Art. 411.
La présente contribution est extraite du 9e dossier du JDA
ainsi que de l’ouvrage
40 regards sur 40 ans de décentralisation(s).
L’extrait publié ci-dessous est à découvrir
– en intégralité –
dans l’ouvrage précité (Editions l’Epitoge).
Marietta Karamanli
Députée de la Sarthe, membre de la commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l’administration générale de la République,
docteure en sociologie politique
D’un sens à l’autre
Décentralisation est un mot que certains appelleraient « valise… », au sens où chacun peut y apporter ou y mettre « ses affaires » ou une signification personnelle. Littéralement la décentralisation est la dissociation d’éléments réunis en un même centre[1].
Au sens politique, la décentralisation vise à transférer de l’État unitaire et central vers des collectivités locales ayant des organes décisionnaires élus, des compétences et des ressources leur permettant d’exercer ces compétences.
Ce que j’ai retenu de mes années d’études supérieures c’est que l’élément déterminant et discriminant par rapport au processus de la déconcentration est l’élection de celles et ceux à qui sont confiées les responsabilités et prérogatives au niveau territorial.
C’est d’ailleurs ce qui motive le projet politique de décentraliser, à savoir donner ou rendre le pouvoir à des élus désignés pour cette tâche, pour penser des projets et gérer de services d’intérêt général ou commun de proximité.
Plusieurs problèmes sont directement posés par ce simple objectif : quels sont les critères qui font qu’un équipement, une activité, un service (entendu comme des personnels et des activités réalisées par ceux-ci), seront gérés plus efficacement par des collectivités territoriales et les élus qui les dirigent et selon quel degré de la hiérarchie territoriale (région, département, commune ou autre entité) ?
Deux éléments sont a priori retenus : la proximité avec les usagers et la taille critique pour l’exercice optimal des compétences en question.
Pour nous résumer, il est possible d’affirmer que la décentralisation ce sont des collectivités autonomes, avec des responsables élus et des ressources garanties et suffisantes.
Qu’est ce qui justifie qu’on décentralise ?
Ayant posé le cadre de la décentralisation telle que notre pays la pratique depuis environ quarante ans, il nous faut choisir une façon de présenter l’interrogation de fond qui saisit le législateur, ou soyons modeste, la députée face aux textes qui portent décentralisation : quels sont les motifs de l’exécutif quand il décentralise ?
En effet la plupart des textes de décentralisation sont à l’origine des projets de lois. Il est vrai que beaucoup de textes n’évoquent pas dans leur titre la décentralisation et comportent des mesures relatives aux collectivités territoriales et à l’exercice de leurs compétences[2].
Pour la commodité de l’exposé, il me paraît possible de distinguer trois grands types de lois relatives à la décentralisation :
- celles qui portent une volonté de donner aux élus et aux citoyens plus de pouvoirs en proximité et plus de responsabilités ;
- celles qui portent un transfert de compétences et de charges, parfois avoué parfois inavoué car sans transfert de moyens financiers réels ;
- celles enfin qui sont motivées par des considérations en opportunité et parfois aussi sans véritable lendemain.
Évidemment, cette classification est une œuvre très subjective.
Évidemment, ces catégories ne sont pas totalement « pures », certains textes relevant de plusieurs catégories à la fois.
De grands & petits actes
Commençons en rappelant brièvement les grands actes de la décentralisation (cette « pièce » qui n’en finit pas et restant en quelque sorte inachevée) qui constituent autant d’actes à la fois politiques, institutionnels et aussi symboliques.
L’acte 1 (1982 -1984) est celui des lois dites Defferre[3] conforme aux propositions de François Mitterrand[4] ; elles rompent fondamentalement avec l’existant de l’époque. Les mesures techniques sont autant de mesures politiques : suppression des tutelles a priori ; transfert de la fonction exécutive départementale et régionale des préfets aux présidents de conseil général et régional ; évolution vers des régions de plein exercice quittant ainsi le statut antérieur ; extension de compétences économiques…
La justification donnée à ce mouvement est celle de la reconnaissance de plus de droits aux élus et aux citoyens dans un monde qui change, et demandant plus de participation de tous aux décisions publiques[5]. C’est aussi un argument politique de fond des sociaux-démocrates des années 1980 où le thème de la citoyenneté s’avère utile pour dénoncer les attaques d’un État centraliste conservateur contre les droits civiques[6].
S’ajoutent deux lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 portant transfert des compétences dans de nombreux domaines (aménagement urbain, action sociale, équipements et fonctionnement collèges et lycées, entre autres).
L’acte 2 (2020-2004) est à un acte de prolongement des réformes, voulu alors par le président de la République Jacques Chirac ; cet acte se veut à la fois politique, constitutionnel et a suscité autant de satisfactions que d’interrogations quant aux motifs initiaux et aux effets à venir. L’objectif était clair : compléter les lois de 1982 et 1983 et prolonger le mouvement initial.
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 pose des principes forts et en quelque sorte, théorise la nature et les conditions de la décentralisation à la française[7]&[8]. Les lois adoptées dans la foulée tendent pourtant déjà à s’éloigner du principe à peine affirmé[9].
La loi du 13 août 2004[10] fait notamment du département le chef de file en matière d’action sociale (prestations d’action sociale) sans que les ressources suivent… et tiennent compte de l’évolution démographique (par ex un département comme circonscription territoriale vieillit) et économique (par ex un département s’appauvrit) possible et attendue des départements ce qui, par la suite, pose un problème. L’acte 2 est donc déjà moins réussi.
Les années suivantes voient des lois ou mesures relatives aux collectivités territoriales dont la logique échappe à une logique d’ensemble ou dont les prémices sont une volonté de rationalisation et de diminution des dépenses nationales et locales. Ainsi la loi de finances (fin 2009) pour 2010 modifie significativement les impôts locaux et donc les ressources, la loi du 16 décembre 2010 change l’organisation territoriale, créé un nouveau type d’élu local, le conseiller territorial devant siéger à la fois au conseil régional et au conseil général de son département d’élection.
La même loi fixe le principe de partage des compétences entre l’ensemble des collectivités territoriales en maintenant pour les seules communes, une compétence générale et en la supprimant pour les départements et les régions, et ce, à compter du 1er janvier 2015. La loi de décembre 2010 renvoie aussi à une autre loi, à venir, les compétences particulières que celle-ci leur attribuera. Bref c’est, permettez l’expression, « brouillon » et sans lendemain immédiat. Nous sommes dans la dernière partie du quinquennat du Président de la République N. Sarkozy où se fait sentir le besoin d’une nouvelle étape.
Vient l’acte III (2014-2015) qui veut rompre avec les lois de la précédente législature. Cette nouvelle étape porte sur la détermination des bons niveaux de décision, se veut guider par l’efficacité vue du côté de l’État ; sa méthode sera interrogée et ses résultats seront contrastés. La simple lecture des différentes étapes de discussion telle que présentée et rappelée par la Gazette des communes sur son site montre une réception très différente de ses attendus par les différents acteurs.
Surtout la disparition annoncée des départements, pris en tenaille entre des métropoles à venir (à 400 000 habitants) et de grandes régions génère, à l’époque, une opposition de bon nombre d’élus[11].
Par la suite, la loi finalement adoptée dite « Notre » du 16 juillet 2015 vient conforter les compétences des régions dans les domaines économiques et des mobilités, crée de nouveaux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, donne aux métropoles la possibilité de se substituer aux départements dans certains domaines et ôte à ces derniers leur compétence générale.
Reste que le texte s’écarte néanmoins significativement de ses ambitions originelles.
Ce nouvel acte de la décentralisation intervient, il est vrai, à un moment donné du quinquennat du Président F. Hollande où ce dernier a changé son 1re ministre et cherche un nouveau souffle.
Au départ du nouveau quinquennat en 2017, aucun acte 4 n’est annoncé. Cela n’empêche pas des projets de lois de porter des transferts de compétences sans moyens. Le texte de loi sur la sécurité globale[12] en est un exemple.
Le texte traite des polices municipales et propose un vaste champ à l’expérimentation, de nouvelles compétences à celles-ci. Les agents de police municipale vont être conduits à procéder à des actes d’enquête à la limite des prérogatives d’État. Par ailleurs, l’extension de compétences des policiers municipaux ne s’accompagne d’aucune mesure liée au renforcement de leur formation et à leur évolution de carrière. Cette expérimentation, dont demain on décidera peut-être qu’elle sera généralisée sans évaluation finale, s’apparente à bien des égards à un transfert « caché » de compétences sans transfert de moyens ou de ressources budgétaires. Comme certains élus et professionnels l’ont fait remarquer cela revient à ce que des personnes peut-être moins formées et certainement moins rémunérées mais payées par les communes fassent le même travail que des agents de la police nationale.
Des mots & des espoirs
La suite du présente article est à découvrir
dans l’ouvrage 40 regards sur 40 ans de décentralisation(s)
(Toulouse, Editions L’Epitoge ; 2 mars 2022).
Vous pouvez citer cet article comme suit :
Journal du Droit Administratif (JDA), 2022 ; Dossier 09 – 40 ans de décentralisation(s) ;
dir. F. Crouzatier-Durand & M. Touzeil-Divina ; Art. 411.
[1] Http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=3910576980.
[2] S’agissant de la présente législature (2017–2022) on peut citer par exemple le projet de loi dit de transformation de la fonction publique devenue la loi n°2019-828 du 6 août 2019.
[3] Gaston Defferre (1910-1986), ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation de 21 mai 1981 au 17 juillet 1984.
[4] La proposition 54 du candidat François Mitterrand précisait « La décentralisation de l’État sera prioritaire. Les conseils régionaux seront élus au suffrage universel et l’exécutif assuré par le président et le bureau. La Corse recevra un statut particulier. Un département du Pays basque sera créé. La fonction d’autorité des préfets sur l’administration des collectivités locales sera supprimée. L’exécutif du département sera confié au président et au bureau du conseil général. La réforme des finances locales sera aussitôt entreprise. La tutelle de l’État sur les décisions des collectivités locales sera supprimée ».
[5] Voir en ce sens le discours du ministre de l’Intérieur et de la décentralisation relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, 27 juillet 1981.
[6] Tournadre-Planc J., « De l’étatique au local : le New Labour, l’individu et les valeurs de la communauté, From the State to the Local Level : New Labour, the Individual and Community Values » in Revue Française de Civilisation Britannique, French Journal of British Studies, XIII-2 | 2005, « Décentralisation et participation citoyenne : une nouvelle répartition des pouvoirs en Angleterre ? ».
[7] L’article X de la loi dispose ainsi que « la République a une organisation décentralisée et les collectivités territoriales sont autonomes financièrement ce qui se traduit par un principe nouveau « le transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
[8] Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.
[9] Voir aussi en ce sens Frinault T., « La décentralisation : retour sur deux siècles de réformes », Métro-politiques, 1er octobre 2012 ; http://www.metropolitiques.eu/La-decentralisation-retour-sur.html.
[10] Loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
[11] L’étude d’impact attachée au projet de loi n’évoquait pas les conséquences de la modification de la carte régionale sur l’organisation des régions, sur leurs moyens et sur leur action de coordination, voir en ce sens mon intervention commission des lois, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mardi 8 juillet 2014, Séance de 17 heures, Compte rendu n°70.
[12] Devenue la loi n°n°2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés.
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