par Mme le pr. Geneviève KOUBI
Professeur de droit public à l’Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis,
Membre du CERSA (Paris II – CNRS)
Art. 80. Comment appréhender un Code des relations entre le public et l’administration qui ne retient, parmi les droits et libertés, que le principe d’égalité (art. L. 100-2 : « L’administration […] se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial. ») ? Comment comprendre que ce Code ne fasse pas référence aux droits et libertés des personnes, des administrés, des usagers des services publics ou des services « au » public, des citoyens, des habitants, des résidents ? Ces questions dépassent alors les modules construits autour de « l’association du public aux décisions prises par l’administration » (Titre II du Livre Ier du Code) en ce qu’ils s’appliquent à « la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte » (art. L. 131-1) et même s’ils font état du fait que « demeurent obligatoires les consultations d’autorités administratives indépendantes prévues par les textes législatifs et réglementaires, les procédures d’avis conforme, celles qui concernent l’exercice d’une liberté publique, constituent la garantie d’une exigence constitutionnelle, traduisent un pouvoir de proposition ou mettent en œuvre le principe de participation » (art. L. 132-1).
Cette absence quant à une prise en considération des droits et des libertés des citoyens intrigue d’autant plus que sont nécessairement impliquées dans le schéma des relations publiques des autorités administratives indépendantes. La Commission d’accès aux documents administratifs dispose d’un titre qui lui est consacré (Titre IV du CRPA) ; la Commission nationale de l’informatique et des libertés est logiquement conviée à participer à une application et à une compréhension raisonnées de certaines dispositions du Code, notamment pour ce qui concerne la protection des données à caractère personnel. Il apparaît donc pour le moins curieux que les fonctions du Défenseur des droits, pourtant liées aux problématiques des relations administratives, ne soient qu’à peine mentionnées dans ce Code. Elles ne le sont, elliptiquement, qu’à l’article L. 424-1 du CRPA, lequel dispose : « Le Défenseur des droits peut être saisi ou se saisir d’office de différends entre le public et l’administration, dans les cas et les conditions prévus par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits. » Cette formule n’apporte rien de neuf. Elle confirme l’insertion de la protection de ces droits dans des cadrages calibrés par des mises en perspectives juridictionnelles. Car, outre l’appel au Défenseur des droits rigoureusement inclus dans le champ administratif, l’attention portée spécifiquement aux libertés publiques reste confinée dans le schéma constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité et dans le module des procédures de référé devant le juge administratif au titre de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Ce bref renvoi à un dispositif laborieux revient donc à exclure du champ d’un code traitant des relations administratives le respect des droits et libertés des individus même s’il est affirmé que « l’administration […] est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité » (art. L. 100-2).
Dès lors, les dispositions de l’article 71-1 (al. 1 et 2) de la Constitution mériteraient d’être rappelées : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. / Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office. » En quelque sorte, ces articulations auraient pu constituer une des bases du Code, étant entendu que, la plupart du temps, les réclamations et les désaccords expédiés à l’administration font état de telles appréciations ou impressions.
La loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, prévue par cet article 71-1 (al. 3), « définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits ». Elle précise donc, en son article 4, les champs de compétence du Défenseur des droits. Une corrélation entre certaines des dispositions du Code et la détermination de ces attributions doit ainsi être relevée. Cet article 4 annonce que « le Défenseur des droits est chargé : 1° De défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ; 2° De défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ; 3° De lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ; 4° De veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République. » Mais ce sont surtout les données de l’article 5, 1° de cette loi organique qui retraduit la jonction avec le Code des relations entre le public et l’administration puisque le Défenseur des droits peut être saisi « par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public ».
L’impasse que fait le Code des relations du public avec l’administration en matière de droits et libertés révélerait la difficulté des pouvoirs publics à en admettre le respect dans le cadre des correspondances, des communications, des relations administratives – sauf, peut-être, en rapport avec l’obligation de motivation des actes administratifs au titre de l’article L. 211-2 (« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; […] 3° Subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; […] 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ; … »).
Les réflexes d’une administration « directive » sont intacts. En est d’ailleurs un des indices l’article L. 212-9 quant à l’usage obligatoire des téléservices publics : « Lorsqu’elle a mis en place un téléservice réservé à l’accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n’est régulièrement saisie par voie électronique que par l’usage de ce téléservice » (al. 3). Or, afin de ne pas accentuer les effets délétères de la fracture numérique, les textes législatifs et réglementaires antérieurs avaient insisté sur le caractère facultatif de leur utilisation. D’ailleurs, sur ce point, une contradiction interne au Code peut être signalée à partir des formulations de l’article L. 112-15 qui dispose : « Lorsqu’une personne doit adresser un document à l’administration par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l’utilisation d’un téléservice […] ou d’un procédé électronique, accepté par cette administration, permettant de désigner l’expéditeur et d’établir si le document lui a été remis. / Lorsque l’administration doit notifier un document à une personne par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l’utilisation d’un procédé électronique permettant de désigner l’expéditeur, de garantir l’identité du destinataire et d’établir si le document a été remis… ». De fait, la liberté du choix d’un mode de communication avec l’administration ne semble plus être de mise, et les exclus du système rencontreront même quelques difficultés pour en référer au Défenseur des droits.
Quoiqu’il en soit, nombreuses sont les incertitudes – et les inquiétudes – générées à propos du silence sur le respect ou la protection des droits et des libertés dans un Code qui prétend se saisir de « relations » entre un « public » associant « personnes physiques et personnes morales de droit privé » et une « administration » extensive et extensible dans la mesure où elle intègre « les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale » (art. L. 100-3 CRPA).
En effet, les quelques droits qui y sont exposés, clairement établis en rapport avec les sphères d’intervention administratives et avec les espaces de service au public, se trouvent à chaque fois comprimés. Parce qu’il serait soi-disant incontestable que l’administration « agit dans l’intérêt général », alors qu’elle ne fait que respecter une légalité dont elle est le principal concepteur, les droits dont pourraient se prévaloir les personnes physiques ou morales, nationaux ou étrangers, métropolitains ou ultramarins, sont construits, par delà les contestations personnelles ou collectives des activités publiques, autour des « demandes » adressées à l’administration et des « recours » conçus comme des modes de « règlement des différends » hors des prétoires. Il est certes signifié que, lorsqu’elles « sont prises en considération de la personne », les décisions administratives « sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable » (art. L. 121-1). La protection des données à caractère personnel est actée puisque « certains actes individuels, notamment relatifs à l’état et à la nationalité des personnes, doivent être publiés dans des conditions garantissant qu’ils ne font pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche » (art. L. 221-14). Est aussi confirmé le droit à communication des documents administratifs non rendus publics, allant jusqu’à concerner « les avis au vu desquels est prise une décision individuelle créatrice de droits » (art. L. 311-2). Est désormais nettement certifié le droit de réutilisation des informations publiques « à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus » (art. L. 321-1). Et sans nul doute, est enregistré le « droit au recours » (Livre IV).
Néanmoins, la réduction des relations administratives aux processus décisionnels de l’administration comme aux décisions administratives grèvent singulièrement la compréhension du Code. La polysémie du terme de « relation » laisse ainsi planer un doute sur ses enjeux. S’agirait-il de raconter les étapes d’une amélioration progressive des communications entre les administrations publiques ou les entreprises privées chargées de missions de service public et les administrés ou les usagers de ces services ? S’agit-il de signifier des assujettissements, des emprises, des dépendances, de rendre compte de fréquentations, de relater des correspondances ou de décrire des causalités ? Ou bien, l’objectif est-il d’encadrer les contestations diverses et variées des personnes en butte avec des administrations réticentes à les entendre, à les comprendre ?
Sans devoir faire état de l’existence de rapports, indéniablement inégaux, entre des administrations pourvues de pouvoirs « exorbitants du droit commun » et des administrés soumis à un devoir d’obéissance aux lois, il n’est donc pas inutile de rappeler que ce code s’intéresse essentiellement aux « procédures administratives non contentieuses », lesquelles, même exposées sous le label d’un État de droit, laissent peu de place à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 80.
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