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La disparition des actes administratifs depuis le 1er juin 2016 : la fin de la lutte dans le maquis ?

par M. Florent GAULLIER
ATER à l’Université de Bordeaux, Institut Léon Duguit

Art. 76. La disparition des actes administratifs ne relève pas tout à fait de la magie, pourtant, ceux qui essayent, ou sont obligés, de se pencher sur les mécanismes de ce domaine particulier du droit administratif, sont souvent frappés par les mystères qui l’entourent. Les commentateurs autorisés avouent eux-mêmes l’extrême complexité de la matière en dénonçant notamment « le maquis » (P. Benoit-Cattin, « Dans le maquis du retrait du permis de construire… », Construction-Urbanisme, juin 2005, comm. 145) formé par certaines solutions. C’est qu’ici rien n’est naturellement simple. La sortie de vigueur des actes administratifs met en exergue deux forces qui sont pour le moins difficilement conciliables. D’un côté l’Administration, baignée dans une logique d’unilatéralité et de précarité des situations qu’elle ne fait que concéder tant qu’elle estime que le bien commun ne s’y oppose pas. De l’autre, l’administré, le public pourrait-on dire, qui pense légitimement pouvoir se fier aux décisions de ses gouvernants, qui s’habitue à la posture dont il bénéficie et qui y voit une conquête dont il a évidemment intérêt à sauvegarder. On assiste finalement, selon Maurice Hauriou, à « un épisode de la lutte engagée entre le pouvoir discrétionnaire de l’Administration et le droit conféré par cette même Administration qui entend bien devenir un droit acquis » (M. Hauriou, note sous CE, 3 novembre 1922, Dame Cachet, Sirey, 1925, III, p. 9). Le juge administratif traduisait cette lutte en tentant un équilibre fragile entre le respect de la légalité administrative demandant de purger rapidement et efficacement l’ordre juridique des situations irrégulières, et la stabilité juridique s’opposant à ce que des situations puissent être discutées éternellement. Elle l’a d’abord fait, notamment dans son célèbre arrêt Dame Cachet, en considérant que seule une illégalité pouvait justifier le retrait d’une décision individuelle, et en rattachant dans le temps cette possibilité au délai de contestation juridictionnelle de l’acte. Cette logique, appliquée mécaniquement, conduisait à offrir abusivement à l’administration une possibilité de retrait illimitée quand le délai contentieux ne pouvait courir à l’égard des tiers pour méconnaissance des formalités de publicité de l’acte (CE, 6 mai 1966, Ville de Bagneux, Rec., p. 303). En 2001, le Conseil d’Etat est donc revenu en partie sur la jurisprudence de 1922, en considérant qu’un acte créateur de droits ne pouvait être retiré que pour illégalité et dans un délai de 4 mois après son édiction, rompant salutairement le lien entre délai de retrait et délai de recours (CE, 26 octobre 2001, Ternon, AJDA, 2001, p. 1037). Malheureusement, cette solution ne constituait pas à elle seule le droit commun du régime de la sortie de vigueur des actes administratifs. Elle ne concernait qu’une sorte de disparition, le retrait, et ne visait que les actes créateurs de droits, encore fussent-il irréguliers et explicites ! Même si le régime de l’abrogation, pour les mêmes actes, s’était ensuite vu appliqué les mêmes règles que l’arrêt Ternon (CE, 6 mars 2009, Coulibaly, RFDA, 2009, p. 439), une multitude de solutions jurisprudentielles ou législatives venaient régir la matière en fonction de distinctions et de sous-distinctions subtiles. Pour exemple, les décisions implicites, initialement impossibles à rapporter (CE, 14 novembre 1969, Eve, AJDA, 1969, p. 684), ont été partiellement appréhendées par le législateur dans la loi du 12 avril 2000 au nom déjà évocateur : « relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ». En vertu de cette loi, une décision implicite d’acceptation pouvait être retirée pour illégalité, soit dans les deux mois suivant son édiction en cas de non publication (logique reprise dans Ternon), soit pendant le délai contentieux ou la durée de l’instance en cas de publication (logique de Dame Cachet). L’abrogation des décisions implicites d’acceptation, ainsi que le retrait et l’abrogation des décisions implicites de rejet créant des droits, n’étaient pas concernés par la loi de 2000, ni par les jurisprudences Ternon-Coulibaly, c’était donc toujours la solution Dame Cachet qui était applicable à ces cas particuliers (CE, 26 janvier 2007, Kaefer Wanner, AJDA, 2007, p. 537).

Au regard de cet état du droit, il devenait nécessaire de se pencher entièrement sur la question de la sortie de vigueur des actes administratifs pour donner une cohérence au système et essayer de le simplifier par la même occasion. Si la copie rendue par le codificateur, dans l’ordonnance du 23 octobre 2015 relative aux dispositions législatives du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA), est une avancée non négligeable, substantiellement, les règles du retrait et de l’abrogation ne sont toujours pas d’une grande limpidité, mais en la matière cela ne peut en être autrement, elles ont au moins le mérite d’être formellement regroupées, et donc plus accessibles, notamment au public.

Si le CRPA met fin à la distinction précédemment évoquée entre décision explicite et implicite, le nouveau régime législatif de la disparition des actes administratifs repose toujours sur des différences qui s’enchevêtrent : type de disparition, type d’acte en cause, initiative de la disparition, faculté ou obligation pesant sur l’administration. Ainsi, nous exposerons classiquement les nouvelles règles applicables à travers les deux types de disparition possibles, que le CRPA prend soin de définir au préalable : l’abrogation (I) et le retrait (II). Nous, poursuivrons en évoquant les exceptions générales expressément prévues (III), pour finalement mentionner quelques imperfections du CRPA (IV).

Les règles d’abrogation d’un acte administratif applicable au 1er juin 2016

Le CRPA donne pour la première fois une définition textuelle à l’abrogation d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour l’avenir » (L. 240-1 CRPA). Cette définition n’étonne pas, elle était déjà donnée par l’ensemble de la doctrine (not. G. Lebreton, DAG, 7ème éd., Dalloz, p. 277). Au demeurant, les règles de l’abrogation d’un acte sont essentiellement codifiées à droit constant.

L’abrogation d’un acte créateur de droits est possible uniquement en cas d’illégalité de cet acte et dans un délai de 4 mois après son édiction, ce qui reprend la solution de l’arrêt Coulibaly (L. 242-1 CRPA). L’abrogation devient obligatoire sur demande présentée par le bénéficiaire de l’acte dans ce délai de 4 mois (L. 243-3 CRPA), cela semble être une innovation, la jurisprudence ne l’ayant jamais expressément consacrée.

Au-delà de ce délai de 4 mois, l’abrogation d’un acte créateur de droits, légal ou non, reste possible dans certains cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA), cette solution existait déjà pour le retrait (article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), le codificateur l’étend à l’abrogation ; si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA) ou si une condition qui subordonnait l’acte n’est plus remplie (L. 242-2), ce que permettait déjà l’arrêt Coulibaly.

L’abrogation est possible à tout moment pour les actes administratifs non créateurs de droits légaux, l’administration doit cependant veiller à l’assortir, le cas échéant, de mesures transitoires au nom du principe de sécurité juridique (L. 243-1 CRPA). L’abrogation devient même obligatoire si les actes non créateurs de droits sont illégaux. Cette obligation vaut pour les illégalités qui apparaissent ab initio ou après un changement de circonstances de fait ou de droit pour un acte réglementaire, et seulement à la suite d’un changement de circonstances pour les actes non réglementaires (L. 243-2 CRPA). Cette subtilité, marquée par les jurisprudences Alitalia (CE, 3 février 1989, Rec., p. 44) et Association « Les Verts » (CE, 30 novembre 1990, Rec., p. 339), a été reprise telle quelle par le Code. L’obligation disparait si l’illégalité n’existe plus au moment où l’administration se prononce sur l’abrogation, comme l’évoquait déjà la jurisprudence (CE, 10 octobre 2013, Fédération Française de Gymnastique, Rec., p. 251).

Les règles du retrait d’un acte administratif pris à partir du 1er juin 2016

Le CRPA donne également pour la première fois une définition textuelle au retrait d’un acte administratif qui est « sa disparition juridique pour l’avenir comme pour le passé » (L. 240-1). Ici, il n’y a pas plus de surprise que pour l’abrogation, la doctrine n’entendait pas le retrait autrement (not. P.-L. Frier et J. Petit, DA, 10ème éd., LGDJ, 2015, p. 371). C’est pour cette disparition rétroactive que les innovations du code sont les plus saillantes.

Le retrait d’un acte administratif (créateur ou non de droits ; explicite ou implicite ; réglementaire ou non réglementaire) est possible si l’acte en cause est illégal et uniquement dans un délai de 4 mois après son édiction. Ici, l’innovation majeure se situe dans la perte d’utilité de nombreuses distinctions qui rendaient le régime du retrait difficilement lisible. Désormais l’illégalité de l’acte constitue la pierre angulaire du retrait des actes administratifs, ce qui a pour conséquence d’interdire par principe le retrait des actes réguliers et d’orienter, dans certains cas, l’administration vers l’abrogation plutôt que vers le retrait, l’abrogation étant moins attentatoire à la sécurité juridique. Ajoutons que le retrait est parfois obligatoire si le bénéficiaire de l’acte créateur de droits illégal le demande dans le délai de 4 mois (L. 243-3 CRPA, innovation au même titre que pour l’abrogation).

Néanmoins, la disparition rétroactive d’un acte administratif demeure possible au-delà du délai de 4 mois pour l’acte non créateur de droits qui constitue une sanction (L. 243-4 CRPA). Pour les actes créateurs de droits cela est également possible dans plusieurs cas : si un recours préalable obligatoire le permet (L. 242-5 CRPA, reprenant l’article 20-1 de la loi du 12 avril 2000), si les conditions d’octroi d’une subvention ne sont pas respectées (L. 242-2 CRPA, reprise d’une lecture a contrario de CE, 25 juillet 1986, Société Grandes Distilleries « les fils d’Auguste Peureux », Rec., p. 340), si le bénéficiaire le demande pour une décision encore plus favorable et sous réserve des droits des tiers (L. 242-3 CRPA, reprenant l’arrêt Ternon).

Les exceptions générales aux règles du retrait et de l’abrogation prévues par le CRPA

Le retrait et l’abrogation n’obéissent parfois pas aux règles précédemment décrites. L’article L. 241-1 mentionne deux exceptions générales : un texte spécial peut prévoir expressément des règles particulières de disparition pour certains actes (par ex., Article L. 424-5 du Code de l’urbanisme pour le retrait du permis de construire) ; l’effectivité du droit de l’UE peut aussi exiger le non-respect des règles générales comme l’évoquait déjà le juge administratif (CE, 29 mars 2006, Centre d’exportation du livre français, Rec., p. 173). De plus, si l’acte est obtenu par fraude sa disparition peut intervenir à tout moment (L. 241-2 CRPA), ce qui est une confirmation de la jurisprudence classique, étant précisé que la fraude ne fait pas naitre une obligation de faire disparaitre l’acte pour l’administration, cette dernière dispose dans ce cas d’une simple faculté, libre à elle de l’utiliser ou pas (v. TA Lille, 23 février 2016, Société OB Fermetures, n° 1302958, AJDA, 2016, p. 1294).

Les imperfections du CRPA dans le domaine de la disparition des actes administratifs

Nous ne reviendrons pas sur toutes les imperfections du CRPA en matière de disparition des actes administratifs (v. G. Eveillard, La codification des règles de retrait et d’abrogation des actes administratifs unilatéraux, AJDA, 2015, p. 2474 et B. Seiller, La sortie de vigueur des actes administratifs, RFDA, 2016, p. 58), mais sur trois précisément choisies, qui font partie de celles qui, dans un code destiné au public, pourraient sembler les plus aberrantes pour lui.

D’abord, il n’existe pas dans le CRPA de définition de l’acte créateur de droit alors que l’expression est cruciale dans le régime de disparition des actes administratifs. Certes il n’est pas aisé de vouloir définir cette notion, mais ne pas tenter de le faire entoure, encore une fois, d’incertitudes, le régime de la disparition des actes.

Aussi, un acte créateur de droit peut être abrogé ou retiré, au-delà du délai de 4 mois, sur demande du bénéficiaire sous réserve des droits des tiers et pour obtenir une décision plus favorable. Ici, l’obtention d’une décision plus favorable apparait comme une condition sine qua non à la disparition de l’acte. Mais, si le bénéficiaire demande volontairement (par altruisme par exemple quand l’avantage dont il bénéficie pourrait, s’il le remet en jeu, bénéficier à quelqu’un d’autre), la disparition d’une décision, légale ou non, au profit d’une situation qui lui est moins favorable, pourquoi empêcher l’administration d’avoir la simple possibilité d’étudier la demande et d’y faire éventuellement droit si par exemple l’intérêt du service l’exige ? Si, pour une décision légale, juridiquement la solution n’est pas totalement aberrante, elle l’est en cas d’illégalité. Dans les deux cas, la condition de la décision plus favorable, ne favorise pas les relations entre l’administration et le public, au contraire elle les bloque inutilement sur ce point.

Enfin, une sanction peut être retirée à tout moment et pour tout motif en vertu de l’article L. 243-4 du CRPA. En réalité, cet acte particulier retombe, par exception, dans le régime de retrait de l’acte non créateur de droits applicable avant le CRPA (v. CE, 19 décembre 2014, M. B., n° 376341). Une sanction est par nature défavorable, elle ne constitue pas de droits dans le chef de son destinataire, encore moins pour les tiers. Son retrait illimité dans le temps parait pour le moins logique et même bénéfique pour celui qui aurait dû la subir ou qui l’a déjà subi. Mais, peut-on se réjouir du fait que ce retrait soit totalement à la libre appréciation de l’administration, que la sanction soit légale ou non ? Théoriquement, on peut imaginer qu’une administration sanctionne justement et légalement, elle apparaitrait alors comme exemplaire aux yeux du public. Si, passé l’effet d’annonce elle retire discrètement la sanction, le public est dupé. A l’inverse, une administration qui sanctionnerait illégalement, le destinataire ne l’ayant pas inquiétée au contentieux, pourrait maintenir l’illégalité, quand bien même le sanctionné l’aurait découverte par la suite.

Il convient finalement, au regard de tout ce qui vient d’être présenté, de souligner le travail réalisé par le codificateur pour tenter de clarifier le droit en matière de disparition des actes administratifs, et de constater que l’effort réalisé est majeur, même si des imperfections demeurent.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 76.

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