Le CPRA et la simplification. Quelques remarques

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Le CPRA et la simplification. Quelques remarques

Par Cédric GROULIER
Maître de conférences en droit public
Sciences Po Toulouse, LaSSP EA 4175

Art. 69. Il aura fallu pas moins de trois tentatives pour qu’un code relatif à la procédure administrative voie finalement le jour. La France, éprise de codification depuis la période révolutionnaire, et mère d’un Code civil qui a contribué au prestige juridique hexagonal, s’aligne ainsi, mais finalement assez tard, sur la majorité des pays développés (pour un historique, v. Pascale Gonod, « Codification de la procédure administrative. La fin de l’ « exception française » ? », AJDA 2014, p. 395).

Le CRPA est le fruit des leçons tirées des échecs de 1996 et 2004, et d’un fort volontarisme à l’œuvre dès 2012. Porté au plus haut sommet de l’Etat (Secrétaire général du Gouvernement, vice-président de la Commission supérieure de codification, Conseil d’Etat), le projet de relancer la codification de la procédure administrative trouve un contexte favorable dans la politique de Modernisation de l’action publique (MAP) impulsée par le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault : lors du Comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2012, l’élaboration d’un « code centré sur les procédures et les relations entre les citoyens et les administrations » est ainsi décidée. Le « choc de simplification » lancé par le président de la République fin mars 2013 donne le ton : codification doit rimer avec simplification. Le Premier ministre fait alors de l’élaboration d’un « Code des relations entre les administrations et le public » une priorité (circulaire n° 5643/SG du 27 mars 2013 relative au programme de codification de textes législatifs et réglementaires et de refonte de codes) et selon un procédé qui ne surprend plus, celui du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement se fait habiliter par le Parlement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013, adoptée à l’unanimité des deux chambres).

L’originalité – et la modernité – du processus tient en grande partie à son pilotage, par une mission ad hoc de codification, placée sous l’autorité directe du Secrétaire général du Gouvernement. Composée de deux (puis trois) membres de la juridiction administrative, cette structure a pu tirer parti de sa légèreté, d’une étroite association aux acteurs administratifs de la réforme (notamment de la Commission supérieure de codification et du Conseil d’Etat) et de ses échanges avec le « cercle des experts » – composé essentiellement de magistrats, hauts-fonctionnaires, universitaires –, avec lequel s’est instaurée une concertation informelle, dématérialisée, sur une base de volontariat (v. not. Maud Vialettes et Cécile Barrois de Sarigny, « La fabrique d’un code », RFDA 2016, p. 4).

Il en résulte un code nouveau, marqué par une volonté de simplification bien inscrite dans l’air du temps, qui ne va pourtant pas de soi.

Codifier pour simplifier

Si la codification répond à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Conseil constitutionnel, décision 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, cons. 13), c’est en partie en raison de ses vertus simplificatrices. Le CIMAP de décembre 2012 inscrit d’ailleurs le projet de code dans un groupe de décisions visant la simplification de l’action publique, et la loi d’habilitation de novembre 2013 imbrique au fil de ses articles codification et simplification.

Le code simplifie ainsi au sens où la codification rassemble des dispositions juridiques jusqu’alors éparses (loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs, loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, loi du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, et même dispositions du Code de l’expropriation sur les enquêtes publiques) ; il inclut bien évidemment le nouveau principe, issu de la même loi d’habilitation, selon lequel le silence vaut acceptation. Cependant, ce remaniement formel (selon une codification à droit constant, celle qui « re-forme » selon le mot du président Guy Braibant) n’est pas exclusif d’interventions plus substantielles : l’habilitation législative permet aussi de simplifier en réécrivant certaines règles, et en donnant valeur législative à des solutions jurisprudentielles (procédure contradictoire, obligation de prévoir des mesures transitoires, régimes de l’abrogation et du retrait des actes administratifs). Cette codification ne se borne donc pas à « re-former », elle « réforme » aussi.

Le code se présente donc comme un corpus unique et simplifié de la lex generalis des relations entre le public et l’administration. On notera au passage la simplification affectant la dénomination des parties en présence dans la relation administrative : exit l’usager, l’administré et même le citoyen, on parle désormais de public (toutefois, le code est également applicable aux agents publics, qui ne sont pas compris dans le « public », ainsi que défini à l’art. L.100-1) et l’administration, réduite à une unité, alors que la loi du 12 avril 2000 usait à son endroit du pluriel… Les auteurs du code tentent donc la simplicité, non seulement du titre, mais aussi du périmètre du code : il ne s’agit plus de viser l’exhaustivité comme lors des tentatives précédentes, ou pour d’autres codes, mais de s’en tenir à une approche pragmatique : ce n’est donc pas un « code de l’administration », mais celui de la relation administrative, du moins dans ses grandes lignes. Comme le souligne Mattias Guyomar, « s’agissant de la création de nouveaux codes, il apparaît aujourd’hui que les objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité du droit attachés à l’entreprise de codification se trouvent plus facilement atteints par la confection de codes, de dimensions modestes, centrés sur un corpus homogène composé des seuls textes véritablement pertinents au regard de la matière codifiée » (« Les perspectives de la codification contemporaine », AJDA 2014, p. 400).

Cette approche plus étroite – qui explique sans doute aussi pourquoi ce projet a abouti – correspond aussi à un parti pris : le code doit avant tout servir au public, il doit être utile, et effectivement simplifier les démarches des particuliers, des entreprises, de même que permettre aux agents d’œuvrer à une meilleure administration. Cette « orientation-client », assez caractéristique de la MAP, explique la présence de définitions de certains termes (comme celui d’administration : art. L.100-3 ; ou celui d’acte : art. L.200-1…), et surtout l’architecture inédite et innovante du code : dispositions législatives et réglementaires sont réunies par objet, facilitant en principe la connaissance du droit applicable sur une question, et améliorant ainsi « l’expérience des usagers » (Fabien Gélédan, « Spectres du Léviathan : l’État à l’épreuve de la simplification administrative (2006-2015) », RFAP 2016/1 (N° 157), p. 33).

Les limites d’un exercice…

Plus de soixante-dix ! C’est le nombre de codes consultables sur le site Légifrance. Aussi codifié soit-il, le droit français reste à l’évidence un environnement où les non-initiés peuvent légitimement ressentir une impression de complexité. Certes, ces codes rassemblent un nombre bien plus impressionnant de lois, décrets, et autres textes, mais force est d’admettre que la simplification du droit, même via des codes, n’aboutira jamais à la simplicité. Au mieux s’agira-t-il de ce qu’Alain Berthoz qualifie dans un tout autre domaine de « simplexité » : « l’ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et en projeter les conséquences » (La simplexité, Odile Jacob, 2009). Transposée au droit, l’idée n’est pas totalement dénuée de pertinence : permettre au public de saisir tout au moins les grandes lignes de la législation et de la réglementation, pour agir en conséquence et, au besoin, solliciter un conseil. Dans les faits, il s’agit donc essentiellement de faciliter. D’ailleurs, on l’a dit, le CRPA s’en tient à codifier la lex generalis des relations entre le public et l’administration. Des textes spéciaux, plus précis, existent et seront adoptés, sans toujours être intégrés dans le code. La jurisprudence interviendra nécessairement aussi… Irréductible complexité du droit ?

Le principe du silence valant acceptation illustre en tout état de cause fort bien les limites en la matière. Affirmer qu’il a simplifié l’état du droit est une vaste plaisanterie. Concrétisant sans doute un peu vite une proposition du Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013), il est assorti de tant d’exceptions que sa propension à constituer un principe fait question. Le CRPA le réaffirme donc, à son article L.231-1, mais prévoit des dérogations : légales (art. L.231-4) ou instaurées par décrets en Conseil d’Etat « eu égard à l’objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » (art. L.231-5). Simplification ? Dans leur rapport d’information sur le bilan de l’application de la loi du 12 novembre 2013 (n° 629, Sénat, 15 juillet 2015), Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur relevaient que près de deux ans après la promulgation de la loi, le nombre d’exceptions pour l’État s’élevait presque au double du nombre de cas d’application (environ 2400 pour 1200)… Depuis, le décret n° 2016-625 du 19 mai 2016 pose de nouvelles exceptions à la règle pour les collectivités territoriales, pour lesquelles le silence vaut acceptation depuis le 12 novembre 2015. Une liste de dérogations avait en effet été prévue par le décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015 ; ce dernier a été modifié et ne concerne désormais plus que les procédures réglementées par un texte national ! Le décret du 19 mai 2016, lui, traite des demandes présentées dans le cadre de procédures prévues par une délibération de la collectivité ou de l’établissement public…

Au mirage du droit facile à embrasser, s’ajoute celui de la règle de droit stabilisée. La codification a délaissé depuis longtemps le marbre, et le support électronique devient indispensable pour s’assurer de l’état du droit positif à un instant donné. En 2008, Catherine Bergeal soulignait les limites de la codification en indiquant notamment que 10 % des articles d’un code sont modifiés en moyenne chaque année (« Apports et limites de la codification à la clarté de la loi : les enseignements de la pratique française », in La légistique ou l’art de rédiger le droit, numéro spécial, CJFI, juin 2008, p. 35). Elle indiquait aussi combien la codification peut perturber la connaissance que les sujets de droit peuvent avoir de leur environnement juridique : certaines lois sont en effet fort connues, constituent en elles-mêmes des « mini-codes », comme la loi CADA, la loi informatique et libertés, ou dans un autre domaine la fameuse « loi 1901 ». Il y a quelques années, « la Commission de codification a[vait] renoncé à créer un code administratif qui aurait codifié ces lois sous des numéros d’articles plus abstraits que les titres de ces lois » (ibid). On a donc aujourd’hui fait fi de cette réserve et, sur ce point, le CRPA demandera probablement un effort d’adaptation, une appropriation par ce public à qui on promet la simplicité. L’avenir dira si, dans les pratiques, la greffe a pris.

 Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 69.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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