De la définition de l’administration

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De la définition de l’administration

par Mme Wafa TAMZINI,
Maître de conférences en droit public, Université Paris XIII – Sorbonne Paris Cité.
CERAP – EA 16129. CERSA – UMR 7106.

Art. 68. A la fin des dispositions préliminaires du code des relations du public avec l’administration, l’article L. 100-3 propose d’entendre par « Administration : les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale… ». La notion d’administration se laisse difficilement définir. Il est complexe d’appréhender l’administration car les nombreuses fonctions qu’elle est appelée à réaliser empêchent toute énonciation uniforme de sa définition.

Une première approche peut être tentée par le biais de l’étymologie. Cependant, Jorge Luis Borgès nous a appris à nous méfier de ses séductions. Il observe qu’ « étant donné la transformation du sens primitif des mots qui peut confiner au paradoxe, l’origine d’un mot ne nous servira de rien ou presque pour l’éclaircissement d’un concept. Savoir que calcul en latin veut dire « petite pierre » et que les pythagoriciens les employèrent antérieurement à l’invention des nombres ne nous permet pas de dominer les arcanes de l’algèbre. Savoir qu’hypocrite signifiait « acteur » et personne « masque » ne constitue pas un instrument d’une grande valeur pour l’étude de l’éthique » (Jorge Luis Borgès, Enquêtes, 1957, traduction de l’espagnol par Paul et Sylvia Benicho, Nouvelle édition 1986, Gallimard, Collection du monde entier, p. 226).

C’est avec une certaine prudence que cette ressource doit être mobilisée. Le terme « administration » vient du latin « ministrare » qui signifie servir pour, qui vient lui-même de ministris qui signifie serviteur. Ajoutons que Ministris est un génitif de même nature que minaris ; c’est-à-dire que le radical minus implique que l’administration se trouve toujours dans une position subordonnée, qu’il y a toujours au-dessus d’elle quelqu’un à qui appartient le pouvoir » (Rolland Drago, Cours de science administrative, Paris, Les cours du droit, 1970, p. 1). Notons que le préfixe « ad » évoque la tension vers un but. L’idée indiquée ici est celle d’une subordination et d’une application des règles énoncées par d’autres sources. Mais cette approche étymologique ne nous permet pas de distinguer l’administration privée de l’administration publique.

En effet, administration privée et administration publique sont toutes deux des instruments au service d’un pouvoir. Simplement, elles ne servent pas le même pouvoir. Pour s’en convaincre, observons que dans le langage courant, « administrer » évoque tantôt l’action de « faire prendre » quelque chose, un remède par exemple, tantôt celle de « gérer en faisant valoir, en défendant les intérêts ». Cette dernière acception est dominante dans l’espace des relations entre un public et des institutions  : le terme « administration » évoque dans le vocabulaire juridique et sociologique, l’idée de gérer en faisant valoir. L’administration c’est la gestion des affaires en défendant des intérêts. De cette approche résulte que le terme « administration » est porteur d’une ambivalence : il désigne à la fois l’organe et l’activité. Il est susceptible dès lors de revêtir deux acceptions, l’une organique, l’autre matérielle.

Dans le code des relations entre le public et l’administration, c’est l’approche organique qui a été retenue pour définir l’administration. L’article L. 100-3 précité dispose bien qu’au « sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : 1° Administration : les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale … ». Le choix d’une perception institutionnelle, à l’image d’une fresque politico-administrative, en est une des marques essentielles.

L’approche fonctionnelle n’a donc pas été retenue, même si, paradoxalement, les dispositions de l’article L 100-2 dudit code évoquent certaines modalités d’action comme des principes de fonctionnement : « L’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial ».

Il est d’ailleurs à noter que la soumission de l’administration au pouvoir politique n’est pas explicitement énoncée. Certes, la référence au respect du principe de légalité présuppose une telle subordination. Mais un tel rappel dans ce code aurait pu éclairer la position de l’administration au sein de l’espace social aux yeux du public. En effet, l’administration n’est pas un acteur social comme les autres. Elle sert certes un pouvoir, au même titre qu’une administration purement privée, mais le pouvoir qu’elle sert est singulier puisque c’est celui qui définit l’intérêt général. « Parce qu’elle est placée du côté de l’État, chargée d’assurer l’exercice concret des fonctions étatiques, l’administration ne saurait être considérée comme un acteur social identique aux autres et le rapport qu’elle entretient au droit est nécessairement singulier » (Jacques Chevallier, « Changement politique et droit administratif », in CURAPP, Les usages sociaux du droit, PUF, 1989, p. 307).

De plus, l’absence de définition fonctionnelle explicite de l’administration dans ce code destiné à régir les relations entre le public et l’administration constitue un sérieux obstacle à la compréhension de son activité et de son action.

L’administration n’est pas uniquement un regroupement d’organes agissant dans l’intérêt général et accomplissant des missions de service public. Elle a également pour fonction importante d’interpréter le droit élaboré par le pouvoir politique auquel elle est subordonnée. Or, cette fonction n’est pas citée dans la définition de l’article L 100-3 du code. C’est pourtant celle que connaissent bien les destinataires de ce code.

En effet, dans son action d’explicitation de la règle de droit, l’administration élabore des textes (circulaires, instructions, etc.) destinés aux agents chargés de mettre en œuvre concrètement les dispositions des lois et règlements. Dans ce travail de clarification, il arrive alors que l’administration s’approprie le sens de cette règle et en devienne in fine le véritable auteur. L’interprétation administrative qu’elle soit dite impérative ou réglementaire, qu’elle soit considérée comme portant des lignes directrices ou des orientations, est reconnue comme capable de produire des effets juridiques et ceux-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les situations juridiques des citoyens. Ce qui révèle toute l’importance que revêt la subtilité des relations entre administrés et administration. Ce dont ne traite qu’à la marge le code des relations entre le public et l’administration.

Vous pouvez citer cet article comme suit :

Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 68.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.

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