À propos du rôle de l’élu local : les tourments d’un élu en charge de politiques culturelles

ParJDA

À propos du rôle de l’élu local : les tourments d’un élu en charge de politiques culturelles

Art. 407.

La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).

L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).

Pierre Esplugas-Labatut
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Imh,
adjoint-au-maire de Toulouse & conseiller métropolitain à Toulouse-Métropole

Quel est le rôle d’un élu local ? Dès le premier jour en 2014 de notre désignation comme adjoint-au-maire de Toulouse en charge des musées et de l’art contemporain, puis à partir de 2020 en charge en outre de l’Image (conçue comme couvrant les délégations de la photographie et du cinéma) et des affaires juridiques à la Ville de Toulouse et à Toulouse–Métropole, nous nous sommes posé cette question sans à ce jour avoir véritablement trouvé la réponse. Le propre de l’exercice de ce pouvoir est en fait de constamment hésiter sur des choix qu’on ne maîtrise pas vraiment. Par un retour d’expérience, nous voudrions donc témoigner des tourments vécus par un élu local en charge plus particulièrement de politiques culturelles. Ceux-ci sont liés au mode de fonctionnement d’une collectivité territoriale (I), aux rapports élus-administration en son sein (II) et à l’identification des missions de service public culturel à mener (III).

I. Le tourment causé par le mode de fonctionnement d’une collectivité territoriale

Un élu local peut éprouver un tourment du fait de la limitation de son pouvoir à la fois matériellement (A) et temporellement (B).

A. Un pouvoir limité matériellement

Une règle s’impose : le seul et véritable pouvoir au sein d’une collectivité territoriale appartient au responsable de l’exécutif, soit le maire ou le président. Malgré un système de délégation, un adjoint-au-maire, conseiller délégué ou vice-président n’a en réalité pas de pouvoir de décision propre. Sans que le parallèle ne soit d’ailleurs toujours fait, on peut en effet comprendre l’organisation d’une collectivité territoriale au regard de notions et catégories classiques propres au droit constitutionnel. De ce point de vue, seul le maire ou le président de la collectivité dispose d’une « légitimité populaire » car c’est en réalité la tête de la liste électorale et non les membres de cette dernière que les citoyens ont élue. Ce pouvoir politique est relayé juridiquement par le fait qu’il appartient bien au maire ou au président d’attribuer (ou de modifier et retirer) les délégations aux autres élus, ceux-ci étant, de facto, leurs collaborateurs.

Le pouvoir premier du chef de l’exécutif local et second des membres de son équipe est renforcé par la forme du régime politique au sein des collectivités territoriales. Celle-ci est celle à la fois d’un « régime présidentiel » (pas de responsabilité politique de l’exécutif devant l’assemblée délibérante) et très « présidentialisé » (tous les pouvoirs, ceux de nomination comme ceux de réglementation et d’action, sont concentrés entre les mains du maire ou du président). La forme présidentialisée est de surcroît souvent accentuée en pratique par la personnalité du chef de l’exécutif local, relayée parfois par celle de son directeur de cabinet.

En outre, une équipe municipale, départementale ou régionale s’apparente à celle d’un « gouvernement » structuré et hiérarchisé en fonction d’équilibres politiques et non d’une supposée rationalité liée à un découpage fonctionnel. Ainsi, dans une commune, le 1er adjoint-au-maire ou celui aux finances peut-il être comparé à un ministre d’État, un adjoint-au-maire coordinateur pour une thématique à un ministre de plein exercice, un adjoint-au-maire rattaché à un élu coordinateur à un ministre-délégué et un conseiller municipal délégué à un secrétaire d’État.

Les membres du « gouvernement local », conçu comme un organisme « collégial », sont astreints politiquement à un devoir de solidarité et ne peuvent décemment exprimer des réserves à l’extérieur (parfois même à l’intérieur), à moins, comme Jean-Pierre Chevènement a pu le formuler, de démissionner. Comme dans tout « groupe politique », s’impose au sein de l’assemblée délibérante une discipline majoritaire stricte. Nous avons ainsi le souvenir d’un élu, issu de ce qu’il est convenu d’appeler la « société civile » au sens de non-encarté dans un parti politique et peu au fait de ces conventions, qui en début de mandat s’était cru autoriser par simple conviction à voter en conseil municipal contre une délibération proposée par le maire et être convoqué le lendemain aux aurores dans le bureau de celui-ci et fermement rappelé à l’ordre.

B. Un pouvoir limité temporellement

Une question naturellement importante est l’intitulé de la délégation. Pour ce qui nous concerne pourquoi une délégation aux musées et l’art contemporain pour le premier mandat et étendue à l’Image et aux affaires juridiques pour le second ? Un élément de réponse décisif est la disponibilité de l’élu. Une délégation lourde du type dans une commune « urbanisme », « police » ou « maire de quartier » impose de s’y consacrer pleinement. Dans ces conditions, il existe le risque de réserver ce type de fonctions à des retraités ou des personnes sans activité professionnelle. Ce risque est d’autant plus grand que la « société » a fait le choix, au vu d’un sentiment général et aussi du niveau modeste des indemnités d’élus, de refuser un système autorisant des « professionnels » de la politique. Pour notre part, il était hors de question de cesser une activité de professeur d’Université, de surcroît ayant la volonté de continuer à publier, ce d’autant plus qu’il existe un lien direct entre l’activité d’enseignement-chercheur spécialisé en droit public et celle d’élu… comme le montre cet article même. Pour autant, le cumul d’activités politique et professionnelle revient à faire un numéro d’équilibriste ou de jonglerie – que permet en pratique le wifi – au risque de chuter ou de faire tomber des quilles. On pourrait même ajouter une troisième activité avec un travail de militant ou de candidat en campagne électorale car un élu peut appartenir à un parti politique et chercher à être réélu sans que cela n’ait d’ailleurs rien d’étonnant qu’il fasse de la politique. En ce sens, il faut avoir conscience que le système actuel conduit nécessairement à ce qu’une activité prenne le pas au détriment d’une autre ce qui n’est naturellement pas satisfaisant.

Sur le choix de la délégation, deux « écoles » sont concevables. Une première hypothèse est de désigner une personne qui par son parcours, notamment professionnel, a une compétence spécifique dans la délégation qui lui est assignée. L’avantage est que ce titulaire entrera plus vite dans son travail d’élu et pourra bénéficier de connaissances et de relations que n’a pas un élu novice dans le secteur attribué. Une deuxième hypothèse est de désigner un titulaire étranger au milieu professionnel qu’il est appelé à connaître. Cette hypothèse est la nôtre puisque nous n’avions aucune connaissance ou intérêts dans le milieu de la culture notamment des arts plastiques, de la photographie et du cinéma. La logique de cette hypothèse est qu’il appartient à l’élu de poursuivre l’intérêt général et donc de s’extraire des intérêts particuliers portés par les acteurs de sa délégation. Dans un gouvernement, un ministre de la santé ne doit pas, à notre sens, être un médecin ou un ministre de la justice un magistrat ou avocat. De la même manière, il est souhaitable dans la vie politique locale, dans le secteur de la culture comme pour les autres délégations, que celui porteur de la délégation des musées ne soit pas un conservateur, un ancien de la Drac ou un artiste pour ne pas être prisonnier du milieu d’où l’on vient. L’idée finalement revient à éviter un conflit d’intérêts même si ce but légitime a pour paradoxe de se priver de spécialistes ou d’experts. Il appartient ainsi à chacun d’être à sa place : les directeurs et conservateurs doivent assurer la direction de leur établissement et l’adjoint en charge de cette partie de la culture doit porter une politique municipale ou métropolitaine dans ce secteur. Il s’agit ici d’endosser, en apparence, le rôle du naïf un peu comme le huron au Palais-Royal de Jean Rivero mais ici à la culture qui dérange les castes que peuvent être les conservateurs !

II. Le tourment causé par les rapports élus-administration au sein de la collectivité territoriale


La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).


Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 407.

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À propos de l’auteur

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Le JDA (Journal du Droit Administratif) en ligne a été (re)fondé en 2015 à Toulouse. Son ancêtre le "premier" JDA avait été créé en 1853 par les professeurs Adolphe Chauveau & Anselme Batbie. Depuis septembre 2019, le JDA "nouveau" possède un comité de rédaction dirigé par le professeur Mathieu Touzeil-Divina et composé à ses côtés du Dr. Mathias Amilhat ainsi que de M. Adrien Pech.