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ParJDA

L’Union européenne et la procédure administrative nationale : des compétences étriquées et intriquées

par monsieur le pr. Olivier DUBOS

Professeur de droit public, chaire Jean Monnet,

CRDEI, Université de Bordeaux

Art. 81. L’Union européenne reste largement dépendante des Etats membres pour la mise en œuvre de ses actes et spécialement des administrations nationales. Le principe de l’administration indirecte est à la fois un atout car il lui permet de concevoir des politiques publiques sans avoir la charge de leur mise en œuvre, mais c’est aussi une faiblesse car leur efficacité et leur cohérence sont tributaires de contingences difficilement maîtrisables par l’Union. Certes, le premier écueil réside dans le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales dont il est difficile de garantir qu’il sera utilisé de la même manière dans toute l’Union, mais le second réside assurément dans le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres. Si l’autonomie institutionnelle n’est pas en soi un risque, l’application par chaque administration nationale de ses propres règles procédurales ne peut qu’entamer l’unité du droit de l’Union et l’égalité des destinataires de la règle.

Bien que dans un système fédéral, unité du droit et égalité des individus devant le droit ne peuvent être que relatifs, l’Union ne peut être totalement indifférente aux règles nationales de procédure administrative. La Cour de justice comme le législateur de l’Union ont d’ores et déjà édicté quelques standards procéduraux, mais il semblerait toutefois qu’il soit assez difficile d’aller au-delà qu’il s’agisse de la voie jurisprudentielle (I) ou de la voie législative (II) tant les compétences de l’Union semblent étroites.

La voie jurisprudentielle

La Cour de justice encadre l’autonomie procédurale des administrations nationales comme celle des juridictions nationales. Elle estime en effet que s’ « il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre (…) de régler les modalités des procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant que ces modalités ne sont pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) » ( CJUE, 12 février 2015, Surgicare – Unidades de Saúde SA c/ Fazenda Pública, Aff. C-662/13, ECLI:EU:C:2015:89, n° 26). Toutefois, les principes d’équivalence et d’effectivité sont, devant la Cour, beaucoup moins mobilisés pour les procédures administratives que pour les procédures juridictionnelles. Les principes généraux du droit restent le premier instrument par lequel la Cour de justice est intervenue pour imposer des standards procéduraux aux Etats.

Les principes de confiance légitime et de sécurité juridique s’imposent d’abord aux institutions et organes de l’Union ( J. MOLINIER, « Principes généraux du droit », Rép. Dalloz (Droit européen), spéc. n° 80 et s), toutefois ils viennent également encadrer les administrations nationales lorsqu’elles agissent dans le champ du droit de l’Union. Dans la jurisprudence de la Cour de justice, il n’est d’ailleurs pas facile de déterminer comment ces principes se conjuguent avec le principe de l’autonomie procédurale des Etats membres. Il n’en demeure pas moins que de ces deux principes et spécialement du principe de confiance légitime découlent certains standards applicables aux administrations nationales qui ont une incidence sur la procédure administrative, spécialement en matière de mesures transitoires.

Du principe général du droit à un recours juridictionnel, la Cour de justice a déduit une obligation de motivation des actes administratifs individuels (CJCE, 15 octobre 1987, Union des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football (Unectef) c/ Georges Heylens et autres, Aff. 222/86, ECLI:EU:C:1987:442). Par ailleurs, elle estime que le principe des droits de la défense ne s’applique pas seulement aux procédures juridictionnelles, mais également à l’édiction d’un acte administratif individuel susceptible d’être défavorable. Mais c’est évidemment le principe de bonne administration qui constitue la principale source de standards pour la procédure administrative.

Or ce principe est désormais codifié à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Toutefois, la rédaction de son paragraphe 1 implique qu’il ne s’applique qu’aux « institutions, organes et organismes de l’Union ». La Cour de justice a confirmé que cet article 41 ne s’imposait pas aux Etats membres (CJUE, 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega c/ Préfet de police et Préfet de la Seine-Saint-Denis, Aff. C-166/13, ECLI: ECLI:EU:C:2014:2336). La portée de cette solution paraît essentiellement formelle car rien n’empêche la Cour de justice de donner à son principe général du droit le même contenu que l’article 41 de la Charte.

Toutefois pour parvenir à une véritable harmonisation des procédures administratives nationales, la Cour de justice devra adopter une stratégie un peu plus systématique car en l’état actuel de la jurisprudence l’articulation des différents principes généraux du droit applicables aux procédures administratives nationales demeure particulièrement obscure.

La voie législative

Dès les années soixante, le droit dérivé a édicté certaines exigences procédurales à respecter par les autorités administratives nationales. Ainsi la célèbre directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (article 6) imposait une obligation de motivation des décisions prises sur son fondement. A partir des années soixante-dix, de très nombreux règlements ou directives imposent aux autorités nationales, non seulement une obligation de motivation, mais également l’indication des délais et voies de recours aux administrations des Etats membres lorsqu’elles édictent un acte sur leur fondement (Par exemple, article 14 de la directive 70/156/CEE du Conseil, du 6 février 1970, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la réception des véhicules à moteur et de leurs remorques). Ainsi le droit dérivé a en ce domaine précédé la jurisprudence de la Cour de justice.

L’impact de l’Union européenne sur les procédures administratives nationales est bien réel, mais paradoxalement la compétence du législateur de l’Union paraît des plus incertaine. L’Union ne semble pas disposer de compétences pour édicter des règles relatives aux procédures applicables devant les autorités administratives nationales, ce qui signifierait donc que le législateur de l’Union ne serait pas habilité à édicter des règles en la matière. Cette incompétence serait ainsi une conséquence du modèle de fédéralisme retenu par l’Union : l’administration indirecte dont découle le principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale.

Il est toutefois possible de mobiliser la théorie des compétences impliquées. La plupart des standards procéduraux posés par le législateur de l’Union prennent place dans un règlement ou une directive qui procède à une harmonise du droit substantiel. L’objet principal du texte n’est généralement pas l’harmonisation des règles procédurales. La base juridique de la procéduralisation est donc changeante en fonction du domaine concerné : le marché intérieur, l’environnement, la protection des consommateurs, la politique sociale peuvent constituer autant de titres de compétence pour imposer des standards procéduraux. La compétence de l’Union en matière procédurale apparaît alors comme une compétence impliquée, c’est-à-dire une compétence nécessairement dévolue à l’Union dans la mesure où son exercice a pour objet d’assurer l’efficacité des règles substantielles par ailleurs édictées. C’est un raisonnement analogue à celui de la Cour de justice dans l’affaire de 2005 relative à la compétence pénale de l’Union. La Cour avait ainsi estimé qu’« en principe, la législation pénale tout comme les règles de la procédure pénale ne relèvent pas de la compétence de la Communauté (…). Cette dernière constatation ne saurait cependant empêcher le législateur communautaire, lorsque l’application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l’environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des États membres et qu’il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu’il édicte en matière de protection de l’environnement » (CJCE, 13 septembre 2005, Commission européenne c/ Conseil de l’Union européenne, Aff. C-176/03, spéc. n° 47-48).

Au-delà de la théorie des compétences impliquées, il convient toutefois d’examiner si des bases juridiques explicites ne pourraient pas être mobilisées. Selon l’article 197 FUE, « 1. La mise en œuvre effective du droit de l’Union par les États membres, qui est essentielle au bon fonctionnement de l’Union, est considérée comme une question d’intérêt commun. 2. L’Union peut appuyer les efforts des États membres pour améliorer leur capacité administrative à mettre en œuvre le droit de l’Union. Cette action peut consister notamment à faciliter les échanges d’informations et de fonctionnaires ainsi qu’à soutenir des programmes de formation. Aucun État membre n’est tenu de recourir à cet appui. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires à cette fin, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ». Toute harmonisation sur ce fondement paraît impossible. Il est dès lors également impossible de recourir à l’article 352 puisque celui-ci interdit expressément une harmonisation sur son fondement lorsqu’elle est par ailleurs exclue par le traité. Le paragraphe 3 de l’article 197 FUE précise qu’il est « sans préjudice des autres dispositions des traités qui prévoient une coopération administrative entre les États membres ainsi qu’entre eux et l’Union ». Or dans toutes les hypothèses où il y a co-administration entre la Commission et les autorités nationales ou co-administration entre autorités nationales, le droit de l’Union fixe bien certaines règles de procédure (C. VLACHOU, La coopération entre les autorités de régulation en Europe (communications électroniques, énergie), thèse Université Paris II Panthéon Assas, 2014).

L’Union européenne dispose donc bien de compétences lui permettant d’imposer des standards procéduraux aux administrations nationales lorsqu’elles agissent dans le champ du droit de l’Union. La nature de ces compétences paraît fort incertaine et surtout leur ampleur ne permet assurément pas de procéder à une harmonisation des procédures administratives nationales. Mais y-a-t’il fédéralisme sans zone grise ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2016, Dossier 02 « Les relations entre le public & l’administration » (dir. Saunier, Crouzatier-Durand & Espagno-Abadie) ; Art.81.

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