Questionnaire de Me Debezy (16/50)

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Questionnaire de Me Debezy (16/50)

Anne-Laure Debezy
Avocate au Barreau de Toulouse 

Art.155.

1 – Quelle est, selon vous, la définition du droit administratif ?

En tant qu’avocate, je dirai que le droit administratif est constitué des règles que j’utilise au quotidien pour défendre mes clients, soit les administrés, soit l’administration. Ce droit permet aux personnes publiques d’exercer pleinement leurs compétences, dont notamment leurs activités de service public, et il permet aux personnes privées d’accéder à ces services et, plus généralement, de bénéficier de l’ensemble des prestations proposées par les personnes publiques. Le droit administratif apparaît alors nécessaire pour maintenir un équilibre, parfois fragile, entre l’exercice des pouvoirs des personnes publiques et les intérêts des personnes privées.

2 – Selon vous, existe-t-il un « droit administratif d’hier » et un « droit administratif de demain », et dans l’affirmative, comment les distinguer / les définir ?

Le droit administratif d’hier était marqué par les notions traditionnelles de service public et de police administrative. Désormais, le droit administratif est également drainé par les principes communautaires de libéralisation des échanges.

3 – Qu’est ce qui fait, selon vous, la singularité du droit administratif français ?

Je ne suis pas en mesure de répondre pleinement à cette question dès lors que je ne pratique pas le droit administratif des pays étrangers.

4 – Quelle notion (juridique) en serait le principal moteur (pour ne pas dire le critère) ?

Plusieurs notions juridiques drainent le droit administratif telles que l’intérêt général, le service public, l’ordre public.

5 – Comment le droit administratif peut-il être mis « à la portée de tout le monde » ?

En théorie, l’accès direct à la justice sans avoir recours à un avocat pourrait être un moyen pour mettre le droit « à la portée de tout le monde ». La question de la dispense d’avocat est ainsi régulièrement soulevée par les pouvoirs publics. Encore récemment, le décret « Justice administrative pour demain » a ouvert la dispense d’avocats à certains domaines et l’a fermée pour d’autres. Mais la dispense d’avocat est selon moi une fausse bonne idée au regard de la technicité du droit et du contentieux administratif. Si un accès direct à justice pourrait être perçu comme opportun pour les administrés, je remarque toutefois dans ma pratique quotidienne que les requêtes des particuliers sont très souvent soit irrecevables car entachées d’irrégularités non régularisables, soit infondées car l’administré n’est pas en mesure de développer l’argumentation juridique nécessaire à la défense de ses droits.

6 – Le droit administratif est-il condamné à être « globalisé » ?

Si par globalisation vous entendez une libéralisation des échanges et une intensification de la concurrence, ma réponse est positive. Cette globalisation est notamment très présente en droit des contrats publics. La dernière réforme de la commande publique tend par vers une uniformisation et une rationalisation des contrats publics afin de permettre une harmonisation et une application des règles communautaires. Par exemple, des contrats domaniaux tels que les baux emphytéotiques administratifs qui avaient résisté à l’application des précédentes directives européennes et qui étaient ainsi régulièrement utilisés par les collectivités publiques seront requalifiés en marché public ou concession et seront soumis aux règles de la concurrence.

7 – Le droit administratif français est–il encore si « prétorien » ?

Il me semble que le droit administratif est toujours un droit jurisprudentiel. J’observe par exemple qu’il est difficile pour mes confrères privatistes n’ayant pas de base en droit administratif de percevoir les règles de droit administratif applicables à une situation donnée, alors qu’à l’inverse il est possible de se reporter au code civil ou au code du travail pour connaître, sinon la règle exacte, à tout le moins le principe applicable aux faits.

Aussi, dans un souci d’intelligibilité et d’accessibilité au droit, le législateur procède peu à peu à une codification du droit administratif, avec par exemple l’apparition du code général de la propriété des personnes publiques ou encore le code des relations entre le public et l’administration. Mais malgré ce processus de codification, le juge continue d’être une source essentielle du droit administratif car, comme l’explique le Doyen Vedel, « A quoi servirait de remplacer cet artisan discret, habile et agissant qu’est le juge, par cet amateur, bien intentionné, mais parfois mal informé et maladroit qu’est le législateur ? » (Georges Vedel, « Le droit administratif peut-il rester indéfiniment jurisprudentiel ? », EDCE 1979, n°31, p. 31).

8 – Qui sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les « pères » les plus importants du droit administratif ?

Parmi les pères fondateurs du droit administratif, je citerai

  • Léon Duguit;
  • Maurice Hauriou.

9 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous, les décisions juridictionnelles les plus importantes du droit administratif ?

Plutôt que de mentionner des arrêts fondateurs mais que je n’évoque pas régulièrement devant le juge administratif tel que l’arrêt « Blanco » ou autre arrêt « Granit porphyroïde des Vosges », je souhaiterais évoquer des arrêts que je cite quotidiennement dans mes écritures. En droit de la commande publique, je pense par exemple aux arrêts :

  • Conseil d’Etat, 16 juillet 2007, « Sté Tropic Travaux Signalisation », n°291545 ;
  • Conseil d’Etat, 4 avril 2014, « Département du Tarn et Garonne », n°358994,  pour le recours facilité en contestation des contrats administratifs ;
  • Ou l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 octobre 2008, « SMIRGEOMES », n°305420, sur l’intérêt lésé des requérants.
  • En droit de l’urbanisme, j’ai régulièrement recours à l’arrêt du Conseil d’État du 23 décembre 2011, «Danthony », n°335033 sur le caractère substantiel des vices de procédure.

10 – Quelles sont (jusqu’à trois propositions) selon vous les normes (hors jurisprudence) les plus importantes du droit administratif ?

Dans mes écritures contentieuses, je cite régulièrement :

  • La loi ;
  • le règlement
  • et le droit communautaire pour donner un fondement juridique à mes arguments.
  • Mais j’ai également recours à la doctrine telle que les réponses ministérielles lorsqu’elles correspondent à la situation que je défends ou les articles universitaires pour éclaircir le juge sur des notions juridiques.

11 – Si le droit administratif était un animal, quel serait-il ?

Le droit administratif pourrait être assimilé à un animal imaginaire à plusieurs cerveaux, telle que la mythique bête à sept têtes. Chaque tête pourrait représenter une matière du droit administratif que je côtoie quotidiennement : le droit des collectivités territoriales, le droit des contrats administratifs, le droit de la fonction publique, le droit de la responsabilité hospitalière, le droit de l’urbanisme, le droit de l’environnement, le droit des étrangers, le droit fiscal.

12 – Si le droit administratif était un livre, quel serait-il ?

Le GAJA.

13 – Si le droit administratif était une œuvre d’art, quelle serait-elle ?

Il pourrait s’agir des colonnes de Buren. Cette œuvre me vient à l’esprit car elle est installée devant la plus haute juridiction administrative mais surtout car elle peut symboliser l’originalité du droit administratif, souvent perçu comme un pan « original » et minoritaire du droit par nombre de mes confrères.

Journal du Droit Administratif (JDA), 2017, Dossier 04 : «50 nuances de Droit Administratif» (dir. Touzeil-Divina) ; Art. 155.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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