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ParJDA

Les dispositions préliminaires

par M. le pr. Sébastien SAUNIER,
Professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole,
membre de l’IDETCOM

Art. 71. Le code des relations entre le public et l’administration débute par l’énoncé de dispositions préliminaires (art. L. 100-1 à L. 100-3) d’une importance cardinale aussi bien pour le citoyen qui le consulte, l’administrateur qui l’applique ou encore les juges (principalement administratifs mais aussi judiciaires), qui lors de l’invocation du texte au cours d’un procès devront vérifier au préalable son applicabilité au litige. Pour faire simple, les dispositions préliminaires répondent aux deux questions suivantes : le CRPA est-il applicable au problème juridique donné ? Quels sont les principes directeurs de la relation entre l’administration et le public ?

Ces articles définissent donc le champ d’application et la philosophie du code, mais d’une façon quelque peu désordonnée, ce qui en rompt la logique.

1. L’article L. 100-1 alinéa 1 rappelle en premier lieu l’objectif visé par les rédacteurs du CRPA, à savoir d’en faire la « lex generalis» des relations entre le public et l’administration. Il s’agit d’un texte « à vocation généraliste » (Rapport au Président de la République). Il « régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables». Jusqu’ici les règles relatives à ces relations étaient dispersées dans différents textes ainsi que nourries par la jurisprudence principalement administrative. Il rassemble donc les principales règles générales applicables aux relations entre l’administration et les administrés, les citoyens ou les personnes morales de droit privé (associations, entreprises, etc.). Il faut toutefois comprendre ici, afin d’éviter tout malentendu, que le CRPA ne contient pas toutes les dispositions applicables à ces relations. Loin s’en faut, puisque dès lors qu’une disposition spéciale existe, elle y déroge ainsi que le prévoit explicitement l’article L. 100-1. L’on mentionnera notamment à titre d’illustrations les nombreux codes qui contiennent les règles spéciales applicables, selon les matières, à ces relations (code général des collectivités territoriales, code des marchés publics, code général des impôts, livre des procédures fiscales, code de l’éducation, code général de la propriété des personnes publiques, etc.) et qui, par conséquent, entraînent en principe l’inapplication du CRPA. La jurisprudence aura vraisemblablement l’occasion de préciser l’articulation loi spéciale/loi générale de procédure… Le chantier est immense !

L’alinéa 2 précise que « sauf dispositions contraires du présent code, celui-ci est applicable aux relations entre l’administration et ses agents ». Le texte tente à nouveau une synthèse de la jurisprudence et des textes codifiés puisque selon les cas, les relations avec les agents étaient exclues ou, au contraire, soumises aux dispositions concernées (par ex. l’exclusion prévue par l’article 18 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000). L’on ne peut s’empêcher de remarquer cependant que la précision apportée rompt la structuration des dispositions préliminaires : la précision avait davantage sa place dans l’article L. 100-3 du CRPA (v. infra)

2. L’article L. 100-2 constitue en second lieu le résultat d’une longue réflexion sur l’intérêt d’inscrire dans le code les grands principes directeurs de la procédure administrative non juridictionnelle. La récolte est maigre. Il dispose : « L’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantir à chacun un traitement impartial». Il faut bien avouer que la tâche était délicate et avait même fait l’objet d’un colloque réunissant, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, professeurs de droit, conseillers d’État, hauts fonctionnaires et avocats (A la recherche des principes du droit de la procédure administrative, Colloque, Chaire MADP/Conseil d’Etat, 5 décembre 2014) donnant lieu à des propositions très nuancées, aussi bien quant à la liste des principes à codifier que sur la pertinence d’une telle codification. L’on rappellera toutefois que depuis la seconde moitié du XXème siècle, il existe un socle homogène bien que réduits de principes procéduraux : ainsi particulièrement les principes généraux du droit parmi lesquels l’obligation de respecter les droits de la défense (CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, Rec. p. 133 ; CE, Ass., 26 octobre 1945, Aramu, Rec., p. 213, S. 1946.III.1 concl. Odent, D. 1946 p. 158 note Morange), le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, Ass., 25 juin 1948, Sté Journal L’Aurore, Rec. p. 289), le principe de l’impartialité nécessaire à tout organisme administratif CE, 29 avril 1949, Bourdeaux, Rec. 188), le principe selon lequel tout administré peut demander à l’Administration par la voie d’un recours administratif hiérarchique de revenir sur ses décisions (CE, Sect., 30 juin 1950, Quéralt, Rec. p. 413 ; Dr. soc. 1951, p. 246, concl. Delvolvé ; S. 1951, 3, 85, note Auby). Parallèlement, la doctrine avait proposé les premières synthèses sur le sujet. Jean-Marie Auby a dégagé pour la première fois en 1956 quatre grands principes : la publicité, le caractère contradictoire, le caractère impartial de la procédure et le caractère effectif (« La procédure administrative non contentieuse », D. 1956, chron. VII, p. 27 et s.). Georges Langrod a également proposé à la même époque, à partir d’une approche « empirique », « une sorte de schéma des principes généraux de procédure administrative à caractère fondamental », à la lumière de l’expérience comparative (« Procédure administrative et droit administratif », Revue internationale des sciences administratives 1956, vol. XXII, n°3, p. 6) : le droit à la défense, le principe de la vérité matérielle (à savoir la recherche objective par l’Administration de l’état réel des faits), le principe d’impartialité, le principe de l’action d’office, le principe de la preuve libre, le principe de la simplicité processuelle, le principe de la publicité des affaires, le principe de l’oralité de la procédure, le principe de la procédure directe et le principe du recours hiérarchique. G. Isaac distinguait quant à lui cinq principes généraux relatifs au déroulement de la procédure administrative   (G. Isaac, La procédure administrative non contentieuse, LGDJ, Bibliothèque de droit public, t. 79, 1968) : son caractère inquisitoire, le principe de la publicité de la procédure, le principe du contradictoire, le principe d’impartialité, le caractère effectif de la procédure (à savoir l’obligation pour l’administration de procéder à un examen effectif des affaires, qualifié déjà par l’auteur de principe de « bonne administration ». Op. cit., spéc. p. 438). Depuis, la question a été profondément renouvelée. Le rôle créateur du juge administratif n’a pas décliné. Ainsi, sont venus enrichir la liste des principes généraux du droit, celui selon lequel « l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenu d’y déférer » (CE, ass., 3 févr. 1989, n° 74052, Cie Alitalia, Rec. CE 1989, p. 44), l’obligation de publier dans un délai raisonnement les règlements (CE, 31 déc. 2003, Synd. Commissaire et hauts fonctionnaires police nat., Rec. p. 506), le principe de sécurité juridique (CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et a., Rec. p. 154), le récent bien que très attendu « principe selon lequel, les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements» (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, Rec. p. 649). Le principe formulé le même jour selon lequel un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, préc.). Si l’influence du droit constitutionnel sur les principes de la procédure administrative est plus limitée (v. toutefois, le principe de participation du public à l’élaboration des décisions administratives ayant une incidence sur l’environnement), le renouvellement aurait en revanche pu être tiré du droit comparé (v. les exemples très intéressants du droit américain, anglais et canadien : Conseil d’Etat, Consulter autrement Participer effectivement, Rapport public 2011, p. 47 et s.), du droit international (ainsi du droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de la CESDHLF applicable à certaines procédures administratives) et des standards européens dégagés particulièrement par les travaux du réseau ReNUAL (Research Network on EU Administrative Law) qui a mis en évidence des principes communs aux Etats membres de l’Union européenne. Sous cet angle, l’article L. 100-2 a malheureusement, un parfum désuet…

3. L’article L. 100-3 énonce en troisième lieu la définition des termes « Administration » et « Public ». Sont des administrations soumises au code les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Le « Public » est entendu comme « toute personne physique » ou « toute personne morales de droit privé, à l’exception de celles qui sont chargées d’une mission de service public lorsqu’ est en cause l’exercice de cette mission ».

Ce troisième axe des dispositions préliminaires est essentiel. Les définitions énoncées conditionnent directement l’application du code et déterminent son champ d’application. Elles précisent la conception retenue par le législateur de l’ « administrativité » des procédures. En effet, rappelons que l’administration n’est pas systématiquement soumise à une procédure administrative pas plus que le contrat qu’elle signe est nécessairement un contrat administratif ou l’acte unilatéral édicté une acte administratif. Comme le contrat ou l’acte unilatéral, la procédure à suivre par l’administration peut être régie par le droit privé. La question est peu abordée dans la littérature juridique ainsi que cela a été récemment mis en évidence alors qu’elle est cruciale (l’on se permettra de renvoyer à notre étude, « La notion de procédure administrative non contentieuse », in Les procédures administratives, sous la direction de l’Association française pour la recherche en droit administratif, Dalloz, 2015, spéc. p. 63 et s.). Or, l’état du droit laissait apparaître deux critères principaux : un critère organique nécessaire mais insuffisant, complété par un critère matériel. En effet, contrairement à ce qui avait pu correspondre à une certaine époque, l’Administration publique n’est plus systématiquement soumise à des procédures administratives. En outre, certaines personnes morales de droit privé peuvent être soumises à des règles de procédure administrative. La notion de service public constitue une clef de définition du champ d’application de ces règles. Certains auteurs estiment d’ailleurs que tout service public, indépendamment de sa qualité de service public administratif ou industriel et commercial devrait en relever. La notion de puissance publique forme une seconde clef de compréhension de son étendue et particulièrement, sa concrétisation par la décision administrative. Le choix fait par les rédacteurs du code a été une nouvelle fois guidé par le pragmatisme et la volonté de maintenir l’état du droit existant. L’article L. 300-1 répond au champ d’application organique et matériel du droit de la procédure administrative qui correspond à la conception la plus syncrétique possible puisque les grandes lois adoptées depuis 1978 avaient quasiment toutes des champ d’application différents (ibid., p. 63 et s.). A cet égard, le CRPA prévoit de multiples dérogations en plus ou en moins (v. en ce sens, art. D. 113-1, art. L. 113-4, L. 120-1, L. 135-1 et 2, L. 211-1, L. 121-1, L. 222-1 à L. 222-4, L. 240-2). Là encore, le néophyte devra prendre garde à ne pas s’en tenir à la seule lecture de l’article L. 100-3…

L’on regrettera enfin une lacune importante : l’absence de réglementation par le CRPA des relations entre personnes publiques sauf dérogations (art. L. 211-1 ; L.112-14). Ainsi que cela a pu être souligné, le sujet est « quelque peu terra incognita » (M. Vialettes, C. Barrois de Sarrigny, « La fabrique d’un code », RFDA 2016, p. 4 et s.) alors que les relations procédurales entre personnes publiques sont un outil d’amélioration de la relation administrative. Dès lors, la question trouvait particulièrement sa place dans le CRPA d’autant plus que celui-ci a abandonné la rhétorique de la citoyenneté administrative qui avait très largement obscurci l’application de la loi DCRA au profit des personnes publiques, notamment des collectivités territoriales dans leurs relations avec l’Etat, le juge administratif ayant considéré que stricto sensu, une personne publique n’était pas un « citoyen administratif » (v. par ex., à propos de la non application de l’article 4 de la loi DCRA entre personnes publiques, CE, 30 juill. 2010, n°309578, SDIS de la Charente ; de même, concernant la non application des articles 18,19 et 20 de la loi du 12 avril 2000 entre l’Etat et les collectivités territoriales : CE ; 1er juillet 2005, n°258509, Ville de Nice). Précisément, tel était aussi l’intérêt d’une codification à droit non constant : proposer, inventer, rénover. Malheureusement, la démarche prospective prend du temps et sans nul doute l’efficacité a constitué le « mercure » du nouveau « baromètre » de la relation administrative que constitue le CRPA !

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art. 71.

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