte créateur de droits illégal le demande dans le délai de 4 mois (L. 243-3 CRPA, innovation au même titre que pour l’abrogation).

Néanmoins, la disparition rétroactive d’un acte administratif demeure possible au-delà du délai de 4 mois pour l’acte non créateur de droits qui constitue une sanction (L. 243-4 CRPA). Pour les actes créateurs de droits cela est également possible dans plusieurs cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA, reprenant l’article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), si les conditions d’octroi d’une subvention ne sont pas respectées (L. 242-2 CRPA, reprise d’une lecture a contrario de CE, 25 juillet 1986, Société Grandes Distilleries « les fils d’Auguste Peureux », Rec., p. 340), si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA, reprenant l’arrêt Ternon).

Les exceptions générales aux règles du retrait et de l’abrogation prévues par le CRPA

Le retrait et l’abrogation n’obéissent parfois pas aux règles précédemment décrites. L’article L. 241-1 mentionne deux exceptions générales : un texte spécial peut prévoir expressément des règles particulières de disparition pour certains actes (par ex., Article L. 424-5 du Code de l’urbanisme pour le retrait du permis de construire) ; l’effectivité du droit de l’UE peut aussi exiger le non-respect des règles générales comme l’évoquait déjà le juge administratif (CE, 29 mars 2006, Centre d’exportation du livre français, Rec., p. 173). De plus, si l’acte est obtenu par fraude sa disparition peut intervenir à tout moment (L. 241-2 CRPA), ce qui est une confirmation de la jurisprudence classique, étant précisé que la fraude ne fait pas naitre une obligation de faire disparaitre l’acte pour l’administration, cette dernière dispose dans ce cas d’une simple faculté, libre à elle de l’utiliser ou pas (v. TA Lille, 23 février 2016, Société OB Fermetures, n° 1302958, AJDA, 2016, p. 1294).

Les imperfections du CRPA dans le domaine de la disparition des actes administratifs

Nous ne reviendrons pas sur toutes les imperfections du CRPA en matière de disparition des actes administratifs (v. G. Eveillard, La codification des règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux, AJDA, 2015, p. 2474 et B. Seiller, La sortie de vigueur des actes administratifs, RFDA, 2016, p. 58), mais sur trois précisément choisies, qui font partie de celles qui, dans un code destiné au public, pourraient sembler les plus aberrantes pour lui.

D’abord, il n’existe pas dans le CRPA de définition de l’acte créateur de droit alors que l’expression est cruciale dans le régime de disparition des actes administratifs. Certes il n’est pas aisé de vouloir définir cette notion, mais ne pas tenter de le faire entoure, encore une fois, d’incertitudes, le régime de la disparition des actes.

Aussi, un acte créateur de droit peut être abrogé ou retiré, au-delà du délai de 4 mois, sur demande du bénéficiaire sous réserve des droits des tiers et pour obtenir une décision plus favorable. Ici, l’obtention d’une décision plus favorable apparait comme une condition sine qua non à la disparition de l’acte. Mais, si le bénéficiaire demande volontairement (par altruisme par exemple quand l’avantage dont il bénéficie pourrait, s’il le remet en jeu, bénéficier à quelqu’un d’autre), la disparition d’une décision, légale ou non, au profit d’une situation qui lui est moins favorable, pourquoi empêcher l’administration d’avoir la simple possibilité d’étudier la demande et d’y faire éventuellement droit si par exemple l’intérêt du service l’exige ? Si, pour une décision légale, juridiquement la solution n’est pas totalement aberrante, elle l’est en cas d’illégalité. Dans les deux cas, la condition de la décision plus favorable, ne favorise pas les relations entre l’administration et le public, au contraire elle les bloque inutilement sur ce point.

Enfin, une sanction peut être retirée à tout moment et pour tout motif en vertu de l’article L. 243-4 du CRPA. En réalité, cet acte particulier retombe, par exception, dans le régime de retrait de l’acte non créateur de droits applicable avant le CRPA (v. CE, 19 décembre 2014, M. B., n° 376341). Une sanction est par nature défavorable, elle ne constitue pas de droits dans le chef de son destinataire, encore moins pour les tiers. Son retrait illimité dans le temps parait pour le moins logique et même bénéfique pour celui qui aurait dû la subir ou qui l’a déjà subi. Mais, peut-on se réjouir du fait que ce retrait soit totalement à la libre appréciation de l’administration, que la sanction soit légale ou non ? Théoriquement, on peut imaginer qu’une administration sanctionne justement et légalement, elle apparaitrait alors comme exemplaire aux yeux du public. Si, passé l’effet d’annonce elle retire discrètement la sanction, le public est dupé. A l’inverse, une administration qui sanctionnerait illégalement, le destinataire ne l’ayant pas inquiétée au contentieux, pourrait maintenir l’illégalité, quand bien même le sanctionné l’aurait découverte par la suite.

Il convient finalement, au regard de tout ce qui vient d’être présenté, de souligner le travail réalisé par le codificateur pour tenter de clarifier le droit en matière de disparition des actes administratifs, et de constater que l’effort réalisé est majeur, même si des imperfections demeurent.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 76.

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L’entrée en vigueur des actes administratifs dans le Code des relations entre le public et l’administration : ni innovation, ni changement … le temps fait son œuvre.

par Mme Florence CROUZATIER-DURAND
Maitre de conférences en droit public à à l’Université Toulouse 1 Capitole,
Institut Maurice Hauriou

Art. 75. Dans le Code des relations entre le public et l’administration (ordonnance n° 2015-1341 et décret n° 2015-1342 du 23 octobre 2015), c’est le titre II du livre II qui est consacré à l’entrée en vigueur des actes administratifs unilatéraux ainsi qu’à leur application. Conformément aux termes de la loi d’habilitation du 12 novembre 2013, il s’agit d’une codification à droit constant, l’intérêt étant de regrouper des règles existantes, textes législatifs et réglementaires et règles jurisprudentielles. Les innovations qui avaient pour ambition de renforcer les garanties contre les changements de réglementation sont décevantes, peu nombreuses et de faible portée (J. Petit, AJDA 2015, p. 1433).

Un acte administratif unilatéral est une manifestation de volonté visant à produire des effets de droit ; en créant des droits et obligations pour les personnes qu’il concerne il modifie l’ordonnancement juridique. Dans le CRPA, si le livre II s’intitule « Actes unilatéraux pris par l’administration », le titre II fait quant à lui référence aux « actes administratifs ». Par ailleurs, l’article L. 200-1 précise que, pour l’application du livre II, « on entend par actes les actes administratifs unilatéraux décisoires et non décisoires ». Ces précisions sont une incontestable source de complexité pour le lecteur non averti.

L’analyse du Code révèle que tous les actes administratifs unilatéraux sont concernés par cette législation, y compris certains actes non susceptibles de recours (les mesures d’ordre intérieur par exemple). Cela suppose de considérer que parmi les actes décisoires, certains font grief, d’autres pas ; le Code s’appliquant à l’ensemble de la catégorie (Voir F. Melleray, « Les apports du CRPA à la théorie de l’acte administratif unilatéral », AJDA 2015, p. 2491).

Trois aspects nous paraissent devoir être envisagés dans cette étude : le moment de l’entrée en vigueur, les modalités de l’entrée en vigueur et les effets de l’entrée en vigueur.

Le moment de l’entrée en vigueur des actes administratifs :

En droit administratif, l’entrée en vigueur constitue le premier moment de la vie de l’acte, avant cette date il n’est en effet pas considéré comme un acte juridique : il n’existe pas et ne produit donc aucun effet de droit. Un acte administratif ne produit d’effet de droit que lorsque toutes les formalités concernant son édiction et sa publicité ont été accomplies. L’entrée en vigueur suppose donc que l’acte soit porté à la connaissance de ceux qu’il vise. Dès lors, l’entrée en vigueur est le moment où l’acte administratif est applicable, opposable aux administrés et invocable par eux.

 Les modalités de l’entrée en vigueur des actes administratifs :

Les modalités de l’entrée en vigueur des actes administratifs sont différentes selon que la décision a une nature réglementaire ou individuelle.

S’agissant des décisions réglementaires, auxquelles sont jointes les décisions d’espèce (catégorie intermédiaire composée de décisions qui ne sont ni réglementaires, ni individuelles), ce sont les dispositions des articles L. 221-2 et L. 221-3 qui régissent leur entrée en vigueur.

L’article L. 221-2 rappelle que « L’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de formalités adéquates de publicité, notamment par la voie, selon les cas, d’une publication ou d’un affichage ». La publication comme l’affichage sont les modes de publicité adaptés tant aux actes réglementaires, applicables à une catégorie abstraite de personnes, qu’aux décisions d’espèce, qui ne visent pas d’individus déterminés. L’entrée en vigueur de ces décisions est subordonnée à leur publicité officielle, au Journal officiel s’agissant des décrets et dans les bulletins officiels des ministères intéressés pour les arrêtés. Quant aux décisions des autorités locales, elles sont publiées dans les recueils appropriés ou affichées sur les panneaux disposés à cet effet. Tant que les règlements n’ont pas reçu la publicité requise, ils n’emportent pas plus d’effets à l’égard de l’administration qu’à l’égard des administrés. Mais la publication ou l’affichage ne suffit pas toujours, parfois une autre mesure doit être accomplie : certains règlements des autorités décentralisées doivent être transmis au représentant de l’Etat en vertu du Code général des collectivités territoriales. De la même façon, l’article R. 411-25 du Code de la route prévoit que les règlements de police doivent non seulement être publiés ou affichés, mais également concrétisés sur le terrain par une signalisation adéquate pour être opposables aux usagers de la route.

La publicité constitue une garantie incontestable de sécurité juridique pour les administrés, soumise néanmoins à la condition que l’administration procède à celle-ci. Notons à cet égard qu’en vertu d’un principe général du droit, dont on peut remarquer qu’il n’est pas codifié par le CRPA, l’autorité administrative doit publier tout règlement dans un délai raisonnable, sauf circonstances particulières (Conseil d’Etat, 12 déc. 2003, Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale).

L’article L. 221-2 du Code généralise une solution ancienne, issue de l’article 1er du code civil modifié par l’ordonnance du 20 février 2004, en prescrivant qu’un « acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de l’accomplissement des formalités » nécessaires. Précisons pour finir sur ce point que depuis le 22 décembre 2015, le Journal officiel de la République française est dématérialisé, toute publication se fait depuis cette date par voie électronique. Ce n’est pas le cas de la publication des actes des collectivités territoriales, ce qui peut être regretté.

S’agissant des actes administratifs individuels, l’article L. 221-8 prévoit qu’une « décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l’objet au moment où elle est notifiée ». Deux remarques peuvent être formulées : d’abord, les dispositions du CRPA ne concernent que les décisions individuelles expresses ; l’entrée en vigueur des décisions implicites n’est pas abordée par le code. Ensuite, le CRPA évoque l’opposabilité et non l’entrée en vigueur ; rappelons que selon la jurisprudence, les décisions favorables à leur destinataire entrent en vigueur dès leur signature alors que celles défavorables à leur destinataire n’entrent en vigueur et ne sont opposables que lorsqu’elles ont été notifiées (CE, sect., 29 déc. 1952, Delle Mattéi, Lebon p. 594). C’est la notification qui fait l’opposabilité, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres formalités préalables. La notification peut donc n’être pas suffisante, ainsi les décisions individuelles des collectivités territoriales doivent être transmises au représentant de l’État.

L’article L. 221-14 apporte quelques précisions visant à protéger les administrés et garantir le droit à l’oubli en rappelant que « certains actes individuels, notamment relatifs à l’état et la nationalité des personnes, doivent être publiés dans des conditions garantissant qu’ils ne font pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche ».

Les effets de l’entrée en vigueur : l’application des actes administratifs :

Les dispositions des articles L. 221-6 à L. 221-9 du Code portent sur l’application dans le temps des règlements. Comme le souligne J. Petit (précité), « Ce sont là deux questions liées mais différentes ». Ce sont des situations dans lesquelles le règlement ne s’applique pas au moment même de son entrée en vigueur.

D’abord, en vertu de l’article L. 221-4, un règlement administratif ne s’applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur, conformément au principe de non-rétroactivité ; il ne s’applique pas non plus aux contrats formés avant la date de son entrée en vigueur.

 

Par ailleurs, l’article L. 221-3 prévoit que l’entrée en vigueur peut être reportée à une date ultérieure lorsque l’application immédiate de la nouvelle règlementation s’avère impossible. C’est le cas lorsque des mesures d’application sont nécessaires pour que le texte soit applicable.

Dans le même sens, les articles L. 221-5 et L. 221-6 prévoient la possibilité que l’application d’un acte soit retardée et les conditions dans lesquelles une autorité administrative investie d’un pouvoir réglementaire peut édicter des dispositions transitoires. Il s’agit de dissocier l’entrée en vigueur et l’application de l’acte administratif pour des raisons de sécurité juridique, comme le juge administratif l’avait envisagé dans les arrêts de 2006, KPMG et Mme Lacroix. Cette jurisprudence, reprise dans le Code, fait obligation à l’autorité administrative d’édicter des mesures transitoires lorsque l’application immédiate d’une réglementation entraine, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Elle peut aussi y avoir recours afin d’accompagner un changement de réglementation.

Pour conclure, les articles L. 221-9 à R. 221-16 rappellent un certain nombre de règles préexistantes de publication particulière relatives à des actes qui ne sont pas des décisions administratives (loi, avis, proposition par exemple), également des actes dont la publication n’implique pas l’entrée en vigueur soit parce qu’ils doivent être notifiés soit parce que la simple signature de l’acte suffit à leur entrée en vigueur. On ne peut pas considérer que cette codification soit inutile, mais sur la question de l’entrée en vigueur elle simplifie peu et elle n’innove en rien.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 75.

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L’obligation de motivation des actes unilatéraux en droit de l’Union

par M. le pr. Eric CARPANO,
Professeur de droit public à l’Université de Lyon 3 Jean Moulin

Art. 74. Le droit de l’Union impose une obligation générale de motivation des actes unilatéraux adoptés par les institutions de l’Union ou par les autorités nationales en exécution de ceux-ci. Consacrée par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, elle s’étend à tous les « actes juridiques » en vertu de l’article 296 TFUE. Sous ce double point de vue, elle apparaît comme une obligation constitutionnelle européenne que la Cour de justice module dans une perspective fonctionnelle et finaliste. Encore faut-il en mesurer l’exacte portée  car si l’obligation de motivation est largement consacrée dans son principe (I) elle n’en reste pas moins une obligation relative (II)

Une obligation de motivation généralisée

L’obligation de motivation des actes en droit de l’Union est générale en ce qu’elle concerne tous les « actes juridiques » (article 296 TFUE) qu’ils s’agissent d’actes individuels (CJCE, 30 septembre 1982, Roquette Frères / Conseil, aff. 110/81, Rec.3159) ou généraux. Au regard de la pratique des Etats, cette obligation générale de motivation des actes de portée générale apparaît comme une exception mais s’explique dans le contexte européen dès lors que l’Union n’a qu’une compétence d’attribution : l’obligation de motivation des actes de portée générale a été conçue par les Etats comme un moyen de contrôler et d’encadrer l’action des institutions de l’Union. Cette obligation de motivation s’étend aux actes non obligatoires tels que les avis, les recommandations (article 258§1 TFUE) et les projets de règlement ou de directive ou les amendements parlementaires au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité (article 5, Protocole n°2 du traité de Lisbonne). Mais même en dehors de toute obligation de motivation,  les institutions et en particulier la Commission européenne, se sont astreintes volontairement à une pratique de la motivation d’actes non prévus par les traités qui, avant le traité de Lisbonne, n’étaient pas concernés par l’obligation de motivation prévue à l’article 253 TCE. Il s’agit des actes atypiques comme par exemple les communications de la Commission par lesquelles la Commission arrête sa doctrine administrative. Cette pratique de la motivation est codifiée par des codes de bonne conduite administrative adoptés par le médiateur européen en 2001 et repris ou adapté par d’autres institutions européennes comme la Commission ou le Parlement européen (voir Voir Guide sur les obligations des fonctionnaires et agents du Parlement européen (code de bonne conduite) (JOCE C 97/1, 5 avril 2000). Cette obligation de motivation concerne toutes les institutions normatrices adoptant des actes juridiques au sens de l’article 296 TFUE, y compris la Banque centrale européenne ou les organes et organismes de l’UE agissant sur délégation des institutions. Quant aux autorités nationales, elles sont liées par l’obligation de motivation en vertu d’un principe général du droit conçu comme le corolaire du droit à une protection juridictionnelle effective (CJCE, 15 octobre 1987, Unectef contre Georges Heylens et autres, Aff. 222/86, Rec. 4097) repris par l’article 41 de la Charte qui exige que « les décisions administratives soient motivées » lorsque les Etats mettent en œuvre le droit de l’Union. On observera toutefois que cette obligation européenne de motivation à la charge des Etats se distingue quelque peu de l’obligation imposée aux institutions : d’abord elle ne concerne que les actes individuels et non les actes de portée générale compte tenu de la finalité de la motivation à savoir garantir une protection juridictionnelle effective (CJCE, 17 juin 1997, Sodemare SA, Anni Azzurri Holding SpA et Anni Azzurri Rezzato Srl contre Regione Lombardia, Aff. C-70/95, Recueil I-3395) ; ensuite sur le plan formel, la motivation n’a pas nécessairement à être intégrée dans l’acte lui-même de telle sorte que celle-ci pourra être transmise à l’intéressé à sa demande ce que rejette le juge de européen s’agissant des actes de l’Union (TPI, 3 février 2000, CCRE / Commission, T-46/98 et T-151/98, Recueil II-167, pt. 46)

Cette obligation de motivation est à la fois une obligation fonctionnelle et une obligation formelle qui s’inscrit dans la logique de la construction d’une Union de droit dans laquelle nulle autorité ne saurait échapper au contrôle de la légalité de ses actes avec les normes fondamentales du système juridique (CJUE, 14 juin 2012, CIVAD, aff. C-533/10). Selon la Cour de justice, « En imposant à la Commission l’obligation de motiver ses actes, l’article 190 CE ne répond pas seulement à un souci formel, mais vise à donner aux parties la possibilité de défendre leurs droits, à la Cour d’exercer son contrôle et aux États membres, comme à tout ressortissant intéressé, de connaître les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité » (CJCE, 4 juillet 1963, Commission c/ Allemagne, Aff. 24-62, Rec. 131). L’obligation de motivation remplit d’abord la fonction d’informer les intéressés afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de recours en pleine connaissance de cause. Ensuite elle vise à permettre à la Cour d’exercer pleinement son contrôle de la légalité. Enfin, l’exigence de motivation détaillée serait également de nature à obliger l’administration à expliciter pour elle-même les raisons d’une décision. A cet égard, la motivation remplit une fonction démocratique en permettant l’autolimitation de l’administration et aux citoyens de contrôler l’action de l’administration en révélant au public les mobiles des décisions publiques (CJCE, 4 juillet 1963, Commission c/ Allemagne, Aff. 24-62, Rec. 131). Encore faut-il préciser qu’il s’agit avant tout d’une obligation de forme et non de fond. D’abord, la motivation doit être intégrée dans l’acte lui-même ce qui interdit toute motivation rapportée a posteriori (TPI, 3 février 2000, CCRE / Commission, T-46/98 et T-151/98, Recueil II-167, pt. 4). Ensuite, le juge se limite à contrôler le caractère suffisant de la motivation et ne se prononce pas en principe sur le bienfondé de la motivation qui relève de la légalité au fond de l’acte litigieux. Sous ce point de vue, motifs et motivation sont deux choses différentes. Les motifs sont « les éléments de fait et de droit qui expliquent la décision » alors que la motivation « relève de la légalité externe ». La motivation n’est qu’une règle de forme. Contrôler la motivation, c’est contrôler le caractère suffisant de la motivation ; contrôler les motifs c’est contrôler le bien-fondé de la motivation et ce contrôle relève du fond et non plus de la forme. A cet égard, le juge de l’Union considère que «  la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés » (CJCE, 24 novembre 2010, Marcuccio / Commission, T-9/09 P, pt. 52). La Cour de justice impose deux exigences minimales en matière de motivation : premièrement, la motivation doit indiquer dans les visas ou les considérants la disposition précise du traité qui constitue la base juridique de l’acte (CJCE, 28 novembre 2006, Parlement / Conseil, C-413/04, Rec. I-11221) ; deuxièmement, la motivation doit faire apparaître « de façon claire et non équivoque les raisons sur lesquelles l’acte est fondé » (CJCE, 9 juillet 1969, Italie / Commission, aff. 1/69, Rec. 277- ou le « raisonnement de l’institution auteur de l’acte » (CJUE, 14 octobre 2010, Deutsche Telekom / Commission, C-280/08 P, pt. 130-131).

Pour le reste, l’intensité et la sanction de la motivation peuvent varier sensiblement d’un acte à l’autre, d’un contexte à l’autre. Et apparaît ici une limite importante à l’obligation de motivation qui contraste avec la généralité de sa consécration.

Une obligation de motivation relative

Le caractère relatif de l’obligation de motivation se manifeste d’une part quant à l’étendue de la motivation et d’autre part quant à la sanction de l’obligation de motivation.

L’étendue de l’obligation de motiver dépend d’abord de la nature de l’acte en cause (CJCE, 13 mars 1968, W. Beus Gmbh, 5/67, Rec. 143). L’étendue de la motivation des actes législatifs est moindre que pour les actes individuels. L’exigence de motivation dans cette hypothèse relève plus ici de considérations relatives à la démocratie et la transparence que de considération contentieuse comme en matière de décision individuelle. La Cour de justice considère que « s’agissant d’acte de portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption, d’autre part les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre. Dès lors, on ne saurait exiger qu’elle spécifie les différents faits, parfois très nombreux et complexes, au vu desquels le règlement a été adopté, ni a fortiori qu’elle en fournisse une appréciation plus ou moins complète » (CJCE, 22 novembre 2001, Pays-Bas c/ Conseil, 110/97, Rec. I-8763). En revanche la Cour exige que les actes individuels soient en principe beaucoup plus motivés. Cela résulte de l’une des fonctions principales de la motivation qui est de permettre au destinataire de l’acte d’évaluer le bien-fondé de l’acte. Sous ce point de vue, l’obligation de motivation est très étroitement liée à au droit au recours juridictionnel en ce qu’il conditionne son exercice effectif. Pour le juge de l’UE, « la motivation d’une décision doit toujours être telle que le juge communautaire soit en mesure d’exercer son contrôle de la légalité » (TPI, 16 juillet 1998, Kia Motors Nederland BV, T-195/97, Rec. II-2921). Ensuite, cette obligation de motivation varie en fonction de l’objet de l’acte. Certains actes sont soumis à une obligation de motivation renforcée comme les actes économiques (CJCE, 18 février 1970, Hauptzollamt Hamburg-Oberelbe contre Firma Paul G. Bollmann, aff. 40/69, Rec. 69) ou les actes dérogatoires (CJCE, 1er juillet 1986, Usinor, Aff. 185/85, Rec. 2079) ; d’autres, comme les actes à caractère discrétionnaire (TPI, 12 décembre 2006, Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, T-228/02) ou les décisions infligeant des amendes (CJCE, 18 septembre 2003, Volkswagen / Commission, C-338/00 P, Rec. I-9189) peuvent se contenter d’une motivation plus réduite. Enfin, la Cour considère que le degré de précision de la motivation dépend également du contexte dans lequel l’acte a été adopté. Une motivation détaillée peut être jugée inutile lorsque par exemple le destinataire de la décision a été associé au processus d’élaboration de l’acte (CJCE, 13 décembre 1990, Pays-Bas contre Commission, C-22/89, Rec. I-4799) ; elle peut être exceptionnellement jugée impossible lorsqu’en raison de l’urgence et de la technicité du domaine d’intervention, une telle motivation empêcherait la Commission de statuer dans un bref délai ( CJCE, 1er décembre 1965, Schwarze, 16-65, Rec.1081) compromettrait l’action de la Commission (CJCE, 7 février 1990, Gemeente Amsterdam et VIA / Commission, C-213/87, Rec.I-221). L’institution peut aussi être relevée de son obligation de motivation en raison de considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’UE ou de ses Etats membres ou à la conduite de leurs relations internationales (TPI, 12 décembre 2006, Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, T-228/02)

La sanction de la motivation est également modulable. En principe, la violation de l’obligation de motivation est un moyen d’ordre public qui est sanctionnée par l’annulation et ou la déclaration d’invalidité de l’acte pour violation des formes substantielles (CJUE, 2 décembre 2009, Commission / Irlande e.a., C-89/08 P, Rec.I-11245). Il peut s’agir d’une absence de motivation (très rare, voir CJCE, 13 mars 1968, W. Beus Gmbh, 5/67, Rec. 143), d’une motivation insuffisante (CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma NV, Aff. 41-69, Rec. 661) ou contradictoire (TPI, 24 janvier 1995, Tremblay e.a. / Commission, T-5/93, Rec. II-185) ; TPI, 30 mars 2000, Kish Glass / Commission, T-65/96, Rec.II-1885). Toutefois, le juge de l’UE fait preuve d’une certaine souplesse : ni une motivation imprécise, ni une motivation erronée ne suffit en tant que telle à l’annulation ou l’invalidité de l’acte dès que cela ne constitue pas un caractère déterminant. Ainsi, l’imprécision de la motivation ne suffit pas à lui seul à invalider l’acte dès lors que cette imprécision ne revêt pas un caractère déterminant (CJCE, 25 novembre 1976, Küster / Parlement, 123-75, Rec.1701). D’une manière générale, le juge considère que le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation est un moyen accessoire soulevé en dernier lieu. Conformément à une approche finaliste de la motivation, la Cour considère que la motivation devant servir principalement à faciliter le contrôle juridictionnel, celle-ci est satisfaite dès lors que les parties ont pu présenter utilement leur argumentation de manière circonstanciée devant la Cour et la Cour d’exercer son contrôle (CJCE, 11 juillet 1985, Remia BV et alii, aff. 42/84, Rec. 2545). Autrement dit, la preuve d’une motivation suffisante est rapportée par l’effectivité du contrôle juridictionnel opérée par le juge. On touche là à l’essence même de l’obligation européenne de motivation qui est étroitement liée au contrôle de légalité. On est là bien loin d’une conception éthique de la motivation défendue par les tenants de la démocratie administrative (J.L. Mashaw, « Reasoned Administration: The European Union, the United States, and the Project of Democratic Governance », 76 Geo. Wash. L. Rev., 2007-2008, p. 99).

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 74.

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Les dispositions préliminaires

par M. le pr. Sébastien SAUNIER,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole,
membre de l’IDETCOM

Art. 71. Le code des relations entre le public et l’administration débute par l’énoncé de dispositions préliminaires (art. L. 100-1 à L. 100-3) d’une importance cardinale aussi bien pour le citoyen qui le consulte, l’administrateur qui l’applique ou encore les juges (principalement administratifs mais aussi judiciaires), qui lors de l’invocation du texte au cours d’un procès devront vérifier au préalable son applicabilité au litige. Pour faire simple, les dispositions préliminaires répondent aux deux questions suivantes : le CRPA est-il applicable au problème juridique donné ? Quels sont les principes directeurs de la relation entre l’administration et le public ?

Ces articles définissent donc le champ d’application et la philosophie du code, mais d’une façon quelque peu désordonnée, ce qui en rompt la logique.

1. L’article L. 100-1 alinéa 1 rappelle en premier lieu l’objectif visé par les rédacteurs du CRPA, à savoir d’en faire la « lex generalis» des relations entre le public et l’administration. Il s’agit d’un texte « à vocation généraliste » (Rapport au Président de la République). Il « régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables». Jusqu’ici les règles relatives à ces relations étaient dispersées dans différents textes ainsi que nourries par la jurisprudence principalement administrative. Il rassemble donc les principales règles générales applicables aux relations entre l’administration et les administrés, les citoyens ou les personnes morales de droit privé (associations, entreprises, etc.). Il faut toutefois comprendre ici, afin d’éviter tout malentendu, que le CRPA ne contient pas toutes les dispositions applicables à ces relations. Loin s’en faut, puisque dès lors qu’une disposition spéciale existe, elle y déroge ainsi que le prévoit explicitement l’article L. 100-1. L’on mentionnera notamment à titre d’illustrations les nombreux codes qui contiennent les règles spéciales applicables, selon les matières, à ces relations (code général des collectivités territoriales, code des marchés publics, code général des impôts, livre des procédures fiscales, code de l’éducation, code général de la propriété des personnes publiques, etc.) et qui, par conséquent, entraînent en principe l’inapplication du CRPA. La jurisprudence aura vraisemblablement l’occasion de préciser l’articulation loi spéciale/loi générale de procédure… Le chantier est immense !

L’alinéa 2 précise que « sauf dispositions contraires du présent code, celui-ci est applicable aux relations entre l’administration et ses agents ». Le texte tente à nouveau une synthèse de la jurisprudence et des textes codifiés puisque selon les cas, les relations avec les agents étaient exclues ou, au contraire, soumises aux dispositions concernées (par ex. l’exclusion prévue par l’article 18 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000). L’on ne peut s’empêcher de remarquer cependant que la précision apportée rompt la structuration des dispositions préliminaires : la précision avait davantage sa place dans l’article L. 100-3 du CRPA (v. infra)

2. L’article L. 100-2 constitue en second lieu le résultat d’une longue réflexion sur l’intérêt d’inscrire dans le code les grands principes directeurs de la procédure administrative non juridictionnelle. La récolte est maigre. Il dispose : « L’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantir à chacun un traitement impartial». Il faut bien avouer que la tâche était délicate et avait même fait l’objet d’un colloque réunissant, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, professeurs de droit, conseillers d’État, hauts fonctionnaires et avocats (A la recherche des principes du droit de la procédure administrative, Colloque, Chaire MADP/Conseil d’Etat, 5 décembre 2014) donnant lieu à des propositions très nuancées, aussi bien quant à la liste des principes à codifier que sur la pertinence d’une telle codification. L’on rappellera toutefois que depuis la seconde moitié du XXème siècle, il existe un socle homogène bien que réduits de principes procéduraux : ainsi particulièrement les principes généraux du droit parmi lesquels l’obligation de respecter les droits de la défense (CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, Rec. p. 133 ; CE, Ass., 26 octobre 1945, Aramu, Rec., p. 213, S. 1946.III.1 concl. Odent, D. 1946 p. 158 note Morange), le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, Ass., 25 juin 1948, Sté Journal L’Aurore, Rec. p. 289), le principe de l’impartialité nécessaire à tout organisme administratif CE, 29 avril 1949, Bourdeaux, Rec. 188), le principe selon lequel tout administré peut demander à l’Administration par la voie d’un recours administratif hiérarchique de revenir sur ses décisions (CE, Sect., 30 juin 1950, Quéralt, Rec. p. 413 ; Dr. soc. 1951, p. 246, concl. Delvolvé ; S. 1951, 3, 85, note Auby). Parallèlement, la doctrine avait proposé les premières synthèses sur le sujet. Jean-Marie Auby a dégagé pour la première fois en 1956 quatre grands principes : la publicité, le caractère contradictoire, le caractère impartial de la procédure et le caractère effectif (« La procédure administrative non contentieuse », D. 1956, chron. VII, p. 27 et s.). Georges Langrod a également proposé à la même époque, à partir d’une approche « empirique », « une sorte de schéma des principes généraux de procédure administrative à caractère fondamental », à la lumière de l’expérience comparative (« Procédure administrative et droit administratif », Revue internationale des sciences administratives 1956, vol. XXII, n°3, p. 6) : le droit à la défense, le principe de la vérité matérielle (à savoir la recherche objective par l’Administration de l’état réel des faits), le principe d’impartialité, le principe de l’action d’office, le principe de la preuve libre, le principe de la simplicité processuelle, le principe de la publicité des affaires, le principe de l’oralité de la procédure, le principe de la procédure directe et le principe du recours hiérarchique. G. Isaac distinguait quant à lui cinq principes généraux relatifs au déroulement de la procédure administrative   (G. Isaac, La procédure administrative non contentieuse, LGDJ, Bibliothèque de droit public, t. 79, 1968) : son caractère inquisitoire, le principe de la publicité de la procédure, le principe du contradictoire, le principe d’impartialité, le caractère effectif de la procédure (à savoir l’obligation pour l’administration de procéder à un examen effectif des affaires, qualifié déjà par l’auteur de principe de « bonne administration ». Op. cit., spéc. p. 438). Depuis, la question a été profondément renouvelée. Le rôle créateur du juge administratif n’a pas décliné. Ainsi, sont venus enrichir la liste des principes généraux du droit, celui selon lequel « l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenu d’y déférer » (CE, ass., 3 févr. 1989, n° 74052, Cie Alitalia, Rec. CE 1989, p. 44), l’obligation de publier dans un délai raisonnement les règlements (CE, 31 déc. 2003, Synd. Commissaire et hauts fonctionnaires police nat., Rec. p. 506), le principe de sécurité juridique (CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et a., Rec. p. 154), le récent bien que très attendu « principe selon lequel, les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements» (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, Rec. p. 649). Le principe formulé le même jour selon lequel un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, préc.). Si l’influence du droit constitutionnel sur les principes de la procédure administrative est plus limitée (v. toutefois, le principe de participation du public à l’élaboration des décisions administratives ayant une incidence sur l’environnement), le renouvellement aurait en revanche pu être tiré du droit comparé (v. les exemples très intéressants du droit américain, anglais et canadien : Conseil d’Etat, Consulter autrement Participer effectivement, Rapport public 2011, p. 47 et s.), du droit international (ainsi du droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de la CESDHLF applicable à certaines procédures administratives) et des standards européens dégagés particulièrement par les travaux du réseau ReNUAL (Research Network on EU Administrative Law) qui a mis en évidence des principes communs aux Etats membres de l’Union européenne. Sous cet angle, l’article L. 100-2 a malheureusement, un parfum désuet…

3. L’article L. 100-3 énonce en troisième lieu la définition des termes « Administration » et « Public ». Sont des administrations soumises au code les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Le « Public » est entendu comme « toute personne physique » ou « toute personne morales de droit privé, à l’exception de celles qui sont chargées d’une mission de service public lorsqu’ est en cause l’exercice de cette mission ».

Ce troisième axe des dispositions préliminaires est essentiel. Les définitions énoncées conditionnent directement l’application du code et déterminent son champ d’application. Elles précisent la conception retenue par le législateur de l’ « administrativité » des procédures. En effet, rappelons que l’administration n’est pas systématiquement soumise à une procédure administrative pas plus que le contrat qu’elle signe est nécessairement un contrat administratif ou l’acte unilatéral édicté une acte administratif. Comme le contrat ou l’acte unilatéral, la procédure à suivre par l’administration peut être régie par le droit privé. La question est peu abordée dans la littérature juridique ainsi que cela a été récemment mis en évidence alors qu’elle est cruciale (l’on se permettra de renvoyer à notre étude, « La notion de procédure administrative non contentieuse », in Les procédures administratives, sous la direction de l’Association française pour la recherche en droit administratif, Dalloz, 2015, spéc. p. 63 et s.). Or, l’état du droit laissait apparaître deux critères principaux : un critère organique nécessaire mais insuffisant, complété par un critère matériel. En effet, contrairement à ce qui avait pu correspondre à une certaine époque, l’Administration publique n’est plus systématiquement soumise à des procédures administratives. En outre, certaines personnes morales de droit privé peuvent être soumises à des règles de procédure administrative. La notion de service public constitue une clef de définition du champ d’application de ces règles. Certains auteurs estiment d’ailleurs que tout service public, indépendamment de sa qualité de service public administratif ou industriel et commercial devrait en relever. La notion de puissance publique forme une seconde clef de compréhension de son étendue et particulièrement, sa concrétisation par la décision administrative. Le choix fait par les rédacteurs du code a été une nouvelle fois guidé par le pragmatisme et la volonté de maintenir l’état du droit existant. L’article L. 300-1 répond au champ d’application organique et matériel du droit de la procédure administrative qui correspond à la conception la plus syncrétique possible puisque les grandes lois adoptées depuis 1978 avaient quasiment toutes des champ d’application différents (ibid., p. 63 et s.). A cet égard, le CRPA prévoit de multiples dérogations en plus ou en moins (v. en ce sens, art. D. 113-1, art. L. 113-4, L. 120-1, L. 135-1 et 2, L. 211-1, L. 121-1, L. 222-1 à L. 222-4, L. 240-2). Là encore, le néophyte devra prendre garde à ne pas s’en tenir à la seule lecture de l’article L. 100-3…

L’on regrettera enfin une lacune importante : l’absence de réglementation par le CRPA des relations entre personnes publiques sauf dérogations (art. L. 211-1 ; L.112-14). Ainsi que cela a pu être souligné, le sujet est « quelque peu terra incognita » (M. Vialettes, C. Barrois de Sarrigny, « La fabrique d’un code », RFDA 2016, p. 4 et s.) alors que les relations procédurales entre personnes publiques sont un outil d’amélioration de la relation administrative. Dès lors, la question trouvait particulièrement sa place dans le CRPA d’autant plus que celui-ci a abandonné la rhétorique de la citoyenneté administrative qui avait très largement obscurci l’application de la loi DCRA au profit des personnes publiques, notamment des collectivités territoriales dans leurs relations avec l’Etat, le juge administratif ayant considéré que stricto sensu, une personne publique n’était pas un « citoyen administratif » (v. par ex., à propos de la non application de l’article 4 de la loi DCRA entre personnes publiques, CE, 30 juill. 2010, n°309578, SDIS de la Charente ; de même, concernant la non application des articles 18,19 et 20 de la loi du 12 avril 2000 entre l’Etat et les collectivités territoriales : CE ; 1er juillet 2005, n°258509, Ville de Nice). Précisément, tel était aussi l’intérêt d’une codification à droit non constant : proposer, inventer, rénover. Malheureusement, la démarche prospective prend du temps et sans nul doute l’efficacité a constitué le « mercure » du nouveau « baromètre » de la relation administrative que constitue le CRPA !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 71.

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L’intitulé du Code et le choix des termes

par M. le pr. Didier TRUCHET,
professeur émérite à l’Université Panthéon Assas

Art. 67. Lors de la longue gestation du code, son intitulé a longtemps été discuté. La loi du 12 novembre 2013 qui habilitait le gouvernement à établir par ordonnance le nouveau code a tranché : ce serait un code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Chaque mot de cet intitulé résulte d’un choix. Il fallait annoncer pédagogiquement l’objet et le périmètre du code qui ont longtemps fait débat, et traduire politiquement l’objectif poursuivi. L’appellation « CRPA » a le mérite d’être compréhensible pour le public auquel le code s’adresse. « Code de procédure administrative non contentieuse » aurait été plus exact techniquement, mais plus obscur. Elle est cependant réductrice et donc un peu trompeuse : le code ne concerne que les relations juridiques (pas les relations de fait et donc pas la responsabilité) et parmi elles, que les relations unilatérales (pas les relations contractuelles). En outre, le lecteur non spécialiste ne percevra peut-être pas que le code ne s’applique pas aux relations qui font l’objet de dispositions spéciales dans d’autres textes , même si le premier article du CRPA l’en avertit.

Un « code » : il réunit dans un ensemble cohérent et aisément accessible les règles de droit en vigueur, auparavant dispersées dans les textes et la jurisprudence. Rien de plus : il ne prétend pas être une charte des droits administratifs, non plus qu’une loi de réforme de l’administration.

« Public » : on ne pouvait pas adopter un terme plus plat, plus anonyme et plus large. Cela rappelle les pancartes « Accès du public » ou « Interdit au public » de nos bâtiments administratifs. « Public » est aussi le mot utilisé de longue date par la législation pour distinguer les services de communication (presse, audiovisuel, spectacles…) des services de correspondance (téléphone, poste, courriels…) qui s’adressent à des personnes identifiées. Un public est un ensemble indéterminé de destinataires, sans considération de leurs caractéristiques personnelles. Les rédacteurs du code ont voulu exposer au plus grand nombre ce que l’on peut légalement demander à l’administration et attendre d’elle. Le droit administratif a toujours eu du mal à nommer l’ensemble des administrés, parce que sa tradition historique les situait dans des contextes particuliers (les contribuables, les assurés sociaux, les élèves et étudiants, les détenus etc.) et les considérait comme des requérants confiant au juge la protection de leurs droits envers les administrations. Les textes codifiés dans le CRPA parlaient déjà de « public » (loi du 11 juillet 1978 portant diverses dispositions d’amélioration des relations entre l’Administration et le public) mais aussi d’ « usagers » (décret –abrogé en 2006- du 28 novembre 1983 concernant entre les relations entre l’administration et les usagers, ordonnance du 8 décembre 2006 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives ) et même de « citoyens » (loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations). «Administré » aurait paru poussiéreux et passif ; guère plus moderne, «usager » aurait en outre été trop étroit car le mot désigne en principe l’utilisateur d’un service public ou d’un bien du domaine public ; « citoyens » aurait été trop large et aurait renvoyé à un thème, la citoyenneté administrative, qui est passé de mode.

Va donc pour « public », terme auquel chacun peut s’identifier. Mais je regrette que le nouveau code n’ait pas employé « personne » dans son titre. Car dans nos relations avec l’administration comme avec tout autre titulaire d’un pouvoir sur nous, nous ne voulons plus être considérés comme les particules élémentaires et anonymes d’un ensemble indifférencié mais respectés comme des personnes avec leur existence, leur dignité et leurs caractéristiques propres. D’ailleurs, l’article L 100-3 du CRPA définit le public comme « a) toute personne physique ; b) toute personne morale de droit privé […] ». Et ses dispositions parlent bien davantage des personnes (« toute personne », « une personne qui … ») que du public. Dommage que ce dernier fasse dans l’intitulé du code, écran entre l’administration et les personnes car ce sont bien elles et non le public, qui sont titulaires de droits et d’obligations.

« Administration » ? Le mot n’a aucune signification juridique précise puisque lorsque l’on dit d’une entité qu’elle est une administration, on ne dit en réalité pas grand-chose de sa nature juridique ou du régime auquel elle est soumise. Le code doit donc énumérer ce que recouvre l’administration, non pas en général, mais dans son champ d’application : « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Claire pour les spécialistes, cette liste ne l’est sans doute pas pour les autres lecteurs, qui auront aussi du mal à déceler que le code ne s’applique pas entre administrations elles-mêmes car elles n’entrent pas dans la définition du public. Mais ses auteurs entendaient user de formules simples, seraient-elles imprécises, incomplètes ou sujettes à interprétation : nul doute que le public auquel il est destiné subodorera aisément ce qu’est une administration.

L’intitulé du CRPA illustre la difficulté de l’intelligibilité du droit, que tant d’administrations (et pas elles seulement) rencontrent lorsqu’elles s’adressent au public : faut-il ne dire que l’essentiel, au risque de délivrer une information incomplète qui peut être trompeuse dans quelques cas particuliers, ou tout dire, au risque de délivrer une information si technique et exhaustive qu’elle en devient incompréhensible ?

Il me semble que le choix des mots et de l’intitulé du code résout bien cette difficulté. Le rapport au président de la République qui précède le code dit que son plan « traduit les différentes étapes du dialogue administratif ». C’est ce qui explique que dans l’intitulé, « public » précède « administration ».

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 67.

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Une histoire courte des relations entre l’administration et le public mise à la portée de tout le monde

par Mme Delphine ESPAGNO-ABADIE,
Maitre de conférences de droit public, Sciences Po Toulouse, LaSSP, EA 4175

Art. 66. La relation entre l’administration et le public est au cœur de l’action administrative. Soumise à des règles spéciales, le plus souvent exorbitantes du droit commun, la relation administrative qu’entretient l’administré avec les services publics est encadrée par des textes dont la lisibilité et la compréhension ne sont pas toujours faciles pour le citoyen.

Depuis la fin des années 1960, le gouvernant et le législateur ont contribué à la mise en place progressive d’un rapprochement entre l’administration et les administrés. L’amélioration des relations entre ces acteurs majeurs de l’action administrative devient, sous la Vème République, une constante des politiques publiques. Nombreux sont d’ailleurs les premiers ministres qui, une fois désignés, en ont fait un des points essentiels de leur discours de politique générale. La particularité de cette volonté politique qui prend forme à la fois dans la volonté de réformer l’administration, choix de politique publique générale, et qui est déclinée dans diverses politiques publiques sectorielles, est qu’elle fait sortir l’administration du silence et de l’anonymat derrière lesquels elle s’est longtemps cachée. Ainsi, devenant véritablement un objet de politique de réforme, l’administration est « l’objet de politiques d’appropriation » (P. Bezès, Réinventer l’État, 2009, PUF, p. 127), appropriation sociale et politique qui conduit les gouvernants à établir, dans le cadre de nouvelles réformes des liens entre l’administration et les administrés.

Objet d’une politique de modernisation de l’État (J. Caillosse, « La modernisation de l’État, AJDA 1991, p.755) d’abord, de l’action administrative ensuite, d’une politique publique sectorielle enfin, la relation entre l’administration et le public est au centre de plusieurs textes législatifs et réglementaires dont la clarté n’est pas toujours réelle. Ce véritable arsenal législatif et règlementaire constitue, sans nul doute, le soubassement juridique de la nécessité, affirmée plus récemment, d’une simplification du droit et d’une facilité d’accès au droit. Le Code des Relations entre le Public et l’Administration, entré en vigueur depuis janvier 2016, est le fruit de ce processus d’amélioration et de modernisation des rapports entre le public et l’administration. Il n’est pas arrivé là aux hasards des calendriers électoraux et des politiques publiques, il est l’aboutissement d’une réflexion entamée depuis plusieurs années sur la nécessité de « codifier » les règles applicables à ces relations.

Le rapprochement entre l’administration et les administrés, une politique publique d’amélioration de l’action administrative

Si l’on retrace rapidement ici l’évolution de ces relations, il faut alors revenir, tout en restant dans le cadre de la Ve République, à une série de lois adoptées dès 1973 (Loi n°73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République) et prolongées par les développements récents, et à un certain nombre de dispositions réglementaires visant à l’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés (décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l’administration et les usagers, circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public). Au-delà de l’amélioration, il s’agit de construire un nouveau modèle d’administration, une administration modernisée moins bureaucratique et plus démocratique ( J. Chevallier, « De l’administration démocratique à la démocratie administrative », RFAP 2011/1, p. 217-227).

Comme l’ont expliqué J. Chevallier (« L’administration face au public », Communication administration-administrés, CURAPP, 1983, p.13-60, par exemple) et J. Caillosse (La constitution imaginaire de l’administration, PUF, 2008) dans leurs travaux respectifs, cette politique de modernisation est complexe parce qu’elle place l’administration dans une situation qui l’oblige peu à peu de sortir de la culture du secret et de l’anonymat pour entrer dans une nouvelle posture qui est celle de la transparence administrative. Ainsi, au fil des textes adoptés, l’administration, dans la relation à ses usagers passe d’une logique de démocratisation des procédures et des relations à celle d’une démocratie administrative.

Si traditionnellement, la loi du 17 juillet 1978 (loi n° 78-753 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal) est présentée comme étant le texte fondateur de nouveaux rapports entre les administrations et les administrés, parce qu’elle institue en effet de manière explicite une transparence administrative, elle n’est toutefois que l’un des textes visant à faire sortir ces relations d’une prise de distance entre ceux qui administrent et ceux qui sont administrés. Si la loi de juillet 1978 ouvre l’accès aux documents administratifs, celle de juillet 1979 promeut le principe de la motivation en droit et en fait des actes de l’administration. L’ensemble de ces dispositions législatives à la fin des années 1970, modifié par la suite, constitue le socle d’une nouvelle transparence de l’action administrative. Ces textes placent l’administration dans une nouvelle situation juridique mais également politique et sociale, l’obligeant à sortir de cette logique du secret longtemps admise comme principe de fonctionnement de l’action administrative. Si l’on peut considérer en effet que ces premiers textes ont eu vocation à modifier le modèle des relations entre l’administration et le public, ils contribuent à renforcer l’idée d’une nécessité de réformer davantage le schéma administratif de notre État.

C’est dans cet état d’esprit que de nouveaux textes sont adoptés pour adapter davantage notre modèle administratif aux évolutions économiques, politiques et sociales. Ce réformisme qui, dans un premier temps répond aux critiques formulées à l’égard d’une administration trop rigide et trop peu transparente, devient avec l’adoption, notamment de la circulaire sur le renouveau du service public (1989), un réformisme plus porté vers l’amélioration de la performance et de l’efficacité du modèle administratif.

Une politique publique d’amélioration et de simplification de l’action administrative

 A partir des années 1980, le réformisme administratif prend un nouveau visage. Ainsi, dès 1983, les gouvernements successifs investissent la logique de la modernisation managériale de l’administration et adoptent peu à peu le modèle de la nouvelle gestion publique, tout en réformant le Statut général de la fonction publique, réforme confiée notamment à Anicet Le Pors, ce qui n’est pas anodin.

C’est dans ce contexte politico-administratif que se renouvelle les relations entre l’administration et le public. Le décret du 28 novembre 1983 précité, modifié depuis à plusieurs reprises, témoigne d’une préoccupation de rapprochement des protagonistes principaux de l’action administrative tout en tentant de concilier les prérogatives de l’administration avec les droits et les intérêts des administrés.

En essayant de renverser une solution jurisprudentielle alors en vigueur consistant à laisser le soin à l’administration de déterminer librement si elle doit ou non satisfaire à une demande d’abrogation d’un règlement illégal, ce texte est dans la continuité des lois de 1978 et de 1979. Il vise principalement à définir un nouveau statut pour les usagers du service public leur ouvrant droit à des garanties nouvelles et à assurer davantage de transparence. Cependant, il est également annonciateur des transformations qui s’opèrent en matière de procédure administrative non contentieuse et contentieuse.

C’est toutefois dans la volonté politique d’adapter l’administration au contexte général de l’action publique, dans le prolongement des idées posées dans la circulaire Rocard de février 1989 que les rapports entre l’administration et les usagers vont s’inscrire dans de nouvelles perspectives. Si la circulaire sur le renouveau des services publics introduit les nouvelles dimensions de la gestion publique qui prennent clairement forme, plus tard, en matière de fonction publique avec l’adoption de la gestion prévisionnelle des emplois et des effectifs, l’évaluation des politiques publiques permet l’émergence d’une nouvelle figure de l’usager. Après avoir été considéré comme acteur de l’action administrative, puis comme partenaire, voire client, l’administré devient citoyen. Si on peut considérer que cette nouvelle figure de l’administré-citoyen est déjà présente dans plusieurs textes dès les années 1990, c’est véritablement la loi de 2000 qui, au-delà de son titre, consacre ce nouveau visage de l’administré (J. Chevallier, « La transformation de la relation administrative, mythe ou réalité ? », Recueil Dalloz, 2000, p. 575-592).

Le parcours de cette loi est complexe : déposée au Parlement, elle a fait l’objet de trois lectures avant une adoption définitive que la dissolution de l’Assemblée nationale du 21 avril 1997 va bloquer. Pour autant le projet n’est pas abandonné, d’autant moins qu’il est le fruit d’une volonté politique affichée dès 1995 dans la circulaire Juppé du 26 juillet 1995 sur la réforme de l’État et de services publics. Le gouvernement Jospin reprend en main ce projet qui, après de multiples rebondissements, est adopté définitivement par le Parlement et publié le 12 avril 2000. Texte particulièrement hétérogène, il se découpe en trois titres, les relations entre l’administration et le citoyen est l’objet du deuxième titre. Reconnaissant explicitement la notion de citoyenneté administrative, la loi du 12 avril 2000 rompt avec les usages antérieurs. Alors que traditionnellement, la notion de citoyen est réservée à la sphère politique, le texte admet ici que l’individu dans sa relation avec l’administration n’est plus un simple sujet de droit sur lequel cette dernière est susceptible d’exercer ses prérogatives mais il est un sujet actif à qui la loi accorde un droit à l’information, facilite l’accès au droit, lève l’anonymat des agents qui devenant identifiables sont des interlocuteurs directs de l’administré.

Au-delà de ces garanties, la loi de 2000 confirme la nécessité d’une codification des règles de procédures administratives, ce qui n’est pas un point innovant puisqu’en 1999, une autre disposition législative a explicitement reconnu la possibilité au gouvernement d’adopter par voie d’ordonnance un certain nombre de codes (Loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie Législative de certains codes, JORF n°296 du 22 décembre 1999 page 19040). Surtout, d’un point de vue de la science administrative, la loi de 2000 marque véritablement un tournant dans la perception des rapports entre ceux qui administrent et ceux qui sont administrés. C’est à partir de ces dispositions que la relation entre le public et l’administration semble entrer dans une nouvelle ère. Par la volonté législative, largement soutenue par les gouvernements, les relations administration/administrés se transforment peu à peu. Alors que l’administré est longtemps resté celui qui devait, du point de vue de l’administration, rester le plus loin possible de l’action administrative, cantonné dans un rôle passif, subissant, parfois, les desiderata de l’autorité administrative, il est de plus en plus perçu comme un acteur associé à l’administration (voir ce dossier, J. Chevallier, art. 72). Même s’il y a beaucoup à dire sur cette manière de concevoir le rôle participatif donné au public dans les textes mais également dans la pratique, il faut soulever cependant que cette évolution est le fruit d’une longue réflexion sur les rapports entre les acteurs de l’action publique.

Depuis quatre ans, le gouvernement tente d’accélérer le processus de simplification, comme s’y est engagé le Président de la République en évoquant « le choc de simplification ». Parmi les mesures adoptées, certaines vont dans le sens d’une simplification des procédures administratives en faveur des administrés. Il n’est pas certain qu’en pratique ces mesures constituent toutes une simplification des relations entre l’administration et le public. On peut en effet s’interroger sur les effets simplificateurs du renversement du principe selon lequel « le silence gardé par l’administration sur demande vaut rejet » tel qu’il est prévu d’une part par la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens d’autre part par les différents décrets (près de 50 textes) qui posent des dérogations au principe désormais législatif du « silence gardé par l’administration sur demande vaut acceptation » intégré dans le CRPA à l’article L. 231-1. En revanche, la dématérialisation de certaines procédures peut en effet participer à la simplification de la vie des usagers dans leurs démarches administratives (droit de timbre pour l’obtention d’un passeport, dépôt de plainte en ligne). Près de 170 mesures de simplification de la vie des particuliers ont été annoncées pour améliorer leurs relations avec l’administration, 54% d’entre elles seraient aujourd’hui effectives selon le gouvernement. Il reste à analyser le degré réel de simplification des procédures pour les administrés et mesurer les effets positifs ou négatifs de telles dispositions dont certaines sont intégrées dans le CRPA.

Ainsi, le travail législatif comme réglementaire réalisé sous la Ve République depuis la fin des années 1970 a pu assurer une évolution certaine des ces relations. Ces dispositions textuelles ont donc été le terreau fertile du Code des Relations entre le Public et l’Administration. La Révision générale des politiques publiques comme la Modernisation de l’action publique ont également favorisé les évolutions récentes. Des choix de politiques publiques en matière de modernisation et de réforme de l’État sont nés, peu à peu, les textes. Textes dont l’adoption, comme l’application, n’ont pas nécessairement suffit à rapprocher les citoyens de l’administration mais qui ont ouvert la voie à une « codification ». A propos de ce code, il y a beaucoup à dire, à commenter et à critiquer. Il a toutefois un mérite, celui d’exister.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 66.

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Enquête publique – enquêtes publiques ?

par Mme Line Touzeau-Mouflard
Maître de conférences en droit public,
Université de Reims Champagne-Ardenne – CRDT

Art. 73. « Sa Majesté a pensé qu’il étoit de sa justice de donner à tous ceux qui peuvent y avoir intérêt, un temps suffisant pour se faire entendre ». Cette formulation de l’Arrêt du Conseil du Roi du 20 avril 1783 concernant les formalités à remplir pour la confection des routes (Isambert et alii, Recueil général des anciennes lois françaises, t. 27, p. 274) atteste du caractère ancien de l’enquête publique, procédure visant à informer et recueillir les observations du public en amont de la prise de décision administrative. Ce mode d’association du public à l’action de l’administration a connu un double mouvement. D’abord, un mouvement d’extension et de complexification : à l’origine essentiellement limité au cas de l’expropriation, le procédé est progressivement dupliqué dans des champs toujours plus nombreux, et tout spécialement dans celui de l’environnement (D. no 76-432 du 14 mai 1976, L. no 83-630 du 12 juillet 1983 notamment). Ensuite, intervient une vague de réformes simplificatrices (L. no 2002-276 du 27 février 2002, L. no 2010-788 du 12 juillet 2010, Ord. no 2014-1345 du 6 novembre 2014). Il pouvait sembler logique que ce mouvement se prolonge avec la parution du code des relations entre le public et l’administration, au sein duquel l’enquête publique trouve naturellement sa place (art. L. 134-1 sq). Cette entreprise de codification, qu’il faut saluer, affiche deux ambitions principales qui s’entrecroisent : écrire la lex generalis de la procédure administrative non contentieuse et rendre la règle de droit plus accessible à ses destinataires, ici le public (v. Ch.-A. Dubreuil, « Le champ d’application des dispositions du code », RFDA, 2016 p. 17). Ces objectifs sont-ils atteints pour l’enquête publique ? L’examen de l’articulation entre les codes de l’expropriation pour cause d’utilité publique, de l’environnement et celui des relations entre le public et l’administration impose une réponse nuancée. La simplification attendue n’est que partiellement satisfaite, le processus restant à parachever.

Des enquêtes publiques. Un besoin de simplification partiellement satisfait

Le législateur et le gouvernement (v. le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2015-1341 du 23 octobre 2015, JO du 25 p. 19871) poursuivent, avec la rédaction de ce nouveau code, l’exigence d’accessibilité du droit fixée par le Conseil constitutionnel. L’accessibilité passe par la simplification, or, en matière d’enquête publique, le besoin reste prégnant. La typologie des enquêtes a certes été réduite à trois occurrences : enquêtes préalables à la déclaration d’utilité publique de l’article L. 110-1 du code de l’expropriation, autres enquêtes diverses de l’article L. 110-2 du même code, enquêtes relatives aux décisions ayant une incidence sur l’environnement des articles L. 123-1 et L. 123-2 du code de l’environnement. Il reste que la diversité des dispositions procédurales, la multiplication des renvois intertextuels, invitaient à améliorer la lisibilité et la compréhensibilité du mécanisme. L’occasion d’une clarification s’offrait donc. Il ne s’agissait pas nécessairement de remettre à plat le dispositif – nous ne reviendrons pas ici sur les critiques récurrentes portées à la procédure –, mais il convenait tout au moins d’harmoniser les procédures (cf. art. 60 de la loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004 qui autorisait l’adoption d’une ordonnance en ce sens… jamais adoptée), en établissant un « tronc commun » (H. Portelli, Rapport no 742 (2012-2013), 10 juillet 2013), en posant « en plein et non plus seulement en creux le régime juridique (des) enquêtes publiques de droit commun » (M. Vialettes, 
C. Barrois de Sarigny, « La fabrique d’un code », RFDA, 2016 p.4). Autrement dit, il s’agissait d’écrire la lex generalis de l’enquête publique.

Les motifs de satisfaction ne manquent pas. L’article L. 134-2 propose une définition générique de l’enquête publique qui « a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration d’une décision administrative. Les observations et propositions recueillies au cours de l’enquête sont prises en considération par l’administration compétente avant la prise de décision ». Cette définition est clairement tirée de la définition de l’enquête publique environnementale. Les articles suivants déroulent la procédure dite de droit commun, largement inspirée de celle prévue par le code de l’expropriation, avec souvent une complète identité des dispositions (pour une présentation plus détaillée, v. P. Bon, « L’association du public aux décisions prises par l’administration », RFDA, 2016 p. 27). Les enquêtes diverses, un temps réunies, faute de mieux, à l’article L.110-2 du code de l’expropriation, en sortent avec l’abrogation de cet article. Est aussi très favorablement accueillie la présentation combinée des articles législatifs et réglementaires – enfin ! En revanche, les dispositions communes sont maintenues dans chaque texte, alors qu’aurait été souhaitable un toilettage d’ensemble pour que ne subsistent, dans les codes de l’environnement et de l’expropriation, que les dispositions dérogatoires, spéciales. Relevons d’ailleurs que sur le site Légifrance l’article R. 112-25 du code de l’expropriation mentionne toujours l’article L. 110-2. De surcroît, les renvois d’un texte à l’autre sont nombreux (v. Ch.-A. Dubreuil, préc.). Le nouveau code renvoie même régulièrement aux deux précédents, et ce parfois non pour des règles spéciales, mais pour des règles générales : à l’image de l’établissement de la liste d’aptitude des commissaires enquêteurs, déterminé par le code de l’environnement (art. L. 134-17). A tel point, en définitive, que l’enquête environnementale fait davantage figure de lex generalis.

L’enquête publique. Un processus de simplification à parachever

Pourtant, les obstacles à l’établissement de cette lex generalis n’étaient pas insurmontables. D’aucuns invoqueront peut-être les limites de l’habilitation ; toutefois, selon nous les consignes de simplification, d’harmonisation, voire de renforcement de la participation du public (L. no 2013-1005 du 12 novembre 2013, art. 3 III 3o) permettaient d’aller plus loin sans outrepasser l’habilitation. Un autre argument nous paraît devoir être écarté brièvement. Il n’aurait « pas été jugé souhaitable de bouleverser les habitudes des utilisateurs des codes sectoriels existants » (v. Ch.-A. Dubreuil, préc.). Il est bien difficile de souscrire à l’idée selon laquelle certains codes seraient destinés à un public averti, quand d’autres viseraient le citoyen lambda. Dernière difficulté, celle liée à la réalité de la coexistence de plusieurs enquêtes. Il serait possible d’avancer que les trois types d’enquêtes ne sont pas réductibles à un modèle unique. En particulier, les finalités des enquêtes en matière d’expropriation – défense du droit de propriété – et en matière d’environnement – protection de ce dernier – justifieraient la diversité des enquêtes et des corpus juridiques y étant attachés. Or, l’évolution du droit des enquêtes publiques révèle plutôt un glissement vers une troisième finalité, plus large, celle de la participation à l’élaboration de la décision administrative pour toute personne y ayant un intérêt, que cet intérêt soit juridiquement protégé ou pas. Le sort spécifique réservé à l’enquête environnementale soulève même quelques critiques (Y. Jégouzo, « Principe et idéologie de la participation », in Pour un droit commun de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 577). L’enquête publique se présente désormais comme l’un des ressorts de la démocratie délibérative (Conseil d’État, Consulter autrement. Participer efficacement, Doc. fr. 2011), comme l’une des clés de légitimation de la décision (R. Hostiou, « Enquête publique et aménagement », in J.-C. Hélin, R. Hostiou et a., Les nouvelles procédures d’enquête publique, Economica, 1986, p. 41).

En somme, l’enquête publique mérite sa lex generalis. Elle est même appelée des vœux de nombre de décideurs et d’observateurs. Déjà, le Rapport Sialelli du 13 janvier 1975 envisageait le détachement de l’enquête publique de l’expropriation pour en faire une « procédure de droit commun » et A. de Laubadère (AJDA, 1976 chron. p. 363) de s’interroger : « ne conviendrait-il pas d’envisager et de traiter l’enquête publique, dans notre droit administratif, comme une sorte de procédure de droit commun, uniformisée dans ses principes fondamentaux et devenant une pièce de la procédure administrative non contentieuse (…) ? ». Le code des relations entre le public et l’administration gagnerait à ce que la procédure qu’il prévoit pour l’enquête publique devienne la « procédure-mère » (Y. Jégouzo, « L’enquête publique en débat », Études offertes aux professeur René Hostiou, Litec, 2008, p. 273). Espérons que le caractère « vivant » du code (D. Labetoulle, RFDA, 2016 p. 1) lui permette de devenir rapidement la véritable lex generalis de l’enquête publique.

 

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 73.

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Le droit international et la relation administrative

 par M. le pr. Jean-Marie CROUZATIER,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, droit public,

Art. 70. Les droits reconnus aux usagers dans leurs relations avec l’administration par le Code des relations entre le public et l’administration – accès à l’information, participation du public aux décisions, droit de former un recours et d’être entendu – figurent, sous des formulations diverses, dans les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme. Ils font l’objet d’une jurisprudence fournie ; seront prises en compte ici les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies et les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Accès à l’information.
Sur le plan universel.

La liberté d’opinion et d’expression est énoncée dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). La liberté d’expression est définie dans l’article 19 – 2 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) comme la faculté de rechercher, recevoir et répandre des informations ; elle englobe donc la liberté d’information. Le Comité des droits de l’Homme (CDH) en fait une interprétation très large car il considère « liberté d’information et liberté d’expression comme les pierres angulaires de toute société libre et démocratique » [Adimo M. Aderayom c/ Togo, 12 juillet 1996]. Il a ainsi constaté des violations de cette liberté dans le refus de l’Etat de donner accès à des informations d’intérêt public [Nurbek Toktakunov c/ Kirghizistan, 28 mars 2011], l’impossibilité pour un groupe de citoyens d’avoir accès aux bulletins de vote des élections présidentielles [Castaneda c/ Mexique, 18 juillet 2013] ou l’absence d’information et de participation du public concerné avant des travaux d’infrastructure [Angela Poma Poma c/ Pérou, 27 mars 2009]. Dans cette dernière affaire, « le comité constate que l’auteure, pas plus que la communauté dont elle fait partie, n’a été à aucun moment consultée par l’État partie au sujet du forage des puits. De surcroît, l’État partie n’a pas exigé qu’un organisme compétent et indépendant réalise les études d’impact nécessaires pour prévoir les conséquences que le forage des puits aurait sur les activités économiques traditionnelles, et aucune mesure n’a été prise pour réduire au minimum ses effets nuisibles et indemniser le préjudice subi… »

La Convention européenne des droits de l’Homme.

L’article 10 – 1 de la CEDH énonce « la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques… ». La Cour européenne des droits de l’homme y voit « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès » [Handyside c/ Royaume Uni, 7 décembre 1976]. Tout comme dans le PIDCP, une réserve général d’ordre public (art. 10-2) prévoit trois catégories de restrictions : protéger l’intérêt général ; protéger d’autres droits individuels [notamment la protection de la vie privée : Von Hannover c/ Allemagne, 24 juin 2004] ; garantir l’autorité et l’impartialité de l’autorité judiciaire. Mais la Cour est particulièrement exigeante dans l’examen des conditions que ces restrictions doivent remplir [Cf. par exemple, Kalda c/ Estonie, 19 janvier 2015].

A noter que la Cour considère les associations de défense de l’environnement comme chargées de « divulguer des faits de nature à intéresser le public, à lui donner une appréciation et contribuer ainsi à la transparence des activités des autorités publiques » [Vides Aizsardzibas Klubs c/ lettonie, 27 mai 2004].

Participation du public au processus décisionnel.

Le rapprochement opéré dans l’affaire Poma Poma par le Comité des droits de l’Homme entre l’accès à l’information et la participation du public aux décisions peut surprendre ; en effet, la DUDH (art. 21-1) et le PIDCP (art. 25 a) ne mentionnent que le droit de « participer à la direction des affaires publiques ». Mais le Comité a sans doute été influencé par le grand nombre de textes internationaux qui établissent le lien, tout particulièrement en matière de protection de l’environnement : Déclaration de Salzbourg sur la protection du droit à l’information et du droit de participation (1980), Charte mondiale de la nature (1982), Charte européenne sur l’environnement et la santé (1989), recommandations de la conférence de la CSCE sur l’environnement (Sofia 1989), principe 10 de la déclaration de Rio sur l’accès aux informations détenues par les autorités publiques et la participation des citoyens au règlement des questions d’environnement (1992), Convention de Lugano sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement (1993). Point d’orgue : la convention d’Aarhus (1998) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, oblige les pouvoirs publics à rendre des comptes, à assurer la transparence de l’action publique et à garantir l’aptitude de l’administration à répondre aux besoins des usagers.

Droit de former un recours et d’être entendu.
Le Comité des droits de l’Homme.

La formule de l’article 8 de la DUDH (« droit à un recours effectif devant les juridictions nationales ») est explicitée dans l’article 2-3 du PIDCP : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Le Comité entend s’assurer que cette garantie est effective, et notamment que le recours est exécutoire lorsqu’une violation est établie [Dissanayake c/ Sri Lanka, 22 juillet 2008] ; il demande à l’Etat de fournir des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations [Alzery c/ Suède, 25 octobre 2006 ; Pimentel c/ Philippines, 19 mars 2007 ; VDA c/ Argentine, 29 mars 2011]

La Cour européenne des droits de l’Homme.

L’article 13 de la CEDH est directement inspiré de l’article 8 de la DUDH. La Cour en donne une interprétation large et accepte de constater une violation de l’article 13 sans qu’il y ait eu violation d’un droit substantiel de la Convention. Le droit de former un recours recoupe le droit à un procès équitable (article 6-1) ; la Cour combine d’ailleurs les deux articles [Kudla c/ Pologne, 26 octobre 2000]. L’article 13 fait peser sur l’État une obligation positive : celle d’offrir à tout individu la possibilité d’être entendu, quel que soit l’auteur de la violation dénoncée. Le recours doit être « effectif » : il ne doit pas être dépendant d’une décision de l’autorité publique ; il doit permettre « un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête » ; si le recours aboutit à un résultat positif devant le juge national, il ne doit pas se heurter au refus de l’administration d’exécuter le jugement [Iatridis c/ Grèce, 25 mars 1999].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 70.

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Des « relations » en méconnaissance des droits et libertés…

par Mme le pr. Geneviève KOUBI
Professeur de droit public à l’Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis,
Membre du CERSA (Paris II – CNRS)

Art. 80. Comment appréhender un Code des relations entre le public et l’administration qui ne retient, parmi les droits et libertés, que le principe d’égalité (art. L. 100-2 : « L’administration […] se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial. ») ? Comment comprendre que ce Code ne fasse pas référence aux droits et libertés des personnes, des administrés, des usagers des services publics ou des services « au » public, des citoyens, des habitants, des résidents ? Ces questions dépassent alors les modules construits autour de « l’association du public aux décisions prises par l’administration » (Titre II du Livre Ier du Code) en ce qu’ils s’appliquent à « la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte » (art. L. 131-1) et même s’ils font état du fait que « demeurent obligatoires les consultations d’autorités administratives indépendantes prévues par les textes législatifs et réglementaires, les procédures d’avis conforme, celles qui concernent l’exercice d’une liberté publique, constituent la garantie d’une exigence constitutionnelle, traduisent un pouvoir de proposition ou mettent en œuvre le principe de participation » (art. L. 132-1).

Cette absence quant à une prise en considération des droits et des libertés des citoyens intrigue d’autant plus que sont nécessairement impliquées dans le schéma des relations publiques des autorités administratives indépendantes. La Commission d’accès aux documents administratifs dispose d’un titre qui lui est consacré (Titre IV du CRPA) ; la Commission nationale de l’informatique et des libertés est logiquement conviée à participer à une application et à une compréhension raisonnées de certaines dispositions du Code, notamment pour ce qui concerne la protection des données à caractère personnel. Il apparaît donc pour le moins curieux que les fonctions du Défenseur des droits, pourtant liées aux problématiques des relations administratives, ne soient qu’à peine mentionnées dans ce Code. Elles ne le sont, elliptiquement, qu’à l’article L. 424-1 du CRPA, lequel dispose : « Le Défenseur des droits peut être saisi ou se saisir d’office de différends entre le public et l’administration, dans les cas et les conditions prévus par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits. » Cette formule n’apporte rien de neuf. Elle confirme l’insertion de la protection de ces droits dans des cadrages calibrés par des mises en perspectives juridictionnelles. Car, outre l’appel au Défenseur des droits rigoureusement inclus dans le champ administratif, l’attention portée spécifiquement aux libertés publiques reste confinée dans le schéma constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité et dans le module des procédures de référé devant le juge administratif au titre de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Ce bref renvoi à un dispositif laborieux revient donc à exclure du champ d’un code traitant des relations administratives le respect des droits et libertés des individus même s’il est affirmé que « l’administration […] est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité » (art. L. 100-2).

Dès lors, les dispositions de l’article 71-1 (al. 1 et 2) de la Constitution mériteraient d’être rappelées : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. / Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office. » En quelque sorte, ces articulations auraient pu constituer une des bases du Code, étant entendu que, la plupart du temps, les réclamations et les désaccords expédiés à l’administration font état de telles appréciations ou impressions.

La loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, prévue par cet article 71-1 (al. 3), « définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits ». Elle précise donc, en son article 4, les champs de compétence du Défenseur des droits. Une corrélation entre certaines des dispositions du Code et la détermination de ces attributions doit ainsi être relevée. Cet article 4 annonce que « le Défenseur des droits est chargé : 1° De défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ; 2° De défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ; 3° De lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ; 4° De veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République. » Mais ce sont surtout les données de l’article 5, 1° de cette loi organique qui retraduit la jonction avec le Code des relations entre le public et l’administration puisque le Défenseur des droits peut être saisi « par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public ».

L’impasse que fait le Code des relations du public avec l’administration en matière de droits et libertés révélerait la difficulté des pouvoirs publics à en admettre le respect dans le cadre des correspondances, des communications, des relations administratives – sauf, peut-être, en rapport avec l’obligation de motivation des actes administratifs au titre de l’article L. 211-2 (« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; […] 3° Subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; […] 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ; … »).

Les réflexes d’une administration « directive » sont intacts. En est d’ailleurs un des indices l’article L. 212-9 quant à l’usage obligatoire des téléservices publics : « Lorsqu’elle a mis en place un téléservice réservé à l’accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n’est régulièrement saisie par voie électronique que par l’usage de ce téléservice » (al. 3). Or, afin de ne pas accentuer les effets délétères de la fracture numérique, les textes législatifs et réglementaires antérieurs avaient insisté sur le caractère facultatif de leur utilisation. D’ailleurs, sur ce point, une contradiction interne au Code peut être signalée à partir des formulations de l’article L. 112-15 qui dispose : « Lorsqu’une personne doit adresser un document à l’administration par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l’utilisation d’un téléservice […] ou d’un procédé électronique, accepté par cette administration, permettant de désigner l’expéditeur et d’établir si le document lui a été remis. / Lorsque l’administration doit notifier un document à une personne par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l’utilisation d’un procédé électronique permettant de désigner l’expéditeur, de garantir l’identité du destinataire et d’établir si le document a été remis… ». De fait, la liberté du choix d’un mode de communication avec l’administration ne semble plus être de mise, et les exclus du système rencontreront même quelques difficultés pour en référer au Défenseur des droits.

Quoiqu’il en soit, nombreuses sont les incertitudes – et les inquiétudes – générées à propos du silence sur le respect ou la protection des droits et des libertés dans un Code qui prétend se saisir de « relations » entre un « public » associant « personnes physiques et personnes morales de droit privé » et une « administration » extensive et extensible dans la mesure où elle intègre « les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale » (art. L. 100-3 CRPA).

En effet, les quelques droits qui y sont exposés, clairement établis en rapport avec les sphères d’intervention administratives et avec les espaces de service au public, se trouvent à chaque fois comprimés. Parce qu’il serait soi-disant incontestable que l’administration « agit dans l’intérêt général », alors qu’elle ne fait que respecter une légalité dont elle est le principal concepteur, les droits dont pourraient se prévaloir les personnes physiques ou morales, nationaux ou étrangers, métropolitains ou ultramarins, sont construits, par delà les contestations personnelles ou collectives des activités publiques, autour des « demandes » adressées à l’administration et des « recours » conçus comme des modes de « règlement des différends » hors des prétoires. Il est certes signifié que, lorsqu’elles « sont prises en considération de la personne », les décisions administratives « sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable » (art. L. 121-1). La protection des données à caractère personnel est actée puisque « certains actes individuels, notamment relatifs à l’état et à la nationalité des personnes, doivent être publiés dans des conditions garantissant qu’ils ne font pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche » (art. L. 221-14). Est aussi confirmé le droit à communication des documents administratifs non rendus publics, allant jusqu’à concerner « les avis au vu desquels est prise une décision individuelle créatrice de droits » (art. L. 311-2). Est désormais nettement certifié le droit de réutilisation des informations publiques « à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus » (art. L. 321-1). Et sans nul doute, est enregistré le « droit au recours » (Livre IV).

Néanmoins, la réduction des relations administratives aux processus décisionnels de l’administration comme aux décisions administratives grèvent singulièrement la compréhension du Code. La polysémie du terme de « relation » laisse ainsi planer un doute sur ses enjeux. S’agirait-il de raconter les étapes d’une amélioration progressive des communications entre les administrations publiques ou les entreprises privées chargées de missions de service public et les administrés ou les usagers de ces services ? S’agit-il de signifier des assujettissements, des emprises, des dépendances, de rendre compte de fréquentations, de relater des correspondances ou de décrire des causalités ? Ou bien, l’objectif est-il d’encadrer les contestations diverses et variées des personnes en butte avec des administrations réticentes à les entendre, à les comprendre ?

Sans devoir faire état de l’existence de rapports, indéniablement inégaux, entre des administrations pourvues de pouvoirs « exorbitants du droit commun » et des administrés soumis à un devoir d’obéissance aux lois, il n’est donc pas inutile de rappeler que ce code s’intéresse essentiellement aux « procédures administratives non contentieuses », lesquelles, même exposées sous le label d’un État de droit, laissent peu de place à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 80.

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Le CPRA et la simplification. Quelques remarques

Par Cédric GROULIER
Maître de conférences en droit public
Sciences Po Toulouse, LaSSP EA 4175

Art. 69. Il aura fallu pas moins de trois tentatives pour qu’un code relatif à la procédure administrative voie finalement le jour. La France, éprise de codification depuis la période révolutionnaire, et mère d’un Code civil qui a contribué au prestige juridique hexagonal, s’aligne ainsi, mais finalement assez tard, sur la majorité des pays développés (pour un historique, v. Pascale Gonod, « Codification de la procédure administrative. La fin de l’ « exception française » ? », AJDA 2014, p. 395).

Le CRPA est le fruit des leçons tirées des échecs de 1996 et 2004, et d’un fort volontarisme à l’œuvre dès 2012. Porté au plus haut sommet de l’Etat (Secrétaire général du Gouvernement, vice-président de la Commission supérieure de codification, Conseil d’Etat), le projet de relancer la codification de la procédure administrative trouve un contexte favorable dans la politique de Modernisation de l’action publique (MAP) impulsée par le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault : lors du Comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2012, l’élaboration d’un « code centré sur les procédures et les relations entre les citoyens et les administrations » est ainsi décidée. Le « choc de simplification » lancé par le président de la République fin mars 2013 donne le ton : codification doit rimer avec simplification. Le Premier ministre fait alors de l’élaboration d’un « Code des relations entre les administrations et le public » une priorité (circulaire n° 5643/SG du 27 mars 2013 relative au programme de codification de textes législatifs et réglementaires et de refonte de codes) et selon un procédé qui ne surprend plus, celui du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement se fait habiliter par le Parlement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, adoptée à l’unanimité des deux chambres).

L’originalité – et la modernité – du processus tient en grande partie à son pilotage, par une mission ad hoc de codification, placée sous l’autorité directe du Secrétaire général du Gouvernement. Composée de deux (puis trois) membres de la juridiction administrative, cette structure a pu tirer parti de sa légèreté, d’une étroite association aux acteurs administratifs de la réforme (notamment de la Commission supérieure de codification et du Conseil d’Etat) et de ses échanges avec le « cercle des experts » – composé essentiellement de magistrats, hauts-fonctionnaires, universitaires –, avec lequel s’est instaurée une concertation informelle, dématérialisée, sur une base de volontariat (v. not. Maud Vialettes et Cécile Barrois de Sarigny, « La fabrique d’un code », RFDA 2016, p. 4).

Il en résulte un code nouveau, marqué par une volonté de simplification bien inscrite dans l’air du temps, qui ne va pourtant pas de soi.

Codifier pour simplifier

Si la codification répond à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Conseil constitutionnel, décision 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, cons. 13), c’est en partie en raison de ses vertus simplificatrices. Le CIMAP de décembre 2012 inscrit d’ailleurs le projet de code dans un groupe de décisions visant la simplification de l’action publique, et la loi d’habilitation de novembre 2013 imbrique au fil de ses articles codification et simplification.

Le code simplifie ainsi au sens où la codification rassemble des dispositions juridiques jusqu’alors éparses (loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs, loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, loi du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, et même dispositions du Code de l’expropriation sur les enquêtes publiques) ; il inclut bien évidemment le nouveau principe, issu de la même loi d’habilitation, selon lequel le silence vaut acceptation. Cependant, ce remaniement formel (selon une codification à droit constant, celle qui « re-forme » selon le mot du président Guy Braibant) n’est pas exclusif d’interventions plus substantielles : l’habilitation législative permet aussi de simplifier en réécrivant certaines règles, et en donnant valeur législative à des solutions jurisprudentielles (procédure contradictoire, obligation de prévoir des mesures transitoires, régimes de l’abrogation et du retrait des actes administratifs). Cette codification ne se borne donc pas à « re-former », elle « réforme » aussi.

Le code se présente donc comme un corpus unique et simplifié de la lex generalis des relations entre le public et l’administration. On notera au passage la simplification affectant la dénomination des parties en présence dans la relation administrative : exit l’usager, l’administré et même le citoyen, on parle désormais de public (toutefois, le code est également applicable aux agents publics, qui ne sont pas compris dans le « public », ainsi que défini à l’art. L.100-1) et l’administration, réduite à une unité, alors que la loi du 12 avril 2000 usait à son endroit du pluriel… Les auteurs du code tentent donc la simplicité, non seulement du titre, mais aussi du périmètre du code : il ne s’agit plus de viser l’exhaustivité comme lors des tentatives précédentes, ou pour d’autres codes, mais de s’en tenir à une approche pragmatique : ce n’est donc pas un « code de l’administration », mais celui de la relation administrative, du moins dans ses grandes lignes. Comme le souligne Mattias Guyomar, « s’agissant de la création de nouveaux codes, il apparaît aujourd’hui que les objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité du droit attachés à l’entreprise de codification se trouvent plus facilement atteints par la confection de codes, de dimensions modestes, centrés sur un corpus homogène composé des seuls textes véritablement pertinents au regard de la matière codifiée » (« Les perspectives de la codification contemporaine », AJDA 2014, p. 400).

Cette approche plus étroite – qui explique sans doute aussi pourquoi ce projet a abouti – correspond aussi à un parti pris : le code doit avant tout servir au public, il doit être utile, et effectivement simplifier les démarches des particuliers, des entreprises, de même que permettre aux agents d’œuvrer à une meilleure administration. Cette « orientation-client », assez caractéristique de la MAP, explique la présence de définitions de certains termes (comme celui d’administration : art. L.100-3 ; ou celui d’acte : art. L.200-1…), et surtout l’architecture inédite et innovante du code : dispositions législatives et réglementaires sont réunies par objet, facilitant en principe la connaissance du droit applicable sur une question, et améliorant ainsi « l’expérience des usagers » (Fabien Gélédan, « Spectres du Léviathan : l’État à l’épreuve de la simplification administrative (2006-2015) », RFAP 2016/1 (N° 157), p. 33).

Les limites d’un exercice…

Plus de soixante-dix ! C’est le nombre de codes consultables sur le site Légifrance. Aussi codifié soit-il, le droit français reste à l’évidence un environnement où les non-initiés peuvent légitimement ressentir une impression de complexité. Certes, ces codes rassemblent un nombre bien plus impressionnant de lois, décrets, et autres textes, mais force est d’admettre que la simplification du droit, même via des codes, n’aboutira jamais à la simplicité. Au mieux s’agira-t-il de ce qu’Alain Berthoz qualifie dans un tout autre domaine de « simplexité » : « l’ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et en projeter les conséquences » (La simplexité, Odile Jacob, 2009). Transposée au droit, l’idée n’est pas totalement dénuée de pertinence : permettre au public de saisir tout au moins les grandes lignes de la législation et de la réglementation, pour agir en conséquence et, au besoin, solliciter un conseil. Dans les faits, il s’agit donc essentiellement de faciliter. D’ailleurs, on l’a dit, le CRPA s’en tient à codifier la lex generalis des relations entre le public et l’administration. Des textes spéciaux, plus précis, existent et seront adoptés, sans toujours être intégrés dans le code. La jurisprudence interviendra nécessairement aussi… Irréductible complexité du droit ?

Le principe du silence valant acceptation illustre en tout état de cause fort bien les limites en la matière. Affirmer qu’il a simplifié l’état du droit est une vaste plaisanterie. Concrétisant sans doute un peu vite une proposition du Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013), il est assorti de tant d’exceptions que sa propension à constituer un principe fait question. Le CRPA le réaffirme donc, à son article L.231-1, mais prévoit des dérogations : légales (art. L.231-4) ou instaurées par décrets en Conseil d’Etat « eu égard à l’objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » (art. L.231-5). Simplification ? Dans leur rapport d’information sur le bilan de l’application de la loi du 12 novembre 2013 (n° 629, Sénat, 15 juillet 2015), Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur relevaient que près de deux ans après la promulgation de la loi, le nombre d’exceptions pour l’État s’élevait presque au double du nombre de cas d’application (environ 2400 pour 1200)… Depuis, le décret n° 2016-625 du 19 mai 2016 pose de nouvelles exceptions à la règle pour les collectivités territoriales, pour lesquelles le silence vaut acceptation depuis le 12 novembre 2015. Une liste de dérogations avait en effet été prévue par le décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015 ; ce dernier a été modifié et ne concerne désormais plus que les procédures réglementées par un texte national ! Le décret du 19 mai 2016, lui, traite des demandes présentées dans le cadre de procédures prévues par une délibération de la collectivité ou de l’établissement public…

Au mirage du droit facile à embrasser, s’ajoute celui de la règle de droit stabilisée. La codification a délaissé depuis longtemps le marbre, et le support électronique devient indispensable pour s’assurer de l’état du droit positif à un instant donné. En 2008, Catherine Bergeal soulignait les limites de la codification en indiquant notamment que 10 % des articles d’un code sont modifiés en moyenne chaque année (« Apports et limites de la codification à la clarté de la loi : les enseignements de la pratique française », in La légistique ou l’art de rédiger le droit, numéro spécial, CJFI, juin 2008, p. 35). Elle indiquait aussi combien la codification peut perturber la connaissance que les sujets de droit peuvent avoir de leur environnement juridique : certaines lois sont en effet fort connues, constituent en elles-mêmes des « mini-codes », comme la loi CADA, la loi informatique et libertés, ou dans un autre domaine la fameuse « loi 1901 ». Il y a quelques années, « la Commission de codification a[vait] renoncé à créer un code administratif qui aurait codifié ces lois sous des numéros d’articles plus abstraits que les titres de ces lois » (ibid). On a donc aujourd’hui fait fi de cette réserve et, sur ce point, le CRPA demandera probablement un effort d’adaptation, une appropriation par ce public à qui on promet la simplicité. L’avenir dira si, dans les pratiques, la greffe a pris.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 69.

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La codification des règles régissant les décisions implicites de l’administration : un droit plus accessible et intelligible ?

par Mme Georgina BENARD-VINCENT

Étudiante en master II « Droit public général et contentieux public », Université de Lille2, Attachée principale, Responsable Ressources Humaines dans une collectivité territoriale


Art. 76. Les français attendent à juste titre de leur administration qu’elle réponde le plus efficacement possible à leurs demandes de permis de construire, d’inscription dans un établissement scolaire, d’agrément de leur association sportive, etc. Dans ce contexte, le principe « silence vaut acceptation » a pour ambition d’offrir plus de garanties au public et se pose comme une mesure forte de simplification. La loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 a simultanément énoncé le principe « silence vaut acceptation » et a habilité le gouvernement à codifier la procédure administrative non contentieuse. Ainsi, l’article L.232-1 du nouveau code des relations entre le public et l’administration (CRPA) énonce que « le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation ». L’effet du silence est donc inversé : une absence de réponse de l’administration équivaut désormais à un accord tacite. À s’en tenir à cette seule disposition, l’état du droit paraît clair et l’auteur d’une demande adressée à l’administration n’a guère de doute. Mais la mise en œuvre de ce principe s’avère tortueuse.

Car, qui dit principe dit exceptions !. Il convient d’abord d’indiquer les cinq exceptions légales, explicitées à l’article L.231-4 (demandes financières, atteintes aux libertés ou à l’ordre public …). Mais, la véritable difficulté réside dans les nombreuses autres exceptions, d’origine réglementaire, justifiées sur un motif de « bonne administration ». À ce jour, le compteur des exceptions se monte à 2 400 sur 3600 procédures concernées. Ce chiffre prouve à lui seul que cette apparente « révolution juridique » demeure symbolique (v. B. Seillier, « Quand les administrations infirment heureusement la règle : le sens du silence de l’administration », RFDA 2014, p.35). En réalité, cette nouvelle donne administrative a pour effet premier de faire disparaître tout principe au profit d’une approche au cas par cas.

Pourtant, l’objectif de valeur constitutionnelle d »accessibilité et de l’intelligibilité de la loi impose au législateur de se « prémunir des complexités inutiles » afin que chacun puisse avoir une connaissance suffisante des règles de droit qui lui est applicable. Dans sa décision du 26 juin 2003 (n° 2003-473 DC, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit), le Conseil constitutionnel confirme que la codification répond à cet objectif. Ainsi, dans l’élaboration du CRPA, qu’elles ont été les solutions trouvées par le codificateur pour rendre plus accessible et plus intelligible le régime des décisions implicites de administration ?

La solution d’accessibilité du codificateur : le renvoi à des sources numériques

L’accessibilité du droit, c’est d’abord avoir accès techniquement à l’information juridique. Sans cet accès, l’effectivité du droit est remise en cause. Le CRPA, via son article D.231-3, renvoie à Legifrance, site internet (https://www.legifrance.gouv.fr) dédié à l’accès au droit. Ce renvoi vers une source internet est une première dans un code. Au regard des nombreux décrets et donc d’exceptions, on ne peut pas donner tort au codificateur d’avoir usé de cette méthode. En réalité, le site Legifrance met à disposition des tableaux par type d’administrations (État, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale) établissant la liste des procédures concernées par le principe. En définitive, le nouveau dispositif témoigne, non du passage d’un principe à un autre, mais d’un principe à une liste. Procédure par procédure, les personnes intéressées devront donc s’assurer du régime applicable à leur demande. C’est dans cadre que le site officiel de l’administration publique service-public.fr (https://www.service-public.fr/demarches-silence-vaut-accord) apporte une aide grâce à un moteur de recherche. L’accès à ces informations dans ce domaine est d’autant plus important que l’intéressé peut, en vertu de l’article L. 232-3, solliciter auprès de l’administration concernée une attestation prouvant son accord tacite. Cette attestation permet de contourner l’absence de valeur juridique des listes de procédures et pourra être opposée aux tiers.

On ne peut donc nier l’effort d’accessibilité qui existe en ce domaine, qui permet, tant au public, qu’à l’administration, de disposer de l’information juridique nécessaire. Mais le recours au numérique, s’il constitue aujourd’hui, un moyen privilégié d’accès au droit n’est pas, pour autant sans défaut. Certes, l’arrêt de section Meyet du Conseil d’État (9 novembre 2005, requête n° 271713, AJDA 2005, p. 2210) précise, à propos de la fin du Journal officiel papier, que le passage au numérique ne méconnaît pas le principe d’égalité. Néanmoins, on ne peut pas ignorer les problématiques de fractures sociales (tout le monde n’a pas la compétence et le matériel nécessaire pour accéder au droit par internet) et territoriales liées à cette technologie (zones blanches), créant un risque de discrimination numérique (v. S. Turgis, « L’accès au droit par internet », AJDA 2015, p. 142). Cet enjeu est d’autant plus crucial quand on évoque les relations entre le public et l’administration. Malheureusement, cette dimension n’a pas été prise en compte par le codificateur.

L’amélioration des procédés techniques pour diffuser les règles juridiques est un préalable nécessaire mais pas suffisant, pour que le public puisse appréhender le régime des décisions implicites de l’administration. Encore faut-il qu’il soit plus intelligible, afin de garantir son effectivité et son efficacité.

La solution d’intelligibilité du codificateur : le renvoi aux décrets

L’exigence d’intelligibilité du droit signifie que la règle juridique doit être lisible et compréhensible de tous. En ce qui concerne les décisions implicites de l’administration, le nombre et l’éparpillement des textes rend difficile la mise en œuvre de cette exigence. Bien davantage, la réforme a engendré un enchevêtrement d’innombrables textes, prévoyant chacun diverses exceptions ou modifiant le délai d’instruction. Cela se révèle particulièrement vrai, dans certaines domaines, comme celui de l’urbanisme (MC. Mehl­Schouder, « Le « silence vaut acceptation » en droit de l’urbanisme et  »ses » législations indépendantes », AJ Collectivités Territoriales 2015 p.120) Le risque de confusion est fort. Un mince espoir résidait donc dans la codification pour rendre plus lisible ce régime juridique.

Le codificateur semble avoir voulu avant tout énoncé et mettre en valeur le principe « silence vaut acceptation » dans l’esprit d’une nouvelle avancée en faveur du public. L’intitulé du chapitre 2 « garanties procédurales » est révélateur de cette volonté. Pour les dérogations, le CRPA renvoie directement aux décrets d’application, dans son article L.231-5. Au regard de l’instabilité du droit dans ce domaine, le codificateur a eu raison. La preuve est apportée par le nouveau décret n° 2016-625 du 10 mai 2016, qui concernent les collectivités territoriales. Ce décret ajoute encore d’autres actes à la liste des dérogations au principe « silence vaut acceptation » (v. B. Claverie, « Décisions tacites des collectivités territoriales et leurs établissements : un nouveau décret sur le silence », JCP A, n°21, 30 mai 2016).

Toutefois, la solution du renvoi aux décrets n’empêchait pas le codificateur d’apporter d’importantes clarifications. La Commission supérieure de codification, instance qui fixe les directives générales d’élaboration des codes, indique, pourtant, dans son rapport annuel 2014, qu’ « un code peut abriter des dispositions de nature strictement explicative afin d’éclairer ses usagers ». On peut déplorer que le codificateur n’a pas utilisé cette possibilité pour faciliter la compréhension du régime juridique des décisions implicites. L’accent peut être mis sur deux omissions. La première concerne l’absence de définition de la notion de « silence » . Il aurait été utile d’indiquer que le « silence » signifie une absence de décision formelle de refus ou d’invitation à compléter son dossier émanant de l’administration. Par ailleurs, le CRPA n’évoque pas la distinction entre les décisions implicites valant accord et les décisions implicites valant rejet. Cette omission est d’autant plus regrettable que l’article L. 231-6 renvoie aux décrets pour les dérogations au délai des deux mois pour l’acceptation implicite (le délai de deux mois se trouve pour certaines demandes raccourci ou allongé). Mais, pour le public, cet article n’est pas compréhensible sans définition préalable de la notion de silence et de celle de décision implicite d’acceptation.

En conclusion, ajustons les points de vue. Du côté de l’administration, elle doit s’approprier ce nouveau régime et se départir de ses habitudes silencieuses : le droit à l’erreur n’est plus possible pour elle. Pour le public, désarmé face à cette législation, le dénigrement de la « bureaucratie », a encore de beaux jours devant lui. Le risque est donc grand d’un mauvais dialogue entre le public et l’administration, c’est à dire le contraire de l’ambition affichée par le codificateur. Espérons que le projet de loi, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 10 mai dernier, relatif à l’effectivité et à l’efficacité du principe « silence vaut acceptation », permettra de relancer utilement le débat. Affaire donc à suivre …

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 76.

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