Le droit international et la relation administrative

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Le droit international et la relation administrative

 par M. le pr. Jean-Marie CROUZATIER,
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, droit public,

Art. 70. Les droits reconnus aux usagers dans leurs relations avec l’administration par le Code des relations entre le public et l’administration – accès à l’information, participation du public aux décisions, droit de former un recours et d’être entendu – figurent, sous des formulations diverses, dans les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme. Ils font l’objet d’une jurisprudence fournie ; seront prises en compte ici les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies et les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Accès à l’information.
Sur le plan universel.

La liberté d’opinion et d’expression est énoncée dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). La liberté d’expression est définie dans l’article 19 – 2 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) comme la faculté de rechercher, recevoir et répandre des informations ; elle englobe donc la liberté d’information. Le Comité des droits de l’Homme (CDH) en fait une interprétation très large car il considère « liberté d’information et liberté d’expression comme les pierres angulaires de toute société libre et démocratique » [Adimo M. Aderayom c/ Togo, 12 juillet 1996]. Il a ainsi constaté des violations de cette liberté dans le refus de l’Etat de donner accès à des informations d’intérêt public [Nurbek Toktakunov c/ Kirghizistan, 28 mars 2011], l’impossibilité pour un groupe de citoyens d’avoir accès aux bulletins de vote des élections présidentielles [Castaneda c/ Mexique, 18 juillet 2013] ou l’absence d’information et de participation du public concerné avant des travaux d’infrastructure [Angela Poma Poma c/ Pérou, 27 mars 2009]. Dans cette dernière affaire, « le comité constate que l’auteure, pas plus que la communauté dont elle fait partie, n’a été à aucun moment consultée par l’État partie au sujet du forage des puits. De surcroît, l’État partie n’a pas exigé qu’un organisme compétent et indépendant réalise les études d’impact nécessaires pour prévoir les conséquences que le forage des puits aurait sur les activités économiques traditionnelles, et aucune mesure n’a été prise pour réduire au minimum ses effets nuisibles et indemniser le préjudice subi… »

La Convention européenne des droits de l’Homme.

L’article 10 – 1 de la CEDH énonce « la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques… ». La Cour européenne des droits de l’homme y voit « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès » [Handyside c/ Royaume Uni, 7 décembre 1976]. Tout comme dans le PIDCP, une réserve général d’ordre public (art. 10-2) prévoit trois catégories de restrictions : protéger l’intérêt général ; protéger d’autres droits individuels [notamment la protection de la vie privée : Von Hannover c/ Allemagne, 24 juin 2004] ; garantir l’autorité et l’impartialité de l’autorité judiciaire. Mais la Cour est particulièrement exigeante dans l’examen des conditions que ces restrictions doivent remplir [Cf. par exemple, Kalda c/ Estonie, 19 janvier 2015].

A noter que la Cour considère les associations de défense de l’environnement comme chargées de « divulguer des faits de nature à intéresser le public, à lui donner une appréciation et contribuer ainsi à la transparence des activités des autorités publiques » [Vides Aizsardzibas Klubs c/ lettonie, 27 mai 2004].

Participation du public au processus décisionnel.

Le rapprochement opéré dans l’affaire Poma Poma par le Comité des droits de l’Homme entre l’accès à l’information et la participation du public aux décisions peut surprendre ; en effet, la DUDH (art. 21-1) et le PIDCP (art. 25 a) ne mentionnent que le droit de « participer à la direction des affaires publiques ». Mais le Comité a sans doute été influencé par le grand nombre de textes internationaux qui établissent le lien, tout particulièrement en matière de protection de l’environnement : Déclaration de Salzbourg sur la protection du droit à l’information et du droit de participation (1980), Charte mondiale de la nature (1982), Charte européenne sur l’environnement et la santé (1989), recommandations de la conférence de la CSCE sur l’environnement (Sofia 1989), principe 10 de la déclaration de Rio sur l’accès aux informations détenues par les autorités publiques et la participation des citoyens au règlement des questions d’environnement (1992), Convention de Lugano sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement (1993). Point d’orgue : la convention d’Aarhus (1998) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, oblige les pouvoirs publics à rendre des comptes, à assurer la transparence de l’action publique et à garantir l’aptitude de l’administration à répondre aux besoins des usagers.

Droit de former un recours et d’être entendu.
Le Comité des droits de l’Homme.

La formule de l’article 8 de la DUDH (« droit à un recours effectif devant les juridictions nationales ») est explicitée dans l’article 2-3 du PIDCP : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Le Comité entend s’assurer que cette garantie est effective, et notamment que le recours est exécutoire lorsqu’une violation est établie [Dissanayake c/ Sri Lanka, 22 juillet 2008] ; il demande à l’Etat de fournir des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations [Alzery c/ Suède, 25 octobre 2006 ; Pimentel c/ Philippines, 19 mars 2007 ; VDA c/ Argentine, 29 mars 2011]

La Cour européenne des droits de l’Homme.

L’article 13 de la CEDH est directement inspiré de l’article 8 de la DUDH. La Cour en donne une interprétation large et accepte de constater une violation de l’article 13 sans qu’il y ait eu violation d’un droit substantiel de la Convention. Le droit de former un recours recoupe le droit à un procès équitable (article 6-1) ; la Cour combine d’ailleurs les deux articles [Kudla c/ Pologne, 26 octobre 2000]. L’article 13 fait peser sur l’État une obligation positive : celle d’offrir à tout individu la possibilité d’être entendu, quel que soit l’auteur de la violation dénoncée. Le recours doit être « effectif » : il ne doit pas être dépendant d’une décision de l’autorité publique ; il doit permettre « un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête » ; si le recours aboutit à un résultat positif devant le juge national, il ne doit pas se heurter au refus de l’administration d’exécuter le jugement [Iatridis c/ Grèce, 25 mars 1999].

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 70.

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À propos de l’auteur

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