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ParMathias AMILHAT

De la jurisprudence remarquée : janvier 2021 – juin 2021

Art. 357.

Extraits de la 5ème chronique Contrats publics (septembre 2021)

Mathias Amilhat,
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole , IEJUC,
Comité de rédaction du JDA

Plusieurs arrêts, du Conseil d’Etat ou de la Cour de justice de l’Union européenne, ont été sélectionnés compte-tenu de leur importance pour le droit des contrats publics. Il s’agit de décisions rendues entre janvier et juillet 2021.

CJUE, 3 févr. 2021, aff. C-155/19 et C-156/19,
Federazione Italiana Giuoco Calcio (FIGC )
notion d’organisme de droit public

Saisie par le Conseil d’Etat italien de deux demandes de décision préjudicielle, la Cour de justice est venue rappeler la définition de la notion d’organisme de droit public pour en faire application aux fédérations sportives nationales.

En l’espèce, le litige concernait un marché négocié passé par la Federazione Italiana Giuoco Calcio (FIGC) aux fins de l’attribution des services de portage pour les besoins de l’accompagnement des équipes nationales de football et de l’entrepôt de la FIGC à Rome (Italie) pour une durée de trois ans. A l’issue de la procédure de passation, un opérateur a été sélectionné (Consorzio) mais un autre opérateur (De Vellis) a contesté la procédure devant le (tribunal administratif régional du Latium. Celui-ci considérait que la fédération de football italienne devait être qualifiée d’organisme de droit public et, de ce fait, respecter les procédures de passation prévues par le code italien des marchés publics. Le tribunal administratif a suivi De Vellis dans son argumentation et annulé la procédure de passation. Le Conseil d’Etat italien a alors été saisi et a décidé de saisir la Cour de justice de deux questions préjudicielles avant de statuer. Cette dernière devait donc se prononcer sur deux questions en lien avec la possible qualification de la FIGC comme organisme de droit public qui permettent de revenir sur les critères de définition de cette notion.

Pour rappel, l’article 2, paragraphe 1, point 4, de la directive 2014/24 (directive marchés « secteurs classiques ») précise que la notion d’organisme de droit public intègre « tout organisme présentant toutes les caractéristiques suivantes :

a)      il a été créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;

b)      il est doté de la personnalité juridique ; et

c)      soit il est financé majoritairement par l’État, les autorités régionales ou locales ou par d’autres organismes de droit public, soit sa gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes, soit son organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public ».

La notion d’organisme de droit public est donc définie par trois critères cumulatifs qui permettent de déterminer si une entité doit être considérée comme relevant de la sphère publique et, de ce fait, doit être soumise au respect du droit européen des contrats publics.

La première question préjudicielle posée en l’espèce portait sur le premier critère de définition de la notion d’organisme de droit public. Le Conseil d’Etat italien demandait à la Cour si « une entité investie de missions à caractère public définies exhaustivement par le droit national peut être considérée comme ayant été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial […], alors même qu’elle a été créée sous la forme non pas d’une administration publique, mais d’une association relevant du droit privé et que certaines de ses activités, pour lesquelles elle jouit d’une capacité d’autofinancement, n’ont pas de caractère public » (point 33 de l’arrêt). Pour la Cour de justice, la réponse ne fait pas de doute.

Après avoir relevé que le droit italien attribue effectivement des missions d’intérêt général à la FIGC, elle rappelle en effet que « la notion d’« organisme de droit public » doit recevoir une interprétation fonctionnelle indépendante des modalités formelles de sa mise en œuvre, si bien que cette nécessité s’oppose à ce qu’une distinction soit faite selon la forme et le régime juridiques dont l’entité concernée relève en vertu du droit national ou selon la forme juridique des dispositions créant cette entité ». Elle rappelle en ce sens sa jurisprudence constante (CJCE, 10 novembre 1998, BFI Holding, C‑360/96, point 62 ; CJCE, 15 mai 2003, Commission/Espagne, C‑214/00, points 55 et 56 ; CJUE, 12 septembre 2013, IVD, C‑526/11, point 21) et considère que le fait que la FIGC ait « la forme juridique d’une association de droit privé et que sa création ne découle pas, par conséquent, d’un acte formel instituant une administration publique » est sans incidence sur sa qualification éventuelle comme organisme de droit public.

Par ailleurs, toujours en réponse à cette première question, la Cour de justice rappelle également qu’il n’est pas nécessaire que l’entité en cause exerce exclusivement des activités d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial pour qu’elle puisse être qualifiée d’organisme de droit public. En effet, « la Cour a déjà jugé qu’il est indifférent que, outre sa mission de satisfaire des besoins d’intérêt général, une entité accomplisse d’autres activités et que la satisfaction des besoins d’intérêt général ne constitue qu’une partie relativement peu importante des activités réellement entreprises par cette entité, dès lors qu’elle continue à se charger des besoins qu’elle est spécifiquement obligée de satisfaire » (point 43 de l’arrêt). La Cour renvoie ici aussi à sa jurisprudence classique, qu’il s’agisse de l’arrêt BFI Holding (préc..) ou du fameux arrêt Mannesmann (CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C‑44/96). Elle en conclut donc que « que l’article 2, paragraphe 1, point 4, sous a), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’une entité investie de missions à caractère public définies exhaustivement par le droit national peut être considérée comme ayant été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial au sens de cette disposition, alors même qu’elle a été créée sous la forme non pas d’une administration publique, mais d’une association relevant du droit privé et que certaines de ses activités, pour lesquelles elle jouit d’une capacité d’autofinancement, n’ont pas de caractère public ».

La seconde question posée à la Cour portait quant à elle sur le troisième critère de définition de la notion d’organisme de droit public, et plus précisément sur le critère du contrôle par une autorité publique. La Cour commence par rappeler l’objectif poursuivi par ce troisième critère. Il s’agit de révéler « la dépendance étroite d’un organisme à l’égard de l’État, des autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public » ce qui implique, s’agissant du contrôle public, d’identifier « un contrôle actif sur la gestion de l’organisme concerné de nature à créer une dépendance de cet organisme à l’égard des pouvoirs publics, équivalente à celle qui existe lorsque l’un des deux autres critères alternatifs est rempli, ce qui est susceptible de permettre aux pouvoirs publics d’influencer les décisions dudit organisme en matière de marchés publics » (point 50). La Cour mobilise également sa jurisprudence classique sur ce point : l’arrêt Adolf Truley pour la définition du contrôle actif (CJCE, 27 février 2003, Adolf Truley, C‑373/00) et l’arrêt IVD pour rejeter la possibilité d’un contrôle a posteriori (préc.).

En l’espèce, la Cour relève que le Comité international olympique italien (Comitato Olimpico Nazionale Italiano – CONI) exerce « essentiellement une fonction de réglementation et de coordination » qui « semble essentiellement se limiter aux domaines de la bonne organisation des compétitions, de la préparation olympique, de l’activité sportive de haut niveau et de l’utilisation des aides financières » (point 53). Or, elle considère qu’ « une administration publique chargée, pour l’essentiel, d’édicter des règles en matière sportive, de vérifier leur bonne application et d’intervenir uniquement au niveau de l’organisation des compétitions et de la préparation olympique sans réglementer l’organisation et la pratique au quotidien des différentes disciplines sportives ne saurait être considérée, de prime abord, comme un organe hiérarchique capable de contrôler et de diriger la gestion des fédérations sportives nationales, et ce encore moins lorsque ces fédérations jouissent d’une autonomie de gestion » (point 56).

Pour autant, le juge européen considère qu’il ne s’agit là que d’une simple présomption qui « peut être renversée s’il est établi que, dans les faits, les différents pouvoirs dont le CONI est doté envers la FIGC ont pour effet de créer une dépendance de cette fédération à l’égard du CONI au point que celui-ci puisse influencer les décisions de ladite fédération en matière de marchés publics » en retenant « une interprétation plus matérielle que formelle » (point 58). La Cour de justice rappelle qu’elle ne peut pas se prononcer sur le fond de cette affaire mais apporte « des précisions visant à guider la juridiction nationale dans sa décision » conformément à sa jurisprudence traditionnelle (points 59 et suivants, la Cour renvoyant à l’arrêt CJUE, 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego, C‑614/17).

Or, le fait que le CONI puisse adopter « des lignes directrices, des décisions, des directives et des instructions relatives à l’exercice de l’activité sportive » (point 64), qu’il approuve « aux fins sportives les statuts des fédérations sportives nationales » (point 65) mais aussi « aux fins sportives les statuts des fédérations sportives nationales » (point 66), qu’il nomme « des auditeurs le représentant dans les fédérations sportives nationales » (point 70) et qu’il contrôle « l’exercice des activités à caractère public confiées aux fédérations sportives nationales ainsi que, plus généralement, le bon fonctionnement de ces fédérations » (point 71) tendent à indiquer qu’un contrôle actif est effectivement exercé, même si le juge national est seul compétent pour se prononcer sur ce point. La Cour en profite d’ailleurs pour rappeler que la participation des fédérations sportives au fonctionnement du CONI est sans conséquence dans la mesure où elles ne peuvent être considérées comme exerçant « une influence significative sur le contrôle de gestion exercé par le CONI » de manière individuelle (point 74).

Du point de vue du droit français, cette solution invite à considérer les fédérations sportives françaises comme des organismes de droit public soumis au respect du droit de la commande publique, ce qui implique d’aller plus loin que les préconisations d’un récent rapport sénatorial (« Mutualiser, renouveler et légitimer pour affûter l’esprit d’équipe des fédérations sportives », Rapport d’information de M. Alain FOUCHÉ, fait au nom de la MI Fonctionnement fédérations sportives, n° 698 (2019-2020) – 8 septembre 2020 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-698-notice.html ).

CE, 4 février 2021, n° 445396,
Société Osiris Sécurité Run (OSR)

L’allotissement permet de favoriser l’accès des TPE, PME et des artisans à la commande publique. C’est ce qui explique qu’il constitue l’un des principes directeurs du droit des marchés publics et que les exceptions à cette règle ne soient admises que de manière exceptionnelle. Le Conseil d’Etat le confirme dans cet arrêt centré sur la notion de marché de défense ou de sécurité.

En l’espèce, la direction du commissariat d’outre-mer des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien avait lancé une procédure d’appel d’offres restreint en vue de la passation d’un marché sans allotissement, d’une durée d’un an tacitement renouvelable trois fois, pour des prestations de gardiennage, d’accueil et de filtrage de trois sites militaires à La Réunion.

A l’issue de la procédure la société Osiris Sécurité Run (OSR), concurrent évincé dont l’offre avait été classée troisième, a introduit un référé précontractuel devant le tribunal administratif de la Réunion. Par une ordonnance rendue le 2 octobre 2020, celui-ci a annulé la décision d’attribution du marché ainsi que la procédure de passation en raison du non-respect de la règle de l’allotissement. La ministre des armées a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation.

La question centrale ici était donc de savoir si le marché passé devait ou non être alloti. En principe, l’allotissement s’impose pour tous les marchés publics, « sauf si leur objet ne permet pas l’identification de prestations distinctes » (CCP, art. L. 2113-10). Toutefois, certaines catégories de marchés publics échappent à l’obligation d’allotir, qu’il s’agisse des marchés publics globaux, des marchés de partenariat ou des marchés de défense ou de sécurité (CCP, art. L. 2313-5). En l’espèce, c’est cette dernière exception qui était mise en avant : le contrat était qualifié de marché de défense en application de l’article L. 1113-1, 4° du code de la commande publique, qui précise que sont des marchés de défense les contrats conclus par l’Etat ou ses établissements publics et qui ont pour objet des « travaux et services destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale ».

La ministre faisait valoir que le titulaire du marché devait avoir « accès au système de contrôle d’accès, détection d’intrusion, vidéosurveillance, dont les informations font l’objet d’une  » diffusion restreinte  » ». Pour autant, le Conseil d’Etat considère – comme le juge des référés du tribunal administratif l’avait relevé – que cette circonstance ne suffit pas pour qualifier le marché en cause de marché de défense ou de sécurité. Il rappelle donc que la notion de marché de défense ou de sécurité est d’interprétation stricte, conformément à sa jurisprudence traditionnelle (en ce sens, v. CE, 18 déc. 2019, n° 431696, Ministre de la Transition écologique et solidaire c/ Sté Sunrock). Par conséquent, il n’était pas possible de déroger à l’obligation d’allotir en arguant de la qualification du contrat comme marché de défense ou de sécurité.

Le Conseil d’Etat examine ensuite la possibilité plus classique de déroger à l’allotissement au regard de l’objet du marché, en vérifiant si l’allotissement présentait « l’un des inconvénients que mentionnent les dispositions de l’article L. 2113-11 du code de la commande publique ». Le fait que les prestations objet du marché doivent être réalisées dans des lieux géographiquement distincts et qu’elles diffèrent en fonction des sites concernés (ajouté au fait qu’un précédent marché avait fait l’objet d’un allotissement géographique) conduit le juge à rejeter cette possibilité et à confirmer l’annulation de la procédure.

L’allotissement reste donc une règle fondamentale du droit des marchés publics qui n’admet que des dérogations limitées et d’interprétation stricte.

CE, 4 mars 2021, n° 438859,
Département de la Loire c/ Sté Edenred

Le Conseil d’Etat est entrain de redéfinir progressivement son approche de l’intérêt à agir des concurrents évincés dans le cadre des procédures de référé précontractuel et contractuel. Rendu un peu moins d’un an après l’arrêt Société Clean Building (CE, 27 mai 2020, n° 435982, Sté Clean Building), le présent arrêt confirme ce mouvement.

En l’espèce, le département de la Loire avait lancé la passation d’un accord-cadre composé de six lots en 2019. Le premier lot a fait l’objet d’une procédure de publicité et de mise en concurrence mais le département de la Loire a choisi d’attribuer les cinq autres lots sans mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence en raison de leurs montants respectifs. Le département de la Loire a alors invité plusieurs opérateurs économiques, dont la société Edenred France, à présenter des offres sur ces cinq lots. Celle-ci a refusé de présenter une offre mais a, par la suite, intenté un référé précontractuel pour que soient annulé les procédures de passation des lots n°2, 3, 5 et 6.

Outre la question de la qualification des contrats conclus et le calcul de leur valeur (en ce sens, v. H. Hoepffner, « Les contrats de titre de paiement sont des marchés publics », Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 135), le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la question de savoir si une entreprise ayant refusé de présenter une offre dans le cadre d’un marché passé sans publicité ni mise en concurrence préalables peut être considérée comme lésée par une irrégularité affectant la procédure de passation dudit marché.

Confirmant son approche plus souple des conditions de mise en œuvre des référés précontractuel et contractuel, le Conseil d’Etat considère ici qu’une entreprise qui a « a été dissuadée de présenter une offre par l’irrégularité dont elle considérait que la procédure était entachée » doit être considérée comme susceptible d’être lésée par ce manquement au sens des dispositions de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative. Tel était le cas de l’entreprise requérante, qui pouvait donc utilement contester la procédure de passation de l’accord-cadre au travers d’un référé précontractuel.

Cette interprétation souple des conditions de mise en œuvre des procédures de référé s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence européenne. D’ailleurs, 20 jours seulement après cet arrêt, la Cour de justice de l’Union a rendu un nouvel arrêt qui offre une définition large des moyens invocables, y compris lorsque le requérant a été exclu de la procédure de passation à un stade antérieur à l’attribution (CJUE, 24 mars 2021, aff. C-771/19, NAMA Symvouloi Michanikoi kai Meletites A.E.).

CE, 4 mars 2021, n° 437232,
Société SOCRI Gestion  

Le critère organique de définition des contrats administratifs implique la présence quasi-systématique d’une personne publique comme partie au contrat. Il n’admet que de rares exceptions (ou semi-exceptions), au nombre desquelles figure l’hypothèse dans laquelle un contrat conclu entre deux personnes privées révèle que l’une d’elle est une personne « transparente » derrière laquelle se trouve une personne publique. Cette exception établie par la jurisprudence Commune de Boulogne-Billancourt (CE, 21 mars 2007, n° 281796, Commune de Boulogne-Billancourt) reste cependant d’application exceptionnelle, comme le confirme l’arrêt commenté.

En l’espèce, le litige portait sur une opération d’aménagement. En 2011, la communauté d’agglomération de Montpellier, aux droits de laquelle vient la métropole Montpellier Méditerranée Métropole, a confié la réalisation d’une zone d’aménagement à la société d’aménagement de l’agglomération de Montpellier (SAAM), société publique locale d’aménagement (SPLA), devenue, en 2016, société d’aménagement de Montpellier Méditerranée Métropole (SA3M). Cette SPLA a conclu une promesse synallagmatique de vente portant sur un terrain destiné à recevoir les bâtiments et ouvrages de la zone d’aménagement le 15 décembre 2014 avec la société IF Ecopôle. Mécontente de cette décision, la société SOCRI gestion a décidé de demander l’annulation de cette promesse de vente et a saisi le tribunal administratif de Montpellier en ce sens. Celui-ci a rejeté la demande d’annulation comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille a également rejeté cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. La société SOCRI s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Celui-ci commence par rejeter la qualification de contrat de concession de travaux publics en raison de l’objet du contrat de vente. En effet, comme le relève le juge, une fois la cession réalisée, la société d’aménagement ne disposera plus d’aucun droit d’exploitation sur le terrain, les bâtiments et les ouvrages. Elle ne peut donc pas attribuer un tel droit d’exploitation « à la société IF Ecopôle en contrepartie de prestations effectuées par cette dernière » et le contrat ne peut pas être qualifié de contrat de concession.

Par ailleurs, l’arrêt rendu permet au Conseil d’Etat de rappeler que « le titulaire d’une convention conclue avec une collectivité publique pour la réalisation d’une opération d’aménagement ne saurait être regardé comme un mandataire de cette collectivité », sauf en présence de circonstances particulières permettant d’identifier un tel mandat « telles que le maintien de la compétence de la collectivité publique pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l’opération ou la substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats ». Il s’agit là d’une jurisprudence constante (v. not. TC, 15 octobre 2012, n° 3853, SARL Port croisade c/ SA Seeta ; TC, 11 décembre 2017, n° 4103, Commune de Capbreton).

Surtout, cet arrêt permet au Conseil d’Etat d’affirmer que « les sociétés publiques locales d’aménagement, créées par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement et dont le champ d’intervention a été élargi par la loi du 28 mai 2010, de même que les sociétés publiques locales, créées par cette dernière loi, ont été instituées par le législateur pour permettre à une collectivité territoriale de transférer certaines missions à une personne morale de droit privé contrôlée par elle, notamment des opérations d’aménagement, dès lors que certaines conditions sont remplies » et ne peuvent être considérées comme des entités transparentes.

CE, 12 avr. 2021, n° 436663,
Société Île de Sein Énergies

Le contentieux contractuel est l’une des rares matières dans lesquelles le juge administratif fait encore montre d’un pouvoir créateur important. Rendu dans le cadre d’un recours introduit par un tiers contre le refus de mettre fin à un contrat administratif, l’arrêt commenté permet de mieux délimiter les moyens invocables dans le cadre d’un recours SMPAT (CE, sect., 30 juin 2017, n° 398445, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT)).

En l’espèce, le contrat en cause était une  » convention de concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique  » conclue entre le syndicat départemental d’énergie et d’équipement du Finistère (SDEF) et Electricité de France (EDF) en 1993 pour une durée de 30 ans. Le champ d’application territorial de cette convention avait ensuite été étendu à l’île de Sein par un avenant du 4 juin 1993 et, par un courrier du 2 novembre 2016, la société Ile de Sein Energies (IDSE) avait demandé au SDEF de mettre fin à cette convention en tant qu’elle concernait l’île de Sein.

Sans revenir sur les aspects techniques de l’affaire, l’apport principal concerne les moyens invocables dans le cadre d’un recours SMPAT. En effet, parmi les moyens invoqués, la société IDSE arguait du fait que la convention contestée avait été attribuée à EDF sans mise en concurrence et sans limite de durée. La question se posait alors de savoir si le non-respect des obligations de publicité et de mise en concurrence peut être invoquée dans le cadre d’un recours SMPAT.

Poursuivant son souci de mise en cohérence du contentieux contractuel tout en préservant la stabilité des contrats et la sécurité juridique, le Conseil d’Etat rejette clairement cette possibilité. Il considère en effet que « si la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence peut, le cas échéant, être utilement invoquée à l’appui d’un référé précontractuel d’un concurrent évincé ou du recours d’un tiers contestant devant le juge du contrat la validité d’un contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, cette méconnaissance n’est en revanche pas susceptible, en l’absence de circonstances particulières, d’entacher un contrat d’un vice d’une gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ». Il en ressort donc que les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence ne sont normalement invocables qu’avant la conclusion du contrat ou dans les premiers temps de son exécution.

CE, 27 avril 2021, n° 436820,
Société Strasbourg Electricité Réseaux

Le caractère définitif du décompte général du marché a de nombreuses conséquences mais il n’empêche pas le titulaire du marché d’appeler en garantie le maître d’ouvrage, comme le rappelle l’arrêt s’agissant des dommages causés aux tiers.

En l’espèce, l’Eurométropole de Strasbourg avait attribué un marché public de travaux relatifs au réseau de chaleur à un groupement d’entreprises solidaires constitué de la société SADE et de la société Nord Est TP Canalisations, dont la société SADE était le mandataire commun en janvier 2016. La maîtrise d’œuvre de ce marché avait quant à elle été attribuée à un groupement conjoint constitué du cabinet Lollier Ingénierie, mandataire solidaire, et de la société Energival, aux droits de laquelle vient la société Réseaux de Chaleur Urbains d’Alsace. Or, le 8 août 2016, lors des opérations d’évacuation d’une importante quantité d’eau constatée en fond de fouille d’une tranchée réalisée dans le cadre des travaux, une artère bétonnée enterrée en sous-sol, abritant une liaison haute tension exploitée par la société Electricité de Strasbourg, s’est effondrée.

La société Strasbourg Electricité Réseaux, venant aux droits de la société Electricité de Strasbourg, a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg pour obtenir la condamnation solidaire de la société SADE et de l’Eurométropole de Strasbourg, c’est-à-dire la condamnation solidaire du titulaire du marché et du maître d’ouvrage. Elle réclamait le versement de 498 527,13 euros à titre de provision à raison du dommage subi. Le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande en condamnant la société SADE à verser une provision de 430 547,66 euros et en condamnant l’Eurométropole de Strasbourg à garantir intégralement la société SADE. La Cour administrative d’appel de Nancy a confirmé cette décision, tout en portant le montant de la provision à la somme totale de 497 801,82 euros hors taxes.

Saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’articulation entre les conséquences liées à la réception des travaux et le caractère définitif du décompte général. En effet, la réception définitive des travaux exécutés par la société SADE avait été prononcée le 23 septembre 2016 et les réserves levées le 21 novembre 2016. Or, cette société avait accepté, le 9 mars 2017, le décompte général qui lui avait été notifié et qui était ainsi devenu le décompte général et définitif. La question se posait donc de savoir si le caractère définitif du décompte général s’opposait à l’appel en garantie contre l’Eurométropole de Strasbourg.

Fidèle à sa jurisprudence classique (CE, 23 févr. 1990, n° 83398, Duchon et a.), le Conseil d’Etat considère que « lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d’un dommage dû à l’exécution de travaux publics, le constructeur est fondé, sauf clause contractuelle contraire et sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’aucune réserve de sa part, même non chiffrée, concernant ce litige ne figure au décompte général du marché devenu définitif, à demander à être garanti en totalité par le maître d’ouvrage, dès lors que la réception des travaux à l’origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ou de la garantie décennale ». Il s’agit d’une règle d’application stricte qui ne peut être écartée « que dans le cas où la réception n’aurait été acquise au constructeur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part ».

CE, 27 avr. 2021, n° 447221,
Ville de Paris

Le code de la commande publique organise toute une série d’exclusion à l’appréciation des acheteurs parmi lesquelles figure la possibilité d’exclure de la procédure de passation « les personnes qui :

1° Soit ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution ;

2° Soit par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens » (CCP, art. L. 2141-8). Il s’agit d’une application logique du principe d’égalité de traitement consacré à l’article L.3 du même code, mais dont la mise en œuvre pratique reste assez rare.

En l’espèce, la Ville de Paris avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour la passation de plusieurs accords-cadres à bons de commande ayant pour objet des prestations de diagnostics et préconisations de structures pour la ville de Paris et l’établissement public Paris musées. Ces prestations étaient réparties en trois lots, la société requérante ayant présenté une offre pour les lots 1 et 2. Ses offres n’ayant pas été retenues, elle a décidé de contester la procédure de passation dans le cadre d’un référé précontractuel. Le tribunal administratif de Paris a fait partiellement droit à sa demande, ce qui explique que le Conseil d’Etat ait été saisi dans un second temps.

Il n’est pas ici question de revenir sur l’ensemble des aspects de l’arrêt, et notamment sur l’impossibilité pour un contrôleur technique agréé de participer à un groupement d’entreprises exerçant des activités de réalisation d’un ouvrage en application des dispositions du code de ka construction et de l’habitat (en ce sens, v. H. Hoepffner, « Groupement d’entreprises et incompatibilités applicables aux contrôleurs techniques », Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 203). L’accent est ici mis sur un autre point central qui concerne la rupture d’égalité entre les candidats à l’attribution du marché.

Comme le relève le Conseil d’Etat, « il résulte de l’instruction que la ville de Paris a soumis aux candidats, aux fins de la notation du sous-critère n° 1 du critère n° 2, intitulé  » méthodologie d’exécution « , une étude de cas dite  » Auvent  » portant sur un bâtiment municipal », ce sous-critère étant pondéré à hauteur de 15 % de la note globale. Or, l’instruction a également révélé que « la société Ginger CEBTP, candidate à l’attribution du lot en litige, avait déjà réalisé cette étude en qualité d’attributaire d’un précédent marché de la ville de Paris » et qu’elle avait donc logiquement « obtenu la meilleure note, de 9,5 sur 10, pour ce sous-critère, le candidat classé en deuxième position sur ce sous-critère n’ayant obtenu que la note de 8 sur 10 ». Le juge en déduit donc que « la société Sixense engineering est fondée à soutenir que le sous-critère ainsi choisi par la ville de Paris a avantagé la société Ginger CEBTP, et par suite rompu l’égalité de traitement entre les candidats ».

Cet arrêt est donc l’occasion de rappeler aux acheteurs qu’ils doivent faire preuve d’une vigilance accrue lorsque l’un des candidats bénéficie d’informations privilégiées, au risque de voir leurs procédures de passation remises en cause. Dans ce cas, la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique pourrait se révéler salutaire.

CJUE, 17 juin 2021, aff. C-23/20,
Simonsen & Weel A/S
contre Region Nordjylland og Region Syddanmark

Dans un arrêt important, la Cour de justice de l’Union européenne est venue apporter des précisions sur les règles applicables en matière d’accords-cadres.

En l’espèce, le litige concernait la procédure de passation d’un marché public lancée en avril 2019 par des régions danoises pour l’achat d’équipements permettant l’alimentation par sonde destinés à des patients à domicile et à des établissements. Ce marché devait prendre la forme d’un accord-cadre de quatre ans entre la région du Jutland du Nord et un opérateur économique unique, mais l’avis de marché précisait également que la région du Danemark du Sud participerait « sur option » et que les candidats étaient tenus de soumissionner pour « tous les postes du marché ». A l’issue de la procédure, les Régions ont considéré que l’offre de la société Nutricia était la plus avantageuse et que cette société avait remporté le marché mais la société Simonsen & Weel a formé un recours devant la commission de recours en matière de marchés publics tendant à l’annulation de cette décision.

La Commission de recours a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de questions préjudicielles pour qu’elle se prononce sur les informations exigées dans les avis de marchés lorsque ceux-ci prennent la forme d’un accord-cadre. De manière inédite, elle considère que les dispositions de la directive marché public (2014/24/UE) lues en combinaison avec les principes d’égalité de traitement et de transparence impliquent que les acheteurs indiquent dans leurs avis de marchés « la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre et qu’une fois que cette limite aura été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets ». Cette indication doit être effectuée de manière globale et la Cour précise également que l’avis publié « peut fixer des exigences supplémentaires que le pouvoir adjudicateur déciderait d’y ajouter ».

Comme le relève la DAJ, « l’absence de valeur maximale contractuelle pourrait constituer, selon la Cour, une utilisation abusive de la technique des accords-cadres puisqu’elle pourrait conduire l’acheteur à passer des commandes pour un montant beaucoup plus important qu’indiqué dans l’avis de marché » (https://www.economie.gouv.fr/daj/consequences-sur-les-accords-cadres-de-larret-de-la-cjue-simonsen-weel ). Dans l’attente de la modification des dispositions du code de la commande publique sur ce point, elle invite donc les acheteur à « prévoir, pour leurs futurs projets d’accords-cadres, le montant maximum des marchés subséquents ou des bons de commande qu’elles pourront demander aux attributaires d’exécuter et au-delà duquel ces attributaires seront libérés de leurs obligations contractuelles ».  

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Mathias Amilhat ; chronique contrats publics 05 ; Art. 357.

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ParMathias AMILHAT

Les évolutions textuelles : un droit de la commande publique en constante mutation

Art. 356.

Extraits de la 5ème chronique Contrats publics (septembre 2021)

Mathias Amilhat,
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole , IEJUC,
Comité de rédaction du JDA

L’année écoulée a permis de constater une nouvelle fois que le droit de la commande publique fait preuve d’une capacité d’adaptation importante. Il est d’ailleurs possible que ces adaptations se poursuivent tant la commande publique semble aujourd’hui mise en avant comme un outil de relance économique (v. not. P. Terneyre et T. Laloum, « Droit des contrats administratifs : renversons quelques tables pour la reprise économique ! », Contrats-Marchés publ. 2021, étude 5). Il n’est pas question ici d’anticiper des changements éventuels mais il est possible de relever que ceux qui ont eu lieu lors de cette période si particulière ont toujours été pensés au bénéfice des opérateurs économiques. Or, si l’utilisation de la commande publique au service des politiques publiques nous semble constituer un élément positif, il est regrettable que le but d’intérêt général poursuivi par les personnes de la sphère publique ne semble envisagé que de manière secondaire, après la recherche de protection des opérateurs économiques. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, derrière les garanties apportées aux opérateurs économiques, se trouvent généralement des hausses d’impôts dénoncées par les mêmes qui plaident en faveur de la protection des entreprises.

Parmi les évolutions les plus marquantes, on retrouve l’adoption de la loi ASAP – qui semble parachever les évolutions provoquées par la pandémie de COVID-19 – et celle des nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) applicables en matière de marchés publics.

La loi ASAP 

La loi d’accélération et de simplification de la commande (ASAP) du 7 décembre 2020 (Loi n°2020-1525, JORF du 8 déc. 2020) est le premier texte de loi apportant des modifications significatives au droit de la commande publique depuis l’adoption du code en 2019. Ce n’était pourtant pas l’objectif initial du projet de loi qui ne devait modifier le code de la commande publique qu’à la marge. En effet, la seule modification prévue initialement concernait les contrats passés avec des avocats ayant pour objet des services juridiques de représentation ou des services juridiques de consultation. Elle a été maintenue dans le texte adopté : ces contrats intègrent désormais la catégorie des « autres marchés » et des « autres contrats de concession », ce qui signifie qu’ils peuvent être passés sans qu’une procédure de publicité et de mise en concurrence ne soit mise en œuvre (ils relevaient auparavant de la procédure adaptée).

Les modifications ASAP du droit de la commande publique ne se sont cependant pas arrêtées là. Elles se retrouvent aux articles 131 à 133 et 140 à 144 de la loi et permettent de sanctuariser certaines mesures adoptées dans le cadre de la législation d’exception mise en place pour faire face à la pandémie de Covid-19 (Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de COVID-19, JORF du 26 mars 2020 ; Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire, JORF du 13 mai 2020 ; Ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique, JORF du 18 juin 2020).

  • En premier lieu, la loi crée une nouvelle exception permettant aux acheteurs de conclure leurs marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le respect d’une telle procédure est manifestement contraire « à un motif d’intérêt général » (CCP, art. L. 2122-1 et L. 2322-1). Pour autant, les acheteurs ne sont pas compétents pour identifier de tels motifs d’intérêt général. Il faut donc attendre que le pouvoir réglementaire intervienne pour fixer la liste de ces motifs.  
  • En deuxième lieu, la loi modifie les dispositions du code de la commande publique pour interdire l’exclusion des entreprises en redressement judiciaire si elles bénéficient d’un plan de redressement (CCP, art. L. 2141-3 et L. 3123-3). Dans le même sens, les acheteurs et les autorités concédantes se voient interdire de résilier un contrat au seul motif qu’une entreprise est placée en redressement judiciaire lorsqu’elle bénéficie d’un plan de redressement (CCP, art. L. 2195-4, L. 2395-2 et L. 3136-4).
  • En troisième lieu, la loi étend le dispositif applicable aux marchés de partenariat pour faciliter l’accès des PME, des TPE et des artisans aux marchés globaux. Désormais ces contrats doivent fixer « la part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans » (CCP, art. L. 2171-8). De plus, « la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans » figure dorénavant parmi les critères d’attribution de ces marchés globaux (CCP, art. L. 2152-9).
  • La loi crée également, et en quatrième lieu, deux nouveaux livres intégrés dans le code de la commande publique et intitulés « dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles » : le premier concerne les marchés publics, le second les contrats de concession. Leur contenu est proche de celui de l’ordonnance du 25 mars 2020 et cherche à permettre une réactivité plus importante face à de telles circonstances (CCP, art. L. 2711-1 à L. 2728-1 et L. 3411-1 à L. 3428-1). D’un point de vue pratique, les mesures prévues pour faire face aux circonstances exceptionnelles pourront être activées par décret, ce qui devrait permettre de réagir plus rapidement, sans intervention du législateur.
  • En cinquième lieu, conformément au texte initial du projet de loi, la loi ASAP intègre les marchés et contrats de concession ayant pour objet des « services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle » ou des « services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation d’une telle procédure » dans la catégorie des « autres marchés » (CCP, art. L. 2512-5) et des « autres contrats de concession » (CCP, art. L. 3212-4). Ils échappent donc désormais au respect des procédures de publicité et de mise en concurrence. Le législateur a expliqué ce choix par la volonté de mettre fin à la surtransposition des directives qui avait conduit à soumettre ces contrats au respect d’une procédure adaptée.
  • En sixième lieu et de manière subtile, la loi ASAP fait fortement évoluer les règles applicables aux marchés réservés. Pour rappel, il s’agit de contrats qui font l’objet de procédures de publicité et de mise en concurrence mais pour lesquels seuls certains opérateurs économiques peuvent candidater, parce qu’ils emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés. Jusqu’à présent, une distinction était opérée en fonction des structures : les marchés pouvaient soit être réservés aux entreprises adaptées et aux établissements et services d’aide par le travail, soit être réservés aux structures d’insertion par l’activité économique. Désormais, cette distinction n’existe plus, ce qui signifie que les acheteurs peuvent mettre en concurrence l’ensemble de ces opérateurs lors de l’attribution d’un marché réservé (CCP, art. L. 2113-14).
  • En septième lieu, la loi crée un nouveau seuil de 100 000 euros hors taxes pour les marchés publics de travaux (inspiré du seuil provisoire de 70 000 euros mis en place dans le cadre de la législation d’exception). Il prévoit que les marchés de travaux qui répondent à des besoins dont la valeur estimée est inférieure à ce seuil, ainsi que les lots inférieurs à ce seuil et qui portent sur des travaux dans la limite de 20% de la valeur totale du marché peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables. Il ne s’agit pour l’heure que d’un seuil provisoire applicable jusqu’au 31 décembre 2022 (art. 142 de la loi ASAP, non codifié).
  • En huitième lieu, la loi met fin au décalage qui existait entre les marchés publics et les contrats de concession en matière de modifications en cours d’exécution. En effet, lors de la transposition des directives de 2014, le législateur avait prévu que les règles concernant les modifications en cours d’exécution des contrats de concession s’appliqueraient également aux modifications concernant des contrats de concession conclus avant le 1er avril 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance « concessions ». Or, cette règle ne concernait pas les marchés publics passés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance « marchés publics » du 23 juillet 2015. La loi ASAP revient donc sur ce décalage : désormais tous les contrats de la commande publique « pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication avant le 1er avril 2016 peuvent être modifiés sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions définies par le code de la commande publique ».
  • En dernier lieu, la loi crée une nouvelle catégorie parmi les marchés globaux sectoriels qui peuvent être utilisés par l’Etat (CCP, art. L. 2171-4, 5°) et elle modifie les règles applicables aux marchés globaux sectoriels conclus par la Société du Grand Paris (CCP, art. L. 2171-6).

Enfin, il convient de souligner qu’un premier décret a été adopté en application de la loi ASAP le 30 mars 2021 (Décret n° 2021-357 du 30 mars 2021 portant diverses dispositions en matière de commande publique). Son principal apport est de fixer à 10 % la part de l’exécution des marchés publics globaux qui doit être confiée à des PME, des TPE ou des artisans. Il permet également de modifier la partie réglementaire du code de la commande publique pour tenir compte des modifications législatives concernant les services juridiques ; de reformuler les hypothèses de dispense de jury pour l’attribution des marchés globaux ; et d’intégrer dans le code le point de départ du délai de paiement du solde des marchés publics de maîtrise d’œuvre précisé dans le nouveau CCAG.

De nouveaux CCAG pour les marchés publics

Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) font partie de ces documents qui, bien qu’indispensables aux praticiens de la commande publique, sont rarement étudiés en tant que tels.

Pour rappel, le code de la commande publique envisage expressément le recours aux CCAG. Il est en effet prévu que les clauses des marchés publics « peuvent être déterminées par référence à des documents généraux tels que :

1° Les cahiers des clauses administratives générales, qui fixent les stipulations de nature administrative applicables à une catégorie de marchés ;

2° Les cahiers des clauses techniques générales, qui fixent les stipulations de nature technique applicables à toutes les prestations d’une même nature » (CCP, art. R. 2112-2).

Pour l’exprimer plus simplement, les CCAG constituent en quelque sorte des « modèles » contractuels auxquels les acheteurs peuvent se référer. Comme le rappelle la DAJ dans sa notice de présentation des nouveaux textes, « les CCAG sont des documents-types » qui « déterminent les droits et obligations des cocontractants sur toute la vie du contrat : délais d’exécution, sous-traitance, garanties et assurances, prix et paiement, prestations supplémentaires, pénalités, admission et réception, résiliation, ajournement et règlement des différends, etc » (DAJ, Réforme des cahiers des clauses administratives générales (CCAG) 2021, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/CCAG/RefonteCCAG/Notice%20pr%C3%A9sentation%20CCAG.pdf ). A ce titre, les CCAG constituent un outil indispensable pour les praticiens.

Pour autant, les CCAG n’avaient pas évolué depuis leur révision en 2009. Or, la disparition du code des marchés publics et son remplacement par le code de la commande publique appelaient une réforme de ces textes. C’est désormais chose faite avec l’adoption de six arrêtés ministériels le 30 mars 2021 (v. la liste et les renvois aux différents textes sur le site de la DAJ : https://www.economie.gouv.fr/daj/cahiers-clauses-administratives-generales-et-techniques ), chacun d’eux portant approbation d’un nouveau CCAG :

  • Le CCAG Marchés de fournitures courantes et services (CCAG-FCS)
  • Le CCAG Marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI)
  • Le CCAG Marchés publics de travaux (CCAG Travaux)
  • Le CCAG Marchés publics industriels (CCAG-MI)
  • Le CCAG Marchés publics de techniques de l’information et de la communication (CCAG-TIC)
  • Le CCAG Marchés publics de maîtrise d’œuvre (CCAG-MOE).

Les marchés publics de maîtrise d’œuvre ont donc désormais droit à leur propre CCAG, ce qui signifie que les acheteurs n’auront plus à se référer au CCAG-PI lorsqu’ils concluront de tels marchés.

Ces nouveaux CCAG sont tous entrés en vigueur le 1er avril 2021 (un décret ayant autorisé leur entrée en vigueur immédiate). Les cinq premiers prévoient cependant un dispositif transitoire. En effet, en principe ils ne s’appliquent pas aux marchés pour lesquels « une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence envoyé à la publication entre 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021 », sauf si ces marchés se réfèrent expressément aux nouveaux CCAG. Les CCAG de 2009 vont donc continuer à s’appliquer pour quelques mois encore, sauf pour les marchés publics de maîtrise d’œuvre.

Du point de vue de la méthode, un groupe de travail a été créé dès septembre 2019 réunissant des représentants des différents acteurs du droit de la commande publique. Ce groupe de travail a permis la rédaction de projets de CCAG, soumis à consultation publique entre le 15 janvier et le 5 février 2021. Ce sont donc les projets de ce groupe de travail, enrichis par la consultation publique, qui ont été adoptés.

La question est alors de savoir quels sont les (principaux) changements apportés par ces textes.

Outre l’harmonisation terminologique nécessaire au regard des évolutions de la réglementation (pour davantage de précisions sur ce point, voir : DAJ, Notice de présentation, préc.), l’une des principales nouveautés réside dans l’adoption, déjà évoquée, d’un sixième CCAG spécifique pour les marchés de maîtrise d’œuvre. Auparavant, les acheteurs se référaient au CCAG-PI de 2009 mais ils « étaient contraints d’y déroger de façon massive, notamment en ce qui concerne les prix provisoires, l’assurance-construction, la propriété intellectuelle, le paiement du solde, ou de rédiger un cahier des charges spécifique complet » (DAJ, Notice de présentation, préc.). Le nouveau CCAG-MOE devrait permettre de remédier à cette situation peu satisfaisante et de sécuriser davantage les marchés publics conclus sur son fondement.

Autre nouveauté, les nouveaux CCAG comportent tous un préambule qui précise son champ d’application (quels sont les marchés publics concernés par ledit CCAG) et les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent se référer à plusieurs CCAG. Ces préambules rappellent en effet que, « par principe, un marché ne peut se référer qu’à un seul CCAG » mais envisagent deux dérogations :

  • La première est une dérogation générale qui concerne les marchés globaux (CCP, art. L. 2171-1). L’objet particulier de ce type de contrats justifie en effet que les acheteurs se réfèrent à plusieurs CCAG. Pour autant, la référence à plusieurs CCAG n’est pas sans risques et ce sont donc les acheteurs qui doivent « veiller à assurer la parfaite cohérence entre les différentes clauses » des CCAG auxquels ils se réfèrent.
  • La seconde dérogation concerne les prestations secondaires qui « doivent être régies par des stipulations figurant dans un autre CCAG que celui désigné dans le marché ». Dans ce cas, les acheteurs ne peuvent pas se référer à deux CCAG : ils doivent se référer à un CCAG principal et « reproduire, dans le cahier des clauses administratives particulières ou dans tout autre document qui en tient lieu, les stipulations retenues ou tout autre document qui en tient lieu, sans référence au CCAG dont elles émanent ».

Les clauses contenues dans les différents CCAG évoluent également. Chaque CCAG connaît ses propres évolutions et/ou adaptations mais certaines sont communes à l’ensemble des CCAG. La directrice des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des Fiannces et de la Relance, Laure Bédier, les qualifie de « clauses transversales », par opposition aux clauses « spécifiques à chaque catégorie de marché » (H. Hoepffner, « Entretien avec Laure Bédier », Contrats-Marchés publ. 2021, dossier 3). Ainsi, le montant des avances versées aux cocontractants repose désormais sur le choix entre une option A qui permet de favoriser les PME et une option B qui conduit à une application plus classique des dispositions du code, le montant des pénalités de retard est davantage encadré, les modalités de versement des primes sont harmonisées et clarifiées et les ordres de services doivent désormais être valorisés sous peine de voir leur mise en œuvre refusée par le cocontractant. Par ailleurs, l’utilisation de la dématérialisation est facilitée, ainsi que le recours aux modes de règlement amiable des différends. Enfin, tous les CCAG intègrent une clause relative à la propriété intellectuelle, des clauses environnementales, une clause d’insertion sociale et aussi une clause visant à anticiper les difficultés rencontrées par les cocontractants en cas de circonstances imprévisibles.

Les nouveaux CCAG cherchent donc à orienter davantage l’action des acheteurs lors de la rédaction de leurs marchés publics. Ils ont également pour objectif de sécuriser davantage l’exécution des marchés publics (avances, ordres de services…). Pourtant, et en toutes hypothèses, le recours aux CCAG reste volontaire ce qui signifie que les acheteurs sont libres d’y déroger. Ce n’est généralement pas le cas en pratique mais, le code de la commande publique comme les CCAG envisagent cette possibilité, au grand dam des professionnels du secteur (v. not. H. Hoepffner, « La liberté de déroger aux CCAG pourrait-elle et devrait-elle être limitée ? », Contrats-Marchés publ. 2021, repère 7). Est-ce à dire que les CCAG pourraient rapidement évoluer ?

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021 ;
Mathias Amilhat ; chronique contrats publics 05 ; Art. 356.

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ParMathias AMILHAT

5e chronique Contrats publics

Art. 355.

5ème chronique Contrats publics (septembre 2021)

Mathias Amilhat,
Maître de conférences de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole , IEJUC,
Comité de rédaction du JDA

Après une (trop) longue pause, la chronique « contrats publics » revient sur le site du Journal du droit administratif (JDA). Beaucoup de choses ont évolué depuis la dernière mouture de cette chronique, à commencer par l’adoption du code de la commande publique ! Or, les contraintes temporelles font qu’il n’est pas possible de résumer ici l’ensemble des évolutions du droit des contrats publics sur les deux à trois dernières années.

Cette nouvelle version de la chronique « contrats publics » propose donc d’adopter un format renouvelé qui devrait permettre de renouer avec une publication semestrielle. Un découpage simple a été retenu. Il distingue de manière classique la présentation des nouveautés textuelles et une sélection de jurisprudences marquantes au cours des 6 ou 7 derniers mois.

Du côté des nouveautés textuelles, deux points nous semblaient mériter une attention particulière :

S’agissant de la jurisprudence, une sélection de décisions a été opérée, en espérant qu’elle ne soit pas à l’origine de frustrations.

Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2021;
Mathias Amilhat ; chronique contrats publics 05 ; Art. 355.

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