Art. 314.
CE, Sect., 08 février 1991, Région Midi-Pyrénées
Retour sur la construction
de l’hôtel de la région Midi-Pyrénées
Le numéro 22 du boulevard du Maréchal Juin à Toulouse abrite l’hôtel de, feue, la région Midi-Pyrénées désormais région Occitanie issue de la fusion avec la région Languedoc-Roussillon. Implanté en bord de Garonne, le siège de la Région a donné lieu à un important arrêt du droit des contrats des personnes publiques. Suite à la loi de décentralisation de 1982, la Région décide la construction d’un bâtiment destiné à l’accueil de ses services dont la première pierre est posée en 1983. La réalisation de l’ouvrage est confiée à une société privée de promotion immobilière, propriétaire du terrain d’assiette. Plutôt que de faire réaliser la construction par des architectes et des entrepreneurs dans le respect du Code des marchés publics sur un terrain dont elle était propriétaire, la région Midi-Pyrénées décide de recourir à un contrat de Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (Vefa). Selon le Code civil la Vefa est :
« le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l’ouvrage jusqu’à la réception des travaux ».
Le choix de la Vefa n’a cependant pas été sans soulever d’oppositions, à l’origine de la décision du 8 février 1991[1]. En effet, le Tribunal administratif de Toulouse a été saisi – par le syndicat de l’architecture de la Haute-Garonne et la Fédération nationale des syndicats de l’architecture – de l’annulation de la délibération en date du 21 février 1983 par laquelle le bureau du conseil régional de la région Midi-Pyrénées a donné mandat à son président pour signer un protocole d’accord avec la société Manera en vue de la réalisation du futur « hôtel de la région ». Par un jugement en date du 30 janvier 1984, le TA de Toulouse a annulé la délibération attaquée donnant gain de cause aux requérants. L’arrêt considère que le contrat est un marché de travaux publics, c’est-à-dire un contrat administratif par détermination de la loi soumis un régime de droit public. Le Conseil régional a alors commis un détournement de procédure et a excédé les limites de sa compétence en concluant un contrat de droit privé d’achat en l’état futur d’achèvement. Le Conseil régional de Midi-Pyrénées fait alors appel de cette décision. Le Conseil d’Etat qui doit se prononcer sur la régularité du recours à la Vefa par les personnes publiques. La réponse des juges se fait en deux temps. Ils précisent d’abord qu’aucune disposition législative n’interdit aux collectivités publiques de procéder à l’acquisition de biens immobiliers en utilisant le contrat de vente en l’état futur d’achèvement prévu à l’article 1601-3 du Code civil. Mais ils ajoutent ensuite, que les collectivités publiques ne sauraient légalement avoir recours à ce contrat de vente de droit privé, dans lequel l’acheteur n’exerce aucune des responsabilités du maître de l’ouvrage et qui échappe tant aux règles de passation, notamment aux règles de concurrence, prévues par le Code des marchés, qu’au régime d’exécution des marchés de travaux publics, lorsque l’objet de l’opération est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres.
Le Conseil d’Etat considère en l’espèce que l’hôtel de région, entièrement destiné à devenir la propriété du Conseil régional et conçu en fonction de ses besoins propres, ne peut pas se réaliser dans le cadre d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement. En somme lorsque les trois conditions déterminées par le Conseil d’Etat sont réunies, l’usage de la Vefa par les personnes publiques est irrégulier et constitue un détournement de procédure.
I. La nature de l’opération
Dans son considérant de principe, le juge précise que la Vefa n’est pas autorisée lorsque : « l’objet de l’opération est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres ».
En l’espèce, l’opération qui faisait l’objet du contrat passé entre la région Midi-Pyrénées et la société Manera avait été engagée à l’initiative de la région et tendait à la réalisation d’une opération selon les caractéristiques définies par celle-ci. Il en irait différemment si l’ouvrage était déjà en construction avant que la collectivité n’y porte intérêt. Le but du promoteur n’est pas de destiner l’immeuble à la personne publique mais de le proposer à la vente sur le marché immobilier[2]. Ensuite, l’immeuble était destiné à devenir entièrement la propriété de la Région. Il faut en déduire que lorsqu’une collectivité publique ne peut acquérir en intégralité un bâtiment en l’état futur d’achèvement. A l’inverse, la Vefa est envisageable si la collectivité ne se porte acquéreur que d’une partie de l’ensemble immobilier. Enfin, l’hôtel de région été conçu pour satisfaire les besoins propres de la Région auxquels devait répondre l’édification de cet ouvrage public. Il en serait allé différemment si la collectivité n’avait pas déterminé les caractéristiques du projet. Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé que les personnes publiques peuvent recourir au contrat de vente en l’état futur d’achèvement, a considéré que la réunion de ces trois conditions rendait le contrat irrégulier et entrainait l’annulation de la délibération du Conseil régional.
II. Les motifs de l’irrégularité
Une opération dont l’objet est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres contrevient à trois règles de droit public[3]. L’exclusion de la Vefa, quand les trois conditions décrites sont remplies, se justifie pour trois raisons.
D’abord, la collectivité publique n’« exerce aucune des responsabilités du maître de l’ouvrage » dans la réalisation des travaux. La loi de 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique impose aux personnes publiques d’exercer la maîtrise d’ouvrage lorsque l’ouvrage est construit pour elle. En outre, un tel contrat doit être soumis à des règles de passation, notamment de concurrence, prévues par le Code des marchés. La vente en l’état futur d’achèvement est, comme son nom l’indique, un contrat de vente d’immeuble. Or, le CE semble se référer aux obligations qui pèsent sur les marchés de travaux puisqu’il vise une opération dont l’objet est la construction d’un immeuble et non pas une cession. Ainsi, le Conseil d’Etat considère le contrat passé par la Région comme un marché public de travaux devant être réalisé par une maîtrise d’ouvrage publique et soumis à des procédures de passation. La Vefa est alors un simple moyen d’écarter les règles de la construction publique. Le Conseil d’Etat estime en effet, et c’est la dernière règle qu’il vise, que le recours à la Vefa est irrégulier dans les conditions présentées puisque le contrat échappe au régime d’exécution des marchés de travaux publics.
En somme, le recours à la vente en l’état futur d’achèvement pour la construction de l’hôtel de la région Midi-Pyrénées est considéré par le Conseil d’Etat comme un détournement des règles des marchés publics. Enfin, le Conseil d’Etat estime que le contrat rentre dans le cadre d’opération de construction pour lesquelles les collectivités publiques doivent respecter un « régime d’exécution des marchés de travaux publics », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Depuis la fusion l’hôtel de Région accueille les services administratifs de la région Occitanie mais les assemblées du conseil se tiennent à Montpellier.
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2020 ;
Dossier VII, Toulouse par le Droit administratif ; Art. 314.
[1] CE, sect., 8 février 1991, n° 57679, Région Midi-Pyrénées ; Rec. 1991, p. 41 ; Ajda 1991, p. 579, obs. X. Delcros ; Cjeg 1991, p. 251, chron. F. Llorens ; D. 1991, somm. p. 373, obs. Ph. Terneyre ; Jcp G 1991, II, 21738, note E. Fatôme ; Rfda 1992, p. 48, concl. M. Pochard ; Gddab, 2018, n°7, obs. R. Noguellou.
[2] E. Fatôme et L. Richer, « Vefa et marché public de travaux : le nouvel état du droit », Cmp août-septembre 2016, étude 6.
[3] E. Fatôme, note sous CE, sect., 8 février 1991, Région Midi-Pyrénées, Jcp G ; p. 21738.
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